La santé, entre difficultés financières et risques de dégradation qualitative Gérard Cornilleau La réputation du système de santé français est bonne, voire très bonne à l’extérieur comme en France. Toutefois depuis quelques années des doutes apparaissent quant à la pérennité de sa qualité, l’égalité de traitement des malades, ou la possibilité de financer une dépense dont l’augmentation excède structurellement celle du revenu national. Ce chapitre propose d’évaluer la pertinence de ces débats et des pistes de réforme envisagées. Une dépense importante dont la croissance est restée modérée Parmi les pays de l’Ocde, la France se place en 2004 dans le groupe de ceux qui dépensent pour la santé de leur population environ dix points de PIB (tableau 1). Tableau 1 Dépenses totales de santé en % du PIB 2004 Etats-Unis 15.30 11.60 Suisse Allemagne 10.90 10.50 France 10.10 Belgique 10.00 Portugal 10.00 Grèce 9.90 Canada 9.70 Norvège 9.60 Autriche 9.20 Pays-Bas 9.20 Australie 9.10 Suède 8.90 Danemark Nlle-Zélande 8.40 8.40 Italie 8.30 RU 8.30 Hongrie 8.10 Espagne 8.00 Japon 7.50 Finlande 7.30 Rép. Tch. 7.10 Irlande 6.50 Pologne 5.90 Rép. Slov. 1995 Variations 2004-1995 13.30 2.00 9.70 1.90 10.30 0.60 9.40 1.10 8.20 1.90 8.20 1.80 9.60 0.40 9.20 0.70 7.90 1.80 9.70 -0.10 8.10 1.10 8.00 1.20 8.10 1.00 8.10 0.80 7.20 1.20 7.10 1.30 7.00 1.30 7.40 0.90 7.40 0.70 6.80 1.20 7.40 0.10 7.00 0.30 6.70 0.40 5.60 0.90 5.80 0.10 Source : OCDE, Eco-santé. –France 2012/OFCE– 8 pays, dont l’Allemagne, ont une dépense de santé comprise entre 9,5 et 11 %. La France est donc loin d’être une exception. D’autre part, depuis 1995, la dépense française a augmenté de 1,1 point de PIB ce qui la place cette fois tout à fait dans la moyenne (1 point pour l’OCDE). Il n’y a donc pas trace d’une « explosion » des dépenses de santé en comparaison internationale. Ce diagnostic est confirmé par l’analyse de l’évolution des dépenses par habitant sur longue période 1 . Si l’on tient compte de la contribution de la démographie (hausse de la population et vieillissement) on observe que l’écart entre le taux de croissance du PIB par tête et celui de dépense de santé par habitant, qui représente en gros la croissance autonome des dépenses (celle qui ne s’explique ni par la hausse de la richesse, ni par l’augmentation de la population et son vieillissement), est en nette diminution (graphique 1) Graphique 1 : croissance autonome des dépenses de santé 5.0% 4.0% Ecart des taux de croissance observés et calculésde la consommation de biens et services de santé par habitant, corrigée de l'effet du vieillissement ; calculé = taux de croissance du Pib par tête (décalé de 2 ans) - taux de croissance des prix relatifs 3.0% 2.0% Moyenne mobile sur 10 ans 1.0% 0.0% -1.0% -2.0% 19 71 19 72 19 73 19 74 19 75 19 76 19 77 19 78 19 79 19 80 19 81 19 82 19 83 19 84 19 85 19 86 19 87 19 88 19 89 19 90 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 -3.0% Certes, on observe en 2004 et 2005 une croissance plus vive des dépenses, mais celle-ci ne fait que compenser les réductions fortes des années quatre-vingt-dix et ne modifie donc pas la tendance longue au ralentissement de la croissance des dépenses, confirmée en 2006. 1 Voir, Gérard. Cornilleau, Cyrille. Hagneré et Bruno. Ventelou, « L’Assurance maladie : soins de court terme et traitement à long terme », Revue de l’OFCE n°91, octobre 2004. –France 2012/OFCE– Les difficultés financières de l’assurance maladie Pourtant, la question du financement des dépenses de santé, et le « trou » récurent de la Sécurité sociale, sont revenus sur le devant de la scène à partir de 2002 justifiant un nouveau plan de réforme en 2004. L’analyse détaillée des causes des problèmes financiers de l’assurance maladie montre qu’ils résultent d’un défaut permanent d’ajustement des prélèvements au niveau requis par l’équilibre de long terme du régime 2 . Ainsi en 2003 le déficit observé d’environ 0,7 point de PIB, s’expliquait pour 0,2 point par la situation conjoncturelle (le ralentissement de la croissance économique ayant freiné les recettes) et pour 0,5 point par l’insuffisance structurelle du financement (graphique 2). Graphique 2 : déficit structurel et conjoncturel de l’assurance maladie 0.4% Déficit observé Composante structurelle du déficit 0.2% Composante conjoncturelle du déficit 0.0% -0.2% -0.4% -0.6% -0.8% 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 La réforme votée en août 2004 visait d’abord le rétablissement de l’équilibre financier par la modération de l’augmentation des dépenses. Elle a apparemment produit ses effets rapidement puisque la croissance des dépenses de santé est revenue, dès 2005, à 3,9 % (2,7 % en volume) alors qu’elle avait atteint 6,4 % (3,3 en volume) en 2003 et 5.1 % (3,4 en volume) en 2004. En 2006, le ralentissement devrait se confirmer, la tendance des dépenses 2 Voir Gérard. Cornilleau, Cyrille Haigneré et Bruno Ventelou, op.cit. –France 2012/OFCE– remboursées par l’assurance maladie étant inférieure à 3 %. D’autre part, le déficit de la branche maladie de la sécurité sociale qui était de 11,6 milliards d’euros en 2004 est passé à 8 milliards en 2005 et devrait être ramené à 6 milliards en 2006. Il est tentant d’imputer aux seules mesures structurelles du plan de 2004 ces évolutions favorables. Mais l’observation de longue période des dépenses de santé et l’analyse des facteurs de réduction du déficit incitent à modérer le commentaire. Comme on l’a vu, sur longue période, les dépenses de santé augmentent plus rapidement que le PIB : de 1970 à 2000 leur part a doublé passant de 5 à 10 %. Depuis le milieu des années 1990 cette croissance a fortement ralentie, mais il subsiste une tendance à la hausse de la part des dépenses de santé dans la Pib de l’ordre de 0,1 point par an. Cette hausse résulte en partie du vieillissement de la population (environ 1 point de croissance du volume des dépenses de santé par habitant s’explique de cette manière), mais elle reflète aussi les effets du progrès des techniques médicales qui rend les soins de plus en plus coûteux. Depuis la réforme, on n’a pas observé d’inflexion significative de cette tendance. Le ralentissement de la hausse des dépenses compense l’accélération qui avait été observée à la fin des années 90 et au début des années 2000. La réduction du déficit de l’assurance maladie observée en 2005 et 2006 résulte donc essentiellement des mesures financières de la réforme de 2004. Celles-ci consistaient en une hausse de la CSG, un transfert du budget de l’État (taxe sur le tabac), une augmentation de la contribution des entreprises et un rééchelonnement du remboursement de la dette sociale. La hausse prévue des ressources de l’assurance maladie était de 4,2 milliards d’euros, répartie en 2,3 milliards d’augmentation de la CSG 3 , 0,9 milliard de contribution des entreprises (C3S) et 1 milliard de transfert de droits de tabac perçus par l’État. Du côté des dépenses, 1 milliard de remboursements a été économisé essentiellement du fait du non remboursement de 1 euro par consultation. Enfin 1,1 milliard de dépenses financières a été transféré à la CADES. Les mesures financières représentaient donc au total 6,3 milliards d’euros. La baisse du déficit de l’assurance maladie entre 2004 et 2006 devrait atteindre 5,6 milliards. 3 Inégalement répartie entre les salariés, dont le taux de CSG a été augmenté de 0,16 point (du fait de l’élargissement de l’assiette de 0,95 à 0,97 fois le salaire), les retraités (+ 0,4 point) et les revenus du capital (+ 0,7 point). Cette hausse différenciée de la CSG a défavorisé les retraités (et les titulaires de pension d’invalidité) au motif de l’harmonisation du prélèvement avec les salariés, alors que la réforme de retraites ampute déjà leur pouvoir d’achat. L’harmonisation des prélèvements des retraités et des salariés aurait dû passer par l’égalisation des taux de CSG, compensée par une augmentation des pensions. –France 2012/OFCE– La question de la réforme de l’assurance maladie est donc toujours d’actualité. Manifestement, la mesure phare de la réforme de 2004, l’organisation et la coordination du parcours de soins à partir de l’obligation de visite du médecin référent, peine à produire des effets sensibles. Du côté de l’hôpital, la mise en place du financement à l’activité en remplacement du budget global est trop récente (seuls 10 % du budget des hôpitaux avait été transféré sur la tarification à l’activité en 2004, 25 % en 2005 et 35 % en 2006) pour que l’on puisse en tirer des conclusions quant à l’impact de la réforme sur le niveau des dépenses et l’efficacité des soins. La seule évolution qui peut sembler structurelle, mais elle est très récente, concerne la consommation de médicaments qui commence à fléchir en même temps que les prescriptions de génériques se développent. Faut-il dès lors attendre que la réforme produise son plein effet ? Ou faut-il envisager une nouvelle réforme ? Celle-ci est sans doute d’autant plus nécessaire que des évolutions inquiétantes ont vu le jour avec le refus de soin de bénéficiaires de la CMU de la part d’un nombre significatif de médecins particulièrement parmi les spécialistes. La croissance apparemment non contrôlée des suppléments d’honoraires réclamés par les médecins a permis une augmentation très importante de leurs rémunérations, mais constitue aussi un frein à l’accès aux soins des plus démunis qui renforce le sentiment d’une dégradation qualitative du système de santé. Les réformes structurelles entre le possible et le souhaitable On peut classer en quatre catégories les mesures susceptibles d’être mises en œuvre : la première est relative à la définition des soins qui doivent être remboursés par l’assurance publique ; la deuxième regroupe les mesures qui peuvent influencer la demande de soins ; la troisième concerne celles qui permettraient d’améliorer l’offre et la quatrième les mesures visant à créer un système de soins intégré. –France 2012/OFCE– La question du périmètre de l’assurance santé Le critère généralement admis pour séparer les dépenses de soins ayant vocation à être remboursées par l’assurance maladie de celles qui doivent rester à la charge des patients est celui qui sépare les soins indispensables des soins de confort. Il existe déjà un « panier de soins » défini de manière implicite, qui fixe a posteriori le périmètre de l’assurance maladie. Mais cette frontière est floue et tracée en pointillés : certaines dépenses sont prises en charge à 100 %, d’autres à 60 %, d’autres à 35, d’autres encore moins (prothèses dentaires, optique, etc.). Est-il possible de rendre les contours plus nets ? Peut on envisager une restriction du périmètre des soins remboursés susceptible de générer une économie de dépenses ? Dans deux rapports de 2000 et 2001, le Haut comité de la santé publique4 a bien mis en évidence la difficulté de l’exercice et les risques d’accroissement des inégalités ou d’impact négatif sur la santé publique d’une définition trop restrictive du panier de soins et de services remboursables. En théorie, le panier remboursable doit couvrir toutes les dépenses dont l’efficacité médicale est reconnue, qui assurent l’égalité des citoyens dans l’accès à la santé ou qui concourent à l’amélioration de la santé publique. Le premier point ne devrait pas poser de problème, si ce n’est que l’efficacité est évidemment relative et qu’elle doit être appréciée concrètement en fonction des cas traités. Le deuxième critère implique que le panier de soins prenne en compte les dépenses qui concourent à maintenir les individus en bonne santé et pas seulement celles de traitement des maladies. Ceci conduit à inclure dans le panier de soins remboursables les dépenses de réparation (prothèses dentaires), de prévention ou de sevrage (produits d’aide à l’arrêt du tabac). L’argument d’égal accès à la santé (et pas seulement aux soins) incite aussi à retenir des taux de remboursement élevés, qu’ils soient partagés ou pas entre l’assureur public et les assureurs complémentaires, pourvu que l’accès à l’assurance soit garanti aux plus démunis. Il est enfin renforcé par le critère d’amélioration de la santé publique. Ce dernier critère est rationnel car la santé publique garantit la minimisation des coûts des pathologies évitables, tout en améliorant le bien-être. Il justifie, comme le deuxième argument, la prise en charge des dépenses de prévention et de dépistage. Or, en France, une partie « cachée » des coûts de la prévention est incluse dans les dépenses courantes de soins. L’IRDES a ainsi montré qu’à minima 8 % des dépenses 4 Haut Comité de la santé publique, Le panier de biens et services de santé : première approche, Éditions ENSP, Rennes, 2000 et Le panier de biens et services de santé -2, Editions ENSP, Rennes, 2001. –France 2012/OFCE– courantes de médecine de ville devraient être comptabilisés en dépenses de prévention5 . Dès lors, il devient très difficile d’exclure du panier de soins de base la plupart des dépenses courantes de soins. Trois conclusions apparaissent. En premier lieu la distinction entre petit et grand risque n’est pas pertinente et il est souhaitable de prendre en charge, dès le premier euro, avec un haut niveau de remboursement l’essentiel des dépenses de soins. Une réflexion approfondie sur le panier de soins conduit à préconiser son extension (dentaire, optique) et l’augmentation des taux de remboursement du petit risque (éventuellement par l’extension gratuite des couvertures complémentaires pour ceux qui n’en disposent pas, faute de revenus suffisants). La deuxième conclusion porte sur la nature du panier de soins, dont le contenu devrait plutôt être défini comme un ensemble de bonnes pratiques – bien remboursées – adaptée à chaque cas, plutôt que comme une collection de médicaments ou d’actes médicaux. Une évolution de ce type est difficile dans un système de médecine libérale où le libre choix du patient et du médecin implique le remboursement d’actes isolé inscrits dans une nomenclature. Pour aller dans cette direction, il faudrait une intégration de la décision de soins et de la fonction de remboursement avec par exemple la mise en place d’un système de « fundholding » à l’anglaise où le médecin, devenu « référent », gère une enveloppe financière dont le montant dépend de la pathologie traitée. Enfin, la dernière conclusion est qu’il n’existe pas de critère clair permettant de distinguer ce qui devrait relever de l’assurance publique de ce qui devrait relever de l’assurance privée complémentaire. L’objectif d’un accès égal à la santé implique la prise en charge publique, ou l’accès gratuit, au système de santé pour le plus grand nombre. De ce point de vue, que l’assureur soit public et assure directement les remboursements ou que l’assureur soit privé et que les cotisations soient prises en charge par des transferts, n’a pas beaucoup d’importance. A ceci près que la seconde solution, qui multiplie les intervenants et implique des systèmes complexes, peut être plus coûteuse que la première. Il n’y a que dans le cas d’un changement profond du système, avec la mise en place d’une intégration poussée des fonctions d’assurance et de production de soins, que la multiplicité des intervenants pourrait avoir un intérêt, car on pourrait alors bénéficier des retours d’expérience de modes d’organisation et de gestion de systèmes plus ou moins concurrents. 5 Voir Philippe Le Fur, Valérie Paris, Céline Pereira, Thomas Renaud, Catherine Sermet, « Les dépenses de prévention dans les Comptes nationaux de la santé. Une approche exploratoire », CREDES, Questions d’économie de la santé, n° 68, juillet 2003. –France 2012/OFCE– La régulation de la demande Pour l’essentiel, la régulation de la demande de soins repose sur le ticket modérateur. Le co-paiement des dépenses par l’assurance et le bénéficiaire des soins est censé inciter ce dernier à limiter sa consommation aux soins vraiment indispensables. Toutefois, la particularité de la consommation de soins impose des limites strictes à l’utilisation de cette modalité de régulation. En effet, si les patients consomment pour se maintenir ou recouvrer un bon état de santé, la nature de la consommation de soins et son montant sont déterminés par les médecins 6 . Il en résulte que les restrictions de consommation induites par le co-paiement des dépenses, peuvent ne pas être adaptées à la demande de santé des individus. En pratique, certains assurés peuvent être amenés à renoncer à des soins qui auraient été très utiles à leur santé, faute d’une information pertinente sur le lien entre la dépense qui reste à leur charge et l’avantage qu’ils pourraient retirer de cette dépense. Il est toujours délicat de fixer un ticket modérateur élevé sous peine de décourager l’accès aux soins des plus démunis et d’aggraver encore les inégalités de santé. Pour les cas les plus graves, le système français possède une porte de sortie grâce au système d’exonération du ticket modérateur pour le traitement des maladies graves. L’extension continue du champ de cette exonération limite évidemment l’efficacité financière du ticket modérateur. Une autre solution serait d’abandonner le ticket modérateur pour un système de franchise pure (non réassurable) : au lieu de laisser à la charge du patient un pourcentage des dépenses, on impose un coût fixe d’entrée dans le système de soins ; puis l’accès au panier de soins est gratuit pour le malade. Ce système est pénalisant pour les maladies bénignes fréquentes qui peuvent donner lieu à surconsommation. Mais il peut, comme toute baisse des remboursements, décourager l’accès au système de soins et constituer une désincitation à la prévention individuellement et collectivement dommageable. Une telle mesure devrait être assortie d’un effort important de prévention et d’une exonération de la franchise pour les personnes démunies. Ceci conduirait à ajouter un étage supplémentaire à l’assurance maladie. Au total, on aurait alors trois type de transferts associés à l’assurance maladie : le transfert lié à l’assurance de base (avec des cotisations proportionnelles au revenu et des prestations égalitaires) ; le transfert lié à la CMU et éventuellement à l’aide à l’achat d’une assurance complémentaire ; le transfert lié à l’exonération de la franchise sous 6 Cette distinction a été introduite par Grossman en 1972 : « On the concept of health capital and the demand for health », Journal of Political Economy, 80. –France 2012/OFCE– conditions de ressources. Une telle configuration induirait une opacité et des coûts de gestion dont l’utilité est certainement discutable. D’une manière générale, la régulation de la demande de soins constitue le volet le plus délicat de toute réforme du système de santé. La responsabilisation financière des individus peut en effet, compte tenu de l’information très imparfaite dont ils disposent sur leurs besoins réels en matière de soins, les amener à réaliser des arbitrages défavorables à leur santé, de telle manière que leurs dépenses peuvent en être augmentées à terme. Pour éviter le rationnement des soins des plus démunis, il faut en outre mettre en œuvre des dispositifs de transferts complexes et coûteux qui risquent, malgré tout, d’être insuffisants pour que l’on puisse les considérer comme totalement équitables. Le scandale du refus de soins des bénéficiaires de la CMU montre bien la difficulté d’un traitement différencié des patients en fonction de leurs revenus. En conséquence l’action sur la demande de soins est certainement la voie la moins porteuse d’économies financières et d’amélioration de la qualité des soins. La régulation de l’offre La régulation de l’offre peut d’abord reposer sur un système de paiement des services de soins favorable à l’économie de moyens et à la qualité des soins. A l’hôpital, ce rôle est joué par la « tarification à l’activité » mise en place par le plan Hôpital 2007. Ce schéma de paiement instaure un prix fixe pour la rémunération des soins dispensés dans le cadre du traitement de chaque pathologie ; il est donc strictement associé à une nomenclature des maladies, le PMSI en France 7 . Le principe de ce type de tarification consiste à placer les établissements dans une situation de concurrence fictive : La rémunération des soins dispensés résultant de l’application d’un tarif fixé à partir de la moyenne des coûts observés, les établissements ont intérêt à réaliser l’effort maximal de maîtrise des coûts 8 . Cet effort devient, en effet, indispensable au maintien de leur activité, et il leur permet d’envisager la réalisation d’un surplus et le financement d’investissements supplémentaires (en matériels ou de toute autre nature). La dynamique qui résulte de la révision des tarifs, fixés à partir de moyennes qui enregistrent progressivement les effets des efforts réalisés par chaque établissement, doit conduire à aligner, in fine, les coûts de 7 Programme de médicalisation des systèmes d’information. Ce système permet l’enregistrement statistique des soins prodigués lors des séjours hospitaliers, classés selon une nomenclature de GHM (Groupes homogènes de malades) défini à partir des pathologies traitées. 8 Voir : Dominique Henriet, « Tarification à la pathologie : enjeux et perspectives de l’expérimentation en France », Dossiers solidarité et santé, Hors série, juillet 2002 (DREES, Documentation française). –France 2012/OFCE– traitement de chaque pathologie sur les services les moins coûteux ; cette « concurrence fictive » entre les hôpitaux permet théoriquement d’améliorer l’efficacité de la production de soins tout en créant un lien entre le budget de chaque hôpital et son activité. Ceci permet d’éviter les inconvénients de la rémunération à l’acte qui incite à la multiplication des soins et ceux du budget global administré qui peut être rapidement inadapté à l’activité effective de l’hôpital. Mais ce système, largement mis en œuvre à l’étranger depuis une quinzaine d’années 9 , n’est jamais appliqué comme modalité « pure » de financement. Des surcoûts doivent être acceptés, par exemple lorsqu’un hôpital exerce une fonction de recherche ou une fonction d’aménagement du territoire (dans les zones rurales). D’autre part, on admet souvent que le tarif affecté à chaque pathologie peut être augmenté pour le traitement de certains cas très difficiles ou pour financer l’usage de moyens de traitement particulièrement coûteux. Dès lors, un risque de dérapage du système existe et on peut revenir si l’on n’y prend pas garde à un mixte de budget global administré et de financement à l’acte. L’expérience de la réforme française est trop récente pour qu’il soit possible d’en évaluer les conséquences. Sans doute faudra-t-il quelques années pour évaluer son impact sur le coût de l’hôpital et la qualité des soins qui y sont dispensés. En médecine de ville, comme à l’hôpital, le paiement à l’acte est contesté en ce qu’il incite les médecins à multiplier les actes rémunérateurs sans tenir compte de leur utilité réelle. Généralement la capitation semble s’imposer comme alternative. Le principe consiste à rémunérer forfaitairement les médecins au prorata du nombre de patients suivis. Pour cela les patients doivent « s’abonner » auprès d’un médecin « référent ». La réforme de 2005 a engagé le mouvement en liant le remboursement au choix par chaque patient d’un médecin coordonnateur. Mais l’absence de changement dans le mode de rémunération des praticiens limite l’intérêt de la mesure. C’est sans doute cette question du mode de rémunération des médecins qui devrait être au centre des débats à propos de la réforme du système des soins. La forte opposition de certains syndicats de médecins libéraux à toute évolution dans ce domaine est une difficulté politique majeure sur laquelle tous les gouvernements ont buté jusqu’à aujourd’hui. Cet obstacle pourra-t-il être levé ? Les hausses de tarifs et l’augmentation continue des dépassements d’honoraires ont permis aux médecins d’accroître leurs revenus de manière significative au cours des dernières années. Dès lors les conditions de la négociation entre les autorités publiques et les professions médicales 9 Voir les actes du colloque organisé par la DREES à Paris les 7 et 8 juin 2001 : « La tarification à la pathologie. Les leçons de l’expérience étrangère », Dossier solidarité et santé, Hors série, juillet 2002 (DREES, Documentation française). –France 2012/OFCE– sont peu favorables. L’enjeu est de convaincre les médecins qu’ils n’auraient rien à perdre à des changements de leur mode de rémunération. Cela ne peut sans doute être obtenu que par l’octroi de garanties importantes de niveau et de progression des honoraires. S’agissant des médicaments, la plupart des pays, dont la France, ont mis en place des systèmes de régulation qui visent à maîtriser les coûts. Mais l’action sur le prix moyen des traitements médicamenteux devrait buter, à terme, sur l’obstacle de la restructuration mondiale de la pharmacie. Ce marché est en effet caractérisé par l’asymétrie très forte des prix entre le marché américain, où les prix sont élevés, et les autres marchés, où les prix sont bas. La prise de conscience de cette asymétrie, qui fait implicitement supporter aux patients américains une part plus lourde de la charge de recherche développement des médicaments, a conduit les autorités américaines à faire pression pour une augmentation des prix en dehors des Etats-Unis 10 . Il n’est pas certain que les autorités américaines atteignent directement leur objectif, mais elles pourraient alors utiliser l’arme de la régulation de leur marché interne pour obtenir in fine une certaine égalisation des prix à l’échelle internationale (en autorisant, par exemple, les réimportations à partir de pays à bas prix). Il est exclu que la France puisse rester à l’écart d’un mouvement général de rééquilibrage, qui conduira vraisemblablement à une hausse des prix moyens. Dès lors, le poids de la facture du médicament ne pourra plus être contenue par la régulation des prix et le développement des génériques. Intégration des fonctions d’assurance et de production de soins La question de l’intégration de l’offre de soins et des assureurs sur le modèle du « managed care » américain n’est pas posée en France. Toutefois on peut penser que si l’assurance maladie universelle continue à réduire ses remboursements pour limiter les hausses de cotisation et si les assureurs privés et les mutuelles complémentaires voient leur part du financement des soins augmenté, cette question devrait voir le jour. Dans ce contexte, les mutuelles et les assurances privées devraient en effet logiquement faire pression pour internaliser la production des soins et mieux la contrôler. Le transfert de charge de l’assureur public vers les mutuelles et les assurances privées complémentaires n’est réellement souhaitable que sous trois conditions : i) l’accès aux assurances complémentaires pour les plus démunis doit être amélioré ; ii) il faudra être très attentif au prix et aux conditions d’entrée dans les contrats d’assurance complémentaire (risque 10 Voir : Uwe E. Reinhardt, Peter S. Hussey, and Gerard F. Anderson : « U.S. Health Care Spending In An International Context. Why is U.S. spending so high, and can we afford it ? », Health Affairs, Volume 23, Number 3, mai-juin 2004. –France 2012/OFCE– d’écrémage des hauts risques) ; iii) les complémentaires doivent devenir des acteurs de la production de soins, car dans le cas contraire (si les co-payeurs complémentaires restent passifs), le transfert de charge n’est qu’un habillage comptable sans grand intérêt. Le modèle de système de soins correspondant à cette évolution est celui des HMO (Health Maintenance Organisations) et du managed care américain, qui s’est beaucoup développé depuis la fin des années 1980. Ces réseaux de soins coordonnés s’occupent de la santé de la population adhérente moyennant le paiement d’une prime annuelle. Les prestations sont généralement 11 prépayées aux différents soignants par la HMO, sur la base du nombre de personnes à soigner (capitation). Les HMO connaissent aux Etats-Unis un vif succès public depuis une quinzaine d’année : elles soignent à des coûts plus faibles ce qui leur a permis de proposer un prime d'adhésion inférieure aux primes d'assurance santé classiques ; elles sont prônées par les économistes pour leurs propriétés de meilleur contrôle de la dépense, avec notamment la possibilité d'une mise en concurrence ex ante entre les offreurs de soins. Cette formule n'est pourtant pas indemne de critique : - on peut reprocher aux HMO leur caractère bureaucratique – la Blue Shield Blue Cross Association regroupe 15 millions d’adhérents, ce qui en fait un petit NHS à l’anglaise ; - on peut évoquer un risque – non démontré à ce jour – d'ajustement par la qualité. Les soignants retrouveraient la marge perdue dans la concurrence en réduisant la qualité ; - on peut craindre aussi un phénomène d'anti-sélection des patients présentant le plus gros risques. D’autre part, alors que l’on pouvait penser, dans les années 1990, que le développement des HMO avait permis de maîtriser la croissance des dépenses, la reprise très forte de celles-ci, observée depuis le début des années 2000 (certainement liée à la forte croissance de l’économie américaine) semble indiquer que l’intégration des soins et de l’assurance n’est pas une panacée. Un certain nombre de travaux américains montrent ainsi aujourd’hui que le morcellement du système, qui résulte du développement des HMO, a pu 11 Il est difficile de définir une HMO. Il en existe plusieurs types, avec des pratiques différentes. Certain, plutôt que la capitation, proposent d'autres accords : salariat pur et simple du médecin, ou au contraire, paiement à l'acte, mais soumis à un conventionnement préalable du médecin libéral par l'organisation. Dans ce dernier cas, on qualifie le système des initiales PPO (Prefered Provider Organisations) : l'assurance propose un réseau de soigneurs privilégiés -payés à l'acte-, le patient étant libre d'accepter ce réseau ou d'en sortir (ponctuellement) avec un surcoût à sa charge. –France 2012/OFCE– renforcer le pouvoir de marché des offreurs de soins tout en renchérissant les coûts de gestion du système 12 . L’intégration des fonctions d’assurance et de production des soins, qui représenterait une rupture de système très forte en France, n’apporte donc pas la garantie d’économies financières très importantes. Renoncer aux réformes ? Faut-il dès lors renoncer aux réformes ? Celles-ci sont sans conteste nécessaires pour corriger les insuffisances du système existant (mauvaises incitations, protocoles de soins inadaptés voire dangereux, absence de prise en compte des coûts, mauvaise répartition spatiale des ressources,...). Mais leur assigner un objectif d’économie rigoureux, comme la stabilisation de la part des dépenses de santé dans la richesse nationale, pourrait s’avérer illusoire et aller contre la volonté des citoyens, s’ils souhaitent dépenser plus pour leur santé quand leur revenu s’élève. Ceci pourrait aussi conduire à une dégradation de la qualité et au développement des inégalités. Une planification raisonnable du financement, qui passe par l’acceptation d’une hausse modérée, à moyen terme, de la part des dépenses de santé dans la consommation, fournirait sans doute un cadre plus propice à la mise en œuvre de réformes améliorant l’efficacité du système. A cet égard, il est peu vraisemblable que la réforme de 2004 conduise à une inflexion durable de la tendance de la dépense de soins. La coordination du parcours de soins par un médecin généraliste référent reste très fruste : le maintien du paiement des médecins de ville à l’acte continue à inciter à l’inflation des soins. Seul un changement du mode de rémunération des médecins, sur le principe de la capitation, pourrait, éventuellement modifier plus sensiblement les comportements. S’agissant de l’hôpital, la nouvelle tarification, en supprimant la contrainte résultant de l’affectation budgétaire a priori, peut entraîner une hausse plutôt qu’une baisse des dépenses, notamment parce que la tarification à la pathologie peut dégénérer en tarification à l’acte. Pour le médicament, les politiques qui visent la maîtrise des prescriptions et la généralisation des génériques peuvent buter à terme sur le transfert de la consommation vers les spécialités les plus coûteuses et la hausse des prix des nouveaux médicaments. 12 Voir notamment Uwe E. Reinhardt, Peter S. Hussey, and Gerard F. Anderson (op. cit.). –France 2012/OFCE– Ces limites à l’efficacité des réformes du système de santé ne signifient pas qu’il faille renoncer à sa modernisation pour en améliorer l’efficacité. On sait que celle-ci passe par une modification importante de l’exercice libéral, l’incitation au travail coordonné entre praticiens libéraux généralistes et spécialistes et praticiens hospitaliers. La conséquence de cette évolution devrait être l’introduction d’une part relativement importante de rémunération des professionnels de santé libéraux sur une base forfaitaire (capitation). Cette réforme est sans doute la plus difficile mais aussi la plus importante à mettre en œuvre. –France 2012/OFCE–