Compte rendu Confére#BC8639

publicité
LE SECTEUR PUBLIC : LA NORMALISATION COMPTABLE
A L’EPREUVE DE LA CRISE
CONFERENCE – DEBAT
28 septembre 2010
NOTE DE PRESENTATION
Le Club comptable des juridictions financières, partenaire de FONDAFIP, a organisé
cette conférence-débat le 28 septembre 2010 à la Cour des comptes. L’objectif était de faire
le point sur les évolutions intervenues en matière de normalisation comptable au plan
international, européen et national, les inflexions voire les remises en cause découlant de la
crise financière et économique, et les actions à mener, spécialement par les acteurs français.
Des personnalités responsables du secteur privé comme du secteur public ont été
appelés à s’exprimer, à l’invitation de Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des
comptes et de Bernard ZUBER, Président du Club comptable. Le compte rendu qui suit
donne une synthèse des exposés et des débats, dont les termes ont été validés par les
principaux intervenants.
Dans les Remarques finales et propositions d’action le Président du Club comptable
des juridictions financières propose une synthèse des actions méritant d’être menées à la
fois :
- pour hâter l’élaboration et la mise en œuvre de cadres conceptuels adaptés à la nouvelle
donne post-crise tant pour le secteur public que pour le secteur privé ;
- pour utiliser à bon escient les marges de manœuvre qui sont laissées aux Etats pour adapter
les normes dites internationales aux spécificités des entités concernées, qu’il s’agisse
d’organisations transnationales (le cas de l’Union européenne est signalé) ou des
Etats et des
secteurs publics (ou privés) nationaux.
1
COMPTE RENDU
Dans son exposé introductif1, Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des
comptes, a souligné que les normes comptables ne sont pas neutres et portent en elles des
éléments qui structurent notre système économique et financier. En débattre constitue donc
« une question essentielle que la crise économique et financière a particulièrement mise en
exergue ». Pour le secteur privé, « c’est le développement des marchés financiers et des
transactions transnationales ainsi que la nécessité de faciliter l’accès des investisseurs à des
données fiables, compréhensibles, interprétables mais aussi et surtout homogènes et
comparables qui ont contribué à la mise en place de normes comptables internationales,
(IAS) (International Accounting Standards), désormais appelées IFRS ».
Pour le secteur public, l’intérêt de normes comptables est désormais reconnu, sous
réserve des « spécificités » des entités publiques : dans un univers mondialisé, les questions
publiques nationales sont mises en comparaison, décuplant les exigences d’exhaustivité et de
lisibilité de ces comptes. La Cour des comptes a relevé en particulier lors d’ « échanges avec
ses homologues des pays de l’Union européenne, l’importance des normes comptables
publiques dans l’appréciation de la crédibilité, de la conception et de la mise en œuvre des
stratégies de redressement des finances publiques », en constatant néanmoins « qu’il n’existe
pas à l’heure actuelle, au sein de l’Union, de mécanismes d’harmonisation » des normes
correspondantes ». La France « est aujourd’hui en pointe en matière de normalisation des
comptes publics : elle s’est fixée pour règle (article 31 de la LOLF [2001] et article 1er de la
loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale [SS] [2004]) que les
normes comptables applicables à l’Etat et à la S.S doivent être celles du secteur privé, sous
réserve des adaptations rendues nécessaires par les spécificités du secteur public ». Cette
règle doit prévaloir « pour l’ensemble du secteur public, y compris, bien entendu, pour les
collectivités territoriales ».
Sur ce point, Didier MIGAUD appelle l’ensemble des participants « à agir de manière
coordonnée pour que cette approche soit bien prise en compte par l’Union européenne ».
L’instance de normalisation comptable internationale compétente -l’IPSAS Board- a donc un
rôle clé à jouer : la question de sa gouvernance, qui sera débattue au même titre que celle de
l’IAS Board, conduit le Premier président à émettre le vœu que ces instances soient
complètement convaincues de l’utilité de s’ouvrir à tous les points de vue et de s’enrichir des
compétences et avis, venus de tous les horizons…
*
*
*
Bernard ZUBER, Président du Club comptable des JF, remercie le Premier président
d’avoir aussi complètement refixé le cadre des débats, en appelant tout particulièrement à une
action plus forte, au plan européen, pour harmoniser les règles de préparation et de suivi des
1
Le texte intégral de cette intervention figure en annexe 1.
2
états financiers et, au plan international, pour tirer les leçons de la crise2 pour amender la
gouvernance des deux instances de normalisation comptable, l’IAS Board et l’IPSAS Board.
Le Club comptable pourra ainsi remplir son objectif majeur : faire se rencontrer -pour
avancer ensemble- des responsables éminents du secteur privé et du secteur public, en charge
des questions de normalisation comptable, et contribuer à surmonter des barrières qui, pour
une part importante, ne gagnent pas à être maintenues.
*
*
*
La conférence débat s’est organisée en deux tables rondes. La première a été consacrée
à dresser un état des lieux centré sur les grands enjeux, les débats actuels et les controverses.
La seconde à visé à confronter les expériences françaises et européennes en matière de
normalisation comptable.
1. -
Table ronde n°1 : Etat des lieux : les grands enjeux, les débats actuels, les
controverses
1.1. L’IAS Board, les IFRS3
Gilbert GELARD4, dans un bref historique, rappelle que l’IAS B est issu en 2001 de
la transformation de l’IAS C (groupement des organisations professionnelles nationales avec
peu de moyens et recourant au temps partiel) en Fondation, dotée de moyens adéquats et
finançant l’IAS B dont elle nomme les membres (15 actuellement), pour deux mandats au
maximum pouvant aller en tout jusqu’à 10 ans, à temps plein. L’Union européenne lui a, en
quelque sorte « délégué » la préparation des normes comptables applicables aux comptes
consolidés des sociétés cotées : elle les a rendues obligatoires à compter du 1er janvier 2005,
tout en gardant la mainmise sur leur acceptation par un processus élaboré d’approbation.
L’IAS B est donc un organisme de proposition : il ne peut contraindre quiconque,
laissant entière la liberté des Etats quant à une éventuelle adoption. Son domaine de
compétence se limite au secteur privé (y compris les sociétés non cotées), à l’exclusion du
secteur associatif et du secteur public.
Il n’empêche que les normes IAS/IFRS sont adoptées progressivement dans le monde
(voir dans le document annexé), à l’exclusion des Etats-Unis d’Amérique, qui appliquent les
2
Dans un article publié dans le Monde Economie du 7 septembre 2000 Jean Pisani-Ferry a fourni les éléments
d’appréciation suivant sur la crise : « Deux ans ont passé depuis le déchaînement de la crise financière, et nous
commençons à peine à en mesurer les conséquences. Andrew Haldane (Banque d’Angleterre) a récemment
estimé que la valeur actualisée de toutes les pertes de production présentes et futures approcherait sans doute
une année de produit intérieur brut (PIB) mondial : 60 milliards de dollars (46 700 milliards d’euros), soit cinq
siècles d’aide publique au développement, ou dix milliards de fois le coût de construction d’une classe dans un
village africain. La question centrale de la réforme financière est de savoir comment réduire la fréquence de tels
cataclysmes et à quel coût ».
3
Voir en annexe 2, le document émanant de IFRS Foundation / IAS B.
4
Gilbert GELARD a été membre de l’IAS Board à compter de janvier 2001. Son mandat s’est terminé fin juin
2010.
3
US GAAP. Ainsi, la normalisation internationale, pour les sociétés cotées, est le fait d’un
duopole (IAS B-FASB), ce qui constitue une situation néfaste à la sérénité des débats.
L’objectif de la convergence des normes internationales est de mettre fin à cette situation de
duopole. La gouvernance de l’IAS B est assurée par les « trustees » qui sont des personnalités
particulièrement qualifiées, au nombre de 22 dont 6 Nord-américains. Le Monitoring Board,
mis en place à la suite de la crise, en réponse aux remarques du G20, est composé de
représentants des principaux régulateurs mondiaux pour exercer une surveillance extérieure
sur les activités des trustees, dont ,notamment ,sur le process de leur nomination
La force de l’IAS B tient à la légitimité technique de ses travaux, fondée sur un
processus d’élaboration systématique et obligatoire, (le « due process »), avec les garanties
qu’apportent des consultations largement ouvertes ; Gilbert GELARD estime que les normes
IAS/IFRS sont bien préparées dans le souci de l’intérêt général, même si le contenu de cette
notion peut prêter à discussion. Le cadre conceptuel de l’IAS B, dont la révision va être
engagée activement, est très important pour aboutir à un ensemble cohérent de normes.
Celles-ci, peu détaillées, restent au niveau des principes et laissent une certaine place à des
applications différenciées qui peuvent être justifiées, assurant un certain degré de
comparabilité sans conduire à une uniformité qui pourrait n’être qu’artificielle. .
Pour Philippe DANJOU5, nous nous trouvons à une période charnière, en matière de
normalisation comptable internationale. Jusqu’en 2008, la convergence des normes au plan
mondial, constituait l’objectif essentiel ; ce chantier était conduit selon une approche très
technique. La crise a fait que le politique s’en est saisi, aux Etats-Unis comme en Europe -et
donc en France. Le G20 a mis en place un Conseil de stabilité financière ; le débat sur la
convergence des normes a pris une ampleur considérable et a modifié le calendrier du
chantier, certaines améliorations des normes notamment celles relatives aux instruments
financiers ayant été jugées prioritaires par le G20. Les normes US GAAP comportent
d’importantes faiblesses en ce qui concerne les banques. Des failles existent également dans
les IFRS dans ce secteur ou ailleurs. Elles ont été corrigées, pour l’essentiel, aux Etats-Unis
comme pour les IFRS. L’IASB a achevé à l’automne 2009 la première phase de la refonte de
la norme IAS39 et a formulé des propositions pour les phases suivantes. Les conditions
d’application de la mesure en juste valeur ont été clarifiées.
Le débat de fond continue néanmoins. Les normes comptables doivent-elles viser la
neutralité, c'est-à-dire fournir des informations homogènes, non biaisées, utiles aux acteurs
économiques ? Ou contribuer à la régulation en jouant un rôle modérateur des comportements
a travers une vision teintée de prudence? Plus largement, comment combiner les rôles
respectifs des normes comptables, normes prudentielles (banques et assurances), normes de
gouvernance / d’entreprise ? Un rapport d’experts réunis par l’IASB et le FASB (Financial
Crisis Advisory Group), auquel participait notamment M. Michel PRADA, a apporté des
éléments de réponse.
L’adoption mondiale des IFRS, facilitée par la convergence préalable entre IFRS et
US GAAP, demeure l’objectif primordial. Mais quel sera le point d’équilibre :
5
-
primauté aux IFRS ?
-
ou coexistence / conciliation entre les deux référentiels IFRS et US
GAAP ?
Philippe DANJOU est membre de l’IAS B depuis 2006.
4
Cette dernière piste étant, à coup sûr, la plus difficile, le calendrier va imposer une
étape clef, avec une décision de principe fatidique des USA dans la période juin 2011 à fin
2011.
L’IASB aura achevé sa première décennie de travaux. Les débats ne sont plus
seulement techniques. Ils concernent l’économie mondiale tout entière. Un cadre de
coopération institutionnelle entre les différents régulateurs et normalisateurs a été mis en
place : le Conseil de stabilité financière. Les liens avec le Comité de Bâle ont été renforces.
L’équipe des membres du Board va changer, un nouveau Président va entrer en fonction. De
nombreux pays vont adopter les IFRS à compter de 2011-2012. Face aux enjeux actuels, 2011
va constituer une année cruciale, qui verra l’aboutissement du projet d’harmonisation
mondiale ou, au contraire, une nouvelle tendance à la fragmentation.
1.2. L’IPSAS Board – Les normes IPSAS6
En indiquant d’entrée de jeu que l’IPSAS B est encore souvent considéré comme une
sorte de Club qui se réunit quatre fois par an, Marie-Pierre CORDIER7 rappelle qu’il
n’existe, sous sa forme actuelle, que depuis 2004. C’est un organisme de l’IFAC, il relève
donc de l’organisation internationale de droit privé rassemblant les professions comptables à
travers le monde. Ses membres sont les organisations mondiales de droit privé et non les
gouvernements. La structure ainsi établie pose donc, dans sa conception même, un point
crucial de gouvernance. Si les deux organisations françaises membres de l’IFAC, le Conseil
supérieur de l’Ordre des experts comptables et la Compagnie nationale des Commissaires aux
comptes ont proposé comme membre, au Comité du Secteur public de l’IFAC (formule en
cours jusqu’en 2004) puis à l’IPSAS B, un membre de la Cour des comptes, le cas de la
France est resté isolé.
Les 18 membres de l’IPSAS B, nommés par le Conseil d’administration de l’IFAC
sont quasiment tous des professionnels comptables. S’il est bien prévu qu’ils doivent être
principalement issus du secteur public, cette condition est aisément réunie dans les pays où les
experts comptables exercent indistinctement dans le secteur privé ou dans l’administration.
Pour les pays qui ne connaissent pas cette fluidité, la représentation est mal assurée ou
inexistante. Il en va ainsi de la plupart des pays d’Europe continentale. Il en résulte que le
débat international sur les travaux est cantonné à un nombre restreint de pays, ce qui affecte
bien entendu la portée du corps de normes qu’il émet.
Un défaut supplémentaire de l’organisation tient au fait que l’IPSAS B n’est pas tenue
par les règles de gouvernance appliquées par les trois autres organismes normalisateurs de
l’IFAC, qui édictent les normes internationales d’audit (ISA), les normes de déontologie de la
profession comptable, et les normes de formation. Ces derniers sont soumis à la supervision
externe du PIOB (Public interest oversiing board) composé de représentants de régulateurs
nationaux, et aux avis de groupes consultatifs (CAG).
L’organisation des travaux de l’IPSAS B appelle également des réserves. L’IPSAS B
a, jusqu’à présent, donné la primauté à la convergence entre normes IPSAS et normes IFRS,
en l’entendant trop souvent comme une simple transposition. Ainsi, la norme IPSAS 25 rémunérations et retraites des fonctionnaires et agents publics, reprend pour l’essentiel IAS 19
6
Voir la contribution détaillée de M.P. CORDIER, présentée à titre personnel, en annexe III
Marie-Pierre CORDIER, conseiller maître à la Cour des comptes, est membre de l’IPSAS B depuis le 1er
janvier 2007. Elle a succédé à Philippe ADHEMAR.
7
5
avec la même approche de retraite par capitalisation, comme pour les entreprises de secteur
privé. De même l’IPSAS B a jugé utile en 2008-2009, en pleine crise financière, d’adopter au
plus vite les trois normes IFRS sur les instruments financiers, aujourd’hui obsolètes pour
partie.
De ce fait, les travaux prévus pour la préparation du cadre conceptuel propre aux
opérations du secteur public ont été retardés.
Malgré ces réserves, l’IPSAS B demeure un enjeu important pour la France et pour
l’Europe :
-
l’utilisation des normes IPSAS est croissante : les grandes organisations
internationales comme l’ONU ou l’OTAN les appliquent ou appliquent
un référentiel comptable basé sur les IPSAS. Certains Etats les ont
adoptées (la Suisse) ou envisagent de le faire (l’Autriche). La France
elle-même s’en inspire mais en tenant également compte les autres
référentiels comptables (IFRS et PCG) ;
-
comme dans le cas de l’IAS B, le champ couvert par les travaux est en
cours d’élargissement, en particulier en matière de soutenabilité
budgétaire à long terme des finances publiques ou d’indicateurs de
performance des services publics.
Il convient donc d’œuvrer pour obtenir que l’IPSAS B évolue en s’adaptant. Voici les
pistes de réforme actuellement discutées :
-
tout en restant au sein de l’IFAC, l’IPSAS B devrait accueillir une
majorité de membres provenant du secteur public, proposés directement
par des organismes publics ;
-
s’il n’est pas réaliste qu’il dispose à brève échéance, comme l’IAS B, de
membres à plein temps, son Président, pour le moins, devrait être
nommé pour exercer ses fonctions à plein temps, et pour une durée
déterminée (longue) ;
-
une supervision externe doit impérativement être mise en place ; Celle
du PIOB, dont la composition devra être revue pour intégrer des
membres du secteur public, constituera la solution ad minima. Il ne
devrait pas être trop difficile de faire mieux.
Pour avancer utilement en ce sens, la France ne peut rester seule. Une initiative
européenne via l’Union européenne, constituerait la voie la plus adéquate pour agir.
1.3.
Deux points de vue d’expert-observateurs
1.3.1 Bernard COLASSE8 souligne que l’IAS B n’a connu sa véritable ascension
qu’à partir du milieu des années 1990 du fait de l’évolution de son environnement désormais
marqué par la mondialisation et la globalisation financière. Les faiblesses des fondements
théoriques des normes internationales ne sont apparues qu’à partir de la crise de 2008, qui a
 8 Bernard COLASSE est Professeur à l’Université de Paris – Dauphine. Membre du comité consultatif de
l’Autorité des Normes Comptables et du comité consultatif d’orientation du Conseil de normalisation des
comptes publics. Le texte de son intervention figure en annexe 4.
6
mis en exergue les deux théories financières, datant des années 1970, qui inspirent les travaux
de l’IAS B.
La théorie de l’agence nie l’existence de l’entreprise en tant qu’entité économique et
sociale et fait des dirigeants les agents ou les mandataires des actionnaires-investisseurs. Cela
conduit l’IAS B à se conformer à la conception friedmanienne de l’entreprise selon laquelle
celle-ci doit être gérée en fonction des intérêts de ses seuls actionnaires.
Bernard COLASSE soutient, pour sa part, que l’information comptable est un bien
commun, qu’elle doit répondre aux besoins de multiples parties prenantes et favoriser ainsi la
formation d’une solidarité organisationnelle et sociale, solidarité nécessaire pour faire face
aux crises présentes et futures.
La seconde théorie inspirant l’IAS B est celle des marchés financiers efficients : elle
conduit à retenir la valeur de marché comme critère d’évaluation.
Les recherches empiriques et la simple observation montrent que les marchés sont loin
d’être efficients. Cela a conduit l’IAS B à admettre qu’à la valeur de marché puisse être
substituée une juste valeur alternative obtenue par le calcul actuariel. Dans les faits, la crise a
imposé de suspendre l’application de la valeur de marché.
L’IAS B devrait donc réviser et actualiser son « logiciel intellectuel », en abandonnant
la référence à ces deux théories obsolètes. Bernard COLASSE reconnaît toutefois l’absence
de théorie de rechange capable de donner une nouvelle orientation aux normes comptables.
L’élaboration de ces normes ne peut donc plus être exclusivement un travail d’experts,
si chevronnés soient-ils. Une collaboration étroite doit être instaurée avec les principales
organisations concernées par l’application des IFRS et, plus particulièrement avec les Etats ou
les organisations inter-étatiques telles que l’Union européenne qui les ont adoptés ou ceux qui
comptent les adopter. L’interface avec les normes prudentielles (banques et assurances) doit
être également prise en compte.
Enfin, Bernard COLASSE estime que, pour l’élaboration de normes pour les comptes
publics, il conviendrait de prévoir un cadre conceptuel autonome tenant compte des demandes
d’information visant spécifiquement les entités publiques.
1.3.2. Jean-Paul MILOT9 rappelle, au préalable, que la France se caractérise par une
tradition plus ancienne qu’ailleurs, de rapprochement de la comptabilité publique et des règles
comptables du secteur privé. Le Plan comptable de 1947 a été rendu obligatoire, en tout
premier lieu, pour les entreprises publiques et les SEM. Le décret de 1962 portant règlement
général de la comptabilité publique fait référence au PCG.
Dans ce premier temps, le rapprochement s’est effectué via les outils et pour
l’essentiel, les nomenclatures. Celles-ci étaient et restent utilisées pour rationaliser la tenue de
la comptabilité en conformité avec les processus budgétaires : l’information reste centrée sur
les flux annuels (budgétaires) en y introduisant des compléments patrimoniaux. L’illustration
la plus achevée est constituée par le Plan comptable de l’Etat. Des déclinaisons tenant compte
des statuts des entités publiques (établissements publics nationaux, régions, départements,
communes…) ont été mises en œuvre et répondent à de très nombreux besoins, à la fois
d’information et de gestion.
9
Jean-Paul MILOT est actuellement conseiller du Président du CNoCP. Un schéma plus complet de son
intervention figure en annexe 5.
7
Toutefois, cette approche ne permet pas de traiter les spécificités majeures du secteur
public. Au-delà des techniques de la comptabilité d’entreprise (partie double, inventaires,
nomenclatures…), il convient de traiter des objectifs et des concepts. Cette attente existe au
niveau international et dans les autres pays qui partagent ces préoccupations10. L’IPSAS B en
prévoyant un cadre conceptuel propre au secteur public a considérablement contribué à la
reconnaissance de la nécessité d’un tel cadre, différent de celui de l’IAS B, et ouvrant des
perspectives d’harmonisation au plan mondial.
La complexité croissante des opérations effectuées dans le secteur public, les
orientations, différentes selon les Etats, quant aux actions relevant de la sphère publique font
qu’il n’existe pas de réponses complètes et définitives à la question des objectifs ainsi qu’à
celle de la nature et du statut des spécificités.
Pour ce qui concerne les objectifs, il est nécessaire de clarifier les relations entre
comptabilité et budget, afin que soit bien précisé ce que l’on veut montrer en publiant des
comptes publics. La comptabilité générale doit-elle être complètement indépendante du
budget ou doit-elle intégrer des éléments permettant une bonne articulation avec le budget ?
D’autre part, que peut-on montrer dans les comptes publics ? Que ce soit pour les
actifs et les passifs, à 80% au moins, les difficultés de transposition des règles de la
comptabilité d’entreprise sont inexistantes ou minimes. Mais comment traiter les « actifs
incorporels spécifiques » ? Et comment aborder pour les passifs la question des
engagements ? L’expérience de l’IPSAS 25 -Employee benefits- est un échec patent,
montrant la difficulté considérable de trancher la question des spécificités. Il est significatif
que l’IPSAS B se soit saisi de la question de la soutenabilité budgétaire. Même si cela
pourrait être considéré comme une esquive, il n’en reste pas moins que la démarche
d’ensemble de l’IPSAS B est intéressante. Mais pour aboutir il importe de renforcer
l’organisation en place. Les propositions formulées par Marie-Pierre CORDIER méritent, à
cet égard, d’être prises en considération et soutenues.
1.4. Le débat avec les intervenants
Philippe DANJOU répondant à Bernard COLASSE et Jean-Paul MILOT, souligne que
les normes IAS / IFRS sont évidemment très liées au capitalisme financier : elles constituent
un élément du système et sa traduction en chiffres. Il regrette que l’on débatte souvent des
normes sans avoir au préalable trouve un accord sur le cadre conceptuel c’est-à-dire des
notions de fond qui les sous-tendent. Il note que peu nombreux sont ceux qui ont
véritablement étudié le cadre conceptuel de l’IASB.
L’IAS B a un objectif restreint : répondre aux besoins d’information de l’apporteur de
capitaux (pas seulement l’investisseur mais aussi le prêteur). Pour tous les besoins de
reporting sociétal, environnemental, en matière de ressources humaines, l’IASB n’est pas
compétent, et il ne serait pas légitime dans son organisation actuelle. L’IAS B se situe
effectivement dans le cadre de la théorie de l’Agence, mais Philippe DANJOU ne pense pas
que cela entraine une négation de l’existence de l’entreprise en tant qu’entité économique, a
preuve la définition de la « reporting entity » et la reconnaissance de « l’entity view » dans le
cadre conceptuel.
La révision du cadre conceptuel, engagé par l’IAS B est donc essentielle, notamment
du fait de la crise. Cette révision s’opère en appliquant le « due process », dont Bernard
10
Les normes comptables de l’Etat publiées en France en 2004 comportent le cadre conceptuel expliquant la
présentation des états financiers et le contenu des différentes normes applicables.
8
COLASSE a reconnu les mérites, car il permet de rechercher méthodiquement le consensus. Il
faut donc participer à ce processus. L’appel à commentaires est ouvert, en particulier aux
universitaires (et donc à Bernard COLASSE), aux normalisateurs nationaux et, pour l’Union
européenne, à l’EFRAG.
Après les travaux sur le chapitre I – Objectifs et caractéristiques qualitatives de
l’information financière et sur le chapitre II – reporting entitees (à quoi s’appliquent ces
normes ?) le volet consacré à la valorisation permettra de revenir sur les questions relatives à
la juste valeur, à la valeur de marché (deux approches différentes mais souvent confondues),
de même qu’au coût historique. Comme l’a souligné J-P MILOT la définition conceptuelle de
l’actif et du passif seront traités : à côté des 80% de questions faciles à régler, les débats se
concentreront à juste raison sur les 20% restant. Philippe DANJOU estime in fine qu’il est
dommage que l’Union européenne ne soit pas appelée à « endosser » le cadre conceptuel (ses
textes fondateurs ne le prévoient pas expressément). Elle pourrait, pour le moins, organiser un
débat sur ses lignes principales et émettre une opinion à leur sujet.
Gilbert GELARD affirme pour sa part que les marchés efficients n’existent pas. Pour
que les marchés soient efficients il faudrait une transparence complète de l’information,
l’absence d’asymétrie -et en ce cas les transactions seraient aisées- et les marchés financiers
inutiles !
Mais par quoi remplacer les concepts utilisés ? Durant la crise, quant les actifs en juste
valeur étaient à zéro, ils l’étaient également, nécessairement, en coût déprécié ! Les banques
n’ont pu survivre que grâce aux aides des Etats. Il faut distinguer, dans le fonctionnement des
marchés, incertitude et volatilité. Un jour donné, la valeur de l’actif est certaine. Elle peut
changer dès le lendemain sur la base de données nouvelles. La volatilité, c’est la situation où
tout et son contraire peuvent apparaître de manière imprévisible.
Les controverses, les critiques se sont concentrées sur l’utilisation faite par les banques
des plus-values latentes. Celles qui étaient constatées selon les règles n’étaient pas toutes
-loin de là- réalisées. Comment caractériser les dividendes distribués aux actionnaires sur les
plus values non réalisées ? Et de même pour les bonus attribués aux traders. Le délit de
distribution de dividendes fictifs existe. Ne faut-il pas y ajouter un nouveau délit de
distribution de salaires fictifs ? Mais quelles autorités ont sérieusement évoqué de telles
pistes ? Cela montre bien que le problème est dans la gouvernance des entreprises, dans la
régulation des marchés et non dans la comptabilité.
La révision du cadre conceptuel de l’IAS B doit fournir l’occasion, en particulier via le
3e chapitre, -measurement- de définir des règles d’évaluation plus adaptées aux
caractéristiques des marchés financiers. Quant à l’information à publier, il faut en finir avec
les excès actuels, conduisant à des documents de 400 à 500 pages, sans que des grilles de
lecture ne soient proposées.
Pour l’IPSAS B, Gilbert GELARD, qui a suivi ses travaux pour le compte de l’IAS
B11, a toujours été surpris qu’il ait appliqué, du moins implicitement, un cadre conceptuel qui
n’est pas le sien, ce qui est dommageable pour sa crédibilité. Il faut donc qu’il accélère la
préparation de son propre cadre conceptuel.
11
Cette fonction est désormais confiée à Philippe DANJOU.
9
1.5. Le débat avec les participants
Alain DORISON12 s’interroge sur la capacité des normes IAS / IFRS de fournir une
bonne estimation de la valeur des sociétés. La juste valeur contribue à retenir une valeur
liquidative, en contradiction avec le principe de continuité de l’exploitation. L’approche par le
bilan (stock) est privilégiée, au détriment de l’approche par les flux. Il cite le cas des retraites :
les engagements de retraites sont ou seront retracés au passif alors que l’actif ne mentionne
pas les flux de produits à venir, en particulier dans le secteur public. Il pense que les
normalisateurs devraient faire preuve de plus de pragmatisme.
Philippe DANJOU rappelle que le cadre conceptuel des normes IFRS indique de
manière explicite, qu’elles ne sont pas conçues pour donner la valeur globale de l’entreprise.
Il fait observer que les actifs incorporels créés par l’entreprise ne figurent pas au bilan. Les
normes demandent à préciser la valeur de réalisation des seuls actifs et passifs appelés a être
cédés par l’entreprise dans le cours de son activité habituelle, elles comportent des règles en
matière d’engagements à long terme, au passif. La continuité d’exploitation est un principe
fondamental des IFRS et la plupart des actifs sont évalués au coût de revient amorti. Les
dépréciations (impairments) sont effectuées en retenant des cash flows actualisés sur une
période longue. Ces valorisations aident l’utilisateur à se faire une opinion sur la valeur de
l’entreprise. Il appelle donc à plus d’objectivité pour l’appréciation globale des IFRS.
Jean-Benoît FRECHES13 demande pour chacun des organismes de normalisation
comptable, le montant de leurs budgets : leur indépendance financière est-elle garantie ?
Pour l’IPSAS B, Marie-Pierre CORDIER indique que le budget 2009 s’est établi à 1,7
millions de dollars. 50% du financement est assuré par l’IFAC, c'est-à-dire par les
organisations professionnelles des pays membres et 50% par des contributions
gouvernementales ou intergouvernementales. La contribution du Canada est importante : prise
en charge du siège à Toronto et d’une partie significative des frais de personnels. Mais il faut
tenir compte des frais hors budget : frais de mission et rémunérations (pour le temps passé)
des membres du Board, personnels mis à disposition. En résumé, le financement est apporté
en réalité, pour 1/3 par l’IFAC et, pour 2/3 par les gouvernements et les organisations
internationales.
Philippe DANJOU renvoie au rapport annuel et aux comptes certifiés de la Fondation
IFRS publiés sur le site internet de cette dernière. Le budget est actuellement de 17 millions
de Livres sterling. Ce sont les entreprises qui contribuent au financement, la collecte étant
assurée par les régulateurs nationaux (donc l’ANC pour la France). Les contributions par Etat
membre sont fixées en % du PIB. Les apports des grands cabinets sont actuellement plafonnés
à 1/3 et sont appelés à disparaître à terme. Les institutions internationales financières
spécialisées participent au financement.
Benoît LEBRUN14 se référant aux travaux en cours en matière de contrats de
partenariat (concessions, DSP, PPP) souligne les inconvénients du manque de cadre
conceptuel pour le secteur public. Les règles de comptabilisation et de valorisation seraient
plus faciles à établir si les utilisateurs des comptes étaient mieux identifiés : les opérateurs
publics eux-mêmes ou bien les contribuables ?
12
Alain DORISON, Inspecteur général des Finances est président de la Commission « Sécurité Sociale » du
CNoCP.
13
Jean-Benoît FRECHES est Conseiller Maître à la Cour des comptes.
14
Benoît LEBRUN, associé KPMG, est membre d’un groupe de travail du CNoCP
10
Jean-Paul MILOT mentionne que la LOLF se réfère à trois catégories d’utilisateurs :
les contribuables, les usagers des services publics et les citoyens au nom de l’ « intérêt
général », c'est-à-dire ce qui pourrait concilier les positions des usagers et celles des
contribuables. Quant à la comptabilité, elle n’apporte pas de réponse claire à la question
posée. L’IPSAS B, comme l’a souligné Marie-Pierre CORDIER a ouvert le débat en direction
des indicateurs de performance en abordant le sujet de la soutenabilité et donc en se plaçant
en dehors de la comptabilité. Les idées germent mais le débat est loin de sa conclusion. Il
n’est donc pas étonnant que les préparateurs de normes restent déçus actuellement.
Revenant sur les propos critiques de Bernard COLASSE sur l’approche par le bilan, il
relève que les propositions manquent actuellement pour passer à une autre approche.
Gilbert GELARD souligne que l’approche bilan n’a été fortement critiquée que depuis
que la « juste valeur » a introduit la volatilité dans les résultats annuels. Ce n’est donc pas
l’approche bilan qui est en cause, mais les méthodes d’évaluation. Philippe DANJOU estime
de son côté que les normes comptables devraient se cantonner à apprécier le résultat
opérationnel de l’entreprise et en aucun cas sa performance. Gilbert GELARD ajoute que
c’est à tort que les termes « performance de l’entreprise » figurent dans le cadre conceptuel de
l’IAS B.
Jean-Louis MULLENBACH15 estime que l’approche par le bilan présente également
un grand intérêt dans le secteur public. Les souscripteurs d’emprunts publics d’Etats se
considèrent à juste raison comme des apporteurs de capitaux à risques. Le marché s’interroge
sur la qualité des émetteurs publics. Quand, pour la certification des comptes de l’Etat émise
par la Cour des comptes, le nombre de réserves « substantielles » est ramené de 12 à 9,
l’évolution ne passe pas inaperçue.
Pour Jean-Paul MILOT, les emprunts d’Etat comportent en général moins de risques
que les émissions des entreprises. Sauf exceptions, les différentiels de taux sont en faveur des
titres de dette publique.
De plus il convient de noter que les bilans des Etats ne reflètent pas la totalité de la
richesse des Etats : de très importants éléments de celle-ci n’y figurent pas, plus
particulièrement ce qui pourrait être considérés comme des actifs incorporels spécifiques et
des engagements constitutifs de passifs. La prise en compte de tels éléments dans la
comptabilité reste discutée, certains préconisent de s’en tenir à une approche plus limitée
fondée sur les flux, par exemple sous la forme des anciens comptes de régularisation. Il reste
donc d’importants progrès à réaliser dans le cadre des débats sur le futur cadre conceptuel du
secteur public qui, en tout état de cause, ne devrait pas retenir comme un objectif principal
l’utilisation du bilan pour d’éventuelles notations.
Dominique PANNIER16 demande si, à côté du rôle joué par la valorisation au prix de
marché, on ne devrait pas s’intéresser à deux principes oubliés ? Celui de « prudence » pour
les comptables, et pour les auditeurs externes, celui de « scepticisme » ? Une illustration est
fournie par la fortune faite par le spéculateur américain qui a parié contre la viabilité des
« subprimes » sur la base d’une lecture des prospectus officiels des véhicules
d’investissements correspondants.
Daniel HOURI17 estime que les IAS / IFRS comportent des dangers (leur caractère
procyclique) ou des lacunes (absence d’approche pertinente des performances). Il conteste la
15
Jean-Louis MULLENBACH, co-directeur du Belot-Mullenbach et associés est Vice-président de l’Académie
des sciences et techniques comptables et financières.
16
Dominique PANNIER, Conseiller-Maître est directeur de l’Audit interne à l’OCDE.
17
Daniel HOURI, Conseiller-Maître, est membre du Collège de l’ANC.
11
distinction qui a été faite entre comptabilité et gouvernance des entreprises. Le résultat
comptable induit inévitablement des comportements : un résultat dégradé du fait des normes
déterminera des actions de redressement – un résultat amélioré peut susciter une euphorie
conduisant à des dérives inverses. Répondant à ces critiques, Gilbert GELARD estime que les
milieux d’affaires font jouer à la comptabilité un rôle qui n’est pas le sien. Elle n’a pas pour
vocation de déterminer ni des niveaux de salaires, ni des attributions de stocks options. Il
reconnait néanmoins qu’il a, sans doute, une vue idéale de la comptabilité.
Jean-Paul MILOT fait observer qu’une comptabilité qui n’aurait pas d’effet pourra
être considérée comme inutile. Il faut donc choisir.
2. -
Table ronde n° 2 – France –Union européenne : éléments de comparaison
pour la normalisation comptable
2.1- Orientations des travaux de l’Autorité des normes comptables (ANC)
Pour Jérôme HAAS18 la France se trouve dans une situation beaucoup plus claire
quand on la compare par rapport au foisonnement des interrogations qui caractérisent
actuellement les débats internationaux. Le Plan stratégique 2010-2011 adopté par l’ANC
après son accession à la présidence19 a permis de clarifier la situation française et les positions
à prendre.
La France a disposé très tôt (depuis le Trésor Royal) d’une organisation comptable
robuste fondée sur une comptabilité de caisse ; elle n’est nullement dépassée là où elle
répond, à elle seule, aux besoins.
La comptabilité des marchands a introduit les notions de flux et de stocks, en donnant
une première comptabilité d’exercice dans laquelle notre pays a fait coïncider le droit et
l’économie. La révolution industrielle a conduit à élargir aux nouveaux secteurs les règles
existantes, en les améliorant.
Pourquoi l’économie financière moderne, mondialisée devrait-elle remplacer toute
cette structure. Au-delà de la chronologie, la logique conduit donc à faire coexister deux
systèmes comptables :
-
pour les comptes sociaux, préserver le système français enrichi par les
normes comptables européennes, pour la colonne vertébrale de notre
économie ; c’est l’actuel PCG, fondé sur un jeu unique de comptes et
qui a l’avantage de pouvoir s’appliquer à tous les secteurs ;
-
pour les comptes consolidés et plus généralement les groupes opérant
sur les marchés financiers : utilisation des IFRS en les faisant évoluer
de manière rationnelle.
A cet égard, la transparence recherchée n’a pas été obtenue. La crise d’octobre 2008
-parce que les normes l’ont amplifié- montre qu’il faut combattre les excès. Les normes ont en
18
19
Jérôme HAAS est Président de l’ANC.
Le document est disponible sur le site internet de l’ANC.
12
particulier déformé la réalité économique ; elles ont conduit à distribuer des actifs créés de
manière artificielle, les règles de prudence ayant été perdues de vue.
Quant aux comptes publics, la comptabilité d’engagement, devenue la règle générale
avec la LOLF, a fait réaliser des progrès considérables. Un cadre conceptuel ad hoc n’est
vraiment utile que s’il comporte des concepts permettant de se mettre en accord avec ce qui
existe. La situation de la France est, sur des points substantiels, différente de celle de pays tels
que le Canada ou la Nouvelle-Zélande.
2.2 – Orientations des travaux du Conseil de normalisation des comptes publics.
Danièle LAJOUMARD20 présente le CNoCP avec ses trois commissions spécialisées
(Etat, sécurité sociale, collectivités territoriales). Elle rappelle les objectifs qui lui ont été
fixés, lors de son installation par le Ministre, le 7 septembre 2009 :
-
préparer des comptes adaptés à la spécificité des administrations
publiques, mais harmonisés avec ceux du secteur privé ;
-
contribuer à doter le secteur public de comptes cohérents -mais sans
unicité des règles, selon les secteurs- afin de permettre une vision
consolidée de ce secteur ;
-
constituer un lieu d’influence au plan international.
Le programme de travail ne comporte pas expressément la préparation d’un cadre
conceptuel. Le problème ne sera donc pas abordé de manière frontale dans ce cadre.
Cependant, le CNoCP est amené évidemment à prendre position sur les consultations lancées
par l’IPSAS B sur son projet de cadre conceptuel.
Pour les commissions, les points forts du programme sont :
-
pour l’Etat, l’adaptation du recueil des normes comptables et, le cas
échéant, du « cadre conceptuel » qui en constitue l’introduction (mais
qui est plutôt une grille de lecture). La transposition aux Etablissements
publics nationaux fera également l’objet de premières réflexions ;
-
pour la sécurité sociale, l’amélioration du PCUOSS, par exemple pour
le traitement comptable des placements financiers ;
-
pour les collectivités territoriales : réflexion d’ensemble (état des lieux
et perspectives) sur l’évolution des règles qui leur sont applicables
(actuellement : une « comptabilité budgétaire patrimonialisée ») et
traitement comptable des instruments financiers.
Des groupes de travail réunissant des membres de commissions et des personnalités
qualifiées extérieures ont été mis en place notamment pour traiter :
-
les passifs d’intervention (Etat et sécurité sociale, avec extension prévue
aux collectivités territoriales) ;
-
les concessions et PPP (Etat et collectivités territoriales).
20
Danièle LAJOUMARD est inspecteur général des finances et préside la Commission « Etat et organismes
dépendant de l’Etat » du CNoCP. Le texte auquel elle s’est référée dans son intervention figure en annexe IV.
13
2.3 – Les comptes de l’Union européenne – cas concrets d’application adaptée des
normes IPSAS
Michel CRETIN21 rappelle que la présentation des comptes de l’Union européenne
est restée particulièrement peu satisfaisante jusqu’en 2004. Il s’agissait d’une comptabilité de
caisse. Le document principal était constitué par un « compte de gestion consolidé » (le
budget exécuté) avec de nombreux éléments extra-comptables.
Le passage a des comptes présentés conformément aux normes internationales, devenu
effectif en 2005 a été préparé à compter de 2001. Un nouveau règlement financier adopté en
2002 a prévu qu’il sera fait application des concepts d’image fidèle, en mettant en œuvre une
comptabilité d’exercice, pour un périmètre à définir. Il était précisé qu’il pourrait être dérogé
aux normes comptables admises en cas de spécificité reconnue. En décembre 2004, une
communication du Conseil confirmant la « nécessité d’agir » officialise l’adoption des normes
IPSAS sous la forme de 17 règles comptables. Celles-ci avaient été préparées par un comité
de 14 personnalités, dont un représentant de l’IPSAS B. Ce comité est toujours en place : il
est en particulier intervenu dans l’actualisation de 11 règles.
Chaque règle dérive d’une norme IPSAS, qui est expressément rappelée (ainsi la règle
16 se réfère à IPSAS 24 – présentation de l’information budgétaire). Précisément, pour le
budget, l’option a été prise d’appliquer le « modified cash », avec un tableau de raccordement
avec la comptabilité d’exercice.
Le périmètre de consolidation est déterminé sur la base du contrôle par l’Union
européenne. Au total, 43 entités différentes sont consolidées : 39 par intégration globale (il
s’agit des institutions, Parlement et Cour de justice compris et de certaines agences) et 4 par
mise en équivalence. Le Fonds européen de développement (FED), la caisse maladie et la
BCE sont hors périmètre.
Les engagements de retraite ont posé un problème particulier. Ils apparaissent au
passif pour un montant de 37,5 milliards d’euros, conformément à IPSAS 25 (avec prise en
compte des augmentations de traitements à venir). Aucune inscription ne figurant à l’actif, la
situation nette de l’Union européenne est donc négative, principalement en raison de
l’application de ces règles. Les Etats membres garantissent à l’Union européenne le règlement
de l’ensemble de ses charges (y compris les retraites) par le versement de contributions
annuelles : celles-ci étant garanties par les traités européens et des lois, il a été admis par le
comité ad hoc que la garantie d’une dette d’ordre général ne pouvait pas être considérée
comme une créance directe, notamment en matière de retraite. Bien entendu, une note
spécifique figure dans les comptes pour expliciter cette situation et la manière dont l’Union
l’interprète.
La Cour des comptes européenne n’a pas émis de réserve sur les comptes de l’Union
depuis 2005. Elle émet d’une part une « déclaration d’assurance » sur les comptes et, d’autre
part, une « opinion sur la légalité des opérations ». Par légalité, il faut plutôt entendre
« régularité ».
Cette dernière particularité dans les travaux de la CCE mérite certainement d’être
signalée -et débattue.
21
Michel CRETIN, Président de chambre honoraire de la Cour des comptes est membre de la Cour des comptes
européenne.
14
2.4 – Le débat
Bernard ZUBER, en rappelant la distinction opérée par Jérôme HAAS entre comptes
sociaux (application du PCG) et comptes consolidés (IFRS, avec des corrections suite à la
crise), souhaite obtenir des précisions sur l’accueil que réserve l’ANC aux propositions de
l’IAS B pour le corps de normes IFRS à appliquer aux PME. La France ne risque-t-elle pas de
faire cavalier seul, notamment par rapport aux Etats de la Zone euro ?
Jérôme HAAS indique que ce n’est pas le cas, bien au contraire : les consultations
écrites ou orales déjà intervenues le montrent. Les IFRS applicables aux PME proposées ne
sont pas compatibles avec le droit européen. Il faut donc maintenir la distinction entre deux
mondes qui coexistent actuellement.
Les seules questions à régler concernent le traitement à retenir pour les entreprises qui
se trouvent entre ces deux mondes, et en particulier des PME qui s’internationalisent. La
possibilité d’adopter les IFRS est ouverte en France depuis 2004, mais il s’agit d’un libre
choix pour les entreprises. De plus, la France a ouvert la possibilité inverse, de revenir à
l’application des règles purement nationales.
Cette offre complète constitue une position commune aux Etats de l’Europe
continentale, qui attend donc un ensemble de normes comptables compatibles sous leur deux
approches, avec de la flexibilité pour passer de l’une à l’autre.
Jérôme HAAS rappelle enfin le propos de Gilbert GILARD : « sans l’Europe, il n’y
aurait pas d’IAS B ».
Olivier MYART22 mentionne le cas de l’ONU, qui a prévu un passage gradué étalé
dans le temps (jusqu’en 2014, voire au-delà) des normes IPSAS. Michel CRETIN lui rétorque
que l’Union européenne a réglé le problème en se préparant à l’avance qui a permis le passage
sur la seule année 2005.
Daniel HOURI constate que, pour la certification des comptes de l’Etat, les équipes de
Bercy et celles de la Cour des comptes font un excellent travail. Elles ont néanmoins le
sentiment, à certains moments, qu’elles travaillent dans le vide. Cela le conduit à poser trois
questions :
-
quel usage fait-on actuellement, dans l’Etat, de la comptabilité générale de
l’Etat ?
-
quel usage en est-il attendu, dans le futur ? En clair, quelle est l’utilité de la
démarche de certification ?
-
pourquoi ne va-t-on pas plus vite dans la préparation et la mise en place de
normes comparables dans les Etats membres de l’Union européenne ?
Danièle LAJOUMARD rappelle l’option prise par la LOLF : la comptabilité générale
prolonge sous un angle différent l’information donnée par la comptabilité budgétaire, en
introduisant des valorisations annuelles des actifs et des passifs, avec des charges à payer, des
produits à recevoir, des provisions… Des éléments nouveaux ont été introduits, tels que les
actifs incorporels (concessions, DSP, fréquences hertziennes, notamment).
Mais, alors que dans le secteur privé, l’approche par le Bilan doit (ou devrait) fournir
la valeur de l’entreprise, il en va différemment pour l’Etat :
22
Olivier MYART, conseiller maître à la Cour des comptes. Directeur de l’audit externe de l’ONU (France) de
2008 à 2010.
15
-
dont la situation nette est négative notamment en raison des concours qu’il
apporte à l’économie, aux citoyens, aux établissements publics et aux
collectivités territoriales et qui n’ont pas de traduction à l’actif ;
-
dont les principaux actifs incorporels (comme le droit de lever l’impôt) ne
sont pas enregistrés ;
-
et dont le résultat patrimonial n’a pas de réelle signification faute de la
liaison existant dans les entreprises entre dépenses exposées et produits
réalisés.
L’utilité de cette comptabilité générale de l’Etat est plus dans une somme d’utilités
partielles que dans une vision d’ensemble. Certes, les travaux menés dans les ministères et à
la Cour des comptes, en vue de la certification aboutissent au constat d’une situation à un
moment donné, la clôture d’un exercice. Mais ils se traduisent par une somme considérable de
notes, d’explications avec des constats, en général partagés, de progrès réalisés ou à réaliser..
De ce point de vue, le travail comptable qui s’est accompagné du développement du contrôle
interne et de l’audit interne comptable, en débouchant sur une meilleure connaissance du
patrimoine, permet une meilleure gestion publique.
Une estimation plus complète des coûts a été recherchée -et pour sa plus grande partie
obtenue. Cela donne à l’Etat, dans ses diverses composantes, l’occasion de se poser les
bonnes questions, au bon moment.
Jean-Paul MILOT, qui à ce stade de la réunion, s’exprime à titre personnel, apprécie le
contenu et la tonalité des questions posées. Deux évolutions seraient, selon lui, souhaitables :
-
la première serait d’améliorer la communication financière sur le compte
général de l’Etat. Les parlementaires, tout en reconnaissant les progrès
accomplis, souhaitent que les enjeux principaux soient bien marqués,
notamment ceux qui sont relatifs à la portée des comptes. Il convient peut
être de prévoir des messages plus simples et plus ciblés ;
-
la seconde évolution serait d’accorder plus de priorité aux développements
nécessaires de la comptabilité de l’Etat : présentation -et validation- d’une
part des comptes par programme, par action et par ministère et d’autre part,
production de comptes consolidés.
La réflexion sur les actifs et passifs spécifiques doit bien sûr se poursuivre. On voit
cependant qu’elle progresse peu au niveau international, étant peu à peu supplantée par les
réflexions sur la soutenabilité. Les états financiers publiés par les autres Etats ne marquent pas
non plus d’avancées notables sur ces points. Aussi, sans exclure des innovations intéressantes
sur la valorisation de certains de ces éléments, on peut penser que le débat international ne se
focalisera pas sur ces points dans un proche avenir.
Cette évolution devrait pousser à mieux exploiter les informations déjà disponibles, en
les intégrant dans une démarche de gestion plus performante des administrations publiques, ce
qui permettrait également de répondre à l’attente des responsables des ministères et d’ancrer
ainsi la comptabilité générale dans les pratiques des gestionnaires.
Jérôme HAAS rappelle que la LOLF a pour objectif implicite de présenter les comptes
de l’Etat de manière analogue à ceux des entreprises. En l’état actuel d’avancement de
travaux, il convient de présenter les données comptables en faisant ressortir la performance
par secteur. Les points sur lesquels il y a dérogation par rapport aux règles de droit commun,
devront donner lieu à des explications détaillées. Il faut éviter un référentiel « pâté
d’alouettes », mais en faisant preuve de pragmatisme.
16
REMARQUES FINALES ET PROPOSITIONS D’ACTION
A l’issue de la conférence débat, Bernard ZUBER, Président du Club des juridictions
financières, a soumis aux intervenants et aux membres du Conseil d’administration du Club
comptable des propositions de « conclusions ». Les avis recueillis ont été extrêmement variés,
exprimant des points de vue, des nuances, des réserves voire de sérieuses oppositions.
Le texte ci-dessus constitue donc une rédaction reprenant les points ayant recueilli le
consensus le plus large.
*
1. Concernant l’IAS-B et la normalisation du secteur privé.
Il est noté que les représentants de l’IAS-B n’entendent pas écarter la référence
implicite à la théorie de l’Agence, confirmant ainsi qu’ils estiment nécessaire de
privilégier le point de vue des apporteurs de capitaux, comme fondement du
capitalisme financier.
Cependant, il se sont déclarés ouverts à une prise en compte des attentes des autres
parties prenantes, sous réserve qu’il en soit clairement débattu dans le processus
d’élaboration du nouveau cadre conceptuel et que des propositions utiles soient
formulées.
Ils ont confirmé être conscients que les règles en vigueur, même avec les
réaménagements de 2008, laissent la possibilité de distribuer à titre de dividendes
ou de rémunérations additionnelles des sommes correspondant à des plus values
non réalisées.
Les risques encourus ne paraissent donc pouvoir être utilement traités que par des
actions convergentes :
-
de l’IAS-B, notamment dans les avertissements qui pourraient être
introduits notamment dans son futur cadre conceptuel ;
-
des régulateurs des marchés nationaux ou transnationaux (en cas de
zone monétaire, notamment) ;
-
des entreprises concernées, sous la forme de règles de gouvernance en
matière de distribution de rémunérations et de dividendes.
Au demeurant, en ce qui concerne les sociétés mères des groupes français, les
normes IFRS sont tout à fait hors de cause, puisque les comptes individuels,
base légale des dividendes, sont établis selon le PCG.
17
2. Concernant l’IPSAS-B et la normalisation du secteur public
2.1 Cadre conceptuel
L’IPSAS-B ayant enfin décidé de se doter d’un cadre conceptuel propre au secteur
public, qui comportera des références utiles à celui de l’IAS-B mais en explicitant les
dispositions particulières liées aux spécificités du secteur public, il conviendra, pour les
autorités compétentes françaises et européennes de participer très activement au débat déjà
engagé.
2.2 Gouvernance – refondation de l’IPSAS-B
Les pistes de réforme mises en discussion consistent en particulier à :
-
-
professionnaliser l’institution :
•
par la nomination d’un président à temps plein ;
•
une partie des membres seraient nommés sur proposition des
gouvernements ;
•
par la mise en place d’une équipe de permanents plus stable et plus
représentative de la diversité des pays et institutions concernées ;
organiser la supervision externe de l’IPSAS-Board en impliquant les
gouvernements dans les réformes à mettre en place dans ce domaine.
Les actions ainsi engagées méritent d’être soutenues fermement, en particulier
avec l’appui du CNoP. En outre, dans le débat des réformes de l’IPSAS-B, un
soutien actif de l’Union européenne doit être recherché. En effet :
-
même si les normes comptables du secteur public ne sont pas de la
compétence européenne, le débat gagnerait à être porté sur la scène
européenne, vu les enjeux ;
-
la France pourrait tirer profit de son « avance » (comptes publics en
comptabilité d’exercice, comptes audités, participation active aux
consultations de l’IPSAS-B) pour prendre l’initiative des premiers
contacts et explorer les possibilités de lancer le débat européen.
3. Les comptes du secteur public (France)
Les débats et les contributions ont fait ressortir l’intérêt, voire l’urgence des actions
suivantes :
-
engager les travaux utiles pour une présentation des comptes consolidés
de l’Etat et leur certification par la Cour des comptes ; à cet effet, les
règles applicables aux établissements publics nationaux, opérateurs de
l’Etat et contrôlés par lui, devraient être harmonisées de manière
prioritaire ;
-
clarifier les objectifs de normalisation comptable pour les collectivités
territoriales et les établissements publics locaux.
18
ANNEXES
Annexe 1 :
Exposé introductif de Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
Annexe 2 :
IFRS Foundation : Qui sommes-nous et que faisons-nous ?
Annexe 3 :
IPSAS Board – Marie-Pierre CORDIER, conseiller maître, membre de l’IPSAS-B
Annexe 4 :
Intervention de Bernard COLASSE, professeur Paris-Dauphine
Annexe 5 :
Intervention de Jean-Paul MILOT, CNoCP
Annexe 6 :
Orientations des travaux CNoCP, Danièle LAJOUMARD
Annexe 7 :
Intervention de Michel CRETIN, membre de la Cour des comptes européenne « Les normes
IPSAS et l’Union Européenne »
19
Téléchargement