Inspiré par Ivan Wallin, mais aussi par d'autres prédécesseurs visionnaires comme la
biologiste américaine Lynn Margulis, qui avait perçu dès les années 1970 l'importance
de la symbiose, Seth Bordenstein a patiemment réuni cas ambigus et phénomènes
étranges, comme autant d'indices de l'influence des bactéries. Il mène des recherches,
compile et dissèque les travaux dans lesquels des micro-organismes semblent être à
l'origine d'une nouvelle espèce... Une gageure tant ce phénomène, la "spéciation", est
discuté par les scientifiques : ses influences sont innombrables et ses causes multiples
et difficiles à distinguer de ses conséquences.
Déjà se pose la question de ce qu'est une espèce. Cela semble simple si on regarde la
chose d'un œil presbyte : de loin, les espèces se distinguent bien. De près, beaucoup
moins. La faute à l'évolution et à la sélection naturelle qui poussent le vivant à changer
en permanence, si bien qu'il est difficile de faire la part des choses quand une espèce se
transforme ou que deux populations proches semblent s'hybrider. Par conséquent,
depuis deux cent cinquante ans qu'ils travaillent dessus, les naturalistes, puis les
biologistes ne se sont toujours pas accordés sur une définition claire... Retenons juste
que des individus appartiennent à des espèces différentes s'ils ne peuvent pas se
reproduire ensemble. Les raisons d'une telle barrière ? Soit l'acte est impossible entre
eux, soit leurs hybrides sont condamnés ou stériles. Dans tous les cas, les ponts ont été
coupés entre les partenaires et entre leurs espèces respectives — qui pouvaient n'en
faire qu'une au départ. Incapables d'échanger des gènes, elles vont suivre chacune leur
chemin évolutif et multiplier les différences. C'est ainsi qu'en partant d'un cousin de
Velociraptor, on se retrouve quelques millions d'années plus tard avec des canards et
des autruches. D'où viennent ces différences ? Comme le rappelle Seth Bordenstein,
"les biologistes considèrent que l'apparition de nouvelles espèces est principalement
dirigée par les changements qui se produisent dans nos gènes. Nous, nous démontrons
que pour comprendre de façon globale comment se passe la spéciation, il faut certes
considérer notre génome, mais aussi celui des micro-organismes qui sont en nous !"
Pour le biologiste américain, la "cause première" de la séparation des espèces peut
être, aussi, microbienne. Rappelons-nous que nous sommes de vrais écosystèmes,
peuplés de nuées de bactéries. Tout comme deux populations appartenant à une même
espèce peuvent être séparées physiquement par une montagne, ou génétiquement par
un bouleversement chromosomique, elles peuvent l'être par ces mini-résidents !
Le chercheur a regroupé une collection inédite de cas où des bactéries ont sorti une
artillerie lourde capable d'imposer cette ségrégation...
UN STRATAGÈME PARFAIT
Wolbachia est, à ce titre, exemplaire : cette bactérie infecte près de 60 % des
arthropodes, l'immense groupe des insectes, acariens, araignées et crustacés. Parasite
incontournable, elle s'insinue dans les cellules de son hôte et colonise la descendance
des femelles. Pour favoriser sa transmission, elle réalise des prodiges.