Histoire de la recherche contemporaine La revue du Comité pour l’histoire du CNRS Tome IV-N°2 | 2015 La recherche scientifique: objet d'étude et enjeu social La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social Michel Dubois Éditeur CNRS Éditions Édition électronique URL : http://hrc.revues.org/1052 DOI : 10.4000/hrc.1052 ISSN : 2265-786X Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2015 Pagination : 106-107 ISBN : 978-2-271-09006-5 ISSN : 2260-3875 Référence électronique Michel Dubois, « La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social », Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome IV-N°2 | 2015, mis en ligne le 15 décembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://hrc.revues.org/1052 ; DOI : 10.4000/hrc.1052 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. © Comité pour l’histoire du CNRS La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social Michel Dubois 1 La recherche scientifique, ses transformations et ses conséquences pour la société constituent des objets d’études privilégiés pour la sociologie et, plus largement, pour les sciences sociales. Chacun est aujourd’hui à même de percevoir la manière dont nos modes de vies, nos formes d’organisations collectives, mobilisent ou incorporent des savoirs, des pratiques et des dispositifs issus de cette recherche. De même, c’est au nom du lien jugé nécessaire entre progrès scientifique et progrès social que les pouvoirs publics incitent les milieux académique et industriel à renforcer, toujours plus, leur coopération. Une part non négligeable des politiques scientifiques contemporaines est fondée sur l’idée selon laquelle le milieu académique représente, souvent de façon intentionnelle ou non, un vecteur de croissance social et économique1. 2 Malgré l’importance bien établie des rapports « science-société », il faut reconnaître que les sociologues ont investi tardivement le domaine de l’étude des sciences et techniques. La chronologie établie pour la France par Berthelot et al. (2005) est très claire : entre 1900 et 1960 cette étude est, avant tout, l’affaire des historiens et des philosophes 2. Il faut attendre le début des années soixante-dix pour que la communauté sociologique acquière, dans ce domaine d’étude, une réalité à la fois institutionnelle et scientifique. Institutionnelle à travers la création des premières unités de recherche, la formation des premières écoles ou des premières revues spécialisées. Scientifique à travers l’engagement durable de générations successives de chercheurs à définir la recherche scientifique, non pas seulement comme un ensemble de méthodes, de procédures ou de savoirs certifiés, mais également - et surtout - comme une activité sociale à part entière. 3 Ce dossier élaboré pour Histoire de la recherche contemporaine a pour objectif de familiariser le lecteur non spécialiste avec l’histoire, encore relativement courte, de la sociologie des sciences tout en présentant de façon détaillée certains de ses objets ou de ses thématiques de recherche parmi les plus récents. Il est structuré en deux parties réunissant chacune quatre contributions. Histoire de la recherche contemporaine, Tome IV-N°2 | 2015 1 La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social 4 La première partie propose au lecteur une vision d’ensemble du domaine tout en revenant précisément sur certains moments clés de son histoire. Le premier article (Dubois, Schultz) établit les jalons de cette histoire en soulignant notamment l’importance du département de sociologie de l’université Columbia à New York dans la période de l’après seconde guerre mondiale. Il précise par ailleurs certaines thématiques centrales du domaine (et la littérature correspondante) : les laboratoires et l’organisation du travail scientifique ; l’émergence des disciplines et des spécialités scientifiques ; le déroulement des controverses scientifiques et sociotechniques ; l’impact des modes de financement sur la pratique scientifique ; le renouveau des expertises et la science participative ; les transformations de l’internationalisation des sciences, enfin. De façon plus détaillée, dans un second texte, Catherine Vilkas propose de revenir sur le rôle joué par le CNRS dans le développement de l’étude des sciences en général, et de la sociologie des sciences en particulier. Elle souligne l’importance d’une direction du CNRS « ouverte » et « éclairée », avec Hubert Curien, sur la période 1969-1973 mais, également, la diversité des instruments de politique scientifique mobilisés, avec une attention particulière pour le programme Science, technologie et société (STS) créé au début des années quatre-vingt. Les deux dernières contributions prennent la forme d’entretiens (individuel et collectif) avec deux chercheurs qui ont participé au développement de l’étude sociologique des sciences en France : Gérard Lemaine (ancien directeur d’études à l’EHESS, fondateur du Groupe d’études et de recherches sur la science, GERS) et Terry Shinn (directeur de recherche CNRS émérite, membre du GEMASS – Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne). Gérard Lemaine décrit l’origine de l’une des premières études de sociologie des sciences conduites en France : Les voies du succès. Il précise l’influence du CNRS pour les apprentis sociologues des sciences de l’époque, notamment à travers les actions successives de Pierre Jacquinot, Pierre Bauchet ou encore Robert Chabbal. Terry Shinn décrit, quant à lui, l’expansion des STS et l’effervescence intellectuelle caractéristique de la période 1970-1980 : « L’époque », rappelle-t-il avec enthousiasme, « était à l’ouverture et à la curiosité tout azimut ». Mais cette effervescence, souligne-t-il également, s’est parfois concrétisée dans des conceptions « radicales » et « réductrices » de l’activité scientifique. Il invite les jeunes sociologues à l’« apprentissage patient » de leur domaine d’étude pour mieux éviter certains travers du passé, notamment la tentation de réduire l’activité scientifique à de simples exercices de pouvoir ou de rhétorique. 5 La seconde partie du dossier réunit des contributions centrées sur des thématiques spécifiques ou des objets de recherche en cours de constitution. Dans un premier article, Michel Grossetti, Béatrice Milard et Marion Maisonobe décrivent les dernières avancées dans le domaine de l’étude sociogéographique des sciences. Il s’agit d’étudier la configuration spatiale des activités scientifiques à différentes échelles géographiques (villes, régions, pays et monde). Les travaux en cours sont l’occasion de mettre à l’épreuve certaines idées reçues, notamment celle, fréquemment mobilisée (de façon plus ou moins explicite) dans les politiques scientifiques, selon laquelle une « masse critique » serait, par principe, indispensable à la réalisation d’une recherche de qualité. Puis David Pontille étudie les dernières transformations à l’œuvre dans le domaine des publications scientifiques. Il souligne notamment de quelle manière la volonté de la communauté scientifique de se prémunir contre certaines pratiques frauduleuses (notamment le plagiat et l’auto-plagiat) a pour conséquence une redéfinition progressive et collective de la nature même de la contribution scientifique et des différentes manières de l’évaluer. Histoire de la recherche contemporaine, Tome IV-N°2 | 2015 2 La recherche scientifique : objet d’étude et enjeu social Par la suite, Claude Rosental présente les résultats d’une recherche consacrée à l’usage des statistiques et des démonstrations publiques dans le cadre d’un programme européen de technologie de l’information : « Advanced Communications Technology and Services » (ACTS). Il s’agit de constituer l’activité de démonstration scientifique et technique comme nouvel objet d’étude sociologique. Enfin, Morgan Jouvenet, Jérôme Lamy et Arnaud SaintMartin dressent le portrait d’une sociologie des sciences du spatial en voie de formation. Leur revue de littérature permet de mettre en évidence l’importance de certains travaux de référence — notamment l’ouvrage de la sociologue américaine Diane Vaughan consacré à l’étude de l’accident de la navette Challenger3. L’article est également l’occasion de s’interroger de façon réflexive sur ce que les sciences du spatial font à la sociologie et d’inviter les sociologues à se prémunir contre toute forme d’enrôlement et d’instrumentalisation. NOTES 1. Pour s'en tenir à la dimension économique, un rapport récent évalue, pour 2014, les retombées économiques des universités membres de la League of European Research Universities (LERU) à 71 milliards d'euros et 900 000 emplois, cf. Biggar Economics, Report to LERU. Economic Contribution of the LERU Universities, août 2015. 2. Avec notamment la création du Centre international de synthèse (1925), de l'Institut d'histoire des sciences et des techniques (1933) ou encore du Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques, futur Centre Alexandre Koyré (1958). Cf. Jean-Michel Berthelot, Cécile Collinet, Olivier Martin, Savoirs et savants. Les études sur la science en France, Paris, Presses universitaires de France, 2005. 3. Vaughan D., The Challenger Launch Decision: Risky Technology, Culture and Deviance at NASA, University of Chicago Press, 1996. AUTEUR MICHEL DUBOIS Directeur de recherche CNRS au GEMASS Histoire de la recherche contemporaine, Tome IV-N°2 | 2015 3