1 Apparences Monologue Homme Durée

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Apparences
Monologue
Homme
Durée approximative : 8 minutes
Après avoir croisé inopinément une comédienne dans la rue, (un homme) ou (une
femme) raconte la manière dont la scène s’est passée.
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Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN : 978-1-326-44866-0
Dépôt légal : Octobre 2015
© Daniel Pina Lulu.com Éditeur Standard Copyright License
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« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? C’est toujours ce qu’on dit n’est-ce pas.
C’est peut-être parce que je suis devenu ce que je suis, et que c’est sans nul doute
pour cette raison que je le mérite.
Mais quand je vois mon enveloppe corporelle, je me dis que celui qui a fait ça n’a
vraiment pas de mérite.
Non mais tu as vu le résultat, tout le monde est capable d’en faire autant. Oui, voire
pire aussi, c’est vrai. J’espère.
Qui a pu me donner une dégaine pareille ?
Maman ? Papa ? Un copain de papa ?
Franchement, j’estime que je méritais mieux quand même, mon bref passage sur
terre aurait dû se faire en beauté, au lieu de ça, je suis raté en beauté.
Ce n’est pas ma faute si ceci, je ne suis pas responsable de cela, toujours en train de
se plaindre nous sommes, tou-jours. Bon, dans mon cas y a de quoi !
La cause ? Je n’sais pas moi ! C’est peut-être parce que je ne pratique aucune
religion, c’est vrai, je ne crois en rien, Dieu merci !
Il paraît qu’on trouve toujours pire que soi, et aussi plus moche. Oui bon, chacun sa
croix !
C’est vrai, parce qu’hier matin j’en ai vu un qui descendait de sa Limousine, en habits
de scène, un moche… de toute beauté.
Rien à dire, la laideur parfaite, horrible, celle qui fait peur, celui qui fait fuir. Et
pourtant, la surprise passée j’ai vu en lui quelque chose de beau, une attirance.
Ses yeux ? Non ! Son visage ? Non plus ! Son corps ? Encore moins ! Vous voulez
savoir ce qui m’a vraiment plu chez lui ? Sa femme !
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Elle était aussi jolie que lui était laid. Blonde, sensuelle, maquillée sublimement, un
corps de rêve dans une robe de star. L’apparition d’un ange de perfection, aux
délicieux relents de Marilyn. Bon sang qu’elle était belle.
C’est à ce moment que je l’ai reconnu, une de mes comédiennes préférées. C’était la
première fois que je la voyais de près, la surprise était telle que j’ai failli ne pas la
reconnaître.
J’y ai pensé la journée entière, m’imaginant me promener à ses côtés tel le garde
d’un corps qu’on doit regarder, mais surtout pas toucher, fier comme si j’étais le
créateur de cette merveille.
On est comme ça les mecs, l’instinct de propriété, probablement.
J’ai passé des heures à attendre sur le banc en face du théâtre où ils étaient entrés.
L’affiche précisait, dernière répétition, alors je voulais être présent comme un fan
désire approcher la vedette qu’il adule.
Aussi, quand la Limousine est revenue les chercher, je me suis avancé vers la porte
en espérant revoir cette beauté sublime.
Elle est sortie la première, puis arrivée à ma hauteur ses yeux ont croisé les miens.
Ultime chance de lui adresser la parole, de réaliser un fantasme maintes fois tourné
dans ma tête tout au long de ce long après-midi.
Je lui ai tendu l’affiche achetée quelques instants plus tôt pour qu’elle la dédicace,
esquissant un timide sourire, gêné de la déranger dans son quotidien de
comédienne. Mais tellement heureux d’avoir pu la frôler.
Elle est passée, fière, sans un regard, sans un sourire, sans esquisser le moindre
geste de bonté pour cet anonyme que j’étais, et que je comptais rester.
Elle m’a ignoré, comme si j’étais invisible, transparent, comme si je n’existais pas.
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Elle avait changé de tenue, elle était comme les autres, devenue banale, commune,
malgré les bijoux étincelants qui ornaient ses bras, ses mains et son cou.
Certains criaient son nom, les flashs crépitaient de toutes parts, puis sans un mot elle
s’est engouffrée dans la Limousine, comme heureuse d’avoir pu échapper à la foule,
surtout à moi.
Je suis resté le bras tendu, bête, et pour la première fois depuis longtemps, je me
suis senti ridicule, humilié.
Son arrogance de star l’avait soudain rendue d’un coup beaucoup moins
sympathique. Elle m’avait zappé, volontairement, et je me suis juré à ce moment-là,
de faire la même chose la prochaine fois que je la verrai quelque part, que ce soit
dans la rue, au spectacle ou à la télévision, oui, je ferai comme elle, je zapperai.
J’étais sur le point de partir lorsque mon bras fut saisi par la main de son mari. J’étais
le fan qui étais là à leur arrivée et qui avait attendu trois heures, devant l’entrée du
Théâtre, afin d’obtenir une petite dédicace, sur un petit bout de papier, qui m’aurait
tant fait plaisir.
Il en était ému, et son embarras devant l’attitude de sa belle était grand, bien qu’il
n’en fût pas responsable. Il a pris l’affiche, y a griffonné quelques mots, puis m’a
offert deux places pour le spectacle.
Devant mon refus de prendre les billets il a ajouté « ne venez pas pour elle, mais
pour tous les autres, je vous assure que ça en vaut la peine ». Je l’ai remercié et je
suis rentré chez moi, à la fois amer, et satisfait.
Après mûres réflexions j’y suis allé, comme il me l’avait demandé.
J’étais installé à la première rangée du carré d’or, fauteuil face à la scène, entouré de
personnalités prestigieuses du monde des arts et du spectacle.
Il avait eu raison de m’inviter, la pièce était formidable.
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J’ignore par quel miracle la comédienne prétentieuse qui m’avait ignoré quelques
jours auparavant m’a ce soir-là indiscutablement reconnu, mais elle en était très
perturbée.
De me voir au premier rang son jeu de scène fut pitoyable, peut-être regrettait-elle de
ne pas m’avoir accordé quelques secondes de son temps. Elle fut la plus mauvaise
de la troupe de comédiens qui se produisaient, et je ne fus pas le seul à le constater.
Son mari eut les honneurs des spectateurs comblés par sa prestation, et le mien fut
de l’applaudir dans une superbe « standing ovation ».
La soirée passa trop vite, comme tous les bons moments de la vie.
Le lendemain matin, au réveil de la comédienne, à quinze heures, son mari lui mit
sous le nez un article de journal décrivant les qualités de l’auteur de la pièce et des
comédiens.
Ils étaient tous cités, son mari avait droit, lui, aux commentaires les plus élogieux,
mais pas une ligne sur elle, pas un mot.
Elle entra dans une colère noire et s’en pris à son mari, qui de son côté, avait
l’habitude des caprices de sa comédienne de femme.
Voilà, je n’en étais pas plus fier que ça mais, quand on est comme moi rédacteur en
chef d’un grand quotidien national, on peut s’octroyer à l’occasion un petit privilège.
Comme celui de zapper le nom d’une actrice bêcheuse, comme trouver un homme
avec un cœur gros comme ça, au physique peu avantageux mais beau de par son
comportement, très beau de par sa nature gentille et naturelle.
Lorsque son épouse lui demanda ce qu’elle pouvait avoir fait pour mériter ça, il
répondit :
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« C’est sûrement parce que tu es devenue ce que tu es, et que c’est sans nul doute
pour cette raison, que tu le mérites. »
Dans ce monde à part qu’est l’opulence, où règnent en silence des clinquantes
violences, où tout être différent pour eux est transparence, bercé au quotidien par
tant d’indifférence nous font dire, à nous, les gens sans connaissance, qu’il ne faut
surtout pas se fier aux apparences. »
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© Daniel Pina Lulu.com Éditeur Standard Copyright License
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