Chapitre 51
Coloscopie virtuelle
S. FICARELLI et F. PILLEUL
Le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fré-
quent après celui du sein et de la prostate, et la deuxième cause de
mortalité par cancer après celui du poumon. Compte tenu de ces
données épidémiologiques, le dépistage du cancer colorectal est
devenu un enjeu de santé publique, fondé sur la coloscopie, examen
de référence pour détecter les lésions cancéreuses et précancéreuses
de la paroi colique. Toutefois, depuis une quinzaine d’années, la
coloscopie virtuelle est apparue et s’annonce comme une technique
de plus en plus performante pour l’exploration du côlon.
Lorsqu’elle est réalisée par des équipes entraînées, la coloscopie
virtuelle présente de bons taux de détection des polypes coliques.
Cette méthode requiert des techniques de réalisation précises et la
maîtrise d’une sémiologie propre, qui justifient une formation adap-
tée à la fois des radiologues et des manipulateurs. Même si ses indi-
cations sont encore assez restreintes, son coût et son caractère peu
invasif la présentent comme une alternative valable dans la stratégie
de dépistage du cancer colorectal.
RADIO-ANATOMIE [1]
La vue endoluminale du côlon sur les reconstructions 3D d’un
examen de coloscopie virtuelle est tout à fait comparable à l’aspect
observé lors d’une coloscopie optique. Ainsi les haustrations coli-
ques séparées par des sillons transversaux de même que les bande-
lettes musculaires longitudinales (tæniæ coli) qui parcourent le
côlon sont-elles facilement identifiables.
Les différents segments coliques, présentant chacun des particu-
larités anatomiques, sont également reconnaissables. Le cæcum
correspond à un cul-de-sac d’aspect assez large et est le siège de
l’orifice appendiculaire (Figure 51-1) qui se présente sous la forme
d’une petite fossette située au point de convergence des trois ban-
delettes longitudinales, quelques centimètres sous l’orifice iléocæ-
cal. Ce dernier est fermé par la valvule de Bauhin dont l’apparence
est variable, de forme proéminente dite papillaire ou plus plane,
avec une petite dépression centrale de forme alors dite labiale
(Figures 51-2 et 51-3). Le côlon ascendant est large et triangulaire
avec moins d’une dizaine d’haustrations. La lumière du côlon trans-
verse apparaît encore plus nettement triangulaire avec de nombreu-
ses haustrations (Figure 51-4). La forme du côlon descendant rap-
Figure 51-1 Orifice appendiculaire situé à proximité de la val-
vule (de forme assez plane).
840 TUBE DIGESTIF
pelle celle d’un tube cylindrique avec des bosselures et des sillons
peu marqués. Enfin, le côlon sigmoïde se caractérise par sa forme
nettement circulaire, sans haustration (Figure 51-5).
La forme du cadre colique est toutefois variable selon le degré
d’insufflation et la position du patient au cours de l’examen, les
segments mobiles et notamment le sigmoïde pouvant se déplacer
entre les acquisitions en décubitus et procubitus.
La longueur totale du côlon varie habituellement de 1,45 à
1,65 m, mais peut être supérieure dans le cas du dolichocôlon.
TECHNIQUE
PRÉPARATION COLIQUE
La préparation est indispensable pour réaliser un examen de qua-
lité, et l’obtention d’un côlon propre facilite la distension gazeuse
du cadre colique.
Figure 51-2 Valvule de Bauhin de forme labiale.
Figure 51-3 Valvule de Bauhin de forme papillaire. a) Vue 3D.
b) Vue 2D témoignant de l’absence d’épaississement suspect de cette
valvule.
Fig. 51-3a
Fig. 51-3b
Figure 51-4 Anatomie normale du côlon transverse.
Figure 51-5 Anatomie normale du côlon sigmoïde.
COLOSCOPIE VIRTUELLE 841
Les patients doivent suivre certaines règles durant les 48 heures
précédant la TDM, tout en conservant une activité normale. Dès
l’avant-veille de l’examen, il est recommandé de suivre un régime
pauvre en résidus (sans graisse, sans fruits et légumes), puis la
veille au soir une diète liquide. La préparation médicamenteuse se
fait à l’aide de laxatifs osmotiques et stimulants à type de phosphate
de sodium sous forme de solution buvable à diluer, associés à des
comprimés de bisacodyl.
L’administration de produits de contraste, qui vont se mélanger
aux selles résiduelles, permet de distinguer celles-ci de vrais poly-
pes. Ce tagging se fait à l’aide de baryte fluide pour le marquage
des selles solides et de produit iodé hydrosoluble pour le marquage
des résidus liquides.
Le jour de l’examen, la préparation se termine par un supposi-
toire de bisacodyl une heure avant la TDM.
RÉALISATION DE L’EXAMEN
Le contraste spontané entre le gaz (air, ou, de préférence, CO2)
et la paroi colique est suffisant pour obtenir une bonne analyse
pariétale du côlon, l’injection de produit de contraste iodé n’est
donc pas utile pour réaliser une coloscopie virtuelle.
Avant d’installer le patient dans le scanner, il est souhaitable de
lui administrer un antispasmodique per os afin de réduire les spas-
mes et les douleurs.
L’examen débute par la mise en place d’une sonde rectale à bal-
lonnet reliée par une tubulure à un insufflateur automatique de CO2
ou à une poire manuelle d’insufflation d’air qui permet de distendre
le cadre colique. La qualité de cette distension gazeuse est contrôlée
par topogramme (Figure 51-6) avant d’effectuer l’acquisition tomo-
densitométrique sur l’abdomen et le pelvis. Cette opération (topo-
gramme et acquisition) est réalisée en décubitus, puis en procubitus.
L’utilisation d’un insufflateur automatique de CO2 apporte du
confort au patient (absorption rapide du CO2 par la muqueuse coli-
que) et une meilleure sécurité en contrôlant la pression du gaz insuf-
flé. Lors d’une insufflation manuelle, seules les douleurs du patient
guident l’opérateur quant à la quantité d’air à administrer.
La durée de l’examen est courte, avec un temps « sur table »
n’excédant généralement pas 10 minutes.
Certains paramètres d’acquisition tels que la collimation et le
pitch conditionnent la sensibilité de détection des polypes [2] ;
selon la Société européenne de radiologie gastro-intestinale et abdo-
minale (ESGAR) [3], il est donc recommandé d’utiliser une colli-
mation inférieure à 3 mm.
INTERPRÉTATION
Lecture
L’interprétation repose sur l’analyse complémentaire des ima-
ges 2D et 3D, ce qui permet d’améliorer la sensibilité de l’exa-
men [4, 5]. Le choix de débuter par l’une ou l’autre de ces ana-
lyses appartient au lecteur selon son habitude ; l’approche
première en 3D semble toutefois la plus adaptée [6]. L’explora-
tion débute généralement par l’examen du rectum et se poursuit
par un cheminement dans la lumière colique jusqu’au bas fond
cæcal. Dans un second temps, une analyse par un cheminement
dans le sens inverse doit également être réalisée afin d’explorer
avec certitude la totalité de la paroi, notamment de part et d’autre
des haustrations coliques. La difficulté à regarder derrière les
haustrations lors de la visualisation tridimensionnelle, inconvé-
nient commun à la coloscopie optique, peut également être pal-
liée par de nouvelles méthodes de visualisation comme la projec-
tion de cube déplié [6] et les expositions de dissection virtuelle
[7, 8] (Figure 51-7).
Lorsqu’une anomalie est détectée en 3D, celle-ci doit toujours
être analysée sur les vues MPR en 2D pour être caractérisée de
façon fiable.
Une attention particulière doit être apportée aux zones mal
déplissées par l’insufflation et à celles présentant des résidus
notamment liquides (Figure 51-8).
L’exploration extracolique de la cavité abdominopelvienne,
même limitée par l’absence d’injection iodée, fait partie de l’inter-
prétation, permettant ainsi le dépistage d’autres pathologies.
Outils d’aide au diagnostic
Les systèmes de détection appelés CAD (computer aided diagno-
sis) sont des outils permettant une sélection automatique des ano-
malies compatibles avec des polypes. Leur mode d’utilisation (en
« premier lecteur » ou « deuxième lecteur ») et leur validité ne sont
pas clairement établis, ces systèmes restent toutefois susceptibles
d’optimiser le temps d’interprétation des lecteurs entraînés et
d’améliorer la performance des lecteurs peu expérimentés.
Formation médicale
Dans la perspective d’une intégration future de la coloscopie vir-
tuelle dans la stratégie de dépistage du cancer colorectal, il apparaît
nécessaire de garantir l’efficacité diagnostique et la reproductibilité
de cet examen ; cela implique, entre autres, une formation adaptée
Figure 51-6 Topogramme en décubitus. Distension gazeuse satis-
faisante du cadre colique. Figure 51-7 Vue endoluminale de type dissection virtuelle.
842 TUBE DIGESTIF
des radiologues, qui doit comporter un apprentissage à la fois théo-
rique et pratique (entraînement préalable sur un nombre minimal de
cas cliniques).
INDICATIONS
PLACE DE LA COLOSCOPIE VIRTUELLE DANS LE DÉPISTAGE
DU CANCER COLORECTAL
La place de la coloscopie virtuelle dans le cadre du dépistage du
colorectal est encore assez limitée car les indications actuellement
admises par la Haute Autorité de santé (HAS) [9] sont réduites aux
cas de coloscopie incomplète (liés à la tortuosité du côlon ou à la
présence d’une tumeur infranchissable) et aux contre-indications de
l’endoscopie digestive basse.
En revanche, si après une information complète, une personne à
risque de cancer colorectal refuse la coloscopie optique, il semble
licite de lui proposer une alternative performante qu’elle pourrait
accepter, telle que la coloscopie virtuelle. Il est alors nécessaire
d’informer clairement la personne sur cet examen et notamment sur
la possibilité de devoir le compléter par une résection endoscopique
si des polypes sont diagnostiqués et sur la supériorité de la colo-
scopie conventionnelle pour la détection des lésions planes.
La coloscopie virtuelle peut être réalisée chez l’adulte à tout âge ;
toutefois, chez les personnes âgées, notamment au-delà de 75 ans,
il peut s’avérer difficile d’obtenir un côlon propre avec les prépara-
tions habituelles. Des alternatives telles que le coloscanner à l’eau
peuvent alors être envisagées.
La coloscopie virtuelle est contre-indiquée chez les patients pré-
sentant une suspicion de perforation colique ou une maladie colique
sévère (sigmoïdite diverticulaire, mégacôlon toxique, colite infec-
tieuse sévère), chez les patients ne pouvant supporter la préparation
colique (déséquilibre hydro-électrolytique majeur, par exemple) ou
médicalement instables ainsi que chez les patients ayant bénéficié
d’une chirurgie colorectale récente.
Le coloscanner n’a pas sa place dans l’exploration des maladies
inflammatoires, telles que la rectocolite ulcérohémorragique et la
maladie de Crohn.
PERFORMANCES DE LA COLOSCOPIE VIRTUELLE
La multiplicité des facteurs qui conditionnent cet examen (types
de préparation du patient, d’acquisition des images et de lecture)
rend complexe l’évaluation des performances diagnostiques de la
méthode. Les résultats publiés sont très hétérogènes, les valeurs de
sensibilité pouvant varier de 55 à 94 p. 100 pour les lésions supé-
rieures à 10 mm et de 39 à 89 p. 100 pour celles de 6 à 10 mm [10,
11]. Malgré l’hétérogénéité notoire des résultats [12], une méta-
analyse fondée sur une trentaine d’études met en évidence une per-
formance globalement raisonnable de la technique, avec une sensi-
bilité par patient évaluée à 82 p. 100 pour les lésions de plus de
10 mm et 63 p. 100 pour celles de 6 à 10 mm [13]. Les études les
plus récentes avancent des résultats encore meilleurs, une sensibi-
lité à 90 p. 100 et une spécificité à 86 p. 100 [14].
PATHOLOGIE
DIVERTICULES
Les diverticules sont les anomalies de la paroi colique les plus
fréquemment observées, ils correspondent à des hernies de la
muqueuse et de la sous-muqueuse à travers la musculeuse colique
et se présentent en imagerie 3D sous forme de petites déhiscences
arrondies dans la paroi (Figure 51-9). Il est parfois difficile de dif-
férencier une image de déhiscence d’une surélévation polypoïde sur
les vues endoscopiques, et l’analyse en 2D permet alors de faire
Figure 51-8 Polype de 7 mm
du côlon droit, baignant
dans un résidu liquide mar-
qué au produit de con-
traste. Le polype apparaît en
négatif sur la vue MPR (a) et
est mal visible en 3D (b) (flè-
che).
Fig. 51-8a Fig. 51-8b
Figure 51-9 Vue 3D de diverticules coliques.
COLOSCOPIE VIRTUELLE 843
cette distinction. En 3D, la visibilité de la base de la lésion arrondie
sur toute sa circonférence oriente également vers un diverticule ; les
limites d’un polype sont au contraire souvent incomplètes.
POLYPES
Anatomopathologie
Pour l’anatomopathologiste, le terme de polype est un terme
macroscopique qui désigne toute lésion en relief sur la muqueuse
digestive. Les polypes se distinguent par leur nature épithéliale ou
non épithéliale. Les polypes épithéliaux (Tableau 51-I) incluent les
adénomes, les polypes hamartomateux et les polypes hyperplasiques.
La détection des adénomes est fondamentale, car ils correspon-
dent à des lésions dysplasiques susceptibles d’évoluer vers
d’authentiques tumeurs invasives ; c’est ce qu’on appelle la
séquence « adénome-adénocarcinome ». Il est estimé que 60 à
80 p. 100 des cancers colorectaux se développent à partir d’un
polype adénomateux [15]. Ce risque de transformation maligne est
déterminé par le degré de dysplasie, l’architecture (Tableau 51-II),
la taille et la durée d’évolution de l’adénome. Les adénomes villeux
sont ceux qui présentent le plus fort risque de dégénérescence. En
moyenne, la transformation d’un adénome en adénocarcinome
s’effectue en une dizaine d’années.
Le mode d’implantation sur la paroi, sessile ou pédiculé, n’influe
pas sur une potentielle transformation maligne. Les adénomes plans
constituent une entité à part, présentant un risque important de
transformation maligne (même si leur architecture est toujours
tubuleuse).
Les polypes hamartomateux peuvent être isolés ou s’intégrer
dans le cadre d’une polypose ; ils sont susceptibles de présenter des
lésions de dysplasie, et leur existence est associée à un risque accru
de cancer colorectal.
Les polypes hyperplasiques sont sessiles, souvent multiples, de
petite taille, et se localisent préférentiellement dans le rectum. Ces
lésions ne présentent aucun risque de transformation maligne.
Sémiologie radiologique
Le diagnostic positif de polype repose sur l’analyse de la densité,
de la forme et de la mobilité de l’anomalie décelée.
La densité d’un polype est tissulaire, mais il est parfois difficile
de faire une mesure précise de la densité sur des lésions de petite
taille et c’est donc surtout la mise en évidence du caractère très
homogène de la lésion polypoïde qui oriente le diagnostic. Les
polypes ne sont bien sûr pas marqués par les produits de contraste
utilisés pour le tagging des selles ; cependant, il ne faut pas mécon-
naître un authentique polype tapissé par de la baryte.
La forme des polypes varie selon leur caractère sessile ou pédiculé
(Figure 51-10), mais leurs contours sont toujours réguliers, harmo-
nieux et bien définis. Leur forme, globalement arrondie ou ovalaire,
peut légèrement se modifier (en particulier lorsque le polype est
pédiculé) entre les acquisitions en décubitus et procubitus selon que
le polype pend dans la lumière ou est tassé sur lui-même en position
déclive (Figure 51-11). Les polypes plans, correspondant à des suré-
lévations plus larges que hautes, sont difficiles à détecter.
Par définition, un polype est fixé à la paroi et n’est donc pas
mobile, il est donc important de vérifier sa fixité en comparant les
deux acquisitions et en situant exactement l’anomalie sur la paroi
(repérage du polype sur les vues MPR en procubitus et décubitus et
analyse sur les vues 3D de sa position précise en s’aidant de l’envi-
ronnement, notamment des haustrations adjacentes ou d’une ano-
malie de voisinage telle qu’un diverticule). Ce repérage sur la paroi
permet de s’affranchir des variations de position des segments coli-
ques mobiles qui peuvent prêter à confusion. Seuls les polypes
pédiculés qui présentent un pied très long constituent une excep-
tion, devenant alors potentiellement mobiles.
Tableau 51-I Classification des polypes épithéliaux.
Polypes épithéliaux néoplasiques
Adénomes
Polypes épithéliaux non néoplasiques
Polypes hamartomateux
– polypes juvéniles
polypes de Peutz-Jeghers
Polypes hyperplasiques
Tableau 51-II Caractéristiques des adénomes.
Mode d’implantation
Sessile
Pédiculé
Plan
Architecture (1)
Tubuleux (80 p. 100)
Villeux (5 p. 100)
Tubulovilleux (15 p. 100)
Degré de dysplasie (1)
Bas grade
Haut grade
(1) Caractéristiques jouant un rôle dans le risque de dégénérescence.
Figure 51-10 Polype pédiculé.
Polype de forme ovalaire aux
contours bien définis en vue endo-
luminale (a) et de densité tissu-
laire en vue MPR (b).
Fig. 51-10a Fig. 51-10b
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