Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017
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La microcéphalie livre ses secrets
08/12/15
La microcéphalie, malformation du cerveau liée à une insuffisance du nombre de neurones dans le cerveau, est
une maladie rare et peu connue. L'unité de recherche de neurosciences du GIGA de l'Université de Liège vient
toutefois de lever un coin du voile sur les mécanismes génétiques qui conduisent à ce sous-développement
du cerveau et du cortex cérébral en particulier. Ils ont en effet découvert que lorsqu'un complexe de protéines
appelé Elongator est absent des cellules souches du cortex, celles-ci vont donner naissance à des neurones
exclusivement de manière directe (neurogenèse directe), faisant l'impasse sur la production indirecte de
neurones. Elles ne produisent donc plus de progéniteurs intermédiaires via la neurogenèse indirecte, dont
le rôle est de multiplier le nombre de neurones. Au total, il y aura donc moins de neurones dans le cortex.
D'où la microcéphalie. Ce faisant, les découvertes de ces chercheurs liégeois vont peut-être contribuer au
développement d'un traitement de cette maladie rare.
C'est le genre de maladie face à laquelle les
médecins se retrouvent impuissants. Ce n'est pas tant le diagnostic qui leur pose problème. Souvent, la
microcéphalie se détecte en cours de grossesse, lors d'une échographie. Mais il est déjà trop tard : cette
malformation congénitale du système nerveux ne se guérit pas. Avoir un cerveau bien plus petit que la normale
ne les empêche pas de vivre, si ce n'est avec un retard mental léger souvent associé à de l'épilepsie. Les
causes peuvent être multiples : anomalie génétique, consommation d'alcool durant la grossesse, infection
virale de la mère…
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Et si, un jour, un médicament permettait de soigner la microcéphalie ? De la contrer dès que les premiers
signes sont détectés dans l'embryon ? « Pour le moment, c'est encore de la science-fiction, sourit Laurent
Nguyen, chercheur FNRS et superviseur de l'unité de recherche neurosciences du GIGA. En tout cas,
on est en train de tester cette hypothèse. Cela vaut la peine ! » Rendez-vous dans quelques années. En
attendant, la recherche fondamentale a déjà permis de lever un coin du voile sur les raisons moléculaires de
cette malformation corticale. Les résultats de ce travail de longue haleine (l'équipe liégeoise planche sur ce
sujet depuis cinq ans) viennent d'être publiés dans la revue américaine Developmental Cell(1) et s'inscrivent
dans le prolongement de recherches menées sur Elongator et d'un article publié dans la prestigieuse revue
Cell en 2009.
Elongator ? Rien à voir avec le titre d'un blockbuster américain interprété par un acteur tout en muscles. Ce
terme désigne un complexe - un « groupement » de protéines - qui est composé de 6 sous-unités. Dont
deux sont particulièrement importantes : « Elp 1 » dont le rôle est l'assemblage du complexe, et « Elp 3 »,
la sous-unité enzymatique qui possède la capacité d'acétyler les substrats, d'ajouter un groupement acétyle
sur une molécule.
Il suffit d'un défaut…
Un petit défaut de « développement » pendant la gestation chez l'un ou chez l'autre peut être lourd de
conséquences. « C'est comme pour le plan d'un architecte, compare Laurent Nguyen. Si une erreur se glisse
dans le dessin du plan, on risque des problèmes de stabilité voire d'effondrement du bâtiment. En génétique,
c'est un peu la même chose ». Ainsi, on sait qu'une mutation dans le gène qui code pour Elp 1 conduit à la
dysautonomie familiale, une pathologie génétique très rare caractérisée par des problèmes de développement
et de survie de certains neurones du système nerveux périphérique, qui touche principalement la population
juive ashkénaze. La mutation du gène de Elp2 a récemment été associée à la déficience intellectuelle,
qui caractérise également les patients microcéphales. Pour sa part, l'altération d'Elp 3 conduit notamment
à la sclérose latérale amyotrophique, mieux connue sous le nom de maladie de Charcot, cette maladie
neurodégénérative des motoneurones.
Bref, Elongator et ses différentes sous-unités sont liés au développement et à la survie des neurones. Dans
le premier papier publié dans Cell en 2009, l'équipe de l'ULg avait démontré qu'il avait un rôle important
dans le cortex en développement. « Lorsqu'on induisait une réduction de l'expression aigue du complexe au
milieu de la corticogenèse (processus de construction du cortex cérébral, NDLR), on observait des défauts
de migration, de maturation, de différenciation des neurones de projection du cortex, relate Laurent Nguyen.
Par contre, on ne comprenait pas pourquoi les cellules souches et les progéniteurs » étaient épargnés et ce
malgré l'expression du complexe dans ces dernières.
Une cellule souche donne naissance à des neurones. Soit directement (on parle de neurogenèse directe, qui
se déroule surtout au début de la corticogenèse) ou indirectement (neurogenèse indirecte, surtout présente
à la fin de la corticogenèse). Dans le second cas de figure, la cellule souche produit alors des « progéniteurs
intermédiaires » qui fonctionnent comme des amplificateurs qui servent à produire plus de neurones.
Cibler Elongator
En 2009, les chercheurs liégeois étaient surpris que la manipulation génétique utilisée dans le but d'altérer
l'expression d'Elongator entraînait des conséquences dans les neurones mais pas leurs progéniteurs. « On
s'est dit que l'approche technologique n'était probablement pas appropriée pour l'analyse des progéniteurs».
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Auparavant, l'expression d'Elongator était modifiée par « électroporation in utero » et présentait toutefois un
inconvénient : elle permettait de diminuer l'expression du gène, mais pas de le faire disparaître complètement.
« Cette activité résiduelle pourrait expliquer pourquoi on n'avait pas de défaut dans les progéniteurs. Ceux-
ci n'ont peut-être pas besoin qu'Elongator soit présent à 100% pour fonctionner correctement, à la différence
des neurones, détaille Laurent Nguyen. On travaillait aussi à un moment du développement cortical assez
tardif. Peut-être était-il nécessaire d'altérer l'expression d'Elongator plus tôt ?».
Un changement de méthode s'imposait. L'équipe de l'ULg a mis au point une souris modifiée génétiquement,
capable de faire « disparaître » complètement l'activité d'Elongator de ses progéniteurs via l'édition
enzymatique du génome (système de recombinaison Cre-Lox). De façon innatendue, les souris invalidées
présentaient une microcéphalie sévère !
Les chercheurs ont découvert que lorsqu'Elongator est absent des cellules souches du cortex, celles-ci vont
avoir tendance à se mettre en mode « neurogenèse directe » exclusivement. Elles ne produisent donc plus de
progéniteurs intermédiaires via la neurogenèse indirecte, dont le rôle est de multiplier le nombre de neurones.
Au total, il y aura donc moins de neurones dans le cortex. Donc de la microcéphalie.
Après les souris, l'expérience a été réitérée chez la mouche. Mêmes résultats. Restait alors à confirmer sur des
souches humaines, ce qui fut fait grâce à des cellules souches de patients souffrant d'une mutation du gène de
Elp1. « On les a reprogrammées en cellules souches pluripotentes induites(2), qui ont été cultivées de manière
à ce qu'elles génèrent du système nerveux. Lorsque Elp 1 et Elp 3 ne sont plus exprimés correctement, ces
cellules souches possèdent un programme de neurogenèse affecté qui mime partiellement le défaut observé
chez l'animal microcéphale. ».
Balance restaurée
Homme, mouche, souris : même constat ! Un complexe Elongator altéré vient chambouler
les processus de neurogenèse directe et indirecte. Mais quel en était le mécanisme ?
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Ce fut la deuxième phase du
travail de recherche. Une analyse moléculaire par séquençage ARN couplée à une analyse morphologique
fine a démontré que l'absence d'Elp 3 induisait un stress au niveau du réticulum endoplasmique, cette
« partie » de cellule faite de tubules membranaires. Ce stress est d'abord ressenti au niveau de la membrane du
réticulum endoplamsique. Ensuite, différents récepteurs vont transduire (soit répondre en envoyant un signal)
sous forme de voie de signalisation, ce qui va in fine permettre de réduire l'impact du stress sur la physiologie
de la cellule. En d'autres termes, cette voie de signalisation va permettre de corriger le défaut qui avait causé
le stress initial. « Ce qui est intéressant, c'est qu'en bloquant la transduction avec des outils génétiques, donc
en empêchant la voie de signalisation d'être activée, on restaure la balance de neurogenèse », pointe Laurent
Nguyen.
Les chercheurs ont donc mis le doigt sur le mécanisme qui pousse la cellule à produire un neurone directement
ou indirectement via le progéniteur intermédiaire. « Dans notre système, lorsqu'on exacerbe la voie de
signalisation en aval du stress, on force la neurogenèse directe, poursuit-il. Dès lors, peut-être qu'au cours du
développement cortical une voie de signalisation physiologique similaire existe, indépendamment du stress.
Et que l'intensité de cette signalisation, lorsqu'elle est réduite, permet le basculement du comportement des
cellules souches de la neurogenèse directe vers l'indirecte ».
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