Françoise
Serodes
Professeur agrégée
La Revue de l’AMOPA a eu l'honneur d'être reçue par Jean-Michel Wilmotte, un des grands architectes internationaux
contemporains; son agence est implantée en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Corée du Sud et au Brésil, elle compte
215 collaborateurs et a développé une expertise dans cinq domaines : architecture, architecture d'intérieur, muséographie,
urbanisme et design. Depuis 2010, elle est entrée dans le classement mondial des 100 plus grands cabinets d'architecture.
L’agence d'architecture Wilmotte et Associés intervient sur des projets de toute échelle dans 24 pays. Parmi ses très
nombreuses réalisations et projets, nous avons retenu des projets culturels, médicaux et écologiques comme :
Les aménagements muséographiques au Musée du Louvre (1987-2006), au musée d'Orsay (2011) et au Rijksmuseum
d’Amsterdam (2013), la restructuration et l'extension du Collège de France à Paris (1998-2004), la restauration et
l'aménagement du Collège des Bernardins en 2008 à Paris, la construction de l'Institut du cerveau et de la moelle
épinière en 2010 à Paris, la construction du Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris (angle Quai Branly et
avenue Rapp) en cours de alisation 2016, la alisation d'un parc écologique à Bakou en Azerbaïdjan (livré en 2015), la
réhabilitation et l'aménagement de l'Université Européenne de Saint-Pétersbourg en Russie (en projet).
Depuis 2005, Jean-Michel Wilmotte a créé la Fondation d'entreprise Wilmotte pour sensibiliser les jeunes architectes aux
problématiques de réhabilitation du bâti ancien. Un concours européen, doté de prix, est ouvert tous les deux ans aux
étudiants en architecture et aux jeunes architectes diplômés. Ce concours a pour but de « promouvoir la greffe » c'est-à-dire
« de transformer des bâtiments remarquables ou historiques par des interventions contemporaines », « associer les
matériaux d'aujourd'hui et les nouvelles technologies aux constructions du passé, et donner ainsi des racines à la
modernité » en changeant la destination des bâtiments.
Ainsi les ruines d'un château ont pu être aménagées et transformées en centre d'accueil et d'exposition, une minoterie en lieu
de rencontre destiné à la culture et l'éducation, un ancien dépôt des archives de la Bibliothèque nationale en programme
mixte logements, bureaux, archivage et un château d'eau a été revalorisé. En2014, La Tour de Londres a fait l'objet d'un
projet de centre culturel et événementiel.
Le prix W 2016 est sur le point d'être lancé. Son programme et son site seront révélés début novembre 2015 (informations
et inscriptions : www.fondationwilmotte.com). Grâce à cette Fondation 4500 étudiants en architecture, 450 écoles sont
mobilisés sur des projets.
QUESTIONS À JEAN-MICHEL WILMOTTE
Revue de I'AMOPA : Vous avez travaillé dans le cadre du projet du Grand Moscou ; aujourd'hui vous construisez le Centre
spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris. Comment intègre-t-on dans un quartier protégé de la métropole parisienne
(proximité de la Tour Eiffel, de la Seine...) des éléments architecturaux empruntés à une autre culture, une autre civilisation ?
Quelles ont été les idées directrices de ce projet ?
Jean-Michel Wilmotte : Le projet comporte quatre éléments :
la cathédrale orthodoxe, le centre culturel avec vue sur les
quais, le centre cultuel et une école primaire franco-russe. I1
s'inscrit dans un projet urbain, se situe dans le prolongement
du pont de l'Alma, dans un axe qui va de l'avenue Rapp à la
Seine. Le projet vise aussi à une mise en exergue du Palais de
l'Alma (que personne ne remarquait jusqu'alors) - qui est en
cours de rénovation - et de son manège.
Nous avons souhaité une volumétrie discrète, qui devait tenir
compte de la hauteur de bâtiments des années 30 dans
l'environnement, de la proximité de l'ambassade de Bulgarie;
c'est une chance que la Russie ait pu disposer de cet
emplacement, sur le chemin de nombreux instituts culturels
dont celui du Japon.
L'ensemble se veut simple, non baroque et respecte les canons
de l'orthodoxie ; les cinq bulbes ont en effet des dimensions
très précises qui ont été fixées par le patriarcat de Moscou (le
profil des bulbes, tout est codifié). Le plus haut des cinq
bulbes atteint 17m, croix comprise. On a utilisé un matériau
contemporain, la fibre de verre, pour les réaliser. Chaque
bulbe se compose de 3 pièces, le plus grand de 8 pièces.
Les murs sobres, en pierre de Bourgogne (cette même pierre
dont est constitué le socle de la Tour Eiffel ou encore le
Trocadéro, extraite de la carrière de
Massengis) font ressortir les cinq bulbes. La
pierre est traitée en lits horizontaux - on parle
de « plissage de la pierre » (pierre taillée en
facettes) qui permet de renvoyer la lumière et
de faire varier 1'éclairage selon les heures,
exception faite des parois de la cathédrale.
Le verre, utilisé de façon modérée, est inséré
par strates entre les linéaires de pierre et
permet ainsi de créer l’illusion du feuilletage.
Il allège les angles tout en soulignant le travail
horizontal de la pierre par un jeu d'effets de
plissés. Il apporte un éclairage naturel discret à
l’intérieur de l'édifice. Ce concept de strates
avec une finition adoucie ancre 1'église sur
son socle.
L'écriture sobre de 1'église, déclinée sur les
autres bâtiments, permet à cette dernière de
s'imposer comme 1'élément central.
Revue de I'AMOPA : Vous avez reçu en 2014 un Leaf Awards pour votre scénographie du Rijksmuseum d'Amsterdam;
pouvez-vous nous parler de cette scénographie ?
En quoi était-elle spécifique par comparaison avec d'autres scénographies de musées que vous avez pu réaliser ?
Jean-Michel Wilmotte : Ce qui m'a plu au Rijksmuseum, c'est 1'esprit dans lequel souhaitait travailler le conservateur du
musée, c'est-à-dire de traiter 1'ensemble des espaces comme un vaste cabinet de curiosités. Ce qui permettait cette approche,
c'est la très grande variété des objets à mettre en scène (peintures, sculptures, mobilier, art décoratif, maquettes de bateaux,
armes extraordinaires, cuirasses, grès culinaires, verreries, costumes, instruments …).
Selon les époques, pour créer une identité, nous avons utilisé des dégradés sur les murs : gris foncé pour le Moyen-Âge, gris
clair pour les XVII
ème
, XVIII
ème
, XIX
ème
siècles, blanc pour le XX
ème
siècle. Cette couleur uniforme crée un environnement
neutre qui met en valeur les objets.
Les collections spéciales comme les porcelaines de Delft, les maquettes de bateaux ont été mises sous verre. Une
transparence maximale est recherchée pour une lecture optimale des objets d'art. Enfin l'association entre lumière naturelle
et lumière artificielle renforce encore la mise en relief des collections.
J'ai aimé travailler à partir de la bâtisse du XIX
ème
siècle (construite en 1885), et pouvoir se décharger de la brique (élément
lourd), unifier les espaces; la typologie des vitrines s'adapte à la fois à l'architecture du bâtiment et aux œuvres exposées.
Paris, Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe
@ Wilmotte & Associés
Amsterdam, Rijksmuseum, muséographie @ Julien Lanoo
Revue de I'AMOPA : Vous avez créé la Fondation d'entreprise Wilmotte pour sensibiliser les jeunes architectes aux
problématiques de réhabilitation du bâti ancien ; en quoi cet aspect de la construction est-il essentiel ? (chacun connaît la
superbe réhabilitation du Collège des Bernardins pour laquelle vous avez reçu le Prix du Patrimoine culturel de l'Union
Européenne / Concours Europa Nostra dans la catégorie « Conservation »)
Jean-Michel Wilmotte : En ce qui concerne la réhabilitation des
bâtiments anciens, je pense qu'il ne faut pas faire de pastiche,
réhabiliter à l’identique, chercher à restaurer en retrouvant des
matériaux des siècles passés; la restauration passe, selon moi, par
l'emploi des matériaux contemporains.
Ainsi pour l'Université Européenne de Saint-Pétersbourg nous
envisageons de préserver la prestigieuse façade ancienne du
Kushelev-Bezdorodko Palace dans lequel elle se situera, mais de
réaménager l'ensemble de l'Université Européenne avec des
« greffes » de matériaux contemporains comme le verre, l'acier, le
bois ou le béton; il s'agit d'établir un dialogue entre l'histoire
patrimoniale de Saint-Pétersbourg et une université de haut niveau
ouverte vers le futur.
Au Collège des Bernardins, la restitution complète du grand
comble médiéval a été rendue possible grâce à l'acier qui s'est
substitué aux matériaux utilisés dans l'ancienne charpente.
Revue de I'AMOPA : En cette année nous parlons beaucoup de
la COP 21, et des incidences climatiques, vous avez réalisé un parc
écologique à Baku en Azerbaïdjan; que doit-on entendre par « parc
écologique » ?
Jean-Michel Wilmotte : Le parc
écologique de 15 hectares à Bakou a
été réalisé à l'occasion des Premiers
Jeux olympiques européens qui se sont
tenus à Bakou en juin 2015. Situé en
bord de mer, dans le quartier de
Sabayil, le complexe aquatique prêt à
accueillir les compétitions de natation
est entouré d'un parc exceptionnel,
dédié à la flânerie et aux loisirs.
L'approche française du site permet
une référence aux dessins et tracés des
grands jardins classiques. Un décalage
culturel assumé pour enrichir les
qualités spatiales de la ville.
Il a été implanté sur un ancien champ
de recherche pétrolifère. C'est la raison
pour laquelle nous avons installé dans
des cages de verre, comme nous l'aurions fait de sculptures, les anciens derricks. Nous avons réalisé ce parc en 6 mois; par
parc écologique, il faut entendre une gestion autonome de l'eau (arrosage), un parc végétal avec diverses essences d'arbres,
une circulation minérale et aussi un air régénéré pour les quartiers environnants.
Environ deux mille arbres de tailles et de morphologies différentes ont été plantés,
représentant une trentaine d'essences.
Revue de I'AMOPA : Quel est le style Wilmotte ? Comment le définir ?
Jean-Michel Wilmotte : En tant qu'architecte, nous devons traduire dans un
vocabulaire simple les besoins d'un commanditaire ; nous disposons de clefs : espace,
lumière, matière; nous devons nous adapter à un site, un pays, des fonctions …
Je recherche une architecture intemporelle, qui vieillit bien, et pour atteindre ce but,
l'essentiel réside dans le détail, une recherche du détail qui peut voisiner avec la
maniaquerie; ce sont tous les détails techniques (1'éclairage, la transition entre les
matériaux, 1'anticipation…) qui font que l'œuvre continuera à être belle, ne se
dégradera pas trop vite.
J'aime tous les matériaux : la pierre, le marbre, le bois, le béton dans sa simplicité; ce
qui est intéressant ce sont les matériaux recyclés de deuxième génération partir de
Paris, Musée d'Orsay @ Alessandra Chemollo
Amsterdam, Rijksmuseum, muséographie
@
Julien
Lanoo
Bakou, Parc de Bakou,
@ Wilmotte & Associés
Parkland conserve 4 derricks dans une
mise en scène muséographique grandiose
déchets de bois, d'aluminium), mais nous hésitons encore à les employer car nous manquons de recul.
L'espace, l’importance du détail, la respiration - le passage d'un matériau à l'autre - ce sont des valeurs qui comptent pour
moi
Nous remercions Jean-Michel Wilmotte pour l'accueil chaleureux et en toute simplicité qu'il nous a réservé.
Le Collège des Bernardins, créé en 1245
pour répondre aux exigences de formation
spirituelle au plus près des lieux de débat
intellectuel, a été l'un des foyers de
pensée majeurs de l'Occident pendant
plusieurs siècles. Détourné de sa vocation
initiale depuis la Révolution, il a abrité au
XX siècle une caserne de pompiers. Le
Collège des Bernardins a été réhabili
sous l'impulsion du Diocèse de Paris.
La pure et la sobriété de son archi-
tecture incitent tous ceux qui franchissent
ses murs à la contemplation, la
méditation, l'échange et la réflexion. Il
n'est aujourd'hui ni une église, ni un
musée, ni une université mais un lieu
privilégié d'échange et de connaissance.
Les travaux ont porté notamment sur
l'enfouissement de 300 micropieux sous
les piliers et les murs périphériques pour
soutenir le bâtiment, la restitution
complète, grâce à l'acier, du volume du
grand comble médiéval, la restauration de
la triple nef gothique ponctuée d'une
trentaine de fines colonnes, la réfection de
la toiture, des lucarnes et du clocheton
central, la consolidation des structures du
cellier, le dégagement de la base des murs extérieurs sur une hauteur d'environ 3 mètres et la création d'une
douve permettant au cellier de retrouver les conditions de son éclairage.
Paris, Collège des Bernardins @ Pascal Tournaire (photos 1 et 2) et Géraldine Bruneel (photo 3)
Extension et réaménagement de l'Université
Européenne à Saint-Pétersbourg @ Wilmotte &
Associés
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