LE SECTEUR PUBLIC : LA NORMALISATION COMPTABLE A L’EPREUVE DE LA CRISE CONFERENCE – DEBAT 28 septembre 2010 NOTE DE PRESENTATION Le Club comptable des juridictions financières, partenaire de FONDAFIP, a organisé cette conférence-débat le 28 septembre 2010 à la Cour des comptes. L’objectif était de faire le point sur les évolutions intervenues en matière de normalisation comptable au plan international, européen et national, les inflexions voire les remises en cause découlant de la crise financière et économique, et les actions à mener, spécialement par les acteurs français. Des personnalités responsables du secteur privé comme du secteur public ont été appelés à s’exprimer, à l’invitation de Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des comptes et de Bernard ZUBER, Président du Club comptable. Le compte rendu qui suit donne une synthèse des exposés et des débats, dont les termes ont été validés par les principaux intervenants. Dans les Remarques finales et propositions d’action le Président du Club comptable des juridictions financières propose une synthèse des actions méritant d’être menées à la fois : - pour hâter l’élaboration et la mise en œuvre de cadres conceptuels adaptés à la nouvelle donne post-crise tant pour le secteur public que pour le secteur privé ; - pour utiliser à bon escient les marges de manœuvre qui sont laissées aux Etats pour adapter les normes dites internationales aux spécificités des entités concernées, qu’il s’agisse d’organisations transnationales (le cas de l’Union européenne est signalé) ou des Etats et des secteurs publics (ou privés) nationaux. 1 COMPTE RENDU Dans son exposé introductif1, Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des comptes, a souligné que les normes comptables ne sont pas neutres et portent en elles des éléments qui structurent notre système économique et financier. En débattre constitue donc « une question essentielle que la crise économique et financière a particulièrement mise en exergue ». Pour le secteur privé, « c’est le développement des marchés financiers et des transactions transnationales ainsi que la nécessité de faciliter l’accès des investisseurs à des données fiables, compréhensibles, interprétables mais aussi et surtout homogènes et comparables qui ont contribué à la mise en place de normes comptables internationales, (IAS) (International Accounting Standards), désormais appelées IFRS ». Pour le secteur public, l’intérêt de normes comptables est désormais reconnu, sous réserve des « spécificités » des entités publiques : dans un univers mondialisé, les questions publiques nationales sont mises en comparaison, décuplant les exigences d’exhaustivité et de lisibilité de ces comptes. La Cour des comptes a relevé en particulier lors d’ « échanges avec ses homologues des pays de l’Union européenne, l’importance des normes comptables publiques dans l’appréciation de la crédibilité, de la conception et de la mise en œuvre des stratégies de redressement des finances publiques », en constatant néanmoins « qu’il n’existe pas à l’heure actuelle, au sein de l’Union, de mécanismes d’harmonisation » des normes correspondantes ». La France « est aujourd’hui en pointe en matière de normalisation des comptes publics : elle s’est fixée pour règle (article 31 de la LOLF [2001] et article 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale [SS] [2004]) que les normes comptables applicables à l’Etat et à la S.S doivent être celles du secteur privé, sous réserve des adaptations rendues nécessaires par les spécificités du secteur public ». Cette règle doit prévaloir « pour l’ensemble du secteur public, y compris, bien entendu, pour les collectivités territoriales ». Sur ce point, Didier MIGAUD appelle l’ensemble des participants « à agir de manière coordonnée pour que cette approche soit bien prise en compte par l’Union européenne ». L’instance de normalisation comptable internationale compétente -l’IPSAS Board- a donc un rôle clé à jouer : la question de sa gouvernance, qui sera débattue au même titre que celle de l’IAS Board, conduit le Premier président à émettre le vœu que ces instances soient complètement convaincues de l’utilité de s’ouvrir à tous les points de vue et de s’enrichir des compétences et avis, venus de tous les horizons… * * * Bernard ZUBER, Président du Club comptable des JF, remercie le Premier président d’avoir aussi complètement refixé le cadre des débats, en appelant tout particulièrement à une action plus forte, au plan européen, pour harmoniser les règles de préparation et de suivi des 1 Le texte intégral de cette intervention figure en annexe 1. 2 états financiers et, au plan international, pour tirer les leçons de la crise2 pour amender la gouvernance des deux instances de normalisation comptable, l’IAS Board et l’IPSAS Board. Le Club comptable pourra ainsi remplir son objectif majeur : faire se rencontrer -pour avancer ensemble- des responsables éminents du secteur privé et du secteur public, en charge des questions de normalisation comptable, et contribuer à surmonter des barrières qui, pour une part importante, ne gagnent pas à être maintenues. * * * La conférence débat s’est organisée en deux tables rondes. La première a été consacrée à dresser un état des lieux centré sur les grands enjeux, les débats actuels et les controverses. La seconde à visé à confronter les expériences françaises et européennes en matière de normalisation comptable. 1. - Table ronde n°1 : Etat des lieux : les grands enjeux, les débats actuels, les controverses 1.1. L’IAS Board, les IFRS3 Gilbert GELARD4, dans un bref historique, rappelle que l’IAS B est issu en 2001 de la transformation de l’IAS C (groupement des organisations professionnelles nationales avec peu de moyens et recourant au temps partiel) en Fondation, dotée de moyens adéquats et finançant l’IAS B dont elle nomme les membres (15 actuellement), pour deux mandats au maximum pouvant aller en tout jusqu’à 10 ans, à temps plein. L’Union européenne lui a, en quelque sorte « délégué » la préparation des normes comptables applicables aux comptes consolidés des sociétés cotées : elle les a rendues obligatoires à compter du 1er janvier 2005, tout en gardant la mainmise sur leur acceptation par un processus élaboré d’approbation. L’IAS B est donc un organisme de proposition : il ne peut contraindre quiconque, laissant entière la liberté des Etats quant à une éventuelle adoption. Son domaine de compétence se limite au secteur privé (y compris les sociétés non cotées), à l’exclusion du secteur associatif et du secteur public. Il n’empêche que les normes IAS/IFRS sont adoptées progressivement dans le monde (voir dans le document annexé), à l’exclusion des Etats-Unis d’Amérique, qui appliquent les 2 Dans un article publié dans le Monde Economie du 7 septembre 2000 Jean Pisani-Ferry a fourni les éléments d’appréciation suivant sur la crise : « Deux ans ont passé depuis le déchaînement de la crise financière, et nous commençons à peine à en mesurer les conséquences. Andrew Haldane (Banque d’Angleterre) a récemment estimé que la valeur actualisée de toutes les pertes de production présentes et futures approcherait sans doute une année de produit intérieur brut (PIB) mondial : 60 milliards de dollars (46 700 milliards d’euros), soit cinq siècles d’aide publique au développement, ou dix milliards de fois le coût de construction d’une classe dans un village africain. La question centrale de la réforme financière est de savoir comment réduire la fréquence de tels cataclysmes et à quel coût ». 3 Voir en annexe 2, le document émanant de IFRS Foundation / IAS B. 4 Gilbert GELARD a été membre de l’IAS Board à compter de janvier 2001. Son mandat s’est terminé fin juin 2010. 3 US GAAP. Ainsi, la normalisation internationale, pour les sociétés cotées, est le fait d’un duopole (IAS B-FASB), ce qui constitue une situation néfaste à la sérénité des débats. L’objectif de la convergence des normes internationales est de mettre fin à cette situation de duopole. La gouvernance de l’IAS B est assurée par les « trustees » qui sont des personnalités particulièrement qualifiées, au nombre de 22 dont 6 Nord-américains. Le Monitoring Board, mis en place à la suite de la crise, en réponse aux remarques du G20, est composé de représentants des principaux régulateurs mondiaux pour exercer une surveillance extérieure sur les activités des trustees, dont ,notamment ,sur le process de leur nomination La force de l’IAS B tient à la légitimité technique de ses travaux, fondée sur un processus d’élaboration systématique et obligatoire, (le « due process »), avec les garanties qu’apportent des consultations largement ouvertes ; Gilbert GELARD estime que les normes IAS/IFRS sont bien préparées dans le souci de l’intérêt général, même si le contenu de cette notion peut prêter à discussion. Le cadre conceptuel de l’IAS B, dont la révision va être engagée activement, est très important pour aboutir à un ensemble cohérent de normes. Celles-ci, peu détaillées, restent au niveau des principes et laissent une certaine place à des applications différenciées qui peuvent être justifiées, assurant un certain degré de comparabilité sans conduire à une uniformité qui pourrait n’être qu’artificielle. . Pour Philippe DANJOU5, nous nous trouvons à une période charnière, en matière de normalisation comptable internationale. Jusqu’en 2008, la convergence des normes au plan mondial, constituait l’objectif essentiel ; ce chantier était conduit selon une approche très technique. La crise a fait que le politique s’en est saisi, aux Etats-Unis comme en Europe -et donc en France. Le G20 a mis en place un Conseil de stabilité financière ; le débat sur la convergence des normes a pris une ampleur considérable et a modifié le calendrier du chantier, certaines améliorations des normes notamment celles relatives aux instruments financiers ayant été jugées prioritaires par le G20. Les normes US GAAP comportent d’importantes faiblesses en ce qui concerne les banques. Des failles existent également dans les IFRS dans ce secteur ou ailleurs. Elles ont été corrigées, pour l’essentiel, aux Etats-Unis comme pour les IFRS. L’IASB a achevé à l’automne 2009 la première phase de la refonte de la norme IAS39 et a formulé des propositions pour les phases suivantes. Les conditions d’application de la mesure en juste valeur ont été clarifiées. Le débat de fond continue néanmoins. Les normes comptables doivent-elles viser la neutralité, c'est-à-dire fournir des informations homogènes, non biaisées, utiles aux acteurs économiques ? Ou contribuer à la régulation en jouant un rôle modérateur des comportements a travers une vision teintée de prudence? Plus largement, comment combiner les rôles respectifs des normes comptables, normes prudentielles (banques et assurances), normes de gouvernance / d’entreprise ? Un rapport d’experts réunis par l’IASB et le FASB (Financial Crisis Advisory Group), auquel participait notamment M. Michel PRADA, a apporté des éléments de réponse. L’adoption mondiale des IFRS, facilitée par la convergence préalable entre IFRS et US GAAP, demeure l’objectif primordial. Mais quel sera le point d’équilibre : 5 - primauté aux IFRS ? - ou coexistence / conciliation entre les deux référentiels IFRS et US GAAP ? Philippe DANJOU est membre de l’IAS B depuis 2006. 4 Cette dernière piste étant, à coup sûr, la plus difficile, le calendrier va imposer une étape clef, avec une décision de principe fatidique des USA dans la période juin 2011 à fin 2011. L’IASB aura achevé sa première décennie de travaux. Les débats ne sont plus seulement techniques. Ils concernent l’économie mondiale tout entière. Un cadre de coopération institutionnelle entre les différents régulateurs et normalisateurs a été mis en place : le Conseil de stabilité financière. Les liens avec le Comité de Bâle ont été renforces. L’équipe des membres du Board va changer, un nouveau Président va entrer en fonction. De nombreux pays vont adopter les IFRS à compter de 2011-2012. Face aux enjeux actuels, 2011 va constituer une année cruciale, qui verra l’aboutissement du projet d’harmonisation mondiale ou, au contraire, une nouvelle tendance à la fragmentation. 1.2. L’IPSAS Board – Les normes IPSAS6 En indiquant d’entrée de jeu que l’IPSAS B est encore souvent considéré comme une sorte de Club qui se réunit quatre fois par an, Marie-Pierre CORDIER7 rappelle qu’il n’existe, sous sa forme actuelle, que depuis 2004. C’est un organisme de l’IFAC, il relève donc de l’organisation internationale de droit privé rassemblant les professions comptables à travers le monde. Ses membres sont les organisations mondiales de droit privé et non les gouvernements. La structure ainsi établie pose donc, dans sa conception même, un point crucial de gouvernance. Si les deux organisations françaises membres de l’IFAC, le Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables et la Compagnie nationale des Commissaires aux comptes ont proposé comme membre, au Comité du Secteur public de l’IFAC (formule en cours jusqu’en 2004) puis à l’IPSAS B, un membre de la Cour des comptes, le cas de la France est resté isolé. Les 18 membres de l’IPSAS B, nommés par le Conseil d’administration de l’IFAC sont quasiment tous des professionnels comptables. S’il est bien prévu qu’ils doivent être principalement issus du secteur public, cette condition est aisément réunie dans les pays où les experts comptables exercent indistinctement dans le secteur privé ou dans l’administration. Pour les pays qui ne connaissent pas cette fluidité, la représentation est mal assurée ou inexistante. Il en va ainsi de la plupart des pays d’Europe continentale. Il en résulte que le débat international sur les travaux est cantonné à un nombre restreint de pays, ce qui affecte bien entendu la portée du corps de normes qu’il émet. Un défaut supplémentaire de l’organisation tient au fait que l’IPSAS B n’est pas tenue par les règles de gouvernance appliquées par les trois autres organismes normalisateurs de l’IFAC, qui édictent les normes internationales d’audit (ISA), les normes de déontologie de la profession comptable, et les normes de formation. Ces derniers sont soumis à la supervision externe du PIOB (Public interest oversiing board) composé de représentants de régulateurs nationaux, et aux avis de groupes consultatifs (CAG). L’organisation des travaux de l’IPSAS B appelle également des réserves. L’IPSAS B a, jusqu’à présent, donné la primauté à la convergence entre normes IPSAS et normes IFRS, en l’entendant trop souvent comme une simple transposition. Ainsi, la norme IPSAS 25 rémunérations et retraites des fonctionnaires et agents publics, reprend pour l’essentiel IAS 19 6 Voir la contribution détaillée de M.P. CORDIER, présentée à titre personnel, en annexe III Marie-Pierre CORDIER, conseiller maître à la Cour des comptes, est membre de l’IPSAS B depuis le 1er janvier 2007. Elle a succédé à Philippe ADHEMAR. 7 5 avec la même approche de retraite par capitalisation, comme pour les entreprises de secteur privé. De même l’IPSAS B a jugé utile en 2008-2009, en pleine crise financière, d’adopter au plus vite les trois normes IFRS sur les instruments financiers, aujourd’hui obsolètes pour partie. De ce fait, les travaux prévus pour la préparation du cadre conceptuel propre aux opérations du secteur public ont été retardés. Malgré ces réserves, l’IPSAS B demeure un enjeu important pour la France et pour l’Europe : - l’utilisation des normes IPSAS est croissante : les grandes organisations internationales comme l’ONU ou l’OTAN les appliquent ou appliquent un référentiel comptable basé sur les IPSAS. Certains Etats les ont adoptées (la Suisse) ou envisagent de le faire (l’Autriche). La France elle-même s’en inspire mais en tenant également compte les autres référentiels comptables (IFRS et PCG) ; - comme dans le cas de l’IAS B, le champ couvert par les travaux est en cours d’élargissement, en particulier en matière de soutenabilité budgétaire à long terme des finances publiques ou d’indicateurs de performance des services publics. Il convient donc d’œuvrer pour obtenir que l’IPSAS B évolue en s’adaptant. Voici les pistes de réforme actuellement discutées : - tout en restant au sein de l’IFAC, l’IPSAS B devrait accueillir une majorité de membres provenant du secteur public, proposés directement par des organismes publics ; - s’il n’est pas réaliste qu’il dispose à brève échéance, comme l’IAS B, de membres à plein temps, son Président, pour le moins, devrait être nommé pour exercer ses fonctions à plein temps, et pour une durée déterminée (longue) ; - une supervision externe doit impérativement être mise en place ; Celle du PIOB, dont la composition devra être revue pour intégrer des membres du secteur public, constituera la solution ad minima. Il ne devrait pas être trop difficile de faire mieux. Pour avancer utilement en ce sens, la France ne peut rester seule. Une initiative européenne via l’Union européenne, constituerait la voie la plus adéquate pour agir. 1.3. Deux points de vue d’expert-observateurs 1.3.1 Bernard COLASSE8 souligne que l’IAS B n’a connu sa véritable ascension qu’à partir du milieu des années 1990 du fait de l’évolution de son environnement désormais marqué par la mondialisation et la globalisation financière. Les faiblesses des fondements théoriques des normes internationales ne sont apparues qu’à partir de la crise de 2008, qui a 8 Bernard COLASSE est Professeur à l’Université de Paris – Dauphine. Membre du comité consultatif de l’Autorité des Normes Comptables et du comité consultatif d’orientation du Conseil de normalisation des comptes publics. Le texte de son intervention figure en annexe 4. 6 mis en exergue les deux théories financières, datant des années 1970, qui inspirent les travaux de l’IAS B. La théorie de l’agence nie l’existence de l’entreprise en tant qu’entité économique et sociale et fait des dirigeants les agents ou les mandataires des actionnaires-investisseurs. Cela conduit l’IAS B à se conformer à la conception friedmanienne de l’entreprise selon laquelle celle-ci doit être gérée en fonction des intérêts de ses seuls actionnaires. Bernard COLASSE soutient, pour sa part, que l’information comptable est un bien commun, qu’elle doit répondre aux besoins de multiples parties prenantes et favoriser ainsi la formation d’une solidarité organisationnelle et sociale, solidarité nécessaire pour faire face aux crises présentes et futures. La seconde théorie inspirant l’IAS B est celle des marchés financiers efficients : elle conduit à retenir la valeur de marché comme critère d’évaluation. Les recherches empiriques et la simple observation montrent que les marchés sont loin d’être efficients. Cela a conduit l’IAS B à admettre qu’à la valeur de marché puisse être substituée une juste valeur alternative obtenue par le calcul actuariel. Dans les faits, la crise a imposé de suspendre l’application de la valeur de marché. L’IAS B devrait donc réviser et actualiser son « logiciel intellectuel », en abandonnant la référence à ces deux théories obsolètes. Bernard COLASSE reconnaît toutefois l’absence de théorie de rechange capable de donner une nouvelle orientation aux normes comptables. L’élaboration de ces normes ne peut donc plus être exclusivement un travail d’experts, si chevronnés soient-ils. Une collaboration étroite doit être instaurée avec les principales organisations concernées par l’application des IFRS et, plus particulièrement avec les Etats ou les organisations inter-étatiques telles que l’Union européenne qui les ont adoptés ou ceux qui comptent les adopter. L’interface avec les normes prudentielles (banques et assurances) doit être également prise en compte. Enfin, Bernard COLASSE estime que, pour l’élaboration de normes pour les comptes publics, il conviendrait de prévoir un cadre conceptuel autonome tenant compte des demandes d’information visant spécifiquement les entités publiques. 1.3.2. Jean-Paul MILOT9 rappelle, au préalable, que la France se caractérise par une tradition plus ancienne qu’ailleurs, de rapprochement de la comptabilité publique et des règles comptables du secteur privé. Le Plan comptable de 1947 a été rendu obligatoire, en tout premier lieu, pour les entreprises publiques et les SEM. Le décret de 1962 portant règlement général de la comptabilité publique fait référence au PCG. Dans ce premier temps, le rapprochement s’est effectué via les outils et pour l’essentiel, les nomenclatures. Celles-ci étaient et restent utilisées pour rationaliser la tenue de la comptabilité en conformité avec les processus budgétaires : l’information reste centrée sur les flux annuels (budgétaires) en y introduisant des compléments patrimoniaux. L’illustration la plus achevée est constituée par le Plan comptable de l’Etat. Des déclinaisons tenant compte des statuts des entités publiques (établissements publics nationaux, régions, départements, communes…) ont été mises en œuvre et répondent à de très nombreux besoins, à la fois d’information et de gestion. 9 Jean-Paul MILOT est actuellement conseiller du Président du CNoCP. Un schéma plus complet de son intervention figure en annexe 5. 7 Toutefois, cette approche ne permet pas de traiter les spécificités majeures du secteur public. Au-delà des techniques de la comptabilité d’entreprise (partie double, inventaires, nomenclatures…), il convient de traiter des objectifs et des concepts. Cette attente existe au niveau international et dans les autres pays qui partagent ces préoccupations10. L’IPSAS B en prévoyant un cadre conceptuel propre au secteur public a considérablement contribué à la reconnaissance de la nécessité d’un tel cadre, différent de celui de l’IAS B, et ouvrant des perspectives d’harmonisation au plan mondial. La complexité croissante des opérations effectuées dans le secteur public, les orientations, différentes selon les Etats, quant aux actions relevant de la sphère publique font qu’il n’existe pas de réponses complètes et définitives à la question des objectifs ainsi qu’à celle de la nature et du statut des spécificités. Pour ce qui concerne les objectifs, il est nécessaire de clarifier les relations entre comptabilité et budget, afin que soit bien précisé ce que l’on veut montrer en publiant des comptes publics. La comptabilité générale doit-elle être complètement indépendante du budget ou doit-elle intégrer des éléments permettant une bonne articulation avec le budget ? D’autre part, que peut-on montrer dans les comptes publics ? Que ce soit pour les actifs et les passifs, à 80% au moins, les difficultés de transposition des règles de la comptabilité d’entreprise sont inexistantes ou minimes. Mais comment traiter les « actifs incorporels spécifiques » ? Et comment aborder pour les passifs la question des engagements ? L’expérience de l’IPSAS 25 -Employee benefits- est un échec patent, montrant la difficulté considérable de trancher la question des spécificités. Il est significatif que l’IPSAS B se soit saisi de la question de la soutenabilité budgétaire. Même si cela pourrait être considéré comme une esquive, il n’en reste pas moins que la démarche d’ensemble de l’IPSAS B est intéressante. Mais pour aboutir il importe de renforcer l’organisation en place. Les propositions formulées par Marie-Pierre CORDIER méritent, à cet égard, d’être prises en considération et soutenues. 1.4. Le débat avec les intervenants Philippe DANJOU répondant à Bernard COLASSE et Jean-Paul MILOT, souligne que les normes IAS / IFRS sont évidemment très liées au capitalisme financier : elles constituent un élément du système et sa traduction en chiffres. Il regrette que l’on débatte souvent des normes sans avoir au préalable trouve un accord sur le cadre conceptuel c’est-à-dire des notions de fond qui les sous-tendent. Il note que peu nombreux sont ceux qui ont véritablement étudié le cadre conceptuel de l’IASB. L’IAS B a un objectif restreint : répondre aux besoins d’information de l’apporteur de capitaux (pas seulement l’investisseur mais aussi le prêteur). Pour tous les besoins de reporting sociétal, environnemental, en matière de ressources humaines, l’IASB n’est pas compétent, et il ne serait pas légitime dans son organisation actuelle. L’IAS B se situe effectivement dans le cadre de la théorie de l’Agence, mais Philippe DANJOU ne pense pas que cela entraine une négation de l’existence de l’entreprise en tant qu’entité économique, a preuve la définition de la « reporting entity » et la reconnaissance de « l’entity view » dans le cadre conceptuel. La révision du cadre conceptuel, engagé par l’IAS B est donc essentielle, notamment du fait de la crise. Cette révision s’opère en appliquant le « due process », dont Bernard 10 Les normes comptables de l’Etat publiées en France en 2004 comportent le cadre conceptuel expliquant la présentation des états financiers et le contenu des différentes normes applicables. 8 COLASSE a reconnu les mérites, car il permet de rechercher méthodiquement le consensus. Il faut donc participer à ce processus. L’appel à commentaires est ouvert, en particulier aux universitaires (et donc à Bernard COLASSE), aux normalisateurs nationaux et, pour l’Union européenne, à l’EFRAG. Après les travaux sur le chapitre I – Objectifs et caractéristiques qualitatives de l’information financière et sur le chapitre II – reporting entitees (à quoi s’appliquent ces normes ?) le volet consacré à la valorisation permettra de revenir sur les questions relatives à la juste valeur, à la valeur de marché (deux approches différentes mais souvent confondues), de même qu’au coût historique. Comme l’a souligné J-P MILOT la définition conceptuelle de l’actif et du passif seront traités : à côté des 80% de questions faciles à régler, les débats se concentreront à juste raison sur les 20% restant. Philippe DANJOU estime in fine qu’il est dommage que l’Union européenne ne soit pas appelée à « endosser » le cadre conceptuel (ses textes fondateurs ne le prévoient pas expressément). Elle pourrait, pour le moins, organiser un débat sur ses lignes principales et émettre une opinion à leur sujet. Gilbert GELARD affirme pour sa part que les marchés efficients n’existent pas. Pour que les marchés soient efficients il faudrait une transparence complète de l’information, l’absence d’asymétrie -et en ce cas les transactions seraient aisées- et les marchés financiers inutiles ! Mais par quoi remplacer les concepts utilisés ? Durant la crise, quant les actifs en juste valeur étaient à zéro, ils l’étaient également, nécessairement, en coût déprécié ! Les banques n’ont pu survivre que grâce aux aides des Etats. Il faut distinguer, dans le fonctionnement des marchés, incertitude et volatilité. Un jour donné, la valeur de l’actif est certaine. Elle peut changer dès le lendemain sur la base de données nouvelles. La volatilité, c’est la situation où tout et son contraire peuvent apparaître de manière imprévisible. Les controverses, les critiques se sont concentrées sur l’utilisation faite par les banques des plus-values latentes. Celles qui étaient constatées selon les règles n’étaient pas toutes -loin de là- réalisées. Comment caractériser les dividendes distribués aux actionnaires sur les plus values non réalisées ? Et de même pour les bonus attribués aux traders. Le délit de distribution de dividendes fictifs existe. Ne faut-il pas y ajouter un nouveau délit de distribution de salaires fictifs ? Mais quelles autorités ont sérieusement évoqué de telles pistes ? Cela montre bien que le problème est dans la gouvernance des entreprises, dans la régulation des marchés et non dans la comptabilité. La révision du cadre conceptuel de l’IAS B doit fournir l’occasion, en particulier via le 3e chapitre, -measurement- de définir des règles d’évaluation plus adaptées aux caractéristiques des marchés financiers. Quant à l’information à publier, il faut en finir avec les excès actuels, conduisant à des documents de 400 à 500 pages, sans que des grilles de lecture ne soient proposées. Pour l’IPSAS B, Gilbert GELARD, qui a suivi ses travaux pour le compte de l’IAS B11, a toujours été surpris qu’il ait appliqué, du moins implicitement, un cadre conceptuel qui n’est pas le sien, ce qui est dommageable pour sa crédibilité. Il faut donc qu’il accélère la préparation de son propre cadre conceptuel. 11 Cette fonction est désormais confiée à Philippe DANJOU. 9 1.5. Le débat avec les participants Alain DORISON12 s’interroge sur la capacité des normes IAS / IFRS de fournir une bonne estimation de la valeur des sociétés. La juste valeur contribue à retenir une valeur liquidative, en contradiction avec le principe de continuité de l’exploitation. L’approche par le bilan (stock) est privilégiée, au détriment de l’approche par les flux. Il cite le cas des retraites : les engagements de retraites sont ou seront retracés au passif alors que l’actif ne mentionne pas les flux de produits à venir, en particulier dans le secteur public. Il pense que les normalisateurs devraient faire preuve de plus de pragmatisme. Philippe DANJOU rappelle que le cadre conceptuel des normes IFRS indique de manière explicite, qu’elles ne sont pas conçues pour donner la valeur globale de l’entreprise. Il fait observer que les actifs incorporels créés par l’entreprise ne figurent pas au bilan. Les normes demandent à préciser la valeur de réalisation des seuls actifs et passifs appelés a être cédés par l’entreprise dans le cours de son activité habituelle, elles comportent des règles en matière d’engagements à long terme, au passif. La continuité d’exploitation est un principe fondamental des IFRS et la plupart des actifs sont évalués au coût de revient amorti. Les dépréciations (impairments) sont effectuées en retenant des cash flows actualisés sur une période longue. Ces valorisations aident l’utilisateur à se faire une opinion sur la valeur de l’entreprise. Il appelle donc à plus d’objectivité pour l’appréciation globale des IFRS. Jean-Benoît FRECHES13 demande pour chacun des organismes de normalisation comptable, le montant de leurs budgets : leur indépendance financière est-elle garantie ? Pour l’IPSAS B, Marie-Pierre CORDIER indique que le budget 2009 s’est établi à 1,7 millions de dollars. 50% du financement est assuré par l’IFAC, c'est-à-dire par les organisations professionnelles des pays membres et 50% par des contributions gouvernementales ou intergouvernementales. La contribution du Canada est importante : prise en charge du siège à Toronto et d’une partie significative des frais de personnels. Mais il faut tenir compte des frais hors budget : frais de mission et rémunérations (pour le temps passé) des membres du Board, personnels mis à disposition. En résumé, le financement est apporté en réalité, pour 1/3 par l’IFAC et, pour 2/3 par les gouvernements et les organisations internationales. Philippe DANJOU renvoie au rapport annuel et aux comptes certifiés de la Fondation IFRS publiés sur le site internet de cette dernière. Le budget est actuellement de 17 millions de Livres sterling. Ce sont les entreprises qui contribuent au financement, la collecte étant assurée par les régulateurs nationaux (donc l’ANC pour la France). Les contributions par Etat membre sont fixées en % du PIB. Les apports des grands cabinets sont actuellement plafonnés à 1/3 et sont appelés à disparaître à terme. Les institutions internationales financières spécialisées participent au financement. Benoît LEBRUN14 se référant aux travaux en cours en matière de contrats de partenariat (concessions, DSP, PPP) souligne les inconvénients du manque de cadre conceptuel pour le secteur public. Les règles de comptabilisation et de valorisation seraient plus faciles à établir si les utilisateurs des comptes étaient mieux identifiés : les opérateurs publics eux-mêmes ou bien les contribuables ? 12 Alain DORISON, Inspecteur général des Finances est président de la Commission « Sécurité Sociale » du CNoCP. 13 Jean-Benoît FRECHES est Conseiller Maître à la Cour des comptes. 14 Benoît LEBRUN, associé KPMG, est membre d’un groupe de travail du CNoCP 10 Jean-Paul MILOT mentionne que la LOLF se réfère à trois catégories d’utilisateurs : les contribuables, les usagers des services publics et les citoyens au nom de l’ « intérêt général », c'est-à-dire ce qui pourrait concilier les positions des usagers et celles des contribuables. Quant à la comptabilité, elle n’apporte pas de réponse claire à la question posée. L’IPSAS B, comme l’a souligné Marie-Pierre CORDIER a ouvert le débat en direction des indicateurs de performance en abordant le sujet de la soutenabilité et donc en se plaçant en dehors de la comptabilité. Les idées germent mais le débat est loin de sa conclusion. Il n’est donc pas étonnant que les préparateurs de normes restent déçus actuellement. Revenant sur les propos critiques de Bernard COLASSE sur l’approche par le bilan, il relève que les propositions manquent actuellement pour passer à une autre approche. Gilbert GELARD souligne que l’approche bilan n’a été fortement critiquée que depuis que la « juste valeur » a introduit la volatilité dans les résultats annuels. Ce n’est donc pas l’approche bilan qui est en cause, mais les méthodes d’évaluation. Philippe DANJOU estime de son côté que les normes comptables devraient se cantonner à apprécier le résultat opérationnel de l’entreprise et en aucun cas sa performance. Gilbert GELARD ajoute que c’est à tort que les termes « performance de l’entreprise » figurent dans le cadre conceptuel de l’IAS B. Jean-Louis MULLENBACH15 estime que l’approche par le bilan présente également un grand intérêt dans le secteur public. Les souscripteurs d’emprunts publics d’Etats se considèrent à juste raison comme des apporteurs de capitaux à risques. Le marché s’interroge sur la qualité des émetteurs publics. Quand, pour la certification des comptes de l’Etat émise par la Cour des comptes, le nombre de réserves « substantielles » est ramené de 12 à 9, l’évolution ne passe pas inaperçue. Pour Jean-Paul MILOT, les emprunts d’Etat comportent en général moins de risques que les émissions des entreprises. Sauf exceptions, les différentiels de taux sont en faveur des titres de dette publique. De plus il convient de noter que les bilans des Etats ne reflètent pas la totalité de la richesse des Etats : de très importants éléments de celle-ci n’y figurent pas, plus particulièrement ce qui pourrait être considérés comme des actifs incorporels spécifiques et des engagements constitutifs de passifs. La prise en compte de tels éléments dans la comptabilité reste discutée, certains préconisent de s’en tenir à une approche plus limitée fondée sur les flux, par exemple sous la forme des anciens comptes de régularisation. Il reste donc d’importants progrès à réaliser dans le cadre des débats sur le futur cadre conceptuel du secteur public qui, en tout état de cause, ne devrait pas retenir comme un objectif principal l’utilisation du bilan pour d’éventuelles notations. Dominique PANNIER16 demande si, à côté du rôle joué par la valorisation au prix de marché, on ne devrait pas s’intéresser à deux principes oubliés ? Celui de « prudence » pour les comptables, et pour les auditeurs externes, celui de « scepticisme » ? Une illustration est fournie par la fortune faite par le spéculateur américain qui a parié contre la viabilité des « subprimes » sur la base d’une lecture des prospectus officiels des véhicules d’investissements correspondants. Daniel HOURI17 estime que les IAS / IFRS comportent des dangers (leur caractère procyclique) ou des lacunes (absence d’approche pertinente des performances). Il conteste la 15 Jean-Louis MULLENBACH, co-directeur du Belot-Mullenbach et associés est Vice-président de l’Académie des sciences et techniques comptables et financières. 16 Dominique PANNIER, Conseiller-Maître est directeur de l’Audit interne à l’OCDE. 17 Daniel HOURI, Conseiller-Maître, est membre du Collège de l’ANC. 11 distinction qui a été faite entre comptabilité et gouvernance des entreprises. Le résultat comptable induit inévitablement des comportements : un résultat dégradé du fait des normes déterminera des actions de redressement – un résultat amélioré peut susciter une euphorie conduisant à des dérives inverses. Répondant à ces critiques, Gilbert GELARD estime que les milieux d’affaires font jouer à la comptabilité un rôle qui n’est pas le sien. Elle n’a pas pour vocation de déterminer ni des niveaux de salaires, ni des attributions de stocks options. Il reconnait néanmoins qu’il a, sans doute, une vue idéale de la comptabilité. Jean-Paul MILOT fait observer qu’une comptabilité qui n’aurait pas d’effet pourra être considérée comme inutile. Il faut donc choisir. 2. - Table ronde n° 2 – France –Union européenne : éléments de comparaison pour la normalisation comptable 2.1- Orientations des travaux de l’Autorité des normes comptables (ANC) Pour Jérôme HAAS18 la France se trouve dans une situation beaucoup plus claire quand on la compare par rapport au foisonnement des interrogations qui caractérisent actuellement les débats internationaux. Le Plan stratégique 2010-2011 adopté par l’ANC après son accession à la présidence19 a permis de clarifier la situation française et les positions à prendre. La France a disposé très tôt (depuis le Trésor Royal) d’une organisation comptable robuste fondée sur une comptabilité de caisse ; elle n’est nullement dépassée là où elle répond, à elle seule, aux besoins. La comptabilité des marchands a introduit les notions de flux et de stocks, en donnant une première comptabilité d’exercice dans laquelle notre pays a fait coïncider le droit et l’économie. La révolution industrielle a conduit à élargir aux nouveaux secteurs les règles existantes, en les améliorant. Pourquoi l’économie financière moderne, mondialisée devrait-elle remplacer toute cette structure. Au-delà de la chronologie, la logique conduit donc à faire coexister deux systèmes comptables : - pour les comptes sociaux, préserver le système français enrichi par les normes comptables européennes, pour la colonne vertébrale de notre économie ; c’est l’actuel PCG, fondé sur un jeu unique de comptes et qui a l’avantage de pouvoir s’appliquer à tous les secteurs ; - pour les comptes consolidés et plus généralement les groupes opérant sur les marchés financiers : utilisation des IFRS en les faisant évoluer de manière rationnelle. A cet égard, la transparence recherchée n’a pas été obtenue. La crise d’octobre 2008 -parce que les normes l’ont amplifié- montre qu’il faut combattre les excès. Les normes ont en 18 19 Jérôme HAAS est Président de l’ANC. Le document est disponible sur le site internet de l’ANC. 12 particulier déformé la réalité économique ; elles ont conduit à distribuer des actifs créés de manière artificielle, les règles de prudence ayant été perdues de vue. Quant aux comptes publics, la comptabilité d’engagement, devenue la règle générale avec la LOLF, a fait réaliser des progrès considérables. Un cadre conceptuel ad hoc n’est vraiment utile que s’il comporte des concepts permettant de se mettre en accord avec ce qui existe. La situation de la France est, sur des points substantiels, différente de celle de pays tels que le Canada ou la Nouvelle-Zélande. 2.2 – Orientations des travaux du Conseil de normalisation des comptes publics. Danièle LAJOUMARD20 présente le CNoCP avec ses trois commissions spécialisées (Etat, sécurité sociale, collectivités territoriales). Elle rappelle les objectifs qui lui ont été fixés, lors de son installation par le Ministre, le 7 septembre 2009 : - préparer des comptes adaptés à la spécificité des administrations publiques, mais harmonisés avec ceux du secteur privé ; - contribuer à doter le secteur public de comptes cohérents -mais sans unicité des règles, selon les secteurs- afin de permettre une vision consolidée de ce secteur ; - constituer un lieu d’influence au plan international. Le programme de travail ne comporte pas expressément la préparation d’un cadre conceptuel. Le problème ne sera donc pas abordé de manière frontale dans ce cadre. Cependant, le CNoCP est amené évidemment à prendre position sur les consultations lancées par l’IPSAS B sur son projet de cadre conceptuel. Pour les commissions, les points forts du programme sont : - pour l’Etat, l’adaptation du recueil des normes comptables et, le cas échéant, du « cadre conceptuel » qui en constitue l’introduction (mais qui est plutôt une grille de lecture). La transposition aux Etablissements publics nationaux fera également l’objet de premières réflexions ; - pour la sécurité sociale, l’amélioration du PCUOSS, par exemple pour le traitement comptable des placements financiers ; - pour les collectivités territoriales : réflexion d’ensemble (état des lieux et perspectives) sur l’évolution des règles qui leur sont applicables (actuellement : une « comptabilité budgétaire patrimonialisée ») et traitement comptable des instruments financiers. Des groupes de travail réunissant des membres de commissions et des personnalités qualifiées extérieures ont été mis en place notamment pour traiter : - les passifs d’intervention (Etat et sécurité sociale, avec extension prévue aux collectivités territoriales) ; - les concessions et PPP (Etat et collectivités territoriales). 20 Danièle LAJOUMARD est inspecteur général des finances et préside la Commission « Etat et organismes dépendant de l’Etat » du CNoCP. Le texte auquel elle s’est référée dans son intervention figure en annexe IV. 13 2.3 – Les comptes de l’Union européenne – cas concrets d’application adaptée des normes IPSAS Michel CRETIN21 rappelle que la présentation des comptes de l’Union européenne est restée particulièrement peu satisfaisante jusqu’en 2004. Il s’agissait d’une comptabilité de caisse. Le document principal était constitué par un « compte de gestion consolidé » (le budget exécuté) avec de nombreux éléments extra-comptables. Le passage a des comptes présentés conformément aux normes internationales, devenu effectif en 2005 a été préparé à compter de 2001. Un nouveau règlement financier adopté en 2002 a prévu qu’il sera fait application des concepts d’image fidèle, en mettant en œuvre une comptabilité d’exercice, pour un périmètre à définir. Il était précisé qu’il pourrait être dérogé aux normes comptables admises en cas de spécificité reconnue. En décembre 2004, une communication du Conseil confirmant la « nécessité d’agir » officialise l’adoption des normes IPSAS sous la forme de 17 règles comptables. Celles-ci avaient été préparées par un comité de 14 personnalités, dont un représentant de l’IPSAS B. Ce comité est toujours en place : il est en particulier intervenu dans l’actualisation de 11 règles. Chaque règle dérive d’une norme IPSAS, qui est expressément rappelée (ainsi la règle 16 se réfère à IPSAS 24 – présentation de l’information budgétaire). Précisément, pour le budget, l’option a été prise d’appliquer le « modified cash », avec un tableau de raccordement avec la comptabilité d’exercice. Le périmètre de consolidation est déterminé sur la base du contrôle par l’Union européenne. Au total, 43 entités différentes sont consolidées : 39 par intégration globale (il s’agit des institutions, Parlement et Cour de justice compris et de certaines agences) et 4 par mise en équivalence. Le Fonds européen de développement (FED), la caisse maladie et la BCE sont hors périmètre. Les engagements de retraite ont posé un problème particulier. Ils apparaissent au passif pour un montant de 37,5 milliards d’euros, conformément à IPSAS 25 (avec prise en compte des augmentations de traitements à venir). Aucune inscription ne figurant à l’actif, la situation nette de l’Union européenne est donc négative, principalement en raison de l’application de ces règles. Les Etats membres garantissent à l’Union européenne le règlement de l’ensemble de ses charges (y compris les retraites) par le versement de contributions annuelles : celles-ci étant garanties par les traités européens et des lois, il a été admis par le comité ad hoc que la garantie d’une dette d’ordre général ne pouvait pas être considérée comme une créance directe, notamment en matière de retraite. Bien entendu, une note spécifique figure dans les comptes pour expliciter cette situation et la manière dont l’Union l’interprète. La Cour des comptes européenne n’a pas émis de réserve sur les comptes de l’Union depuis 2005. Elle émet d’une part une « déclaration d’assurance » sur les comptes et, d’autre part, une « opinion sur la légalité des opérations ». Par légalité, il faut plutôt entendre « régularité ». Cette dernière particularité dans les travaux de la CCE mérite certainement d’être signalée -et débattue. 21 Michel CRETIN, Président de chambre honoraire de la Cour des comptes est membre de la Cour des comptes européenne. 14 2.4 – Le débat Bernard ZUBER, en rappelant la distinction opérée par Jérôme HAAS entre comptes sociaux (application du PCG) et comptes consolidés (IFRS, avec des corrections suite à la crise), souhaite obtenir des précisions sur l’accueil que réserve l’ANC aux propositions de l’IAS B pour le corps de normes IFRS à appliquer aux PME. La France ne risque-t-elle pas de faire cavalier seul, notamment par rapport aux Etats de la Zone euro ? Jérôme HAAS indique que ce n’est pas le cas, bien au contraire : les consultations écrites ou orales déjà intervenues le montrent. Les IFRS applicables aux PME proposées ne sont pas compatibles avec le droit européen. Il faut donc maintenir la distinction entre deux mondes qui coexistent actuellement. Les seules questions à régler concernent le traitement à retenir pour les entreprises qui se trouvent entre ces deux mondes, et en particulier des PME qui s’internationalisent. La possibilité d’adopter les IFRS est ouverte en France depuis 2004, mais il s’agit d’un libre choix pour les entreprises. De plus, la France a ouvert la possibilité inverse, de revenir à l’application des règles purement nationales. Cette offre complète constitue une position commune aux Etats de l’Europe continentale, qui attend donc un ensemble de normes comptables compatibles sous leur deux approches, avec de la flexibilité pour passer de l’une à l’autre. Jérôme HAAS rappelle enfin le propos de Gilbert GILARD : « sans l’Europe, il n’y aurait pas d’IAS B ». Olivier MYART22 mentionne le cas de l’ONU, qui a prévu un passage gradué étalé dans le temps (jusqu’en 2014, voire au-delà) des normes IPSAS. Michel CRETIN lui rétorque que l’Union européenne a réglé le problème en se préparant à l’avance qui a permis le passage sur la seule année 2005. Daniel HOURI constate que, pour la certification des comptes de l’Etat, les équipes de Bercy et celles de la Cour des comptes font un excellent travail. Elles ont néanmoins le sentiment, à certains moments, qu’elles travaillent dans le vide. Cela le conduit à poser trois questions : - quel usage fait-on actuellement, dans l’Etat, de la comptabilité générale de l’Etat ? - quel usage en est-il attendu, dans le futur ? En clair, quelle est l’utilité de la démarche de certification ? - pourquoi ne va-t-on pas plus vite dans la préparation et la mise en place de normes comparables dans les Etats membres de l’Union européenne ? Danièle LAJOUMARD rappelle l’option prise par la LOLF : la comptabilité générale prolonge sous un angle différent l’information donnée par la comptabilité budgétaire, en introduisant des valorisations annuelles des actifs et des passifs, avec des charges à payer, des produits à recevoir, des provisions… Des éléments nouveaux ont été introduits, tels que les actifs incorporels (concessions, DSP, fréquences hertziennes, notamment). Mais, alors que dans le secteur privé, l’approche par le Bilan doit (ou devrait) fournir la valeur de l’entreprise, il en va différemment pour l’Etat : 22 Olivier MYART, conseiller maître à la Cour des comptes. Directeur de l’audit externe de l’ONU (France) de 2008 à 2010. 15 - dont la situation nette est négative notamment en raison des concours qu’il apporte à l’économie, aux citoyens, aux établissements publics et aux collectivités territoriales et qui n’ont pas de traduction à l’actif ; - dont les principaux actifs incorporels (comme le droit de lever l’impôt) ne sont pas enregistrés ; - et dont le résultat patrimonial n’a pas de réelle signification faute de la liaison existant dans les entreprises entre dépenses exposées et produits réalisés. L’utilité de cette comptabilité générale de l’Etat est plus dans une somme d’utilités partielles que dans une vision d’ensemble. Certes, les travaux menés dans les ministères et à la Cour des comptes, en vue de la certification aboutissent au constat d’une situation à un moment donné, la clôture d’un exercice. Mais ils se traduisent par une somme considérable de notes, d’explications avec des constats, en général partagés, de progrès réalisés ou à réaliser.. De ce point de vue, le travail comptable qui s’est accompagné du développement du contrôle interne et de l’audit interne comptable, en débouchant sur une meilleure connaissance du patrimoine, permet une meilleure gestion publique. Une estimation plus complète des coûts a été recherchée -et pour sa plus grande partie obtenue. Cela donne à l’Etat, dans ses diverses composantes, l’occasion de se poser les bonnes questions, au bon moment. Jean-Paul MILOT, qui à ce stade de la réunion, s’exprime à titre personnel, apprécie le contenu et la tonalité des questions posées. Deux évolutions seraient, selon lui, souhaitables : - la première serait d’améliorer la communication financière sur le compte général de l’Etat. Les parlementaires, tout en reconnaissant les progrès accomplis, souhaitent que les enjeux principaux soient bien marqués, notamment ceux qui sont relatifs à la portée des comptes. Il convient peut être de prévoir des messages plus simples et plus ciblés ; - la seconde évolution serait d’accorder plus de priorité aux développements nécessaires de la comptabilité de l’Etat : présentation -et validation- d’une part des comptes par programme, par action et par ministère et d’autre part, production de comptes consolidés. La réflexion sur les actifs et passifs spécifiques doit bien sûr se poursuivre. On voit cependant qu’elle progresse peu au niveau international, étant peu à peu supplantée par les réflexions sur la soutenabilité. Les états financiers publiés par les autres Etats ne marquent pas non plus d’avancées notables sur ces points. Aussi, sans exclure des innovations intéressantes sur la valorisation de certains de ces éléments, on peut penser que le débat international ne se focalisera pas sur ces points dans un proche avenir. Cette évolution devrait pousser à mieux exploiter les informations déjà disponibles, en les intégrant dans une démarche de gestion plus performante des administrations publiques, ce qui permettrait également de répondre à l’attente des responsables des ministères et d’ancrer ainsi la comptabilité générale dans les pratiques des gestionnaires. Jérôme HAAS rappelle que la LOLF a pour objectif implicite de présenter les comptes de l’Etat de manière analogue à ceux des entreprises. En l’état actuel d’avancement de travaux, il convient de présenter les données comptables en faisant ressortir la performance par secteur. Les points sur lesquels il y a dérogation par rapport aux règles de droit commun, devront donner lieu à des explications détaillées. Il faut éviter un référentiel « pâté d’alouettes », mais en faisant preuve de pragmatisme. 16 REMARQUES FINALES ET PROPOSITIONS D’ACTION A l’issue de la conférence débat, Bernard ZUBER, Président du Club des juridictions financières, a soumis aux intervenants et aux membres du Conseil d’administration du Club comptable des propositions de « conclusions ». Les avis recueillis ont été extrêmement variés, exprimant des points de vue, des nuances, des réserves voire de sérieuses oppositions. Le texte ci-dessus constitue donc une rédaction reprenant les points ayant recueilli le consensus le plus large. * 1. Concernant l’IAS-B et la normalisation du secteur privé. Il est noté que les représentants de l’IAS-B n’entendent pas écarter la référence implicite à la théorie de l’Agence, confirmant ainsi qu’ils estiment nécessaire de privilégier le point de vue des apporteurs de capitaux, comme fondement du capitalisme financier. Cependant, il se sont déclarés ouverts à une prise en compte des attentes des autres parties prenantes, sous réserve qu’il en soit clairement débattu dans le processus d’élaboration du nouveau cadre conceptuel et que des propositions utiles soient formulées. Ils ont confirmé être conscients que les règles en vigueur, même avec les réaménagements de 2008, laissent la possibilité de distribuer à titre de dividendes ou de rémunérations additionnelles des sommes correspondant à des plus values non réalisées. Les risques encourus ne paraissent donc pouvoir être utilement traités que par des actions convergentes : - de l’IAS-B, notamment dans les avertissements qui pourraient être introduits notamment dans son futur cadre conceptuel ; - des régulateurs des marchés nationaux ou transnationaux (en cas de zone monétaire, notamment) ; - des entreprises concernées, sous la forme de règles de gouvernance en matière de distribution de rémunérations et de dividendes. Au demeurant, en ce qui concerne les sociétés mères des groupes français, les normes IFRS sont tout à fait hors de cause, puisque les comptes individuels, base légale des dividendes, sont établis selon le PCG. 17 2. Concernant l’IPSAS-B et la normalisation du secteur public 2.1 Cadre conceptuel L’IPSAS-B ayant enfin décidé de se doter d’un cadre conceptuel propre au secteur public, qui comportera des références utiles à celui de l’IAS-B mais en explicitant les dispositions particulières liées aux spécificités du secteur public, il conviendra, pour les autorités compétentes françaises et européennes de participer très activement au débat déjà engagé. 2.2 Gouvernance – refondation de l’IPSAS-B Les pistes de réforme mises en discussion consistent en particulier à : - - professionnaliser l’institution : • par la nomination d’un président à temps plein ; • une partie des membres seraient nommés sur proposition des gouvernements ; • par la mise en place d’une équipe de permanents plus stable et plus représentative de la diversité des pays et institutions concernées ; organiser la supervision externe de l’IPSAS-Board en impliquant les gouvernements dans les réformes à mettre en place dans ce domaine. Les actions ainsi engagées méritent d’être soutenues fermement, en particulier avec l’appui du CNoP. En outre, dans le débat des réformes de l’IPSAS-B, un soutien actif de l’Union européenne doit être recherché. En effet : - même si les normes comptables du secteur public ne sont pas de la compétence européenne, le débat gagnerait à être porté sur la scène européenne, vu les enjeux ; - la France pourrait tirer profit de son « avance » (comptes publics en comptabilité d’exercice, comptes audités, participation active aux consultations de l’IPSAS-B) pour prendre l’initiative des premiers contacts et explorer les possibilités de lancer le débat européen. 3. Les comptes du secteur public (France) Les débats et les contributions ont fait ressortir l’intérêt, voire l’urgence des actions suivantes : - engager les travaux utiles pour une présentation des comptes consolidés de l’Etat et leur certification par la Cour des comptes ; à cet effet, les règles applicables aux établissements publics nationaux, opérateurs de l’Etat et contrôlés par lui, devraient être harmonisées de manière prioritaire ; - clarifier les objectifs de normalisation comptable pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. 18 ANNEXES Annexe 1 : Exposé introductif de Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes Annexe 2 : IFRS Foundation : Qui sommes-nous et que faisons-nous ? Annexe 3 : IPSAS Board – Marie-Pierre CORDIER, conseiller maître, membre de l’IPSAS-B Annexe 4 : Intervention de Bernard COLASSE, professeur Paris-Dauphine Annexe 5 : Intervention de Jean-Paul MILOT, CNoCP Annexe 6 : Orientations des travaux CNoCP, Danièle LAJOUMARD Annexe 7 : Intervention de Michel CRETIN, membre de la Cour des comptes européenne « Les normes IPSAS et l’Union Européenne » 19