Les 7èmes journées scientifiques et techniques du CETMEF – Paris – 8, 9 et 10 décembre 2008
QUE SAIT-ON DE L'IMPACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
SUR LA NAVIGATION ET QUE PEUT-ON ANTICIPER?
PIERRE GAUFRÈS
Centre d'Études Techniques Maritimes et Fluviales
2, Boulevard Président Kennedy 13097 Aix-en-Provence Cedex 2 – France
Tél : 04 42 52 74 15
Résumé
Le changement climatique est une menace mondiale grave qui exige une réponse globale urgente.
Le dernier rapport du GIEC (2007), en précisant les fourchettes d'incertitudes, a mis en évidence les
facteurs anthropiques du réchauffement et alerté décideurs et opinion publique de la planète sur
l'urgence à relever le défi du 21ème siècle. Les océans, premier système régulateur du climat, se sont
réchauffés jusqu'à une profondeur de 3000 m, la couverture de glace de l'océan Arctique est
susceptible de disparaître l'été dans la deuxième moit de ce siècle, jusqu'à 40% des espèces
pourraient être menacées d'extinction, les conditions météorologiques extrêmes (ouragans,
tempêtes, ...) deviendraient plus intenses et fréquentes, ...
Si le corpus de connaissances identifiant les changements climatiques est validé par plus de 95% de
la communauté scientifique, des incertitudes demeurent cependant sur les projections long terme et
les impacts sur la navigation ont été très peu étudiés.
Cet article constitue une synthèse du rapport « Climate change and Navigation » (Moser et al.,
2008) téléchargeable sur le site de l'AIPCN. Il passe en revue les impacts du changement climatique
sur les navigations maritime et fluviale à l'échelle mondiale et en particulier les aspects suivants :
hausse du niveau marin, conditions de vent, action des vagues, propagation des marées et des
surcotes marines, circulation océanique, tempêtes, hydrodynamique côtière, chimie des océans, état
et fonte des glaces, approvisionnement et qualité de l'eau des rivières, conditions hydrologiques
extrêmes, ... L'évolution des hydrosystèmes continentaux est discutée quant à son incidence sur les
infrastructures de transport et les navires. Dans les domaines fluviaux et maritimes, les adaptations
potentielles et les stratégies de mitigation sont identifiées ainsi que les opportunités pour l'économie
du monde de demain. Réciproquement, les contributions de la navigation aux émissions de gaz à
effet de serre (GES) d'origine anthropique sont présentées ainsi que les possibilités d'atténuation des
effets climatiques.
Mots clés
Changement climatique, navigation maritime et fluviale, impact, adaptation, atténuation
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1 Introduction
L'objectif du groupe de travail EnviCom 3 « Changement climatique et Navigation » lancé par
l'AIPCN début 2007 était d'analyser les effets du réchauffement climatique sur la navigation et
décrire la manière d'appréhender et de gérer les connaissances relatives au changement climatique
et aux différents scenarii de projection du climat futur en relation avec le domaine. Le groupe s'est
appuyé sur les travaux de synthèse du Groupe International d'Experts sur le Climat (GIEC) qui a
remis son quatrième rapport d'évaluation également courant 2007. Les définitions, résultats et
conclusions du GIEC 2007 ont servi de base au rapport de l'AIPCN dont le présent article constitue
une synthèse. Ainsi, la définition du changement climatique en tant que « modification du climat
dans le temps, qu'elle soit due à la variabilité naturelle ou aux activités humaines » a notamment été
adoptée. Les incertitudes inhérentes à la prédiction climatique, lesquelles deviennent plus
importantes lorsque l'on s'intéresse aux impacts potentiels régionaux sur la navigation, ont été prises
en compte.
Pour l'indicateur synthétique, la température atmosphérique moyenne de la Terre, le bilan du GIEC
précise que la hausse pour 1906-2005 atteint 0,74°C dans l'intervalle de confiance à 90%
[0,56-0,96] (Figure 1).
Figure 1
Changements de température, du niveau des mers et de la couverture neigeuse dans l’hémisphère
Nord (GIEC, 2007)
Les prévisions d'augmentation pour l'horizon 2100 fournies par le GIEC 2007 s'échelonnent dans
une fourchette probable de 1,1 à 6,4°C. Les « meilleures estimations » permettent de réduire cet
intervalle de 1,8 à 4,0°C en éliminant le scénario A1F1 considéré comme irréaliste. Ainsi,
l'augmentation attendue de température, selon les experts du GIEC, serait comprise entre 1,8 et
3,4°C. Consécutivement, la fonte continue des glaces polaires et des glaciers de montagne, couplée
à l'expansion thermique des océans, devrait élever le niveau moyen des océans au cours de ce siècle
de l'ordre de quelques dizaines de centimètres, avec une grande variabilité régionale. Toutefois, des
incertitudes importantes demeurent autour des glaces polaires et les recherches en cours pourraient
amener à repréciser dans les cinq prochaines années l'ordre de grandeur, éventuellement dans une
échelle métrique.
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Il est attendu également que les événements extrêmes soient plus fréquents et intenses, que les
courants océaniques soient affectés par le changement global, ... Les améliorations apportées aux
modèles climatiques régionalisés préciseront ces projections toujours sujettes à réajustements ou à
remises en cause au fur et à mesure des avancées scientifiques ainsi qu'aux choix sociétaux et
comportementaux, notamment politiques d'atténuation et rétroactions économiques. On peux noter
cependant que les améliorations apportées aux modèles climatiques n'ont pas modifié
fondamentalement les résultats depuis les premiers rapports (1990, 1995, 2001), à savoir que le
réchauffement planétaire va se poursuivre et que son ampleur sera plus ou moins importante en
fonction des émissions de GES futures, et ce en raison de l'inertie des systèmes climatiques.
En effet, me si les émissions de GES étaient stoppées aujourd'hui (surtout CO2), ces
changements se poursuivraient pendant plusieurs décennies, voire plusieurs siècles dans le cas du
niveau marin. Selon les estimations, la part anthropique représente 4 % des émissions mondiales de
GES, tandis que les sources principales sont les océans (40%), la végétation (27%) et le sol (27%).
Le transport de marchandises et le trafic y contribuent à hauteur de 23% et la navigation représente
10% de cette fraction (GIEC, Kahn Ribeiro et al., 2007). Malgré cette contribution marginale qui
lui confère souvent le qualificatif de mode de transport respectueux de l'environnement (la
navigation n'est pas soumise aux quotas édictés par le protocole de Kyoto), le secteur de la
navigation doit contribuer aux effort d'atténuation et, considérant sa vulnérabilité, développer des
stratégies d'adaptation au changement climatique en train de se produire. Le réchauffement
climatique a un impact significatif sur les écosystèmes, la biodiversité et sur de nombreuses
activités économiques, dont la navigation. La discussion scientifique et politique actuelle ne porte
pas sur la survenue effective ou non du réchauffement climatique mais sur la vitesse d'apparition
des processus et la vulnérabilité des systèmes naturels et humains à leur encontre. Le but est
d'adapter la société aux changements inévitables, de diminuer leur impact, et/ou de profiter des
opportunités qu'offre le changement climatique; la navigation maritime et fluviale doit s'y préparer.
Il est primordial également pour le monde de la navigation de comprendre l'importance des scenarii
de changement climatique global du GIEC, la variabilité spatiale des impacts projetés et les
incertitudes inhérentes aux analyses de tendances, qu'elles soient structurelles ou quantitatives :
guide sur les incertitudes (WMO et UNEP, 2005). Les scenarii (GIEC, 2000) les plus couramment
employés sont les scenarii A2 (hausse rapide des émissions de gaz à effet de serre), B2 (scénario
modéré) et A1B (intermédiaire entre ces deux, proche de B2). Les projections sont établies à partir
de ces scenarii, tout comme les impacts et réponses potentiels.
Nous présenterons donc successivement les processus touchés par le changement climatique, leur
impacts et incidences sur les domaines maritimes puis fluviaux, les stratégies d'atténuation possibles
et les opportunités pour les deux secteurs d'activité.
2 Impacts sur la navigation maritime
Bien que les processus climatiques à grande échelle soient la conséquence des échanges
océan/atmosphère, très peu d'études sont consacrées aux impacts sur le domaine maritime par
rapport à la richesse des résultats disponibles en domaine continental. Ce paradoxe est
notamment aux séries de données plus courtes et plus rares et aux conséquences moins prégnantes
sur les océans pour les terriens que nous sommes. Les problèmes littoraux, la vulnérabilité des cotes
basses sableuses sont davantage étudiés et présentent une bibliographie plus conséquente, tout
comme l'évolution hydrosédimentaire des deltas. Les impacts sur la navigation maritime, qui
totalise pourtant 90% des échanges commerciaux mondiaux, doivent donc être déduits à partir de
recherches entreprises dans d'autres domaines (i.e. risques côtiers, approvisionnement en eau,
protection des centrales nucléaires, ...) et de façon synthétique du rapport n°2 du GIEC (Parry, M.L.
et al, 2007).
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2.1 Facteurs modifiés par le changement climatique et impacts sur la navigation maritime
Le niveau moyen des mers s'est élevé en moyenne de 1,7 +/- 0,5 mm/an au cours du XXème siècle
(GIEC, Bindoff et al., 2007). Les projections obtenues avec les modèles climatiques suggèrent que
cette valeur sera comprise entre 2 et 5 mm/an au cours du XXIème siècle (Figure 2). Cependant le
consensus n'a pas été obtenu au sein du GIEC et ces prévisions ne prennent en compte que
l'élévation due à l'expansion thermique des océans sans considérer les changements dynamiques
rapides possibles comme la fonte des glaces du Groenland ou dans l'Antarctique. La hausse
additionnelle due à la fonte des glaces aboutirait à une augmentation du niveau des mers de 1 m et
plus à l'horizon 2100. En raison de la combinaison avec d'autres facteurs géophysiques comme la
subsidence ou le rebond isostatique, la hausse du niveau marin sera très variable; aux moyennes
latitudes généralement plus importante que dans la zone équatoriale en raison des variations de la
densité océanique (effet stérique).
Même si les émissions de CO2 sont réduites et sa concentration dans l'atmosphère stabilisée, la
température de surface du globe continuera à s'élever lentement pendant au moins un siècle. Par
conséquent, l'expansion thermique des océans se poursuivra et la fonte des glaces continuera à
contribuer à la hausse du niveau des mers pendant des siècles, voire des millénaires.
Figure 2
Élévation moyenne du niveau des océans observée et projetée pour le scénario A1B (Source GIEC,
Bindorf et al., 2007)
Bien que la hausse du niveau marin semble ne pas avoir d'impact direct sur la navigation elle-même
(hormis les variations bathymétriques modifiant l'énergie des vagues à la côte), elle pourrait affecter
les infrastructures portuaires et demanderait la modification des normes de calcul des ouvrages de
protection des ports et de la côte.
En l'absence d'informations plus détaillées, il semble prudent de considérer pour les projets une
augmentation du niveau marin (et par conséquent dans un premier temps des extrêmes haut et bas)
de 5 mm/an en moyenne désormais. Néanmoins, pour la protection des ports et des côtes le
niveau marin pose problème et qui sont susceptibles d'être touchés par le changement climatique,
une étude au cas par cas est nécessaire. Un changement des conditions météorologiques peut
affecter le comportement des surcotes marines, donc des extrêmes de niveau.
Les risques conséquents peuvent être l'exposition croissante des infrastructures portuaires aux
houles, le franchissement des ouvrages, la submersion, la réduction des tirants d'air, les taux de
corrosion, le développement de récifs submergés. Les évolutions des niveaux moyen et extrêmes
pourront augmenter les tirants d'eau disponibles et réduire localement les besoins de dragages, mais
les processus hydrosédimentaires côtiers, ... seront également eux-mêmes modifiés.
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Les conditions de vent (distribution saisonnière, vitesses et directions, ...) mais également
fréquence, durée et trajectoire des tempêtes et autres ouragans seront modifiées par le climat.
L'accroissement potentiel des houles, les impacts sur la route des navires et les opérations portuaires
sont évidents. Les manoeuvres portuaires dans les chenaux étroits pourront être rendues plus
délicates. Les navires modernes, notamment à passagers, pourront être immobilisés plus souvent
compte tenu des critères opérationnels de vent et houles. Les fenêtres météorologiques favorables
pourront être réduites (terminaux gaz et pétrole, ...) impactant les conditions d'amarrages et les
temps d'attente des navires. Si le GIEC 2007 a fourni peu de résultats pour éclairer le sujet, les
projections antérieures (GIEC 2001, ...) du climat futur tendent à montrer de faibles changements
seulement, mais avec de fortes incertitudes. Pour la France, la probabilité de vents forts
augmenterait au Nord et diminuerait dans le Sud. En l'état actuel des connaissances, il est
recommandé de prendre en considération la possibilité de modifications des conditions de vent et
d'être attentifs aux données de vent dans les projets, plutôt que de préparer d'ores et déjà des
stratégies de protection.
Les vagues, comme déjà évoqué, pourraient être affectées par le réchauffement climatique de
différentes manières : distribution saisonnière des hauteurs, période et direction, fréquence et
trajectoire des grandes vagues et des cyclones, durée des tempêtes, ... Dans les régions polaires, la
réduction de l'étendue des glaces et le changement de leur localisation pourraient aboutir à une
modification des conditions de formation des vagues dans ces zones.
Le GIEC (Trenberth et al., 2007) rapporte une tendance statistiquement significative de hausse des
valeurs moyennes annuelle et hivernale des hauteurs de vague (Hs) aux latitudes moyennes dans
l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord, la zone subtropicale ouest de l'Atlantique Sud, la zone
équatoriale ouest de l'Océan Indien et le sud et l'est de la mer de Chine. Le GIEC relève également
des diminutions de Hs statistiquement significatives dans les tropiques du Pacifique Ouest, dans la
Mer de Tasmanie et dans le sud de l'Océan Indien. Des tendances similaires ont été constatées dans
l'Atlantique Nord pour 99% des extrêmes de Hs, avec un accroissement important en hiver. La
dégradation des conditions de formation des vagues au nord-est de l'Atlantique Nord est
vraisemblablement dûe à un déplacement des trajectoires de tempêtes vers le nord, tandis que les
hauteurs de vague diminuent au sud de l'Atlantique Nord. Les analyses régionales fines deviennent
donc importantes car les opérations de chargement/déchargement sont dépendantes des conditions
de houle : l'amarrage à bouée des grands navires est réalisable si Hs < 4,5 m, la déconnexion
nécessaire si Hs > 9 m, les manoeuvres contraintes si la période est inférieure à 15s même avec des
conditions de hauteur acceptables. Les navires de faible tonnage seront affectés (petite pêche, ...) et
les impacts potentiels sur les structures portuaires seront nombreux : modification des conditions de
stabilité, franchissement des brise-lames, évolution des bathymétries, ...
La propagation des marées pourrait être affectée par l'augmentation du niveau marin, l'évolution
des conditions de vent ou de houle, mais les variations induites seront relativement faibles.
La propagation des ondes de tempête (surcotes marines) en revanche, modifiées par des
trajectoires différentes de tempête, pourront avoir un impact significatif sur les extrêmes,
éventuellement supérieur à la hausse du niveau marin moyen. Les incertitudes des projections de
champs de pression et des vents régionaux futurs altèrent toutefois l'interprétation des modèles.
Ainsi, dans l'état actuel des connaissances, il paraît inutile d'établir des normes générales pour la
navigation concernant les modifications de la propagation et de la portée des ondes de tempête, à
l'exception des sites où des études ont été entreprises.
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