; il fut cruellement déçu. Un avis venu de l’île Léros avaient mis les généraux
d’Athènes, Phrynicos, Onomaclès et Scironidès, sur leurs gardes. En un instant,
l’armée, les blessés, le matériel de siége, furent embarqués, le butin abandonné
sur la plage et les vaisseaux dirigés à toutes rames sur Samos. Si l’amiral
Persano eût montré à Lissa autant de diligence, il n’eût pas été réduit à
combattre Tegethof dans les conditions défavorables qu’il accepta. Pouvait-il, en
cette occasion, imiter l’exemple que lui donnait, en l’an 413 avant Jésus-Christ,
Phrynicos ? Pour mettre des troupes à terre, pour les reprendre à bord, nous
sommes bien loin de disposer des moyens rapides et sûrs que possédaient les
anciens. Ne m’a-t-il pas fallu à moi-même, dans la seconde année de l’expédition
du Mexique, près d’un mois pour embarquer un seul bataillon groupé près de
l’embouchure de la rivière de Tampico ? Théramène avait manqué l’occasion de
surprendre une flotte athénienne ; il saisit avidement celle qui s’offrait à lui de
gagner les bonnes grâces de Tissapherne. Le satrape avait dans la ville de Iasos,
sur la côte de Carie, un ennemi personnel ; il fit appel au zèle des
Lacédémoniens. Les Lacédémoniens s’emparèrent de la place désignée à leurs
coups et l’abandonnèrent aux vengeances du gouverneur de l’Asie maritime. La
revanche des Perses commençait. Pour payer le service qui lui était rendu,
Tissapherne apporta de l’or. Tous les navires alliés reçurent un mois de solde.
Tissapherne avait désormais sa flotte ; Pharnabaze, à son tour, voulut avoir la
sienne. Les Péloponnésiens lui promirent vingt-sept vaisseaux, et Antisthène de
Sparte reçut l’ordre de les lui conduire. La mission était plus facile à donner qu’à
remplir ; Athènes gardait avec soin les avenues de l’Hellespont. Trente-cinq
vaisseaux, commandés par Charminos, Strombichidès et Euctémon, cinglaient en
ce moment même vers Chio ; soixante-quatorze autres, maîtres de la mer,
faisaient de Samos des courses sur le territoire de Milet. La flotte d’Antisthène
partit du cap Malée, entra dans Milo et y trouva dix vaisseaux athéniens. De ces
dix vaisseaux, trois, abandonnés par leurs équipages, tombèrent en son pouvoir
; les autres réussirent à lui échapper et firent route vers Samos. C’était là un
fâcheux contretemps pour Antisthène. La flotte athénienne allait être avisée de
son départ : comment parviendrait-il à lui dérober ses mouvements ?. Antisthène
suivit l’exemple d’Alcidas ; il brava les hasards de la grande navigation. Ses
vingt-sept vaisseaux firent voile pour la Crète, y rencontrèrent l’obstacle presque
insurmontable alors des vents étésiens, et, après bien des péripéties, finirent par
arriver à Cannes en Asie. Caunes n’était guère sur le chemin de l’Hellespont,
mais Cannes était peu éloignée de Milet, et à Milet se trouvait rassemblée la
flotte d’Astyochos. Antisthène demanda qu’on vînt l’escorter ; Astyochos ne
pouvait se refuser à ce légitime désir. Il prit sur-le-champ la route de Caunes, à
la façon antique, par étapes. Sa flotte passa donc de Milet à Cos et de Cos à
Cnide.
Si vous avez jamais relâché au cap Crio, vous y aurez contemplé avec admiration
les débris de ce port où s’arrêtait, indécis dans sa marche, vers lés premiers
jours du printemps de l’année 412 avant notre ère, le navarque Astyochos. Ce ne
sont que fûts de colonnes, architraves de marbre, blocs énormes tirés. de
carrières inconnues. Le roi Louis Philippe songea, en 1832, à faire servir ces
décombres délaissés aux embellissements du palais de Versailles. Le vaisseau la
Ville de Marseille et le transport le Rhône vinrent jeter l’ancre sur cette rade, qui
pour la première fois sans doute abritait de pareils colosses. Le butin fut maigre,
non que le marbre manquât ; mais nous nous trouvâmes inhabiles à soulever et
à emmagasiner de pareils débris. Les masses que les anciens se faisaient un jeu
de remuer ont toujours embarrassé la mécanique dégénérée de nos ingénieurs.