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L’onde lumineuse
RENÉ DESCARTES (1596–1650)
6.1 Nature de la lumière
6.1.1 Historique
Rayons lumineux, onde lumineuse
La propagation de la lumière en ligne droite depuis sa source jusqu’à sa réception n’est pas, contrairement à ce qu’on peut
en penser aujourd’hui, un fait connu de toute éternité. L’optique en tant que science n’apparaît qu’au moment où on cesse
de penser que des « particules lumineuses » sont émises par l’œil pour éclairer l’objet observé1.
Ce sont les physiciensarabes du moyen-âge2qui, les premiers, étudient les trajectoires des rayonslumineuxet les propriétés
des miroirs. C’est enfin avec Descartes3et Newton4qu’apparaît l’optique corpusculaire moderne.
1Ainsi, selon Platon, les couleurs sont produites par des modalités particulières de la réciproque adaptation entre l’observateur et l’objet observé. Si le
feu externe est constitué par des particules plus étendues que celles du feu visuel, le feu externe rassemble le feu visuel et produit la sensation de noir. Si
le feu externe, au contraire, comporte des particules plus petites, il en résulte l’impression de blanc. Les autres couleurs découlent de proportions diverses
et de mélanges variés.
2On citera les travaux théoriques et expérimentaux d’IBN AL-HAYTHAM, dit ALHAZEN (965-1039) en Égypte.
3Au philosophe, mathématicien et physicien français RENÉ DESCARTES (1596-1650), on attribue couramment la première loi quantitative de l’Optique,
la loi de la réfraction, contenue dans Le « discours second » de la Dioptrique, publié en 1637. Cependant, dans son ouvrage, Descartes ne parle pas
explicitement de sinus, et, pour trouver cette expression, il faut recourir au Journal de Beeckman, relatant la loi de Descartes, et à une lettre de Descartes à
Mersenne. Dans de nombreux pays, la loi de Descartes prend le nom de loi de Snell ; cette loi a en effet vraisemblablement été établie expérimentalement
vers 1620 par le néerlandais WILLEBROID SNELL VAN ROYEN (1580-1626) bien avant d’être « démontrée » et publiée par Descartes.
4Le physicien, mathématicien et philosophe anglais ISAAC NEWTON,(1642-1727) est certainement une des figures les plus marquantes de la Physique
de tous les temps. Avant de révolutionner la mécanique céleste lors de la publication des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Newton
s’est intéressé à la lumière dans un ouvrage fondateur, Optique, décrivant les phénomènes d’arc-en-ciel, les phénomènes d’interférence ainsi que des
spéculations sur la nature de la lumière, hésitant entre une conception purement corpusculaire et une théorie vibratoire de l’éther, avant d’abandonner ce
dernier point de vue.
46 Manuel de Physique
Séparément, les physiciens Huygens5et Fresnel6développent une autre théorie optique, basée sur la propagation rectiligne
des rayonslumineux dansle vide, et dans les milieuxassimilés, et qui fait l’objet del’essentiel de l’étudemenée cette année.
Dualité onde-corpuscule
Appuyé sur l’immense prestige de Newton, la description corpusculaire de la lumière décrit les rayons lumineux comme
des particules, qui se déplacent en ligne droite à très grande vitesse, sauf lors du passage d’un milieu à un autre.
Après avoir été infirmé par les expériences de Fizeau (cf. plus loin) et par sa faible capacité à décrire les phénomènes
d’interférence et de diffraction, le point de vue corpusculaire a retrouvé une actualité à partir de 1900, avec les découvertes
de Planck7et Einstein8.
Cependant, le moyen le plus simple de rendre compte de l’ensemble des propriétés présentées cette année est l’utilisation
du point de vue ondulatoire, du initialement à Huygens. Dans ce point de vue, la lumière est une onde qui se propage à une
certaine vitesse.
La nature de l’onde lumineuse et de son substrat (l’éther, le « sujet du verbe onduler») ont constituélongtemps un pointtrès
délicat de la théorie ondulatoire, jusqu’à l’identification définitive des ondes lumineuses et des ondes électromagnétiques
par Maxwell9et Hertz10.
6.1.2 Approximation scalaire
L’onde de l’approximation scalaire
Dans toute la suite, nous nous placerons dans le cadre réduit d’une approximation scalaire : l’onde lumineuse est une
certaine grandeur scalaire que nous noterons par exemple W(x,y,z,t). Dans le cas fréquent de l’étude d’une onde mono-
chromatique, nous choisirons la notation complexe :
W(x,y,z,t) = w(x,y,z)exp(iωt)(6.1)
sans nous préoccuper pour l’instant de la nature de l’amplitude complexe w(x,y,z)de l’onde lumineuse, de pulsation ω.
Une telle onde est en général, dans le vide, une solution de l’équation de d’Alembert pour la vitesse c0, équation que nous
écrirons W(x,y,z,t) = 1
c2
0
2
t2W(x,y,z,t)soit encore, pour une onde de pulsation ω,w(x,y,z) = ω2
c2
0w(x,y,z).
Ondes planes
Une onde plane étant fonction d’une seule variable cartésienne, w(x,y,z) = w(x), l’équation devient d2
dx2w(x) = ω2
c2
0w(x)
d’où w(x) = w+exp(ik0x) + wexp(ik0x), où on a posé k0=ω
c0; elle s’interprète comme la somme de deux ondes
progressives en sens inverse, puisque W(x,t) = w+exp(i(ωtk0x)) + wexp(i(ωt+k0x)).
5Le physicien et mathématicien néerlandais CHRISTIAAN HUYGENS (1629-1695), à la suite notamment d’expériences de double réfraction (dans un
matériau cristallin, le spath d’Islande), conçoit à partir de 1677 une théorie ondulatoire de la lumière. Ses conceptions seront appuyées par la mesure par
le danois OLE RÖMER (1644-1710) de la vitesse de la lumière, par observation des variations de la période des occultations des satellites de Jupiter. Outre
son explication fondamentalement correcte des lois de la réflexion et de la réfraction, Huygens est aussi l’auteur de développements pratiques en Optique,
notamment en ce qui concerne les perfectionnements du microscope qui ouvriront de nouvelles voies aux naturalistes.
6Le physicien français AUGUSTIN FRESNEL (1788-1827) réintroduisit l’hypothèse ondulatoire notamment grâce à une interprétation complète de la
diffraction. On peut ainsi considérer Fresnel comme le fondateur de l’optique moderne, surtout si on prend en compte ses travaux portant sur l’optique des
corps en mouvement et l’optique cristalline. Il est aussi l’auteur d’applications pratiques spectaculaires de l’Optique, comme l’équipement des phares en
lentille à échelons (lentilles de Fresnel).
7En 1900, le physicien allemand MAX PLANCK (1858-1947) propose une explication de la loi d’émission de lumière par des sources thermiques à
partir de la quantification de l’échange d’énergie entre le rayonnement et la matière.
8Le physicien américain d’origine allemande ALBERT EINSTEIN (1879-1955) proposa en 1905 une explication de l’effet photoélectrique en rendant
compte de tous les échanges énergétiques quantifiés d’un faisceau lumineux sous forme particulaire. L’identité particulaire des photons sera définitive-
ment établie par les expériences de ARTHUR COMPTON (1892-1962) en 1923, ouvrant la voie aux travaux de LOUIS DE BROGLIE (1892-1987) et aux
développements de la Physique quantique.
9Le physicien JAMES CLERK MAXWELL (1831-1879) est l’auteur de la théorie électromagnétique unifiée; il a prévu dès 1870 la possibilité d’ondes
électromagnétiques, et proposé leur identité avec les ondes lumineuses.
10Le physicien allemand HEINRICH HERTZ (1857-1894) démontra expérimentalement l’existence et les propriétés des ondes électromagnétiques, et
popularisa les idées de Maxwell.
L’onde lumineuse 47
Plus généralement, si une onde plane progressive monochromatique se propage dans un milieu transparent et dans une
direction qui n’est pas dans la direction définie par un des axes de coordonnées, nous la noterons :
w(x,y,z) = w0expi
~
k·~r=w0exp(i(kxx+kyy+kzz)) (6.2)
en fonction de l’amplitude w0de l’onde, et du vecteur d’onde~
k. Conformément au cas général des ondes lumineuses,
celui-ci peut encore être écrit~
k=k~eavec k=ω
vφ=2π
λ, en fonction de la vitesse de phase vφet de la longueur d’onde λ
de l’onde lumineuse dans le milieu considéré; ~eest un vecteur unitaire qui porte le nom de direction de propagation de
l’onde lumineuse. Si l’onde se propage dans le vide, on notera~
k0=k0~eavec k0=ω
c0=2π
λ0en fonction de la célérité c0
des ondes lumineuses dans le vide; celle-ci est actuellement un des fondements du système international d’unités, avec la
valeur c0=2,99792458×108m·s1.
Ondes sphériques
Si une onde lumineuse se propage dans le vide depuis un point source O, on peut la cherchersous la forme w(x,y,z) = w(r)
en coordonnées sphériques; l’expression du laplacien dans ce système mène à w=1
r2d
dr r2dw
dr =ω2
c2
0wet on en
trouve la solution en écrivant w(r) = f(r)/r, ce qui mène aisément à d2f
dr2=ω2
c2
0f, donc là encore à :
W(r,t) = w+exp(i(ωtk0r))
r+wexp(i(ωt+k0r))
r(6.3)
On parle ici d’ondes sphériques divergente depuis Oet convergente vers O, avec un facteur de variation de l’amplitude
(proportionnel à 1/r) dont on néglige en général les variations tant qu’on reste à grande distance du point O.
6.2 Propriétés de l’optique ondulatoire
6.2.1 Lois de Snell-Descartes
Géométrie des rayons réfléchi et réfracté
Lorsqu’un rayon lumineux, qui se propage en ligne droite dans un milieu homogène transparent (1), atteint une surface ou
dioptre (S)séparant le milieu (1)du milieu (2), l’énergie transportée par ce rayon lumineux incident se partage entre un
rayon réfracté, qui se propage dans le milieu (2), et un rayon réfléchi, qui repart vers le milieu (1).
Les lois géométriques qui décrivent la disposition géométrique des rayons réfracté et réfléchi peuvent s’énoncer ainsi :
PREMIÈRE LOI DE SNELL-DESCARTES
Le rayonlumineux réfléchi et le rayonlumineux réfracté se propagenttous deux dans le plan d’incidence.
Ce plan d’incidence est le plan défini par le rayon lumineux incident et par la normale ~
Nau dioptre au
point Id’incidence.
Il est possible, compte tenu de cette loi, de représenter ces trois rayons lumineux dans une même figure plane (fig. 6.1).
SECONDE LOI DE SNELL-DESCARTES DE LA RÉFLEXION
Le rayon lumineux réfléchi est symétrique du rayon incident, par rapport à la normale au dioptre au
point d’incidence.
SECONDE LOI DE SNELL-DESCARTES DE LA RÉFRACTION
Les angles formés avec la normale au dioptre au point d’incidence par le rayon lumineux incident (i1) et
par le rayon lumineux réfracté (i2) sont reliés par la relation n1sini1=n2sini2, où les indices optiques n1
et n2sont des caractéristiques des propriétés optiques des seuls milieux (1)et (2).
48 Manuel de Physique
I
~
N
~e1
~e0
1
~e2
(1) (2)
i2
i0
1
i1
FIG. 6.1 – Lois de Snell-Descartes
matériau air (1 bar, 273 K) eau verres optiques
indice optique 1,0003 1,33 1,35 à 2,00
TAB. 6.1 – Indices optiques
Indices optiques
Les lois de la réfraction font intervenir les indices optiques ndes différents milieux homogènes traversés. On remarquera
bien sûr que ces indices sont relatifs et qu’on ne peut déterminer expérimentalement que le quotient des indices de deux
milieux; de façon conventionnelle, l’indice du vide est pris égal à l’unité.
Nous indiquons (cf. tableau 6.1) les indices optiques de plusieurs matériaux transparents11, donnés (puisque tous ces maté-
riaux sont dispersifs12) pour la longueur d’onde de la raie jaune D —en réalité, le doublet de raies jaunes— émise par les
vapeurs de Sodium (λ0=589,3 nm).
6.2.2 Interprétation ondulatoire
Ondes incidente, réfléchie, réfractée
Reprenons l’étude de la réflexion et de la réfraction des ondes lumineuses, en remplaçant localement le dioptre par son plan
tangent Oxy, le vecteur unitaire normal ~
Nétant alors confondu avec la direction~ezde l’axe Oz (cf. fig. 6.2).
On peut alors a priori expliciter l’onde incidente sous forme d’une onde plane progressive monochromatique de pulsation
ωet de vecteur d’onde k1,W1(x,y,z,t) = w01 exp(iωt)exp(ik1(zcosi1+xsini1)) tandis qu’on cherchera les ondes réflé-
chie et réfractée sous la forme d’ondes planes, dont on doit déterminer la pulsation et le vecteur d’onde, W0
1(x,y,z,t) =
w0
01 expiω0texpi
~
k0·~ret W2(x,y,z,t) = w02 expiω00texpi
~
k00 ·~r.
Relation de passage
On rend compte des lois de Snell-Descartes en admettant qu’il existe une grandeur liée linéairement à l’onde lumineuse,
conservée lors du passage d’un milieu à l’autre. On peut ainsi écrire cette loi de conservation, de part et d’autre de la
surface z=0 du dioptre, sous la forme α1W1(x,y,0,t) +W0
1(x,y,0,t)=α2W2(x,y,0,t). Cette relation devant être valable
pour tous x,yet t, elle impose ω=ω0=ω00.
11La dénomination de verre optique utilisée ci-dessus décrit en fait de nombreux matériaux. Les verres ordinaires (dits verres crown en optique) sont
essentiellement constitués de Silice SiO2(70%) et d’oxydes de Sodium (Na2O, 15%) et de Calcium (CaO, 10%). Le remplacement de l’oxyde de calcium
CaO par de l’oxyde de Plomb PbO rend le verre plus brillant et le transforme en flint, qualifié improprement de cristal pour la verrerie ; tous les verres
sont des matériaux amorphes, c’est-à-dire sans structure cristalline.
On utilise aussi (notamment pour la chimie et pour obtenir des verres optiques à faible indice mais à forte dispersion) des verres borosilicatés (avec
adjonction d’oxyde de Bore B2O3comme le Pyrex).
12On a déjà eu l’occasion de définir le phénomène de dispersion des ondes par la dépendance de la vitesse de propagation avec la fréquence du signal;
comme on verra ultérieurement le lien entre indice optique et vitesse de propagation, la dispersion de la lumière se manifeste ici par une variation de
l’indice n(λ0)avec la longueur d’onde λ0.
L’onde lumineuse 49
z
x
O
~
k1
~
k0
1
~
k2
(1) (2)
i2
i0
1
i1
FIG. 6.2 – Réfraction et réflexion des ondes
CONSERVATION DE LA FRÉQUENCE
A la suite d’un nombre quelconque de réflexions ou de réfractions, la fréquence des ondes lumineuse est
inchangée.
On en déduit encore k0
1y=k2y=0 et k0
1x=k2x=k1sini1; la première égalité traduit la première loi de Snell-Descartes;
la seconde peut encore s’écrire i0
1=i1et n1sini1=n2sini2à condition d’affirmer que l’indice optique nd’un milieu est
proportionnel au vecteur d’onde k=ω
vφde l’onde lumineusedans ce milieu. Compte tenu de la conservation de la fréquence
et du choix conventionnel n=1 pour le vide avec vφ=c0, on a donc n=c0
vφ.
Indice et vitesse de la lumière
La mesure directe de la vitesse de la lumière dans divers milieux dont on connaît par ailleurs les indices optiques a donc
constitué une vérification expérimentale de la théorie ondulatoire de la lumière. Cette mesure a notamment été entreprise
par Fizeau13 Appliquant ses méthodes à la mesure de la vitesse dans un milieu en mouvement (l’eau), il y vérifie la loi de
composition des vitesses et montre que la vitesse de la lumière dans l’eau est bien inférieure à celle de la lumière dans l’air,
invalidant définitivement la théorie corpusculaire de la lumière.
INDICE OPTIQUE
L’indice optique d’un milieu donné est inversement proportionnel à la vitesse de phase de l’onde lumi-
neuse dans ce milieu, vφ=c0
n.
On peut encore écrire le vecteur d’onde dans un milieu donné sous la forme k=nk0, ce qui permet encore de remarquer
que la longueur d’onde de la lumière dépend du matériau traversé sous la forme λ=λ0
n.
Réfraction limite, réflexion totale
Considérons le cas particulier où n2<n1; l’équation sini2=n1
n2sini1n’a alors pas de solution pour i1>iloù l’angle limite
ilvérifie la relation :
sinil=n2
n1(6.4)
13Le physicien français ARMAND FIZEAU (1819-1896), professeur à l’école polytechnique, est le premier à mesurer la vitesse de la lumière sans
faire appel aux observations astronomiques, en 1849; sa méthode est basée sur l’emploi d’une roue dentée tournant à grande vitesse pour fabriquer des
impulsions brèves, ce qui lui permet d’utiliser une distance assez courte (celle séparant le belvédère de sa maison de Suresnes et la fenêtre d’une maison
de Montmartre : 8 km). Fizeau élabore aussi une théorie de l’effet Doppler (cf. plus bas) et utilise cet effet pour mesurer les vitesses radiales des étoiles.
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