
Parle-leur de batailles, de rois et 
d'éléphants 
 
 
Ce roman de Mathias Enard, publié courant été 2010, 
retrace le voyage de Michel-Ange en Turquie. Il 
tangue entre fiction et réalité : en effet, certains 
événements qui y sont relatés ont réellement eu lieu 
(le voyage de Michel-Ange n'est pas pure invention), 
et les noms des personnages n'ont pas été modifiés. 
Toutefois, certains faits ne s'appuient que sur 
l'imagination de Enard. 
 
out d'abord, il est important de savoir que 
Michel-Ange  est  un  génie  italien  de  la 
Renaissance  né  en  1475  et  mort  en  1564. 
Comme bon nombre d'artistes de l'époque, il avait 
plusieurs  vocations  et  talents.  Il  est  notamment 
connu  en  tant  que  peintre  (il  a  participé  à  la 
réalisation de la décoration de la Chapelle Sixtine) 
et sculpteur (son David lui a valu sa renommée). 
Mais  il  était  également  poète  et  architecte :  c'est 
d'ailleurs  ses  talents  d'architecture  qui  sont  mis 
en relief dans ce roman. 
  En  1505,  après  avoir  sculpté  le  David, 
œuvre  considérée  comme  le  symbole  même  de 
Florence à son  apogée, Michel-Ange est appelé à 
Rome par le  Pape Jules II, ce  dernier  souhaitant 
que l'artiste florentin se penche sur la réalisation 
de  son  tombeau  pontifical.  Néanmoins,  l'homme 
colérique  et  exigeant  qu'est  le  pape  ne  cesse  de 
rabaisser Michel-Ange, et ne le paie pas : en plus 
de ne  pas  gagner d'argent, l'artiste se  voit  obligé 
de payer lui-même certaines dépenses relatives au 
chantier.  Il  fuit  donc  les  caprices  de  Jules  II,  ne 
supportant  plus  de  voir  son  talent  sous-estimé  à 
ce point. 
  Au  début  du  XVI°  siècle,  le  sultan  de 
Turquie, Bayezid II, décide de construire un pont 
enjambant la Corne d'Or (un estuaire de Turquie). 
Il a, dans un premier temps, sollicité Leonard de 
Vinci,  génie  de la Renaissance, mais  les idées  du 
l'artiste  ne  reçurent  pas  l'approbation  du 
souverain ottoman, et ce dernier eut donc recours 
à  Michel-Ange.  Le  florentin  répond  donc  à  cet 
appel, et  accepte  de  relever  le défi,  d'autant  plus 
que  de  Vinci  était  son  plus  grand  rival.  Il  voyait 
par conséquent dans cette opportunité  l'occasion 
de surpasser aux yeux du monde son concurrent, 
et de prendre sa revanche sur le pape Jules II. Le 
13  mai  1506,  l'italien  débarque  donc  à 
Constantinople,  capitale  de  l'Empire  turc,  prêt  à 
relever ce défi architectural avec brio. 
 
 
 
ichel-Ange n'était pas très beau, le front 
trop haut, le nez tordu, brisé lors d'une 
rixe de jeunesse, les sourcils trop épais, 
les  oreilles  un  peu  décollées.  Il  avait  sa  propre 
face en horreur, dit-on. On ajoute souvent que s'il 
recherchait la perfection du trait, la beauté dans 
les  visages,  c'est  que  lui-même  en  était 
totalement  dépourvu.  Seule  la  vieillesse  et  la 
célébrité  lui  donneront,  patine  sur  un  objet,  au 
départ  fort  laid,  une  aura  sans  pareille.  C'est 
peut-être  dans  cette  frustration  qu'on  pourrait 
trouver l'énergie de son art ; dans la violence de 
l'époque, dans l'humiliation des artistes, dans la 
révolte contre la nature ; dans l'appât du gain, la 
soif  inextinguible d'argent et  de gloire  qui est  le 
plus puissant des moteurs.  
 
 
L'extrait  de  ce  roman  peut-être  mis  en 
rapport  avec  la  thématique  « 
Renaissance  et  humanisme  » car on y 
décèle parfaitement l'essence-même de l'art. L'art 
apporte  à  l'homme  tout  ce  dont  il  manque : 
Michel-Ange n'est pas beau, mais ses peintures et 
dessins  lui  offrent  cette  beauté  dont  il  est 
dépourvu. L'art sert de conatus à l'être humain, il 
lui permet de toucher à la complétude, et apporte 
à l'artiste tout ce que la Nature lui refuse. 
  De  plus,  le  lecteur  comprend  que  la 
motivation d'un artiste lui vient de l'époque dans 
laquelle il vit et des événements qui ont lieu tout 
autour de lui. Il s'en inspire pour imposer son avis 
à travers des codes et subtilités que lui seul peut 
comprendre,  mais  qui  amènent  chacun  à 
interpréter  l'œuvre  à  sa  manière  si  celle-ci  n'est 
pas  assez  explicite.  C'est  une  façon  de  dénoncer 
des  pratiques  ou  faits  contre  lesquels  l'artiste 
désire s'élever : dans ce roman, il est évident que 
Michel-Ange veut que la construction du pont lui 
apporte  avant  tout  la  reconnaissance  du  Pape 
romain,  et  que  ce  dernier  cesse  d'humilier  le 
florentin. 
  Il  ne  faut  tout  de  même  pas  oublier  que 
l'art,  même  s'il  est  avant  tout  un  moyen  de 
compléter  son  imperfection  humaine  et  de  faire 
entendre  sa  voix,  est  aussi  la  seule  ressource 
pécuniaire de peintres, écrivains et sculpteurs : ils 
désirent  donc  que  leurs  œuvres  leur  rapporte  le 
succès  escompté,  et  leur  permettent  de  vivre  en 
bonne condition. 
  Cet  extrait  de  roman  reflète  donc  l'art  tel 
que  Michel-Ange  le  percevait :  on  peut  même 
deviner  que  cet  état  d'esprit  était  commun  à  la 
majorité des  artistes de la  Renaissance,  hommes 
en quête perpétuelle de perfection.