CDE Molière | Guy Pierre Couleau Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace 68 000 Colmar comedie-est.com Sapho chante Léo Ferré AMPHITRYON La Filature (Mulhouse) octobre 2016 Comédie de Molière, mise en scène de Guy Pierre Couleau, avec Luc-Antoine Diquéro, Isabelle Cagnat, Kristof Langromme, Nils Öhlund, François Rabette, Jessica Vedel et Clémentine Verdier. Pour une fois, avec "Amphitryon", Molière n'essaie pas d'amuser avec les travers et les mœurs de son époque. Cette fantaisie anachronique dans laquelle les dieux grecs sont romanisés alors que l'action se déroule à Thèbes, est inspirée de Plaute, utilise le vers libre et rappelle les comédies de Corneille, comme "l'Illusion Comique". C'est sous le signe de la voute céleste, très joliment mise en lumière par Laurent Schneegans, et très artistiquement agencée par Delphine Brouard, que Guy Pierre Couleau fait intervenir Jupiter (Nils Öhlund) et Mercure (Kristof Langromme) dans la vie des Mortels. Ici, les Dieux ont surtout soif d'amours terrestres et viennent titiller les humains pour d'abord se désennuyer de leur longue et morne éternité. Pour nourrir la farce, il faut que les Dieux, sous les auspices de la Nuit ( Jessica Vedel), deviennent farceurs, semblent dire ces deux grands enfants de l'Olympe. Amphitryon (François Rabette) et Sosie (Luc-Antoine Diquéro), son serviteur, en feront les frais, mais, au bout des trois actes réglementaires, leurs amours pour Alcmène (Clémentine Verdier) et Cléanthis (Isabelle Cagnat) en sortiront grandis et plus affermis. Guy Pierre Couleau a son idée sur la pièce. Il y voit en filigrane un Molière copernicien et partisan de Galilée. Que sa thèse ne soit qu'une interprétation personnelle ou la vision véritable d'un Molière préfigurant l'ère des Lumières, n'a finalement que peu d'importance, car il a d'abord le grand mérite de rendre vie à une œuvre qui n'est pas parmi les plus joués de l'auteur du "Misanthrope". Son "Amphitryon" se déroule essentiellement sur une estrade qui occupe presque toute la scène et qui montre bien qu'en prenant l'apparence humaine, Jupiter et Minerve ne sont plus que des acteurs, des masques jouant des rôles, et tout cela ne les grandit pas. Des mauvaises langues ont vu derrière cette intrigue une critique implicite de "Louis le Grand", le jeune roi-Dieu qui, lui aussi, aimaient choisir ses proies parmi les "mortelles". Connaissant le degré d'obédience de Molière à la cause de Louis XIV, il faut raison garder et voir d'abord dans cette pièce une fantaisie, que Guy Pierre Couleau pousse sans exagérer vers la féérie, au point que les Dieux peuvent prendre la place des hommes sans même avoir besoin de leur ressembler. Ses dieux-acteurs sont joueurs, mais Molière aussi. Il sait s'arrêter justement là où le pouvoir royal pourrait s'irriter. Il n'est donc pas question que les hommes comprennent tout de suite ce qui se passe et qui vient leur empoisonner la vie. Pas question non plus qu'ils se vengent à leur tour. Ayant cessé de s'amuser de leur bon tour, les Dieux rompent le charme, donnent la clé du mystère et repartent, visiblement toujours pas désennuyés, vers d'autres Cieux. Guy Pierre Couleau a construit son "Amphitryon" avec beaucoup de soin. Metteur en scène qui laisse au spectateur la liberté d'accepter ou pas ses partis-pris qui prétendent que le courtisan Molière aurait été critique de l'absolutisme royal, il donne à voir un vrai spectacle populaire, divertissant et compréhensible de tous. Une version qui fera date et qui suscitera sans doute un nouvel engouement pour cette pièce si particulière dans l'oeuvre de Molière. Philippe Person www.froggydelight.com Amphitryon n’est-elle qu’une pièce gaillarde où le dieu des dieux prend l’apparence d’un homme pour profiter impunément des faveurs de sa ravissante épouse ? Il y a de cela dans la comédie de Molière qui faisait rire des tromperies de Louis XIV abritant dans son lit la femme d’un de ses généraux. Mais c’est aussi un brillant jeu de doubles, avec les deux Amphitryon, le vrai et Jupiter transformé en copie conforme du général, et les deux valets, le vrai qui s’appelle Sosie et le faux qui est un autre dieu, Mercure. Guy-Pierre Couleau a ausculté le texte d’une manière différente de ses prédécesseurs, qui est tout à fait neuve. Dans cette histoire de dieux il a vu à l’œuvre les connaissances scientifiques et la pensée matérialiste de Molière. Comme dans Dom Juan, il y a ou il y aurait une réflexion sur l’univers et le silence du ciel. Aussi a-t-il monté Amphitryon à la fois comme une pièce foraine, sur un tréteau en noir laqué, et comme une série de rencontres inscrites dans la vie cosmique, avec des sphères et des comètes surplombant l’action des personnages. Les corps des amoureux se rejoignent comme les planètes tournent dans le ciel jusqu’à la collision. On n’avait sans doute jamais joué ce texte avec cette profondeur, et donc avec une malice qui s’abstrait des traditions boulevardières mais n’en regorge pas moins de gags et de facéties. Couleau va même jusqu’à se faire ressembler dans la nuit un Mercure à la peau noire, l’excellent Kristof Langromme, et un Sosie à la peau blanche, l’extraordinaire LucAntoine Diquéro qui rejoint là les plus grands interprètes de serviteurs butors – c’est un arlequin d’une mobilité clownesque et d’une intensité humaine de très haut vol. Clémentine Verdier compose une belle Alcmène, soucieuse de son aristocratie et néanmoins emportée par sa sensualité : un très beau cheminement d’actrice entre le feu et la glace. Le jeu de miroirs entre François Rabette, qui joue Amphitryon, et Nils Öhlund, qui se charge d’être Jupiter, est déployé par ces deux comédiens avec beaucoup de finesse et avec autant de différences que de ressemblances. Isabelle Cagnat, en servante d’Alcmène, est d’une permanente vivacité et Jessica Vedel donne à la figure abstraite de la Nuit de l’épaisseur et de l’élégance. Le spectacle de Guy-Pierre Couleau est précisément un halo de lumière projeté dans la nuit cosmique, ce qui multiplie les plaisirs de cette « pièce à machines » comme sondée par Rosetta et Philae ! jeudi 1 décembre 2016 Amphitryon dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau Avec Amphytrion, Guy-Pierre Couleau poursuit dans l'univers onirique installé sur la scène du Théâtre du peuple de Bussang où nous avons vu cet été le Songe d'une nuit d'été. Je devrais écrire le contraire parce que la création de cette pièce est antérieure (octobre 2015 à la Comédie de l’Est à Colmar) mais je ne les ai pas vues dans l'ordre. Il faut dire qu'il travaille avec la même équipe (notamment Laurent Schneegans aux lumières, Delphine Brouard à la scénographie) et qu'ils ont l'art de la suggestion avec un décor efficace tout en libérant le plateau. Sitôt sa nuit de noces avec Alcmène consommée, Amphitryon, général thébain, quitte sa jeune épouse pour aller guerroyer. Le dieu Jupiter, amoureux de la belle mortelle, profite de l’occasion pour se glisser dans son lit sous les traits du mari. Son allié Mercure monte la garde, après avoir pris l’apparence de Sosie, valet d’Amphitryon. Mais celuici est de retour au palais, précédant son maître pour annoncer sa victoire... et tombe nez à nez avec cet "autre moi". Dès lors, la pièce repose toute entière sur le motif du double et du miroir. Entre quiproquos, malentendus et rebondissements, Molière invente une fantaisie mythologique à grand spectacle, où les dieux descendus sur terre, rusés et manipulateurs, sèment la confusion et s’amusent aux dépens des humains, dupés de bout en bout et incapables de distinguer le vrai du faux. Quand la pièce commence, le spectateur est dans une profonde obscurité, dans une ambiance de science fiction formidablement restituée, justifiant la phrase de Molière : les poètes vont à leur guise. La Nuit (Jessica Vedel) a les traits d'une femme fatale, dans un corps très sensuel, en toute logique avec la thématique de la tromperie. Les dieux sont des divinités obscures venant perturber le cours de la vie des hommes et leurs apparitions s'effectuent comme par magie à la faveur d'un nuage de fumée, venant parfois des cintres (le ciel), parfois d'une trappe dissimulée dans le plancher (l'enfer). La scène est surélevée et pourvue d'escaliers dans la tradition du théâtre de tréteaux. Il faut se laisser porter par les images, splendides, tout en écoutant avec attention le texte de Molière qui pourrait bien être toujours d'actualité. Guy-Pierre Couleau a raison de souligner combien nous devons être vigilants face aux tyrans qui gouvernent avec toute puissance, en se considérant comme égaux à des dieux. Molière avait assimilé les leçons de Galilée (qui était son contemporain) : en prouvant que la terre n'est pas au centre du monde on questionne aussi la place de l'homme qui pourrait donc s'affranchir de la soit disant volonté divine (et des puissances politiques). Car la pièce le démontre, les dieux mentent et peuvent nous faire perdre notre identité. Regardons ce qu'il advient de Sosie, créé par Molière lui-même et que Luc-Antoine Diquero interprète avec toute la subtilité nécessaire. Il devient une marionnette, à deux doigts de la folie : me faut-il renoncer à moi-même ? Si, depuis notre fauteuil nous voyons l'imposture qui concernera aussi Amphytrion (François Rabette), pauvre innocent époux qu'il faudra regarder en coupable, avons-nous la même clairvoyance dans la vraie vie ? Les masques parviennent-ils à tomber aussi rapidement qu'au théâtre ? Le travail de Laurianne Scimemi participe à cette réflexion puisqu'elle a choisi d'habiller les humains en costumes qui nous sont contemporains alors que les dieux sont représentatifs du courant steampunk, d'où le sentiment que nous avons d'osciller entre réalité et science-fiction. La bande-son est elle aussi juste parfaite, avec la voix rauque de Terez Montcalm reprenant Je n'attendais que toi (créée par Charles Aznavour et Mama Béa pour le film Édith et Marcel en 1983) : Je n'attendais que toi / Moi rêvant d'absolu / De choses impossibles / Moi venant de la rue / Sortant de l'inconnu / Qui espérait mon roi / Ce héros invincible ... Avec Klaus Nomi, et puis aussi cet air jazzy à souhait, enfin paisible, à la toute fin du spectacle, accompagnant des pas de danse : Dites-moi étoile, pourquoi je vous regarde? / Les étoiles les étoiles les étoiles / Dites-moi, étoile qui vous regardera ?… que Melody Gardot chantait déjà en 2009 sur l'album My One and Only Thrill. Des rires peuvent fuser dans la salle par moment mais sur scène on comprend que les dédoublements perturbent la raison des personnages, nous offrant aussi une réflexion fine sur la question de l'identité. Après John M. Singe, dont Guy-Piere Couleau avait monté La fontaine aux saints et Les noces du rétameur en 2010, puis l'année suivante Le baladin du monde occidental, il s'est attelé avec autant de bonheur au répertoire de Molière et de Shakespeare. Quel sera son prochain choix ? Marie-Claire Poirier « Amphitryon » Jusqu’au 4 décembre au Théâtre 71 En tournée ensuite Jupiter profite de l’absence d’Amphitryon retenu à la guerre pour s’introduire, sous les traits du général thébain, dans le lit de son épouse Alcmène. Il charge Mercure de garder la porte en prenant les traits de Sosie, le serviteur d’Amphitryon. Mais voilà qu’arrive le vrai Sosie, chargé par son maître d’annoncer son retour. Mercure décide de se jouer de Sosie, lui affirme que c’est lui qui est Sosie et le roue de coups pour oser prétendre être Sosie. L’arrivée du véritable Amphitryon ne va pas éclaircir les choses. Les Dieux mentent, trompent les pauvres humains, se jouent d’eux et abusent de leur pouvoir. Molière ne s’était pas arrêté à la fable mythologique et aux quiproquos, malentendus et autres rebondissements. C’est lui qui jouait le rôle de Sosie et quand Mercure frappe Sosie, lui vole son identité et l’empêche de parler on peut penser que Molière se peint lui-même en artiste qui n’ignore pas les limites de sa liberté, conscient d’être tributaire des commandes et de la faveur du Roi et de la Cour. Il sait aussi que c’est dans le rire qu’il peut conserver une marge de liberté. C’est souvent sur ce thème et celui du double que les metteurs en scène mettent l’accent. Ce qui a intéressé le metteur en scène Guy Pierre Couleau, directeur du Centre dramatique national à Colmar, c’est bien sûr la question de l’identité, mais il va au-delà. Molière écrit sa pièce vingt ans après la mort de Galilée. Ils ne se sont pas rencontrés mais en démontrant que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse, Galilée a remis en cause la place de l’homme et par voie de conséquence celle de Dieu dans l’univers. Pour Guy Pierre Couleau, Molière le rejoint en quelque sorte car il nous dit que les Dieux ne sont plus les détenteurs de la vérité puisqu’ils nous mentent. En référence à ce moment où les certitudes vacillent, c’est sur un beau ciel noir où se meuvent des sphères semblables à des astres que Mercure apparaît, pour demander à la Nuit, en robe de dentelle noire et boa de fourrure, de ralentir sa course pour permettre à Jupiter de passer avec Alcmène une longue nuit. Toute la mise en scène frémit du désir frustré des hommes. La blonde Clémentine Verdier avec sa robe et ses escarpins qui mettent en valeur sa silhouette et ses jambes campe une Alcmène pleine de désir pour Amphitryon, mais lequel désire-t-elle ? Celui avec qui elle vient de passer la nuit et qui est en fait Jupiter (Nils Öhlund) ou son mari (François Rabette). Tous deux sont très bons le premier en Dieu triomphant et narquois, le second en mari cocu, jaloux et impuissant face à Jupiter. Kristof Langromme fait de Mercure un Dieu qui prend un plaisir énorme à tromper le pauvre Sosie, remarquablement interprété par Luc-Antoine Diquéro, qui tente en vain d’expliquer à Amphitryon que, tout comme lui, il est double et n’arrive plus à déterminer s’il est lui ou un autre ! Quand enfin les Dieux regagnent l’Olympe après que Jupiter eut éclairé Amphitryon et lui eut dit qu’Alcmène était toute à lui - mais enceinte d’Hercule le fils qu’il a engendré - ce n’est pas vers les cieux qu’ils s’envolent, mais dans le sol qu’ils s’enfoncent, comme s’ils étaient venus de l’enfer pour apporter le chaos sur terre. Guy Pierre Couleau et ses interprètes réussissent, tout en respectant sa dimension comique, à donner à ce qui eut pu n’être qu’une fable mythologique, une profondeur insoupçonnée. Micheline Rousselet Philippe Delhumeau hottello CRITIQUES DE THÉÂTRE PAR VÉRONIQUE HOTTE Amphitryon, de Molière, mise en scène de Guy-Pierre Couleau Crédit Photo : André Muller Amphitryon, de Molière, mise en scène de Guy-Pierre Couleau Jupiter, amoureux d’Alcmène, épouse du général thébain Amphitryon, se déguise selon la coutume divine, afin de prendre les traits du fameux guerrier. Au service du dieu des dieux, Mercure, posté à la porte du palais du général, emprunte l’apparence de Sosie – le valet d’Amphitryon – pour chasser celui-ci de sa propre maison, de son service, et mettre à distance jusqu’à son identité, son « Moi ». Sosie est ainsi brutalement mis à mal par un autre lui-même tyrannique, tandis que Jupiter prend la place de l’époux amoureux auprès d’Alcmène. Or, quand Amphitryon revient de guerre, le quiproquo file des conséquences dévastatrices inouïes. La belle est stupéfaite de voir revenir un époux vainqueur, qui vient tout juste de quitter son lit, prêt à lui faire de nouveau – répétition étrange – le récit de ses aventures glorieuses et jusqu’à lui offrir un collier précieux qu’elle a déjà reçu. Une seule princesse pour deux hommes – un dieu et un prince – que l’amante croit un, pendant que Sosie, effaré de tels dédoublements mensongers, perd la raison. L’intrigue est facétieuse, s’attachant à mettre au jour le jeu malicieux de « à malin, malin et demi » entre ces partenaires inégaux que sont les dieux et les hommes. Iniquité, malhonnêteté, trahisons, les dés sont pipés puisque les puissants – dieux de l’Olympe ou Louis-leGrand en ce monde – n’en font qu’à leur tête princière. La mise en scène de Guy-Pierre Couleau, directeur de la Comédie de l’Est – centre dramatique régional d’Alsace à Colmar – projette à travers la scénographie de Delphine Brouard et les lumières de Laurent Schneegans, une galaxie colorée et amusée, parsemée de planètes et d’anneaux lumineux – le domaine céleste des décideurs des événements humains, mais peut-être plus pour longtemps quoique… La Nuit qu’interprète l’équivoque Jessica Vedel est lunaire au possible, tandis que la déesse s’entretient avec un Mercure vaniteux et sûr de son fait, incarné par l’excellent Kristof Langromme. Et l’air respiré du Mont Olympe peut remonter dans les cintres pour laisser advenir la comédie des hommes ici-bas, installée sur un plateau rustique à peine surélevé à l’image d’un théâtre rustre de tréteaux. Et puisque comédie de Molière il y a, il fallait faire la part belle au rire et à ses jolis tracas. Sosie dont le rôle est central en tant que valet moqué, est porté magnifiquement sur le plateau par l’art et la verve de Luc-Antoine DIquéro, sorte d’Arlequin grugé. Pantalonnades, tourbillons, chutes, courses effrénées, mimiques clownesques ou mélancoliques, le comédien ne ménage ni ses efforts ni ses effets. Le comédien est accompagné, comme il se doit, par Cléanthis – douce moitié mi-figue mi-raisin et pleine de revendications féministes que joue avec brio Isabelle Cagnat. La blonde Clémentine Verdier interprète Alcmène avec un emportement souverain – les beaux canons de l’amour et de la sincérité. Quant aux deux Amphitryon, ils sont pareillement séducteurs, qu’ils soient humains ou divins : François Rabette et Nils Öhlund jouent leur partition singulière en miroir inversé, fougueux et virils à souhait, déterminés et jaloux de leur propre gloire personnelle. Un divertissement festif qui remet sur ses rails avec panache l’art premier du théâtre. Véronique Hotte Théâtre 71 Malakoff Scène Nationale, du 30 novembre au 4 décembre. Célestins – Théâtre de Lyon, du 17 au 28 janvier 2017. Théâtre Victor-Hugo, Bagneux, le 22 mars. Le Bateau feu, Scène nationale de Dunkerque, les 10 et 11 mai. On sait que le sujet fut emprunté par Molière chez Plaute. On murmura aussi, à l’époque, que Molière y raillait son souverain, Louis XIV, dans sa relation nouvelle avec Mme de Montespan. Il n’en demeure pas moins que cette pièce est un petit bijou. On le mesure à chaque présentation… et celle de Guy Pierre Couleau, ci-devant metteur en scène, est des plus savoureuses. Molière nait 21 ans seulement après la mort de Galilée. L’occasion, en souvenir, de faire figurer dans le décor, une batterie de planètes, dont certainement la nôtre. D’entre ces planètes, surgit Mercure, le messager des dieux. Il vient ouvrir la voie pour son maître Jupiter, lequel a jeté son dévolu sur la gracieuse Alcmène, épouse d’Amphitryon, un général thébain. Jupiter profite de l’absence du mari, parti guerroyer, pour se glisser dans le lit d’Alcmène. Il a pris l’apparence de celui-ci, comme Mercure a pris la « forme » du valet Sosie. Sosie, qui répétait son entrée, se verra chasser du logis par un autre « lui-même ». La scène des retrouvailles entre Amphitryon et Alcmène, avec surprise et incrédulité à la clef, sera doublée par celle entre Sosie et sa chérie. Effets comiques, poursuite rigoureuse d’un enchaînement qui finit par devenir diabolique, la pièce culmine avec la rencontre des deux Amphitryon, le vrai… et l’autre. Habilement rimée, cocasse, c’est une œuvre que la mise en scène, sobre et déliée, met particulièrement en valeur. Une trouvaille que cette scène sur la scène, qui autorise beaucoup de liberté. Passé un temps d’adaptation, les alexandrins de Molière filent avec naturel, et les comédiens se surpassent : conviction et force chez le Jupiter de Nils Öhlund ou l’Amphitryon de François Rabette. Clémentine Verdier est une Alcmène qui passe de la passion la plus folle à la retenue puis à la colère. Gardons pour la fin l’interprète de Sosie. D’accord, c’est un rôle en or, mais Luc-Antoine Diquéro en fait quelque chose de jubilatoire. On est avec lui, on le suit, on guette ses moindres mimiques et effets. Grâce à l’homogénéité de la troupe, la pièce est une réussite. Elle continue sa tournée. Ne la ratez pas si elle se joue près de chez vous ! Gérard Noël Amphitryon, mis en scène par Guy-Pierre Couleau Dès l’ouverture du rideau, nous voilà propulsés dans l’univers des dieux. Mercure suspendu dans les airs réclame à la déesse de la Nuit de retarder la fin de la nuit afin de permettre à Jupiter de jouir encore des charmes de la belle Alcmène qu’il a séduit en prenant les traits de son mari le général thébain Amphitryon. En effet, sitôt sa nuit de noces consommée, celui-ci a quitté sa jeune épouse pour aller guerroyer. Mercure monte la garde pour Jupiter après avoir pris l’apparence de Sosie, valet d’Amphitryon. Mais celui-ci, de retour au palais, précède son maître pour annoncer sa victoire… et tombe nez à nez avec cet « autre moi »… La pièce repose toute entière sur le motif du double et du miroir. Quiproquos, malentendus et rebondissements, Molière invente une fantaisie mythologique à grand spectacle, où les dieux descendus sur terre, rusés et manipulateurs, sèment la confusion et s’amusent aux dépens des humains, dupés de bout en bout et incapables de distinguer le vrai du faux. Entre ciel et terre Le parti pris de Guy Pierre Couleau est d’inscrire sa mise en scène dans une scénographie qui fait communiquer le ciel et la terre, qui fait descendre ces dieux qui s’ennuient dans le monde d’humains qu’ils envient en raison des émois et des désirs amoureux qu’ils sont capables d’éprouver. Le metteur en scène joue sur la complicité avec le public pour dénoncer les fausses croyances et les identités usurpées. La scénographie de Delphine Brouard et les lumières de Laurent Schneegans font naître la fantasmagorie de ce jeu de dupes. L’univers de dieux représente un ciel de planètes proches d’une « terre » limitée par un tréteau où se cachent des trappes, dans lesquelles tombent ces humains si faciles à piéger dans leur naïveté. En venant sur la terre des hommes, les dieux se descendent eux-mêmes de leur piédestal. La verticalité est alors abolie au profit d’une horizontalité qui met tout le monde au même niveau. Car, que sont ces faux dieux qui usurpent des identités d’humains et comment les croire ? Les dieux sont des menteurs et de sacrés voleurs qui abusent sans vergogne de leur puissance absolue. Sosie et Amphitryon sont dépossédés de leur apparence physique. Sosie est même dépossédé de sa personnalité, de ses souvenirs et de son nom. Muselé, frappé par Mercure qui a pris son apparence, Sosie devient la métaphore de l’artiste asservi par le pouvoir du Roi et de sa Cour, nous dit Guy Pierre Couleau. Si les dieux séquestrent les humains, ceux-ci ne sont pas démunis pour autant. Molière en appelle au jugement du public qui sait où se situe l’imposture. En le rendant témoin de la situation, par une pirouette de côté, le rire de Molière, une fois de plus, met l’accent sur la place de l’homme dans l’univers, sur sa liberté que le rire lui permet d’exercer. Face à leurs doubles divins, les hommes finissent par ouvrir le questionnement sur ce qui constitue leur humanité. Les dieux ne sont plus détenteurs de la vérité et ils sortent amoindris du jeu de dupes qu’ils ont mis en place. Libérés des dieux de retour sur leur Olympe lointain, les hommes finissent peut-être par comprendre que leur humaine condition nécessite la conquête d’une liberté qui n’est pas à réclamer pour être exercée de plein droit. Dany Toubiana