Yves Toussaint
Voile et simulacre sur les messageries
In: Réseaux, 1989, volume 7 n°38. pp. 67-79.
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Toussaint Yves. Voile et simulacre sur les messageries. In: Réseaux, 1989, volume 7 n°38. pp. 67-79.
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VOILE
ET
SIMULACRE
SUR
LES
MESSAGERIES
Yves
TOUSSAINT
67
68
i
les
jeux
sont
facteurs
et
images
de
culture,
il
suit
que,
dans
une
certaine
mesure,
une
civilisation
et,
à
l'intérieur
d'une
civilisation,
une
épo
que
peut
être
caractérisée
par
ses
jeux.
De
sorte
qu'on
peut
affirmer
que
les
jeux
qui
sont
en
honneur
dans
une
culture,
du
fait
qu'ils
en
traduisent
nécessair
ement
la
physionomie
générale,
apport
ent
des
indications
significatives
sur
les
problèmes,
les
faiblesses
et
les
forces
de
celle-ci
à
tel
moment
donné
de
son
evo
lutional)
Paraphrasant
Caillois,
on
peut
aussi
affirmer
que
si
les
techniques
sont
fac
teurs
et
images
de
culture
à
l'intérieur
d'une
civilisation,
une
époque
peut
être
caractérisée
par
ses
technologies
de
communication.
Avec
les
messageries
télématiques,
dites
conviviales,
nous
sommes
interro
gés
par
cette
sorte
d'alchimie
socio-cul
turelle
ou
socio-technique
qui
s'est
opé
rée
entre
les
formes
du
lien
social
et
leur
spectacularisation
électronique
par
la
quelle
elle
se
donne
à
voir
et
donne
à
voir
les
faiblesses
et
les
forces
de
notre
époque.
Le
«Phénomène»
des
messager
ies
n'a
pas
surgi
ex
nihilo
des
disposit
ifs
communicationnels,
il
s'inscrit
dans
une
lignée
de
techniques,
de
pratiques
et
d'usages
qui
préfaçaient
l'expansion
et
la
généralisation
du
dialogue
collectif
interactif,
avec
ou
sans
utilisation
de
pseudonyme.
Les
messageries,
comme
d'ailleurs
toute
la
micro-informatique,
s'inscrivent
dans
un
mouvement
de
retour
à
l'écrit,
ou,
si
l'on
préfère,
de
réémergence
d'un
écrit
qui
s'est
enrichi
des
autres
techni
ques
de
communication.
Comme
avec
la
lettre,
il
y
a
un
échange
entre
un
destinat
aire
et
un
destinateur;
le
texte,
l'écrit,
n'ont
de
sens
que
parce
qu'ils
sont
cla
irement
identifiés
l'un
et
l'autre.
De
même
avec
le
téléphone,
il
y
a
échange
instan
tané
et
interactivité,
donc
éphémère.
Avec
l'image,
il
y
a
apparition
sur
un
écran
avec
la
fascination
qui
l'accompa
gne,
l'image
devenant
le
réel.
Dans
les
messageries
électroniques,
nous
avons
une
hybridation
de
ces
trois
modes
de
communication.
Les
lettres,
quand
elles
sont
anonymes,
peuvent
oublier
le
destinateur
ce
que
n'autorise
pas
totalement
le
téléphone
qui
n'oublie
que
les
corps
mais
«permet»
au
destinat
aire
de
répondre
à
un
inconnu.
Avec
l'écran
du
minitel,
des
inconnus
peu
vent
rester
fascinés
face
à
l'image
de
ce
qu'ils
s'écrivent.
Les
messageries
ne
constituent
donc
pas
une
rupture,
elles
sont
plutôt
agents
symptômes
et
révélateurs
des
change
ments
qui
s'opèrent
dans
les
processus
relationnels
et
communicationnels.
Il
n'est
donc
pas
surprenant
qu'elles
fas
sent
émerger
des
usages
qui
s'inspirent
d'une
part
des
pratiques
liées
à
l'écrit,
comme
celles
des
petites
annonces
du
journal
«Libération»,
d'autre
part
de
celles
menées
autour
de
l'audio,
comme
les
réseaux
téléphoniques
de
téléconviv
ialité
ou
la
C.B.
Elles
nous
paraissent
s'inscrire
dans
un
mouvement
global
de
déplacement
entre
espace
privé
et
es
pace
public,
généré
par
la
multiplication
(1)
Caillois,
1955
69
des
réseaux,
et
conjointement,
entre
identification
sociale
et
lien
social.
Les
messageries
permettent
en
effet
d'échap
per
à
certains
types
de
relations
sociales
qui
assignent
aux
individus
des
statuts,
des
places
socialement
définies,
dans
lesquelles
ils
ne
veulent
ou
ne
peuvent
pas
se
reconnaître
totalement.
«La
tél
ématique
permet
théoriquement
d'effa
cer
les
frontières:
entre
les
espaces
et
les
temps,
(...)
du
travail
et
du
loisir,
(...)du
privé
et
du
public.»
(2)
Le
succès
des
messageries
apparaît
donc
comme
un
symptôme
parmi
d'au
tres
d'un
processus
social,
d'une
trans
formation
des
processus
de
reconnais
sance
sociale
à
partir
de
temps
ou
de
territoires
reconnus
et
admis
par
tous.
La
pratique
des
messageries
pourrait
s'expliquer
par
la
possibilité
qu'elles
offrent
de
donner
un
lieu
d'expression
et
de
plurisisation
à
un
jeu
de
type
Mimicry
sont
en
cause
les
processus
identificatoires
(plus
que
l'identité).
On
retrouverait
ainsi
certaines
dimensions
de
cette
catégorie
de
jeu
définie
par
R.
Caillois.
«J'appelle
Mimicry
tout
jeu
l'on
représente
un
personnage
illusoire,
l'on
joue
à
croire
et
à
faire
croire
qu'on
est
un
autre.
Cette
étiquette
s'ap
plique
aussi
bien
à
l'enfant
qui
joue
à
la
locomotive,
à
l'avion,
au
pirate,
qu'à
tout
divertissement
qui
consiste
dans
le
fait
qu'on
se
trouve
marqué
ou
déguis
é...»
(*).
Si
le
lien
social
s'effrite
faute
d'expli-
citation
des
repères
d'une
identité
col
lective,
force
est
de
constater
que
les
messageries
se
sont
emparées
de
la
tél
ématique
pour
se
créer
un
espace
virtuel
elles
peuvent
jouer
de
la
mouvance
de
ces
repères.
REPRÉSENTATIONS
ET
PRATI
QUES
DES
MESSAGERIES
Contrairement
à
une
idée
bien
reçue,
et
surtout
par
lui-même,
le
messageur
n'est
pas
un
aventurier
de
l'espace
tél
ématique.
Il
consulte
peu
de
services,
il
en
a
un
faible
usage
informationnel,
et
dans
ce
domaine
il
ne
se
distingue
guère
des
autres
usagers
du
Minitel.
Il
n'est
pas
non
plus
un
explorateur
des
messag
eries.
Sa
pratique
se
concentre
sur
une
ou
deux
qu'il
s'est
choisies,
un
peu
par
hasard.
Des
amis
lui
en
ont
parlé,
il
a
vu
une
publicité,
il
est
abonné
ou
lit
un
journal
qui
possède
une
messagerie.
Ceux
qui
ont
essayé
de
s'aventurer
dans
la
«faune»
des
messageries,
qui
peuvent
décrire
les
caractéristiques
des
unes
ou
des
autres,
leurs
logiciels,
le
contenu
des
échanges
qui
s'y
déroulent,
ceux-là
sont
mus
par
des
raisons
professionnelles
(observer
des
concurrents),
passionnell
es
(tester
des
logiciels),
ou
enfin
ludi
ques.
A
travers
cet
univers
innombrab
le,
le
messageur
ordinaire
va,
très
vite,
après
quatre
ou
cinq
essais
de
dialogue,
trouver
le
type
d'échange
qui
lui
con
vient
dès
qu'un
dialogue
aura
pu
s'ins
taurer
avec
un
interlocuteur/trice.
Dès
l'instant
qu'il
l'a
trouvé,
qu'il
lui
pond,
qu'il
peut
s'amuser,
la
messagerie
sur
laquelle
il
communique
va
être
ident
ifiée
à
la
qualité
de
cet
échange,
voire
à
la
qualité
supposée
de
la
personne
cont
actée.
«J'ai
rencontré
quelqu
'un
(sur
une
autre
messagerie),
j'ai
eu
un
contact
avec
quel
qu'un
qui
m'a
Ht
S.M
(**).
c'est
plus
com
mode
et
je
sais
pas
trop
quoi,
donc
on
y
est
venu...
et
après
j'y
suis
resté
et
ça
me
satis
faisait.»
Homme
Cadre
supérieur
(***).
(*)
Opus
cité
(•*)
S.M.
:
Serveur
Médical
(***)
Cet
article
présente
les
premiers
résultats
d'une
recherche
en
cours
réalisée
dans
le
cadre
du
GDR
Communication.
Nous
avons
réalisé
un
certain
nombre
d'entretiens
approfondis
de
messages.
Ces
citations
en
sont
issues.
(2)
Bidou,
Guillaume,
Prévost,
1988.
Q
70
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