L`habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et

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Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
L'habitat groupé: une expérimentation
sociale entre singulier et collectif
ALBERTO Colin
Mémoire de Séminaire
Communication politique
Sous la direction de : Bernard LAMIZET
(Soutenu le : 2 septembre 2011 )
Membres du jury : - Bernard Lamizet - Lahsen Abdelmalki
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif . .
I.1 Les fondements de l'institution d'habitat collectif . .
I.1.1 La nature de l'institution d'habitat collectif . .
I.1.2 La mise en place de normes comme fondation de l'institution d'habitat
collectif . .
I.1.3 Les fondations juridiques de l'institution d'habitat collectif . .
I.2 La formation d'une institution d'habitat collectif . .
I.2.1 Comment créer le groupe-projet ? . .
I.2.2 La question de la mixité sociale . .
I.2.3 Groupe d'habitants ou groupe de militants? . .
I.3 Enraciner et maintenir l'institution dans le temps . .
I.3.1 Intégrer des nouveaux arrivants et encaisser les départs . .
I.3.2 Maintenir la cohésion du groupe . .
I.3.3 Quelle autonomie pour l'institution d'habitat collectif ? . .
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat . .
II.1 La construction d'un « chez soi » collectif . .
II.1.1 Ce que signifie habiter un lieu : comment habiter collectivement? . .
II.1.2 Habiter ensemble: entre unité et fractionnement . .
II.1.3 Identités singulières et identités collectives dans l'acte d'habiter . .
II.2 Une redéfinition des frontières entre espace public et espace privé . .
II.2.1 Bref historique de l'individualisation du logement . .
II.2.2 Les conséquences de cette privatisation dans les réalisations
architecturales . .
II.2.3 La signification des espaces communs dans l'habitat groupé . .
II.3 De la conception d'un habitat à son autoconstruction . .
II.3.1 La conception de l'habitat groupé: une nouvelle collaboration entre
habitants et architectes ? . .
II.3.2 Les relations entre l'institution d'habitat collectif et les autres
partenaires . .
II.3.3 Quels liens entre habitat groupé et autoconstruction ? . .
III. L'habitat groupé dans l'espace public . .
III.1 Habitat groupé et identité coopérative . .
III.1.1 Retour sur le mouvement coopératif dans le domaine du logement . .
III.1.2 Habitat groupé et démarche coopérative: quelles similitudes et quelles
différences? . .
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III.2.2 Les sources de l'écologisme des habitats groupés . .
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III.2.3 Habitat groupé et écoquartiers : vers une politique écologique de la
ville ? . .
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III.2 Habitat groupé et écologie . .
III.2.1 Écologie et habitat groupé : des liens à géométrie variable . .
III.3 Habitat groupé et changement social . .
III.3.1 Habitat groupé et politiques publiques : complémentarité ou
substitution ? . .
III.3.2 Habitat groupé et mouvement social . .
III.3.3 Vers une démocratisation de l'habitat groupé : forces et faiblesses du
mouvement actuel . .
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Annexe 1 : Index des projets d'habitat groupé cités dans le mémoire . .
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Annexe 2 : Retranscription de l'entretien réalisé avec Anne-Françoise Gay, animatrice du
Réseau Habitat Groupé et membre d'un groupe-projet, le 6 juin 2011 à Lyon . .
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Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Revues . .
Littérature grise . .
DVD . .
Documents sur Internet . .
Sites Internet . .
Vidéos en ligne . .
Annexes . .
Annexe 3 : Retranscription de l'entretien réalisé avec Cécille Viallon, secrétaire générale
de l'association Éco Habitat Groupé et habitante de l'habitat groupé de La Viorne, et Alain
Sauzay, membre de l'association Éco Habitat Groupé et habitant de La Viorne, le 11 juillet
2011 à Villefontaine . .
Résumé . .
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Remerciements
Remerciements
Je remercie tout d'abord Bernard Lamizet pour le suivi attentif de ce mémoire malgré son démarrage
tardif, pour toutes les précieuses idées échangées lors des séminaires ou de nos entretiens et qui
imprègnent ce travail, et plus généralement pour la grande qualité de son enseignement à l'IEP qui
a nourri ma réflexion cette année.
Je remercie Lahsen Abdelmalki pour avoir accepté d'être le second membre de mon jury.
Mes remerciements vont également à Anne-Françoise Gay, Cécile Viallon et Alain Sauzay :
nos discussions, entretiens, et la visite de l'habitat groupé de La Viorne m'ont permis de mieux
cerner l'habitat groupé.
Merci enfin à Ayla Kientz pour sa relecture précieuse, et à toutes les personnes qui m'ont
été proches pendant ce travail et qui m'ont aidé à entreprendre ce long et patient voyage dans les
contrées de l'habitat groupé.
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L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Introduction
Un enfant se promenant dans le jardin, au soleil ; un chien se reposant sur l'herbe, puis
venant taquiner de la truffe la camera ; une tête blonde cueillant et mangeant une framboise,
tandis qu'un adulte s'affaire un peu plus loin près d'une autre plante ; de grandes maisons
rouges à deux étages disposées autour du parc pour enfants et du jardin central... voilà
les premières images d'un documentaire sur l'habitat groupé diffusé afin de promouvoir ce
1
mode d'habitat. Un bandeau au bas de l'écran nous apprend que nous nous trouvons à
Munksogard, près de Copenhague, là où le mouvement de l'habitat groupé est né il y a
presque quarante ans. A Munksogard vit une centaine de familles ; comme tous les autres
intervenants du documentaire, l'habitante de Munksogard interviewée ce jour-là expose sa
joie de vivre dans un lieu où règne un esprit de village, où des rencontres sont possibles
tous les jours, où tout le monde se connaît, et où les enfants sont éduqués de façon idéale,
le tout dans des logements écologiques de qualité. En bref, à ce qu'il semble, tout n'est
qu'ordre et beauté, luxe, calme et convivialité...
En France, les expériences d'habitat groupé ont eu une histoire beaucoup plus
houleuse que dans les pays d'Europe du Nord, où ce type d'habitat peut représenter une part
importante du parc de logements. En Suède et en Norvège, l'habitat groupé et coopératif
représente environ 15% du parc immobilier, et en Allemagne, référence incontournable
2
en la matière, 6 millions de logements sont assimilables à des habitats groupés. Dans
l'hexagone, si quelques expériences ont bien vu le jour dans les années 1970 et 1980,
elles furent assez peu nombreuses, et le renouveau de l'habitat groupé depuis le milieu
des années 2000 est pour le moment plutôt limité. Cela n'a pas empêché les différents
acteurs de ce mouvement d'utiliser un certain nombre de vocables pour désigner ces
expériences, ce qui peut engendrer une certaine confusion. Ainsi, outre « l'habitat groupé »
on rencontre parfois les mots : « habitat participatif », « habitat collectif », « cohabitat »,
« habitat autogéré », « autopromotion », voire « Baugruppen », sans qu'aucune définition
claire de tous ces termes ne se soit imposée, et sans que l'un de ces mots soit considéré
comme la dénomination de référence. S'il est vrai que les expériences d'habitat groupé se
distinguent par leur diversité, il convient tout de même de trouver comment unifier toutes ces
expériences alternatives d'habitat sous la même bannière. Les acteurs de l'habitat groupé
3
semblent s'être récemment mis d'accord sur le terme d'habitat participatif. En attendant que
l'emploi de ce terme ne s'impose, je préférerai dans ce mémoire parler d'habitat groupé. En
effet, ce sont les mots que j'ai le plus souvent rencontrés parmi mes recherches, et ils sont
tout de même acceptés par un grand nombre d'organisations œuvrant pour la promotion de
ce type d'habitat. En outre, ce nom me semble être plus précis que celui d'habitat participatif,
car on pourrait parler d'habitat participatif dès lors qu'un élu consulte ses citoyens pour
1
Matthieu Lietaert, Vivre en cohabitat: Reconstruire des villages en ville, 2007 [DVD]
2
Au Québec également, 22 000 coopératives d'habitation accueillent 250 000 personnes, dans 91000 logements, ce qui
représente 30% du parc locatif public québécois. Voir : Antoine Bosse-Platière, « Bientôt des coopératives d'habitants ? », Les 4
saisons du jardin bio, septembre-octobre 2010, n°184, p.63.
3
Le changement a été acté lors des Rencontres nationales de l'habitat participatif de Strasbourg, tenues entre le 19 et le
21 novembre 2010. Voir sur le sujet l'explication de Bruno Parasote, président d'Eco-quartier Strasbourg: http://www.youtube.com/
watch?v=OmG5tt9c4LM [page consultée le 11 août 2011]
6
Introduction
l'établissement d'un nouveau quartier. Or, l'habitat groupé est bien plus que cela. Pour le
comprendre, un retour sur l'apparition de l'habitat groupé en France est nécessaire.
L'habitat groupé est initialement un terme architectural qui désigne un habitat de densité
moyenne. Mais un autre sens est apparu dans les années 1970 avec le Mouvement pour
l'habitat groupé autogéré (MHGA), une association qui a alors promu un modèle original
d'habitat. La charte de l'association développe les conditions que doit remplir un habitat
groupé autogéré :
le groupe, constitué de cinq à dix familles, vit au sein d'un même habitat dans lequel
les décisions à propos de la conception et de la gestion du lieu se font collectivement
des locaux et des installations communes occupent une partie du budget et de la
superficie du logement
le groupe maintient des relations (en particulier à travers les espaces collectifs) avec
le reste de la société et ne cherche pas à s'isoler
l'habitat groupé autogéré tente de « rompre le système de ségrégation sociale dans
4
lequel nous vivons »
le fonctionnement du groupe se fait en autogestion, ce qui implique « la recherche d’une
5
véritable égalité de pouvoir qui respecte les différences »
Les « aventuriers du quotidien » du MHGA reconnaissent volontiers leur filiation avec
les idées de Mai 68, ce que l'on retrouve dans l'idée d'autogestion ou encore dans la volonté
6
d'inscrire son quotidien dans un projet politique. On admet qu'à l'époque, entre 100 et
7
150 projets ont abouti, et que jusqu'à 400 groupes-projet ont pu exister. Cependant, le
mouvement s'éteint de lui-même à la fin des années 1980 et si une grande partie des
habitats groupés existants continuent de fonctionner, le nombre de nouvelles réalisations
se tarit. Il faut attendre le milieu des années 2000 pour que de nouveaux groupes imaginent
spontanément des projets d'habitat groupé et que le mouvement reprenne de l'ampleur :
en 2005 sont créés le Réseau Habitat Groupé, qui tente de fédérer et d'encourager les
différentes expériences pouvant se créer sur le territoire national, et l'association Habicoop,
qui milite pour la reconnaissance d'un cadre légal pour les coopératives d'habitants. Au
passage, la référence à l'autogestion est abandonnée: pour les membres du MHGA,
rebaptisé Éco Habitat Groupé en 2008 lorsque l'association renaît de ses cendres,
l'autogestion n'est plus vraiment une idée dans l'air du temps, même si certains regrettent
8
cet abandon.
Pourquoi ce renouveau de l'habitat groupé au milieu des années 2000 ? Les causes
sont multiples et difficilement identifiables, mais on peut tout de même relever plusieurs
facteurs de renaissance de l'habitat groupé. Les premières pistes sont à chercher du côté
du marché du logement. En effet, la hausse des prix du logement et les difficultés de
plus en plus importantes que les ménages éprouvent pour trouver un logement décent et
4
5
6
7
Charte du MHGA: http://www.passerelleco.info/article.php?id_article=847 [page consultée le 17 Mars 2011]
Ibid.
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Voir le discours d'Anne d'Orazio aux Rencontres nationales de l'habitat participatif de Strasbourg : Anne D'Orazio, Panorama
de l'habitat participatif [audio en ligne], Grand atelier habitat participatif, <http://2010.habitatparticipatif.net/2011/03/grand-atelierhabitat-participatif> [page consultée le 11 août 2011]
8
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
7
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
abordable peuvent expliquer la recherche d'alternatives.A Lyon, les coûts de construction
ont augmenté de 50% entre 1999 et 2004. Un logement HLM neuf de 70 m2 de surface
habitable y coûte 110.000 euros en moyenne et un tel logement sur le marché libre 179.000
9
euros . Cette hausse des prix fait peser au poste « logement » un poids de plus en plus
important dans les budgets des ménages :
« Entre 1992 et 2006, les revenus moyens des locataires (secteurs libre et social),
n’ont augmenté qu’à un rythme annuel moyen inférieur à 1 % et même à 0,5
% entre 2002 et 2006, alors que leurs dépenses de logement augmentaient
fortement, à un rythme moyen de 2,2 % sur 14 ans et encore plus nettement entre
2002 et 2006 puisqu’elles ont progressé de 2,8 % en HLM et 3,5 % en secteur
10
libre. »
De façon générale, on remarque que les solutions alternatives de logements sont souvent
apparues dans des périodes de difficultés économiques, qui poussent les ménages à
se regrouper et à agir ensemble, notamment pour faire des économies. Il en fut ainsi,
par exemple, pour le mouvement coopératif dans le domaine de l'habitat, qui connut un
formidable essor pendant et après la crise du logement qui a suivi la Seconde Guerre
11
Mondiale.
D'autre part, le public de l'habitat groupé d'aujourd'hui n'est pas le même que celui
des années 70. Les habitats groupés du MGHA étaient en majorité composés de jeunes
couples avec enfants cherchant à s'installer dans un logement correspondant à leurs idéaux
12
politiques. Aujourd'hui, alors que les problématiques du vieillissement de la population et
du traitement de la dépendance des personnes âgées sont sur le devant de la scène, de
nombreuses personnes de plus de 50 ans se tournent vers l'habitat groupé afin de « ne pas
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aller dans des mouroirs ». Ce changement de public a des conséquences importantes, qui
vont au-delà de la mise en place d'habitats groupés à destination exclusive des personnes
14
âgées. Par exemple, la volonté de casser le cocon familial, très présente dans les projets
15
d'habitat groupé de première génération, n'est absolument plus d'actualité. Le public de
l'habitat groupé devient plus équilibré en termes d'âge, ce qui permet aux projets de mettre
en place une mixité intergénérationnelle de manière plus importante dans les années 1970
et 1980.
Enfin, et peut-être surtout, les habitats groupés de ces dernières années prennent leur
16
source dans la prise de conscience de « l'urgence environnementale [et] économique » ,
9
Yann Maury, Forme et politique d’un nouveau service public du logement social [en ligne], p.4 <http://www.habicoop.fr/IMG/
pdf/colloque_Rome_Maury-2.pdf>[page consultée le 11 août 2011]
10
Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, L'état du mal-logement en France : 16
e
rapport
annuel.2011, pp.28-29
11
Michèle Attar, Vincent Lourier & Jean-Michel Vercollier, La place de la forme coopérative dans le secteur de l'habitat en France.
Paris, PUCA, 1998, p.19
12
Philippe Bonnin, « Introduction : notre maison est toujours à réinventer. » in Dir. Philippe Bonnin,Habitats autogérés. Paris :
Editions alternatives / Syros, 1983, p.8
13
14
15
16
8
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
Par exemple, les Babayagas à Montreuil. Voir: http://lamaisondesbabayagas.fr/ [page consultée le 11 août 2011]
Roland Tourreau, « Individu, famille, groupe et vie quotidienne », in Dir. Philippe Bonnin, p.106
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
Introduction
et de la nécessité de faire correspondre ses propres pratiques d'habitat avec ce sentiment
d'urgence. Les habitats groupés se placent donc dans la galaxie de ces nouvelles pratiques
apparues au fil de cette décennie, qui entendent provoquer un changement local pour
répondre aux enjeux globaux, qu'ils soient sociaux, économiques, ou écologiques. Ces
transformations s'inscrivent dans une période d'affaiblissement des solidarités qui incitent
les militants à trouver de nouvelles formes de changement social basées sur le collectif.
Cet aspect sera approfondi dans le mémoire, car il constitue une base essentielle de la
compréhension de l'habitat groupé.
Dans tous les cas, si les deux vagues d'habitat groupé possèdent des différences qui
permettent de les considérer comme deux phénomènes autonomes, la continuité entre les
deux générations est tout à fait flagrante, puisque tous ces habitats correspondent à la
définition de l'habitat groupé donnée ci-dessous. C'est pourquoi ce mémoire, tout en se
concentrant sur les dernières réalisations, inclura largement des références à des projets
appartenant aux habitats groupés du MHGA.
Suite à mes premières recherches, et devant l'absence de définition officielle ou
admise de l'habitat groupé, il m'a fallu construire une définition personnelle qui soit aussi
synthétique que possible tout en reflétant la diversité des expériences d'habitat groupé.
Ainsi, nous pouvons dire qu'un habitat groupé est tout lieu d'habitat dans lequel vivent
plusieurs ménages qui mettent en commun une partie de la superficie du terrain et du bâti,
qui prennent les décisions concernant la conception et la gestion du logement de manière
concertée, et qui sont soit propriétaires de leur partie privative, soit locataires auprès d'une
coopérative d'habitants ou d'un bailleur social.
17
En utilisant la définition donnée par l'association grenobloise Les HabILeS sur leur
site internet, on peut ajouter que l'habitat groupé est « un projet collectif de logements dont
les habitants s'impliquent dans la promotion et la gestion » en mutualisant des finances,
18
des espaces, des services, du temps « pour créer un lieu de vie adapté et pérenne. »
Cette définition permet de faire ressortir des aspects importants de la démarche collective
d'habitat groupé même s'ils n'en constituent pas le fondement. La mutualisation est ainsi un
ressort essentiel de ce type de projet : les habitants doivent échanger et mettre en commun
des ressources et agir ensemble, sans quoi le projet est condamné à l'échec. De plus, la
définition des Habiles insiste sur l'aspect pérenne de l'habitat, ce qui n'est pas une donnée
19
identitaire de l'habitat groupé , mais permet d'insister sur la projection dans le long terme
que requiert une telle expérience.
Ainsi, la définition retenue nous indique que l'habitat groupé n'est pas:
une colocation, car dans l'habitat groupé, les personnes sont propriétaires de leur
logement (dans la plupart des cas) ou locataires auprès d'un bailleur social ou d'une
coopérative. De plus, l'habitat groupé fait coexister des parties privatives et des parties
communes, tandis que dans la colocation, tout l'espace est partagé (au niveau juridique au
moins).
une communauté, car les habitants jouissent d'espaces privés ; en outre, les habitats
groupés sont des lieux d'habitation, et rarement des lieux où toute la vie des habitants se
concentre.
17
18
19
Pour « Habitats isérois libres et solidaires » : l'association promeut l'habitat groupé sur le territoire isérois
http://www.leshabiles.org/index.php?option=com_content&view=article&id=31&Itemid=28 [page consultée le 19 août 2011]
En Belgique, l'habitat groupé a d'ailleurs pu être envisagé comme un lieu de passage temporaire pour des personnes en
difficulté sociale. Voir Séverine Karko,Habitats groupés, habitats solidaires. Think tank « Pour la solidarité », 2008, passim.
9
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
un squat, car les habitants occupent leur logement de manière tout à fait légale.
Cependant, l'héritage du squat peut être important: par exemple, le mouvement des
20
coopératives d'habitation en Italie a commencé par se réapproprier d'anciens squats.
un « kibboutz à la française » ! Il en est même assez éloigné, car d'une part l'habitat
groupé ne remet pas en cause la propriété mobilière, et d'autre part son but n'est pas de
réaliser une communauté de travail agricole.
Ces quelques considérations établies, il nous a semblé utile de remonter dans le
temps à la recherche des ancêtres de l'habitat groupé. Avant la révolution industrielle,
seules, les « communautés taisibles » semblent se rapprocher dans leur démarche de
l'habitat groupé. En effet, dans ces lieux que l'on trouve à partir du Moyen-Age et jusqu'au
e
XX siècle dans les campagnes françaises, des personnes, unies certes par des liens du
sang ou des alliances, se transmettent de génération en génération un patrimoine indivis
et administré par un maître qui n'est cependant pas le propriétaire, puisque la propriété
21
appartient à la communauté. Mais ce modèle ne possède pas la même signification que
les habitats collectifs émergeant à partir du XIXe siècle, car c'est bien à cette période
que l'essor de l'habitat individuel vient chambouler les représentations sociales de l'habitat.
Les nouveaux habitats urbains bourgeois, puis plus tardivement ouvriers, deviennent alors
centrés sur une cellule familiale limitée à ce que l'on appelle aujourd'hui la « famille
22
nucléaire ». C'est seulement en réaction à ce modèle individuel que des formes collectives
d'habitat perçues en tant que telles peuvent prendre naissance. En d'autres termes, l'habitat
groupé n'a de signification que s'il est ressenti comme la recherche d'une alternative à une
individualisation de l'habitat considérée comme insatisfaisante. Rien de cela n'est présent
chez les « taisibles », qui ne faisaient que transmettre de génération en génération un mode
d'habitat devenu habitude au fil des siècles. Les tentatives les plus anciennes possédant
des similitudes avec l'habitat groupé sont donc à chercher parmi les projets des utopistes
e
du XIX siècle, en particulier chez le Phalanstère de Charles Fourier.
Ce projet prend forme dans la tête de ce jeune utopiste social dans les années 1820.
Le laboratoire social que constitue le Phalanstère est censé représenter l'application des
théories fouriéristes au sein d'un monde social clos. L'ensemble architectural comportant
environ 400 logements doit héberger une petite société permettant à ses habitants de se
laisser guider par leurs passions dans l'accomplissement des tâches de tous les jours, qui
23
sont partagées par tous les membres du projet.
Dans les faits, la plupart des Phalanstères, construits par de riches philanthropes vers
e
la moitié du XIX siècle, sont des expériences de courte durée et disparaissent au bout
24
de quelques mois, ou quelques années pour les plus chanceux. La plus durable des
réalisations concrètes inspirées par le Phalanstère est encore visible aujourd'hui à Guise, et
c'est un entrepreneur du nom de Jean-Baptiste André Godin qui dresse les plans et lance la
20
21
22
Yann Maury, p.3
André Kerspern, « Des taisibles aux coopératives, une permanence dans la démarche » in Dir. Philippe Bonnin, p.44
Bruno Parasote, Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux : comment construire collectivement un immeuble
en ville ?, Paris, Editions Yves Michel, 2011, p.14
23
Pierre Mercklé, Le Phalanstère [en ligne], Association d'études fouriéristes, 2009, <http://www.charlesfourier.fr/article.php3?
id_article=328> [page consultée le 11 août 2011].
24
Jean-François Draperi, Godin, inventeur de l'économie sociale : mutualiser, coopérer, s'associer. Valence, Editions REPAS,
2008, p.79
10
Introduction
construction du lieu entre 1858 et 1877. En 1880, 330 logements y sont occupés par 1770
habitants. En plus de ces spacieux appartements, le « Familistère » de Guise compte une
« nourricerie » (crèche pour 0-2 ans), un « pouponnat » (pour les 2-4 ans), un bambinat
(sorte d'école maternelle pour 4-6 ans), une école mixte, laïque, gratuite, et obligatoire, pour
l'éducation ; une usine à gaz, des cabinets de médecins, des étables, des basse-cours et
des magasins de toutes sortes pour le travail ; un théâtre, des salles de conférence et des
associations pour la vie sociale ; des lavoirs, des bains et de grands jardins pour l'hygiène.
25
C'est donc un projet de grande ampleur, d'autant qu'il est conçu pour être reproductible.
Le projet possède une modernité étonnante, car Godin va jusqu'à créer l'ancêtre d'un
Système d'échange local en frappant une monnaie spécifique au Familistère. Cependant,
notons également les différences entre cette colossale micro-société et les habitats groupés.
D'abord, la création du Familistère est portée par un homme seul, Charles Godin, qui prend
ensuite l'ensemble des décisions concernant son administration. Les ouvriers logeant à
Guise n'ont en aucun cas participé à la conception ou à la construction de leur habitat. Qui
plus est, le Familistère abrite non seulement des espaces de logement, mais également des
espaces de loisir, de travail, et de négoce : il entend donc régler tous les aspects de la vie
ouvrière, tandis que les habitats groupés actuels se limitent bien souvent à l'organisation
26
sociale de l'habitat.
Cependant, le Phalanstère et le Familistère vont marquer durablement les tentatives
ultérieures d'habitat collectif en France, et ces expériences seront utilisées au cours de
ce travail pour analyser certains aspects de la vie en habitat groupé. Parallèlement à
ce courant d'utopisme social, les premières coopératives d'habitat se forment en cette
e
fin de XIX siècle. Toutefois, l'identité coopérative faisant l'objet d'une sous-partie de
ce mémoire, l'historique des formes coopératives d'habitat sera dépeint ultérieurement.
Portons simplement à l'attention du lecteur que les Habitations à bon marché (HBM)
ont constitué les premières formes d'ampleur de coopératives d'habitat, et que leur
e
développement pendant la première moitié du XX siècle a été fortement accéléré après
la Seconde Guerre Mondiale. L'essor de ces sociétés coopératives, renommées entretemps sociétés coopératives HLM (pour Habitation à loyer modéré), sera brutalement
interrompu en 1971 par la Loi Chalandon, qui remettra en cause leurs principes même de
fonctionnement. C'est approximativement à cette période que les premiers habitats groupés
émergeront et se regrouperont sous la bannière du Mouvement pour un Habitat Groupé
Autogéré.
A présent que le sujet a été délimité, voyons quel angle d'analyse a guidé le travail
entrepris tout au long de ce mémoire. Le sujet de l'habitat groupé n'est pas, comme
dans certains travaux similaires, l'aboutissement de longs questionnements durant ma
scolarité. Mais il arrive qu'une décision prise presque au hasard se révèle croiser dans
son développement des centres d'intérêts enfouis et des questions depuis longtemps sans
réponse, à tel point que l'on se demande alors si une sorte d'inconscient ne nous a pas
guidé vers ce choix. C'est à peu près ce qui s'est passé pour ce mémoire : ouvrant au hasard
un journal traitant d'économie sociale et solidaire, mon regard est attiré par la construction
d'un éco-hameau en habitat groupé. Mes connaissances à ce sujet sont nulles, mon intérêt
même pour le tiers-secteur est récent, mais quelque chose d'inexplicable me pousse à
entreprendre quelques recherches préliminaires sur le sujet. Celles-ci confirment mon attrait
pour l'habitat groupé, et mon plan se structure presque naturellement dès les premières
25
26
Id., pp.18-21
André Kerspern, in Dir. Philippe Bonnin, pp.46-47
11
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
semaines. Cependant, ma problématique restera voilée jusqu'à la phase de rédaction du
mémoire. Je me rends alors compte que la question qui traverse mon travail est celle de
la frontière. Comment et jusqu'où l'habitat groupé déplace-t-il la frontière établie entre le
public et le privé dans l'habitat ? Dans quelle mesure l'habitat groupé fonctionne-t-il dans
des logiques d'ouverture et de fermeture?
La première partie étudiera ces dynamiques au sein des relations qu'entretiennent les
membres du groupe à la fois entre eux et avec l'extérieur. L'habitat groupé se caractérise par
la création d'une institution d'habitat collectif : nous verrons donc d'abord sur quelles bases
cette institution se construit, qui la met en place, et comment est assurée sa pérennité.
Dans un second temps, nous analyserons les modifications que la mise en place d'une
telle institution introduit dans les pratiques d'habitat. L'habitat groupé accentue la place du
collectif dans l'acte d'habiter ; il brouille les frontières entre espaces publics et espaces
privés ; enfin, il institue l'habitant comme concepteur de son logis, ce qui modifie ses
relations avec les professionnels de l'habitat.
Enfin, nous adopterons un point de vue plus global pour étudier la place de l'habitat
groupé dans l'espace public. L'habitat groupé entretient d'abord une dense dialectique avec
l'identité coopérative. Il est aussi inspiré par un certain type d'écologisme et par l'urbanisme
durable, en particulier les écoquartiers. La place du mouvement de l'habitat groupé se
rapproche alors des nouvelles formes de mobilisation collective qui entendent « penser
global et agir local ».
Le travail qui suit s'est appuyé sur des sources aussi diverses que possible afin de saisir
l'identité de l'habitat groupé sous toutes ses facettes. J'ai ainsi contacté le Réseau Habitat
Groupé, qui fédère les expériences d'habitat groupé sur le territoire français, et interviewé
l'une de leurs animatrices. Je suis également allé visiter un habitat groupé de première
génération et obtenu un entretien avec deux de ses habitants, qui sont par ailleurs membres
de l'association Éco Habitat Groupé (ex-MHGA). Pour ce qui est de la recherche théorique,
je ne me suis pas fixé de limites ; le lecteur ne sera donc pas surpris de croiser des analyses
empruntant à la sociologie, à l'anthropologie, à l'urbanisme, ou encore à la sémantique.
Remarque préliminaire : de nombreux projets d'habitat groupé sont cités dans ce
mémoire, et il peut être difficile de s'y retrouver. C'est pourquoi un Index des projets se
trouve en annexe.
12
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
I. La formation et la vie d'une institution
d'habitat collectif
I.1 Les fondements de l'institution d'habitat collectif
Vivre en habitat groupé, c'est, au-delà de toute considération technique, s'impliquer avec
d'autres habitants dans la formation d'une institution collective d'habitat. Appelée « groupe
d'habitants » ou « groupe-projet » par les acteurs de l'habitat groupé, cette entité doit mener
un projet entier à son terme, pour ensuite continuer sa vie sous la forme d'une communauté
de voisins co-gestionnaires d'un habitat. Voyons d'abord sur quelles bases et par quels
principes est fondé ce type particulier d'institution.
I.1.1 La nature de l'institution d'habitat collectif
Un habitat groupé réunit des personnes ne partageant pas forcément de liens familiaux.
On peut alors parler d'une association de plusieurs ménages en reprenant la définition de
l'INSEE:
La charte du MGHA de 1977 précise ainsi que « l e Mouvement est constitué par les
27
groupes de familles ou d’individus ayant fait construire ou s’apprêtant à construire » , tandis
28
que le groupe Village Vertical rassemble « une douzaine de ménages » . Pourtant, notons
d'emblée que la famille reste un cadre de référence important. Loin des communautés
des années 1970 qui prônaient l'amour libre et la substitution de la communauté à la
cellule familiale, l'habitat groupé d'aujourd'hui comme d'hier s'appuie sur des ménages
autonomes qui s'associent pour construire un projet commun tout en conservant un fort
29
degré d'indépendance. L'investissement de chacun au sein du projet entraîne la formation
d'une entité collective qui ne doit pas être considérée comme une création consciente
de volontés individuelles mais comme une partie intégrante de ces volontés. En d'autres
termes, la création de cette institution d'habitat collectif n'est pas un moyen qui permettra
l'aboutissement du projet, mais le fondement même de l'habitat groupé.
La mise en place de cette institution bouleverse les relations d'appartenance
traditionnellement à l’œuvre dans l'habitat. Ces relations peuvent être schématiquement
décrites par une suite de cercles concentriques qui prennent la forme suivante:
Le « groupe » est donc un nouvel intermédiaire entre l'individu et la société comme
l'était auparavant le corps de métier, comme le sont les organisations religieuses, ou
27
28
29
La charte est à consulter sur http://www.passerelleco.info/article.php?id_article=847 [page consultée le 17 août 2011]
http://www.village-vertical.org [page consultée le 29 mars 2011]
Philippe Bonnin, in Dir Philippe Bonnin, Habitats autogérés, Paris, Éditions alternatives / Syros, 1983, p.9
13
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
30
comme tentent de l'être parfois aujourd'hui certaines entreprises . Après la fin d'une période
dans laquelle l'individu n'existait qu'au travers du groupe social auquel il appartenait (c'est
31
ce que Durkheim appelle la solidarité mécanique ), nous vivons aujourd'hui dans une
époque marquée par l'individualisme, dans laquelle la nécessité de nouvelles institutions
d'appartenance se fait sentir. Le préambule d'un document sur l'habitat groupé diffusé par
l'association lyonnaise Les Ateliers de la citoyenneté rappelle ce changement historique :
L'avènement de l'individu a donc durement dégradé les formes traditionnelles
d'appartenance. Cette crise est particulièrement visible au sein de quatre institutions
principales de solidarité : la famille, l’État, l’Église, et le milieu professionnel. Les
affaiblissements de la famille, de la solidarité étatique, de la foi et des organisations
professionnelles incitent aujourd'hui les citoyens à rechercher de nouvelles formes de
solidarité. L'habitat groupé fait manifestement partie de celles-ci, et derrière les mots de
« recherche du lien social » ou de « convivialité » que l'on retrouve parmi les valeurs de
beaucoup de projets, c'est cette volonté de retrouver un groupe auquel appartenir qui se
manifeste.
Dans les habitats groupés de première génération, la fondation d'une telle institution
collective d'habitat supposait également de remettre en question l'étanchéité de la cellule
familiale. Le mot « cellule » fait référence à la fois à l'unité de base d'un tissu vivant et
32
au lieu où sont internés les prisonniers. Dans le cas de la famille, la cellule est donc
en même temps l'unité de base du tissu social et un lieu potentiel d'enfermement. Or,
les habitats groupés du MHGA entendaient à la fois nuancer le premier aspect tout en
s'éloignant au possible du second. On parlait alors de « désenclaver la famille » pour
« lutter, dans le quotidien, contre l'enfermement familial » et sortir du « couple-famille33
cocon ». Ces caractéristiques ne se retrouvent cependant pas dans les chartes et les
déclarations d'intention des groupes actuels, ce qui laisse supposer un amoindrissement de
la force attendue de l'institution d'habitat collectif, ainsi qu'une attention plus grande portée
à l'individu.
Pour mieux saisir la nature de cette institution spécifique créée par l'habitat
groupé, il peut paraître opportun de la rapprocher d'autres institutions déjà connues. On
peut ici s'inspirer des propos de Bernard Lacroix lorsqu'il compare le fonctionnement
des communautés post-1968 et celui du village (pris au sens ethnographique); cette
comparaison sera d'autant plus pertinente que le village est une référence importante des
habitats groupés. Pour Bernard Lacroix, le village comme la communauté sont des espaces
modérément individualisés, où les relations sont denses et complexes au sein d'un groupe
stable, où le vie collective est placée sous le signe du contrôle social, et où « tout le
34
monde se connaît. » Ces constats ne sont-ils pas valables pour les habitats groupés ?
Cependant, le sociologue note également que les villages se distinguent des communautés
parce qu'ils trouvent leur normativité dans la tradition et que le contrôle social y est une
30
Erik Neveu,Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p.8: « L'une des tendances récentes du
management a été d'introduire dans le fonctionnement de l'entreprise des techniques de mobilisation et de motivation souvent voisines
de celles des univers militants, voire des sectes, faisant des cadres ou contremaîtres de véritables militants de l'entreprise, cherchant
à produire un rapport à la firme qui fasse vivre le salariat comme une forme d'engagement total au service d'une cause. »
31
32
33
34
14
Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 1893, passim.
Trésor de la langue française: Voir sur http://atilf.atilf.fr/tlf.htm [page consultée le 19 août 2011]
Roland Tourreau, in Dir. Philippe Bonnin, p.106
Bernard Lacroix, L'utopie communautaire : histoire sociale d'une révolte – 2e édition, Paris, PUF, 2006, p.52
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
contrepartie du maintien d'un ordre social séculaire, quand les communautés n'existent
que par leurs promesses et mettent en œuvre un contrôle social dépersonnalisant sans
35
contrepartie concrète. Sur ce point, on peut considérer que l'habitat groupé se distingue
des expériences communautaires des années 1970. D'une part, en réservant des parties
privatives à l'abri du regard inquisiteur des voisins, le contrôle social y est considérablement
amoindri. D'autre part, si aucune instance ne peut imposer unilatéralement une loi liant les
membres du projet à sa réalisation, ceux-ci sont tout de même soumis à la signature d'une
charte qui les pousse à mettre en œuvre un projet dans lequel ils se reconnaissent, et leur
impose certaines obligations. Un habitat groupé a donc autre chose à proposer que de
pures promesses d'une vie meilleure. Pour autant, on voit bien que l'habitat groupé n'a rien
à voir avec un village, car la nouveauté du projet ne permet pas aux normes d'acquérir une
légitimité traditionnelle. Dans les faits, il s'agit en fait plutôt de retrouver la proximité des
relations de village que leur teneur.
Ceci dit, il est important de noter que l'habitat groupé n'est pas une simple agrégation
d'individus mais la combinaison d'individus et de familles, et l'existence de deux niveaux
d'appartenance a son importance. En effet, les individus sont liés à la fois à la famille et à
cette institution collective d'habitat, ce qui peut poser des questions de légitimité : selon le
MHGA, « les différences entre les méthodes éducatives, les différentes conceptions de la
36
famille produisent immanquablement des difficultés à un moment ou à un autre ». D'autre
part, ce double niveau peut avoir des influences fortes sur le développement des personnes
vivant en habitat groupé. Aucune étude psychologique n'a été menée sur le sujet, mais
les mots d'une personne ayant grandi dans ce type d'habitat montrent bien la force de
l'appartenance à l'institution d'habitat collectif:
Ce qui incite des personnes d'horizons différents à tenter l'expérience de l'habitat
groupé, c'est donc souvent ce besoin de sécurité offert par l'institution collective d'habitat :
besoin d'avoir un recours en cas de difficulté, de pouvoir compter sur une communauté de
37
valeurs pour désamorcer les conflits. Pour Anne-Françoise Gay, animatrice du Réseau
Habitat Groupé, l'habitat groupé peut même constituer un facteur de solidité des couples,
38
car « dès qu'il y a une difficulté, le groupe est là pour le soutenir ».
Au final, qu'est-ce que cette institution d'habitat collectif ? On peut la rapprocher de ce
que le sociologue Robert Park appelle une « communauté humaine ». Pour lui, une telle
institution est caractérisée par « un territoire délimité, une présence relativement durable sur
ce territoire et des relations d'interdépendance de nature symbiotique entre les membres
39
résidant sur ce territoire. » Les deux premières caractéristiques font intrinsèquement partie
de l'habitat groupé. Quant aux relations d'interdépendance, de nombreux habitats groupés
les revendiquent sous le terme de « solidarité ». Alfred Fouillée, philosophe solidariste de la
e
seconde moitié du XIX siècle, concevait la solidarité comme un état des relations sociales
40
conciliant indépendance des individus et interdépendance des citoyens. La solidarité
35
36
37
38
39
40
Id., p.53
Roland Tourreau, in Dir. Philippe Bonnin, p.108
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.18
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
Thierry Paquot, « Éco-urbanisme », Urbanisme, Mai-Juin 2006, n°348, p.70
Colette Bec, « La solidarité au risque de la mondialisation », inMarc-Henry Soulet (éd.), La solidarité à l'ère de la globalisation,
Fribourg, Academic Press Fribourg, 2007, p.19
15
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
n'oppose donc pas indépendance et appartenance au collectif, mais nourrit l'une et l'autre.
La relation entre les individus est ainsi véritablement de nature « symbiotique », c'est-à-dire
que la vie en habitat groupé bénéficie à tous et de façon durable.
I.1.2 La mise en place de normes comme fondation de l'institution
d'habitat collectif
L'habitat groupé est une façon de concevoir et de gérer un lieu d'habitat de manière
collective. Or, la norme est l'une des manifestations principales de la présence du collectif.
Si le regard des autres habitants peut constituer une norme qui s'impose naturellement, les
valeurs et certains comportements attendus sont toutefois précisés dans une charte et un
règlement intérieur.
La première tâche de chaque groupe, une fois formé ou même avant sa formation
complète, est ainsi de rédiger une charte contraignante signée par chaque participant
au projet. La charte possède plusieurs rôles fondamentaux qui rendent sa rédaction
indispensable. Elle est avant tout le document qui lie les membres du groupe par un
engagement, et permet donc d'assurer la stabilité du groupe en imposant aux candidats
à l'intégration dans le groupe des normes auxquelles ils devront se soumettre. Comme
l'évoque Bernard Lacroix en prenant les exemples du village et du couvent, l'imposition de
normes au sein d'un groupe peut se faire de deux façons (soit a posteriori, soit a priori), mais
quel que soit le mode d'imposition, celles-ci sont nécessaires à la stabilité d'une institution
collective.
Par son mode d'imposition des règles, l'habitat groupé se rapproche du « couvent »,
bien que la norme imposée y soit bien moins totalitaire et que l'engagement soit révocable
plus facilement. Une charte, c'est donc ce qui rappelle les habitants à leurs obligations. Le
document peut servir de référence en cas de divergences de points de vue sur un sujet
tenant à la vie de l'habitat.
Mais au-delà d'un simple établissement de règles, les chartes constituent l'institution
collective d'habitat en lui conférant une identité. Comme l'explique Annabel Roux:
La charte est donc ce qui permet d'unifier les membres d'un projet autour d'éléments
constitutifs d'une identité : un langage, des valeurs, des symboles. Il inscrit les actions
individuelles dans un cadre collectif doté d'une forte puissance symbolique. De plus, une
charte permet d'identifier le projet en le distinguant des autres projets du même type.
Cette identité permet de se présenter de façon valorisante au reste de la société. Or, on
connaît aujourd'hui l'importance pour une institution de sa capacité à faire valoir son identité.
Cette mise en valeur permettra au groupe d'accéder à l'espace public plus facilement et
41
d'y faire l'objet d'une plus grande attention. La charte est donc à la fois une preuve de la
cohésion interne du groupe d'habitants et de sa crédibilité vis-à-vis de « l'extérieur », c'està-dire de l'espace public.
Mais la question de la mise à l'écrit des valeurs peut se poser. En particulier dans
les petits groupes, les valeurs sont parfois implicitement admises, et il arrive que leur
formulation écrite arrive plus tardivement. Chez Tilia & Compagnie, projet constitué de trois
familles, « on a formalisé [l]es valeurs par une charte [...] après avoir vécu au moins 6 mois
ensemble. Cela faisait longtemps qu'il y avait un premier jet, un premier échange dessus
41
16
Erik Neveu, p.78
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
42
mais qu'on n'avait pas formalisé. » Au-delà de l'inscription de la charte sur papier, c'est
donc l'accord de tous les participants au projet sur un certain nombre de valeurs et de
comportements qui s'avère décisif. La charte sert alors surtout à s'assurer de l'existence
d'un consensus entre tous les protagonistes et à inscrire les valeurs qui en découlent dans
la durée.
En outre, les chartes ont souvent une portée déclarative essentielle, mais se révèlent
beaucoup moins intéressantes lorsqu'il s'agit d'entrer dans les détails. Que veut dire la
solidarité ? Comment la met-on en œuvre ? Et la justice sociale ? Certains paieront-ils
plus parce que leurs revenus sont supérieurs ? C'est pourquoi dans la plupart des cas, la
charte est complétée par un règlement intérieur qui vient préciser les modalités complètes
d'application des valeurs définies dans la charte. La rédaction de ce document peut être plus
houleuse, car si les habitants sont souvent d'accord sur les grands principes invoqués dans
la charte, leur application met en jeu les volontés de chacun et met à jour des divergences
restées cachées auparavant derrière la globalité des valeurs.
Enfin, il convient de préciser que la mise en place de normes est loin de se limiter à
la rédaction de textes, que ceux-ci aient une portée contraignante ou non. La vie collective
implique l'existence de normes sociales, et l'habitat groupé les met en œuvre sous la forme
d'un contrôle social plus important que dans l'habitat individuel. En effet, habiter ensemble,
c'est aussi être plus souvent sous le regard des autres habitants. Comme le dit Émile
43
Durkheim, « la vie commune est attrayante en même temps que coercitive. »
Une
ancienne habitante illustre cela de façon triviale en se souvenant de son enfance en habitat
groupé:
Dans les faits, l'éducation des enfants par divers parents peut au contraire alléger la
puissance de la norme en amenant les premiers à relativiser l'autorité de leur père ou
de leur mère. Cela est surtout vrai dans les premiers habitats groupés des années 1970
et 1980, qui se préoccupaient d'avantage de l'isolement familial que les réalisations plus
récentes. «
Pour les enfants, c'est important de voir qu'il y a des gens qui ne pensent
», témoigne une adulte à l'époque.
pas nécessairement de la même façon que moi
44
D'autre part, les enfants révèlent souvent dans ces habitats des techniques d'auto-
organisation permises par une éducation moins directive, puisque les parents peuvent
observer et comparer leurs pratiques éducatives.
45
La puissance de la norme en habitat
groupé est donc à relativiser, mais cette dernière reste un fondement essentiel de ce type
d'habitat. Elle constitue le corollaire de la « solidarité » mise en avant par l'essentiel des
groupes et permet à l'institution d'habitat collectif de se maintenir dans le temps.
42
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
43
44
45
Émile Durkheim. Seconde préface de De la division du travail social, in Bernard Lacroix, p.19
Roland Tourreau, in Dir. Philippe Bonnin, p.105
Ibid.
17
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
I.1.3 Les fondations juridiques de l'institution d'habitat collectif
Un habitat groupé ne se limite pas à ses composantes techniques, et une institution
collective d'habitat est composée de liens infiniment plus riches que ce que retranscrit la
lecture d'un statut juridique. A l'inverse, le choix de la structure juridique qui va porter le projet
n'est pas seulement un choix technique, car chaque type de structure implique ses propres
modes de fonctionnement, qui correspondent à certaines valeurs. Ainsi, « l es formes
associatives et coopératives, structures de l’économie sociale et solidaire, s’inscrivent dans
la logique de libre adhésion, de gestion démocratique, de non-lucrativité - finalité de service
46
aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit, et d’indépendance politique, » tandis
que les sociétés commerciales ont à l'origine un but capitaliste. En outre, la structure
juridique porteuse du projet va permettre au groupe d'équilibrer protection des individus et
défense des intérêts collectifs, en décidant de la répartition des responsabilités, des droits et
47
des devoirs de chacun. Tout comme l'établissement d'une charte, le choix d'une structure
adaptée pour porter le projet est donc indispensable car au-delà des obligations légales, la
structure est une source importante de production de la norme.
Trois types de structures sont utilisables par les personnes désirant fonder un habitat
groupé.
Les structures légères que sont l'association, l'indivision, ou la copropriété sont très
simples à monter puisqu'un contrat seul suffit à assurer leur existence. Cependant, elles
possèdent toutes d'importants points faibles. Ainsi, l'association déclarée ne peut pas
posséder de patrimoine immobilier, et ne peut donc servir qu'à donner une structure
technique au groupe d'habitants. Dans l'association de fait (ou indivision), toute décision
doit se prendre à l'unanimité, et comme l'indique la loi, « nul ne peut être contraint de
demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué » (Art. 815, Code Civil).
Cette structure est donc extrêmement fragile et dépend entièrement de la solidarité entre
les habitants. Enfin, la copropriété est un mode de gestion du patrimoine immobilier qui
exclut toute construction de bâtiments. De plus, comme le dit Stéphane du projet Tilia, « la
48
copropriété, ça reste un propriété privée partagée. » C'est pourquoi la plupart des groupes
évitent ces structures.
Les sociétés civiles comportent deux branches : les sociétés civiles immobilières
d'attribution (ou SCA), et les sociétés coopératives. Les premières sont des sociétés qui ont
pour objet « la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions
49
destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance ». Les SCA sont
constituées par des associés qui possèdent un nombre de parts de l'entreprise déterminé
par leur apport en capital. La création de la société prévoit la rédaction d'un règlement de
copropriété qui entrera en vigueur lorsque le bâtiment sera livré ; la SCA sera alors dissoute.
Conçues pour un usage capitaliste traditionnel, ces sociétés peuvent être adaptées grâce à
une importante liberté statutaire. C'est pourquoi certains habitats groupés choisissent cette
forme organisationnelle :
46
47
Danièle Demoustier, L'économie sociale et solidaire : s'associer pour entreprendre autrement, Paris, La Découverte, 2003, p.92
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, Guide pratique de l'autopromotion, 2011, p.93
48
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
49
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?
idArticle=LEGIARTI000006824415&idSectionTA=LEGISCTA000006176264&cidTexte=LEGITEXT000006074096&dateTexte=20100721
[page consultée le 11 août 2011]
18
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
Quant aux coopératives, ce sont principalement des Sociétés civiles coopératives
de construction (SCCC). Les futurs habitants souscrivent à des parts de la coopérative
en fonction de la valeur du logement, et peuvent revendre ces parts sous condition
de l'agrément de l'Assemblée générale des sociétaires. De même, une fois les travaux
achevés, la coopérative laissera la place à une copropriété. Les coopératives d'habitants
n'existent pas en droit français, bien que l'association Habicoop milite activement en ce
sens. L'identité coopérative étant particulière, on traitera de façon plus précise ses liens
avec l'habitat groupé dans une sous-partie ultérieure.
Enfin, les sociétés commerciales sont soit des sociétés anonymes, soit des sociétés à
responsabilité limitée. Leur lourdeur les réserve à de grands projets associant de nombreux
partenaires. Le poids décisionnel des associés étant proportionnel au nombre de parts
possédées, ces structures semblent s'inscrire moins facilement dans les valeurs prônées
par les porteurs de projets d'habitat groupé.
Les groupes-projet commencent souvent par fonder une association afin d'effectuer
les premières démarches. En effet, une association permet d'ouvrir un compte en banque
collectif, de constituer un premier groupe composé des adhérents à l'association, et de
fournir une ébauche de projet à travers les statuts de l'association. Cette structure souple
peut par ailleurs évoluer et accueillir petit à petit des sympathisants ou des membres
bienfaiteurs qui souhaitent soutenir le projet financièrement ou de toute autre manière. Ce
statut sera abandonné en général lorsqu'il s'agira de signer le contrat de maîtrise d'ouvrage,
50
et une structure adaptée lui sera substituée.
Il est à signaler qu'un nouveau mode de statut est en train de faire son apparition : il
51
s'agit du Clip, inspiré par son équivalent allemand, le Mietshäuser Syndikat
. Le
principe est le suivant: chaque habitat est géré par ses habitants par le biais d'une
SARL dans laquelle une entité nationale, le Mietshäuser Syndikat, possède un droit
de veto sur certaines questions telles que la remise du logement sur le marché. Cela
permet de laisser son autonomie à chaque habitat tout en limitant ses possibilités
d'usage capitaliste et en permettant le transfert d'argent des anciens projets vers
52
les nouveaux.
Cependant, un tel projet nécessite une organisation nationale
importante, qui n'existe pour l'instant qu'en Allemagne, bien qu'un premier projet
53
français soit en train de voir le jour.
I.2 La formation d'une institution d'habitat collectif
Les innovations sociales sont rarement portées d'emblée par l'ensemble de la société.
Souvent, un groupe de militants parvient à mettre en œuvre un projet qui fait ensuite germer
d'autres projets, et parfois se diffuse à l'ensemble de la société. L'habitat groupé est pour
le moment cantonné en France à la phase intermédiaire d'expérimentation. On peut donc
50
51
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, pp.46-47
http://cohabitat.fr/2009/06/chez-louise-et-michel-habitat-collectif-autogere-et-durable-a-paris/ [page consultée le 11
août 2011]
52
53
http://www.syndikat.org/index.html?/s_home_fr.html [page consultée le 11 août 2011]
Il s'agit du projet Chez Louise et Michel: http://clip.ouvaton.org/wiki/doku.php/chez_louise_et_michel:accueil [page
consultée le 11 août 2011]
19
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
se demander dans quelle mesure les porteurs de ces projets possèdent des caractères
sociaux proches, d'autant que le profil social des habitants est un révélateur important du
degré d'ouverture des habitats groupés.
I.2.1 Comment créer le groupe-projet ?
La phase de constitution d'un groupe est un moment crucial du projet d'habitat groupé.
Souvent houleuse, rythmée par de nombreux départs, arrivées, changements de caps, et
parfois par l'abandon du projet, elle permet en même temps au groupe de définir plus
précisément son projet.
Le choix de l'habitat collectif émane souvent d'un individu, d'une famille, ou d'un
petit groupe de quelques personnes, qui va chercher d'autres personnes intéressées par
l'aventure et tenter d'identifier un terrain correspondant aux souhaits de chacun. Il n'y a
pas d'ordre a priori dans ces deux étapes majeures de constitution du projet. Stéphane, de
Tilia, explique : « Je crois énormément [...] à la construction d'un groupe sur un lieu. Parce
54
qu'on ne construit pas du rêve, on construit de la réalité. » Toutefois, d'autres groupes
se forment et entament seulement par la suite la recherche du foncier. Cela fut souvent
le cas dans les habitats groupés de première génération: des personnes se connaissant
par leur engagement dans le tissu associatif ou militant local décidaient de monter un
55
projet ensemble, et recherchaient ensuite un terrain. Dans tous les cas, la constitution
d'un groupe étant une étape longue et marquée par de multiples changements, défections,
arrivées et intégrations, elle s'entremêle souvent avec la recherche du lieu d'implantation,
et ce n'est que la combinaison d'un groupe et d'un terrain satisfaisants qui permet de lancer
le projet.
Le choix du terrain se fait souvent sur la base des valeurs exprimées par le groupe.
Un terrain exposé Nord/Sud sera plus à même de remplir l'objectif de basse consommation
énergétique qu'un terrain peu exposé. De même, tous les terrains ne sont pas favorables à
la mise en œuvre d'une mixité fonctionnelle. Mais avant de trouver un terrain, c'est souvent
le choix des futurs habitants qui s'avère décisif.
Comment obtenir un groupe satisfaisant ? La première question qui se pose est celle
du mode de recrutement. Deux types de démarches peuvent servir à constituer un premier
noyau : un recrutement ouvert à tous, par le biais d'annonces ou d'Internet, ou bien un
56
recrutement ciblé, restreint à l'entourage professionnel, associatif, ou amical. Dans le
premier cas, l'habitat groupé restant un mode d'habiter pour le moment assez confidentiel,
il est difficile de faire connaître à une large échelle le lancement d'un projet. C'est pourquoi,
afin de faciliter cette première phase, les réseaux mettent souvent un place un recensement
des projets en cours ainsi qu'un outil de petites annonces en ligne, comme le réseau Habitat
57
58
groupé ou l'association Les HabILeS . Cependant, les petites annonces sont un outil
54
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
55
56
57
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.22
Ce réseau inter-régional, fondé en 2005, entend recenser les projets d'habitat groupé afin de favoriser les retours
d'expérience, développer ce type d'habitat et aider leur mise en chantier, et enfin assurer la visibilité de ces expériences.
58
Isère.
20
HabILeS pour Habitats Isérois Libres et Solidaires. Cette association milite pour le développement de l'habitat groupé en
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
contestable, car le risque est de recruter des personnes ne correspondant pas à l'esprit du
projet. En effet, il est difficile pour les rédacteurs de détailler une vision de vie et d'habitat
en quelques lignes. C'est pourquoi de nombreux projets se font connaître par le biais du
bouche à oreille. Les personnes intégrant des projets d'habitat groupé fréquentent souvent
les mêmes réseaux militants ou associatifs, et peuvent se retrouver dans des structures
communes. A titre d'exemple, lors de la réunion du Réseau Habitat Groupé à laquelle j'ai
59
participé, trois des neufs participants s'étaient rendus au Forum « Oasis en tous lieux »
qui s'était tenu deux semaines plus tôt en Drôme provençale.
Lorsque le mode de recrutement est acté, encore faut-il choisir parmi les prétendants.
De nombreux critères entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de sélectionner les
participants à l'aventure, qu'ils soient géographiques, financiers, politiques, ou tout
simplement affectifs. Faut-il être drastique dans sa sélection, quitte à lancer un projet moins
ambitieux que prévu en terme de nombre d'habitants, ou bien accueillir tout le monde, au
risque d'augmenter les tensions entre des participants aux idées trop différentes ? Si les
projets d'habitat groupé opèrent tous une sélection assez importante de leurs membres,
celle-ci peut se faire de deux manières différentes. Comme le résume Annabel Roux:
Quoi qu'il en soit, la formation d'un groupe implique toujours le choix des habitants qui
vont intégrer le projet. Or, ce choix peut être critiqué, puisque choisir ses voisins pousse
forcément les futurs habitants à choisir des personnes dont ils se sentent immédiatement
proches, et exclut en cela la découverte de l'autre, entendu comme celui qui pourrait
déranger nos certitudes. L'habitat groupé propose d'ouvrir l'habitat à un ensemble plus large
que la cellule familiale, mais cette ouverture est tempérée par la sélection imposée à toute
personne souhaitant intégrer le groupe.
Cette sélection peut se faire en fonction de critères purement relationnels, mais elle
intègre souvent d'autres dimensions. Un noyau déjà constitué peut chercher à recruter des
personnes possédant une compétence particulière, notamment en architecture ou dans le
bâtiment, ou bien tenter de mettre en place une mixité sociale ou générationnelle, ou encore
chercher des personnes se trouvant en adéquation avec les valeurs formulées par le groupe,
60
que ce soit de façon explicite ou non.
Parfois même, les fondateurs du projet se connaissent avant de lancer le projet.
Ce fut le cas à La Viorne, un habitat groupé fondé en 1985. La connaissance mutuelle
des participants facilite grandement les relations entre les membres du groupe-projet et
augmente les chances de réussite, à tel point que l'on peut se demander dans quelle mesure
ce manque d'inter-connaissance entre les porteurs de projet handicape les groupes actuels.
Alain, de La Viorne, déclare:
Une fois le groupe formé, la répartition des tâches peut jouer un rôle décisif dans
la constitution du groupe en tant que tel. Le Guide pratique de l'autopromotion conseille
de créer des rôles qu'endosseront les participants à tour de rôle, toutes les nominations
étant prises en fin de réunion pour la réunion suivante. Ces rôles sont au nombre de 6 :
le facilitateur aide à la formation du consensus et ne donne pas son avis personnel ; le
secrétaire s'occupe du compte-rendu ; le script écrit les décisions prises et les remarques
importantes sur un tableau ; le gardien du temps fait respecter le timing prévu ; le distributeur
de parole attribue ou non la parole aux personnes l'ayant demandée, et le scrutateur relate
59
60
Mouvement initié par Pierre Rabhi afin de promouvoir des projets écologiques autonomes fondés sur le travail de la terre.
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.22
21
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
61
ses impressions en fin de séance. Une certaine égalité de pouvoir et une répartition
intelligente des tâches sont donc fondamentales dans la dynamique de groupe.
Le groupe se fonde également sur des temps d'échange entre les participants. Il
est donc important de prévoir des moments récréatifs à destination exclusive du groupe
d'habitants, sans pour autant les considérer comme une panacée. Cécile Viallon rapporte
des souvenirs de ces moments : « Nous, même on a fait des week-ends, on a fait des
marches ensemble, on a fait des trucs, (...) et même en faisant tout ça, il y a des fois, on
62
sortait de réunion, on s'engueulait, ça allait pas, quoi ! »
Un groupe fondé sur ces bases aura forcément plus de chances d'arriver au bout du
projet. Cependant, les habitants se fixent parfois l'objectif supplémentaire de fonder un
groupe à la fois uni et hétérogène : dans ces cas-là, c'est toute la question de la mixité
sociale qui est en jeu.
I.2.2 La question de la mixité sociale
La mixité sociale de l'habitat constitue l'un des enjeu les plus importants de nos jours dans
le domaine du logement. Comme le souligne le 16e Rapport annuel de la Fondation Abbé
Pierre pour le logement des défavorisés sur « L'état du mal-logement en France » en 2011:
63
Les habitats groupés ne peuvent donc pas esquiver cette question, et c'est dès le
début du projet qu'elle se pose, puisque l'une des premières tâches du noyau de fondateurs
est de constituer le groupe qui intégrera le lieu d'habitat. Plusieurs solutions peuvent être
trouvées pour tenir compte de cette valeur. La plus évidente consiste à sélectionner parmi
les candidats à l'intégration des personnes aux profils sociaux et économiques les plus
divers. A ce titre, une expérience originale a été mise en place à Nanterre : ce sont la
Ville et l'Epasa (un établissement public d'aménagement urbain) qui ont défini le cadre du
projet, avant de sélectionner les futurs habitants par attribution et non par cooptation comme
cela se fait dans la majorité des groupes. La complexité du montage et la réduction de
l'autonomie du groupe ont néanmoins affaibli considérablement le versant collectif de ce
64
projet d'habitat groupé. Une solution intermédiaire comme celle des futurs habitants du
Village Vertical à Lyon propose de concevoir le projet au sein d'un groupe « affinitaire »
ne prenant pas en compte la dimension sociale des membres, tout en ajoutant dans
le bâtiment quelques logements sociaux. Comme le soulignent les participants à la 4e
rencontre nationale des coopératives d'habitants, il existe pour ces logements sociaux
un comité d'attribution qui sélectionne leurs futurs occupants selon des critères propres,
ce qui implique deux problèmes: d'une part, les coopérateurs ne peuvent pas choisir
ces personnes, et d'autre part les habitants des logements sociaux seront exclus de la
65
plupart du processus de conception de l'habitat . C'est pourquoi Habicoop « essay[e]
d'obtenir des adaptations au système d'attribution. [L'association] demande, par exemple,
aux réservataires du financement du logement social, que sont, entre autres, les collectivités
61
62
63
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.27
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Les habitats groupés de première génération avaient déjà conscience de ce problème: « Mais comment se choisir ? Le
groupe doit-il devenir tout à fait homogène, ou tendre vers une diversité souhaitable ? » Jacques Odier, « La formation des groupes :
une grande diversité des origines », in Dir. Philippe Bonnin, p.51
64
65
22
Claire Carriou, « La coopérative d'habitants impulsée par le haut », Territoires, Mai 2010, n°508, p.30
e
Habicoop, 4 rencontre nationale des coopératives d'habitants, 2009, p.5
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
locales et l’État, de prendre en compte la spécificité des projets et de ne pas attribuer
66
systématiquement le logement au premier de la liste. » L'enjeu est de taille: l'habitat groupé
s'accommodera-t-il d'une mixité sociale choisie, ou bien fera-t-il le pari d'une mixité sociale
plus importante, plus incertaine, mais peut-être aussi plus enrichissante?
Pour l'heure, la mixité sociale est encore un point de débat important au sein des
groupes-projet. Pour les défenseurs de la mixité sociale, le but de l'habitat groupé étant
la recherche d'un plus fort lien social à travers l'habitat, il importe que ce lien soit le plus
riche possible, à travers la rencontre de profils différents. Mais cette idée se confronte à
deux obstacles principaux. D'une part, le risque est de mettre ensemble des profils qui ne
se comprennent pas et qui n'acceptent pas leurs différences. Quand on connaît la fragilité
des groupes-projet et leur difficulté à encaisser divergences et conflits, il semble assez
hasardeux d'augmenter encore le risque de désaccords en intégrant des personnes aux
valeurs et aux profils différents. D'autre part, si la mixité sociale est une idée mise en
avant par la plupart des groupes, elle se révèle être délicate à mettre en pratique. Comme
l'avoue sans ambages Anne-Françoise Gay du Réseau Habitat Groupé : « La mixité sociale,
c'est dans la volonté des personnes, mais effectivement elle n'y est pas, [...] c'est clair.
Aujourd'hui, les projets qui arrivent au bout sont les groupes-projet d'une certaine classe
67
sociale, moyenne on va dire ».
Les causes de cette absence de mixité sont assez difficiles à identifier, mais il est certain
que les groupes ne sont pas les seuls responsables. Les conditions juridiques et financières
sont inadaptées à la formation d'habitats groupés mettant réellement en place cette
mixité sociale, et les volontés individuelles se heurtent souvent à des réalités techniques
défavorables. Comme le souligne Habicoop à propos des coopératives d'habitation: « Sans
aménagements favorables – sur le plan fiscal, concernant la mise à dispositions de terrains
à des conditions ajustées, le taux et la durée des prêts consentis – les coopératives
68
d'habitants risquent de n'être accessibles qu'à des ménages favorisés. »
Par ailleurs, il conviendrait de définir précisément ce qu'on entend par mixité sociale:
est-ce une mixité culturelle, économique, politique? Les projets restent très flous sur le sujet,
peut-être pour éviter de se confronter aux questions suivantes :
Dans les faits, on voit bien que la mixité sociale annoncée est en réalité une mixité
choisie donc limitée, et les groupes se créent d'abord sur des affinités au sein desquelles
les dimensions citées ci-dessus sont homogènes.
Un habitat groupé revient alors souvent à vouloir habiter avec ses « semblables », et
s'il signifie une ouverture à un groupe d'habitants qui dépasse la sphère familiale, cette
ouverture reste limitée par les affinités de ses membres. L'habitat groupé se situe donc à la
fois dans une logique d'ouverture à l'autre, mais également dans une logique de fermeture
en excluant les personnes considérées a priori comme trop différentes pour être intégrées
dans le projet. Ce manque de mixité sociale rapproche-t-il pour autant l'habitat groupé
desgated communities, ces quartiers sur-sécurisés pour habitants aisés? En effet, les deux
habitats sont caractérisés par le choix des résidents du quartier (ou de l'immeuble, dans
le cas d'un habitat groupé). Cependant, si les gated communities se construisent sur une
logique de privatisation de l'espace public, les habitats groupés tentent au contraire d'ouvrir
à d'autres des espaces qui sont traditionnellement réservés au ménage. Par ailleurs, il est
66
67
68
Olivier David in Sabrina Costanzo, « Vers la reconnaissance des coopératives d'habitants », Territoires, Mai 2010, n°508, p.29
Entretien avec Anne-Françoise Gay réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
Habicoop, « Les coopératives d’habitants : une troisième voie à développer pour la France », in Dir. Yann Maury, p.303
23
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
impossible de nier dans l'habitat groupé la volonté de mettre en place une certaine mixité
sociale, alors que les gated communities souhaitent au contraire limiter la mixité du quartier
au maximum.
Quoi qu'il en soit, l'objectif ne doit pas être la mise en place d'une totale mixité sociale
qui se réduirait à accepter n'importe qui au sein de l'habitat groupé. Les « communes » du
début des années 1970 avaient tenté de n'instaurer aucune sélection dans leur composition,
avec le résultat que l'on sait.
Les groupes sociaux nécessitent un élément qui assure leur cohésion, en particulier
lorsqu'il s'agit de groupes habitant le même espace géographique. A moins de gérer a
priori cette cohésion en imposant une norme totalitaire sur tout individu entrant dans le
groupe comme l'ont fait par exemple les couvents, un groupe se doit de s'assurer d'une
compréhension mutuelle qui assure aux individus une communauté d'intentions, ou qui leur
permette au moins de demeurer ensemble de façon durable et globalement pacifique. C'est
ce que met en place l'habitat groupé à travers une communauté d'exigences (validée par
une charte) entre les fondateurs du projet et les individus entrants. L'absence de mixité
sociale peut donc être regrettée, mais son contraire est tout autant à proscrire, car un groupe
sans autre cohésion qu'un projet est condamné à une existence éphémère.
L'expérience de La Viorne permet néanmoins de nuancer cette conclusion, car cet
habitat a été contraint de mettre en place une grande mixité sociale dans les années 1990.
En effet, suite au départ de cinq familles, les ménages restants ont cherché des remplaçants,
mais la période était très peu favorable à l'habitat collectif. Après cet échec, le bailleur HLM
leur a imposé des individus se trouvant sur la liste d'attribution des logements sociaux.
Se retrouvant parfois en compagnie de « cas sociaux », les « anciens » ne regrettent
pourtant pas cette expérience. Mieux, l'habitat groupé a continué de fonctionner, et les
69
nouveaux ont même repeint la salle commune. Une mixité sociale radicale est donc
tout à fait envisageable dans des projets solides. Une expérience est d'ailleurs en cours
de réalisation dans laquelle le partenaire n'est pas un bailleur social mais l'association
Habitat et Humanisme, qui tente d'offrir des solutions de logement décentes à des ménages
70
pauvres.
En guise de conclusion, on peut évoquer l'optimisme émanant de cette déclaration d'un
atelier de la 4e rencontre nationale de l'habitat coopératif:
I.2.3 Groupe d'habitants ou groupe de militants?
Si le contenu de l'habitat groupé est fondamentalement politique, dans le sens où il
représente un certain nombre de choix de société par définition collectifs, les militants ne
sont pas les seuls à s'intéresser à ce mode d'habitat. Un certain clivage existe cependant
entre les mouvements d'habitat groupé de première et de deuxième génération. A La Viorne,
un habitat groupé lancé en 1985, on revendique cette portée politique: « Nous, c'était très
71
politique, hein.(...) C'était vraiment faire de l'expérience alternative. » Les personnes à
l'origine du projet sont alors proches de la deuxième gauche incarnée par le PSU ou la CFDT,
et conçoivent leur habitat comme un prolongement de leur travail de militant. Richard Vitalis
vit dans un autre habitat groupé des années 1980 : les Naïfs, à Meylan. Pour lui, si le projet
69
70
71
24
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
était effectivement très politique au départ, le temps a amenuisé la portée revendicative de
cet acte d'habiter:
Il y a donc un décalage entre la génération des habitats groupés des années 1970,
dans laquelle les habitants considéraient clairement leur nouvel habitat comme un projet
politique, et celle des années 2000, qui se place dans la perspective de l'économie sociale
et solidaire et se clame indépendante d'une idéologie politique. A l'heure actuelle, si une
partie importante des projets sont toujours portés par des militants, de plus en plus de
personnes sans conscience politique particulièrement affirmée rejoignent les rangs des
demandeurs d'habitat groupé. « Quand on est dans les réunions de l'habitat groupé, il y a
vraiment des personnes qui sont de tous milieux, de tous bords, et même des personnes
qui n'ont jamais eu un acte politique ou militant ou quoi que ce soit de la vie », témoigne
72
Anne-Françoise Gay. La conscience politique des porteurs de projet se fait néanmoins plus
aiguisée lorsque d'autres problématiques politiques sont incluses dans le projet d'habitat
groupé. Ainsi, Thérèse Clerc a fait partie des trois fondatrices du projet d'habitat groupé pour
femmes âgées de la Maison des Babayagas à Montreuil. Elle explique son engagement de
la manière suivante :
Si les porteurs de projets d'habitat groupé ne sont plus toujours des militants mettant en
application leur projet politique, on peut se demander quels autres « profils » on trouve parmi
les groupes. Les nouveaux projets tentent de recruter au-delà des cercles traditionnels de
militants politiques, syndicaux, ou associatifs. Ainsi, au sein des groupes-projet, les militants
ne sont pas toujours la majorité, et nombreux sont ceux qui se lancent dans un projet
d'habitat groupé pour des raisons beaucoup plus personnelles. Une typologie dressée par
la psychologue Marthe Marandola identifie trois profils d'habitants : ceux qui recherchent
prioritairement la cohésion du groupe, ceux qui se concentrent sur les objectifs, et ceux
73
dont la priorité est l'accomplissement de leurs besoins individuels. On pourrait rattacher
les militants à la deuxième catégorie.Ainsi, les groupes sont au final constitués pour partie
seulement de militants ayant une vision proprement politique du projet.
Les idées mises en avant de convivialité et de retour à des relations humaines simples
et agréables semblent bien se démarquer de l'engagement politique et proposer un projet
accessible à tous, y compris à des personnes non-militantes. Mais ces discours peuvent-ils
faire l'économie d'une critique du mode actuel de production du logement? Un projet peutil avancer sans une vision un tant soit peu politique de la part des personnes impliquées?
Un groupe d'habitants est loin d'être une structure figée dans le temps : il est soumis à
des aléas et à des évolutions naturelles liées au vieillissement des habitants et à l'évolution
de leurs projets personnels. Aussi, la constitution puis le maintien d'un groupe d'habitants
nécessitent un investissement important afin de gérer ces événements qui ponctuent la
vie de toute communauté humaine du mieux possible. Or, une vision politique du projet
aide beaucoup à sa mise en place, voire est nécessaire pour faire face aux difficultés
rencontrées. « Dans les groupes où il n'y a pas de valeurs communes, soit politiques,
syndicales, militantes, ils arrivent rarement au bout; alors que quand il y a des militants dans
un groupe, ça va jusqu'au bout, » déclare Cécile Viallon, habitante de l'habitat groupé de
74
La Viorne et Secrétaire d'Éco-habitat groupé.
Vivre en habitat groupé est en tous cas un choix guidé par certaines valeurs. Les
habitants ne sont pas tous des militants, mais ce sont souvent des personnes sensibles
72
73
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Entretien avec Anne-Françoise Gay réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
e
Habicoop, 4 rencontre nationale des coopératives d'habitants, 2009, p.36
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
25
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
75
aux problématiques sociales et écologiques. Toutefois, si une communauté de valeurs est
nécessaire à la vie du groupe, ces valeurs peuvent passer au second plan par rapport aux
détails concrets du projet. Le montage d'un projet d'habitat groupé est une expérience qui
mêle théorie et pratique, les valeurs politiques guidant les choix autant que les réalités de
terrain. La composition et les décisions du groupe reflètent donc souvent ces entre-deux:
à la fois théorie et pratique, projet politique et considérations pragmatiques, militantisme et
projet de vie, l'habitat groupé se situe dans cet interstice mince où il est parfois difficile de
se maintenir.
I.3 Enraciner et maintenir l'institution dans le temps
A l'heure actuelle, assurer la concrétisation des projets d'habitat groupé et leur stabilité
constitue l'un des principaux enjeux pour le mouvement. A Lyon, près de 80% des projets
76
ont échoué depuis le redémarrage du mouvement en 2005. La pérennisation des projets
est donc une condition importante du développement de l'habitat groupé. Envisager cette
stabilité, c'est d'abord assurer des transitions sereines entre départs d'habitants et arrivées
de nouveaux.
I.3.1 Intégrer des nouveaux arrivants et encaisser les départs
L'habitat est un domaine de la vie qui s'envisage sur le long terme. A fortiori, cet aphorisme
est encore plus significatif dans le cas d'un habitat groupé : on ne s'engage pas dans un
habitat groupé « pour essayer », ou dans la perspective de le quitter rapidement. Pourtant,
la stabilité d'un groupe peut être mise à l'épreuve de deux façons. D'abord, il arrive que
certains habitants veuillent quitter l'aventure et qu'ils doivent être remplacés. Ensuite, la
situation familiale des uns et des autres évolue, et les familles sont marquées comme dans
tout habitat par des naissances, des mariages, des divorces, et des décès. Comment les
groupes anticipent-ils ces aléas, et comment y font-ils face ? Si tous les groupes sont un jour
ou l'autre confrontés à l'évolution des situations de chacun, la question se pose d'autant plus
pour les petits habitats, où l'état d'une famille ou d'un individu a beaucoup plus d'importance
que dans les grands projets.
En cas de départ d'un ménage, l'une des premières questions qui se posent au groupe
est celle du prix de vente du logement vacant, donc celle de la spéculation immobilière. Le
problème était déjà résumé par un livre du MHGA en 1983 :
Aujourd'hui, ce problème est pris en compte dans la mesure du possible par les habitats
groupés, qui tentent de limiter la spéculation immobilière tout en permettant à un ménage
souhaitant partir de ne pas se retrouver en difficulté sur le marché de l'immobilier. Par
ailleurs, les coopératives d'habitants imaginées par l'association Habicoop interdisent toute
77
spéculation.
Une fois les modalités de départ d'un ménage réglées, les solutions pour son
remplacement dépendent de la formule adoptée par le groupe d'habitants. Dans le cas où
75
76
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
77
26
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.13
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
les habitants ne trouvent personne et ont fait appel à un office HLM, celui-ci peut imposer
des personnes se trouvant sur sa liste de demandeurs de logement social. C'est ce qui
s'est passé à La Viorne dans les années 1990, alors que la prédominance du logement
78
individuel étouffait les tentatives alternatives.
Des personnes n'ayant aucune notion
d'habitat groupé ont intégré des appartements vacants. Leur intégration au projet a permis
au lieu de perdurer jusqu'à aujourd'hui. Dans le cas où aucun bailleur social n'a été associé
au projet, c'est au groupe de trouver les successeurs des habitants sur le départ. Une fois
ces successeurs trouvés, encore faut-il les intégrer au projet. Au Village Vertical, on a fait le
choix d'accueillir chaque arrivant individuellement : c'est d'abord un parrain qui s'entretient
avec le nouveau lors d'une première réunion en tête-à-tête., et l'accompagne jusqu'à son
79
insertion dans le groupe. Ce type de solution permet d'augmenter la résilience du groupe
et d'intégrer facilement les nouveaux arrivants.
Les départs et arrivées d'habitants ont aussi des conséquences techniques
importantes, en particulier quand ils ont été envisagés avant la constitution de l'habitat.
Chez Tilia, l'anticipation de mouvements futurs a influencé le choix du statut par les familles
fondatrices:
Se pose donc la question de la continuité spirituelle du projet quand la continuité
matérielle ne peut pas être assurée. Un habitat groupé peut tout à fait être abandonné
successivement par les familles les plus engagées, jusqu'à ce que le bâtiment soit
finalement converti en immeuble de logements individuels classiques. A La Viorne, il était
prévu qu'en cas de faillite du projet, la salle commune serait transformée en studio pour un
80
ménage supplémentaire.
Quoi qu'il en soit, le remplacement d'un individu ou d'une famille a des conséquences
inévitables sur la vie dans l'habitat groupé. La continuité du projet est donc toujours affectée
par ces changements. « A plus forte raison, dans des groupes de petite taille, la personnalité
de chacun compte beaucoup, et le changement de personne induit nécessairement une part
81
de transformation du projet lui-même. » Mais les départs sont aussi des occasions de faire
la rencontre d'individus n'ayant pas participé à la phase préparatoire du projet, et possédant
donc un angle de vue différent. C'est aussi par ces périodes de changements que l'habitat
groupé peut s'ouvrir à d'autres habitants, donc à d'autres manières de voir et de faire.
L'habitat groupé est également soumis à des évolutions familiales qui ont des
conséquences importantes dans la vie du lieu. Ainsi, les salles de jeux communes pour
enfants peuvent être désertées lorsque les enfants ont atteint l'âge adulte. Une architecture
souple permet de pallier à ces problèmes, car la grande superficie des habitats collectifs
peut admettre des modifications dans sa distribution et son arrangement. Ainsi, au Lavoir du
Buisson Saint Louis, l'architecte Bernard Kohn témoigne : « Il y a eu beaucoup d'évolutions.
On ne le voit pas en regardant comme ça ; c'est des choses plutôt intérieures, où des
82
gens ont échangé des pièces, échangé des espaces, (…) percé le plafond. » L'un des
appartements a pu être agrandi pour accueillir 4 enfants. De même, à La Viorne, la salle
de jeux pour les enfants s'est muée en garage à vélo, tandis que l'atelier de menuiserie
78
79
80
81
82
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Habicoop, Rencontre inter-groupes 12/04/08 : Construction de projet et fondation du groupe, 2008, p.5
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Les ateliers de la citoyenneté, p.9
http://www.youtube.com/watch?v=CPaiTAy8CWQ [page consultée le 12 août 2011]
27
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
83
est devenu un garage. Une certaine souplesse fonctionnelle est donc tout à fait possible
quand la souplesse architecturale ne l'est pas.
Mais si les enfants partent souvent du nid parental, ils restent fortement imprégnés par
leur enfance dans l'habitat groupé. « D ans la Salière, il y a deux jeunes qui habitaient les
Naïfs à Meylan. Donc c'est pas par hasard. Et puis (…) [dans] « Le château partagé », à
Dullin, il y a un jeune qui est originaire des Jardies. Et Les Jardies, c'est là où il y avait le
84
fondateur [du MHGA], Yves de Lagausie. » La transmission de l'habitat groupé s'effectue
donc de génération en génération, et les départs des enfants peuvent en fait se révéler être
des moyens d'assurer la poursuite du projet initial dans un autre lieu et sous d'autres formes.
I.3.2 Maintenir la cohésion du groupe
Avant toute chose, il convient de mentionner ces projets dans lesquels les liens entre les
habitants est à la base même du projet, tout affaiblissement de ces liens faisant péricliter
le projet dans son ensemble : il s'agit des habitats groupés pour personnes âgées. Dans
ces lieux, « le vivre ensemble » n'est pas un supplément d'âme qui viendrait étayer le
85
« chacun chez soi » ; il permet de continuer à vivre « chez soi. » Ces habitats mettent
en avant l'autonomie des personnes contre un système de maisons de retraite niant cette
capacité à ses usagers. De plus, le lien social entre les habitants y est vu comme un antidote
à la condition souvent solitaire de la personne âgée moderne. La cohésion du groupe
est donc inscrite dans les bases du projet, car ces personnes n'envisagent pas de vieillir
autrement qu'entourées de proches. La présence des autres habitants est alors rassurante
et sécurisante. Chez les Babayagas à Montreuil, des formations à la santé sont prévues
afin que les habitantes s'entraident au quotidien dans ce domaine, sans faire appel à un
86
prestataire extérieur. Pour les autres groupes, la cohésion est moins nécessaire, mais
divers moyens sont employés pour l'assurer.
En phase-projet, la communication au sein du groupe est un facteur déterminant
particulièrement sa cohésion. Or, l'habitat groupé fait la part belle à des modes alternatifs
87
de communication. L'association Parasol a recensé trois modes principaux de prise de
88
décision. Le premier est tout simplement le vote majoritaire, ce qui signifie que toute
décision votée par plus de 50% des membres du groupe est adoptée. Mais ce système
peut générer des tensions dues à une absence de prise en compte du vote minoritaire.
La taille modeste des habitats groupés permet d'expérimenter d'autres formes de prise de
décision, parmi lesquelles le consensus. Cette méthode demande au groupe de débattre et
éventuellement d'amender une décision ; ensuite, chacun se prononce sur le résultat des
délibérations. Une personne peut accepter la proposition, s'abstenir, ou bien s'y opposer.
Dans tous les cas, une décision est prise seulement si tout le monde l'accepte. Enfin, la
sociocratie permet une prise de décision par consentement. Le consentement s'oppose au
consensus, car il ne cherche pas à convaincre tous les partenaires et à viser l'unanimité,
mais il considère les oppositions comme une richesse, et tente simplement d'éviter le refus
83
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Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Stéphanie Vermeersch, « Quand bien vieillir rime avec vivre ensemble », Territoires, Mai 2010, n°508, p.29
http://lamaisondesbabayagas.fr/etre-babayaga.html [page consultée le 11 août 2011]
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28
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
PARticiper pour un hAbitat SOLidaire, association rennaise soutenant les projets alternatifs d'habitats sur le territoire breton.
PARASOL, Prise de décision : Bien penser sa méthode..., passim.
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
pur et simple d'un ou plusieurs participants à la réunion. Ces deux dernières méthodes
mettent l'accent sur le groupe, contrairement à la démocratie qui divise entre le camp des
vainqueurs et celui des vaincus. C'est pourquoi elles sont plébiscitées par de nombreux
groupes-projet. En plus de ces modes de prise de décision, les groupes-projet utilisent
parfois la communication non-violente. Ce mode de décision se compose de gestes qui
permettent d'exprimer des idées simples sans passer par la parole, perçue comme facteur
de tensions. Ainsi, une personne faisant un signe en V avec ses doigts souhaitera prendre
la parole de façon brève, afin d'apporter une correction ou une précision mineure à
l'intervention précédente ; deux pouces levés signifieront la demande d'une minute de
89
silence pour ramener tout le monde au calme.
Dans chaque groupe se pose alors la question des rôles de chacun, et du pouvoir que
peuvent acquérir certains membres. Cette question de politique interne est essentielle, car
beaucoup de groupes implosent à cause d'une mauvaise répartition du pouvoir dans le
groupe. Bien souvent, les personnes s'arrogeant le pouvoir ne s'en rendent pas compte : en
général, ce sont soit des personnes disposant d'une grande éloquence, soit des techniciens
imposant leur vision, soit des membres jouissant d'une légitimité spéciale due à leur statut.
Tous croient agir pour l'intérêt du groupe, mais ce dernier a-t-il vraiment besoin de ces
90
inégalités de pouvoir ? C'est ce que souligne la blogueuse Annabel Roux:
Pour le reste, les informations sur la pérennité des groupes d'habitants sont à chercher
plutôt du côté des habitats groupés de « première génération » - c'est-à-dire de ceux ayant
émergé dans les années 1970 et 1980 - ainsi qu'à l'étranger, car ces éléments se révèlent
sur le long terme et les nouveaux habitats groupés manquent cruellement d'expérience à
ce niveau-là. Chez Éco-quartier Strasbourg, on avoue sans gêne ce déficit :
L'un des premiers dangers qui guettent le groupe d'habitants une fois installé, c'est
le passage du collectif de construction au collectif de voisinage, qui peut entraîner des
évolutions fortes. Et la première d'entre elles est l'abandon.
A La Viorne, cinq des douze
ménages ont quitté l'aventure au moment de signer le bail du nouveau logement. La survie
du projet n'a été due qu'à l'intégration en vitesse de nouveaux habitants, qui n'avaient
toutefois pas participé à la conception du logement.
radicale de l'emménagement
91
Au-delà de cette conséquence
, l'aboutissement du projet et son inscription dans l'espace
enlèvent au groupe des raisons de se retrouver, et la vie en commun devient moins régulière
et intense. En tous cas, les moments de rencontre sont désormais à géométrie
et dépendent des occasions ou des ménages impliqués.
92
variable,
Assurer la cohésion passe
donc par le maintien de formes de sociabilité collective.
C'est ainsi que les réunions, repas collectifs, braderies, ou autres moments partagés
par le groupe d'habitants participent de façon fondamentale à la vie de l'habitat groupé.
Tous les groupes insistent sur l'importance de moments communs pour maintenir la vie
89
90
91
92
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.28
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.10-11
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Roland Tourreau, in Dir. Philippe Bonnin, p.107
29
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
sociale du groupe, en particulier les travaux collectifs, qui sont souvent réalisés de manière
93
périodique. Une habitante du Lavoir du Buisson Saint Louis avoue aimer les journées
de nettoyage de l'immeuble, « parce qu'on fait ensemble, et [que] ce n'est pas que de la
94
parlotte. » Comme l'écrit Bernard Lacroix :
Ces actes collectifs peuvent être organisés au sein du groupe, ou en compagnie
des personnes intéressées par le projet et des voisins. Dans le second cas, il s'agit non
seulement de réaffirmer l'unité du groupe pour ses membres, mais en plus de mettre en
scène et de tester cette unité auprès des visiteurs. On comprend donc l'importance de ces
réunions auxquelles des personnes extérieures au groupe sont conviées, en particulier lors
de l'inauguration du nouveau lieu d'habitat.
I.3.3 Quelle autonomie pour l'institution d'habitat collectif ?
Les habitants ont parfois besoin de chercher à l'extérieur les ressources qui leur permettront
de mener le projet à son terme. Le nombre substantiel d'échecs de projets conduit par
ailleurs plusieurs acteurs du mouvement de l'habitat groupé à mettre en avant et à prôner
le suivi des groupes par des accompagnateurs professionnels. Ainsi, pour Habicoop :
Un accompagnement serait donc essentiel, car les futurs habitants ne peuvent pas
connaître dans le détail les différentes dispositions techniques à leur portée et ne doivent
pas perdre trop de temps à les explorer. Cet avis n'est cependant pas partagé par tous.
Annabel Roux, fondatrice d'un portail Internet sur le cohabitat et blogueuse:, écrit :
L'autonomie des habitants est donc mise en avant par certains face à la dépendance
que nécessite pour le groupe la venue d'un expert qui leur pré-mâcherait le travail. Les
habitats groupés de première génération semblent s'inscrire dans cette vision, eux qui ont
toujours milité pour l'autonomie des habitants et leur participation dans la conception de leur
habitat. Michel Boutin, président de l'association Éco Habitat groupé, déclare :
Il s'agit de ne pas tenter d'esquiver à tout prix les difficultés, puisque
«
le groupe
se constitue à travers tout [le] travail d'élaboration, (…) [et] apprend aussi à se connaître en
avançant.
»
95
Au final, il peut être nécessaire de faire appel à une personne connaissant
les arcanes juridiques, administratives, ou économiques d'un projet d'habitat groupé, mais
un accompagnateur ne pourra jamais remplacer le travail indispensable que le groupe doit
effectuer pour avancer en tant que groupe de façon pacifique et efficace. Il s'agit encore
une fois de concilier ouverture du groupe à une expertise extérieure et indépendance des
habitants dans leur prise de décision.
93
94
95
30
Bruno Parasote, p.222-223
http://www.youtube.com/watch?v=CPaiTAy8CWQ [page consultée le 11 août 2011]
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
L'habitat groupé n'est donc pas un chemin mené en pure autonomie. Pérenniser
un projet nécessite également de l'intégrer dans la vie du quartier ou du village. La
communication, notamment dans la presse écrite locale, permet de susciter l'adhésion dans
96
l'espace public régional. L'habitat groupé n'est pas un ermitage, et les projets tentent
toujours de s'insérer dans les réseaux existants et les vivifient. Par exemple, tout un
paragraphe de la page Internet de présentation du Village Vertical détaille son insertion dans
97
le quartier. Stéphane, du projet Tilia et Compagnie, détaille : « On a tout fait pour s'intégrer
à la collectivité existante et au village. [...] L'autonomie est un objectif, l'autarcie pas du
98
tout! » De même, le projet Illeco, à Illkirch, présenté dans le Guide de l'autopromotion,
dévoile ses tentatives pour s'insérer dans l'environnement local :
Ce travail est d'autant plus important que la construction d'un habitat groupé est souvent
perçue par les voisins de façon négative : ces derniers peuvent reprocher au groupe
d'occuper un terrain possédant un intérêt environnemental ou ludique ; surtout, ils peuvent
percevoir l'implantation d'un habitat groupé comme l'arrivée d'un groupe sectaire dans leur
quartier. Tout un travail est nécessaire afin de faire comprendre aux voisins les tenants et
les aboutissants du projet et de leur expliquer l'intérêt de la démarche, dans l'objectif de
désamorcer les peurs et les fantasmes. Lorsque le projet des habitants de l'habitat du Val à
99
Meudon s'installa, « on surnomma [le lieu] « la maison des communistes ». » A La Viorne,
les habitants ont du faire face à de multiples rumeurs et à la signature d'une pétition pour
100
empêcher la construction du bâtiment.
En général, le groupe parvient aisément à résoudre ces conflits. Chez Ecolline, une
réunion a été organisée en compagnie de l'architecte afin de présenter le projet, puis
des visites du chantier ont été programmées en compagnie des voisins. Une habitante
du projet conclut : « Je les sens rassurés et certains même un peu admiratifs de notre
101
démarche. » Pendant le chantier, cette nécessité de communiquer avec les voisins et les
médias locaux se fait d'autant plus grande. En effet, le projet n'est plus un imaginaire sorti de
la tête d'inconnus, mais une réalisation concrète en pleine construction. Les visites guidées
peuvent toutefois gêner les entreprises qui travaillent sur le lieu, et prendre encore un peu
plus de temps libre aux futurs habitants, qui ont déjà un programme très chargé pendant
cette phase de travaux. L'aspect novateur des projets d'habitat groupé peut submerger le
102
groupe de demandes, et certaines visites doivent parfois être refusées.
L'habitat groupé est-il au final un isolement ou une ouverture ? Déjà Fourier se posait
cette question à propos de son Phalanstère, concluant que le lieu devrait se trouver assez
loin des villes pour éviter une « contagion des mœurs civilisées », mais assez proche d'elles
103
pour que les curieux puissent venir le visiter, et, pourquoi pas, s'en inspirer. En ce qui
96
97
98
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.119
http://www.village-vertical.org/index.php?page=presentation [page consultée le 19 août 2011]
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
99
100
101
102
103
Bruno Parasote, p.156
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.120
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, pp.150-151
Pierre Mercklé, Le Phalanstère [en ligne], Association d'études fouriéristes, 2009, <http://www.charlesfourier.fr/article.php3?
id_article=328> [page consultée le 11 août 2011].
31
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
concerne les projets actuels d'habitat groupé, les anciens habitants considèrent globalement
leur vie dans un tel habitat de manière positive.
Le repli sur un groupe coexiste avec une ouverture sur d'autres familles, mais aussi
sur le quartier, la ville, des associations, etc... L'habitat groupé invite donc à repenser la
relation entre l'individuel et le collectif, notions auxquelles se substituent des cercles de
pouvoir et d'appartenance différents. D'ailleurs, « l'isolement à plusieurs même ne saurait
faire illusion ; il ne doit être qu'un moyen plus efficace de lutter contre la solitude et d'unir
104
ses forces autour d'un projet collectif. » Le regroupement d'un collectif autour d'un projet
commun ne se sépare donc pas d'une émancipation individuelle, comme le rappelle Yves
de Lagausie, fondateur du MHGA, en 1983 :
Les habitats groupés tentent donc de concilier un certain repli sur le groupe d'habitants
avec une ouverture sur d'autres horizons permise par un degré accru d'autonomie
individuelle. Ils invitent donc à repenser l'opposition entre ouverture au monde et tentations
communautaires, en rendant la première possible par l'intermédiaire de la seconde.
L'autogestion pourrait donc résumer cette attitude des habitants vis-à-vis de leur degré
d'indépendance. Ce n'est pas un hasard si les habitats groupés du MHGA ont pris naissance
peu d'années après le mouvement de Mai 68, qui a porté et diffusé cette valeur. Aujourd'hui,
cette référence est moins présente auprès des nouveaux « aventuriers du quotidien », mais
elle n'en reste pas moins pertinente pour qualifier le degré d'autonomie de ces groupes.
Au final, une institution collective d'habitat bien enracinée dans son quartier, capable
de maintenir sa cohésion par une solidarité entre les habitants et l'imposition de normes
bien comprises, et apte à montrer une certaine résilience aux départs et autres événements
marquant la vie collective, possède de nombreux atouts pour assurer sa pérennité. En son
temps, le Familistère de Guise a perduré près d'un siècle : sa construction a été achevée
en 1880 et il ne s'est éteint qu'en 1968. Les raisons du succès sont à chercher d'une
part du côté du charisme du fondateur, qui a permis aux administrateurs suivants d'hériter
d'une forte légitimité, et d'autre part dans l'intensité des échanges coopératifs entre ceux
qui possédaient des savoirs et ceux qui désiraient apprendre.
105
Lorsque le Familistère
disparaît en 1968, c'est qu'il s'est fait rattraper par « l'extérieur » : en d'autres termes, «
le
reste de la société accède à la sécurité sociale, [obtient] des conditions de travail meilleures,
[le] marché est plus ouvert et concurrentiel, [les] niveaux d'éducation s'homogénéisent, [les]
marchandises se répandent
», et le lieu n'est plus capable d'incarner le progrès qu'il
proposait un siècle plus tôt. On l'a vu, les habitats groupés d'aujourd'hui auraient refusé
l'administration de leur lieu d'habitat par une seule personne. Mais pour ce qui est des
échanges coopératifs, la leçon n'en reste pas moins pertinente : l'un des ferments de la
104
105
Bernard Lacroix, p.19
Jean-François Draperi, Godin, inventeur de l'économie sociale : mutualiser, coopérer, s'associer, Valence, Éditions REPAS,
2008, pp.61-62
32
I. La formation et la vie d'une institution d'habitat collectif
pérennité des habitats groupés réside peut-être dans leur capacité à incarner ce progrès
social et à faire connaître ses fruits au plus grand nombre.
33
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
II. Les modifications apportées par
l'institution collective dans les pratiques
d'habitat
Si la première partie s'est centrée sur les dynamiques de groupe avant et après la fondation
de l'habitat, la seconde s'intéresse aux réalisations de ce groupe dans l'espace, autrement
dit sur l'habiter en tant que tel. Pour commencer, il convient de se demander comment les
habitants construisent un habiter collectif en revenant sur les définitions philosophiques de
ces notions.
II.1 La construction d'un « chez soi » collectif
II.1.1 Ce que signifie habiter un lieu : comment habiter
collectivement?
Les notions d'habiter et d'habitat ont connu des développements assez récents en
anthropologie et en philosophie. Mais pour amorcer l'approche de ces concepts très riches,
un détour par l'étymologie est nécessaire. En latin, habitare est le fréquentatif du verbe
106
habere, qui signifie avoir, posséder.
Habiter, c'est donc posséder de façon fréquente,
permanente. Le verbe a également donné l'habitude, qui retranscrit bien cette idée de
fréquence. Quant à lui, « le mot « habitat » appartient au vocabulaire de la botanique et
de la zoologie ; il indique d’abord, vers 1808, le territoire occupé par une plante à l’état
naturel, puis vers 1881, le « milieu » géographique adapté à la vie d’une espèce animale
107
e
ou végétale. »
Ce n'est qu'au début du XX siècle que le mot commence à s'appliquer
à l'homme, mais il garde un sens similaire : c'est le milieu dans lequel l'espèce vit. Dès
cet instant, l'habitat ne désigne donc pas seulement le logement; il s'agit d'un espace à
géométrie variable dans le temps, contenant le logement et toute la zone environnante dans
laquelle l'individu déploie son acte d'habiter.
L'habitat est donc ce support géographique de l’acte d'habiter en permanente
interaction avec l’espace public. Il existe ainsi une distinction entre d'une part l'habiter, qui
est un fait anthropologique, et l'habitat, qui est l'espace dans lequel se déploie ce fait. Notre
culture occidentale a fait pencher la notion d'habitat vers le simple logement: le terme est
ainsi souvent employé pour désigner une construction artificielle où vivent des individus.
Cette approche oublie que l'habitat définit aussi l'espace qui nous appartient, la part du
106
107
34
Trésor de la langue française: Voir sur http://atilf.atilf.fr/tlf.htm [page consultée le 19 août 2011]
Thierry Paquot, « Habitat, habitation, habiter », Informations sociales , Mars 2005, n° 123, p.48
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
108
monde qui est à nous
. L'habitat est bien à la fois un « être-au-monde », pour reprendre
la formule d'Heidegger, et cet « à-soi » qui permet de s'isoler de l'espace public.
Quant à l'habiter, cette notion reste cantonnée au champ anthropologique. « Habiter
c'est, dans un espace et un temps donnés, tracer un rapport au territoire en lui attribuant
109
des qualités qui permettent à chacun de s'y identifier. »
L'habiter permet de s'enraciner
dans un lieu en le chargeant de dimensions affectives essentielles. Gaston Bachelard dit :
« Sans [la maison], l'homme serait un être dispersé. Elle maintient l'homme à travers les
orages du ciel et les orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de
110
l'être humain. »
Cette approche pourrait nous inciter à penser que l'habiter ne peut être
qu'individuel, puisque il implique une appropriation personnelle de l'espace. Ce serait oublier
deux choses. D'une part, la notion d'habiter ne prend son sens que collectivement, car tout
habitat implique une relation avec les autres hommes. Un habitat est à la fois un lieu fermé,
car protégé du regard public, et un espace ouvert, car dépendant des relations culturelles
de l'habitant avec l'extérieur. D'autre part, l'habiter ne se situe à la conjonction du lieu et de
l'individu que dans les sociétés modernes. Toutes les sociétés dites primitives construisent
un habiter à partir du lieu et du groupe, et les manières d'occuper l'espace sont avant tout
définies par le groupe social et par la position qu'on y occupe. L'habitat groupé tente de se
situer entre ces deux approches, avec tout de même un net penchant pour la première. On
ne se débarrasse pas aisément de ses déterminations culturelles et anthropologiques.
Habiter collectivement un lieu, c'est aussi poser la question de l'appropriation. « Rendre
propre (sien) l'espace, c'est le singulariser pour le construire selon mes sentiments et
111
ma culture. »
Ce processus constitue un enjeu essentiel dans la construction de la
personnalité d'un individu. L'appropriation d'un espace à travers l'habitat est ainsi liée à la
formation de la psyché de l'individu, donc de son identité. C'est pourquoi toute atteinte à
notre habitat nous semble prendre la forme d'une atteinte à notre identité. L'habitat permet
l'appropriation d'un espace, mais cette appropriation n'est pas strictement individuelle
puisqu'elle s'effectue selon des codes culturels donnés. Ainsi, les oppositions entre le devant
et l'arrière de la maison, entre la cave et le grenier, reposent sur des conventions sociales,
112
d'ailleurs rarement formulées explicitement par les individus
. A travers l'habitat, c'est
donc une dialectique entre l'habitant et les normes sociales d'habitat qui s'engage, puisque
si c'est l'habitant qui aménage sa maison et produit son espace, ce sont les normes sociales
d'habitat qui transmettent les codes de déchiffrage de l'espace à l'individu. La dénomination
« d'habitat individuel » ne saurait donc masquer la dimension éminemment collective de
tout acte d'habiter. Dans l'habitat groupé, outre le partage des normes sociales d'habitat,
la construction d'un habiter à plusieurs passe par l'accomplissement de rituels comme les
travaux annuels d'aménagement des lieux. « Nettoyer, ranger par exemple, participent de
ces actions renouvelées dans le temps, dont l'objectif n'est pas seulement de rendre propre
108
Bruce Begout, « Une place dans le monde », in Collectif, Nouvelles formes d'habitat collectif en Europe, Bordeaux, Arc
en rêve, Centre d'architecture, 2008
109
110
111
112
Marion Ségaud,Anthropologie de l'espace : habiter, fonder, distribuer, transformer, Paris, Armand Colin, 2007, p.70
Id., p.71
Marion Ségaud, p.72
Id., p.73
35
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
113
mais d'instituer un rapport au monde et à l'autre. » L'effet de ces actions réalisées en
groupe n'est pas seulement matériel (tailler les arbres, planter des légumes, nettoyer les
parties communes), il est surtout mental : il permet au groupe de réaffirmer son unité et de
tisser un lien à l'espace qui sera partagé par tous les participants.
L'habitat groupé n'est autre qu'une tentative de concilier ces deux tendances qui mènent
l'une vers la communauté où aucun espace privé n'est permis, l'autre vers l'individualisation
stricte des habitats et l’isolement des individus qui y habitent. Toute personne est dans nos
sociétés modernes perpétuellement en tension entre le besoin de la présence de l’autre et
ce que Thierry Paquot nomme « la solitude ».
Habiter suppose donc la possibilité de cette solitude, mais doit en même temps éviter
l’isolement. L'habitat groupé offre cette opportunité.
Cette tension entre les dimensions collective et individuelle est naturellement
très présente dans les chartes. Ecolline a ainsi pour ambition de « mutualiser des
espaces et de services, et partager des moments de vie quotidienne pour évoluer
114
ensemble » ; Ecosolidaire, un groupe de Saverne, expose vouloir « réaliser un habitat
intermédiaire (groupé) avec une forte dimension de mutualisation (sous-sol, interfaces
bâties, aménagement des espaces extérieurs), respectueuse des indispensables intimités
115
personnelles et familiales ». Les habitats groupés se placent donc (à divers degrés) dans
l'intervalle entre collectivisation des lieux d'habitat et permanence de territoires de l'intime :
ils prônent d'habiter ensemble, mais tout en conservant un lieu véritablement « à soi », donc
un lieu que l'on peut pleinement habiter.
II.1.2 Habiter ensemble: entre unité et fractionnement
On envisage traditionnellement l'unité d'un habitat à travers la conjonction de trois aspects :
« le groupe domestique (la maisonnée), son espace matériel (la maison), ses ressources
et leurs articulations. (…) On peut définir [le groupe domestique] comme l'ensemble de
personnes mangeant et dormant sous le même toit et accomplissant certaines routines. »
116
Les liens maintenant l'union du groupe domestique ont été étudiés en première
partie ; o bservons maintenant ce que change l'habitat groupé dans la configuration spatiale
de l'habitat, et comment il garde son unité malgré sa fragmentation essentielle.
L'un des premiers aspects de l'unité de l'institution collective d'habitat, c'est son nom.
Alors que les logements individuels n'acquièrent que rarement un nom, les projets d'habitat
groupé en possèdent tous un. Un nom possède en effet un pouvoir unificateur et se révèle
utile à la cohésion de l'institution d'habitat collectif. De plus, le nom a le pouvoir de donner
au lieu son identité et sa signification.
Dans le cadre d'un habitat groupé, le nom est l'un des éléments qui permettent
l'appropriation collective du lieu. Bien sûr, chacun associera au nom des références et
des souvenirs différents, mais l'existence d'un nom en commun permet à chacun de se
reconnaître dans le projet. De plus, le nom choisi n'est pas neutre et peut exprimer certaines
113
114
115
116
36
Id., p.75
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, Guide pratique de l'autopromotion, 2011, p.164
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.167
Marion Ségaud, p.91
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
valeurs ou idées. Chez Tilia, le nom de le SCI (et par extension le nom du lieu de vie) fait
référence au grand tilleul qui trône à l'entrée du terrain. « C'est un peu notre arbre à palabres
117
à nous. » Parmi les sept projets présentés dans le Guide pratique de l'autopromotion,
quatre possèdent la syllabe « éco » dans leur nom, ce qui révèle une attention particulière
118
portée à la performance écologique attendue du bâtiment.
Les tensions entre fragmentation et unité de l'habitat se rencontrent aussi dans l'enjeu
du voisinage. Au sein d'un immeuble, le voisin est traditionnellement l'autre, celui qui
habite à côté de moi, mais au-delà de la frontière qui délimite mon espace privé. Dans
l'habitat groupé, l'espace moins fractionné car les parties communes constituent des lieux
de retrouvailles pour les habitants. La figure du voisin s'en trouve modifiée, car le voisin
devient alors à la fois celui avec qui je partage ces espaces et celui avec qui j'ai entrepris un
projet d'habitat en commun. Or, comme le montre Kaufmann, dans les immeubles ou dans
les maisons individuelles, « si les voisins partagent une valeur commune, c'est bien celle de
119
la protection de chaque intimité. »
Garder son intérieur à l'abri du regard des voisins est
donc important, dans la mesure où l'on ne partage a priori avec le voisin qu'une proximité
géographique, et aucunement une proximité affective. D'où ce constat assez désabusé de
Kaufman sur l'évolution des rapports de voisinage: « Hier, c'était le voisin, parce que voisin,
qui devenait l'ami; aujourd'hui le voisin, parce qu'il est le voisin, ne peut que rarement devenir
un véritable ami. L'ami doit être cherché ailleurs et le voisin se maintenir à une certaine
120
distance
. » C'est justement cette loi que l'habitat groupé entend remettre en cause.
La notion d'amitié est peut-être un peu excessive, car les habitants sont loin d'être toujours
des amis, mais un lien de convivialité et de solidarité est censé exister entre eux.
Une question se pose alors : si l'unité de l'habitat groupé se trouve en partie dans le
lien qu'entretiennent les voisins, un domicile traditionnel ne peut-il pas permettre également
cette convivialité ? C'est bien le cas, mais dans un habitat classique, les habitants n'ont pas
accompli ce projet fondateur de l'habitat groupé qu'est la conception commune de l'habitat.
Dans l'habitat groupé, le voisin est aussi le membre de l'assemblée générale qu'on tient
avec les autres habitants régulièrement, c'est celui avec qui on partage la buanderie ou
le jardin, et c'est celui avec lequel on a du imaginer un montage juridique satisfaisant l'un
et l'autre, trouver un terrain, des financements, et mener le projet à son terme. L'habitat
groupé désagrège le fractionnement traditionnel de l'habitat (poussé à son paroxysme dans
l'habitat pavillonnaire), non seulement en tissant des liens de convivialité et de solidarité
entre les habitants, mais également en faisant du voisin celui avec qui on a partagé un projet
de plusieurs années menant à la construction d'un habitat commun.
II.1.3 Identités singulières et identités collectives dans l'acte d'habiter
Tout engagement collectif possède une importante dimension identitaire. Il s'agit pour
l'individu de confronter son identité singulière à un mouvement qui se revendique
d'une identité collective. Plusieurs dynamiques traversent cette dialectique entre identités
117
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
118
119
120
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.15
Perla Serfaty-Farzon, Chez-soi : les territoires de l'intimité, Paris, Armand Colin, 2003, p.152
Jean-Claude Kaufmann, La chaleur du foyer : analyse du repli domestique, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988, p. 162
37
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
singulières et identités collectives. D'abord, l’action collective « constitue un acte public de
prise de position qui peut être éminemment classant tant pour l’individu mobilisé que dans le
121
regard des tiers. »
Elle entraîne presque nécessairement le renvoi à d'autres identités
collectives (c'est ainsi que les premiers habitats groupés étaient associés aux sectes ou
122
encore au communisme ), et implique les individus malgré eux dans une représentation
globalisante du groupe de mobilisés. Ensuite, l'action collective permet à ses participants
de s'impliquer dans un projet qui les dépasse et de revendiquer son appartenance au projet.
Elle constitue donc une manière collective de valoriser son identité. Dans le cas des habitats
groupés, la composante identitaire n'est pas extrêmement présente, et les projets évitent
soigneusement d'opposer le « nous » du groupe au « vous » de la société ou des institutions.
Pour Benoît du groupe strasbourgeois Éco-logis :
On assiste donc à la formation d'une identité (définie notamment par la charte) qui
ne se constitue pas en opposition à un groupe social déterminé. Les projets essaient au
contraire de se présenter comme des actions à la portée de tout un chacun, et la volonté
de mettre en place une mixité sociale dans l'habitat révèle cette volonté globalisante même
si, comme on l'a vu, elle n'obtient que peu d'effets concrets. Enfin, les groupes-projet ne
peuvent revendiquer d'appartenance à un groupe stigmatisé et construire une identité sur
l'opposition, comme l'a par exemple fait la « communauté homosexuelle » à partir des
années 1960. La construction de l'identité collective du projet est donc très peu polarisée,
et elle tire presque uniquement sa force de l'action commune.
Si les groupes d'habitat groupé mobilisent peu d'identité, c'est aussi parce que l'habitat
Dans les sociétés dites primitives,
est déjà en lui-même un vecteur très fort d'identités.
l'habitat est clairement une « inscription au sol des rapports sociaux », pour reprendre
les mots d'Henri Lefebvre. Les modes d'habiter y sont l'expression de cultures parfois
ancestrales, et tout changement peut mettre en péril l'organisation sociale de la société.
Ainsi, lorsque l'on a cherché à remplacer les huttes des Indiens Motilone d'Amazonie par
des cabanons en ciment et béton, équipés de la lumière électrique, les Indiens ont été
complètement désorganisés. En effet, la forte luminosité des habitations modernes a affecté
l'intimité familiale permise par le
bohio
, l'habitat traditionnel de la tribu ; le sol en
béton a aussi empêché les Indiens d'y ficher leurs rouets et les familles ont dû abandonner
leur activité de tissage, et se vêtir de haillons.
123
Un habitat, c'est donc l'expression
d'une culture donnée, et on ne peut modifier l'habitat d'un peuple sans affecter ses pratiques
culturelles. Mais les sociétés modernes ont étendu l'utilisation de l'habitat à des fins de
distinction : un habitat n'est donc plus seulement un reflet passif, mais également un signe
ostensible que l'habitant manipule. L
a maison bourgeoise au XIXe siècle fournit un bon
exemple de cette transformation : elle est en effet la représentation dans l'espace de toute
une série de traits propres à la culture bourgeoise, et « en même temps, c'est un espace de
représentation : le décor et l'ameublement de la demeure sont la vitrine de la réussite sociale
121
122
Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p.77
Voir I.3.3.
123
38
Amos Rapoport, « L’habitat et la culture », L’écologiste, Septembre-Octobre-Novembre 2006, n°20, p.29
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
de la famille. »
124
L'habitat devient donc bel et bien cette troisième peau, après l'épiderme
C'est un champ de représentations
et l'habillement, qui permet la différenciation sociale.
où marquer sa différence vis-à-vis des autres groupes sociaux constitue l'un des principaux
enjeux. Pourtant, là encore, l'habitat groupé se différencie de l'habitat individuel. En effet, il
ne manifeste plus son identité simplement par « le décor et l'ameublement de la demeure »,
mais par l'architecture même du bâtiment. Il ne s'agit plus d'habiter une maison préconçue,
que l'on meublera comme l'on souhaite, mais de concevoir soi-même sa maison et de
transposer dans les murs et dans l'organisation des pièces son identité.
Aujourd'hui, alors que des mouvements contestataires se saisissent de la question de
125
l'habitat, celui-ci n'est plus seulement le miroir de notre position sociale : il peut devenir
un signe visible de notre identité politique. On a vu que l'habitat constitue d'une façon ou
d'une autre notre identité, mais il exprime aussi cette identité aux yeux de tous. Or, dans le
cadre d'un projet tel que l'habitat groupé, qui entend réinvestir l'enjeu politique de l'habitat,
les formes que prennent l'habitat valent déclaration d'une identité politique. On peut trouver
les racines de cette volonté de politiser l'espace dans l'agora grecque : sur la place, tous les
foyers sont réunis autour de l'hestia koiné, le foyer commun, qui rassemble tous les foyers
126
sans s'identifier à aucun.
La démocratie est donc littéralement « mise en forme ». On
pense également immédiatement à la légende de la Table ronde : sa construction permet
de placer tous les chevaliers à égale distance du centre et de ne reléguer personne à
l'écart. Dans l'habitat groupé, les formes que prend la maison doivent renseigner d'emblée le
visiteur sur la nature politique du lieu. Par exemple, à La Viorne, l'égalité entre les habitants
a été mise en forme de la manière suivante : chaque appartement possède à la fois un accès
au rez-de-chaussée et un étage. Ainsi, aucun appartement n'est au-dessus d'un autre, et
127
tous sont côte-à-côte. De même, au Lavoir du Buisson à Paris, les appartements sont tous
128
rassemblés autour d'un axe central et d'une placette, qui symbolisent la communauté.
Aujourd'hui, l'identité écologique ayant pris de l'ampleur, les habitants mettent en avant leur
identité politique en concevant des bâtiments mettant en forme ces valeurs. Par exemple,
Éco-logis Strasbourg a opté pour des murs végétalisés.
(Source
:
http://blog.shopecolo.fr/nouveaux-eco-logis-immeuble-ecologiquestrasbourg-1172.html [page consultée le 19 août 2011])
124
125
126
127
128
e
Martine Segalen,Sociologie de la famille – 3 éd. revue et augmentée, Paris, Armand Colin, 1993, p.210
On peut citer les associations Jeudi Noir, le DAL, ou encore la Fondation Abbé Pierre.
Marion Ségaud. p.89
Visite à La Viorne, 11 juillet 2011.
Voir plus bas, au II.2.2
39
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
L'habitat groupé est donc, quoi qu'en disent les habitants, la mise en scène d'une
identité politique dans un espace. Cet espace est-il privé ? Public ? Semi-public ? L'habitat
groupé bouscule ces lignes traditionnelles de partage des espaces, à tel point qu'il force à
s'interroger sur le déplacement des frontières spatiales entre ce qui relève du privé, et ce
qui appartient au public.
II.2 Une redéfinition des frontières entre espace public
et espace privé
La mise en place de parties collectives n'est pas le privilège de l'habitat groupé. Dans
les logements HLM, certains architectes ont tenté de mettre en place ce type d'espaces,
sans pour autant atteindre le succès escompté. Les habitants ont en effet tendance à
129
délaisser ces parties communes ou à les envisager de manière individuelle
. Il faut
dire que le logement HLM est souvent un logement subi, et que « les locataires de HLM
doivent s'approprier un bien qui n'est pas le leur et vivre dans un lieu qui est moins choisi
130
qu'imposé par leur situation socio-économique. »
A l'inverse, l'habitat groupé vise
une appropriation collective des parties communes, qui doivent être investies par chaque
habitant ; la conception du logement par ses futurs habitants rend bien évidemment cette
appropriation beaucoup plus facile.
Ce faisant, l'habitat groupé dessine une conception originale des rapports entre
espaces publics et espaces privés, puisqu'à côté de parties privatives s'inscrivant dans la
tradition de l'habitat individuel, on trouve des parties communes utilisables et appropriables
par n'importe quel habitant. Afin de saisir l'originalité de cette organisation, il importe de
revenir sur la distinction fondamentale entre ce qui relève de la sphère publique et ce qui
relève de l'intimité, à travers un retour historique.
129
Dir. Bernard Haumont et Alain Morel, La société des voisins : partager un habitat collectif, Paris, Éditions de la maison des
sciences de l'homme, 2005, pp.66-68
130
40
Martine Segalen, p.215
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
II.2.1 Bref historique de l'individualisation du logement
Au Moyen-Age, une certaine confusion existe entre les sphères publiques et privées. Dans
les villes, les logements sont déjà des propriétés, mais les implications de cet état de fait sur
la vie sociale sont minimes. En effet, tout habitant est en permanence en relation avec ses
clients, ses pairs, ses confrères, ses domestiques... Les plus aisés vivent dans de grandes
maisons où ils reçoivent à toute heure des visites, tandis que les plus pauvres logent dans
une seule pièce souvent accessible aux regards extérieurs, si bien que l'espace de l'habitat
n'est dans ce cas que la continuité de l'espace de la rue.
131
e
e
L'historien Philippe Ariès a montré comment, aux XVII et XVIII siècles, divers facteurs
bouleversent progressivement mais durablement cette organisation sociale. En effet, à cette
époque, les effets cumulés des nouvelles formes de spiritualité basées sur l'introspection,
de la volonté de se protéger d'une intervention étatique croissante, et surtout de l'émergence
de la catégorie autonome de « l'enfance » à éduquer font naître un repli sur une famille
que nous appellerions aujourd'hui « famille nucléaire ». Cette famille monopolise petit à
petit les domaines de l'affectivité, des loisirs et de la préparation à la vie d'adulte, malgré
132
une résistance temporaire de certains espaces publics tels que les places et les cafés.
Parallèlement, dans les classes bourgeoises urbaines et au sein de la noblesse, des
espaces intermédiaires de sociabilité, que l'on peut regrouper sous les termes de « société
choisie », se forment,.
133
Roger Chartier écrit ainsi:
e
A la fin du XIX siècle, l'habitat sépare clairement les classes sociales et constitue
un marqueur important de l'appartenance à ces classes. La décoration, par exemple, sert
134
pour les classes bourgeoises à se distinguer et à mettre en valeur leur réussite sociale
. Cependant, la privatisation de l'espace d'habitat est mise en place de façon relativement
homogène dans la société, et elle ne fait l'objet que de rares remises en cause politiques.
Godin écrit en 1870 dans Solutions sociales :
Ce constat le pousse à critiquer le repli familial dans l'habitat :
En effet, pour cet utopiste social, progrès matériel et progrès spirituel vont de pair, et
c'est l'architecture, par la mise en commun d'espaces, qui peut faire la synthèse entre ces
deux mouvements. L'habitat collectif doit ouvrir aux habitants l'accès à un certain nombre
de services publics (eau courante, chauffage, lumière, gaz, mais aussi tous les services
d'éducation et d'hygiène cités en Introduction), qui leur permettront d'allier un confort inédit
à l'époque et un esprit de coopération propice au développement intellectuel.
Mais Godin est bien seul à préconiser un mode d'habitat collectif. Dès le début du
e
XX siècle, le cadre social des nouveaux habitats est celui de la famille « nucléaire »,
135
et le modèle est celui de « l'intégration sociale du prolétariat par la petite propriété. »
C'est donc bel et bien la maison individuelle qui devient au cours du XXe siècle l'idéal
des classes laborieuses. Elle fait l'objet de multiples aspirations: vivre dans un habitat
131
Perla Serfaty-Garzon, pp.21-23
132
133
134
135
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin,Habitats autogérés, Paris, Éditions alternatives / Syros, 1983,p.13
Perla Serfaty-Garzon, p. 27
Martine Segalen, p.210
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.10
41
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
salubre, échapper au contrôle social permanent des cités ouvrières, être indépendant de
« Monsieur vautour » (le propriétaire), se libérer des aléas de la location, se permettre
de prévoir, et enfin pouvoir aménager son espace privé. Il aura fallu toute l'influence des
courants philanthropiques, du christianisme social, du paternalisme patronal, et des progrès
médicaux pour que soient entreprises des politiques de logement pour la classe ouvrière
et que se répande parmi elle l'idéal de l'habitat privé individuel. Comme l'affirme Martine
Segalen, sociologue de la famille :
Ces normes, c'est ce que l'on a appelé à l'époque les « Arts ménagers ». Par ce
mouvement de diffusion progressive des valeurs bourgeoises, la quasi-totalité de la société
se convertit au modèle de l'habitat individuel.
Les oppositions à l'habitat individuel ont pourtant bien existé. Le début des années
1970 a ainsi vu naître une contestation radicale du modèle individuel de logement. Les
communautés post-68 ont ainsi constitué une tentative d’annihiler les cloisonnements entre
familles par la pratique de l'amour libre, l'éducation collective des enfants, et l'absence
136
d'espaces privés. Les habitats groupés des années 1970 et 1980 ont également remis
137
en cause la privatisation des logements et tenté de réinstaurer une vie de village. Mais
l'échec des communautés et la perte de dynamique du mouvement des habitats groupés
autogérés ont laissé un champ libre à l'habitat individuel comme jamais dans l'histoire
française. « Les dernières réalisations [d'habitat groupé] ont plus de vingt-cinq ans. (...)
Au milieu des années 1980, c'est clairement le modèle de l'habitat individuel qui s'est
138
imposé »
. A cette époque, l'acquisition d'une maison individuelle dans un lotissement
pavillonnaire devient bien plus désirable que la location d'un appartement dans les grandes
« barres » construites rapidement dans les années 1950 et 1960. En 1989, 56,6% des
26,5 millions de logements du parc français sont des logements individuels, et la tendance
n'a fait que se poursuivre jusqu'à aujourd'hui. De plus, la surface du logement ne cesse
alors d'augmenter, alors même que le nombre de personnes par ménages est en constante
139
diminution, ce qui engendre une consommation d'espace de plus en plus importante. En
quelques décennies, l'habitat individuel a donc totalement submergé les formes collectives
d'habitat.
Cependant, parallèlement à cette individualisation du logement, le chez-soi devient de
plus en plus l'objet de l'attention publique. Comme le fait remarquer Martine Segalen dans
sa Sociologie de la famille :
Pour l'habitat groupé, l'intervention de la sphère publique (entendue au sens large,
donc non réduite à la sphère étatique) ne doit cependant pas se limiter à la décoration
d'intérieur et aux politiques publiques de logement. Au contraire, l'habitat groupé se base sur
un constat d'échec des politiques publiques de l'habitat et tente d'imaginer d'autres rapports
entre les habitants et « l'extérieur », par exemple en ouvrant la salle commune de l'habitat
136
137
Lacroix, passim.
« Mais c'est plutôt pour moi le besoin de vivre une sorte de... un retour au village, quoi. La notion de village, c'est plutôt
ça. » Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
138
Philippe Yven, chargé de mission habitat durable au sein de l'association Cohérence, qui œuvre pour la mise en place de
solutions durables et solidaires dans l'ouest, cité par Catherine Rollot, L'habitat groupé, ou comment vivre ensemble chacun chez soi
[en ligne], Le Monde, 2009, <http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/12/28/l-habitat-groupe-ou-comment-vivre-ensemble-chacunchez-soi_1285440_3224.html> [page consultée le 12 août 2011].
139
p.39
42
Commissariat général au développement durable, Comptes du logement : Premiers résultats 2010, Le compte 2009, 2011,
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
à des associations locales. Le but des habitants qui choisissent de se lancer dans un tel
projet est donc de déplacer cette « intersection du privé et du public », en fondant un habitat
dans lequel l'institution collective d'habitat constituera un intermédiaire entre l'individu (ou
le ménage) et l'espace public. Ce déplacement est particulièrement significatif dans les
réalisations architecturales de l'habitat groupé.
II.2.2 Les conséquences de cette privatisation dans les réalisations
architecturales
L'architecture n'est pas neutre. Elle fait partie des éléments qui expriment une culture à
une époque et dans une région donnée. Victor Considerant, chef de file du mouvement
phalanstérien, écrit en 1834 : « L'architecture, c'est l'art pivotal, c'est l'art qui résume tous les
140
autres, et qui résume par conséquent la société elle-même. » Les maisons bourgeoises
ne ressemblent pas aux cités populaires ; la kommunalka soviétique n'a pas le même sens
que le kibboutz israélien, bien que certains de leurs modes de fonctionnement puissent être
rapprochés. Chaque habitant intègre par la socialisation un modèle culturel qui reflète ses
conceptions de la famille, de la privauté, des relations de genres, et l'architecture projette ces
traits culturels dans le « concret » des murs et des espaces. « L'espace dit quelque chose
sur la société, le groupe ou l'individu qui l'occupe ; il indique un état des relations sociales ; il
« communique » pourvu que nous connaissions le code pour pouvoir lire ce qu'il nous dit. »
141
Ainsi, les formes des logements nous donnent des informations sur les modes d'habiter
de la population qui y vit. De façon symétrique, l'organisation spatiale d'un logement a une
influence sur la manière d'habiter l'espace domestique.On sait au moins depuis les travaux
de Michel Foucault sur la prison qu'une certaine organisation spatiale a une influence sur
142
les rapports sociaux entre individus. En résumé, « les formes informent », mais « [elles]
143
forment aussi. »
Il existe donc d'importants liens entre l'architecture d'un logement et
les personnes qui y habitent, d'autant plus quand ces personnes ont elles-mêmes conçu
le bâtiment.
On peut retracer une brève histoire des espaces publics et privés dans l'architecture
e
en la commençant au XVIII siècle. Une évolution historique majeure se met alors en place
dans l'architecture du domicile, d'abord parmi les couches bourgeoises et paysannes, plus
tard seulement chez les ouvriers : il s'agit de la distinction entre espaces publics et espaces
privés de la maison. En effet, à cette période, une certaine spécialisation des espaces se met
e
en place dans la demeure familiale bourgeoise, et dès le début du XIX siècle, les espaces
privés et les espaces publics du domicile y deviennent clairement séparés. Les escaliers,
alcôves, vestibules, couloirs apparaissent dans les maisons et cassent le circuit unique de
144
traversée de la demeure, modèle qui avait prévalu jusqu'alors.
Dans la seconde moitié
e
du XIX siècle, les classes bourgeoises, effrayées par les émeutes et autres mouvements
140
141
142
143
Jean-François Draperi, p.43
Marion Ségaud, p.78
Le paradigme sécuritaire de la prévention situationnelle est un exemple très actuel de cet énoncé.
Marion Ségaud, p.79 et p.89
144
Perla Serfaty-Garzon, p. 31-32
43
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
populaires, accentuent encore l'étanchéité de leur espace domestique. Parallèlement,
certaines familles paysannes connaissent un processus similaire de privatisation : l'espace
du sommeil est déplacé de la grande salle commune qui abritait toute la vie de la maisonnée
vers le grenier à foin, où sont installées des chambres individuelles. Cependant, c'est
surtout dans l'après-Seconde guerre mondiale que la grande majorité du monde paysan
réaménagera les fermes et que le modèle issu de la bourgeoisie urbaine s'imposera dans
les campagnes.
145
e
L'habitat ouvrier suit une évolution différente. Au XIX siècle, les logements ouvriers
ne comportent encore aucune espèce d'espaces privés, même au sein des immeubles
haussmanniens où ils cohabitent avec des appartements bourgeois. Les ouvriers se
massent alors principalement dans les taudis insalubres des banlieues, ou investissent des
lotissements pavillonnaires qui ne sont que rarement utilisés comme résidence principale,
e
faute d'être facilement accessibles. Au début du XX siècle, en particulier dans l'entre-deuxguerres, les courants hygiénistes inspirent la création de cités-jardins, premiers véritables
logements individuels ouvriers. Une grande attention est tout de même portée aux espaces
146
collectifs extérieurs afin d'encourager une vie sociale perçue comme saine.
Malgré ces
tentatives ambitieuses mais limitées, les aspirations ouvrières après la Seconde Guerre
mondiale restent marquées par la pénurie de logements : volonté de posséder un « chez
soi » individuel, construit en matériaux « durs » (pierre ou parpaing), et richement décoré.
147
C'est pourquoi la construction des premiers immeubles HLM est perçue par les ouvriers
comme un progrès ; ceux-ci peuvent enfin accéder aux pièces d'hygiène à l'intérieur de
leur logement, ainsi qu'à des chambres séparées pour les enfants. Cependant, « c'est
148
l'éradication de la sociabilité de quartier qui est moins bien acceptée. »
L'architecture de
ces nouveaux logements, en réduisant au maximum le nombre de pièces communes et en
séparant hermétiquement les voisins, entraîne une perte de convivialité entre les habitants.
Cette préoccupation est tout à fait familière aux concepteurs d'habitats groupés, qui par la
mise en place de parties communes cherchent à retrouver cette convivialité et cet esprit de
quartier perdu. Mais la réaction des habitants des cités HLM est opposée : c'est la fuite vers
les banlieues pavillonnaires, et la construction de logements individuels dépasse celle de
149
logements collectifs dès 1975.
Pour autant, l'habitat groupé ne remet pas en cause toutes les avancées du logement
ouvrier pendant ces 150 dernières années, notamment la spécialisation des espaces de la
maison. Par exemple, l'idée de donner à chaque enfant sa propre chambre ne s'est imposée
que dans les années 1970 parmi les ouvriers, et elle est toujours appliquée dans les projets
d'habitat groupé. De même, la flexibilité spatiale du logement, abandonnée petit à petit
e
tout au long du XX siècle, n'est pas revendiquée par l'habitat groupé. Il faut se souvenir
e
qu'au début du XX siècle, les maisons de campagne étaient modifiées parfois jusque dans
les fondements par un changement de situation familiale (arrivée d'un enfant, mariage du
145
146
147
148
149
44
Martine Segalen, p.211
Martine Segalen, pp.212-214
Id., p.214
Id., p.215
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.11
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
fils qui vient s'installer à la maison avec son épouse...). Aujourd'hui, afin d'anticiper ces
changements, on construit simplement plus grand, tout en réservant une chambre pour
les amis de passage ou les enfants à venir. Cette caractéristique est présente de façon
indifférente dans les projets d'habitat groupé et dans les logements individuels.
Ceci dit, quelles innovations architecturales sont introduites par l'habitat groupé ? Il est
difficile de répondre de façon globale, car d'une part chaque projet fait appel à un architecte
différent, et d'autre part le faible nombre de projets réalisés aujourd'hui ne permet pas de
généralisation. Cependant, un document intéressant diffusé sur le site d’Éco Habitat Groupé
relate la fondation d'un habitat groupé à Paris au début des année 1980. L'architecte,
Bernard Kohn, y révèle sa conception du bâtiment, et justifie les choix qui l'ont guidé dans
150
son travail.
Ainsi, le bâtiment est conçu autour d'un axe central (en rouge sur le schéma) autour
duquel se greffent les différents logements, et des espaces communs sont mis en place
à l'avant, au milieu, et à l'arrière du bâtiment (en jaune sur le schéma). Deux autres axes
viennent compléter cet axe central, et les trois lignes droites se retrouvent en un point
névralgique censé symboliser la communauté des habitants. On voit donc bien comment
l'architecture vient signifier le mode d'habiter du lieu.
(Source : Film retraçant la fondation et la vie dans l'habitat groupé du Lavoir du Buisson
151
Saint-Louis )
(Source : Ibid.)
150
151
http://www.youtube.com/watch?v=BNxAMYfl2lk [page consultée le 11 août 2011]
http://www.youtube.com/watch?v=BNxAMYfl2lk [page consultée le 19 août 2011]
45
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Si l'on s'intéresse à l'intérieur des bâtiments, très peu de changements architecturaux
ont été introduits au niveau des parties privatives, et l'originalité architecturale des projets
d'habitat groupé réside principalement dans l'aménagement d'espaces communs, qui
varient en fonction des projets et du degré de communauté voulu par les futurs habitants.
II.2.3 La signification des espaces communs dans l'habitat groupé
La présence d'espaces communs est une caractéristique identitaire des habitats groupés.
Dans les habitats de première génération, les parties communes représentaient entre 10%
et 25% de l'espace total du bâtiment, quand les logements HLM ne prévoyaient que 0,75
2
152
m d'espaces communs par logement. Aujourd'hui, la volonté de mettre en place ces
espaces communs vogue toujours à contre-courant, et la mutualisation de moyens tels que
la buanderie n'est pas à l'ordre du jour dans les bâtiments construits en promotion classique.
152
46
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.8
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
Les espaces communs sont riches d'informations sur la délimitation que les habitants
opèrent entre la sphère du privé et les espaces accessibles par tout le groupe. Ainsi, les
espaces communs que l'on retrouve le plus fréquemment sont: une salle des fêtes ou de
réunion, une chambre d'ami, une buanderie, un atelier de bricolage, un jardin collectif, un
espace de stationnement, ou une pièce dédiée à un thème particulier (photo, bibliothèque,
153
atelier, ...)
. Deux types de logiques traversent le choix de ces pièces : d'une part
celles qui vise à mettre en commun des outils et des locaux, et qui relèvent de la logique
d'économie d'échelle ; d'autre part celles qui ont pour but de catalyser la vie collective et de
favoriser les rencontres entre habitants. A défaut de pouvoir fournir une analyse exhaustive,
observons les logiques que peuvent porter quelques-unes de ces pièces, à commencer par
la buanderie.
Traditionnellement, la buanderie est la salle consacrée au lavage du linge de la
maisonnée. Elle succède aux lavoirs, lieux collectifs de sociabilité féminine par excellence
e
avant la privatisation de l'acte de lavage des vêtements au XIX siècle. Remisé à l'abri
des regards extérieurs, puis automatisé dans les années 1960, le lave-linge ne possède
aujourd'hui plus de lieu dédié, alors même que sa fonction reste centrale dans la gestion
154
quotidienne de la maison.
Le choix d'une buanderie en tant qu'espace commun n'est
donc pas anodin. Les habitats groupés mettent de nouveau en commun cette tâche
ménagère en tentant de faire de la buanderie un lieu de convivialité. Mettant à profit les
progrès techniques et d'hygiène (c'est par des considérations hygiénistes qu'a été justifiée
l'internalisation de la lessive et la fin des lavoirs), les habitats groupés tentent de retrouver
une partie de l'esprit de village caractérisant ces lieux il y a deux siècles.
Attardons-nous sur les jardins, car ce type d'équipement possède un sens particulier
dans notre époque marquée par l'incertitude vis-à-vis du futur. On se souvient des jardins
ouvriers qui permettaient aux classes populaires de tendre vers l'autosuffisance alimentaire,
et d'améliorer leurs conditions de vie. Les jardins de l'habitat groupé s'inscrivent dans
cette filiation, en particulier dans la volonté de pouvoir produire un peu de ses moyens de
subsistance. Mais les jardins sont aussi le lieu de jeu des enfants et sont perçus comme
des signes d'une meilleure qualité de vie. Les habitats groupés ont donc globalement facilité
l'accès à ces parties communes, et parfois construit les logements de manière groupée
155
autour de ces espaces.
La salle de réunion peut rappeler l'agora grecque, où les affaires de la cité pouvaient
être débattues par les citoyens. Cette salle de réunion est souvent utilisée en d'autres
occasions (activité culturelle, yoga, etc...), et peut être ouverte au public, comme dans
l'habitat groupé du Val, qui a permis à une chorale et à un théâtre de répéter dans un local
2 156
de 100 m . Au Lavoir du Buisson Saint Louis, la salle était « au début [une] garderie
pour les enfants, [mais] elle sert ensuite pour des fêtes, des répétitions de théâtre, des
manifestations artistiques, des réunions d'associations, et pour la traditionnelle soirée du
153
Bruno Parasote, Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux : comment construire collectivement un immeuble
en ville ? Paris, Editions Yves Michel, 2011, pp.28-29
154
155
156
Marion Ségaud, p.146
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.18
http://autopromotionsudfrance.hautetfort.com/tag/maison%20du%20val [page consultée le 11 août 2011]
47
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
157
beaujolais nouveau. » Ce type d'espaces communs constitue donc souvent la pierre
angulaire de l'ouverture de l'habitat sur son quartier et sur la ville.
En dehors de la salle commune, les couloirs, halls et pelouses permettent de créer
des espaces de rencontre forcée entre les habitants. Godin avait prévu de nombreuses
connexions entre les parties du Familistère afin de développer la sociabilité : de larges
galeries reliées par des corridors, dix passages ouvrant les bâtiments sur l'extérieur, et
158
de larges escaliers. Les habitats groupés de l'époque du MHGA ont aussi multiplié ce
159
type d'espaces, dans le but affiché de favoriser les rencontres entre habitants. En effet,
les immeubles aujourd'hui possèdent souvent deux mécanismes de circulation intérieure
(ascenseur et escaliers), et sont érigés en hauteur dans un empilement de petits paliers, ce
qui ne favorise en aucun cas les rencontres.
Rares sont les projets qui entendent partager des espaces aussi privés que la cuisine
ou les sanitaires, car les actes de la cuisine et de la toilette font désormais partie du territoire
de l'intimité. Parmi tous les projets rencontrés dans cette étude, un seul projette de mettre
en commun ces pièces, dans un esprit de partage encore renforcé.
160
Enfin, l'allure globale du bâtiment est également spécifique dans les habitats groupés.
Souvent, le modèle d'imbrication des espaces change : on passe d'un modèle en grappe,
dans lequel l'habitant circule des espaces publics aux espaces les plus privés, ces derniers
se retrouvant en cul-de-sac, à un modèle en treillis multipliant les liaisons entre les différents
161
espaces. C'est ainsi que les chambres d'enfants peuvent se trouver directement en rezde-chaussée. L'allure de la façade est également un enjeu important. Une trop grande
diversité illustrerait un manque de cohésion du groupe d'habitants. Au Lavoir du Buisson,
on a choisi de relier tous les espaces communs par des chemins de briques, tandis que
162
dans un autre projet, c'est la toiture qui unifie les espaces individuels.
De façon générale, il existe des différences au niveau des espaces communs entre
un habitat groupé rural et son équivalent urbain: un habitat groupé urbain est bien souvent
un immeuble, tandis que l'habitat groupé rural sera une série de maisons mitoyennes
163
. Or, « on ne se représente pas les espaces communs, la vie collective de la même
164
manière dans un ensemble de maisons que dans un immeuble
. » L'habitat groupé en
milieu rural laissera plus de place aux jardins, à la cour, et aura plus facilement une salle
commune séparée des autres bâtiments. La vie collective pourra se dérouler plus facilement
157
158
159
160
http://www.youtube.com/watch?v=CPaiTAy8CWQ [page consultée le 19 août 2011]
Jean-François Draperi, pp.21-22
Pierre Lefevre, « L'architecture et l'architecte », in Dir. Philippe Bonnin, p.125
Il s'agit du projet Chez Louise et Michel, voir http://cohabitat.fr/2009/06/chez-louise-et-michel-habitat-collectif-autogere-et-
durable-a-paris/ [page conultée le 19 août 2011]
161
162
163
164
48
Philippe Bonnin, in Dir. Philppe Bonnin, p.18
Pierre Lefevre, in Dir. Philippe Bonnin, p.127
Bruno Parasote, p.20
Bruno Parasote, p.20
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
à l'extérieur. Chez Tilia & Compagnie, on envisage de faire du tilleul de l'entrée un lieu de
165
rencontre et de manifestations.
Enfin, le choix des espaces communs dépendra de la composition du groupe-projet.
Les habitats groupés du MHGA intégraient souvent des salles de jeux pour les enfants et
conservaient de larges espaces individuels ; les projets actuels portés par des personnes
plus âgées mettront plutôt l'accent sur une chambre d'amis et garderont moins d'espaces
privatifs.
Au final, les espaces communs font vraiment la différence entre un habitat groupé et
un habitat individuel ou collectif classique. En effet, les relations de solidarité et d'échange
peuvent exister dans des immeubles ou des lotissements ne fonctionnant pas en habitat
groupé, mais les espaces communs permettent une pérennisation du projet en inscrivant
ces rapports sociaux de mutualisation à long terme dans l'espace.
II.3 De la conception d'un habitat à son
autoconstruction
II.3.1 La conception de l'habitat groupé: une nouvelle collaboration
entre habitants et architectes ?
Concevoir son habitat, c'est pour les habitats groupés une façon de se réapproprier un
rôle depuis longtemps externalisé. Ivan Illich, penseur de la convivialité, décrit ainsi notre
société :
Aujourd'hui, de nombreux architectes rejoignent ce constat :
Cette critique se fonde sur les évolutions architecturales de ces soixante dernières
années. Car si l'architecture en tant que science autonome de la distribution des espaces
e
e
émerge dès le XVII siècle, ce n'est qu'au milieu du XX siècle que son règne s'étend en
France au logement de masse, et que par conséquent l'architecte se met à concevoir des
166
logements pour une clientèle qu'il ne connaît pas.
A partir de cette date, les logements
collectifs sont ainsi construits à toute vitesse pour faire face à l'urbanisation croissante et
à l'afflux de travailleurs, notamment immigrés, dans les villes. En réponse aux excès de
ce logement de masse impersonnel, divers acteurs tentent alors de réagir en se saisissant
du paradigme de la participation. Dans les années 1970, une réflexion est lancée entre
pouvoirs publics et architectes afin d'associer l'habitant à la conception de son logement et
d'atténuer les effets pervers du logement de masse. Les expériences qui en découlent sont
le plus souvent un échec :
Associer les habitants au travail de l'architecte, d'accord, mais le laisser supplanter ce
dernier, sûrement pas. Là encore, les projets d'habitats groupés répondent à ce danger
165
Tilia & Compagnie, Habitat groupé à Saint-Laurent-en-Beaumont, Isère [audio en ligne], <http://www.habitatgroupe.org/
spip.php?article376> [page consultée le 19 août 2011]
166
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.23
49
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
puisque ce sont les habitants eux-mêmes qui sont demandeurs de participation ; ils sont
donc conscients de ce qu'ils veulent apporter au travail de l'architecte.
On peut distinguer trois types d'habitat groupé
d'engagement du groupe d'habitants:
167
, chacun matérialisant un degré
Dans l'habitat groupé en promotion classique, les futurs habitants ne participent à la
conception du logement que dans les cadres définis par le maître d'ouvrage, qui est aussi
la personne à l'initiative du projet.
Dans l'habitat groupé réalisé par délégation de maîtrise d'ouvrage, le groupe prend
l'initiative et trace les grandes lignes du projet, mais la maîtrise technique est ensuite
assurée par un professionnel.
Dans l'habitat groupé en autopromotion, le groupe garde une maîtrise complète sur
tout le processus de construction et de promotion immobilière. Il écrit le cahier des charges
à respecter, pilote les travaux, voire construit lui-même le logement. La division en trois
catégorie est en réalité purement théorique, car la dernière option est celle choisie par tous
les groupes d'habitants. En effet, la conception de l'habitat est un élément constitutif de
l'habitat groupé, et les groupes d'habitants s'impliquent tous activement dans cette tâche.
Les architectes et les habitants sont donc amenés à collaborer au fil du projet d'habitat
groupé. Dans certains projets, l'architecte fait partie intégrante du groupe d'habitants. Ce
n'est que rarement le cas aujourd'hui, mais on estime qu'un tiers des groupes-projet de
première génération comportaient un architecte dans leurs rangs. Certains architectes
refusaient d'ailleurs de fournir le travail d'architecture, craignant de dénaturer les liens tissés
168
avec le collectif, et d'acquérir une légitimité trop importante au sein du groupe. Si le
groupe-projet ne compte aucun architecte, les habitants doivent en sélectionner un et les
deux parties doivent collaborer pour mener à bien la construction d'un logement satisfaisant
avant tout les premiers.
169
Entre architectes et habitants, on assiste donc à une « hybridation des savoirs »
: la conception de l'habitat résulte de la combinaison des savoirs architecturaux
classiques et des connaissances et des désirs des futurs habitants. La pédagogie doit
être mutuelle : d'un côté, les habitants se forment aux détails du métier d'architecte et se
confrontent à ses contraintes, de l'autre, l'architecte apprend les vertus du dialogue et les
spécificités d'un processus participatif. Si tout se passe bien, « les architectes acceptent de
remettre en question leurs savoirs, de changer leurs habitudes. Ils écoutent les envies des
170
habitants, les discutent, et font leurs propositions. »
Cette hybridation est facilitée par
le profil des architectes, qui sont la plupart du temps eux-mêmes imprégnés des valeurs
de l'habitat groupé. Ainsi, de nombreux architectes s'insurgent contre la politique actuelle
de construction de logements individuels, dans laquelle l'habitant n'est absolument pas
consulté, et imaginent des manières d'associer l'habitant au travail de conception de son
logement :
Mais cette communauté de valeurs entre architectes et habitants n'empêche pas les
difficultés, à une époque où l'action politique n'est plus guidée par une idéologie claire et où
167
168
169
170
50
Bruno Parasote, p.17
Pierre Lefevre, in Dir. Philippe Bonnin, p.122
Véronique Biau, « Architectes militants et hybridation des savoirs », Territoires, Mai 2010, n°508, p.31
Ibid.
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
les concepts censés guidés l'action, comme celui de « développement durable », ne sont
pas clairement définis.
En outre, la cohabitation entre habitants et architecte peut être délicate, car la vision de
ce dernier peut entrer en conflit avec les désirs des habitants, sans compter que le projet
peut échouer et plonger l'architecte dans l'embarras. L'habitat groupé demande donc un
véritable engagement des architectes, et ne pourrait se faire sans cet engagement.
Le rôle de l'architecte est donc de jongler et de faire la synthèse entre les demandes des
Le
habitants en mettant de côté les cadres théoriques et en se concentrant sur le concret.
professionnel
doit pouvoir traduire auprès des habitants des concepts qui n'ont pour l'heure
aucune matérialité dans l'espace. Il faut donc trouver un langage commun, notamment par
171
le dessin, ou, plus original, par la pâte à modeler. En outre, ce travail de vulgarisation peut
être compliqué, car l'architecte n'a plus en face de lui un seul et unique interlocuteur, mais
parfois dix, quinze, ou vingt personnes ayant chacun leurs souhaits personnels. Bernard
Kohn, architecte du Lavoir du Buisson Saint Louis, expose son travail comme similaire à
172
la broche d'un chich kebab, censée relier les morceaux de viande entre eux. Au niveau
du chantier par contre, les habitants ne peuvent plus intervenir personnellement. C'est la
structure créée ad hoc qui est seule habilitée à passer des contrats, donner des ordres,
173
Les volontés individuelles laissent
exprimer des demandes, signer des documents, etc...
alors place à l'unicité du collectif.
II.3.2 Les relations entre l'institution d'habitat collectif et les autres
partenaires
La conception de l'habitat dépasse les simples relations des habitants avec leur architecte.
Tout au long du projet, les habitants sont en effet en relation avec de nombreux
professionnels, et les relations avec ceux-ci s'en trouvent également modifiées. Un habitat
groupé, c'est en effet une « volonté d'établir de nouveaux rapports, plus symétriques
entre les différents partenaires d'une opération d'habitats (habitants, collectivités locales,
maîtres d’œuvres, financeurs, etc.) et ainsi d'affirmer la place centrale du groupe d'habitants
174
Cette place centrale chamboule la chaîne traditionnelle de
comme maître d'ouvrage. »
production du logement. Un nouveau métier fait son apparition: il s'agit du programmiste,
qui sera chargé de traduire les aspirations des habitants et d'en faire la synthèse. Ce rôle,
dévolu dans les habitats groupés de première génération à l'architecte, permet de «
émerger les besoins de groupe.
171
172
173
174
175
»
faire
175
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.33
http://www.youtube.com/watch?v=BNxAMYfl2lk [page consultée le 19 août 2011]
Bruno Parasote, p.177
Anne D'Orazio, « "Habiter autrement" : de l'initiative à l'engagement. », Territoires, Mai 2010, n°508, p.24
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
51
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Sur le chantier, les futurs habitants ont aussi un rôle important. «
Le groupe d'auto-
promotion doit suivre attentivement le chantier, ce qui demande beaucoup de temps. Il peut
alors choisir plusieurs référents qui assisteront notamment aux aux réunions de
»
176
chantier.
Le nombre d'interlocuteurs ne doit cependant pas être trop élevé afin d'éviter le
fractionnement des informations données par les professionnels sur le chantier. Dans ces
réunions, les référents peuvent être amenés à jouer un rôle de médiateurs entre l'architecte
et les entreprises ; en effet, la conception de leur logement leur donne un poids inégalable
dans la discussion, et ce sont eux qui seront amenés à trancher en cas de conflit.
177
Le soutien et l'établissement de relations de confiance entre groupes-projet et
collectivités locales est par ailleurs indispensable. Le Guide pratique de l'autopromotion
insiste sur cet aspect : le groupe doit impérativement présenter son projet aux services
d'urbanisme de la commune afin de pouvoir compter sur leur collaboration. En effet,
«
outre un soutien politique, les collectivités peuvent aider les projets en cédant le foncier
à moindre coût et en se portant garantes pour le groupe projet lors de la contraction du
prêt bancaire.
»
178
Autour du groupe se forme donc une nébuleuse de professionnels et de collaborateurs
qui ont tous leur rôle à jouer dans la fondation de l'habitat groupé. Un habitat groupé ne
peut donc pas se constituer tout seul, et ce n'est qu'en établissant des relations avec des
partenaires qu'un projet pourra aboutir. La conception même de l'habitat n'est donc pas un
travail dépendant uniquement du groupe, et le projet final portera les marques des désirs
des habitants, mais aussi de multiples contraintes et de conseils prodigués par ceux qui
auront participé de manière moins visible à la fondation du nouveau lieu d'habitat.
II.3.3 Quels liens entre habitat groupé et autoconstruction ?
Peu d'expériences d'habitat groupé s'effectuent aujourd'hui en complète autoconstruction.
Pourtant, selon les mots d'Heidegger, « bâtir, [...] n'est pas seulement un moyen de
179
l'habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui-même, habiter
. » Il existe donc
une filiation logique entre la conception de son habitat et sa construction. Les habitants
souhaitant s'approprier la première phase de création d'un habitat ont donc toutes les
chances d'être sensibilisés à la deuxième.
176
177
178
179
52
Témoignage de François, du groupe Éco-logis, cité parAssociation Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.141
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.141
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.121
Martin Heidegger, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1973, p.172
II. Les modifications apportées par l'institution collective dans les pratiques d'habitat
L'autoconstruction fait partie des références de l'habitat groupé à travers l'expérience
des Castors. Mais l'autoconstruction a longtemps été la norme dans les campagnes, quand
180
les « Constructeurs du dimanche » se regroupaient pour bâtir ensemble leurs habitations.
Sur un plan plus institutionnel, le précurseur de l'autoconstruction est un ingénieur troyen
méconnu du nom de Gëorgia Knap. Au début des années 20, il développe un modèle de
maisons qui s'appuie sur l'utilisation de béton banché et qui est suffisamment simple pour
que les futurs habitants construisent eux-mêmes leur maison. Environ 1000 « Cottages
sociaux de France » sont alors construits par 22 groupes d'auto-constructeurs, dont les
membres substituent un engagement sur le chantier à une partie du financement de la
maison. A l'aube de la Seconde Guerre Mondiale, ce mouvement disparaît, principalement à
cause de l'investissement lourd demandé aux auto-constructeurs, tant sur le plan physique
181
que financier.
Mais les difficultés de logement consécutives à la guerre font renaître le mouvement
d'autoconstruction de ses cendres par l'intermédiaire de son plus célèbre représentant: Les
Castors. En 1948, la société coopérative HBM intitulée « Comité ouvrier du logement »
entame la construction de 150 logements dans la commune de Pessac, en Gironde. Deux
ans plus tard, tous les logements sont attribués. Cette rapidité a été permise par un
engagement des pouvoirs publics (la CAF a par exemple prêté deux millions de francs au
groupe d'auto-constructeurs), et par une présence forte des futurs habitants sur le chantier
(ils étaient tenus de s'y montrer au moins vingt-quatre heures par mois). Il serait illusoire
de considérer le mouvement des Castors uniquement sur le plan de la construction de
logements, car les ambitions de ces auto-constructeurs sont bien plus étendues. Proche
des préoccupations actuelles de l'habitat groupé, le mouvement des Castors entend alors
réintroduire le goût de l'effort collectif et la solidarité entre ouvriers, tout en concevant des
logements collectifs.
Car comme le proclame la Charte des Castors de Pessac, « nous ne bâtissons pas
182
notre maison, mais nous bâtissons ensemble notre cité. » L'influence des mouvements de
jeunesse catholiques est notable, car la coopération constituait alors une mise en pratique
183
évidente des principes religieux de ces hommes de foi. De nombreux logements sont
construits par ces « Castors » jusqu'au début des années 1950, notamment grâce à un
fort soutien public, mais le mouvement décline à partir du moment où l’État lance ses
programmes de « grands ensembles. » A ce moment, certains Castors se reconvertissent
dans des coopératives de simple accession à la propriété. Depuis les années 1980, les
Castors se sont recentrés sur la construction de logements individuels
184
.
Aujourd'hui, l'autoconstruction connaît un essor parallèle au développement de l'habitat
groupé. La diffusion de nouvelles techniques de construction facilement appropriables
par les habitants, comme les maisons en paille, et la volonté de construire à bas coût
encouragent les personnes concernées par les questions environnementales à se lancer
dans cette méthode de construction.
180
181
André Kerspern, in Dir. Philippe Bonnin, p.48
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, La place de la forme coopérative dans le secteur de l'habitat en
France, Paris, PUCA, 1998, p.18
182
183
184
André Kerspern, in Dir. Philippe Bonnin, p.47
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, p.21
http://www.castorsrhonealpes.asso.fr/content/l039histoire-des-castors [page consultée le 19 août 2011]
53
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
L'autoconstruction possède en revanche plusieurs inconvénients. D'abord, elle
demande cependant un temps considérable afin de mener les travaux, d'autant que les
auto-constructeurs sont souvent dépourvus de l'expertise des professionnels. Le planning
du chantier peut également être plus difficile à gérer, en raison du grand nombre d'autoconstructeurs. Enfin, l'autoconstruction nécessite une énergie que certains habitants ne sont
pas prêts à mettre dans le projet. Au final, ce procédé est réservé à des groupes-projet
voulant pousser la démarche d'autonomie à son paroxysme et possédant des ressources
185
suffisantes pour se passer de maçons.
Une solution intermédiaire employée par certains groupes consiste à réaliser seulement
une petite partie de la construction en autoconstruction. C'est le choix du groupe Écolline,
qui a cependant du faire réaliser ses travaux de menuiserie par un professionnel, car celuici était seul à même de garantir le travail parfait nécessaire à la labellisation des maisons
en Bâtiment basse consommation (BBC).
186
L'autoconstruction leur a cependant permis
d'ajouter une dimension participative importante au projet, par la réalisation de chantiers
participatifs avec des bénévoles. Mais un tel projet ne doit pas mettre en danger l'autonomie
et l'unité du groupe-projet. «
Un enjeu majeur a été la cohésion du groupe face à l'arrivée
des bénévoles : les équilibres ont été mis en question, cela a créé du mouvement, mais
tout s'est bien passé.
185
186
187
54
»
187
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.81
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, p.81
Id., p.143
III. L'habitat groupé dans l'espace public
III. L'habitat groupé dans l'espace public
Les parties précédentes se sont concentrées sur la réalisation d'un habitat groupé en
adoptant un angle de vue « à taille humaine », c'est-à-dire que l'habitat groupé y a été
considéré comme une simple réalisation d'un groupe de personnes motivées par l'aventure.
Mais l'habitat groupé n'est pas seulement une somme d'expériences similaires : il trouve
sa source dans des courants séculaires et s'inspire de concepts qui le dépassent. Il s'agit
donc maintenant d'analyser l'habitat groupé sous un angle global en le mettant en relation
avec des grands courants de pensées et en étudiant sa place en tant que mouvement dans
la société. Pour commencer, il est essentiel d'étudier les rapports de l'habitat groupé avec
le mouvement coopératif.
III.1 Habitat groupé et identité coopérative
Si l'habitat groupé est une grande famille, on peut dire qu'en son sein se sont
188
développées et se développent des structures à l'histoire particulière : les coopératives .
189
Le premier projet de coopérative d'habitants est encore en train de sortir de terre
, mais
le mouvement coopératif est une source d'inspiration et un acteur essentiel de la nébuleuse
de l'habitat groupé.
III.1.1 Retour sur le mouvement coopératif dans le domaine du
logement
e
Les premières coopératives sont issues de mouvements ouvriers du début du XIX siècle
qui entendent lutter contre le capitalisme par la coopération. Face à la Loi Le Chapelier de
1791 qui interdit toute organisation corporatiste, les classes laborieuses trouvent d'autres
moyens de faire face à leur difficile situation en mettant en place des sociétés de secours
mutuel, véritables ancêtres des coopératives. Inspirées par les travaux de Robert Owen
(1771 - 1858), puis ultérieurement de Charles Gide (1847-1932), ces organismes se
e
multiplient dans la seconde moitié du XIX siècle: coopératives agricoles, coopératives
d'entrepreneurs, coopératives de consommation, mais aussi coopératives d'habitation. Si
Napoléon III créée en 1867 la Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris,
qui peut être considérée comme la première coopérative d'habitation, c'est la Troisième
République qui encourage cette forme d'habitat alors perçue comme un moyen de diffuser
188
Il faut bien distinguer dans cette partie les coopératives d'habitation (ou d'habitat), qui correspondent aux coopératives
intervenant ou ayant intervenu historiquement dans le domaine de l'habitat, et les coopératives d'habitants, qui sont encore à l'état de
projet, mais qui sont mises en avant par l'association Habicoop afin de les faire entrer dans le droit français.
189
Il s'agit du Village Vertical, à Villeurbanne.
55
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
190
les principes républicains. Cependant, peu de projets voient alors le jour et il faut attendre
la loi Siegfried de 1894 sur les « Habitations à bon marché » (HBM) pour que le mouvement
des coopératives d'habitation prenne son essor. La loi Strauss de 1906, puis la Loi Bonnevay
en 1912 complètent l'arsenal juridique qui encadre ces coopératives : elles instaurent une
protection de l'appellation « société H.B.M. », des allègements fiscaux, la création de
comités départementaux chargés de surveiller la salubrité de ces logements, ou encore une
191
définition des modalités d'intervention des communes et de l’État.
Enfin, la puissance
publique lance elle-même de grands programmes d'habitat coopératif : en 1928, près de
260 000 Habitations à Bon Marché sont construites sous l'impulsion du ministre Loucheur.
Grâce à ce fort soutien public, les sociétés coopératives d'HBM se développent : on en
compte 437 en 1940
192
.
Après la seconde guerre mondiale, le logement HBM, devenu en 1951 logement
193
HLM , connaît son heure de gloire. Parmi les sociétés HLM, il faut différencier les
coopératives HLM des sociétés anonymes HLM. Les premières, régies par divers textes
législatifs et empreintes des valeurs coopératives, se font spécialistes de l'accession sociale
à la propriété, tandis que les secondes, disposant d'un statut légal propre, se chargent
194
principalement du parc locatif. De nouveau, c'est l’État qui contribue de manière décisive
au développement des coopératives d'habitation en instaurant dès 1945 un service public
du logement, dont les coopératives constitueront l'un des bras armés.
Les sociétés coopératives HLM combinent alors les formules de location-attribution
et de location-coopérative. La première impose au coopérateur de souscrire à un volume
de parts sociales de la coopérative équivalant le prix de son logement, 20% de cette
somme étant payée d'entrée, le reste versé sous forme d'annuités régulières qui servent
à rembourser le prêt consenti par l'intermédiaire de la coopérative. Le coopérateur devient
alors propriétaire de son logement une fois le prêt remboursé. En 1965, près de 130 000
195
logements sont concernés par ce régime.
De son côté, la location-coopérative permet
aux habitants d'un immeuble de jouir d'un bail cessible et transmissible en contrepartie
d'un achat de parts de la coopérative (équivalant en moyenne 20% du prix de revient du
logement), ainsi que du paiement d'un loyer servant à rembourser les frais de construction
du bâtiment et à couvrir les charges de fonctionnement de l'immeuble. La coopérative reste
cependant toujours propriétaire des logements, dont l'attribution est régie par la législation
HLM. Ce système met en exergue des valeurs que l'on retrouvera plus tard chez les
premiers habitats groupés : « il s'agit de mettre des locataires en état de participer à la
196
fois à la production et à la gestion de leurs logements. » En 1971, 36 802 logements
ont été construits selon le principe de la location-coopérative, ce qui est peu comparé au
nombre de logements en location-attribution, mais qui permet à des ménages plus pauvres
190
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier,La place de la forme coopérative dans le secteur de l'habitat en France,
Paris, PUCA, 1998, pp.14-15
191
192
Id., p.15
Sarah Trudelle, Histoire de l'habitat coopératif en France, Habicoop, 2010, p.2
193
194
195
196
Habitation à loyer modéré
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, p.19
Sarah Trudelle, p.3
Intervention de Guy Houist, Président de la Fédération des coopératives HLM en décembre 1964, au cours d'une journée
d'information sur la location-coopérative, citée par Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, p.34
56
III. L'habitat groupé dans l'espace public
197
de vivre en habitat coopératif. Enfin, quelques coopératives ont développé une activité de
location simple à l'attention de ménages modestes n'ayant pas les moyens de fonctionner
en location-coopérative, principalement dans le sud de la France.
Malgré ces chiffres flatteurs et la définition d'un statut des coopératives d'habitat en
1965, la fin des années 60 voit s'ouvrir une période de crise pour le logement coopératif.
D'abord, les valeurs coopératives peinent à se transmettre au fil du temps, et le logement
coopératif peut parfois devenir un simple moyen d'accès aux financements octroyés aux
sociétés HLM. De plus, la croissance du nombre de projets, et par conséquent du nombre
de coopérateurs, bride l'engagement des détenteurs de parts sociales dans la vie de leur
198
coopérative, car le pouvoir d'un seul individu devient extrêmement faible.
Surtout, le
législateur porte un coup très rude aux modes coopératifs d'habitat par la Loi Chalandon
du 16 juillet 1971. Celle-ci oblige les coopératives HLM à se spécialiser d'une part dans la
seule activité de construction de logements, d'autre part dans la réalisation de programmes
limités à un par coopérative. En outre, les coopératives ne peuvent plus construire pour leur
propre compte, ce qui supprime de fait le principe de location-attribution. Enfin, les sociétés
de location-coopérative sont contraintes de se transformer en sociétés anonymes, et les
199
logements doivent être soit vendus, soit proposés en location simple. Cette politique,
préfigurée par le même Albin Chalandon dès 1968 lorsqu'il lance de grands programmes
HLM en maisons individuelles, trouve donc son parachèvement dans cette loi. Le paradigme
de l'époque n'est pas la coopération, c'est l'habitat individuel, de préférence pavillonnaire.
La faiblesse financière de certaines coopératives et la faillite de l'une d'entre elles,
dirigée par le Président de la Fédération nationale des sociétés coopératives HLM, ne
font donc que précipiter une décision en gestation depuis quelques temps. Le ministre
Chalandon évoque les raisons qui ont inspiré sa loi dans une lettre adressée à la Fédération
nationale des sociétés coopératives d'HLM en mars 1972 :
Mais sous couvert de protection des coopérateurs, cette loi organise surtout la mise
à l'écart des coopératives HLM. Et aucun acteur n'a alors le poids de s'opposer à cette
200
destruction en règle des systèmes coopératifs de logement social.
Les coopératives HLM ne réussiront par la suite jamais à retrouver leur niveau
d'influence des années 50 et 60. Mais face à cette crise du logement coopératif, des
solutions originales émergent. En particulier, en 1985, la Fédération nationale des sociétés
coopératives d'HLM inaugure une démarche intitulée « Concertation, participation, et
coopératives », qui vise à impliquer les coopérateurs dans la conception de leur logement.
L'influence des expériences d'habitat groupé du MHGA est très nette, et l'association est
même invitée à travailler sur le programme avec la Fédération. Toutefois, les résultats du
plan sont bien en-deça des espérances : les coopératives HLM ne sont pas prêtes pour ce
201
type d'innovations.
Pendant les années 90 et le début des années 2000, les coopératives HLM poursuivent
leur chemin houleux et incertain, tandis que l'habitat groupé rentre en crise : aucune
réalisation ne voit le jour pendant cette quinzaine d'années. On pourrait croire que
coopératives et habitat groupé sont alors irrémédiablement séparés, mais c'est sans
197
198
199
200
201
Id., p.158
Id., pp.35-36
Id., pp.57-58
Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, pp.77-78
57
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
compter le renouveau de l'habitat groupé en 2005, avec en parallèle l'émergence du concept
de coopérative d'habitants.
Ce bref historique nous aura ainsi permis de comprendre la richesse de l'identité
coopérative et d'expliquer pourquoi est mené aujourd'hui par certains acteurs de l'habitat
groupé un combat spécifique pour introduire un statut juridique de coopérative d'habitants.
Cette spécificité implique en revanche des divergences entre les réseaux d'habitat groupé
et ceux de l'habitat coopératif.
III.1.2 Habitat groupé et démarche coopérative: quelles similitudes et
quelles différences?
Aujourd'hui, alors qu'il est de nouveau question de coopératives d'habitants, une association
nommée Habicoop s'est créée à Lyon afin de promouvoir ce mode de fonctionnement.
Le modèle promu par cette organisation se rapproche de la location-coopérative, tout en
modernisant certaines de ses dispositions. Nulle accession à la propriété n'est donc prévue
dans les nouveaux projets : la coopérative reste propriétaire de l'immeuble, et les ménages
acquièrent seulement des parts sociales de la coopérative pouvant être revendues en cas
de départ du logement. La différence entre le prix de vente et celui d'achat ne peut en
aucun cas être bénéficiaire au ménage quittant son appartement, ce qui interdit de fait
toute spéculation. Inspiré par les nombreuses expériences passées, le nouveau modèle
prend également en compte les échecs des anciennes coopératives. Bertille Darragon, de
l'association Habicoop, explique :
Comment peut-on rapprocher ces coopératives d'habitants des autres expériences
d'habitat groupé ?
D'abord, l'organisation des coopératives et celle des habitats groupés correspondent
aux mêmes logiques sociales. En effet, habitats groupés comme coopératives entendent
fournir une prestation de services réservés à leurs membres. Déjà, en 1844 les statuts de
202
la coopérative de Rochdale annonçaient leur objectif : l'établissement « [d'une] colonie
203
résidentielle autonome à responsabilité solidaire. » Cette indépendance suppose une
autonomie vis-à-vis de toute autre institution. C'est ce que défendait le MHGA à son époque,
et c'est ce qu'ont toujours défendu les coopératives, en particulier à l'aube du mouvement
l'ingérence de l’État était vue comme un danger important, et que
coopératif, lorsque
204
l'influence d'un socialisme libertaire se faisait encore sentir.
Cette autonomie suppose
que les participants, qu'ils soient coopérateurs ou groupe d'habitants, se sentent à la fois
libres et solidaires dans le projet mené par leur institution. Georges Fauquet, théoricien de
la coopération du XVIII
e
siècle, formulait cet apparent paradoxe ainsi : «
c'est-à-dire l'effort personnel, la responsabilité de chacun dans l'
œ
Un pour tous,
uvre commune, et
tous pour un, c'est-à-dire la solidarité dont les bienfaits s'étendront à chacun si les efforts de
202
203
Cette entreprise anglaise est considérée comme la première organisation de nature coopérative.
« A self supporting home colony of united interests. » Cité par Henri Desroche,Le projet coopératif : son utopie et sa
pratique, ses appareils et ses réseaux, ses espérances et ses déconvenues, Paris, 1976, p.55
204
Henri Desroche, Le projet coopératif : son utopie et sa pratique, ses appareils et ses réseaux, ses espérances et ses
déconvenues, Paris, 1976, p.286-287
58
III. L'habitat groupé dans l'espace public
»
tous sont unis.
205
Ainsi, la solidarité est une référence fondamentale des différents
projets d'habitat groupé. Or, «
s'il fallait chercher un courant philosophique notoire
auquel référer l'éthique coopérative, on le trouverait sans doute dans les philosophies de
la solidarité.
»
206
De plus, l'habitat groupé, comme les coopératives de l'économie sociale, tente d'exister
comme troisième voie entre le marché capitaliste et l'intervention étatique, dans un pays
où le secteur du logement a longtemps été soit piloté par l’État, soit laissé aux mains du
marché immobilier. Comme l'évoque l'architecte urbaniste Anne D'Orazio :
L'habitat groupé et les coopératives assument donc leur place dans l'interstice laissé
vacant par les deux grandes institutions capitalistes de régulation, au sein de ce large
secteur que l'on nomme « économie sociale et solidaire ».
Enfin, historiquement, les coopératives d'habitat ont souvent porté les valeurs que porte
aujourd'hui l'habitat groupé. Pendant la période des Trente Glorieuses, qui a vu l'essor des
coopératives d'habitat, les coopérateurs se chargeaient parfois de la conception de leur
logement, au moins en partie.
207
On a également vu que les coopératives d'habitation
et le MHGA ont pu se rapprocher pour travailler ensemble sur un projet de participation des
coopérateurs à la vie de leur coopérative. A l'inverse, les deux valeurs principales portées
par les coopératives (la non-spéculation et la répartition égalitaire du pouvoir de décision)
sont reprises de manière fréquente par les habitats groupés de forme non-coopérative.
208
Dans la nébuleuse de l'habitat alternatif, difficile de savoir où est l’œuf et où est la poule, mais
il apparaît évident que des ponts existent entre ces deux formes
voisines de logement.
Si ces similitudes entre les formes coopératives d'habitat et l'habitat groupé sont
indiscutables, il existe aussi quelques différences de perspective entre les principes
identitaires de l'habitat groupé et les revendications coopératives.
Le projet coopératif serait donc d'une ampleur plus importante que les simples
expériences d'habitat groupé. Il est vrai que ces dernières sont organisées en réseau
lâche, laissant beaucoup d'autonomie aux groupes-projet et servant surtout au partage
d'expériences, tandis que le mouvement pour les coopératives d'habitants est centralisé et
vise un changement réglementaire national.
Pour ce qui est des objectifs spécifiques aux coopératives d'habitants, il faut préciser
que la non-spéculation est une valeur fondatrice de ces coopératives, tandis qu'il est souvent
205
206
207
208
Cité in Henri Desroche, p.373
Henri Desroche, p.376
Michèle Attar, Vincent Lourier, Jean-Michel Vercollier, p.17
Gwladys Gumbau, Les coopératives d'habitants une formule adaptée à l'habitat groupé [en ligne], APEAS, 2011, <http://
www.apeas.fr/Les-cooperatives-d-habitants-une.html> [page consultée le 13 août 2011].
59
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
209
un objectif annexe dans le cas des habitats groupés « classiques ». La non-spéculation
des coopératives impose aux détenteurs de parts de la coopérative qui souhaitent revendre
le bâtiment de n'en tirer aucun bénéfice financier.
Dans les habitats groupés non-coopératifs, la spéculation immobilière est également
limitée, mais les groupes tentent généralement de trouver un compromis entre cette lutte
contre la spéculation et la possibilité pour le ménage sortant de trouver un autre logement.
La non-spéculation ne fait donc pas partie du « code génétique » des habitats groupés,
alors qu'elle est partie intégrante de l'identité coopérative.
Le second aspect spécifique aux coopératives d'habitants a trait à la responsabilisation
des habitants par la propriété collective. En effet, dans un habitat groupé non-coopératif, les
habitants sont bien souvent propriétaires de leur logement, et gèrent les parties communes
en copropriété. En revanche, dans les coopératives d'habitants, la coopérative reste
210
propriétaire du bâtiment, les habitants se retrouvant simples locataires de la coopérative.
Ces derniers sont donc fondamentalement engagés dans un projet collectif amené à se
poursuivre après l'emménagement, puisque la gestion de tout leur habitat est amené à
se faire en concertation avec les autres habitants. Néanmoins, certains projets d'habitat
groupé se sont également réalisés en location, comme l'habitat groupé de La Viorne
à Villefontaine, et à l'inverse, on a pu voir dans le passé des coopératives permettre
l'accession à la propriété par le système de location-attribution. Cette dernière distinction
est donc à nuancer.
Malgré ces quelques différences, la grande famille de l'habitat groupé inclut
naturellement les coopératives en tant que modèle particulier, chargé d'histoire, mais
en correspondance totale avec les objectifs du mouvement. Cette originalité de l'histoire
coopérative et de ses principes permet d'élargir encore les horizons de l'habitat groupé
et de permettre aux nouveaux groupes projets d'avoir accès à une grande diversité de
statuts juridiques et de modes d'organisation de leur habitat. En conclusion, on pourrait
donc reprendre à notre compte ce constat de la 4e rencontre nationale des coopératives
d'habitants : « Lorsque l'on habite, le type de fonctionnement (participatif) est plus important
que le statut (juridique). »
211
III.2 Habitat groupé et écologie
III.2.1 Écologie et habitat groupé : des liens à géométrie variable
Il peut paraître étrange de placer l'écologie parmi les dimensions connexes de l'habitat
groupé, tant cette dimension semble prégnante dans la grande majorité des projets actuels.
Pourtant, deux raisons incitent à étudier cette facette non comme une partie essentielle
de l'habitat groupé, mais comme une dimension particulière. La première raison, c'est que
209
« Tous les groupes ne la veulent pas, mais en général, les groupes la désirent. Mais c'est aussi une non-spéculation [qui]
ne mette pas en danger la famille quand elle part du groupe. » Entretien avec Anne-Françoise Gay réalisé le 6 juin 2011 à Lyon.
210
211
60
Association Éco-quartier Strasbourg & CAUE du Bas-Rhin, Guide pratique de l'autopromotion, 2011,pp.96-97
e
Habicoop, 4 rencontre nationale des coopératives d'habitants, 2009, p.21
III. L'habitat groupé dans l'espace public
des habitats groupés ont pu exister sans prendre en compte la dimension proprement
écologique de l'habitat. C'est le cas des habitats groupés des années 1970, qui se
préoccupaient d'abord des répercussions sociales et familiales de l'habitat groupé, avant de
212
prendre en compte l'impact de celui-ci sur l'environnement naturel. Encore aujourd'hui,
certains groupes-projet privilégient l'aspect social au détriment de l'aspect environnemental
du projet. Ainsi, Les Tisserins d'Adèle, un groupe en création du côté de Schiltigheim,
résument :
Il peut donc exister un conflit entre l'identité écologique des concepteurs d'habitat
groupé et leurs volontés de mixité sociale.
Au final, c'est bien souvent une affaire de compromis entre ces deux valeurs.
La seconde raison qui pousse à mettre à part cette identité écologique, c'est qu'à
l'inverse, la prise en compte de l'impact écologique de l'habitat dépasse complètement le
cadre de l'habitat groupé. Dans les écoquartiers par exemple, les habitats groupés sont loin
de représenter la totalité des logements conçus. A Frisbourg-en-Brisgau, qui constitue une
référence à l'échelle européenne en matière d'écoquartier et de démarches participatives
213
d'habitat, les quartiers les plus en pointe comportent 40% de coopératives d'habitants. Et
ce chiffre est déjà considérable ! En France, les acteurs de l'habitat groupé se contenteraient
214
d'une proportion dix fois moindre. Par ailleurs, de nombreuses publications détaillent les
215
manières de vivre dans un habitat plus respectueux de l'environnement naturel , mais le
lien avec les démarches collectives d'habitat est loin d'y être évident. L'habitat groupé se
saisit donc d'un courant écologique en pleine expansion dans l'habitat, mais cette intégration
n'apporte pas spécifiquement de nouveauté, si ce n'est la mutualisation des espaces et des
moyens, qui s'inscrit dans une démarche de réduction de la consommation globale de la
maison.
III.2.2 Les sources de l'écologisme des habitats groupés
Les notions d'écologie et d'habitat semblent être naturellement liées. En effet, l’« éco »
du mot « écologie » vient du grec oïkos, que l’on peut traduire par « maisonnée ». Pour
reprendre les mots de Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, « l’écologie est l’économie
216
(dans le sens de « bonne administration ») de la demeure terrestre. »
Demeure terrestre
et demeure humaine obéissent donc intrinsèquement aux mêmes logiques, l'écologie
représentant l'art d'habiter la planète. Pourtant, force est de constater que coexistent
plusieurs écologismes, ou du moins plusieurs façons de voir l'écologie. Si la majorité
des habitats groupés se réclament aujourd'hui de principes écologistes, il convient donc
d'identifier de quelle écologisme il s'agit, et quelles sont ses racines. Car l'écologisme,
comme « la solidarité » ou « lien social », n'est pas un concept précis et défini, et il peut être
212
« C'est pas notre priorité. On est pour l'écologie, mais c'est pas la priorité. » Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé
le 11 juillet 2011 à Villefontaine
213
214
Michel Bernard, « Le quartier Vauban », Silence, Juin 2008, n°358, pp.7-8
« Et si déjà il y avait 5% des logements possibles en habitat groupé, ce serait déjà bien et beaucoup. » Entretien avec Cécile
Viallon et Alain Sauzay, réalisé le 11 juillet 2011 à Villefontaine
215
216
On peut citer « La maison écologique », ou encore « Habitat naturel ».
Thierry Paquot, « L’habitat entre local et mondial », L’écologiste, Septembre-Octobre-Novembre 2006, n°20, p.23
61
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
mis en œuvre de bien des façons. Une première approche cherchera donc les orientations
et les origines de l'écologisme défendu par les habitats groupés.
Avant toute chose, il faut noter que la prise en compte de l'environnement naturel est
une constante de l'urbanisme à travers son histoire.
C'est la pensée cartésienne qui bouleverse cet équilibre en concevant la liberté
humaine comme une maîtrise et une domination de l'homme sur la nature : selon cette
tradition philosophique, la technique est censée assurer un progrès constant de l'homme
217
vers la domination complète de son milieu. Les années 1970 marquent cependant une
rupture de ce paradigme: les dégâts causés sur le milieu naturel par une utilisation à
outrance de la technique deviennent flagrants, et c'est toute la liaison entre développement
technique et asservissement de la nature qui est remise en cause. De nouvelles idées
émergent alors pour concevoir autrement les relations entre l'homme et la nature. L'écologie
s'impose alors comme théorie morale défendant la protection et lasauvegarde de la nature.
e
Parmi les diverses préoccupations écologistes qui ont marqué la fin du XX siècle et le
e
début du XXI , les habitats groupés se concentrent sur la réduction de l'impact des activités
humaines dans l'habitat. Les pratiques écologiques que l'on retrouve dans les habitats
groupés se basent sur une diminution des atteintes de l'homme envers l'environnement
naturel, à travers la réduction de la consommation de ressources et d'espace. L'ampleur
de cet impact est retranscrit par le calcul de notre « empreinte écologique » : ce concept
mis au point par deux chercheurs de l'université British Columbia de Vancouver désigne
l'espace (sur terre et sur mer) nécessaire à une certaine population pour sa consommation
de ressources et le retraitement de ses déchets. Or, l'empreinte humaine moyenne en 2006
était de 2,6 hectares par personne, alors que les ressources disponibles semblent indiquer
que seulement 1,8 hectare par personne est disponible. Cela signifie que nous exerçons
sur la planète une pression supérieure à ce qu'elle peut supporter, car il faudrait 1,4 planète
218
pour régénérer ce que nous consommons chaque année. Les habitats groupés ne font
pas clairement référence à l'empreinte écologique, mais il ne fait aucun doute que l'horizon
mental des expériences d'habitat groupé est empreint de cette urgence à réduire l'intensité
de la pression humaine sur la planète.
Ce néo-malthusianisme a des conséquences importantes sur les pratiques écologiques
des personnes se lançant dans un projet d'habitat groupé. La volonté d'utiliser des
constructions faites avec des matériaux respectueux de l'environnement, mais aussi la
mutualisation de services tels que la buanderie s'inscrivent dans l'objectif de réduction
de l'empreinte écologique. Ces économies d'échelle sont à la fois la conséquence et la
condition de possibilité de l'application de standards écologiques aux habitats groupés. A
Villeurbanne par exemple, « les « villageois » ont conscience que l'opération groupée leur
permet d'atteindre des standards d'habitat écologique auxquels ils n'auraient pas eu accès
individuellement. »
219
Il est également possible de mettre en parallèle la nécessité de retrouver des liens de
solidarité humaine avec celle de retrouver des liens avec la nature. C’est ce qu’englobe
pour Jacques Grinewald le concept de « Biosphère », entendu comme un système clos
217
218
219
62
Ibid.
Global Footprint Network, Research and Standards Department, Ecological footprint Atlas 2009, 2009, p.16
Marie-Pierre Marchand, « Le Village vertical : un projet de vie autrement », Territoires, Mai 2010, n°508, p.37
III. L'habitat groupé dans l'espace public
et fondamentalement limité où l’homme, les autres espèces vivantes et les éléments
cohabitent et s’auto-entretiennent.
Cette dimension nous est rappelée par Nicolas, du projet Tilia, qui dit avoir choisi
l'habitat groupé suite à un déclic lui faisant prendre conscience de « notre appartenance
à quelque chose de beaucoup plus vaste » que le simple logement, et de la nécessité de
« vivre en harmonie avec un environnement immédiat, et aussi à une échelle un peu plus
grande. »
Enfin, l’écologisme des habitats groupés ne se sépare pas d’une composante technique
importante. Thierry Paquot dresse une liste non-exhaustive des applications techniques de
la conscience écologique des habitants :
Il ne s'agit donc pas du tout d'un mouvement prônant un retour à une sorte de simplicité
naturelle ; au contraire, les dernières innovations techniques sont mises en œuvre dès que
possible. Les cinq projets retenus par la Mairie de Strasbourg pour son programme « Dix
terrains pour dix immeubles durables » ne ménagent pas leurs efforts en la matière, car ils
doivent tous obtenir le label BBC (Bâtiment basse consommation) : on trouve donc parmi les
projets des ossatures bois, une isolation en ouate de cellulose ou en paille, des chaudière
à granulés bois, des panneaux photovoltaïques, voire des toilettes sèches dans l'un des
immeubles.
220
Cependant, la diversité des expériences d'habitat groupé inclut des
niveaux très inégaux d'utilisation de ces techniques, qui ne sont pas à la portée de toutes
les bourses. En particulier, les projets en autoconstruction utilisent souvent des techniques
simples, comme l'empilement de bottes de pailles recouvertes d'enduits naturels pour les
murs porteurs.
Par ailleurs, cette dimension technique peut paraître assez superficielle si elle ne
s'accompagne d'aucune réflexion sur le sens des pratiques écologiques. L'écologisme n'est
pas une option économique, c'est un vrai choix de vie, nous rappelle Annabel Roux, après
sa lecture d'un magazine consacré aux maisons durables :
L'habitat groupé a donc su tirer parti d'un mouvement plus large tout en appliquant
certaines de ses valeurs au domaine de l'habitat. On peut pour finir tenter d'esquisser les
sources des préoccupations écologiques que l'on retrouve dans les valeurs des habitats
groupés. Il semble au premier abord évident que l'écologisme de ces projets possède des
racines culturelles très présentes au nord de l'Europe. En Allemagne, les écoquartiers sont
ainsi une réalité de longue date, et les coopératives d'habitation écologiques représentent
221
une part significative du parc de logements en Suède ou au Danemark. Dans ces pays,
l'influence protestante semble avoir joué un grand rôle dans l'émergence d'une culture
écologique. Cependant, il est insuffisant de proposer une unique explication culturelle à
l’émergence de l’enjeu écologique dans l’espace public et à son appropriation par les
habitats groupés. Les mobilisations collectives, leur écho dans l’espace public, ainsi que la
capacité des institutions politiques à récupérer ces mobilisations jouent un rôle important
dans l’émergence d’une conscience écologique. On peut également rechercher la source
220
221
Alain Jund, L'autopromotion à Strasbourg : La démarche « 10 terrains pour 10 immeubles durables », 2010, pp.6-10
Antoine Bosse-Platière, « Bientôt des coopératives d'habitants ? », Les 4 saisons du jardin bio, septembre-octobre 2010,
n°184, p.63
63
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
des préoccupations environnementales dans la culture du risque d’une société : celle-ci
permet à un événement de nature écologique d’entrer en résonance avec la société et de
222
Les sources de l'écologisme des habitats
faire progresser les pratiques écologiques.
groupés ne seraient donc pas uniquement culturelles, mais aussi sociales.
III.2.3 Habitat groupé et écoquartiers : vers une politique écologique
de la ville ?
Le néo-malthusianisme de l'habitat groupé semble être également à la source des
écoquartiers. A BedZed par exemple, dans l'un des plus anciens écoquartiers européens,
tout a été fait dans l'optique de limiter l'impact de l'habitat sur le milieu naturel.
L'énumération nous rappelle la liste dressée un peu plus haut par Thierry Paquot.
L'écologisme de l'écoquartier londonien se rapproche donc des préoccupations françaises
en matière d'habitat groupé. A BedZed, grâce à ces innovations, la consommation
d'électricité a été réduite de 25%, celle d'eau de 33% à 50%, le chauffage de 90%, et le
volume des déchets de 75%.
223
Cependant, l'habitat groupé ajoute une dimension fondamentale aux écoquartiers : la
convivialité. La journaliste en visite à BedZed témoigne :
Conclusion : « Conçu par des experts et non par ses habitants, BedZed a réussi le
pari de la haute qualité environnementale, mais non celui de la vie locale… qui ne peut
224
guère se décréter. »
Pour rendre sa vie à l'écoquartier, la journaliste propose de mettre
en place une charte d'engagement qui conditionnerait toute admission dans le quartier, et
d'encourager l'engagement des habitants au service de la collectivité. Or, c'est justement
ce que propose l'habitat groupé. Les écoquartiers seraient-ils donc de potentiels habitats
groupés ? La réponse est « non » si comme aujourd’hui la conception et la promotion
des logements n'est pas prise en main par les habitants. Mais il existe un rapport évident
entre écoquartiers et habitats groupés, car il ne manque qu'un niveau plus important de
participation de la part des habitants pour que l'écoquartier devienne un niveau supérieur
d'institution collective d'habitat.
Cette participation ferait partie intégrante d'une véritable politique écologique. L'article
7 de la Charte de l'environnement de 2004 le rappelle :
Engager les habitants dans la conception de leurs écoquartiers est donc un défi
essentiel à relever pour le mouvement de l'habitat groupé. Les anciens adhérents du
MHGA militent aujourd'hui au sein d’Éco habitat Groupé pour faire entrer cette valeur de
participation dans les politiques écologiques. Pour Michel Broutin, président d'Éco Habitat
Groupé :
Les habitats groupés peuvent donc constituer un élément essentiel d'une politique
écologique de la ville, en permettant d'ajouter une dimension, la participation, qui jusqu'à
présent fait défaut dans les écoquartiers.
222
223
Klaus Eder inDir. Dominique Bourg, pp.131-133
Camille Bierens de Haan, « Entre éco-villages et projets d'architectes : les éco-quartiers », Urbanisme, Mai-Juin 2006, n
°348, p.42
224
64
Amos Rapoport, « L’habitat et la culture », L’écologiste, Septembre-Octobre-Novembre 2006, n°20, p.28
III. L'habitat groupé dans l'espace public
Dans les faubourgs où la participation a constitué effectivement une partie intégrante
du processus de création de l'écoquartier, les habitats groupés se sont naturellement
développés. En Allemagne, à Tübingen, écoquartier et habitat groupé vont de pair. Tout
au long des années 1990, la municipalité de cette ville du Bade-Wurtemberg a tenté de
réaménager une zone constituée d'anciennes casernes militaires françaises au sud de la
ville en impliquant les futurs habitants dans cette réalisation. Les personnes intéressées
ont été systématiquement conviées à se rassembler en groupes de copropriété et à se
constituer maîtres d'ouvrage de leurs futurs logements. Regroupant de deux à plus de
quarante ménages, les bâtiments construits par la suite incluent tous des locaux d'activité
225
en rez-de-chaussée. Dans le quartier, qui compte une proportion significative d'habitats
groupés, le nombre de voitures est limité à une par ménage et les jardins sont tous collectifs.
Les quartiers de Tübingen concernés par l'opération combinent donc la présence d'un fort
tissu social et d'une haute performance environnementale. En 2004, la ville pouvait se
targuer d'avoir permis à 3500 personnes (sur une ville de 85 000 habitants) d'accéder à
l'habitat groupé dans un environnement urbain écologique.
Autre ville allemande ayant fait le choix de combiner écoquartier et habitat groupé :
Frisbourg-en-Brisgau, et son célèbre quartier Vauban. Ce quartier, autonome en eau chaude
et produisant 65% de son électricité, est également exempt de circulation automobile
(seulement 9% des ménages y vivant possèdent une voiture). La plupart des maisons
2
consomment moins de 55kWh/m et certaines produisent même plus d'énergie qu'elles
226
n'en consomment. La récupération de l'eau de pluie est quasiment systématique, et de
multiples jardins et potagers parsèment le quartier. De nombreuses coopératives y ont
essaimé, et elles possèdent toujours des bilans énergétiques supérieurs aux bâtiments
construits en promotion classique. Cela laisse à penser que la participation permet la mise
en place de standards écologiques plus importants que dans les politiques classiques. L'une
des tranches de ce quartier, réalisé comme son homologue de Tübingen sur les restes d'une
227
caserne militaire française, comporte ainsi plus de 40% de coopératives. Écoquartiers
et habitats groupés peuvent donc être réalisés simultanément, car leurs démarches sont
similaires et complémentaires : dans un écoquartier, les habitats groupés peuvent mettre
en place des pratiques écologiques facilement, et en même temps apporter une convivialité
non-négligeable. L'écoquartier est un nid de premier choix pour les habitats groupés.
Cependant, une fois n'est pas coutume, si les paris écologiques et économiques
semblent relevés, les écoquartiers existants font peu de place à la mixité sociale, voire
reproduisent des schémas de ségrégation spatial dignes des agglomérations classiques.
Au quartier Vauban, les logements situés du côté de la rivière et de son biotope protégé
sont peuplés par les franges les plus aisées, tandis que dans l'entrée du quartier logent les
ménages les moins riches. De façon générale, le quartier est habité de façon écrasante par
des professions intellectuelles ou des cadres et par des étudiants. Si la mixité sociale n'est
pas atteinte, la mixité intergénérationnelle y est également peu présente, et les personnes
225
Pierre Lefèvre, et Michel Sabard, Le quartier français : Tübingen-Sud [en ligne], <http://www.cuadd.com/IMG/pdf/
Extrait_livre_tubingen.pdf> [page consultée le 19 août 2011].
226
Bertrand Barrère, Quartier Vauban, laboratoire de la ville durable, Ressources pour le Développement Durable, 2004,
passim.
227
Tous ces chiffres sont issus de l'article de la revue Silence sur le quartier Vauban : Michel Bernard, « Le quartier Vauban »,
Silence, Juin 2008, n°358, pp. 5-11
65
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
228
âgées s'y font rares. Habitat groupé et écoquartier doivent donc faire face à cet éternel
problème qu'est la démocratisation des standards écologiques.
La démarche participative à l’œuvre dans l'écologisme des habitats groupés se double
paradoxalement d'une re-localisation importante de l'engagement politique. Les habitats
groupés entendent réduire collectivement l'impact écologique de leur lieu de vie tout en
limitant leur niveau d'action à ce lieu. Bien sûr, la création d'un habitat groupé n'empêche pas
l'engagement au sein d'autres structures, mais il est clair que l'écologie de l'habitat groupé
est cette écologie du quotidien, des « petits gestes qui font la différence ». Comme l'explique
la présidente d'une association genevoise œuvrant pour la création d'un écoquartier dans la
ville helvète, «
ce sont tous les petits et grands gestes de la vie quotidienne – se chauffer,
se nourrir, boire, assurer sa santé, son hygiène, se déplacer... - qui, additionnés et soutenus
par des dispositifs concrets, feront la différence.
»
229
A ce titre, l'écologisme des
habitats groupés est proche des pratiques de changement social de ces dernières années,
qui appellent les citoyens à questionner leurs pratiques les plus
quotidiennes.
III.3 Habitat groupé et changement social
Les prédictions du futur sont presque toujours erronées, et il est très difficile d'imaginer
l'état du développement urbain dans les trente prochaines années tant les tensions entre
urbanisation et préoccupations environnementales d'une part, maintien de la qualité de vie
et lutte contre la ségrégation urbaine d'autre part, sont aigües. Ce qui semble improbable
à une époque peut se réaliser quelques années plus tard sous l'influence d'une prise de
conscience des décideurs politiques ou d'un mouvement de fond dans la société. Aussi,
bien que le chemin soit long vers cet état de fait, peut-être une part significative des Français
de 2050 habitera-t-elle en habitat groupé, qui sera devenu un mode d'habitat légitime et
apprécié. Pour éviter que ces prophéties ne demeurent qu'une pure science-fiction sans
aucun fondement, attachons-nous à étudier les complémentarités entre l'habitat groupé et
certaines des grandes préoccupations politiques actuelles.
228
229
°348, p.44
66
Ibid.
Camille Bierens de Haan, « Entre éco-villages et projets d'architectes : les éco-quartiers », Urbanisme, Mai-Juin 2006, n
III. L'habitat groupé dans l'espace public
III.3.1 Habitat groupé et politiques publiques : complémentarité ou
substitution ?
L'une des forces majeures de l'habitat groupé est de faire correspondre certains souhaits
individuels avec leur formulation politique. Par leurs réalisations, les habitats groupés
viennent rencontrer des problématiques urbaines actuelles, à tel point que l'on peut se
demander si l'institution collective d'habitat ne vient pas se substituer par moments à
l'intervention publique. Nous avons déjà vu que l'habitat groupé est complémentaire des
politiques écologiques dans l'habitat, en particulier à travers l'exemple des écoquartiers, et
nous nous intéresseront donc à présent sur les politiques sociales liées au logement.
L'habitat groupé s'est construit ces dernières années en réaction à la perte d'importance
des solidarités d’État, perçues comme étant en crise. Dans un premier mouvement,
dont l'apogée se situe juste après la Seconde Guerre Mondiale, la construction de l’État
social avait nécessité de transférer certaines solidarités familiales vers l'administration.
« A ce titre-là, [ce système était] l'expression la plus achevée de la solidarité entendue
comme processus de constitution de l'individu par sa socialisation et d'articulation de la
230
sphère individuelle et de la collectivité. » Mais ce sont ces solidarités étatiques qui sont
aujourd'hui remises en cause et qui font parfois l'objet d'une prise en charge beaucoup plus
localisée. Ainsi, le prix des maisons de retraite dépassant bien souvent celui des pensions
que touchent les retraités, de nombreuses personnes âgées remettent en question ce type
de fonctionnement. Or, l'habitat groupé entend répondre à ce problème en permettant aux
personnes retraitées de rester chez elles, puisque c'est alors le groupe qui subvient à leurs
231
besoins. Cet exemple illustre bien comment un problème politique d'ampleur nationale, en
l'occurrence celui du montant des pensions de retraite, est internalisé par l'habitat groupé,
auquel ce dernier fait correspondre une solution locale.
D'autres exemples peuvent nourrir ce questionnement. Ainsi, l'habitat groupé fait
correspondre le désir d'habiter avec d'autres personnes qui ne sont pas nécessairement des
amis ou des membres de la famille, avec l'ambition politique d'une plus grande mixité sociale
dans les quartiers. Comme on l'a vu, les villes françaises sont aujourd'hui caractérisées par
des processus de ségrégation sociale de plus en plus importants, avec d'un côté l'apparition
de zones de pauvreté qui échappent au contrôle de l’État, de l'autre la création de quartiers
aisés où viennent se réfugier classes moyennes et favorisées inquiètes pour leur sécurité
physique. A ce manque de mixité sociale vient d'ajouter un déficit de mixité fonctionnelle:
En faisant cohabiter des personnes de milieux sociaux différents, en s'inscrivant dans
une démarche locale à l'échelle d'un quartier, l'habitat groupé se veut l'une des réponses à
ces aménagements déséquilibrés du territoire qui ont prévalu depuis les 30 Glorieuses.
Par ailleurs, l'habitat groupé constitue une réponse flagrante aux problématiques
actuelles de rareté et de cherté du logement, à une époque où le marché libre, pas plus que
la puissance publique, ne semble guère en mesure de répondre aux besoins de logements
Les mécanismes de non-spéculation, la mutualisation
salubres de toute la population.
des espaces et la réduction des coûts de construction mis en œuvre par l'habitat groupé
230
Colette Bec, « La solidarité au risque de la mondialisation »,inMarc-Henry Soulet (éd.), La solidarité à l'ère de la globalisation,
Fribourg, Academic Press Fribourg, 2007, p.21
231
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
67
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
permettent à des ménages d'accéder à des standards qu'ils n'auraient pas pu atteindre dans
un logement individuel, tout en économisant la consommation d'espace de l'habitat.
Enfin, signalons qu'en Belgique, l'habitat groupé a été imaginé comme un moyen de
répondre à la précarité de personnes en grande difficultés sociales. « L'habitat groupé
solidaire », comme il est appelé outre-Quiévrain, est pensé pour réinsérer un public en
souffrance sociale. Une plaquette du think tank européen « Pour la solidarité » à propos
des habitats groupés solidaires indique que ce mode d'habitat peut servir aussi bien aux
personnes ayant besoin de passer par le collectif pour retrouver une certaine autonomie
qu'aux personnes pour lesquels le logement individuel ne constitue plus une solution
adaptée. Des études ont montré le succès des expériences d'habitat groupé solidaire, qu'il
s'agisse de personnes en proie à la drogue, de retraités, ou de femmes victimes de violences
232
conjugales.
Cette utilisation constitue une illustration parfaite de la complémentarité
possible entre l'habitat groupé et certaines politiques publiques.
Ainsi, souhaits individuels et préoccupations collectives sont cristallisés dans l'habitat
groupé. Comme le fait remarquer un réseau local d'aide à l'habitat groupé sur son
site Internet, en plus de déterminations individuelles, ce sont aussi la forte spéculation
immobilière, le manque de logements sociaux, la faible mixité sociale des quartiers urbains,
et l'impuissance des politiques publiques ciblées sur les catégories de population les plus
pauvres qui motivent certains citoyens à se tourner vers l'habitat groupé.
233
Au final, même si la référence à l'autogestion a été abandonnée, l'habitat groupé tend
vers une plus grande autonomie du groupe d'habitants par rapport à la puissance publique.
L'internalisation des besoins permet de répondre à certaines insuffisances de l'intervention
publique. On peut cependant se demander dans quelle mesure ce type d'habitat provoque
des effets pervers, en débarrassant le politique de certaines des tâches qui lui incombent.
Les habitats groupés des années 70 avaient conscience de ce travers : « Les équipements
de quartier, c'est l'affaire de la municipalité ; notre salle est utilisable pour des réunions
de gens extérieurs au groupe, mais à titre de dépannage », annonce un groupe affilié au
234
MHGA.
L'habitat groupé constitue-t-il une substitution à l'action de l’État ? La perspective du
mouvement est affichée dès les débuts du MHGA. Son fondateur déclare en 1983 : « Avec
d'autres associations, nous essayons de faire sortir le logement du secteur marchand de
l'économie pour le faire entrer dans le secteur de l'économie sociale. » A priori donc,
l'habitat groupé n'entend pas empiéter sur le domaine des affaires publiques. Cependant,
en particulier chez les nouveaux habitats groupés, ce « secteur de l'économie sociale »
semble déborder sur certaines prérogatives publiques. Par exemple, l'éducation mutuelle
des enfants entraîne une réduction des besoins de crèches. Or, l'habitat groupé ne peut
certainement pas remplacer des politiques publiques adaptées, bien que les aspirations des
habitants puissent se poser en alternative à ces politiques.
Au final, l’habitat groupé entretient des relations ambigües avec les politiques
publiques, faites à la fois de complémentarité, de substitution et d'inspiration mutuelle.
232
233
234
68
Séverine Karko, Habitats groupés, habitats solidaires, Think tank « Pour la solidarité », 2008, passim.
http://cohabitatsolidaire.org/index.php?rubrique=habitat [page consultée le 11 août 2011]
Pierre Lefèvre, in Dir. Philippe Bonnin, Habitats autogérés, Paris, Éditions alternatives / Syros, 1983, p.125
III. L'habitat groupé dans l'espace public
III.3.2 Habitat groupé et mouvement social
Concevoir (et éventuellement construire) sa maison semble être devenu un acte tout à fait
individuel et personnel, en tous cas strictement apolitique. On a déjà montré dans la partie
précédente en quoi la conception d'un habitat est une démarche qui met en jeu notre façon
d'être au monde par rapport à un environnement social, culturel et historique donné. C'est
donc un projet qui déborde totalement les frontières poreuses de l'individu. De là à inscrire
la conception de sa maison dans le champ des mouvements sociaux, il y a un pas, une
hypothèse à tester. Comment l'habitat, ce champ aux frontières du privé et du public, peutil s'inscrire dans l'action politique ?
Un détour par la sociologie est nécessaire ici afin de préciser deux notions importantes
à la compréhension des enjeux : « action collective » et « mouvement social ». Une action
collective peut être définie comme « un agir-ensemble intentionnel, marqué par le projet
explicite des protagonistes de se mobiliser de concert, [qui] se développe dans une logique
235
de revendication, de défense d'un intérêt matériel ou d'une cause. »
Les projets d'habitat
groupé se situent tout à fait dans cette perspective. En effet, impossible de nier la volonté
des porteurs de projet d'agir collectivement pour concevoir leur habitat ; elle est même
à la base de tout projet d'habitat groupé. Quant à la logique de revendication, elle n'est
pas extrêmement appuyée, mais reste bien visible, en particulier dans les chartes, qui
s'attachent à expliciter les valeurs guidant le projet. Bien que les causes puissent varier d'un
projet à l'autre (certaines chartes dénoncent clairement la gestion capitaliste du logement
en France, d'autres mettent plus en avant la volonté de retrouver une certaine convivialité
dans leur habitat), l'habitat groupé se propose bien « d'habiter autrement », c'est-à-dire
de défendre une vision de l'habitat appuyée sur des valeurs politiques. Cependant, si cet
« habiter autrement » prend bien la forme d'actions collectives au service d'une cause, il
semble plus difficile de caractériser ces manifestations de mouvement social.
L'habitat groupé fait manifestement partie cette deuxième catégorie. En effet, nul appel
aux pouvoirs publics n'est lancé dans les projets d'habitat groupé si ce n'est pour trouver
un terrain et un appui technique, ce qui ne peut pas vraiment être considéré comme un
objectif politique.
On peut alors rapprocher l'habitat groupé des « Nouveaux mouvements sociaux »
qui ont émergé dans les années 1970. Comme ces derniers, le mouvement des habitats
groupés comporte des revendications qualitatives, ayant trait au cadre de vie plutôt qu'à
la répartition des richesses. En outre, dans l'habitat groupé comme dans les nouveaux
mouvements sociaux, « il s'agit moins de défier l’État ou de s'en emparer que de construire
contre lui des espaces d'autonomie, de réaffirmer l'indépendance de formes de sociabilité
236
privées contre son emprise. »
Enfin, la revendication identitaire des habitats groupés se
distingue des mouvements sociaux « classiques » en mettant à part les conflits de classe, et
en se revendiquant d'identités plus globalisantes comme l'écologisme. Mais des distinctions
importantes subsistent entre ces nouveaux mouvements sociaux et les habitats groupés.
En plus du cadre local, voire domestique, imposé par ces dernières expériences (alors que
les nouveaux mouvements sociaux conservent un cadre national), les expériences d'habitat
groupé ne tentent pas de mobiliser la société par des actions revendicatives. Les réseaux
235
236
Érik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p.9
Id., p.62
69
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
d'habitat groupé ont par ailleurs un travail politique qui se rapproche plus du lobbying que
de la contestation politique par la mobilisation et l'action collective. « Les GRT au Québec
nous ont toujours dit que ça avait été leur force, pour faire du lobbying, d’obtenir du
soutien à droite comme à gauche, avec des lois passées de façon relativement unanime »,
237
confie Bertille Darragon, de l'association Habicoop. Le mouvement de l'habitat groupé
prend garde à ne pas se situer sur l'échiquier politique traditionnel. Anne-Françoise Gay,
animatrice du réseau habitat groupé, confie : « Au sein de l'habitat groupé, on a jamais
238
parlé de politique, ni de partis politiques, jamais. » Une nouvelle grille de lecture est donc
nécessaire pour analyser ces nouvelles formes de contestation qui passent par une remise
en cause du quotidien et dont fait partie l'habitat groupé.
Érik Neveu admet que « les expériences mutualistes ou coopératives gagnent à
être analysées en lien avec les mouvements sociaux à l'égard desquels elles ont aussi
239
souvent constitué un complément qu'une alternative. »
En effet, ces formes d'action ne
bouleversent-elles pas les schémas traditionnels de changement social ? Faire ses courses
240
en Amap
, re-localiser les circuits de consommation, adopter une monnaie locale et vivre
en habitat groupé n'inaugurent-ils pas une nouvelle forme de militantisme centrée sur le
temps quotidien et l'espace local ? De nombreux projets imbriquent d'ailleurs plusieurs de
ces nouvelles façons de « faire de la politique » : les Babayagas montreuilloises ont ainsi
d'ores et déjà prévu de monter dans leur résidence une Amap, un Système d'échange local,
241
et une Université du savoir des vieux. « Penser global, agir local » serait donc le slogan
de toutes ces nouvelles formes de mobilisation faisant coïncider la nécessité de poursuivre
des mobilisations collectives avec la domination de l'individualisme.
On peut ainsi, à la suite de Charles Tilly, découper l'histoire des mouvements sociaux
e
en trois étapes importantes. D'abord, jusqu'au début du XIX siècle, les conflits sociaux
sont très localisés, tant dans les enjeux que dans l'étendue de la mobilisation. Ensuite,
e
tout au long du XIX siècle, les conflits se nationalisent, en particulier sous l'effet de
l'emprise nationale de l'administration et de l'application progressive du suffrage universel.
Les mouvements sociaux considèrent petit à petit l’État comme leur interlocuteur principal.
242
Enfin, prolongeant les pistes esquissées par les expériences post-soixante-huitardes,
une troisième forme de mobilisation collective semble s'installer depuis le milieu des années
2000, sans pour autant se substituer aux formes précédentes de mouvements sociaux.
Celle-ci réinvestit la vie quotidienne de significations politiques et propose de changer
l'ordre social en modifiant sa base : l'alimentation, le logement, ou encore le travail sont de
nouveau questionnés. Ces formes de contestation en tant que telles ne sont pas nouvelles.
Il faut, comme le dit Érik Neveu, éviter de tomber dans une « fascination pour l'objet,
une impatience à théoriser l'immédiat, qui débouche parfois sur une célébration complice
237
238
239
240
241
242
70
Lucie Lejeune, p.53
Entretien réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
Érik Neveu, pp.10-11
Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne.
Sébastien Porte, « Les Babayagas, vieillir solidaire », La maison écologique, Août-Septembre 2010, n°58, p.47
Érik Neveu, p.12-14
III. L'habitat groupé dans l'espace public
de la nouveauté. »
243
En effet, l'ensemble du mouvement coopératif et en particulier la
e
production coopérative de l'habitat à partir de la fin du XIX siècle ; la revendication de
l'autonomie issue des mouvements post-68 et portée par les « aventuriers du quotidien » ;
ou encore la thématique du développement durable apparue au début des années 70,
244
constituent autant de sources d'influences pour l'habitat groupé.
Par ailleurs, les
e
socialistes utopistes du XIX siècle concevaient déjà des projets globaux visant à modifier
tous les aspects de la vie sociale ouvrière : le Familistère de Godin bouleversait les relations
d'habitat, mais chamboulait également le rapport au travail, les questions de production et de
consommation, le rapport à l'hygiène, ou encore l'éducation. Néanmoins, si ces nouveaux
mouvements sont héritiers des utopies sociales de la société industrielle, et s'ils s'inspirent
de mouvements plus récents comme mai 68 ou l'écologisme, leur originalité réside dans
leur échelle modeste, dans leur forme de diffusion, et dans leur grande diversité.
III.3.3 Vers une démocratisation de l'habitat groupé : forces et
faiblesses du mouvement actuel
Les expériences d'habitat groupé sont toutes de taille modeste. Éco-logis, à Strasbourg
245
rassemble une douzaine de ménages, et les habitats groupés de première génération
246
comportaient généralement de 5 à 15 familles. On est loin du Familistère et de ses 1500
habitants ! La taille de ces expériences et leur faible exposition médiatique les obligent
à opter pour une diffusion par bouche-à-oreille et à se limiter à un échelon local. Ce
mode de fonctionnement peut-il amener l'habitat groupé à se développer, ou limite-t-il
au contraire ses possibilités ? C'est l'une des interrogations centrales du mouvement de
l'habitat groupé à l'heure actuelle. Des obstacles techniques sont régulièrement relevés,
comme l'absence de statut juridique ou le manque d'implication des pouvoirs publics. Audelà de ces considérations techniques, il faut réfléchir aux conditions sociales de possibilité,
aux limites, et même à la nécessité d'une démocratisation de l'habitat groupé.
Avant tout, il convient de préciser le sens du mot « démocratisation ». En l'occurrence,
il ne s'agit pour aucun des acteurs de l'habitat groupé de développer l'habitat groupé au
point d'en faire le seul modèle d'habitat. Tous sont conscients des limites inhérentes à ce
type d'habitat, et souhaiteraient plutôt que l'habitat groupé constitue « une proposition parmi
247
d'autres ». La démocratisation n'est donc pas une imposition, mais le fait de donner le
choix aux personnes cherchant un logement entre un habitat individuel ou collectif classique
et un habitat groupé. S'il est une bataille à mener pour le mouvement de l'habitat groupé,
c'est donc celle des représentations. Car bien que l'histoire ouvrière française soit pleine
de formes coopératives d'habitat, les ménages les moins aisés semblent aujourd'hui tout
243
244
245
246
Érik Neveu, p.66
Marie-Hélène Bacque, « L'habitat alternatif : quoi de neuf ? », Territoires, Mai 2010, n°508, p.26
http://www.village-vertical.org/ [page consultée le 19 août 2011]
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, p.8
247
Entretien avec Anne-Françoise Gay, réalisé le 6 juin 2011 à Lyon
71
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
ignorer de ces habitats collectifs, et par conséquent n'envisagent même pas la possibilité
248
d'un jour en concevoir un.
Cependant, ouvrir le spectre des représentations ne signifie nullement que les individus
vont opter pour les nouveaux choix qui leur seront présentés. On a vu que les habitats
individuels ont représenté pour les classes populaires une amélioration de leurs conditions
matérielles d'existence, et il faudra au moins un certain temps pour que l'habitat collectif
acquière de nouveau une connotation positive dans ces milieux. Certains acteurs du
mouvement de l'habitat groupé pensent au contraire qu'un habitat groupé est naturellement
réalisable par tout un chacun :
Pourtant, des études menées au cours des années 1980 sur le public de l'habitat groupé
laissent apparaître des similitudes importantes de profils sociaux : les personnes viennent
souvent de familles nombreuses, possèdent une expérience associative ou syndicale dans
laquelle ils ont appris le goût de l'effort collectif, et ont généralement passé leur enfance
249
dans un tissu dense de relations de voisinage. Les histoires individuelles et collectives
semblent donc déterminer le goût des habitants pour un type d'habitat ou un autre. Le
manque de mixité sociale des habitats groupés traduit de façon douloureuse cet état de fait.
Anne-Françoise Gay, du Réseau Habitat Groupé, reconnaît que « l'habitat groupé, c'est pas
fait pour tous », et que « ça peut correspondre à des périodes de la vie plus qu'à d'autres ».
Un habitat groupé est avant tout un lieu de vie, qui peut évoluer, s'agrandir, ou au contraire
disparaître. Chaque habitat groupé est animé de sa propre dynamique, et toute tentative
d'encadrer cette dynamique ou de la systématiser ne pourrait que porter préjudice à un
mouvement qui trouve sa richesse dans la diversité de ses expérimentations.
A regarder le panorama français de l'habitat groupé, on est pris de sentiments
contradictoires : il semble que tous les projets partagent des caractéristiques fondatrices
communes, mais qu'aucune réalisation ne soit totalement assimilable à une autre. Les
valeurs défendues, la taille du groupe, le degré d'autoconstruction, le statut juridique,
la prise en compte de la mixité sociale ou de l'impact écologique du bâtiment, peuvent
changer de façon assez radicale d'un projet à l'autre. Ce sentiment de diversité est
accentué par la fragmentation des réseaux, qui se déploient bien souvent à l'échelle locale.
Ainsi, trois institutions nationales cohabitent (le réseau Habitat groupé, Habicoop, et Écohabitat groupé), et côtoient une multitude de réseaux régionaux, tels Habiter Autrement
à Besançon, l'association Parasol et le GRT Ouest en Bretagne, les HabILeS en Isère
ou encore Éco-quartier Strasbourg en Alsace. Cette fragmentation n'est cependant pas
dépourvue d'intérêt pour le mouvement français de l'habitat groupé. Anne-Françoise Gay,
du Réseau Habitat Groupé, développe :
Ainsi, par sa dissémination, l'habitat groupé entend fabriquer des expériences locales
qui n'attendent pas que le pouvoir politique centralisé s'intéresse aux problématiques qui
les inspirent. En cela, ils contribuent au changement social de façon profonde. L'histoire
est pleine d'exemples de personnes ou de mouvements ayant tenté d'imposer leur vision
de la société à partir d'un lieu de pouvoir centralisé, et la réalité les a systématiquement
désavoués tôt ou tard. Si l'habitat groupé entend changer les conditions de conception des
logements aujourd'hui en France, il doit s'appuyer non pas sur l'application d'un modèle
globalisant, mais sur la construction patiente d'expériences alternatives.
248
« Il faut regarder les choses en face, il y a la classe, disons, la moins aisée, n'imagine même pas qu'elle puisse concevoir
son logement, à part les Castors, qui eux font tout, et qui existent toujours. » Entretien avec Cécile Viallon et Alain Sauzay, réalisé
le 11 juillet 2011 à Villefontaine
249
72
Philippe Bonnin, in Dir. Philippe Bonnin, pp.20-22
III. L'habitat groupé dans l'espace public
Le « sens commun » est aujourd'hui sous l'influence écrasante du modèle d'habitat
individuel, mais l'existence même d'alternatives à ce modèle permet de le remettre en cause
sur des bases solides. L'une des grandes forces des projets d'habitat collectif est donc son
inscription dans la réalité et sa prise en compte de la diversité humaine.
On peut craindre que la mise en place d'un modèle d'habitat groupé reproductible
détruise cette richesse, qui est pourtant à la base de l'expérience d'habitat groupé. La
démocratisation ne doit donc pas passer par une « mise en modèle » qui ne pourrait
qu'amenuiser les multiples dimensions de l'habitat groupé.
Afin d'étudier de plus près les conséquences possibles d'une large démocratisation
de l'habitat groupé, il est intéressant d'étudier la situation dans une région où ce mode
d'habitat est déjà très répandu : le Québec. Au Québec, les expériences de logement
250
communautaire prennent naissance dans les années 70. A cette époque, une importante
crise du logement sévit, et des animateurs sociaux mobilisent des quartiers dans les
villes québécoises afin de sauver leur lieu de vie de ce qu'ils nomment les « projets de
déménagement de quartier ». Des coopératives se créent pour s'approprier la rénovation
des logements et éviter leur confiscation par des promoteurs immobiliers. Aidés par l’État
et par des Groupements de ressources techniques (GRT), les coopératives se développent
fortement au cours de ces 25 dernières années, jusqu'à concerner aujourd'hui près de 22
251
000 logements. Sous cette apparente réussite se cache une réalité plus contrastée : le
succès des coopératives québécoises semble avoir réduit la participation des habitants, qui
. Très encadrées et assistées, notamment par
était pourtant à la base de leur émergence
les GRT, les coopératives d'habitation se sont aussi professionnalisées, laissant plus de
pouvoir aux techniciens, et moins aux habitants. De même, un certain nombre de projets
se reconvertissent aujourd'hui en logements individuels et abandonnent le principe de
propriété collective.
252
La large démocratisation des coopératives semble donc avoir
affecté son esprit d'origine. L'habitat groupé ne peut pas croître à tout prix.
La diffusion de l'habitat groupé est donc assez incertaine. Si la dynamique sociale est
présente, elle vient souvent se heurter sur des difficultés relationnelles, administratives et
juridiques. Les expériences actuelles en restent donc souvent au stade expérimental, ce qui
constitue à la fois leur faiblesse et leur richesse. L'habitat groupé constitue véritablement un
laboratoire social qui permet de proposer à la société des pistes d'avenir, à l'heure où les
schémas préconçus des grandes idéologies ne parviennent plus à incarner le changement
social. En témoignent les paroles de cette militante, membre d'un groupe en formation à
Toulouse : «
nous, on se conçoit comme des défricheurs, des défricheurs d'avenir pour
essayer d'autres choses, d'autres solutions.
250
251
»
253
Le mot est bien moins connoté au Canada qu'en France
Marie J. Bouchard, « De l'expérimentation à l'institutionnalisation positive, l'innovation sociale dans le logement
communautaire au Québec », Cahiers du CRISES, août 2005, n°ET0511, pp.3-4 et 9
252
253
Sarah Trudelle, Coopératives d'habitation à l'étranger : le Canada, Habicoop, 2010, p.8
http://www.youtube.com/watch?v=Or0LGHIOrd8 [page consultée le 19 août 2011]
73
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Conclusion
L'habitat groupé constitue indubitablement une innovation sociale. La volonté de fonder une
institution d'habitat collectif place l'habitat groupé dans un interstice entre habitat individuel
et communauté qui n'avait pas été exploré de cette façon jusqu'alors. Ce sont bien le
déplacement et le brouillage des frontières qui caractérisent cette nouvelle façon d'habiter
ensemble, car l'habitat groupé échappe à toutes les classifications : ni utopie, ni projet
pragmatique ; ni habitat du repli, ni complète ouverture ; ni projet idéologique, ni apolitisme ;
ni mouvement social, ni acte individuel ; mais à la fois un peu de tout ça. La théorie et la
pratique s'y mêlent, l'autonomie et la solidarité s'y marient, la modernité et la tradition s'y
mélangent, le public et le privé s'y perdent. L'habitat groupé semble avoir tiré les leçons
des excès récents en matière d'habitat, qu'il s'agisse des communautés ou au contraire du
logement de masse impersonnels, et propose un schéma de « vivre ensemble » équilibré,
quoique peu orthodoxe dans notre pays latin.
Si l'habitat groupé parvient à brouiller ainsi les repères, c'est aussi qu'il laisse la place
à une diversité impressionnante d'expériences. Des petits éco-lieux de quelques foyers
aux grands immeubles urbains, des projets inspirés par la simple volonté de faire des
économies financières aux contestations radicales du mode de production capitaliste (et pas
uniquement dans l'habitat), la palette de l'habitat groupé ne cesse de s'agrandir à chaque
expérience. Bien que cette caractéristique affaiblisse très certainement le mouvement global
de l'habitat groupé et freine son appropriation par le pouvoir politique, elle ne dissout pas
pour autant l'identité de l'habitat groupé. Le cadre identitaire de l'habitat groupé est léger
(il se résume en quelques lignes), mais cette modestie permet aux imaginaires de chaque
groupe-projet de se déployer librement dans leur futur habitat.
Malgré cela, on ne peut pas analyser une innovation sociale telle que l'habitat groupé
sans se poser la question de sa pérennité. Or, il semble qu'en l'état actuel des choses la
mouvement de l'habitat groupé éprouve certaines difficultés à s'inscrire dans le temps long.
Le président d'Éco-quartier Strasbourg, Bruno Parasote, l'exprime en ces termes :
Quoi qu'il en soit, les ressorts d'un développement ultérieur de l'habitat groupé
dépendront de la capacité des citoyens, des professionnels, et de la puissance publique
(en particulier les collectivités territoriales) à s'approprier et à mettre en œuvre le concept
d'habitat groupé. A l'heure actuelle, de nombreux groupes se forment, et les architectes
et les professionnels semblent prêts à accompagner ce développement ; la balle est donc
principalement dans le camp des collectivités locales, qui peuvent fortement encourager le
développement de l'habitat groupé.
Or, les collectivités n'acquièrent que petit à petit cette connaissance et cette culture
de l'habitat groupé. Pour Anne-Françoise Gay, « ce qui se passe, c'est que [les élus]
essaient de nous faire rentrer dans un cadre, dans leur cadre qu'ils connaissent, mais
ce cadre ne nous convient pas, ne convient pas à un groupe-projet. [...] Et du coup c'est
un gros frein pour le développement de l'habitat groupé. » Un plus grand dialogue est
donc nécessaire entre les porteurs de projet, les organisations d'accompagnement et les
collectivités territoriales afin d'éliminer les décalages culturels qui peuvent persister et de
permettre le développement conjoint de projets. A Strasbourg, ville pionnière en matière
d'habitat groupé, dix-sept propositions ont émergé de la décision de la mairie d'allouer dix
74
Conclusion
254
terrains à des groupes-projet. L'incitation de la ville a donc trouvé preneur, et même
permis à des groupes de se monter ex nihilo. A l'heure actuelle, les groupes rencontrent
de grandes difficultés pour trouver des terrains et les pouvoirs locaux possèdent là un
formidable levier de développement de ce type d'habitat, puisqu'ils peuvent mettre des
emplacements à disposition des nouveaux groupes. Les élus peuvent aussi encourager le
255
développement de ce mode d'habitat par la mise à disposition d'un statut juridique ad hoc.
Malgré toutes ces difficultés, l'habitat groupé n'est certainement pas un mouvement
que l'on peut éluder. Comme le disait Charles Gide, « la véritable marque de vitalité, ce
n'est pas de durer, c'est de renaître. » Or, c'est bien de renaissance qu'il s'agit aujourd'hui,
car l'habitat groupé d'aujourd'hui s'appuie sur les expériences des habitats de première
génération tout en introduisant des nouveautés telles que la prise en compte de l'impact
écologique de l'habitat. Qui plus est, l'habitat groupé se base sur une histoire au long cours,
des premières « communautés taisibles » aux coopératives HLM, marquée par cette mise en
place d'institutions d'habitat collectif. L'homme n'habite pas seul, et l'habitat n'est pas un acte
purement individuel. L'illusion du mode actuel de conception et de production des logements
consiste à considérer l'acte d'habiter comme un fait circonscrit aux limites de l'individu, au
mieux de la famille nucléaire. Certaines personnes, considérant de manière plus ou moins
consciente cet état des lieux, choisissent de modifier le dosage d'individu et de collectif dans
leur habitat. Sans tomber dans les excès du communautarisme, elles tentent de réintroduire
le collectif dans l'acte d'habiter. Cette nécessité de trouver dans l'habitat un équilibre entre
singulier et collectif, entre privauté et publicité, ne s'éteindra probablement jamais. Ainsi,
si le mouvement de l'habitat groupé doit péricliter, gageons que d'autres formes d'actions
collectives sauront prendre sa place et proposer de nouveaux rapports entre individus,
familles, et institutions collectives dans l'habitat.
254
255
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81
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Annexes
Annexe 1 : Index des projets d'habitat groupé cités
dans le mémoire
Habitats groupés des années 1970 et 1980
Lieu
Date
d'implantation
d'implantation
La Viorne
Villefontaine (38) 1985
Le Lavoir du
Paris (75)
1983
Buisson Saint
Louis
Les Jardies
Meudon (92)
1975
Les Naïfs
Meylan (38)
1985
Le Val
Meudon (92)
1980
Habitats groupés des années 2000
Nombre de
logements
12, puis 13
NC
Mode
d'accession
Locatif
NC
9
13
10
Propriété
Locatif
Propriété
Phase du projet Lieu
d'implantation
Projet
Paris
Date
d'implantation
NC
Particularités
Construction
Saint-Dié (88)
2011
Écosolidaire
Éco-logis
Strasbourg
Projet
Terminé
Saverne (67)
Strasbourg (67)
2013
2010
Illeco
La Maison des
Babayagas
Projet
Construction
Illkirch (67)
Montreuil (93)
NC
2012
La Salière
Le château
partagé
Le Village
Vertical
Terminé
Terminé
Grenoble (38)
Dullin (73)
2010
2009
Construction
Villeurbanne (69) 2012
Les Tisserins
d'Adèle
Tilia &
Compagnie
Projet
Schiltigheim (67) NC
Construction
Saint-Laurenten-Beaumont
(38)
Chez Louise et
Michel
Écolline
82
NC
Premier projet
de Clip
Projet en
autoconstruction
/
Premier habitat
groupé de
nouvelle
génération
/
Projet d'habitat
groupé pour
femmes âgées
/
Lieu de vie et de
travail
Première
coopérative
d'habitants
/
Projet en
autoconstruction
Annexes
Annexe 2 : Retranscription de l'entretien réalisé avec
Anne-Françoise Gay, animatrice du Réseau Habitat
Groupé et membre d'un groupe-projet, le 6 juin 2011 à
Lyon
Annexe 3 : Retranscription de l'entretien réalisé avec
Cécille Viallon, secrétaire générale de l'association
Éco Habitat Groupé et habitante de l'habitat groupé de
La Viorne, et Alain Sauzay, membre de l'association
Éco Habitat Groupé et habitant de La Viorne, le 11
juillet 2011 à Villefontaine
Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine
de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
83
L'habitat groupé: une expérimentation sociale entre singulier et collectif
Résumé
Ce mémoire se propose d'étudier une forme d'habitat à la fois nouvelle et héritière
d'une longue tradition : l'habitat groupé. Cette expérimentation sociale permet à plusieurs
ménages de concevoir ensemble un logement composé de parties privatives et de parties
communes, pour le gérer ensuite en groupe. Ainsi, l'habitat groupé entend (ré)introduire
de façon importante la dimension collective dans un domaine que l'on rattache désormais
couramment à l'individu ou à la famille nucléaire. Quelles sont les implications de ce
changement dans les pratiques d'habitat ? Comment se forme et se maintient le groupe
d'habitants ? Quelles relations l'habitat groupé entretient-il avec d'autres identités politiques
telles que l'écologisme ou le mouvement coopératif ? Ce mémoire tente de répondre à ces
questions et d'analyser ce nouveau mode d'habitat en le situant dans un contexte plus large.
Mots-clés : habitat, collectif, innovation sociale, solidarité, coopérative, écologie
84
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