L’ÎLE DES FEMMES Jean-Claude Tarondeau Dominique Xardel L’île des femmes Conte Editions Persée Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination des auteurs et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence. Consultez notre site internet © Editions Persée, 2015 Pour tout contact : Editions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr DES MÊMES AUTEURS : Jean-Claude Tarondeau Le management des savoirs, "Que sais-je ?", Presses Universitaires de France, 2002 Dictionnaire de stratégie d’entreprise (avec Christine Huttin), Vuibert, 2006 L’Opéra de Paris, gouverner une grande institution culturelle (avec Philippe Agid), Vuibert, 2006 Le Management des opéras, comparaisons internationales (avec Philippe Agid), Descartes et Cie, 2011 Que reste-t-il du socialisme ? L’Harmattan, 2012 Dominique Xardel Le Bohneur d’être homme (avec Jacques Loew), Centurion 1988 La Liberté de réussir, Fayard, 1984 Service Compris (avec Philip Bloch, Ralph Hababou), Hachette, 1986, 1989, 1984 Au-delà des cultures (avec Robert Moran), InterEditions, 1994 Les Pianistes, Seli Arslan, 2002, 2011 Une Pianiste Turque en France, Buchet&Chastel 2006 PROLOGUE « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ? » écrivait Nicolas Berdiaef en épigraphe du « meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. C’est pour éviter que cette question se pose dans un avenir proche que nous avons écrit ce conte. Depuis la nuit des temps, le vivant se développe et prolifère en maintenant un équilibre miraculeux entre espèces et entre mâles et femelles dans chacune d’elles. Certes de grands bouleversements naturels modifient ces équilibres. Les dinosaures ont été rayés de la planète sans intervention de l’homme. Les catastrophes de cette envergure ont été attribuées à la colère des dieux ou à des phénomènes naturels scientifiquement décrits. 7 Aujourd’hui l’homme possède les moyens d’agir sur ces équilibres pour les protéger ou pour les faire évoluer à son avantage. Il tente de stabiliser le climat et de réduire la pollution. Il essaie de protéger de nombreuses espèces animales. Il dénature les animaux domestiques en limitant les mâles au rôle de reproducteur ou d’améliorateur de races. Avec les progrès de la génétique, il peut le faire demain pour l’humanité. La société qui vit sur l’île de Califia a entrepris de réaliser une utopie – une humanité sans hommes – qui prolonge des évolutions scientifiques, techniques, économiques aujourd’hui perceptibles. Celles et ceux qui ont vécu sur l’île des femmes n’y ont pas trouvé le paradis, mais l’enfer. Jean-Claude Tarondeau Dominique Xardel Septembre 2015 8 En 2003, ouverture à Escondido, en Californie, du parc Le Cercle Magique de la Reine Califia. Le projet s’inspire de la légende de la Reine Noire Califia guerrière amazone régnant sur un peuple de femmes… Exposition Nicki de Saint Phalle Paris, Grand Palais, octobre 2014 En 2075, 100 ans après l’adoption de la loi Veil qui annonçait la libération du corps de la femme, vivaient sur l’ile de Califia des femmes qui, à défaut de se libérer des hommes, avaient décidé de s’en passer. C’est le récit que nous a fait Bill MacKinnon, médecin rencontré par hasard au cours d’un voyage, que nous vous proposons. Bill vécut quinze ans sur l’île de Califia, Il nous relata plus d’un demi-siècle de l’existence mouvementée de cette communauté de femmes. Notre première interrogation portait sur l’existence présumée mais improbable d’un harem pour hommes dans cette communauté de femmes. C’est par là que Bill commença. 9 CHAPITRE 1 DES HOMMES ENFERMÉS DANS UN HAREM P our répondre à notre interrogation, Bill nous conta la seule visite du harem qui fut organisée pendant son séjour. Il tenait cette description des femmes qui, privilège rare, avaient participé à cette visite. C’était à la fin du premier siècle après Simone Veil1 – 2075 ans après Jésus Christ – dans l’île de Califia. C’était un jour de fête. On y célébrait le centième anniversaire d’une des plus grandes victoires des femmes. On rendait hommage à la femme politique française qui fit adopter une loi qui rendait à la femme la maitrise de son corps en légalisant et médicalisant l’avortement. On honorait également l’héritière de la Reine Noire, cette Reine qui, au début de l’histoire, avait inventé un monde de femmes sur 1 – La loi dite Veil fut adoptée par le parlement le 17 janvier 1975. 11 cette même île du Pacifique dont la trace avait été perdue pendant plusieurs millénaires. On s’affairait dans le harem. Quelques hommes y étaient hébergés dans des bungalows au milieu d’un immense parc en bordure d’une falaise dominant la côte nord de l’île. La beauté de l’espace et l’exubérance de la végétation tropicale évoquaient le jardin d’Éden. D’ailleurs les « Califiates », ainsi que se nommaient les citoyennes de Califia, l’appelaient « le Paradis ». Tous les hommes du harem s’appelaient Adam suivi d’un numéro composé de leur année d’arrivée et d’un numéro d’ordre. Ce choix symbolisait le fait qu’un seul homme et de multiples femmes aurait suffi pour créer l’humanité toute entière. Adam871 désignait le premier des hommes kidnappés et placés en résidence obligatoire ici, en l’an 87 après Simone Veil, il y a 13 ans. Pour le lecteur peu familier du calendrier califien, Adam 871 fut kidnappé en 87 après Simone Veil soit 87+1975=2062 de notre calendrier habituel. C’est ce calendrier que nous utiliserons dorénavant, n’en déplaise aux Califiates ! En ce grand jour, une délégation des Califiates précédées d’Ève, leur nouvelle Reine Noire, se rendaient en cortège visiter ce lieu symbolique qui témoignait de leur 12 victoire et du pouvoir sans partage qu’elles exerçaient sur l’humanité. C’était une première. Les grilles du paradis habituellement closes comme les portes d’une prison de sécurité avaient été exceptionnellement ouvertes par les robots androïdes. On ne fêtait que les dixièmes anniversaires et c’était la première visite du harem. Les 25 femmes invitées à visiter le paradis exerçaient des responsabilités dans l’île et étaient en âge de procréer. Elles se pressaient pour ne rien manquer des explications données par Noémie, la responsable de la communication, et distribuées électroniquement à chacune des visiteuses dans sa propre langue. Trois robots les assistaient pour répondre à toute demande d’assistance. Vous remarquerez, leur dit Noémie, que de l’entrée on n’aperçoit pas la moindre trace de vie humaine. La nature y est préservée. Si l’abondance de la végétation dissimule les activités humaines, les animaux, par contre, sont visibles, nombreux et très familiers. Comme vous pouvez le voir, on y rencontre des centaines d’oiseaux différents mais aussi une multitude de grands animaux comme les chevreuils ou les cerfs. Comme chez les humains des temps anciens, mâles et femelles cohabitent dans le plus grand désordre, s’agressent pour obtenir le pouvoir et se tuent pour survivre aux dépens des autres. Certains 13 de ces animaux vont même jusqu’à procréer et dévorer leurs enfants. Heureusement, notre Reine nous a évité ces monstruosités. Après quelques centaines de pas sous les arbres, apparaissent les premières constructions. À droite, c’est la salle de sport. On y sacrifie au culte du corps. Tout a été conçu pour obtenir des hommes physiquement parfaits. Vous êtes sans doute impressionnées par la dimension et le luxe du bâtiment et des installations, le nombre et la complexité des instruments mis à la disposition des résidents, poursuivit Noémie. Une part importante de vos revenus est investie dans cette résidence. Comme le dit notre Reine, c’est un service public de première importance. Il vous offre à toutes, mesdames, ce que les économistes appellent un droit de propriété sociale, comme le droit à l’air que vous respirez ou à l’eau que vous buvez. Parmi vous certaines en ont déjà bénéficié, les plus jeunes en bénéficieront lorsque leur tour sera venu. Ici, les résidents consacrent six heures par jour à des exercices d’endurance, de souplesse et de musculation sous la conduite de robots moniteurs conçus dans les meilleures institutions d’éducation sportive. Mais l’hygiène de vie et la qualité de l’alimentation sont aussi importantes que les exercices physiques pour que soient atteints les objectifs de qualité ambitieux que notre Reine attribue à cet élevage de mâles. 14 Et d’inviter le groupe à se diriger vers un autre bâtiment à gauche de la cour centrale : la cuisine. L’ordre et la propreté y règnent en maîtres. Sous une immense verrière les chromes et inox des fourneaux, plaques chauffantes et ustensiles étincèlent. Mais on ne reconnaît pas ces laboratoires de chimie où étaient préparés les aliments de synthèse qui faisaient fureur au siècle dernier. Des robots préparent des légumes anciens : des poireaux, des carottes et des pommes de terre pour composer un potage qui sera servi le soir même aux résidents. — Connaissez-vous ces légumes ? demanda la guide. — Il me semble que quelques agriculteurs du continent en fournissaient à des grands restaurants quand j’y habitais encore, répondit une des plus âgées, mais j’ai oublié leur nom. Pourquoi les ressusciter ici ? — Votre Reine y répondrait mieux que moi. Elle veut offrir la meilleure semence à chacune d’entre vous pour que vous ayez les plus beaux enfants. L’alimentation doit y contribuer. Ici tout est mis en œuvre comme dans les grands restaurants du passé pour atteindre l’excellence. Quel qu’en soit le prix. Mais tranquillisez-vous, Cette nourriture n’est servie qu’à nos étalons et aux femmes avant et après l’accouchement, les autres sont nourris comme vous et moi avec la bouillie énergisante Montosan réchauffée aux ondes béta inversées. 15