Session nationale d’été 2013 : « La formation des catéchètes »
SNCC Session Nationale été 2013 : « La formation des catéchètes aujourd’hui » 1
LECTURE PLÉNIÈRE DE L’ECRITURE
Intervention P. Olivier Artus
Institut catholique de Paris
Comment une lecture plénière de l’Écriture sert-elle une formation intégrale de la personne ?
Comment favorise-t-elle l’édification de la foi et l’édification de l’identité croyante ?
1. Temps d’introduction
1.1 Différentes lectures de l’Ecriture du Concile Vatican II à nos jours
- le primat de la question de l’histoire jusqu’au Concile Vatican II
- l’émergence de la question de la narrativité dans les années 1970
- approche canonique et lecture plénière.
(document de 1993 de la Commission biblique :
1.2 La notion de sens plénier
Relativement récente, l’appellation de "sens plénier" suscite des discussions. On définit le sens plénier
comme un sens plus profond du texte, voulu par Dieu, mais non clairement exprimé par l’auteur
humain. On en découvre l’existence dans un texte biblique, lorsqu’on étudie celui-ci à la lumière
d’autres textes bibliques qui l’utilisent ou dans son rapport avec le développement interne de la
révélation.
Il s’agit donc ou bien de la signification qu’un auteur biblique attribue à un texte biblique qui lui
est antérieur, lorsqu’il le reprend dans un contexte qui lui confère un sens littéral nouveau, ou bien de la
signification qu’une tradition doctrinale authentique ou une définition conciliaire donne à un texte de la
Bible. Par exemple, le contexte de Mt 1,23 donne un sens plénier à l’oracle d’Is 7,14 sur la almah qui
concevra, en utilisant la traduction de la Septante (parthenos) : "La vierge concevra". L’enseignement
patristique et conciliaire sur la Trinité exprime le sens plénier de l’enseignement du Nouveau Testament
sur Dieu le Père, le Fils et l’Esprit. La définition du péché originel par le Concile de Trente fournit le sens
plénier de l’enseignement de Paul en Rm 5,12-21 au sujet des conséquences du péché d’Adam pour
l’humanité. Mais lorsque manque un contrôle de ce genre - par un texte biblique explicite ou par une
tradition doctrinale authentique, - le recours à un prétendu sens plénier pourrait conduire à des
interprétations subjectives dépourvues de toute validité.
En définitive, on pourrait considérer le "sens plénier" comme une autre façon de désigner le
sens spirituel d’un texte biblique, dans le cas où le sens spirituel se distingue du sens littéral. Son
fondement est le fait que l’Esprit Saint, auteur principal de la Bible, peut guider l’auteur humain dans le
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choix de ses expressions de telle façon que celles-ci expriment une vérité dont il ne perçoit pas toute la
profondeur. Celle-ci est plus complètement révélée dans la suite des temps, grâce, d’une part, à des
réalisations divines ultérieures qui manifestent mieux la portée des textes et grâce aussi, d’autre part, à
l’insertion des textes dans le canon des écritures. Ainsi est constitué un nouveau contexte, qui fait
apparaître des potentialités de sens que le contexte primitif laissait dans l’obscurité.
On voit que, par la notion de sens plénier, le texte de la commission biblique propose une piste
d’articulation entre Écriture et Tradition, articulation dont le texte de Dei Verbum ne précisait pas les
modalités. Le présupposé méthodologique d’une telle notion est que le processus de relectures interne
à l’Écriture Sainte ne diffère pas dans son principe des relectures postérieures à la clôture du canon
même si, par, ailleurs, elle s’interroge sur le fait de savoir si le processus d’interprétation interne à
l’écriture vaut comme règle d’interprétation pour aujourd’hui.
Une chose est de constater la continuité du processus de réinterprétations successives avant et
après la clôture et la définition du canon, une autre chose est de la considérer aujourd’hui comme
normative pour herméneutique biblique, l’herméneutique interne à l’Écriture.
NB : la prise ne compte du sens plénier de l’Ecriture implique de prendre en considération la relation
entre Ancien et Nouveau Testament pour interpréter de manière « canonique » un texte biblique. La
lecture première est christologique et eschatologique. Elle permet de dégager des axes structurants de
l’Ecriture.
Cf. VD 39-41 (texte distribué)
L’interprétation et la compréhension « plénière » de l’Ecriture a pour objet de mettre au jour le message
qu’elle contient, ou plus exactement de manifester le Christ de la même manière qu’elle le fait : cette
manifestation du Christ n’est pas sans conséquences anthropologiques puisqu’elle situe le lecteur de
l’Ecriture en « situation dialogale » avec le Christ :
- La première section (n° 6-49) Verbum Dei (la Parole de Dieu) de l’exhortation post
synodale est une réflexion fondamentale qui souligne l’identité de la Parole de Dieu et du
Christ : le Christ, dans le mystère de son Incarnation, de sa mort et de sa Résurrection est la
« Parole définitive que Dieu dit à l’humanité » (VD 7 ; VD 11). Il est la clef d’interprétation de
toutes les Écritures, Ancien et Nouveau Testament, et il fonde leur unité. (cf. sur ce point DV 2 /
DV 4). En Jésus Christ, le Verbe de Dieu s’est « abrégé » (VD 12, cf. Origène cf. Is 10,23 LXX ; Rm
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9,28). Les Pères de l’Église soulignent l’analogie entre le Verbe qui se fait « chair » et la Parole de
Dieu qui se fait « livre », qui emprunte un langage humain.
- D’autre part, l’Écriture nous donne une clef de compréhension anthropologique : nous ne nous
comprenons nous-mêmes, nous ne parvenons à notre vérité anthropologique que dans l’accueil
du Verbe de Dieu qui sollicite notre réponse (VD 6, VD 22 : La théologie de l’Alliance qui se
déploie dans l’Écriture montre comment l’homme ne se comprend lui-même qu’en s’ouvrant au
dialogue proposé par Dieu qui se révèle dimension dialogale de la révélation VD 24 Dieu
parle et intervient dans l’histoire en faveur de l’homme et de son salut intégral (VD 23)). Le
modèle de ce dialogue est celui de Marie avec Dieu : comme Marie « engendre » le Verbe, les
Chrétiens sont appelés analogiquement à « engendrer le Verbe » dans la foi VD 28, selon la
formule de St Ambroise. Cette intuition théologique d’une dimension dialogale de la, révélation
biblique était déjà celle de la constitution dogmatique Dei Verbum (n° 6) : « Dieu… s’adresse aux
hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec
lui. »
1.3 Présentation de l’Atelier
Atelier - Questionnaire :
1° Lire Mt 26,26-30 (texte joint)
2° Repérer les thèmes théologiques principaux. Quels sont les thèmes qui sont attestés dans l’Ancien
Testament ? Quelles évolutions de sens peut-on repérer par rapport à l’Ancien Testament ?
3° A partir de ces différentes thématiques (repérées dans le travail du 2°) essayer de préciser quels
points de repère le récit de l’institution de Mt 26,26-30 met en place :
- quelle «anthropologie chrétienne » se trouve fondée par le texte ?
- Comment la vie chrétienne peut-elle s’enraciner dans les paroles et dans les gestes posés par
Jésus ?
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2. « L’accomplissement des Ecritures » dans les récits de l’institution
2.1 La catégorie d’accomplissement telle que Luc 24, récit « eucharistique » la met en place.
2.2 La dimension « pascale » des récits d’institution
2.2.1 Le contexte « pascal » de la mort de Jésus dans le Nouveau Testament
Mt 26,17 (et parallèles) établissent un lien explicite entre le dernier repas de Jésus et le contexte
liturgique de la Pâque juive1 : « Le premier jour des pains sans levain, les disciples vinrent dire à
Jésus : ‘Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque’ ? ». (parallèles Mc 14,12 ; Lc
22,7). C’est dans le parallèle marcien (Mc 14,12-16) 2que le lien entre fête de la Pâque et la
personne de Jésus se trouve le plus expressément souligné (« ma salle », « mes disciples ») :
selon XL Dufour, Marc met en scène la Pâque de Jésus lui-même. Cette hypothèse est confirmée
par le fait que le récit de la Cène ne fait aucunement allusion à l’agneau pascal, ni aux herbes
amères. Le lien entre mort de Jésus et Pâque est également attesté par la chronologie de
l’Évangile de Jean (19,14 : jour de la préparation de la Pâque, correspondant chez Jean à la
,préparation du sabbat 19,31), qui fait néanmoins l’économie de la relation d’un repas pascal. Jn
2 (Cana) peut être considéré comme ayant cette fonction chez Jean.
NB : La chronologie marcienne n’est pas sans difficulté, puisque le premier jour des pains sans
levain suit la Pâque (15ème jour et non 14ème de nisan).
Le contexte pascal de la mort de Jésus constitue donc une clef de compréhension de cet
événement, d’autant plus que l’architecture des évangiles synoptiques invitent le lecteur à
identifier Jésus et la victime pascale. Dans la mesure où l’Évangile de Matthieu construit une
catégorie d’ « accomplissement » pour penser la relation entre Jésus-Christ les Écritures, il
apparaît logique d’utiliser ce terme pour penser la relation entre dernier repas et mise à mort de
Jésus et textes de l’Ancien Testament y compris les rituels de la Torah. (le terme plèr
apparaît d’ailleurs plusieurs fois dans le récit de la passion Mt 26,54.56 ; 27,9 cf aussi le discours
programmatique de Mt 5 : Mt 5,17).
Il s’agit donc ici de déterminer en quoi la compréhension vétérotestamentaire de la Pâque
« informe » le geste de Jésus, et en quoi celui-ci la dépasse, l’ « accomplit ».
2.2.2 Interprétation
En suggérant que le Christ puisse être considéré lui-même comme victime pascale, les récits
d’institution mettent ainsi en relation sa mort avec les dimensions libératrice et salutaire de
l’événement pascal. Le Christ devient l’espérance d’un nouveau peuple, qui, comme Israël, est
confronté à la mort, à la servitude du péché.
1 L’Évangile de Jean établit lui aussi un lien entre Pâque et Passion (jour de la préparation Jn 19,14.31). Selon Mt
27,62, la Pâque a lieu une veille de sabbat.
2 Cf P. BEAUCHAMP, Le Partage du pain eucharistique selon le Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1982, p. 222-
227.
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Le liturgie du Triduum pascal conduit à une telle interprétation, puisqu’elle met en
relation Ex 12,1-14 ; 1 Co 11,23-26 (jeudi-Saint), le récits de la Passion (vendredi) et enfin le récit
de salut d’Ex 14 et celui de la résurrection (nuit pascale).
Cependant, la mise en situation narrative de la mort de Jésus dans un contexte
pascal induit bien plus qu’une « réforme », ou qu’un « prolognement » de la pratique pascale.
En effet, si les récits de l’institution se situent dans un contexte pascal, ils ne font aucunement
référence au « rite pascal ». La structure de ces récits renvoie à un rite plus proche du repas juif
que de la haggadah de Pâques.
Le Christ est ainsi bien plus qu’un réformateur de la Pâque, de la tradition pascale
antérieure. Comme il le fait avec d’autres éléments de la tradition juive, il en refonde le sens et
la portée : Il devient lui-même la Pâque, celui qui permet à son peuple le passage de la mort à la
vie, de la servitude à la libération. Le Christ fonde ainsi une nouvelle ritualité (dimension
liturgique des formules d’institution à l’intérieur même du récit de la passion) où se dit l’identi
théologique du peuple qu’Il rassemble qui accomplit l’identité d’Israël, et où se construit
l’identité d’une communauté nouvelle.
2.3 La dimension « sacrificielle »
1° Selon la perspective du judaïsme postérieur à la Torah, qui réinterprète dans une ligne
spirituelle et éthique la notion juive de sacrifice, c’est toute la vie de Jésus qui peut être
interprétée comme une réalité sacrificielle. Par sa prière adressée au Père, Jésus ne cesse
d’offrir un sacrifice spirituel qui est la source de son action. Par son attention aux pauvres et aux
marginaux, il est un croyant exemplaire, dont les œuvres de miséricorde ont une valeur
sacrificielle. C’est la vie tout entière de Jésus qui peut être interprétée comme un sacrifice offert
au Père. (on ne peut donc séparer la passion relue comme sacrifice de la vie entière de Jésus
relue comme sacrifice)
2° Cependant, le juste Jésus est rejeté par les siens. Il emprunte ici la figure du serviteur
souffrant (Is 52,13-53,12), dont la mort en croix résulte de la haine du peuple, mais peut
également être reconnue comme « sacrifice pour le péché » en faveur de la multitude :
l’occasion d’une prise de conscience par le peuple de sa propre faute (cf. Lc 23,27.40-41), mais
aussi le lieu même du salut. Cependant, ce salut n’est pas offert de manière « mécanique » : le
sang du Christ n’efface pas la faute d’une manière comparable à celle du sang des animaux qui
purifient le Temple, les prêtres et la communauté.
3° En effet, si le vocabulaire sacrificiel offre un cadre de compréhension de la mort de Jésus en
Croix, la passion ne se situe pas dans la simple « continuité » du système sacrificiel du Temple :
la lettre aux Hébreux exprime la rupture que la passion du Christ marque. Jésus fait « éclater » le
cadre sémantique du sacrifice israélite et l’investit d’une signification nouvelle : il est Lui, le
Christ, le lieu et la médiation de la réconciliation définitive de Dieu de l’humanité, au-delà du
péché qui la marque.
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