La seule représentation d’ŒDIPE ROI qui ait
eu lieu du temps de SOPHOCLE est
impossible à imaginer. Il ne reste que le
texte de la tragédie. Pourtant nous savons
qu’avant SOPHOCLE, de nombreux
dramaturges avaient abordé le mythe
d’ŒDIPE. Dans l’antiquité, les
représentations théâtrales ouvertes à un
large public avaient lieu lors de grandes
fêtes dionysiaques. Nous savons aussi que
SOPHOCLE était un homme politique.
Comment ne pas être renversés par la
liberté avec laquelle il aborde des sujets
aussi délicats que celui de l’inceste, Tous les
maux de l’humanité se trouvent concentrés
à travers la figure d’un seul homme devenu
parricide, incestueux, malgré lui.
Œdipe roi, c’est le procès d’un homme,
érigé en héros, au sommet de la hiérarchie
de la société, qui tombe au plus bas pour
des sordides affaires de mœurs. C’est sans
doute le procès d’une humanité qui doit
faire face à de multiples calamités, la guerre,
la maladie, et la folie qui guette chaque
citoyen dès lors qu’il s’affranchit des lois
créées par la société pour garantir un ordre
souverain, celui de l’état, celui du peuple, la
démocratie puisque ne l’oublions pas
Sophocle était démocrate.
Avec nos lanternes modernes, comment
s’empêcher de penser qu’ŒDIPE après tout
n’est pas coupable d’avoir tué son père et
d’avoir couché avec sa mère. Il ne savait
pas. Là où le bât blesse c’est qu’il ait
cherché à savoir et que du coup, il ait
découvert la terrifiante vérité. Face à Créon
qui représente l’ordre et le chœur, la vox
populi qui réclame la tranquillité, Œdipe
représente l’excès qu’il faut bannir. Faut-il
conclure que Sophocle prêche pour le savoir
en dépit des catastrophes que peuvent
entrainer les déclarations de vérité. Pour un
crime révélé au public, combien d’autres
passés sous silence parce qu’il ne faut pas
troubler l’ordre public dont la responsabilité
incombe aux politiques, aux gouvernants.
Sophocle confronte deux consciences, la
politique et l’individuelle comme si l’homme
se trouvait toujours au bord du précipice et
qu’il ne contrôlait pas sa condition d’homme
mortel, vulnérable, inconscient, qu’il était
capable du meilleur et du pire.
Il y a même une scène de western dans la
tragédie d’ŒDIPE ROI, celle où l’on imagine
Œdipe aveuglé par la colère et le sentiment
de sa force, en train de tuer le faible vieillard
Laïos. Pour Œdipe, Laïos n’était qu’un
misérable, un obstacle sur son chemin et ne
prend une valeur humaine que lorsqu’il revêt
la figure du père.
Somme toute, Œdipe est un monstre, un
criminel de guerre, et tout héros qu’il soit,
également un pauvre type. Freud disait qu’il
y avait de l’Œdipe chez tout homme.
A la recherche de son identité, ŒDIPE part
à la conquête de lui-même c’est-à-dire d’une
conscience qui refuse de refouler l’horreur
qu’il éprouve pour lui-même et ne trouve
aucune excuse. Œdipe ne se suicide pas, il
entend vivre avec la conscience de ses
crimes.
A vrai dire, depuis la nuit des temps, ŒDIPE
vient hanter nos cauchemars. La mise en
scène d’Antoine CAUBET se distingue pas sa
sobriété. Il semblerait qu’il ait laissé toute
liberté aux interprètes d’arriver sur scène
avec leurs propres habits qui sont aussi ceux
des spectateurs. Mais il y a des spectateurs
qui n’ont pas envie de s’identifier à
l’ordinaire, au banal, parce qu’ils en soupent
assez au métro, tous les jours, et qu’ils ont
envie de rêver et de se défouler au théâtre.
D’autres seront ravis de pouvoir raccorder
leur présent à une histoire mythique qui fait
déborder des vases qui ne désemplissent
pas. En tant que comédien Antoine CAUBET
incarne superbement Créon sur scène, de
sorte qu’il fait un peu de l’ombre aux autres
interprètes plus modestes. Pierre BAUX est
un Œdipe ténébreux, rigide, qui devient
véritablement sympathique qu’à la fin
lorsqu’il tombe, broyé par la fatalité.
Au demeurant, la mise en scène
respectueuse du texte, laisse suinter
l’humanité de SOPHOCLE comme à travers
un suaire vivant et brillant qui brûle sur
l’instant mais ne disparait pas.
Evelyne Trân
16 novembre 2013