Antoine Caubet donne une version actuelle de la tragédie de Sophocle qui touche par
la force du texte.
« Monstre incompréhensible et déroutant, à la fois agent et agi, coupable et innocent,
lucide et aveugle, maîtrisant toute la nature par son esprit industrieux et incapable
de se gouverner lui-même ». D’un trait sûr, l’éminent historien Jean-Pierre Vernant
esquissait ainsi la figure d’Œdipe, burinée tout en oxymores… Pour juguler l’épidémie
de peste qui ravage les terres et vide les maisons de Cadmos, le roi écoute en effet
la pythie et cherche le coupable qui, par son ignominie noircie au sang, ruine l’avenir
de Thèbes. Sûr que les dieux l’inspirent, celui qui vainquit hier la perfide Sphinge en
déchiffrant l’énigme, mène l’enquête avec force et ardeur. Et peu à peu se découvre
au revers exact de celui qu’il se croyait : non le justicier, mais le criminel parricide
et incestueux, non le sauveur de sa cité, mais l’odieuse souillure dont elle périt. Et
plus il fouille le passé en quête de son histoire et croit échapper à la terrible prédic-
tion, mieux il l’accomplit malgré lui… L’implacable mécanique tragique le broie et le
jette hors de l’identité qui le tenait au monde. Le voici devenu étranger à lui-même.
Sans doute est-ce l’énigme creusée au cœur même de l’être, ce besoin viscéral de
connaître la vérité de ses origines, contre toute sagesse, qui fascinent et vibrent en
chacun, posant le héros « aux pieds enflés » en effigie de la destinée humaine qui
avance en aveugle sur les chemins de la vie.
La soif de savoir
Antoine Caubet, metteur en scène, comédien et ici auteur également du texte fran-
çais, entend jouer au présent cette tragédie composée par Sophocle voici quelque
2500 ans. Il revendique « un théâtre qui s’invente en direct, qui interroge notre huma-
nité dans l’immédiateté du face-à-face entre la salle et la scène : une expérience
partagée pour une quête commune. » Belle ambition. Qu’il ne suffit cependant pas
d’illustrer. Ainsi de la scénographie, qui montre un plateau en cours de montage et
un gradin bi-frontal peuplé par des ombres d’imaginaire, ou de l’adresse au public
comme à la communauté des Thébains ou encore de la lumière qui peu à peu meurt
dans l’obscurité suivant les yeux crevés d’Œdipe. La mise en scène semble laborieuse
et accorde encore difficilement l’ensemble, lesté par un jeu inégal des acteurs. En
revanche la traduction, vive et franche, le chœur porté au micro par Cécile Cholet et
Delphine, et l’interprétation de Pierre Baux, Œdipe généreux et colérique, aimanté
vers son fatal destin par le désir irrépressible de savoir, font résonner à plein la défla-
gration de la tragédie. « Dans sa simplicité apparente, le mythe noue et solidarise des
forces psychiques multiples. Tout mythe est un drame humain condensé. ». La phrase
de Bachelard passe alors en trottinant dans les esprits…
Gwénola David
26 novembre 2013