du 3 octobre 2007
- Inde -
L’éléphant veut affronter le tigre
Chinindia. Le néologisme qui assimile les deux géants asiatiques a peut-être vécu. La Chine et l’Inde
revendiquent aujourd’hui leurs différences politiques, économiques et culturelles. Pour l’heure, tous
les regards occidentaux se portent sur la Chine, sa croissance ancrée au-dessus des 10 %, ses
stratégies industrielles et financières. Ce qui a le don d’énerver l’Inde. Aujourd’hui, l’éléphant indien ne
cache plus ses ambitions sur les scènes économiques mondiale et asiatique.
Son objectif premier : ne pas se laisser cannibaliser par l’Empire du Milieu. Pour cela, New Delhi s’est
rapprochée d’une autre puissance asiatique, le Japon. Fin août, les dirigeants des deux pays ont
scellé un accord suffisamment exceptionnel pour être souligné. L’idée : resserrer les liens politiques et
économiques entre les deux pays. New Delhi et Tokyo comptent ainsi quasiment tripler leurs
échanges commerciaux d’ici à trois ans à 20 milliards de dollars par an contre 6 à 8 milliards
actuellement.
Un pari stratégique qui pourrait dynamiser l’économie japonaise, aujourd’hui détrônée en Asie, mais
aussi le commerce indien, pour un pays qui s’ouvre peu à peu à l’économie mondiale.
Mais ce pari, malgré sa symbolique, n’est que la première pierre des efforts que doit mener l’Inde pour
espérer rivaliser avec la Chine.
Malgré une croissance de 9,4 % en 2006 – ce qui, en théorie, pourrait lui permettre de devenir la
troisième puissance économique de la planète en 2025, alors qu’elle figure au 11e rang actuellement
–, l’Inde a en effet du retard à rattraper. Après 50 ans de protectionnisme, le tournant libéral de 1991
ne commence qu’à porter ses fruits et les mentalités entrepreneuriales évoluent peu à peu. Toutefois,
si l’Inde a rompu avec l’approche nehruiste, tiers-mondiste et non alignée, elle mise toujours sur un
développement qui préserve l’équilibre politique, culturel et économique d’une des populations les
plus hétérogènes au monde. Une vision qui est à la fois une force et une faiblesse pour le sous-
continent.
Les grandes familles qui ont forgé le capitalisme indien dominent aujourd’hui la moitié du paysage
économique. Les capitaines d’industrie commencent à se faire connaître à l’international, comme en
témoigne l’épisode Mittal.
Mais face à la Chine, l’Inde a perdu ses avantages comparatifs sur le plan productif. Son tissu de
micro-industries est un frein au développement. Les contraintes à l’entrée des investissements
étrangers restent encore lourdes. Si l’ouverture a réussi dans les télécommunications, le transport
aérien et routier est saturé. Autre défi : sa dépendance énergétique et son insuffisante production
d’électricité.
Si l’Inde produit des diplômés par centaines de milliers, sa main d’œuvre qualifiée et anglophone,
quand elle n’alimente pas un important « exode des cerveaux », reste sous-employée. La Chine a
misé sur ses bras, héritant du surnom d’ « atelier du monde » ; l’Inde sur ses cerveaux. Pourtant, dans
ce pays fort de plus d’un milliard d’habitants, illettrisme, pauvreté, malnutrition, chômage, crise
agraire, insurrections et violences religieuses ou entre castes sont encore légion.
Autant d’obstacles qui interrogent la soutenabilité d’une croissance de 8 à 10 %. Les dernières
commémorations de son Indépendance sont toutefois venues rappeler que l’Inde n’est finalement
qu’un jeune sexagénaire à l’aube de son devenir.
L’Inde se veut donc réaliste – et rassemble ses atouts – et confiante. « Nous sommes une jeune
Nation. Mais une fois libérée, l’énergie de notre jeunesse mènera l’Inde sur la voie d’une nouvelle
croissance », annonçait le Premier ministre indien, Manmohan Singh, lors des cérémonies du 15 août
dernier. « Il ne faut toutefois pas être présomptueux. Le chemin à parcourir est encore long et il nous
faudra une bonne décennie de durs efforts et de croissance continue pour réaliser nos rêves ».
Alexandra Voinchet