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l’amour des autres qui n’en sont pas. Il en est le point de départ, comme l’explique Raoul
Follereau (qui pouvait en juger) :
«Aimer son pays n’est pas davantage détester les pays voisins qu’aimer sa maman n’est
haïr toutes les autres mères. Aimer sa famille ne consiste pas à voler, piller, tuer le voisin. Bien
au contraire, l’amour de la famille implique et impose le respect des autres foyers. Qui donc
estime celui qui a renié ses parents ? Ainsi de la patrie. Le vrai patriote aime en chacun l’idée
de la patrie et respecte la patrie de chacun» (De la patrie. Trahison de l’intelligence, 1936).
- L’ordre dans la charité
Ainsi parle le langage du bon sens et du droit naturel, aux antipodes de l’universalisme
désincarné d’un certain mondialisme (qui ne prend racine nulle part), et sans contradiction avec
l’Evangile. Ce que résume saint Augustin
«Comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui, selon les temps
et les lieux ou toutes autres opportunités, te sont plus étroitement unis comme par un certain
sort; par sort, en effet, il faut entendre quiconque t’est lié temporellement et qui adhère à toi, ce
qui fait que tu choisis de l’avantager».
Et saint Thomas précise:
«A chacun il faut plutôt accorder les bienfaits correspondant à l’ordre des choses où il
nous est le plus uni, à parler dans l’absolu. Cependant, cela peut se diversifier selon la diversité
des lieux, des temps et des affaires; il est tel cas, celui d’extrême nécessité par exemple, où nous
devons venir en aide à un étranger plutôt qu’à un père dont le besoin serait moins urgent»
(S.T IIa, II ae, q. 31, a 3, resp.).
Dans son Compendium theologiae, l’Aquinate développe, par ailleurs, l’ordre qu’il faut
mettre dans la charité - y compris dans la charité politique : «D’où il faut que l’affection de
l’homme soit ainsi ordonnée par la charité que d’abord et principalement il aime Dieu; ensuite
soi-même, enfin le prochain et, parmi les prochains, davantage ceux qui sont plus proches et
plus à même de nous aider. Pour ceux qui sont un obstacle, en tant que tels, on doit les avoir en
aversion quels qu’ils soient...».
- Charité sans mesure, mais pas sans discernement
Assurément, le signe de la vraie charité est qu’elle sait s’ouvrir à tous sans mesure mais
non pas sans discernement. Aimer son ennemi ne signifie pas céder forcément à ses volontés. De
même avec l’étranger. La bienveillance qui doit s’adresser à leur égard ne peut pas toujours se
traduire par une bienfaisance. Par la force des choses : Il est des hommes qu’il nous est
impossible d’atteindre, d’aider, d’aimer autrement que par la prière, sauf vocation
exceptionnelle.4
Accuser un homme politique de xénophobie ou de racisme lorsqu’il dit «J’agis pour les
Français d’abord», est aussi absurde que d’accuser de sexisme un capitaine de bateau en péril
lorsqu’il dit «les femmes et les enfants d’abord» ! Aussi ridicule que d’accuser sainte Jeanne
3 L.I de la Doctrine chrétienne ch. 28. «D’où il ressort, commente saint Thomas dans son Compendium
theologiae (III, 8), qu’en vertu du précepte de la charité, nous ne sommes pas tenus d’être poussés par affection de
dilection ou effectivement, en particulier pour celui qui ne nous est uni par aucun lien, si ce n’est peut-être selon le
temps ou le lieu, parce que nous le voyons en quelque nécessité d’où il ne pourrait être secouru sans nous».
Ce qui s’est présenté pour le bon Samaritain.
4 «Nous sommes tenus cependant par affection et effet de la charité - par quoi nous aimons tous les prochains
et prions pour tous - de ne pas exclure même ceux-là qui ne nous sont unis par aucun lien spécial, comme par
exemple ceux qui habitent des Indes à l’Ethiopie» (saint Thomas, tome 3, article 8).
Association Notre Dame de Chrétienté