Les enquêtes du Collège Par Julien Martel Les enquêtes du Collège [email protected] Les enquêtes du Collège des médecins Le Collège des médecins du Québec reçoit annuellement environ 2 000 demandes d’information et d’enquête du public reliées à l’exercice des médecins. Environ 50 % de ces demandes touchent les omnipraticiens; l’autre moitié, évidemment, touche les médecins spécialistes. Ces demandes proviennent en majorité de patients, mais aussi notamment des proches d’un malade, du personnel de l’hôpital où pratique le médecin, d’un autre médecin, d’un autre professionnel, d’un coroner ou des médias. Quand on sait qu’une poursuite au civil contre son médecin peut coûter des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars, et que le processus juridique peut s’étirer sur plusieurs années, il n’est pas surprenant que le dépôt d’une plainte auprès du Collège des médecins soit l’avenue priorisée par plusieurs patients convaincus – à tort ou à raison – qu’un médecin a commis une faute professionnelle ou qu’il n’a pas respecté le Code de déontologie des médecins. Le Collège a alors le mandat et l’obligation, en vertu du Code des professions, de donner suite à la demande d’information ou d’enquête. Trente pour cent (30 %) des demandes mèneront à une enquête formelle de la part de la Direction des enquêtes du Collège des médecins. Après l’analyse des éléments recueillis lors de l’enquête, et selon la gravité de l’offense, le syndic prendra les mesures appropriées à sa disposition afin d’assurer la protection du public. Il pourra, notamment, décider de déposer une plainte devant le Comité de discipline, qui devra statuer sur la culpabilité du médecin et sur la sanction à imposer, le cas échéant. Les sanctions peuvent aller de la simple réprimande à la radiation permanente du médecin en passant par des amendes et la radiation temporaire. Et comme dans toute situation d’enquête ou de recours juridique, le défendeur (le médecin) vit normalement des périodes de stress énorme, particulièrement s’il ne sait pas ce qui l’attend. Plus vous en saurez sur le processus d’enquête du Collège des médecins, plus vous serez en mesure d’apprécier vos droits et ceux des enquêteurs si vous avez à passer au travers de cette expérience désagréable. D’entrée de jeu, il faut faire une distinction entre les enquêtes et les inspections professionnelles du Collège des médecins. Tandis que les inspections professionnelles émanent de la Direction de l’amélioration de l’exercice et regroupent les activités de formation médicale continue et la surveillance de la qualité de la pratique dans son ensemble (tenue des dossiers, propreté d’un cabinet, utilisation des médicaments, etc.), les enquêtes sont effectuées par la Direction des enquêtes, à la suite d’une demande d’enquête d’un patient, dans un contexte précis. Un article sur les inspections professionnelles sera publié dans le numéro de novembre du Magazine Santé inc. Le présent article touche uniquement les enquêtes et saura, nous l’espérons, vous éclairer sur le sujet. 1. La demande d’enquête Lorsque la Direction des enquêtes du Collège des médecins reçoit une information permettant de suspecter qu’un médecin n’aurait pas respecté le Code de déontologie, le Code des profession, la Loi médicale ou les règlements qui en découlent, elle a l’obligation d’analyser l’information reçue et d’entamer les procédures pertinentes. Tel qu’écrit précédemment, la Direction des enquêtes reçoit annuellement environ 2 000 demandes à cet effet. Ces demandes proviennent en majorité de patients ou de leurs proches qui se questionnent sur la qualité du comportement professionnel de leur médecin, mais il n’est pas rare que la demande provienne d’un collègue, d’un établissement médical ou d’un groupe d’aide aux patients. À quelques très rares occasions, ce sont les médias qui ont fourni au Collège l’information requise pour l’ouverture d’un dossier. Les demandes reçues au Collège prennent régulièrement la forme d’une demande d’information. Par exemple, lorsqu’un patient est témoin d’un com- portement étrange ou, selon lui, non conforme à la pratique médicale, il peut se renseigner auprès du Collège pour confirmer ou infirmer son intuition. Ce faisant, sans peut-être même le savoir, il fournira au Collège les renseignements nécessaires à l’ouverture d’une enquête. Absolument n’importe qui a le droit de faire une demande d’enquête contre un médecin. La demande est d’ailleurs gratuite, ce qui pourrait expliquer leur nombre élevé. « Il faut toutefois mentionner que le Collège ne peut accorder de dédommagement financier à un patient », dit le Dr François Gauthier, directeur à la Direction des enquêtes du Collège des médecins. « Ceci relève exclusivement des tribunaux civils », dit-il. Pour qu’il y ait règlement monétaire (à la suite d’une complication médicale, par exemple), le patient doit prendre action civile devant les tribunaux provinciaux, indépendamment du processus disciplinaire du Collège des médecins. Les patients qui portent plainte contre leur médecin auprès du Collège le font donc avant tout pour comprendre ou combler un hiatus dans la relation patient-médecin, un peu comme le font les patients qui poursuivent leur médecin après une complication médicale (pour plus d’information à ce sujet, veuillez vous référer au dernier paragraphe du présent article « La prévention des plaintes »). 2. L’enquête « On ne peut pas se le cacher, il y a des demandes farfelues », lance le Dr François Gauthier. Des 2 000 demandes reçues annuellement, seulement 30 % – soit 600 demandes – sont retenues pour l’ouverture d’une enquête formelle. « Nous devons aussi nous assurer qu’il ne s’agisse pas d’une vendetta et que l’information reçue soit fondée », indique le Dr Gauthier. Ainsi, plusieurs dossiers sont fermés avant même que le médecin ait pris connaissance qu’un membre du public a formulé une requête à son endroit. Î 19 18 S A N T É I N C . SEPTEMBRE/OCTOBRE 2006 SEPTEMBRE/OCTOBRE 2006 S A N T É I N C . Les enquêtes du Collège Les dossiers d’enquête sont confiés au syndic qui doit juger de la conduite adéquate à prendre. Dans la plupart des cas, le syndic contactera le ou les médecins visés. Ceux-ci ont l’obligation de lui fournir les renseignements dont il a besoin pour son enquête. Aucune enquête n’est entreprise aléatoirement. « Déjà, recevoir une lettre du Collège des médecins avec un sceau Confidentiel sur l’enveloppe, c’est stressant », admet le Dr Gauthier. « Mais le médecin doit prendre en considération l’approche préventive préconisée par le Collège », renchérit-il. Si le Collège des médecins favorise la prévention plutôt que la punition, c’est parce qu’il cherche, d’abord et avant tout, à empêcher la récidive des comportements fautifs. Citons, à titre d’exemple, le cas d’un chirurgien qui n’a pas les compétences, l’expérience ou les connaissances pour effectuer une intervention donnée. Après une enquête où le syndic aura identifié le problème dans la pratique du chirurgien, il peut lui proposer de faire un stage de perfectionnement afin de combler ses lacunes, ou encore de s’engager à ne plus pratiquer cet acte médical particulier pour lequel il n’a pas les habiletés requises. Si le chirurgien refuse l’une ou l’autre de ces propositions, le syndic n’aura plus d’autre choix que d’adresser son dossier au Comité de discipline, une procédure qui peut s’étaler sur plusieurs années et qui peut, dans plusieurs cas, ne pas être souhaitable, tant pour le médecin que pour le public. Dès qu’un médecin est informé de la tenue d’une enquête par le Collège des médecins, il peut communiquer avec son assureur et demander conseil à un avocat (l’assurance responsabilité professionnelle de l’ACPM couvre ces frais). Le processus d’enquête comprend, dans la plupart des cas, une rencontre avec le médecin visé et une analyse approfondie du dossier. Le syndic, s’il le désire, pourra entendre notamment le personnel infirmier et hospitalier. Sous réserve d’une radiation provisoire ordonnée par le Comité de discipline, le médecin visé par l’enquête pourra poursuivre sa pratique durant le déroulement de l’enquête dont il fait l’objet. Le Code des professions confère alors au Collège des pouvoirs quasi illimités quant à l’obtention des documents ou témoignages jugés pertinents à l’enquête : nul besoin de la permission d’un tribunal pour outrepasser les lois régissant le secret professionnel ou les renseignements personnels des patients. Dr François Gauthier Le Code des professions confère alors au Collège des pouvoirs quasi illimités quant à l’obtention des documents ou témoignages jugés pertinents à l’enquête : nul besoin de la permission d’un tribunal pour outrepasser les lois régissant le secret professionnel ou les renseignements personnels des patients. Le secret professionnel ne peut être opposé au syndic : le devoir de lui répondre et de lui fournir un document incombe à tous les médecins. Le syndic a même accès, s’il le juge utile, au profil de prescription et de facturation des médecins. Ces renseignements peuvent être nécessaires, par exemple, pour vérifier si un médecin prescrit un médicament particulier de façon abusive ou pour faire corroborer les consultations facturées avec les hypothèses de l’enquête. Mais attention, il ne saurait ici être question de faire une analyse de la facturation du médecin; aucune réclamation financière ne peut découler de cette démarche, entièrement confidentielle et indépendante de la RAMQ. 3. Comité de discipline 1 Lorsque le syndic juge l’offense grave, il peut déposer une plainte devant le Comité de discipline, puisque le syndic n’a pas le pouvoir d’imposer lui-même au médecin une sanction disciplinaire. Cette plainte disciplinaire sera déposée en vertu du Code de déontologie, du Code des professions, de la Loi médicale ou des règlements qui en découlent. Le syndic peut aussi porter plainte à la demande du Bureau du Collège des médecins. Finalement, il peut déposer une telle plainte lorsque le médecin refuse de coopérer à la suite des recommandations à caractère non disciplinaire. Le Comité de discipline du Collège des médecins entend toutes les plaintes déposées par le syndic ou un plaignant privé concernant des médecins. Il est composé d’un avocat nommé par le gouvernement (le président du comité) et de deux médecins nommés par le Bureau du Collège. Le Comité de discipline agit à titre de tribunal indépendant du Collège dans l’exécution de ses fonctions. Les audiences du Comité de discipline sont publiques. N’importe qui peut y avoir accès, à moins d’une ordonnance de huis clos. Une fois l’audience tenue, les éléments du dossier d’enquête du syndic qui ont été déposés en preuve contre le médecin deviennent aussi publics : ces éléments peuvent être divulgués à toute personne qui en fait la demande. Les décisions du Comité de discipline sont aussi publiques; elles font d’ailleurs l’objet d’une publication trimestrielle dans le bulletin Le Collège, publié par le Collège des médecins. L’Office des professions publie pour sa part, dans la Gazette officielle du Québec, toute décision définitive de radiation permanente ou de révocation de permis d’un professionnel. Les sanctions disciplinaires que le Comité de discipline peut imposer à un médecin reconnu coupable d’une 1 Information provenant en grande partie du site Web du Collège des médecins (www.collegedesmedecins.qc.ca) 20 S A N T É I N C . SEPTEMBRE/OCTOBRE 2006 Les enquêtes du Collège infraction sont stipulées dans le Code des professions : la réprimande, la radiation temporaire ou permanente du tableau de l’Ordre, une amende d’au moins 600 $ et d’au plus 6 000 $ pour chaque infraction, l’obligation de remettre à toute personne à qui elle revient une somme d’argent que le professionnel détient pour elle, l’obligation de communiquer un document ou tout renseignement qui y est contenu, et l’obligation de compléter, de supprimer, de mettre à jour ou de rectifier un tel document ou renseignement, la révocation du permis, la révocation du certificat de spécialiste, et finalement, la limitation ou la suspension du droit d’exercer des activités professionnelles. Un médecin condamné à l’une de ces sanctions peut en appeler devant le Tribunal des professions. Les audiences et le processus juridique du Comité de discipline sont en tout point identiques au processus judiciaire applicable devant les tribunaux provinciaux et fédéraux. En définitive, seulement 4 % des dossiers de demandes d’enquêtes logées auprès de la Direction des enquêtes sont portés, annuellement, devant le Comité de discipline. Les autres demandes aboutissent en diverses autres procédures telles que le transfert du dossier à la Direction de l’amélioration de l’exercice, la prescription de stages de perfectionnement, la limitation volontaire de l’exercice, l’orientation vers le Programme d’aide aux médecins du Québec, l’envoi de remarques ou de recommandations à caractère incitatif, l’inscription volontaire du nom du médecin sur la liste restrictive de prescription de médicaments, la cessation de pratique du médecin, etc. Lorsque le syndic décide de ne pas porter plainte devant le Comité de discipline, le plaignant peut porter cette décision en appel devant le Comité de révision dans les 30 jours suivant sa réception. Le Comité de révision, qui comprend obligatoirement un représentant du public et deux médecins, doit alors déterminer si la décision du syndic de ne pas porter plainte était justifiée. 22 S A N T É I N C . SEPTEMBRE/OCTOBRE 2006 La plainte privée En tout temps, un patient peut outrepasser tout ce processus et déposer lui-même une plainte contre un médecin directement devant le Comité de discipline. Cependant, ces situations arrivent rarement. En effet, un patient qui dépose une plainte privée doit en assumer luimême les frais, contrairement à une plainte déposée par le syndic (le Collège en assume alors tous les frais). En second lieu, le patient qui dépose une plainte privée est seul responsable de sa preuve : il doit la bâtir, sans les résultats de l’enquête du syndic. Finalement, un patient qui déposerait une plainte frivole et de mauvaise foi pourrait à son tour être poursuivi par le médecin, diminuant à nouveau l’attrait pour le dépôt d’une plainte privée. La prévention des plaintes En terminant, Anne-Marie Veilleux, avocate notamment pour l’étude Ménard, Martin, expliquait, dans l’article « Du bureau du médecin à celui de l’avocat » (numéro de mars/avril 2006 du Magazine Santé inc.) les raisons qui peuvent pousser un patient à poursuivre son médecin. Après plus de 15 années de pratique à la défense des usagers du système de santé, elle affirmait que la qualité de la relation et de la communication entre le médecin et le patient expliquait très régulièrement ce qui amène un individu à porter plainte contre son médecin. En voici un extrait : « Pour toutes sortes de raisons, dont notamment les contraintes de temps liées à la surcharge de notre système de santé, il arrive que le patient vive un immense abandon dans les suites d’une complication. Ce sentiment étant intolérable, le patient va chercher, à l’extérieur du monde médical, un lieu pour comprendre : ce patient devient celui qui est susceptible de passer du bureau du médecin à celui de l’avocat. Il semble que le « patient du médecin » devenu « client de l’avocat » reproche au médecin non pas d’abord son incompétence, mais surtout son silence. Ainsi, ce serait la qualité de la relation que le professionnel établit avec son patient, ou plutôt la brèche significative dans le lien patient-médecin, qui amène le patient à passer du bureau du médecin à celui de l’avocat. J’ai régulièrement constaté qu’un patient est capable d’accepter que son médecin se trompe : l’inacceptable est que « son » médecin « le » trompe, ce sentiment passant le plus souvent par le silence du professionnel lorsque survient une complication. » Vous trouverez l’article complet au www.santeinc.com dans la section des archives; vous pouvez aussi communiquer avec nous pour en obtenir une version imprimée. Convaincue que la démarche strictement punitive ne résout pas, à elle seule, la récidive des comportements fautifs, la Direction des enquêtes préconise également une approche visant à obtenir la compréhension et la collaboration des médecins. « Le Collège des médecins ne sert pas, au premier chef, à traquer et à punir ses membres, dit le Dr Gauthier, mais plutôt à les aider à mieux pratiquer une médecine de qualité. » ⌧