Leçon n (Univers rangés)
Résumé.
Terre ! Après ces tribulations algébrico-géométrico-logiques, nous arrivons en vue d’un rivage axioma-
tique sur lequel prendre pied. D’ici peu nous aurons un continent de groupes à explorer.
En fait cette leçon est simple : seule la première partie est à vraiment comprendre.
Références utiles :
[Borovik-Nesin, Chapitre ] contient tout ce qu’il faut ;
[Poizat, Introduction, §.d] pour le point de vue modèle-théorique.
6. Univers rangés
6.1. Abstraction
Les leçons précédentes ont dégagé divers phénomènes que nous allons rassembler sous une forme
axiomatique d’inspiration algébrique plutôt que logique.
Rappelons que si
K
est un corps algébriquement clos, une partie
AKn
est dite constructible si l’on
peut lobtenir par passage au complémentaire et unions, intersections nies à partir des fermés de Zariski
associés aux divers idéaux IK[X]:
V(I)={aKnPI,P(a)=}
Et nous avons noté les phénomènes suivants.
La classe constructible est close par projections ; elle coïncide avec la classe dénissable de la
structure (K;Lanneaux): cest lélimination des quanticateurs.
En se concentrant sur la classe constructible on perd linformation topologique plus ne qui
distingue les fermés ; une dimension survit pourtant.
La classe constructible peut être vue comme close par passage au quotient : elle coïncide, aux noms
près, avce la classe interprétable de la structure (K;Lanneaux): cest lélimination des imaginaires.
La topologie de Zariski est bel et bien perdue ; nous ne lavons pas employée mais la dimension
survit encore.
Cette dimension de Zariski paraît jouer un rôle incontournable : dans l’élimination des imaginaires
(nous avons donné un argument d’aspect topologique, ce qui la cachait un peu), mais aussi dans
un argument montrant la dénissabilité du groupe unitriangulaire UGLn(K).
— L-catégoricité y est toujours pour quelque chose.
Nous allons abstraire, formaliser, et généraliser les trois premiers points dans une sorte de « paradis
modèle-théorique » ; sans preuve nous mentionnerons les liens avec le quatrième point.
Dénition. Un univers est une collection d’ensembles Utelle que :
si AUet aA, alors {a}U;
Uest une algèbre de Boole : si A,BU, alors AB,AB,ABU;
Upermet toutes les opérations sur les produits cartésiens : si
A,B
U, alors
A×B
Umais aussi
(le graphe de) πAA×BA,πBcU, et si CA×Best dans U, alors πA(C)et πB(C)aussi ;
Upermet les quotients : si A,BUet BA×Aest une relation déquivalence, alors A/BU.
Exemple.
Si Mest une L-structure, la classe interprétable (avec paramètres) forme un univers, appelé l’univers
de M.
Si KACF, on peut voir la classe constructible comme un univers.
Un univers étant donné, nous dirons « dénissable » pour « élément de U».
Remarque.
Attention. Dans le contexte idéal de lélimination des imaginaires, on a tendance à traiter
dénissables et interprétables sur un pied dégalité, et à les appeler tous « dénissables ». Cet abus de
langage est propre aux habitués des univers, mais impardonnable en théorie des modèles générale.
Chapitre I. LUnivers de la géométrie
On trouve dans [Borovik-Nesin, chapitre ] toute une série darmations à prendre comme autant
dexercices pour se familiariser avec la notion.
Proposition.
Un univers permet tout ce qui est légitimé : images directes, images réciproques, composition de
fonctions, etc.
Dénition.
Lunivers Uest rangé s’il existe une fonction
rg
U
{
}N
vériant les axiomes suivants.
Monotonie/dénition : rg(A)n+
 ss’il existe une innité de
BiA
de Udisjoints tels que
rg(Bi)n.
Dénissabilité : si fABest dans U, alors pour tout entier k,{bBrg(f({b}))=k}U.
Additivité : si fABest dans Uet bBrg f(b)=k, alors rg A=k+rg B.
Élimination des quanticateurs innis :
si
fAB
est dans U, alors existe un entier
m
tel que
pour tout bB,f(b)∣mssi f(b)est inni.
Ce quatrième axiome élimine lemploi de la théorie des modèles en forçant une uniformité qu’on
chercherait a priori via les extensions élémentaires, et le théorème de compacité. On peut librement ajouter
le point suivant.
Principe de saturation : si AUest de cardinal <U, alors Aest ni.
Exemple.
Soit
KACF
. La classe constructible, vue comme un univers, est rangée par la dimension de
Zariski.
Que cette dernière ait bien les propriétés requises est non-trivial géométriquement ; on peut
ladmettre, ou admettre son égalité avec le rang de Morley dans le cas de
ACF
, ainsi que les
bonnes propriétés dudit rang de Morley dans
ACF
. (Ce rang sera déni plus bas ; tout est dans
[Marker, §.].)
Cet exemple est essentiel : si Mest dunivers rangé Uet AU, alors lunivers de Aest rangé.
En particulier, si
K
est un corps rangé, et
GGLn(K)
est un sous-groupe dénissable, alors
G
en
tant que groupe est d’univers rangé, mais il l’est aussi si on léquipe de toute la structure induite
par celle de K.
Si Mest d’univers rangé, alors Mest stable (Burdges-Cherlin), donc NIP. Cest non-trivial.
La réciproque est fausse : les univers rangés sont le monde idéal en théorie des modèles, censément
le plus proche de la géométrie algébrique. Zilber a conjecturé quelque chose comme : si un univers
Uest rangé et pas trop trivial, alors c’est essentiellement lunivers d’un corps algébriquement clos
sans structure supplémentaire. C’est faux.
Ici encore il y a diverses vérications à traiter, si nécessaire, comme exercices.
Proposition. Les objets considérés sont dénissables.
rg A=ssi Aest ni.
Si BAalors rg Brg A.
rg(AB)=max(rg A,rg B).
rg(A×B)=rg A+rg B.
Si fAB, alors rg f(A)rg Aavec égalité sitôt que fest injective (réciproque fausse).
Modélisons à présent la multiplicité d’un fermé de Zariski (qui est son nombre de composantes
irréductibles).
Lemme
(et dénition)
.
Si
A
Uest de rang exactement
n
, alors il existe un entier
d
tel que au plus
densembles BiUdisjoints de rang nsoient inclus dans A.
Lentier dsappelle le degré de A, nodeg A.
Leçon n
Démonstration.
Appelons « essentiellement insécable » (e.i.) un ensemble
X
Utel que si
YX
est
dans U, alors rg Y<rg Xou rg(XY)<rg X.
Montrons que tout ensemble de rang
n
est alors union disjointe nie d’ensembles e.i. de rang
n
. Si en
eet
X
Unest pas tel, alors il nest pas essentiellement insécable, donc existent
XX
et
X=XX
dans Ude rang
n
. Lun au moins, et l’on peut supposer que c’est
X
, nest pas essentiellement insécable :
d
X=X,X,
. Réitérant, on trouve que les
X,...,,
sont dans U, de rang
n
, disjoints, et inclus
dans X: ce qui contredit la dénition de rg(X)=n.
Supposons à présent que
X=d
i=Xi=e
i=Yi
sont deux décompsitions en essentiellement insécables
de même rang, et que
d>e
. Comme
X=e
i=(XYi)
est essentiellement insécable, il existe un unique
i
tel que
rg(XYi)=n
. Recommençant on dénit une fonction
{
,...,d}{
,...,e}
; par essentielle
insécabilité des Yielle est injective : contradiction.
Le nombre de composantes e.i. est donc bien déterminé ; on voit alors sans peine que cest le degré.
Remarque.
Attention, l’entier
deg A
est bien déterminé, mais les «composantes essentiellement insécables»
ne le sont qu’à « petite intersection » près, par opposition aux composantes irréductibles dans la topologie
de Zariski. Mais la décomposition topolgique na de sens qu’en manipulant des fermés, alors que nous
avons généralisé les constructibles.
Proposition. Les objets considérés sont dénissables.
Si Aest ni, alors deg A=A.
Si BAont même rang, alors deg Bdeg A.
Si A,Bsont disjoints de même rang, deg(AB)=deg A+deg B.
deg(A×B)=deg A×deg B.
Si
fAB
et
rg f(A)=rg A
, alors
deg f(A)deg A
avec égalité sit que
f
est injective, mais la
réciproque est fausse.
De manière générale, tout ce qui est intuitif est vrai.
6.2. Lapproche modèle-théorique : le rang de Morley
La formalisation par univers rangés est en fait une axiomatisation du cas le plus favorable d’une
construction modèle-théorique fondamentale.
Dénition.
Soit Mune L-structure
ω
-saturée. On dénit sur lensemble des parties dénissables (à
paramètres) de Mune fonction
RM
, le rang de Morley, à valeurs dans
On {±∞}
(ordinaux transnis,
plus deux symboles) :
RM(φ) ssi φ(M);
— RM(φ)α+
 ss’il existe une innité de parties dénissables à paramètres
ψi
disjointes telles que
ψi(M)φ(M)et RM(ψi)α;
— RM(φ)αpour αun ordinal limite ssi RM(φ)βpour tout β<α.
Remarques.
Exemple : si
KACF
est
ω
-saturé (on sait que pour un corps algébriquement clos, cela équivaut à :
de degré de transcendance inni sur son corps premier), alors
RM(φ)=dimZar(φ(K))
, dimension
de Zariski du constructible associé (admis ; [Marker, §.]).
En revanche en général la récurrence donnant
RM(φ)
na pas de raison de sarrêter : on pose alors
RM(φ)=+∞, cest-à-dire au-delà des ordinaux (c’est beaucoup).
On na pas supposé lélimination des imaginaires, si bien que
RM
nest en général déni que sur
les dénissables, pas sur les interprétables.
Si NMsont ω-saturées, on peut voir que RM(φ)est le même calculé dans Met dans N.
Si en revanche Mn’est pas
ω
-saturé, la dénition littérale donne le « rang de Cantor » de
φ
. Pour
déterminer le rang de Morley on monte à M
Mqui est
ω
-saturé :
RM(φ)
ne dépend pas du
choix de M.
Chapitre I. LUnivers de la géométrie
Dénition.
Mest totalement transcendante (dans le cas où Lest dénombrable, on peut aussi dire
ω
-stable si
RM(M)<.
Mest de rang de Morley ni si RM(M)<ω.
Exemple.
Si KACF, alors en tant quanneau Kest de rang de Morley ni, et même RM(K)=.
Attention, on rencontrera par la suite des corps avec plus de structure de rang de Morley ni
>
 (la
question fut longtemps ouverte).
On peut montrer que si Mest totalement transcendante, alors elle est stable.
Nous allons pour conclure esquisser les liens entre univers rangés et structures de rang de Morley ni,
en incorporant l’
-catégoricité. En eet l’un des outils principaux du théorème de catégoricité de Morley
est précisément le rang depuis nommé d’après lui, et qui généralise en théorie des modèles la dimension
de Zariski.
éorème
(Baldwin)
.
Si
T
est
-catégorique, alors
T
est (complète et tous ses modèles
ω
-saturés sont) de
rang de Morley ni.
Le résultat suivant, que nous démontrerons, est une forme de réciproque pour les structures algébriques.
éorème
(Zilber)
.
Un groupe simple de rang de Morley ni, un corps de rang de Morley ni, sont
-
catégoriques.
Comme Zilber a eu le sentiment (depuis réfuté) que les seules structures
-catégoriques non-triviales
étaient essentiellement des purs corps, il nest pas anormal de formuler avec lui l’énoncé suivant, qui sera
discuté à plusieurs reprises.
Conjecture
(Cherlin-Zilber)
.
Un groupe simple inni de rang de Morley ni est en tant que pur groupe
isomorphe à un GK, où Gest un groupe algébrique et KACF.
Ce cours se concentre pourtant non pas tant sur cette conjecture que sur l’étude des groupes de rang
de Morley ni — ceux dont on sait déjà qu’ils sont de la forme GKet ceux dont on lignore.
Remarques.
Si Mest une structure d’univers rangé, Mnest pas nécessairement de rang de Morley ni : mais
cest le cas si Mest ω-saturée (et alors RM =rg).
Il y a des structures de rang de Morley ni qui ne sont pas rangées.
éorème
(Poizat)
.
Soit
(G
;
=,
,,,...)
une structure de groupe. Alors
G
est d’univers rangé ssi
G
est de
rang de Morley ni.
Cest notamment vrai pour un corps, que l’on verra comme son groupe additif équipé de structure
supplémentaire.
Nous allons dorénavant étudier ces groupes rangés ; la théorie des modèles et la géométrie algébrique
vont se faire plus discrètes.
Fin de la leçon n.
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