Michel-Ange Enfance et jeunesse

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Michel-Ange
A
u seul nom de Michel-Ange est associée l’expression de « génie artistique ».
D’une part en raison du nombre de domaines très divers qu’il aborde : sculpture,
peinture, architecture et même poésie. Ainsi il devient l’union humaine des arts,
de la conceptualisation esthétique et de la pensée. D’autre part parce qu’il est l’artiste par
qui l’humanisme donnera toute sa mesure. À la Renaissance, l’humanisme n’est pas une
doctrine, mais plutôt une attitude, un mode de pensée. L’Homme est au centre de la
réflexion et non des abstractions ou des idées. Les grandes questions sont alors : quelle
est l’origine de l’Homme ? Quelle est la place de l’Homme dans l’Univers ? Qu’est-ce que
l’Homme ? La perfection est-elle de ce monde ? Les réponses ne sont jamais définitives,
ni dogmatiques.
Elles sont analysées, débattues, étudiées. L’humanisme étant protéiforme, il peut être
chrétien, laïc, païen… L’humanisme s’ancre d’abord à Florence avec de grands
penseurs comme Marsile Ficin, Pic de La Mirandole, Léonard de Vinci… De là il essaimera
en Europe. La puissance créative et les qualités expressives des œuvres de Michel-Ange,
leur intensité caractéristique sont l’illustration de cette vision du monde humaniste. Mais
pour mieux comprendre son art, parcourons sa vie d’homme.
Enfance et jeunesse
Le monde entre dans une nouvelle ère en cette fin de XVe siècle. Après des décennies de
guerres, de famines et d’épidémies, l’Europe est en pleine mutation. Les mentalités
évoluent de façon spectaculaire. Refusant les valeurs médiévales, les peuples s’appuient
sur une économie florissante, sur de nouvelles techniques et surtout sur une profonde
volonté de faire évoluer la société. Comme Laurent de Médicis ou François Ier, les grands
d’Europe considèrent tout autant l’art que la guerre. Et puis, l’imprimerie donne à un plus
grand nombre l’accès à la culture.
En ces temps de révolution, un modeste fonctionnaire issu de la petite noblesse
florentine est nommé podestat (gouverneur) du diocèse d’Arezzo. Ludovico di Leonardo
Buonarroti Simoni, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’installe avec sa famille dans la ville
de Caprese. Son deuxième fils, Michelangelo, y voit le jour le dimanche 6 mars 1475. À la
fin de son mandat de podestat, Ludovico retourne dans sa ville de Settignano où il
possède une propriété digne d’abriter sa famille. Malheureusement, son épouse meurt en
1481, le laissant seul avec ses cinq enfants.
1. Portrait de Michel-Ange,
1522.
Plume et encre brune,
lavis brun, pierre noire,
papier lavé beige,
36,4 x 24,8 cm.
Musée du Louvre, Paris.
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Michel-Ange n’a alors que six ans. Privé de l’affection de sa mère, il devient un enfant
difficile, taciturne, acariâtre et insolent. Placé en nourrice dans une famille de tailleurs de
pierre, il apprend à lutter contre la tristesse en dégageant, avec les enfants du tailleur, des
blocs de pierre de la carrière voisine. Comme eux, il acquiert les outils et le savoir avec
lesquels il créera ses plus beaux chefs-d’œuvre. « Si j’ai quelque chose de bon dans l’esprit
confia-t-il un jour à son ami Vasari, cela provient de ce que je suis né dans l’air subtil de notre
pays d’Arezzo et que j’ai tiré du lait de ma nourrice les ciseaux et la masse avec lesquels je fais
mes statues. » nous rapporte R. Coughlan.
Plus tard, Michel-Ange verra dans cette expérience l’origine de son art. Michel-Ange
suit un parcours très différent de ses frères qui se sont orientés vers le commerce de la
soie. Il se distingue par une grande intelligence et une sensibilité incomparable. Son père
décide alors de l’envoyer étudier la grammaire auprès de Francesco d’Urbino. Fin
grammairien, il lui permet de s’ouvrir à la beauté des arts de la Renaissance. Le natif de
Caprese est depuis toujours plus enclin au dessin, qu’aux études classiques. Il se lie très
vite d’amitié avec son condisciple Francesco Granacci, qui suit également la formation du
peintre Domenico Ghirlandaio.
Conquis par la passion de Michel-Ange, Granacci le pousse à épouser la carrière de
peintre et l’aide même à convaincre le père Buonarroti. Ce dernier est jusqu’alors
farouchement opposé à voir son fils devenir artiste, métier bien trop proche de la
condition d’artisan, et donc pas assez noble pour le fils d’un fonctionnaire des Médicis.
Michel-Ange ne cède pas et son père, par défaut, le confie à Ghirlandaio afin qu’il
devienne son « apprenti ou son valet ». Le jeune homme se révolte à ces paroles, ayant
l’impression de devenir un domestique à gages du peintre dont il avait été l’élève. Mais
il ravala sa rancœur. Le 1er avril 1488, à treize ans, Michel-Ange entre dans l’atelier de
Ghirlandaio. Un pas capital pour l’éclosion du plus grand artiste italien de la
Renaissance se fait.
Les Premières Influences artistiques auprès des Médicis
Domenico Ghirlandaio travaille exclusivement pour les riches familles de Florence. Très
doué pour les fresques, il est un des premiers à intégrer les influences de la Renaissance
naissante dans sa peinture. Il participe à la réalisation de la chapelle Sixtine, avec
Botticelli, le Pinturicchio, Rosselli et bien sûr le Pérugin, le maître d’œuvre de l’ensemble.
Il est aussi l’un des décorateurs de Laurent de Médicis.
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Chez lui, le jeune Michel-Ange apprend le dessin et la peinture. Très doué, il ne tarde
pas à se démarquer des autres élèves. De lui-même, il copie le plus habilement du monde
une œuvre de Schoen et la met en couleur. Ghirlandaio ne tarde pas à voir en ce jeune
homme un génie en herbe.
On lui fait étudier Masaccio, Giotto ou encore San Spirito. Michel-Ange passe trois ans
dans l’atelier du maître. Il y fait des copies de Donatello et de Jacopo della Quercia.
Chaque étude, chaque copie affine l’œil de l’impétrant. Il y découvre ses nombreux talents
(acuité du regard, finesse d’analyse, sens du mouvement, goût très sûr pour les
couleurs…) et s’y fait, par la même occasion, des ennemis, pour la plupart des envieux.
Son nez gardera la marque du poing de Torrigiani, un sculpteur jaloux et violent à qui l’on
doit la villa romaine éponyme.
Michel-Ange refusera d’avouer, tout au long de sa longue existence, avoir retiré un
quelconque savoir ou une influence de son passage dans les ateliers de Ghirlandaio, même
s’il doit à ce dernier d’avoir rencontré Laurent de Médicis. Par ambition, mais surtout parce
qu’il est certain de son talent, Michel-Ange préfère voir dans son succès la reconnaissance de
son seul génie. Heureusement, l’époque est propice aux artistes.
Laurent de Médicis, grand mécène, amoureux des arts et des lettres, crée au sein même de
son palais une école emmenée par Bertoldo, un élève de Donatello alors très en vogue à
Florence. Les jeunes artistes les plus doués y sont envoyés pour étudier la sculpture. C’est
ainsi que Michel-Ange rentre au service des Médicis.
Cette école marque une étape importante dans la construction artistique du jeune
apprenti. Il découvre la fabuleuse collection de statues antiques des Médicis qui
l’impressionnera. Lui qui symbolisera la Renaissance avec ses créations novatrices allant
à l’encontre des artistes préexistants, voit dans cet art antique une source d’inspiration
inégalable.
Michel-Ange a trouvé sa voie : il sera sculpteur ! L’artiste se démarque très vite par la
qualité de son travail et s’attire les faveurs du maître des lieux, Laurent de Médicis. Mis
en valeur par ce dernier et convié à toutes les réceptions, Michel-Ange rencontre les
mécènes, artistes, politiciens ou humanistes importants qui se pressent à la cour de
Florence.
Parmi ses nouvelles connaissances, deux personnes sont très importantes : Jean et
Jules, fils et neveu de Laurent de Médicis. Avec eux, il partage des temps d’études et
beaucoup de temps libre. Ces derniers deviendront Papes sous les noms de Léon X et
Clément VII et lui commanderont ses plus belles œuvres.
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De Retour chez son père et l’époque des voyages
Michel-Ange a seize ans. Il a déjà produit de nombreuses œuvres dont le Combat des Lapithes et des
Centaures, qui fait référence aux sarcophages de l’Antiquité tardive, et une madone intitulée La Vierge
à l’escalier : deux bas-reliefs aujourd’hui conservés à la « Casa Buonarroti » de Florence.
Malheureusement l’année 1492 est celle des bouleversements dans la vie du jeune Michel-Ange.
Laurent de Médicis meurt et ses héritiers - dont l’incapable Pierre de Médicis -, sont chassés de
Florence par le prieur Savonarole. Michel-Ange quitte le palais de Médicis et retourne chez son père
à Settignano. Michel-Ange n’a pas vraiment terminé sa formation de peintre, ni celle de sculpteur.
Toutefois, son travail montre déjà une grande maîtrise et une capacité de création inimitable. Son
caractère est particulier. Jeune homme réputé orgueilleux, peu sociable, taciturne, irascible, exigeant
et impétueux, Michel-Ange n’en est pas moins sûr de son génie. Il se voit moins comme un apprenti
que comme un artiste à part entière. Chez son père, il réalise son Hercule, aujourd’hui disparu, qui
appartint aux Strozzi, puis à François Ier. Par la suite, Michel-Ange voyage. Il se rend à Venise où il
ne trouve pas l’inspiration tant recherchée. À Bologne, il reçoit la protection de Francesco
Aldobrandi et y réalise plusieurs statuettes pour la Châsse de la basilique San Dominico, œuvre
commencée par Nicolas de Pise. Son protecteur, alors conseiller municipal bolonais, est surtout un
ami fidèle de Laurent de Médicis. Il offre ainsi à Michel-Ange sa première commande : terminer la
statue de Saint Pétrone tenant dans ses mains une maquette de la ville, créer le Saint Procul et, surtout,
réaliser l’Ange au candélabre, dont les volumes s’opposent au reste de l’ouvrage. L’ange aux muscles
proéminents, au visage doucement modelé, aux généreux drapés dont les plis suggèrent le
mouvement avec de fortes ciselures, montre déjà l’étendue de la qualité technique et esthétique du
jeune Michel-Ange. Vers 1495, Michel-Ange est de retour à Florence d’où Pierre de Médicis a été
chassé laissant place à la République. Il sculpte le Cupidon endormi, qui serait peut-être celui que
l’on peut voir aujourd’hui à l’Académie des Beaux-Arts de Mantoue, sur le conseil de Lorenzo di Pier
Francesco, un Médicis de la branche républicaine. Il le vend au cardinal Riario di San Giorgio, après
l’avoir vieilli pour en faire un antique. Bien que détrompé, le Cardinal tombe en admiration devant
l’artiste et le convainc de venir s’installer à Rome. Vient donc l’époque du premier séjour romain.
Michel-Ange se plonge plus encore dans les splendeurs de l’Antiquité déjà découvertes chez les
Médicis. La révélation est confirmée. Il sera de cette veine esthétique. Il sculpte sa première grande
œuvre : le Bacchus, la première est l’une des seules réalisations d’inspiration totalement païenne de
son corpus. En effet, la majorité des commandes qu’il recevra par la suite est faite par l’Église, alors
omnipotente en Italie et en Europe. En 1497, Michel-Ange réalise une de ses plus belles œuvres :
sa Pietà. Le cardinal français Jean de Villiers de Lagraulas, abbé de Saint-Denis et ambassadeur du
roi Charles VIII auprès de l’Etat pontifical, passe la commande. Elle est destinée à l’ornement de sa
tombe. Aujourd’hui exposée dans la basilique Saint-Pierre à Rome, elle est la parfaite représentation
du sacrifice de Dieu et de la beauté intérieure. Michel-Ange n’a alors que vingt-deux ans. On le voit,
sa jeunesse n’est pas faite que de formations et d’essais, elle est déjà un morceau de bravoure
esthétique et une époque de grandes réalisations.
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2. Vierge à l’escalier,
vers 1490.
Marbre, 56,7 x 40,1 cm.
Casa Buonarroti,
Florence.
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Un Combat personnel
Son combat, le plus intense, c’est contre lui-même qu’il doit le mener. Comment passer de la
matière à l’esprit, celui-ci se manifestant en permanence et faisant évoluer sans cesse l’activité
artistique ? Avec ses premières créations, il induira une angoisse qui n’ira qu’en grandissant.
D’une part, parce que sa carrière débute dans un monde artistique en pleine mutation. C’est le
temps où les artistes, proches des corporations, s’insèrent dans le monde sophistiqué et cultivé
des commanditaires. Ceux-ci deviennent à la fois mécènes, mais aussi créateurs de mode,
agitateurs de concepts. Ils font s’affronter philosophes, lettrés, artistes figuratifs, architectes. Le
statut des créateurs évolue alors de façon notable. L’art n’est pas qu’un simple porteur de
message spirituel ou philosophique, il devient un outil au service d’une ambition qu’elle soit
privée, politique, ecclésiale. D’autre part, parce qu’ il se place entre christianisme et paganisme.
Le plus démesuré et ambitieux des artistes de la Renaissance est aussi un païen illustrant la foi
catholique. L’analyse de son œuvre ne résiste pas à cette lecture : Le Christ du Jugement dernier
de la Sixtine ne porte-t-il pas un peu de Zeus en lui ? La compassion évangélique, parfois fade
et souvent compassée est transcendée par l’énergie et le souffle vital de son œuvre. Pourtant, La
Pietà douloureuse de Saint-Pierre de Rome est si chrétienne, pleine de compassion, de douleur et
d’offrande à Dieu. Unique œuvre portant la signature du maître - cela est un signe - la Vierge
assise soutient le corps inanimé de son fils, disposé suivant une ligne à peu près horizontale, et
reposant sur le ventre de sa mère. L’artiste ne s’attarde pas sur l’humanité des deux
personnages ; elle est là, de facto. Il survole les blessures du Christ. A-t-on besoin d’insister sur
la trivialité de la mort ? Le caractère divin de l’œuvre est sublimé par ce geste maternel, la Vierge
représente les hommes portant le sacrifice de Dieu aux hommes en donnant son fils. Dans cette
œuvre s’interpénètrent la certitude de la résurrection de la chair - promise par la religion
chrétienne -, le pardon de Dieu aux hommes et la douceur du paradis. C’est ce que le regard de
Michel-Ange a vu, ce que sa main a traduit. Son génie fait de lui un des artistes les plus influents
de son époque. Appelé le « Divin », il réussit à faire évoluer l’art en puisant son inspiration dans
les antiques et en lui donnant une forme nouvelle toujours au service de la glorification de
l’homme. Michel-Ange jeune trouve son apogée artistique au travers d’un David géant
(4,34 m de haut) de marbre (que l’on peut voir à l’Académie de Florence). Il le dessine et le
sculpte entre 1501 et 1504. David, personnage de l’Ancien Testament, est figuré en jeune homme
nu, musclé, vaillant, portant son regard au loin jaugeant son ennemi Goliath, mais –
contrairement à la représentation traditionnelle – ne portant pas la tête tranchée de son ennemi.
Le jeune sculpteur révèle le moment de réflexion intérieure qui précède l’action violente plutôt
que de mettre en évidence l’action. Il capte l’intériorité. David devient le symbole de l’invincibilité
de la République florentine. Il sera installé sur la place de la Seigneurie, devant le Palazzo
Vecchio. Michel-Ange démontre alors à ses contemporains, artistes, mais aussi citoyens de la
République, qu’il est au-dessus du lot, le meilleur des artistes. Il ajoute à la beauté plastique
pure, une expressivité et une fantastique intériorité.
3. Le Combat des
Centaures, 1490-1492.
Marbre, 80,5 x 88 cm.
Casa Buonarroti,
Florence.
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