Mathématiques
breux écrits de Jordan
2
, sur la période qui s’étend
de l’année de sa thèse à la publication du Traité en
1870, que l’on peut réellement prendre conscience
de l’importance de la « présence » de Galois dans les
travaux de Jordan. Ils verront leur aboutissement
avec le Traité des substitutions et des équations
algébriques qui les reprend, les restructure et les
généralise, mais supprime « tout développement
historique 3» dans le cours du Traité.
Au delà de ce lien avec Galois, dans la Préface du
Traité, Jordan fait aussi référence à Joseph-Alfred
Serret
4
, dont il fut l’élève. On peut penser avec Ca-
roline Ehrhardt ([7], p. 397) que Serret, qui était
présent au jury de la thèse de Jordan, a peut-être
encouragé le mathématicien débutant à poursuivre
ses recherches.
Les écrits de Jordan nous parlent aussi de Liou-
ville. En préalable à un Mémoire [11] de Jordan de
1867 se trouve la Lettre à M. Liouville sur la ré-
solution algébrique des équations [10], lettre qui
suggère l’incitation à publier que Jordan aurait pu
recevoir de Liouville. Il est vrai que Serret et Liouville
se connaissaient et que Liouville a un rôle institu-
tionnel essentiel en tant que fondateur du Journal
de Mathématiques pures et appliquées.
Le jeune Jordan a eu bien d’autres sources, que
nous ne détaillerons pas 5.
1.2 – Le groupe linéaire dans les textes
de Camille Jordan
La Lettre à M. Liouville [10], le Mémoire sur la
résolution algébrique des équations [11] de 1867 et
le Traité vont nous servir de référence. Ces textes
sont bien sûr très postérieurs à l’apparition de la
notion de groupe, dont Lagrange fut un précurseur
environ un siècle auparavant dans les « Réflexions
sur la résolution algébrique des équations ».
Avant d’aborder l’étude du groupe linéaire, repre-
nons les définitions telles qu’elles sont énoncées
par Jordan dans le Traité des substitutions, au Livre
Premier-Des Congruences. Commençons par celle
d’une substitution, page 21 : « On donne le nom
de substitution à l’opération par laquelle on inter-
vertit un certain nombre de choses que l’on peut
représenter par les lettres a,b... »
Cette définition
6
reprend celle de Cauchy de
1815 et décrit notre notion moderne de permuta-
tion dans un ensemble X,Xétant fini.
Vient ensuite la notion de groupe, page 22 :
« On dira qu’un système de substitu-
tions forme un groupe (ou un fais-
ceau) si le produit de deux substitutions
quelconques du système appartient lui-
même au système. »
C’est pour nous un sous-groupe du groupe symé-
trique.
Puis, Jordan définit son ordre, son degré :
« L’ordre d’un groupe est le nombre de ses substi-
tutions : son degré
7
est le nombre des lettres sou-
mises à ses substitutions. »
Le groupe linéaire apparaît chez Jordan dans des
textes un peu antérieurs au Traité. Dans la Lettre à
M. Liouville [10] qui introduit le Mémoire de 1867,
Jordan cite deux théorèmes de Galois :
« 1. le degré de toute équation primi-
tive
8
soluble par radicaux est une puis-
sance exacte d’un nombre premier ;
2. les substitutions de son groupe sont
toutes linéaires. »
Pour Jordan, un des buts du Mémoire de 1867 est
de trouver une démonstration de ces théorèmes,
perdue, ou dont il ne « reste que quelques lambeaux
sans suite ».
De la notion d’équation, il passe, comme Ga-
lois, à celle de groupe de l’équation, notion qu’il
introduit page 111 du Mémoire, par le théorème I,
directement issu de celui de Galois de 1830 9:
« Théorème I. Soit
F
(
x
) = 0 une équation
algébrique quelconque à coefficients ra-
3. Préface du Traité.
4
. Dont le nom est associé au trièdre de Serret-Frenet. Serret est l’auteur du Cours d’algèbre supérieure, Bachelier, Paris, 1849,
cours d’algèbre maintes fois réédité.
5. Frédéric Brechenmacher a analysé avec précision ces différentes sources dans ses nombreux travaux sur Jordan.
6
. On trouve une étude extrêmement claire et précise des notions de substitutions et de permutations chez Cauchy et Galois dans
un article d’Amy Dahan de 1980 : Les Travaux de Cauchy sur les Substitutions. Étude de son approche du concept de groupe, Arch.
Hist. Exact Sciences 23.
7
. Les lettres soumises à des substitutions sont, dans le cadre de la résolution des équations, les racines d’une équation, leur
nombre est le degré de cette équation, ce qui explique ce vocabulaire.
8. Voir la définition de Galois d’une équation primitive dans Œuvres mathématiques, p. 409.
9
. Proposition I de Galois dans Œuvres mathématiques, p. 421. Théorème : Soit une équation donnée, dont
a,b,c...
sont les
m
racines. Il y aura toujours un groupe de permutations des lettres
a,b,c...
qui jouira de la propriété suivante : 1
o
que toute fonction des
racines, invariable par les substitutions de ce groupe, soit rationnellement connue ; 2
o
réciproquement, que toute fonction des racines,
déterminable rationnellement, soit invariable par les substitutions.
16 SMF – GAZETTE – AVRIL 2016 – No148