Psychanalyse et la question du cadre Marie Josée Leres - Euro-psy

Psychanalyse et la question du cadre
Marie Josée Leres
A partir de ma pratique concernant le champ du traitement de la psychose
des enfants, je vais vous faire part de deux dispositifs thérapeutiques
accueillant ,en collectif ou en groupe, des enfants psychotiques, autistes,
et névrosés, pour cerner combien la question du cadre est fondamentale,
pour mener un travail ouvrant et rendant possible la constitution d'un
espace analytique s'inscrivant dans une clinique" moderne" renouvelée de
la santé mentale.
---L' histoire se dit au passé et se vit au présent---
Je prendrai appui sur la création d'ateliers à l'école expérimentale de
Bonneuil fondée par Maud Mannoni en 1969,---institution éclatée--- et la
création du Jardin d' enfants Thérapeutique en 1995en Seine st Denis,
dans le service infanto-juvénile du Dr Coen ,---lieu intermédiaire---
Ces deux lieux se soutenant de deux notions opératoires, le cadre et le
processus.
Le cadre fait référence à une instance qui confère un minimum de
régulari et de stabilité institutionnelle, le processus est le discours
libre qui se tient par rapport à celui-ci.
Cette polarité étant posé comme nécessaire, avec d' une part le souci de ne
pas tomber dans l'aliénation pour l'équipe d' une ritualisation excessive de
l' institution et de l'autre ,dans l'angoisse que fait naître le manque de
repères dès lors que le mouvement l'emporte sur la constance du cadre.
L'institution éclatée: cadre institutionnel
Le concept d'institution éclatée qui a fondé la spécificité de cette école
vise à exprimer la philosophie de son fonctionnement.
Ce qui a permis une lecture de ce lieu de vie, me semble être
précisément la mise en place d'un cadre non pas comme règlement
institutionnel mais comme structure permettant repérage et
questionnement.
Ce cadre institutionnel a pour fonction de garantir la permanence du
travail collectif à l'intérieur, tout en permettant des allers et venues à
l'extérieur de l'école (travail chez l'artisan, séjour en province, etc.…)
Garant contre l'angoisse ce cadre a été posé pour être continuellement
interrogé dans sa permanence.
Cette conception du cadre, a montré que le travail medans l'institution
n 'a pas de valeur en soi mais prend un sens par rapport à cette toile de
fond, ou "dans le jeu de la présence et de l'absence un sujet peut
émerger, des remaniements dialectiques se produisant ainsi" écrivait
M.Mannoni.
Au lieu d'offrir une permanence institutionnelle, le cadre de l'institution
offrait dès lors sur fond de permanence des ouvertures vers l'extérieur, des
brèches de toutes sortes. Ce qui demeurait c'est un lieu de repli mais
l'essentiel de la vie se déroulait ailleurs.
C'est l'oscillation entre un projet et une fuite qui est en jeu.
Dans ce contexte institutionnel, le cadre renvoie à l'introduction d'une
dialectique de l'alternance d'un ici et -bas, d'une "dialectique des
coupures" laissant la place aux caractéristiques de l'inconscient et à ce
qu'il œuvre sur la structure et la fonction du discours qui se tient, ainsi que
sur le statut du sujet et de la subjectivité.
Maintenant deux exemples de réalisation d'atelier vont nous servir à
dégager le cadre puis le processus .
Je vous propose donc de vous parler de la première pièce de théâtre " :
Alice au pays des merveilles" travaillée et représentée dans différents
théâtre parisiens .
Dans l'exemple du théâtre :
Le cadre :éléments stables dans le temps et l'espace qui relèvent de la
synchronie
Dans le temps de nos répétitions, la scène était symbolisée par un tapis .
Les acteurs devaient enlever leurs chaussures, signe distinctif entre ceux-
ci et les spectateurs enfants occasionnels.
Le choix des personnages étant libre, aucun rôle n'était attribué, en
effet la possibilité était offerte à chacun de jouer en même temps à
plusieurs le même personnage ,grâce à des genres de totem représentant
les personnages . Ainsi ils pouvaient s' accoler , se rassembler ,se
confondre ou se distinguer du personnage totemisé .
A chaque début de séances , nous lisions des passages du livre de Caroll
.Nous nous exercions à représenter ce qui interpellait les enfants.
Puis à la séance suivante nous reprenions ce dont ils se souvenaient
.Ainsi nos jeux de scène se sont basés sur une mémorisation d'actions et
d' histoires en mouvement, inscrites dans la symbolique et l' imaginaire d'
Alice aux pays des merveilles.
Lors de nos représentations, une voix off laissant de large plage de silence
avait pour fonction d' énoncer le texte des tableaux successifs afin de
laisser libre les paroles improvisés des enfants acteurs par rapport à cette
trame du texte.
Les trois coups ,suivi de la nomination des acteurs ,inauguraient le
début de la pièce .
Un débat avec les spectateurs était prévu après chaque représentation.
Passons au processus, de l'ordre de la diachronie:
C'est du regard naïf d'Alice qui ne s'étonne de rien de par le monde dans
lequel elle évolue, au regard des spectateurs, que s'est situé notre action
théâtrale. Nous prendrons appui ici sur le trajet effectué par un enfant
pour illustrer de quelle parole il s'agit là et quels en sont les effets.
Après sa longue chute dans le terrier du lapin, Alice a essayé en vain
d'ouvrir les portes de la salle longue et basse ou elle a chu. Elle revient
tristement vers le milieu de la salle en se demandant comment elle
pourrait sortir. Entendant ce récit, Albert se lève brusquement et hurle
--laissez moi sortir ! Il défonce alors les parois avec sa tête et renverse
les autres participants
--je veux sortir. J" j'ai peur. Laissez moi sortir hurle -t- il.
Adultes et enfants, acteurs faisons alors écho à son cri.
--Alice veut sortir. Elle a peur. Il fait noir. Nous martelons de nos
poings les parois .
Albert paraît un moment sidéré, puis il répète avec moins de violence déjà
:
--Je veux sortir, Alice veut sortir, j'ai peur…. Alice a peur.
Bientôt très calme, il reprend avec nous " : je veux sortir ", mais cette fois
tout à fait au niveau du jeu de l'acteur.
Ceci se passait au moment du travail proprement dit dans l'atelier de
l'école. Quand Alice a été représentée en public, Albert a participé avec
nous, en criant avec nous :
--"je veux sortir" mais de la place d'Alice cette autre fois.
C'est après cette séance de travail que les parents nous ont interpellé sur
ce qui s'était passé avec leur fils.
--Il parle toujours du théâtre et après votre dernière séance, il a
oublié qu'il avait peur du noir. Il est descendu pour la première fois de sa
vie à la cave --.
Acte que seul le père avait l'habitude de faire pour chercher du vin --
Ainsi Albert a accepté de jouer Alice et de jouer de l'intérieur des
conventions du théâtre. A partir d'une mise en scène qui n'a rien avoir
avec le normal et le pathologique, des effets s'inscrivent que l'on appelle
thérapeutiques. Depuis ce jour, Albert, se précipitait au devant des adultes
avec toujours les mêmes mots :
--Il y aura théâtre aujourd'hui ? --je pourrai venir ? C'est sur ?--
.
Ainsi cet adolescent jouant du lieu d'Alice, avec sa peur, commença à la
maîtriser en la déplaçant --ce qui n'est pas sans évoquer la maîtrise
acquise par l'enfant grâce au jeu.
Sur la scène du théâtre :
Albert arrive avec le réel de son symptôme, peur qui se traduit au niveau
de son corps et de sa destruction.
Le groupe accueille cette peur en apportant alors une réponse, à ce réel
manifesté par Albert --c'est à dire en donnant sens ailleurs que dans la
peur ressentie, ceci par un discours qui vient d'ailleurs(la trame du texte
de Caroll en voix off ) et par la reprise hic et nunc, de l'ensemble des
acteurs, telle une improvisation partagée.
Cette intervention permettra à Albert de dépasser et de déplacer son
symptôme. ET cela en acceptant de donner à cette peur, un sens
universel à savoir ici : le sens qu'une petite fille Alice a ressenti et qui est
accueillie par le groupe, sans aucune tentative de compréhension
psychologique ni d'explication introspective concernant Albert.
Sous la pression des conventions théâtrales, nous retrouvons ce que nous
dit Freud quand il avance que c'est dans la mesure ou le drame est
intégré dans un mythe ayant une valeur humaine étendue, que le sujet
se réalise.
A partir de là, Albert découvrira une dimension de jeu, que son jeu a des
effets sur les spectateurs et ces effets deviendront eux-mêmes
symboligènes.
--Je ne veux plus jouer dans le club à Bonneuil, nous dit-il.
--Oui, pourquoi ?
--Cela n'impressionne pas les gens. Je veux qu'il y ait des spectateurs--.
(dans un ton très différent de celui qui lui est habituel, et, ou il se parlait
souvent à la troisième personne).
Après une représentation tout à fait réussie , il sera observé que, pour la
première fois de sa vie, Albert pouvait reconnaître en lui, une dimension
de jeu dans ses actes.
En effet , un jour alors qu' il tentait de se jeter sous une voiture, il s'arrêta
brusquement et regardant les adultes, présents à ses cotés, s' apprêtant à
intervenir, il déclara :
--Mais je joue à faire peur , à me faire peur-- .
Ce qu'il a pu acquérir sur la scène , à savoir l'investir comme imaginaire
après l' avoir vécue comme réelle, aura ensuite été transposée dans sa
vie de tous les jours.
Cet acquis semble rien de moins qu'une structuration de l'imaginaire
nécessaire à l'instauration d'une série d' équivalences dans un
système ou les objets se substituent les uns aux autres.
C'est nous semble t-il toute la force et la fragilité d'un tel processus de
travail.
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