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Noah Klieger, boxeur rescapé d'Auschwitz : "J'ai eu le culot
de parler à Mengele"
Actualités Histoire
Noah Klieger (Archives personnelles)
Rescapé des camps libérés le 27 janvier 1945, Noah Klieger va prendre la parole à l'ONU à
l'occasion de cet anniversaire. Il raconte son incroyable histoire à "l'Obs". Interview.
http://tempsreel.nouvelobs.com/ Denis Demonpion Publié le 27 janvier 2017 à 06h55
A bientôt 92 ans, Noah Klieger, ce féru de sport, n'a rien oublié. Ni de sa prime enfance "joyeuse"
à Strasbourg, sa ville natale, entre un père universitaire et écrivain qu'il vénérait et une mère qu'il
adorait. Ni de l'enfer d'Auschwitz auquel il a miraculeusement survécu. Le regard est comme
délavé par l'épreuve.
Sa vie se conjugue avec les aléas de l'Histoire. Elève typographe dans un lycée professionnel, il
se découvre très tôt la fibre journalistique, milite dans la Jeunesse sioniste alors qu'Hitler est déjà
au pouvoir, connaît les camps de travail et de concentration. La guerre finie, il se retrouve meneur
d'hommes sur l'Exodus, ce navire d'immigrants juifs qui tente de rejoindre Israël.
Une épopée qui en dit long sur la barbarie mais qui n'a jamais entamé son humanité. En ce
vendredi 27 janvier, date anniversaire de la libération des camps, Noah Klieger prendra la parole
à l'ONU. Interview.
Vous allez fêter vos 92 ans en juillet. Comment vit-on quand on est rescapé d'Auschwitz ?
J'ai eu de la veine. Pour sortir vivant d'un camp de concentration comme Auschwitz, il fallait de la
veine. Ou des miracles. Les miracles ont tout fait pour moi, pour que je m'en sorte. Je suis un des
rares à avoir échappé aux chambres à gaz.
Comment ça des miracles ?
Je suis né à Strasbourg - j'ai même reçu la médaille d'or de la ville de Strasbourg -, mais je vivais
en Belgique avec mes parents. Quand j'ai été arrêté, j'avais 16 ans. Je suis arrivé à Auschwitz en
janvier 1943, après avoir été interné en Belgique, au camp de Malines, entre Anvers et Bruxelles.
Auschwitz était composé de 45 camps de travail et d'extermination. Les SS recevaient de l'argent
des usines qui avaient besoin de main d'œuvre. La main d'œuvre, c'était nous, les prisonniers.
C'était le plus grand des camps, celui où il y a eu le plus de victimes. 1,5 million de Juifs y ont été
massacrés ou gazés. Auschwitz est situé dans un bassin minier de Haute-Silésie, à l'époque la
région la plus froide en Europe après la Sibérie. Quand on est arrivé, on nous a mis, nus, dans un
baraquement qui n'avait pas de toit. On a attendu ainsi alors qu'il faisait - 25 °C ou - 27 °C. Deux
tiers des prisonniers sont morts gelés.
Le deuxième jour après notre arrivée, deux officiers SS sont venus dans le bloc. Le commandant
d'Auschwitz Monowitz (Auschwitz 3) Heinrich Schwarz, un passionné de boxe, a demandé qui
d'entre nous était boxeur. Il y avait deux professionnels, deux Néerlandais, qui boxaient dans la
catégorie poids-lourds : Sally Weinschenk et Sam Potts. Sam Potts n'avait pas vingt ans. Il
mesurait 2 mètres, pesait 117 kilos. A l'époque, la boxe était autre chose que ce qu'elle est
aujourd'hui. Il n'y avait que huit catégories de boxeurs - des mouches aux lourds, donc huit
champions du monde. Aujourd'hui, il y en a 14, cinq fédérations internationales, des tas de
champions du monde. J'étais un mordu de sport depuis ma naissance, mais je m'intéressais
surtout au Tour de France. J'ai été le premier Israélien à écrire sur le Tour de France.