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Elles appartiennent de plein droit au domaine de l’économiste, même si celui-ci accepte
volontiers le concours des autres sciences sociales pour penser un processus où les
déterminations psychologiques et sociologiques pèsent leur poids. D’ailleurs, la récurrence
systématique de ces épisodes, à un rythme encore accéléré au cours de la dernière période, ne
serait guère compréhensible autrement. On peut même soutenir qu’en matière financière, la
crise est plus permanente que la stabilité. Les comportements financiers qui sont à l’origine de
ces épisodes doivent être dictés par de bien fortes raisons pour que, régulièrement, ils
réapparaissent, et cela malgré les enseignements des crises précédentes.
Ce diagnostic de rationalité trouve des arguments supplémentaires si l’on prend en
considération les résultats importants qu’a obtenus l’économie expérimentale5. Celle-ci
reproduit en laboratoire des situations de marché. Chaque participant est confronté à un jeu
financier simplifié, se déroulant sur plusieurs périodes. On lui indique la somme qu’il possède
en début de jeu, les règles de formation du prix et, lorsque le titre considéré est une action, la
manière aléatoire dont sont déterminés les dividendes6. Puis on laisse jouer les participants.
Ils doivent définir leur stratégie d’achats et de ventes de titres de façon à maximiser leurs
gains. De par sa nature même, un tel dispositif ne laisse aucune place aux croyances
collectives, plus ou moins fondées, auxquelles d’ordinaire sont associées les dérives
spéculatives du monde réel. A chaque instant, le futur est parfaitement fixé sous la forme
d’une distribution probabiliste de dividendes de telle sorte qu’on peut aisément en déduire la
valeur fondamentale du titre considéré. Celle-ci est donc connue de tous sans ambiguïté.
Lorsqu’un grand nombre de joueurs choisit d’acheter alors que le prix est déjà supérieur à
cette valeur, ce qui va provoquer une hausse supplémentaire, il n’est pas possible d’y voir
l’effet d’un aveuglement généralisé quant à la santé de l’économie. Les joueurs n’achètent pas
parce qu’ils auraient été tous intoxiqués par la foi euphorique en un avenir radieux. La
crédulité ou la « fuite collective hors du réel » ne peuvent ici être invoquées. D’ailleurs, dans
un tel cadre expérimental, les participants n’ont aucune « vie sociale » : aucune interprétation
5 Par exemple, Vernon L. Smith, Gerry L. Suchanek et Arlington W. Williams, « Bubbles, Crashes and
Endogenous Expectations in Experimental Spot Asset Markets », Econometrica, vol. 56, n°5, septembre 1988,
1119-1151 ou Charles Noussair, Stéphane Robin et Bernard Ruffieux, « Price Bubbles in Laboratory Asset
Markets with Constant Fundamental Values », miméo, 22 avril 2000, 27 pages.
6 Par exemple in Noussair et alii, op. cit., on tire avec un dé à 4 faces le « dividende ». Si la face 1 sort, on perd
24 francs ; si c’est la face 2, on perd 16 francs ; si c’est la face 3, on reçoit 4 francs ; si c’est la face 4, on reçoit
36 francs. Dans ce cas, l’espérance mathématique du dividende est 0. Une telle vision probabiliste de l’avenir est
une illustration emblématique de la manière dont l’économie orthodoxe appréhende l’incertitude liée au futur.
Une fois un tel cadre posé, il est alors possible, sans difficulté, de calculer la « valeur fondamentale » de
l’entreprise, définie comme la somme actualisée du flux à venir des dividendes.