La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 1 - janvier-février 2012 | 27
DOSSIER THÉMATIQUE
forte envie de manger entre les repas et lors de l’endor-
missement et/ou pendant la nuit, une insomnie, des
croyances selon lesquelles manger permet d’initier ou
de retrouver le sommeil. Ces habitudes alimentaires
sont associées à une importante détresse et/ ou à une
altération du fonctionnement psychosocial persis-
tant pendant au moins 3 mois. La prévalence du NES
est d’environ 1,6 % chez les adultes et de 1,1 % chez
les enfants (17, 18). Le SRED se caractérise par des
épisodes récurrents d’hyperphagie après l’initiation
du sommeil et de réveils anticipés. Pendant les crises,
les patients rapportent une perte de contrôle. Contrai-
rement au NES, le niveau de conscience pendant les
crises varie de l’inconscience à l’éveil complet. Les
aliments riches en glucides et en graisses sont préférés.
Le SRED est fréquemment associé à des troubles du
sommeil (parasomnies, syndrome des jambes sans
repos et apnées du sommeil), à un gain de poids – voire
à une obésité – et à une dépression. La prévalence
du SRED varie de 4,6 % à 16,7 % selon la population
étudiée et les études, et il touche le plus souvent
les femmes (15, 19). L’ensemble de ces troubles est
associé à une comorbidité psychiatrique forte et à une
qualité de vie réduite, et est à l’origine d’un handicap
important.
Quels traitements
pour quels troubles
du comportement alimentaire ?
Actuellement, ce sont les recommandations anglo-
saxonnes du National Institute for Clinical Excellence
(NICE) pour le traitement des TCA qui font réfé-
rence (20, 21). Parmi les options psychothérapeutiques
les plus couramment utilisées, nous retrouvons les
psychothérapies de type cognitivocomportemental
et interpersonnel. Concernant les prises en charge
pharmaco logiques, les inhibiteurs sélectifs de la recap-
ture de la sérotonine (ISRS) restent le traitement de
choix (première intention). Toutefois, ces modalités
de traitement ne fournissent qu’un soulagement
partiel (22). De nouvelles molécules sont cependant
apparues sur le marché, montrant une efficacité
parfois supérieure à celle des ISRS dans le traitement
de l’hyperphagie et de l’obésité : la sibutramine (23,
24), le zonisamide (25) et l’atomoxétine (26), même si
la commercialisation de cette dernière a été suspendue
en raison d’effets indésirables marqués. S’agissant du
NES, la modulation sérotoninergique peut être un
traitement efficace. La sertraline a ainsi montré un
intérêt particulier et a récemment fait l’objet d’un
essai clinique ouvert (27) et d’une étude randomisée
contrôlée (28). La fluoxétine a également montré
un avantage discret dans le traitement du NES (29).
En revanche, les agents hypnotiques (tels que le
zolpidem) ne sont pas efficaces dans le traitement
du NES, voire pourraient induire une aggravation des
symptômes. Les benzodiazépines sont également
inefficaces dans le traitement du SRED, et les médi-
caments GABAergiques/glutamatergiques ou dopami-
nergiques semblent constituer une piste intéressante.
En effet, récemment, un groupe de molécules (baclo-
fène, acamprosate, topiramate, lamotrigine) ayant des
propriétés pharmacologiques communes, à savoir une
modulation GABAergique et/ou glutamatergique, est
apparu dans le champ du traitement des dépendances.
Nous avons à ce propos retrouvé près de 25 rapports
scientifiques, dont 8 études contrôlées randomisées,
3 essais ouverts, 8 séries de cas et 6 cas cliniques (30).
Dans les études contrôlées versus placebo, il appa-
raissait que le baclofène et le topiramate pouvaient
s’avérer efficaces dans la réduction du binge eating,
du craving et dans la diminution du poids, alors qu’il
était impossible de trouver une différence entre le
placebo et l’acamprosate ou la lamotrigine. Nos
conclusions à la lecture de ces travaux étaient que
l’implication de ces molécules dans le processus de
récompense, de renforcement et de conditionnement
des comportements en faisait des cibles potentielles
pour le traitement des troubles alimentaires, particu-
lièrement le topiramate et le baclofène. Ces médica-
ments pourraient fournir un traitement de deuxième
ligne du BED et de la boulimie (30).
Pour conclure :
une remarque clinique
Les TCA n’échappent pas à la quête du déni (si
fréquente dans les pathologies addictives…), et
les considérer comme une addiction pourrait faire
craindre une stigmatisation supplémentaire. Pourtant,
les rares équipes ayant accepté d’assumer ces prises
en charge croulent aujourd’hui sous les demandes
qui témoignent de parcours d’errance prolongés, avec
des effets de chronicisation et d’aggravation péjorant
considérablement le pronostic. Les pertes de chance
sont indéniables pour ces sujets qui, conscients de leur
poids mais peu de leur addiction, pourraient pourtant
bénéficier de programmes thérapeutiques tels que
l’élaboration de stratégies de lutte contre le craving,
et chez lesquels un traitement précoce, adapté et
prolongé est susceptible de relancer les régulations
comportementales mises à mal par les conduites
excessives devenues addictives. ■
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références bibliographiques
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