FORUM // UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER // NOVEMBRE 2015
6 panorama
Pérou, dans la région de Contamana, bourgade de 10 000 âmes blottie au détour de l’un des innom-
brables méandres du euve Amazone. Un petit coin de terre apparu sur les radars en 2008 lors de la
première expédition paléontologique de l’histoire dans la région. « Il s’agissait d’une terre vierge pour la
recherche » raconte Pierre-Olivier Antoine, enseignant-chercheur à l’Isem et coordinateur d’un consortium
d’une quarantaine de spécialistes issus de 12 pays. En cause, les conditions extrêmes et une végétation si
dense que toute exploration des sols y est quasiment impossible. Sauf quand on sait où chercher. Car cette
terra incognita va se révéler d’une richesse inouïe pour les paléontologues de l’UM, dont l’expertise dans la
découverte de fossiles est internationalement reconnue. Au l de 7 années ponctuées d’aller-retours entre
la France et le Pérou, Pierre-Olivier Antoine et son équipe grattent sans relâche la terre pour en extraire des
secrets enfouis depuis des millions d’années. Un travail de longue haleine, souvent harassant, qui va néan-
moins leur permettre d’enchaîner les découvertes.
// ESPÈCES INCONNUES
Des découvertes obtenues à la force du poignet et de jours passés à tamiser des tonnes de sédiments pour en
extraire des fragments minuscules d’une importance colossale. Comme cette dent fossile, retrouvée au cours
de leur dernière mission, qui prouve la présence de dinosaures en Amazonie. « Les seuls dinosaures connus
au Pérou avaient été découverts plus au Nord dans la partie andine. Il s’agit de manière quasi-certaine d’espèces
nouvelles. C’est un très gros scoop » explique le chercheur. Fortes de ces avancées, les équipes impliquées dans
ces travaux sont aujourd’hui en mesure de retracer l’évolution des écosystèmes d’Amazonie sur les 70 der-
niers millions d’années. Une première mondiale. En assemblant les pièces de ce vaste puzzle, les scientiques
apportent un nouvel éclairage sur les origines de la biodiversité amazonienne. Conclusion : « dès le début de
l’ère tertiaire, la zone présentait déjà une biodiversité exubérante ». Pour autant, le visage de l’Amazonie a connu
bien des bouleversements depuis 66 millions d’années.
// QUAND L’ATLANTIQUE BAIGNAIT LA CORDILLÈRE...
« Jusqu’à il y a 11 millions d’années, toute la région située au pied des Andes était
baignée dans un lac immense parsemé d’îlots. Au gré des pulsations de soulèvement
des Andes et des élévations du niveau de la mer, ces lacs se confondaient parfois
avec l’océan, donnant des incursions d’organismes marins en plein continent, à des
endroits situés à 4 000 kilomètres de l’embouchure actuelle du euve ! ». Une théorie
avancée depuis les années 90 et conrmée par la mise au jour en 2012 de bancs
d’huitres fossilisés. Là encore une découverte capitale, mais pour Pierre-Olivier
Antoine l’essentiel est peut-être ailleurs : « nous eectuons un travail de collabora-
tion très étroit avec les populations locales, qui nous servent notamment de guides».
Un partenariat qui assure un revenu aux communautés natives et garantit aux
chercheurs de pouvoir mener leurs activités en toute sécurité. Une chance aus-
si pour ces populations de se réapproprier l’histoire de leur terre. Un livre tri-
lingue — espagnol, français, shipibo — est ainsi en cours de réalisation pour
que tous puissent avoir accès à cette nouvelle connaissance. « Il s’agit d’une vraie
coopération, basée sur l’entraide et l’intérêt mutuel. Les pièces récoltées repartent
dès qu’on les a étudiées au musée de Lima, que nous contribuons à développer » dé-
taille le chercheur de l’Isem, également impliqué dans la formation de spécialistes
locaux. Comme Rodolfo Salas-Gismondi, qui termine à l’UM une thèse portant sur
l’évolution des crocodiles d’Amazonie. « Il n’existe pas pour l’heure de formations de
paléontologues au Pérou mais Rodolfo va pouvoir utiliser son savoir-faire pour struc-
turer cette discipline » se réjouit Pierre-Olivier Antoine. Et continuer à défricher
une terre encore loin d’avoir livré tous ses secrets.
Quel pouvait bien être le visage de l’Amazonie il y a
40 millions d’années ? À cette question longtemps
restée en suspens, les chercheurs de l’Institut des
sciences de l’évolution de Montpellier viennent
d’apporter un nouvel élément de réponse.
DU PATRIMOINE HISTORIQUE À LA RECHERCHE D’AUJOURD’HUI
Pas besoin de s’aventurer en Amazonie pour dénicher des trésors paléontologiques. Les chercheurs de l’Isem ont ainsi redécou-
vert l’an dernier sur le campus Triolet plusieurs tonnes de sédiments récoltés dans les années 80 dans une région de l’Altiplano
aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, et donc interdite à toute fouille. «
C’est un miracle que nous disposions
de ce matériel, qui représente un intérêt colossal
» se félicite Pierre-Olivier Antoine. Des trésors scientifiques oubliés dans
l’enceinte même de l’université ? Rien de bien surprenant, ces collections ne faisant fait l’objet d’un inventaire systématique
que depuis quelques années. Un travail auquel participent activement les étudiants paléontologues-en-herbe de la Faculté
des sciences, mis à contribution pour répertorier et inventorier ces collections dont beaucoup restent à découvrir. «
C’est une
manière de former les étudiants par la recherche et de leur donner une idée de ce que le métier implique comme travail de
fourmi
». La dynamique de patrimonialisation bénéficie également aux chercheurs du monde entier, qui peuvent désormais
observer, à Montpellier, spécimens uniques et autres moulages réalisés à partir de pièces renvoyées ensuite dans leur pays
d’origine. Comptant près de 2 millions de spécimens, la collection de paléontologie de l’UM figure parmi plus importantes de
France. La réserve de pollen fossilisé forme quant à elle l’un des ensembles les plus complets du monde.
De gauche à droite :
Récolte de sédiments
fossilifères à eur d’eau
dans une rivière d’Amazonie
péruvienne
Feuilles fossiles datées
d’environ 34 millions d’années
Prospection à anc de paroi
en pleine jungle, dans
des roches datées de 8
à 5 millions d’années
© Pierre-Olivier Antoine