Dossier : Les femmes et leur corps
Trop minces pour être enceintes
Marie-Claude Lortie
Châtelaine
Octobre 2001
www.chatelaine.qc.ca
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La quête de la minceur et de la forme peut avoir une
La quête de la minceur et de la forme peut avoir une La quête de la minceur et de la forme peut avoir une
La quête de la minceur et de la forme peut avoir une
bien fâcheuse conséquence
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e ne suis pas maigre comme Céline Dion, lance Marie-Josée Blondin, 31 ans. Mais
c’est vrai que j’ai toujours fait attention à mon poids. Il y a quelques années, j’ai perdu
10 kilos et, pendant que j’essayais de devenir enceinte, je m’entraînais six fois par
semaine. »
Marie-Josée Blondin n’est ni anorexique ni ballerine, ni athlète olympique. Mais
pour cette jeune professionnelle de la banlieue ouest de Montréal, comme pour
beaucoup de ses contemporaines, le poids est une préoccupation constante. Et comme
c’est le cas pour plusieurs femmes, la quête de la minceur et de la forme a eu une bien
fâcheuse conséquence : pendant deux ans, elle a été incapable de devenir enceinte.
En fait, Marie-Josée Blondin n’avait plus de règles. Elle souffrait d’aménorrhée
hypothalamique, un problème hormonal qui affecte particulièrement les femmes qui
ont un taux de gras trop faible, qui sont très stressées ou qui font trop d’exercice.
L’hormone à l’origine de l’aménorrhée hypothalamique s’appelle LHRH et est
sécrétée par l’hypothalamus. C’est elle qui « ordonne » à l’hypophyse de sécréter les
autres hormones qui entrent en jeu dans la reproduction, la LH et la FSH. Quand une
femme est trop mince, trop stressée ou fait trop d’exercice, le taux de LHRH diminue et
le système reproducteur se dérègle…
Si tout le monde sait que l’embonpoint peut être à l’origine du diabète ou
entraîner des problèmes cardiovasculaires, peu ont entendu parler de l’impact sur la
santé d’une trop grande maigreur, et notamment de ses conséquences sur la fertilité
des femmes. Les statistiques indiquent pourtant que 30% des femmes souffrant
d’aménorrhée ont ce problème parce qu’elles sont trop maigres, dit le docteur David
Morris, endocrinologue à l’Hôpital Royal Victoria, à Montréal. Chaque année, dans la
métropole, environ 200 femmes dans cette situation se font traiter dans le but de
devenir enceintes.
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Renverser la vapeur
L’aménorrhée hypothalamique n’est pas irréversible. Mais il n’y a pas de
consensus au sein de la communauté médicale sur le meilleur traitement à prescrire.
Certains médecins croient qu’il est préférable d’apporter une solution chimique au
problème en injectant à ces femmes les hormones que leur corps ne produit plus.
D’autres pensent qu’il faut d’abord les amener à changer leurs habitudes de vie pour
qu’elles reprennent du poids. Et les aider, en dernier recours, avec des hormones si la
machine ne s’est pas remise en marche toute seule.
Le docteur Hélène Lavoie, une endocrinologue qui travaille au pavillon Saint-
Luc du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et à la clinique de
fertilité PROCREA, à Mont-Royal, penche en faveur de l’approche hormonale. Pour
elle, demander à une patiente de prendre du poids est aussi délicat que de lui
demander d’en perdre. « Généralement, les femmes qui viennent ici se sont fait dire
par leur entourage qu’elles étaient trop maigres et qu’il fallait qu’elles engraissent.
Moi, je ne leur parle pas trop de leur poids… Quand elles viennent consulter, elles sont
souvent déjà dans la trentaine. On ne peut pas leur dire de prendre du poids et
d’attendre. Elles n’ont plus le temps d’attendre. »
La patiente a le choix : elle peut, chez elle, se brancher à une pompe qui lui
injectera de la LHRH ou se rendre en clinique, tous les jours, pour recevoir des injections
de LH et de FSH.
Le docteur Lavoie a étudié deux ans au Massachusetts General Hospital, affilié
à l’Université Harvard, pour parfaire ses connaissances de la LHRH. Cette hormone,
explique-t-elle, est normalement crétée de façon intermittente et non pas continue.
Tout traitement doit donc reproduire ces fréquences. À la maison, la patiente est reliée
par un cathéter à une pompe-minuterie installée à la ceinture; la pompe est
programmée pour injecter la LHRH aux moments opportuns.
Marie-Josée Blondin a vécu avec cette pompe pendant trois semaines. Elle n’a
pas trouvé l’expérience particulièrement agréable. « Mais ce n’est pas douloureux. Je
recommencerais s’il le faillait et je conseillerais à d’autres de le faire. » En fait, elle a été
assez chanceuse. Elle est devenue enceinte après un seul traitement. Coût : 1 000$,
incluant les médicaments, la location de la pompe, les consultations et les écographies
nécessaires pour surveiller l’évolution des ovules. Somme qui, selon les régimes
d’assurances, est remboursée partiellement ou en totalité.
Prendre du poids d’abord
Quand le corps devenu trop maigre cesse de créter de la LHRH, il agit ainsi
par réflexe de protection, pensent plusieurs médecins. « Le corps est en manque et il se
dit "ce n’est pas le temps de me reproduire" », explique le docteur Howard Steiger,
psychologue, directeur du programme pour le traitement des troubles alimentaires à
l’Hôpital Douglas, à Verdun, et professeur de psychiatrie à l’Université McGill, à
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Montréal. Pour lui et plusieurs autres médecins –, il est toujours préférable de
changer d’abord les habitudes de vie des patientes avant de leur injecter des
hormones. Car dans la majorité des cas, dit-il, les femmes qui souffrent de troubles
alimentaires et qui ont cessé d’avoir leurs menstruations retrouvent leur santé
reproductive une fois qu’elles recommencent à s’alimenter normalement. L’absence de
règles ou l’irrégularité des cycles menstruels restera un problème chronique pour les
autres. Et les médecins n’auront pas le choix, dans leur cas, d’avoir recours aux
hormones.
Sarah Berga, obstétricienne, gynécologue, chercheure et professeure en
médecine à l’Université de Pittsburgh, croit aussi que les femmes qui souffrent
d’aménorrhée doivent absolument prendre du poids et adopter un mode de vie santé
avant de devenir enceintes. Hormis les cycles menstruels, d’autres fonctions
physiologiques sont affectées par la maigreur excessive, dit-elle. La glande thyroïde,
par exemple, tourne au ralenti chez une femme trop maigre, ce qui peut avoir
d’importantes conséquences sur le développement neuropsychologique du bébé qu’elle
porte.
L’endocrinologue David Morris ajoute que des études ont montré que les bébés
nés de mères trop minces avaient tendance à être petits à la naissance puis à devenir
obèses et à souffrir de diabète plus tard. « C’est comme si le corps du bébé était
programmé pour vivre la famine toute sa vie. » D’où l’importance, pour lui, de voir les
femmes trop maigres prendre quelques kilos avant d’entreprendre une grossesse.
Adopter un nouveau mode de vie
Pour traiter les différents profils de femmes avec le doigté nécessaire, le docteur
Sarah Berga a mis sur pied, à Pittsburgh, un programme spécialisé multidisciplinaire.
Ce programme, qui comporte 16 rencontres étalées sur 20 semaines, aide les patientes
à retrouver un certain équilibre de vie et les kilos qui leur manquent sans le moindre
médicament.
Le programme s’adresse davantage aux femmes dont le poids est environ 10%
inférieur à leur poids santé. « Une discussion, de l’information, de l’écoute et, parfois, le
tour est joué, dit le docteur Berga. Mais souvent, il faut pas mal plus de temps. » Le
programme de 20 semaines peut se prolonger, mais la plupart des femmes règlent
ainsi leur problème. Dès qu’elles acceptent de suivre le programme et, donc,
reconnaissent qu’elles ont besoin d’aide, une grosse partie du travail est accomplie.
Reste ensuite à les aider à adopter un nouveau mode de vie.
Les questions abordées au cours des rencontres sont très pratiques.
« Certaines femmes travaillent trop et ne prennent pas le temps de manger.
Il faut donc voir avec elles comment elles pourraient moins travailler; il faut
aussi penser à des solutions repas. » Quatre types de spécialistes rencontrent
les patientes : endocrinologue, travailleur social, psychologue et
nutritionniste.
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Marie-Claude Lortie
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Ces femmes ont souvent des problèmes de comportement face à la vie en
général, dit le docteur Berga. Plusieurs sont non seulement perfectionnistes, mais aussi
très rigides. Notre rôle, c’est de leur apprendre à accepter l’imprévisible, à relaxer et à
se juger moins sévèrement. « Il est bon d’être ambitieux et exigeant envers soi-même.
Mais nos patientes doivent comprendre que le succès ne doit pas être atteint au
détriment de leur santé. » Le docteur Berga précise que même les capacités de
reproduction des hommes sont affectées par une vie trop exigeante. « Des études
indiquent que les hommes qui travaillent plus de 40 heures par semaine produisent
moins de spermatozoïdes que ceux qui travaillent moins. »
L’obstétricienne-gynécologue croit que les omnipraticiens et autres médecins de
famille ne disent pas assez souvent à leurs patients, hommes ou femmes, à quel point il
est important, pour la santé, de prendre le temps de vivre. « Les gens qui affichent
l’image de la réussite, avec leurs succès de carrière, leur minceur, leur vie trépidante,
vont parfois moins bien que ce dont ils on l’air… »
Marie-Josée Blondin a réussi à avoir son bébé, une mignonne petite fille blonde
aux yeux bleus. Elle n’a toujours pas de règles et elle ne sait pas comment les choses se
passeraient si elle désirait vivre une seconde grossesse. Elle espère que son histoire fera
réaliser aux jeunes femmes que la quête de la minceur peut avoir un prix très élevé.
« Elles se disent qu’elles deviendront enceintes dès qu’elles voudront un enfant. Mais la
volonté ne suffit pas toujours. »
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