Dossier
du
CNHIM,
2011,
XXXII, 5-6
: Dabigatran, Rivaroxaban, Apixaban
Traitement anticoagulant : une nouvelle ère s’ouvre
Les antivitamines K sont utilisées depuis plus d’un
demi-siècle comme anticoagulants oraux de référence
dans toutes les pathologies où la thrombose joue un rôle
majeur : maladie thromboembolique veineuse, fibrilla-
tion auriculaire, valvulopathies et accidents vasculaires
cérébraux. Leurs inconvénients majeurs sont un faible
rapport bénéfice/risque et de nombreuses interactions
avec les médicaments et l’alimentation. Ceci explique
que même dans les études randomisées les plus récen-
tes, le temps passé par le malade où l’antivitamine K est
dans la zone thérapeutique, n’excède jamais plus de
65%.
Autrement dit, pendant près de 40% du temps le ma-
lade traité est soit insuffisamment anticoagulé et court
alors un risque de thrombose, soit trop anticoagulé et
peut alors craindre un accident hémorragique. Pour ces
raisons une surveillance thérapeutique de l’INR est né-
cessaire, mais celle-ci est consommatrice de ressources
économiques non négligeables et de temps médical et
paramédical important.
Les anticoagulants oraux sont prescrits dans notre pays
chez environ 1% de la population et sont responsables
d’environ 17 000 accidents iatrogènes.
Les héparines de bas poids moléculaire ont consti-
tué un progrès sensible durant les 3 dernières décen-
nies, mais la nécessité de l’injection sous-cutanée rend
leur utilisation au long cours difficile et inconfortable.
Les firmes pharmaceutiques ont développé depuis une
quinzaine d’années de nouveaux anticoagulants,
actifs par voie orale ; ce sont des molécules de petite
taille qui inhibent directement soit le facteur X activé soit
la thrombine.
Les premières – inhibitrices du facteur Xa - ont une dé-
nomination commune internationale qui se termine par
‘xaban’ (comme le rivaroxaban, l’apixaban, le darexa-
ban, l’otamixaban, l’edoxaban…), alors que les secondes
- inhibitrices de la thrombine - se terminent par ‘gatran’
(comme le dabigatran, flovagatran...). Comme les gran-
des classes thérapeutiques utilisées en cardiologie, cha-
cune de ces deux classes est composée de plusieurs
substances actives ayant le même mode d’action, avec
peut-être pour certaines, des développements à prévoir
dans des niches thérapeutiques spécifiques.
Il faudra pour ces raisons, que les médecins se familiari-
sent avec des schémas posologiques différents selon les
indications et les médicaments utilisés. De plus, il va
falloir développer une nouvelle conception de
l’éducation thérapeutique des malades. Il faudra
moins les éduquer sur l’équilibre du traitement que sur
la nécessité de ne pas arrêter un traitement qui devient
aussi simple à utiliser qu’une statine ou un antihyperten-
seur. L’enseignement de l’observance thérapeutique
devra faire partie intégrante de la prescription de ces
médicaments, et de leur dispensation, au risque de voir
survenir des récidives potentiellement mortelles, par
exemple dans les mois suivants leur prescription pour
une thrombose veineuse ou une embolie pulmonaire.
Les grandes études dont nous disposons déjà dans
la maladie thromboembolique veineuse (Recover, Eins-
tein DVT, Einstein Extension, Resonate, Remedy) et la
fibrillation auriculaire (Rely, Rocket AF, Aristotle) mon-
trent d’ores et déjà l’excellente tolérance du Dabigatran,
du Rivaroxaban et de l’Apixaban et une efficacité au
minimum non inférieure aux antivitamines K (soulignons
que ces médicaments sont déjà disponibles en prophy-
laxie après chirurgie orthopédique).
Il faut espérer que de bonnes études de phase IV per-
mettront de montrer un avantage plus important dans la
vraie vie en raison d’une moindre iatrogénie, mais cela
reste à démontrer.
Le surcoût immédiat de ces médicaments devrait éga-
lement être vite compensé par l’absence de nécessité de
surveillance biologique, et sans doute par la diminution
des durées d’hospitalisation. Cette diminution attendue
est liée à l’absence de nécessité d’un relais par héparine
de bas poids moléculaire à l’introduction des anticoagu-
lants, ou de réaliser une fenêtre thérapeutique pour un
geste invasif.
Pour l’ensemble de ces raisons nous sommes con-
vaincus que pour les futures générations de médecins,
les antivitamines K d’aujourd’hui vont être progressive-
ment mises aux oubliettes en pathologie humaine pour
ne garder peut-être que leur vocation première de dro-
gues utilisées pour la dératisation. Cet article de Dossier
du CNHIM, extrêmement complet et documenté, fait un
point critique de grande qualité sur le bénéfice/risque de
ces médicaments. Cette ère des nouveaux anticoagu-
lants est maintenant une réalité clinique.
Pr Joseph Emmerich
Service de Médecine Vasculaire-HTA et INSERM U765
Hôpital Européen Georges Pompidou
Antithrombotiques oraux :
Dabigatran, Rivaroxaban, Apixaban