Magazine de l`UM2″ N°7 – novembre 2013

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L'
Institut des sciences de l’évolution
remonte le cours du temps
F
OSSILE après fossile, les
paléontologues de l’ISEM
retracent l’histoire de la
biodiversité pour mieux comprendre
l’arbre du vivant.
Comment pouvait bien être peuplée notre
planète il y a des dizaines de millions
d’années ? C’est une des énigmes que
s’attellent à résoudre les chercheurs de
l’Institut des sciences de l’évolution de
Montpellier (Isem). Depuis plus de 30 ans,
le laboratoire développe des recherches
qui portent sur l’origine de la biodiversité
actuelle et passée et décrypte les mécanismes de son évolution.
L’Institut a été fondé en 1981 par Louis
Thaler, « un paléontologue visionnaire »,
souligne son condisciple Pierre-Olivier
Antoine, enseignant-chercheur à l'Isem.
« Dès la fin des années 70, il a compris
l’intérêt de s’allier avec les disciplines
connexes ». Cette idée novatrice fait la
force de cet institut qui décloisonne les
sciences de l’évolution. Paléontologues,
généticiens, biologistes du développement, palynologues, phylogénéticiens,
chacun apporte sa pierre à l’édifice du
savoir pour mieux comprendre l’arbre du
vivant.
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N°7 - 11.2013
Un laboratoire transdisciplinaire
Au sein de l’équipe paléontologie, une
dizaine de chercheurs et d’enseignantschercheurs mettent leur savoir et leurs
compétences à disposition pour remonter
le cours du temps. « Pour mieux comprendre cet arbre du vivant, nous identifions
des espèces fossiles puis nous tâchons de
retracer leur histoire, leur évolution et leurs
relations de parenté », précise Pierre-Olivier Antoine. Un travail qui se fait en étroite
collaboration avec de nombreuses autres
disciplines. Les paléontologues travaillent
notamment main dans la main avec les
géologues, forts de leurs outils de datation
des roches. À l’inverse, grâce aux paléontologues, les géologues disposent d’informations sur les environnements anciens,
ce qui permet de mieux reconstituer notre
passé. « La Terre a connu beaucoup de
crises au cours de son histoire, souligne le
paléontologue. En étudiant les fluctuations
de la biodiversité dans le passé, nous fournissons un cadre historique à l’évolution de
notre planète. »
 De minuscules dents d'à
peine 1 millimètre carré
 Canaanimys illustrera
bientôt les timbres
péruviens
© Maeva Orliac, 2011
© DyAmAn
Un saut dans le temps
de 9 millions d’années
Une reconstitution laborieuse qui a fait
un pas de géant récemment grâce aux
travaux de l’équipe de Pierre-Olivier
Antoine. Entre 2008 et 2011, les scientifiques partent à la recherche de fossiles
susceptibles de les aider à comprendre
comment sont apparus les écosystèmes
amazoniens et andins. En traînant leurs
bottes dans la boue et dans la poussière
au bord du fleuve Amazone pour tamiser
des kilos de sable, ils finissent par tomber
non pas sur un os, mais sur des dents. De
minuscules dents d’à peine 1 millimètre
carré mais qui constituent une découverte majeure pour les paléontologues
et les biologistes. En effet, ces dernières
appartiennent à une espèce de petit ron-
geur, cousin éteint de nos cochons d’Inde
actuels. Les chercheurs ont évalué son
âge : 41 millions d’années. Surprenant
quand on sait que jusqu’à présent les
plus vieux rongeurs connus sur le continent sud-américain dataient d’environ 32
millions d’années. Encore plus surprenant
quand les paléontologues constatent que
ces rongeurs ressemblaient étonnamment à leurs cousins africains. « Nous
avons trouvé le groupe de transition entre
certains rongeurs africains et ceux d’Amérique du Sud », se réjouit Pierre-Olivier
Antoine. Reste une question en suspens :
comment ces petits rongeurs sont-ils
passés d’Afrique en Amérique du Sud ?
« À l’époque ces deux continents n’était
séparés que de 800 à 1000 kilomètres,
explique le chercheur. Il est probable que
les rongeurs soient passés de l’un à l’autre
sur un radeau naturel poussé par les courants océaniques ». En modélisant les
courants de l’époque les chercheurs évaluent que le trajet leur aurait pris entre une
et trois semaines. Cette hypothèse avait
déjà été pressentie par le paléontologue
montpelliérain René Lavocat dans les
années 1970, mais avait toujours été l’objet de controverses. Cette confirmation
soulève aujourd’hui une autre question :
et si les ancêtres des primates sud-américains avaient pris le même « bateau » ?
Bottes aux pieds et tamis à la main, les
paléontologues ne cessent de fouiller
pour trouver les fossiles qui pourraient
répondre à cette question. En attendant,
leur petit rongeur baptisé Canaanimys fait
déjà partie de l’histoire de l’Amérique du
Sud et sera bientôt immortalisé sur une
série de timbres péruviens.
Dépoussiérer la paléontologie
Il est loin le cliché du vieux paléontologue rompu à un travail ennuyeux. « Il
faut que les gens prennent conscience
de l’aspect vivant de cette discipline »,
souligne Pierre-Olivier Antoine. Et pour
dépoussiérer cette image, les chercheurs
comptent sur l’importance de la formation. Le laboratoire est fortement impliqué dans l’enseignement des licences et
masters de biologie, géologie et écologie.
« On veut montrer aux étudiants qu’il est
encore possible d’être paléontologue »,
souligne Pierre-Olivier Antoine. La relève
se prépare, pour trouver d’autres fossiles
et mettre au jour les espèces disparues
qui permettront de reconstituer l’histoire
de notre planète. 
© DyAmAn
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