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LE SECTEUR PUBLIC : LA NORMALISATION COMPTABLE
A L’EPREUVE DE LA CRISE
CONFERENCE – DEBAT
28 septembre 2010
NOTE DE PRESENTATION
Le Club comptable des juridictions financières, partenaire de FONDAFIP, a organisé
cette conférence-débat le 28 septembre 2010 à la Cour des comptes. L’objectif était de faire
le point sur les évolutions intervenues en matière de normalisation comptable au plan
international, européen et national, les inflexions voire les remises en cause découlant de la
crise financière et économique, et les actions à mener, spécialement par les acteurs français.
Des personnalités responsables du secteur privé comme du secteur public ont été
appelés à s’exprimer, à l’invitation de Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des
comptes et de Bernard ZUBER, Président du Club comptable. Le compte rendu qui suit
donne une synthèse des exposés et des débats, dont les termes ont été validés par les
principaux intervenants.
Dans les Remarques finales et propositions d’action le Président du Club comptable
des juridictions financières propose une synthèse des actions méritant d’être menées à la
fois :
- pour hâter l’élaboration et la mise en œuvre de cadres conceptuels adaptés à la nouvelle
donne post-crise tant pour le secteur public que pour le secteur privé ;
- pour utiliser à bon escient les marges de manœuvre qui sont laissées aux Etats pour adapter
les normes dites internationales aux spécificités des entités concernées, qu’il s’agisse
d’organisations transnationales (le cas de l’Union européenne est signalé) ou des Etats et des
secteurs publics (ou privés) nationaux.
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COMPTE RENDU
Dans son exposé introductif1, Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des
comptes, a souligné que les normes comptables ne sont pas neutres et portent en elles des
éléments qui structurent notre système économique et financier. En débattre constitue donc
« une question essentielle que la crise économique et financière a particulièrement mise en
exergue ». Pour le secteur privé, « c’est le développement des marchés financiers et des
transactions transnationales ainsi que la nécessité de faciliter l’accès des investisseurs à des
données fiables, compréhensibles, interprétables mais aussi et surtout homogènes et
comparables qui ont contribué à la mise en place de normes comptables internationales,
(IAS) (International Accounting Standards), désormais appelées IFRS ».
Pour le secteur public, l’intérêt de normes comptables est désormais reconnu, sous
réserve des « spécificités » des entités publiques : dans un univers mondialisé, les questions
publiques nationales sont mises en comparaison, décuplant les exigences d’exhaustivité et de
lisibilité de ces comptes. La Cour des comptes a relevé en particulier lors d’ « échanges avec
ses homologues des pays de l’Union européenne, l’importance des normes comptables
publiques dans l’appréciation de la crédibilité, de la conception et de la mise en œuvre des
stratégies de redressement des finances publiques », en constatant néanmoins « qu’il n’existe
pas à l’heure actuelle, au sein de l’Union, de mécanismes d’harmonisation » des normes
correspondantes ». La France « est aujourd’hui en pointe en matière de normalisation des
comptes publics : elle s’est fixée pour règle (article 31 de la LOLF [2001] et article 1er de la
loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale [SS] [2004]) que les
normes comptables applicables à l’Etat et à la S.S doivent être celles du secteur privé, sous
réserve des adaptations rendues nécessaires par les spécificités du secteur public ». Cette
règle doit prévaloir « pour l’ensemble du secteur public, y compris, bien entendu, pour les
collectivités territoriales ».
Sur ce point, Didier MIGAUD appelle l’ensemble des participants « à agir de manière
coordonnée pour que cette approche soit bien prise en compte par l’Union européenne ».
L’instance de normalisation comptable internationale compétente -l’IPSAS Board- a donc un
rôle clé à jouer : la question de sa gouvernance, qui sera débattue au même titre que celle de
l’IAS Board, conduit le Premier président à émettre le vœu que ces instances soient
complètement convaincues de l’utilité de s’ouvrir à tous les points de vue et de s’enrichir des
compétences et avis, venus de tous les horizons…
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* *
Bernard ZUBER, Président du Club comptable des JF, remercie le Premier président
d’avoir aussi complètement refixé le cadre des débats, en appelant tout particulièrement à une
action plus forte, au plan européen, pour harmoniser les règles de préparation et de suivi des
1 Le texte intégral de cette intervention figure en annexe 1.
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états financiers et, au plan international, pour tirer les leçons de la crise2 pour amender la
gouvernance des deux instances de normalisation comptable, l’IAS Board et l’IPSAS Board.
Le Club comptable pourra ainsi remplir son objectif majeur : faire se rencontrer -pour
avancer ensemble- des responsables éminents du secteur privé et du secteur public, en charge
des questions de normalisation comptable, et contribuer à surmonter des barrières qui, pour
une part importante, ne gagnent pas à être maintenues.
*
* *
La conférence débat s’est organisée en deux tables rondes. La première a été consacrée
à dresser un état des lieux centré sur les grands enjeux, les débats actuels et les controverses.
La seconde à visé à confronter les expériences françaises et européennes en matière de
normalisation comptable.
1. - Table ronde n°1 : Etat des lieux : les grands enjeux, les débats actuels, les
controverses
1.1. L’IAS Board, les IFRS3
Gilbert GELARD4, dans un bref historique, rappelle que l’IAS B est issu en 2001 de
la transformation de l’IAS C (groupement des organisations professionnelles nationales avec
peu de moyens et recourant au temps partiel) en Fondation, dotée de moyens adéquats et
finançant l’IAS B dont elle nomme les membres (15 actuellement), pour deux mandats au
maximum pouvant aller en tout jusqu’à 10 ans, à temps plein. L’Union européenne lui a, en
quelque sorte « délégué » la préparation des normes comptables applicables aux comptes
consolidés des sociétés cotées : elle les a rendues obligatoires à compter du 1er janvier 2005,
tout en gardant la mainmise sur leur acceptation par un processus élaboré d’approbation.
L’IAS B est donc un organisme de proposition : il ne peut contraindre quiconque,
laissant entière la liberté des Etats quant à une éventuelle adoption. Son domaine de
compétence se limite au secteur privé (y compris les sociétés non cotées), à l’exclusion du
secteur associatif et du secteur public.
Il n’empêche que les normes IAS/IFRS sont adoptées progressivement dans le monde
(voir dans le document annexé), à l’exclusion des Etats-Unis d’Amérique, qui appliquent les
2 Dans un article publié dans le Monde Economie du 7 septembre 2000 Jean Pisani-Ferry a fourni les éléments
d’appréciation suivant sur la crise : « Deux ans ont passé depuis le déchaînement de la crise financière, et nous
commençons à peine à en mesurer les conséquences. Andrew Haldane (Banque d’Angleterre) a récemment
estimé que la valeur actualisée de toutes les pertes de production présentes et futures approcherait sans doute
une année de produit intérieur brut (PIB) mondial : 60 milliards de dollars (46 700 milliards d’euros), soit cinq
siècles d’aide publique au développement, ou dix milliards de fois le coût de construction d’une classe dans un
village africain. La question centrale de la réforme financière est de savoir comment réduire la fréquence de tels
cataclysmes et à quel coût ».
3 Voir en annexe 2, le document émanant de IFRS Foundation / IAS B.
4 Gilbert GELARD a été membre de l’IAS Board à compter de janvier 2001. Son mandat s’est terminé fin juin
2010.
4
US GAAP. Ainsi, la normalisation internationale, pour les sociétés cotées, est le fait d’un
duopole (IAS B-FASB), ce qui constitue une situation néfaste à la sérénité des débats.
L’objectif de la convergence des normes internationales est de mettre fin à cette situation de
duopole. La gouvernance de l’IAS B est assurée par les « trustees » qui sont des personnalités
particulièrement qualifiées, au nombre de 22 dont 6 Nord-américains. Le Monitoring Board,
mis en place à la suite de la crise, en réponse aux remarques du G20, est composé de
représentants des principaux régulateurs mondiaux pour exercer une surveillance extérieure
sur les activités des trustees, dont ,notamment ,sur le process de leur nomination
La force de l’IAS B tient à la légitimité technique de ses travaux, fondée sur un
processus d’élaboration systématique et obligatoire, (le « due process »), avec les garanties
qu’apportent des consultations largement ouvertes ; Gilbert GELARD estime que les normes
IAS/IFRS sont bien préparées dans le souci de l’intérêt général, même si le contenu de cette
notion peut prêter à discussion. Le cadre conceptuel de l’IAS B, dont la révision va être
engagée activement, est très important pour aboutir à un ensemble cohérent de normes.
Celles-ci, peu détaillées, restent au niveau des principes et laissent une certaine place à des
applications différenciées qui peuvent être justifiées, assurant un certain degré de
comparabilité sans conduire à une uniformité qui pourrait n’être qu’artificielle. .
Pour Philippe DANJOU5, nous nous trouvons à une période charnière, en matière de
normalisation comptable internationale. Jusqu’en 2008, la convergence des normes au plan
mondial, constituait l’objectif essentiel ; ce chantier était conduit selon une approche très
technique. La crise a fait que le politique s’en est saisi, aux Etats-Unis comme en Europe -et
donc en France. Le G20 a mis en place un Conseil de stabilité financière ; le débat sur la
convergence des normes a pris une ampleur considérable et a modifié le calendrier du
chantier, certaines améliorations des normes notamment celles relatives aux instruments
financiers ayant été jugées prioritaires par le G20. Les normes US GAAP comportent
d’importantes faiblesses en ce qui concerne les banques. Des failles existent également dans
les IFRS dans ce secteur ou ailleurs. Elles ont été corrigées, pour l’essentiel, aux Etats-Unis
comme pour les IFRS. L’IASB a achevé à l’automne 2009 la première phase de la refonte de
la norme IAS39 et a formulé des propositions pour les phases suivantes. Les conditions
d’application de la mesure en juste valeur ont été clarifiées.
Le débat de fond continue néanmoins. Les normes comptables doivent-elles viser la
neutralité, c'est-à-dire fournir des informations homogènes, non biaisées, utiles aux acteurs
économiques ? Ou contribuer à la régulation en jouant un rôle modérateur des comportements
a travers une vision teintée de prudence? Plus largement, comment combiner les rôles
respectifs des normes comptables, normes prudentielles (banques et assurances), normes de
gouvernance / d’entreprise ? Un rapport d’experts réunis par l’IASB et le FASB (Financial
Crisis Advisory Group), auquel participait notamment M. Michel PRADA, a apporté des
éléments de réponse.
L’adoption mondiale des IFRS, facilitée par la convergence préalable entre IFRS et
US GAAP, demeure l’objectif primordial. Mais quel sera le point d’équilibre :
- primauté aux IFRS ?
- ou coexistence / conciliation entre les deux référentiels IFRS et US
GAAP ?
5 Philippe DANJOU est membre de l’IAS B depuis 2006.
5
Cette dernière piste étant, à coup sûr, la plus difficile, le calendrier va imposer une
étape clef, avec une décision de principe fatidique des USA dans la période juin 2011 à fin
2011.
L’IASB aura achevé sa première décennie de travaux. Les débats ne sont plus
seulement techniques. Ils concernent l’économie mondiale tout entière. Un cadre de
coopération institutionnelle entre les différents régulateurs et normalisateurs a été mis en
place : le Conseil de stabilité financière. Les liens avec le Comité de Bâle ont été renforces.
L’équipe des membres du Board va changer, un nouveau Président va entrer en fonction. De
nombreux pays vont adopter les IFRS à compter de 2011-2012. Face aux enjeux actuels, 2011
va constituer une année cruciale, qui verra l’aboutissement du projet d’harmonisation
mondiale ou, au contraire, une nouvelle tendance à la fragmentation.
1.2. L’IPSAS Board – Les normes IPSAS6
En indiquant d’entrée de jeu que l’IPSAS B est encore souvent considéré comme une
sorte de Club qui se réunit quatre fois par an, Marie-Pierre CORDIER7 rappelle qu’il
n’existe, sous sa forme actuelle, que depuis 2004. C’est un organisme de l’IFAC, il relève
donc de l’organisation internationale de droit privé rassemblant les professions comptables à
travers le monde. Ses membres sont les organisations mondiales de droit privé et non les
gouvernements. La structure ainsi établie pose donc, dans sa conception même, un point
crucial de gouvernance. Si les deux organisations françaises membres de l’IFAC, le Conseil
supérieur de l’Ordre des experts comptables et la Compagnie nationale des Commissaires aux
comptes ont proposé comme membre, au Comité du Secteur public de l’IFAC (formule en
cours jusqu’en 2004) puis à l’IPSAS B, un membre de la Cour des comptes, le cas de la
France est resté isolé.
Les 18 membres de l’IPSAS B, nommés par le Conseil d’administration de l’IFAC
sont quasiment tous des professionnels comptables. S’il est bien prévu qu’ils doivent être
principalement issus du secteur public, cette condition est aisément réunie dans les pays où les
experts comptables exercent indistinctement dans le secteur privé ou dans l’administration.
Pour les pays qui ne connaissent pas cette fluidité, la représentation est mal assurée ou
inexistante. Il en va ainsi de la plupart des pays d’Europe continentale. Il en résulte que le
débat international sur les travaux est cantonné à un nombre restreint de pays, ce qui affecte
bien entendu la portée du corps de normes qu’il émet.
Un défaut supplémentaire de l’organisation tient au fait que l’IPSAS B n’est pas tenue
par les règles de gouvernance appliquées par les trois autres organismes normalisateurs de
l’IFAC, qui édictent les normes internationales d’audit (ISA), les normes de déontologie de la
profession comptable, et les normes de formation. Ces derniers sont soumis à la supervision
externe du PIOB (Public interest oversiing board) composé de représentants de régulateurs
nationaux, et aux avis de groupes consultatifs (CAG).
L’organisation des travaux de l’IPSAS B appelle également des réserves. L’IPSAS B
a, jusqu’à présent, donné la primauté à la convergence entre normes IPSAS et normes IFRS,
en l’entendant trop souvent comme une simple transposition. Ainsi, la norme IPSAS 25 -
rémunérations et retraites des fonctionnaires et agents publics, reprend pour l’essentiel IAS 19
6 Voir la contribution détaillée de M.P. CORDIER, présentée à titre personnel, en annexe III
7 Marie-Pierre CORDIER, conseiller maître à la Cour des comptes, est membre de l’IPSAS B depuis le 1er
janvier 2007. Elle a succédé à Philippe ADHEMAR.
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