L' Institut des sciences de l’évolution remonte le cours du temps F OSSILE après fossile, les paléontologues de l’ISEM retracent l’histoire de la biodiversité pour mieux comprendre l’arbre du vivant. Comment pouvait bien être peuplée notre planète il y a des dizaines de millions d’années ? C’est une des énigmes que s’attellent à résoudre les chercheurs de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem). Depuis plus de 30 ans, le laboratoire développe des recherches qui portent sur l’origine de la biodiversité actuelle et passée et décrypte les mécanismes de son évolution. L’Institut a été fondé en 1981 par Louis Thaler, « un paléontologue visionnaire », souligne son condisciple Pierre-Olivier Antoine, enseignant-chercheur à l'Isem. « Dès la fin des années 70, il a compris l’intérêt de s’allier avec les disciplines connexes ». Cette idée novatrice fait la force de cet institut qui décloisonne les sciences de l’évolution. Paléontologues, généticiens, biologistes du développement, palynologues, phylogénéticiens, chacun apporte sa pierre à l’édifice du savoir pour mieux comprendre l’arbre du vivant. 12 N°7 - 11.2013 Un laboratoire transdisciplinaire Au sein de l’équipe paléontologie, une dizaine de chercheurs et d’enseignantschercheurs mettent leur savoir et leurs compétences à disposition pour remonter le cours du temps. « Pour mieux comprendre cet arbre du vivant, nous identifions des espèces fossiles puis nous tâchons de retracer leur histoire, leur évolution et leurs relations de parenté », précise Pierre-Olivier Antoine. Un travail qui se fait en étroite collaboration avec de nombreuses autres disciplines. Les paléontologues travaillent notamment main dans la main avec les géologues, forts de leurs outils de datation des roches. À l’inverse, grâce aux paléontologues, les géologues disposent d’informations sur les environnements anciens, ce qui permet de mieux reconstituer notre passé. « La Terre a connu beaucoup de crises au cours de son histoire, souligne le paléontologue. En étudiant les fluctuations de la biodiversité dans le passé, nous fournissons un cadre historique à l’évolution de notre planète. » De minuscules dents d'à peine 1 millimètre carré Canaanimys illustrera bientôt les timbres péruviens © Maeva Orliac, 2011 © DyAmAn Un saut dans le temps de 9 millions d’années Une reconstitution laborieuse qui a fait un pas de géant récemment grâce aux travaux de l’équipe de Pierre-Olivier Antoine. Entre 2008 et 2011, les scientifiques partent à la recherche de fossiles susceptibles de les aider à comprendre comment sont apparus les écosystèmes amazoniens et andins. En traînant leurs bottes dans la boue et dans la poussière au bord du fleuve Amazone pour tamiser des kilos de sable, ils finissent par tomber non pas sur un os, mais sur des dents. De minuscules dents d’à peine 1 millimètre carré mais qui constituent une découverte majeure pour les paléontologues et les biologistes. En effet, ces dernières appartiennent à une espèce de petit ron- geur, cousin éteint de nos cochons d’Inde actuels. Les chercheurs ont évalué son âge : 41 millions d’années. Surprenant quand on sait que jusqu’à présent les plus vieux rongeurs connus sur le continent sud-américain dataient d’environ 32 millions d’années. Encore plus surprenant quand les paléontologues constatent que ces rongeurs ressemblaient étonnamment à leurs cousins africains. « Nous avons trouvé le groupe de transition entre certains rongeurs africains et ceux d’Amérique du Sud », se réjouit Pierre-Olivier Antoine. Reste une question en suspens : comment ces petits rongeurs sont-ils passés d’Afrique en Amérique du Sud ? « À l’époque ces deux continents n’était séparés que de 800 à 1000 kilomètres, explique le chercheur. Il est probable que les rongeurs soient passés de l’un à l’autre sur un radeau naturel poussé par les courants océaniques ». En modélisant les courants de l’époque les chercheurs évaluent que le trajet leur aurait pris entre une et trois semaines. Cette hypothèse avait déjà été pressentie par le paléontologue montpelliérain René Lavocat dans les années 1970, mais avait toujours été l’objet de controverses. Cette confirmation soulève aujourd’hui une autre question : et si les ancêtres des primates sud-américains avaient pris le même « bateau » ? Bottes aux pieds et tamis à la main, les paléontologues ne cessent de fouiller pour trouver les fossiles qui pourraient répondre à cette question. En attendant, leur petit rongeur baptisé Canaanimys fait déjà partie de l’histoire de l’Amérique du Sud et sera bientôt immortalisé sur une série de timbres péruviens. Dépoussiérer la paléontologie Il est loin le cliché du vieux paléontologue rompu à un travail ennuyeux. « Il faut que les gens prennent conscience de l’aspect vivant de cette discipline », souligne Pierre-Olivier Antoine. Et pour dépoussiérer cette image, les chercheurs comptent sur l’importance de la formation. Le laboratoire est fortement impliqué dans l’enseignement des licences et masters de biologie, géologie et écologie. « On veut montrer aux étudiants qu’il est encore possible d’être paléontologue », souligne Pierre-Olivier Antoine. La relève se prépare, pour trouver d’autres fossiles et mettre au jour les espèces disparues qui permettront de reconstituer l’histoire de notre planète. © DyAmAn 13 N°7 - 11.2013