2009 10 22 COM Enantiomers october 2009 FR

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 Le point sur
Paris, 22 octobre, 2009
ENANTIOMERES
UN BREVET SUR L’ENANTIOMERE (-) EST REVOQUE
POUR DEFAUT DE DESCRIPTION
Par Francis Ahner, Associé, Conseil en Propriété Industrielle
Et Anne Boutaric, Conseil en Propriété Industrielle
Récemment, la validité d’un brevet revendiquant l’énantiomère d’un
racémate connu a été jugée pour la première fois devant le Tribunal de
Grande Instance (TGI) de Paris (décision rendue le 6 octobre 2009).
L’absence de données expérimentales, dans la demande telle que déposée,
quant à l’activité de l’énantiomère a conduit à la révocation du brevet.
La société SEPRACOR est titulaire de deux brevets déposés le même jour:
Le brevet européen N° 0 663 828 revendiquant l’utilisation de la Cetirizine (-) pour le
traitement des rhinites allergiques et de l’asthme ; et
Le brevet européen N° 0 661 975 revendiquant la Cetirizine (+) dans les mêmes
applications.
La société TEVA a contesté devant le Tribunal de Grande instance de Paris la validité de la partie
française du brevet européen N° 0 663 828, soulignant notamment que la description ne divulgue aucun
résultat expérimental.
Le TGI de Paris a considéré que “dans le domaine pharmaceutique, la suffisance de la
description de l’invention de médicament implique l’indication des propriétés pharmacologiques et d’une
ou plusieurs indications thérapeutiques”.
Le TGI de Paris a observé que la description du brevet divulgue (i) le principe actif, (ii) le procédé
de fabrication du principe actif, (iii) la forme galénique du médicament contenant le principe actif et (iv)
le dosage et la posologie du médicament, mais ne comporte pas (v) de résultats expérimentaux
démontrant les effets allégués du principe actif. Or, le TGI a considéré que pour obtenir un brevet des
spéculations ne suffisent pas.
En outre, pour le TGI, l’existence du second brevet, revendiquant le second énantiomère dans les
mêmes applications, montre qu’à la date de dépôt la société SEPRACOR ne savait pas quel était
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Enantiomères – Un brevet sur l’énantiomère (-) est révoqué pour défaut de
description - Francis Ahner et Anne Boutaric
l’énantiomère le plus actif (ou induisant le moins d’effets secondaires) ou même si l’un des deux
énantiomères était plus actif (ou avec moins d’effets secondaires) que la forme racémique.
Le TGI de Paris a refusé de prendre en considération des données expérimentales publiées après
la date de dépôt du brevet: “le dépôt ultérieur de preuves expérimentales ne peut pallier cette carence, en
décider autrement impliquerait d’une part qu’il est possible de breveter une idée, une intuition et d’autre
part que la reconnaissance d’un objet revendiqué comme une solution à un problème particulier pourrait
varier dans le temps (…) Par conséquent, même si des éléments supplémentaires publiés postérieurement
peuvent également être pris en considération, ils ne peuvent pas servir de base unique pour démontrer la
réalité de l’activité inventive revendiquée” (soulignement ajouté).
Pour ces raisons, le TGI de Paris a décidé de révoquer la partie française du brevet européen N°
663 828 de SEPRACOR pour insuffisance de description.
Le Tribunal a aussi condamné la société SEPRACOR aux dépens et à payer à la société TEVA
100.000 € sur la base de l’article 700 du code de procédure civile.
On se rappellera que la société SEPRACOR a été créée pour développer les
énantiomères des médicaments commerciaux les plus vendus dans le monde puis concéder des
licences aux groupes pharmaceutiques établis. Par voie de conséquence, la société SEPRACOR
a déposé de nombreuses demandes de brevets ayant pour objet les énantiomères des
médicaments les plus vendus dans le monde sans avoir nécessairement testé l’activité des
énantiomères qu’elle avait séparés.
C’est cette stratégie que le TGI de Paris a décidé de condamner, expliquant qu’une
simple idée, une intuition ne peut pas être brevetée. C’est pourquoi, le TGI de Paris a refusé
de prendre en considération des données publiées postérieurement, s’écartant ainsi
considérablement de la pratique de l’Office Européen des Brevets.
En effet, au cours de la procédure d’examen, la Division d’Examen avait elle aussi
contesté l’activité inventive des revendications puisqu’“il n’existe pas de résultats de tests
montrant un quelconque effet bénéfique de la cetirizine (-) en comparaison du mélange
racémique ou de l’énantiomère (+). Ainsi le problème de la présente demande n’est pas
résolu” (traduction libre). Mais cette objection a pu être surmontée par le dépôt de nouvelles
informations techniques. Au contraire, le TGI de Paris n’a pas accepté les données techniques
fournies ultérieurement.
Cela a néanmoins pu perturber le TGI qui, après avoir discuté l’activité inventive –
comme l’a fait la Division d’Examen – a décidé in fine de révoquer le brevet pour insuffisance
de description.
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description - Francis Ahner et Anne Boutaric
Par ces motifs, le TGI a également écarté des débats d’autres questions intéressantes
soulevées par TEVA:
La validité des revendications de 2nde application thérapeutique de type “Suisse”
(“Swiss claims”) en France,
La nouveauté, ou l’activité inventive, d’une revendication ayant pour objet
l’énantiomère d’un mélange racémique connu.
Enfin, on constatera avec intérêt la somme considérable que la société SEPRACOR a dû
verser à la société TEVA sur la base de l’article 700: 100.000 € (en comparaison avec les
montants d’environ 10.000€ qui nous étaient plus habituels)
Cette décision devra être prise en compte par tout déposant dans le domaine de la
chimie ou de la biologie car ces motifs ne se restreignent pas au cas des énantiomères mais
s’applique à tout produit! Par conséquent, chaque demande de brevet devra contenir, au
moment de son dépôt, des données expérimentales supportant l’activité revendiquée.
Cette décision fait écho à la décision T1329/04 des Chambres de Recours de l’Office
Européen des Brevets décidant dans sa discussion de l’activité inventive que des preuves
supplémentaire publiées postérieurement ne peuvent pas server de base unique pour établir
que la demande résout effectivement le problème qu’elle adresse.
Malheureusement, le raisonnement du TGI, dans sa décision, n’est pas exempt de
toute critique.
L’article 83 de la Convention sur le Brevet Européen prévoit que:
“L’invention doit être exposée dans la demande de brevet européen de façon
suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse
l’exécuter”
En (1) divulguant le procédé de fabrication de l’énantiomère et en (2) fournissant au
lecteur des références de méthodes pour tester l’activité biologique, nous sommes d’avis, en
accord avec la politique de l’Office Européen des Brevets1, que le brevet européen
N°0 663 828 satisfait à cette exigence.
La véritable question était à notre avis de savoir si l’invention revendiquée impliquait
une activité inventive. Le TGI de Paris, lui-même, a correctement abordé cette question du
problème technique et du manque de preuve de sa résolution à la date de dépôt. Au lieu de
révoquer le brevet européen pour absence d’activité inventive, tel que son raisonnement sur
la résolution du problème technique aurait du l’y conduire, le TGI de Paris a finalement
décidé de révoquer le brevet européen pour insuffisance de description.
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Ni la CBE ni les directives d’examen ne requièrent que l’invention soit illustrée sous la forme d’exemples (T1181-03-3.3.8)
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Enantiomères – Un brevet sur l’énantiomère (-) est révoqué pour défaut de
description - Francis Ahner et Anne Boutaric
En cas d’appel, la Cour d’Appel pourrait décider:
de confirmer la décision du TGI de Paris mais en invoquant la base légale correcte;
ou
d’autoriser la fourniture de données publiées postérieurement en accord avec la
position prise par la division d’examen de l’OEB.2
En outre la Cour d’Appel pourrait répondre aux questions laissées pendantes dans la
présente décision.
La décision de la Cour d’Appel est donc attendue avec le plus grand intérêt.
Par Francis Ahner ([email protected] ), Associé, Conseil en Propriété Industrielle
Et Anne Boutaric ([email protected]), Conseil en Propriété Industrielle
Paris, 22 Octobre 2009
A propos du Cabinet Regimbeau :
Le Cabinet Regimbeau, Conseil en Propriété Industrielle, accompagne depuis plus de 75 ans les
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2
Il convient de noter ici que la jurisprudence de l’OEB, en ce qui concerne l’admissibilité de preuves publiées postérieurement
dans le raisonnement d’activité inventive, a évolué depuis l’examen de cette demande (voir T1329/04 supra)
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