4 La première partie propose au lecteur une vision d’ensemble du domaine tout en
revenant précisément sur certains moments clés de son histoire. Le premier article
(Dubois, Schultz) établit les jalons de cette histoire en soulignant notamment
l’importance du département de sociologie de l’université Columbia à New York dans la
période de l’après seconde guerre mondiale. Il précise par ailleurs certaines thématiques
centrales du domaine (et la littérature correspondante) : les laboratoires et l’organisation
du travail scientifique ; l’émergence des disciplines et des spécialités scientifiques ; le
déroulement des controverses scientifiques et sociotechniques ; l’impact des modes de
financement sur la pratique scientifique ; le renouveau des expertises et la science
participative ; les transformations de l’internationalisation des sciences, enfin. De façon
plus détaillée, dans un second texte, Catherine Vilkas propose de revenir sur le rôle joué
par le CNRS dans le développement de l’étude des sciences en général, et de la sociologie
des sciences en particulier. Elle souligne l’importance d’une direction du CNRS « ouverte »
et « éclairée », avec Hubert Curien, sur la période 1969-1973 mais, également, la diversité
des instruments de politique scientifique mobilisés, avec une attention particulière pour
le programme Science, technologie et société (STS) créé au début des années quatre-vingt.
Les deux dernières contributions prennent la forme d’entretiens (individuel et collectif)
avec deux chercheurs qui ont participé au développement de l’étude sociologique des
sciences en France : Gérard Lemaine (ancien directeur d’études à l’EHESS, fondateur du
Groupe d’études et de recherches sur la science, GERS) et Terry Shinn (directeur de
recherche CNRS émérite, membre du GEMASS – Groupe d’étude des méthodes de l’analyse
sociologique de la Sorbonne). Gérard Lemaine décrit l’origine de l’une des premières
études de sociologie des sciences conduites en France : Les voies du succès. Il précise
l’influence du CNRS pour les apprentis sociologues des sciences de l’époque, notamment à
travers les actions successives de Pierre Jacquinot, Pierre Bauchet ou encore Robert
Chabbal. Terry Shinn décrit, quant à lui, l’expansion des STS et l’effervescence
intellectuelle caractéristique de la période 1970-1980 : « L’époque », rappelle-t-il avec
enthousiasme, « était à l’ouverture et à la curiosité tout azimut ». Mais cette effervescence,
souligne-t-il également, s’est parfois concrétisée dans des conceptions « radicales » et «
réductrices » de l’activité scientifique. Il invite les jeunes sociologues à l’« apprentissage
patient » de leur domaine d’étude pour mieux éviter certains travers du passé, notamment
la tentation de réduire l’activité scientifique à de simples exercices de pouvoir ou de
rhétorique.
5 La seconde partie du dossier réunit des contributions centrées sur des thématiques
spécifiques ou des objets de recherche en cours de constitution. Dans un premier article,
Michel Grossetti, Béatrice Milard et Marion Maisonobe décrivent les dernières avancées
dans le domaine de l’étude sociogéographique des sciences. Il s’agit d’étudier la
configuration spatiale des activités scientifiques à différentes échelles géographiques
(villes, régions, pays et monde). Les travaux en cours sont l’occasion de mettre à l’épreuve
certaines idées reçues, notamment celle, fréquemment mobilisée (de façon plus ou moins
explicite) dans les politiques scientifiques, selon laquelle une « masse critique » serait, par
principe, indispensable à la réalisation d’une recherche de qualité. Puis David Pontille
étudie les dernières transformations à l’œuvre dans le domaine des publications
scientifiques. Il souligne notamment de quelle manière la volonté de la communauté
scientifique de se prémunir contre certaines pratiques frauduleuses (notamment le
plagiat et l’auto-plagiat) a pour conséquence une redéfinition progressive et collective de
la nature même de la contribution scientifique et des différentes manières de l’évaluer.
La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social
Histoire de la recherche contemporaine, Tome IV-N°2 | 2015
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