Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann

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Références et métaphores théâtrales dans
Un amour de Swann
Danièle GASIGLIA-LASTER
Swann et Odette de Crécy se rencontrent pour la première fois au
théâtre, dans ce lieu double où les mondains viennent parader, et
accessoirement regarder le spectacle, miroir ou modèle de leur vie.
Cette première rencontre est un peu emblématique de leurs relations
amoureuses, comme des rapports de la plupart des personnages d’A la
recherche du temps perdu. Le théâtre occupe en effet dans le roman une
place considérable, non seulement par les récits qui sont faits de
certaines représentations et qui permettent de faire figurer l’art
dramatique comme un art à part entière, mais aussi parce qu’il est
intimement lié à l’existence des personnages : on va au théâtre, on
donne chez soi des soirées dramatiques mais, surtout, on se donne soimême en spectacle, on se fait son propre théâtre. A cet égard, au cours
de la soirée chez Mme de Saint-Euverte, une remarque du général de
Froberville, à propos d’une réception à laquelle il a assisté, me paraît
très révélatrice : « Elle nous a donné une jolie soirée de comédie l’autre
jour. C’est un salon qui sera un jour très élégant, vous verrez1. » Le
double sens de « donner une jolie soirée de comédie » est évidemment
volontaire de la part de Proust. L’amie du général a donné une soirée où
chacun a joué parfaitement son rôle et où l’on s’est bien amusé… ou bien
elle a vraiment offert une soirée théâtrale à ses invités. Cette ambiguïté
est caractéristique de la confusion, volontaire, qui s’instaure dans le
récit entre vie et théâtre.
*
Du théâtre-salon au salon-théâtre
Se montrer au théâtre avec quelqu’un peut devenir un rite, ou une
officialisation de ses relations avec un individu ou un groupe. Avant de
connaître Odette, Swann va régulièrement à l’Opéra avec une
2
Américaine qui a son jour réservé à cette sortie et, sachant qu’il n’est pas
libre ce jour-là, les gens qu’il fréquente trouvent son absence toute
naturelle: « Inutile de compter sur Swann ce soir, (…), vous savez bien
que c’est le jour d’Opéra de son Américaine2». De même, pour consacrer
son intégration au sein du clan Verdurin, Swann devra les rejoindre, en
compagnie d’Odette et des fidèles, « au Châtelet ». Le théâtre devient
ainsi une sorte de complément ou de prolongation du salon : il y a les
théâtres où, dans certains milieux, on se doit d’aller. Odette, qui
énumère à Swann tous les « endroits chics », y inclut « L’Eden Théâtre ».
Plus tard, elle voudra se rendre à Bayreuth en compagnie des Verdurin,
moins par intérêt pour Wagner que par snobisme.
On se donne facilement en spectacle dans les théâtres, même quand
on n’est pas acteur, et on devient acteur dans le théâtre mondain que
sont les salons. Mais dans ce théâtre de la vie comme dans l’autre,
certains jouent mieux que d’autres. Cottard, par exemple, qui ne
connaît pas très bien les codes du langage social, ne donne pas toujours
la bonne réplique à ses interlocuteurs. Il semble sorti d’une pièce de
Feydeau – dont Proust connaît bien les œuvres –, tant ses réparties sont
d’un comique énorme, tant il est constamment en décalage par rapport
aux dialogues de convention. Un de ses principaux défauts est de
presque tout prendre au premier degré, en particulier les formules de
politesse :
Quel que fût l’aveuglement de Mme Verdurin à son égard, elle avait
fini, tout en continuant à le trouver très fin, par être agacée de voir que
quand elle l’invitait dans une avant-scène à entendre Sarah Bernhardt,
lui disant, pour plus de grâce : « Vous êtes trop aimable d’être venu,
Docteur, d’autant plus que je suis sûre que vous avez déjà souvent
entendu Sarah Bernhardt, et puis nous sommes trop près de la scène »,
le docteur Cottard qui était entré dans la loge avec un sourire qui
attendait pour se préciser ou pour disparaître que quelqu’un d’autorisé
le renseignât sur la valeur du spectacle, lui répondait : « En effet, on est
beaucoup trop près et on a commencé à être fatigué de Sarah Bernhardt.
Mais vous m’avez exprimé le désir que je vienne. Pour moi vos désirs
sont des ordres. Je suis trop heureux de vous rendre service. Que ne
ferait-on pas pour vous être agréable, vous êtes si bonne3 » !
On pense là, entre autres, à l’arrivée inopinée de Mathieu chez les
Pinglet dans L’Hôtel du libre échange de Feydeau4. Les Pinglet, avec qui
Mathieu a passé les vacances, lui ayant dit « si jamais vous venez à
Paris… vous ne descendrez pas ailleurs que chez nous », Mathieu les
prend au mot et décide de venir s’installer pour un mois chez eux avec
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
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ses quatre filles. Furieux de cette invasion, Pinglet répond à Mathieu
qui lui rappelle son invitation : « Mais quoi !… ce sont des choses qu’on
dit par politesse ! » Les gestes et mimiques de Cottard, comme ses
répliques, sont constamment déplacés. Il fait des clins d’œil à Swann
qui s’imagine que le docteur l’a rencontré dans des lieux douteux, alors
que ces clins d’œil n’ont pas du tout, pour le docteur, le sens donné par
leur destinataire. Ce qui sauve Cottard, malgré ces faux pas, aux yeux
des Verdurin, c’est qu’il les admire, eux et leur salon, et le proclame.
D’autre part, il est bien accordé au style de cette société bourgeoise un
peu vulgaire. Si le fond n’y est pas, la forme y est… Swann, en
revanche, habitué à un autre monde, ne joue pas toujours le rôle que les
Verdurin voudraient lui voir interpréter et n’est pas dans le ton ; on
pourrait quasiment dire qu’il est, chez eux, à contre-emploi. Par
contrecoup il n’est pas non plus très bon public dans ce salon-théâtre où
les textes ne lui conviennent guère : ni les « tirades prétentieuses et
vulgaires que le peintre lançait à certains jours », ni les « plaisanteries
de commis voyageur que risquait Cottard » ; Swann, « qui les aimait l’un
et l’autre », leur « trouvait facilement des excuses mais n’avait pas le
courage et l’hypocrisie d’applaudir 5 ».
Pourtant, lui aussi sait jouer la comédie, faire des effets. Il brosse
un tableau flatteur des Verdurin à un de ses anciens camarades avec,
précise le narrateur, « cette légère émotion qu’on éprouve quand, même
sans bien s’en rendre compte, on dit une chose non parce qu’elle est
vraie, mais parce qu’on a plaisir à la dire et qu’on l’écoute dans sa propre
voix comme si elle venait d’ailleurs que nous-mêmes 6 ». Swann s’écoute
donc parler comme un acteur cabotin et comme s’il récitait le texte de
quelqu’un d’autre. Dans les salons aristocratiques, les femmes ont
l’habitude de ses métaphores flatteuses et bien tournées qui sont
devenues pour lui, quand il a un interlocuteur et surtout une
interlocutrice, une seconde nature: à tel point qu’il utilise le même style
face à une jeune prostituée à qui il confie ses chagrins et face à une
duchesse. Swann peut donc être, lui aussi, mauvais acteur quand il
n’est pas dans le style de salon qui lui convient et qu’il ne tient pas
compte de l’horizon d’attente (comme on dirait aujourd’hui) de son
public.
Les Verdurin, en revanche, révèlent non seulement des talents
d’acteurs mais également de metteurs en scène. Il faut dire qu’ils sont
les maîtres d’œuvre du théâtre qui se joue chez eux. Ils dirigent leurs
invités avec autorité, acceptant mal que ceux-ci ne restent pas à la place
qui leur est impartie, ne soient pas fidèles à la distribution des rôles :
4
En demandant à être présenté à M. Saniette, Swann fit à Mme
Verdurin l’effet de renverser les rôles (au point qu’en réponse, elle dit en
insistant sur la différence : « Monsieur Swann, voudriez-vous avoir la
bonté de me permettre de vous présenter notre ami Saniette7 ) ...».
Eux connaissent parfaitement leurs textes et leurs rôles, les
préparent, les rejouent. En parlant au peintre Biche du portrait qu’il est
en train de faire du docteur Cottard, Mme Verdurin, certaine de son
succès, offre un bis :
« Pensez bien (…) à rendre le joli regard, le petit côté fin, amusant,
de l’œil. Vous savez que ce que je veux surtout avoir, c’est son sourire, ce
que je vous ai demandé, c’est le portrait de son sourire ». Et comme
cette expression lui sembla remarquable elle la répéta très haut pour être
sûre que plusieurs invités l’eussent entendue, et même, sous un prétexte
vague, en fit rapprocher quelques-uns.8
Comme tout comédien, le couple vedette a ses textes préférés. M.
Verdurin a l’habitude de demander à leur ami musicien de jouer
l’arrangement pour piano d’une sonate. Et sa femme lui donne la
réplique :
– Ah ! non, non, pas ma sonate ! (…) je n’ai pas envie à force de
pleurer de me fiche un rhume de cerveau avec névralgies faciales,
comme la dernière fois ; merci du cadeau, je ne tiens pas à
recommencer ; vous êtes bons vous autres, on voit bien que ce n’est pas
vous qui garderez le lit huit jours 9 !
Cette petite scène, explique le narrateur, « qui se renouvelait
chaque fois que le pianiste allait jouer enchantait les amis aussi bien
que si elle avait été nouvelle, comme une preuve de la séduisante
originalité de la “Patronne” et de sa sensibilité musicale. Ceux qui
étaient près d’elle faisaient signe à ceux qui plus loin fumaient ou
jouaient aux cartes, de se rapprocher, qu’il se passait quelque chose (…).
Et le lendemain on donnait des regrets à ceux qui n’avaient pas pu venir
en leur disant que la scène avait été encore plus amusante que
d’habitude10 ».
La femme et le mari ont mis au point, chacun de leur côté, un jeu de
scène pour montrer qu’ils rient et limiter leurs efforts. Mme Verdurin se
livre « à la place à une mimique conventionnelle » en « plongeant sa
figure dans ses mains ». Envieux de cette trouvaille, M. Verdurin trouve
lui aussi le moyen de mimer le rire:
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
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A peine avait-il commencé à faire le mouvement d’épaules de quelqu’un
qui s’esclaffe qu’aussitôt il se mettait à tousser comme si, en riant trop
fort, il avait avalé la fumée de sa pipe. Et la gardant toujours au coin
de sa bouche, il prolongeait indéfiniment le simulacre de suffocation et
d’hilarité.
Ainsi, commente le narrateur, « lui et Mme Verdurin (…) avaient
l’air de deux masques de théâtre qui figuraient différemment la gaîté11 ».
Mme Verdurin se compose souvent, en effet, un masque, pour
prendre ses distances, comme dans le théâtre antique, avec les
spectateurs. Pour bien montrer qu’elle n’est plus dans le même espace
que les autres, qu’elle est ailleurs. Ce qui lui permet aussi de refuser
une répartie ou un dialogue qui lui répugne. Quand, par exemple,
Forcheville évoque les relations aristocratiques de Swann, la
« Patronne » dépouille son visage « de toute vie, de toute motilité ». On
dirait « que sa bouche entr’ouverte » va « parler ». Ce n’est plus « qu’une
cire perdue, qu’un masque de plâtre 12 (…) ». Cette soudaine prise de
distance permet aussi à la « patronne » de montrer qu’elle prend de la
hauteur, qu’elle est supérieure au reste de la troupe. Elle met en scène
cette supériorité en s’installant, pendant les discussions avec les fidèles,
sur « un haut siège suédois ».
Habitué à cet univers artificiel où on ne dit pas la vérité, où on se
compose un personnage, Swann ne sait plus démêler le vrai du faux.
Odette est-elle sincère ou lui joue-telle constamment la comédie? Les
moments passés avec elle sont-ils authentiques ou ne sont-ils qu’une
succession de scènes de théâtre ? C’est cette dernière hypothèse qui
l’emporte le plus souvent, sauf pendant de courts moments de sérénité :
Il avait le brusque soupçon que cette heure passée chez Odette, sous
la lampe, n’était peut-être pas une heure factice, à son usage à lui (…),
avec des accessoires de théâtre ou des fruits de carton 13 …
Swann sait-il qu’Odette a été une actrice de troisième ordre ? Ce
détail nous sera révélé dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs par son
portrait en « Miss Sacripant » découvert par le narrateur chez Elstir.
S’agirait-il du rôle de Giovanino, héros d’un opéra-comique de Jules
Duprato, intitulé Sacripant 14 ? Ce rôle doublement ambigu – l’actrice
incarne un homme mais est censée être déguisée en femme dans les
deux dernières scènes – ressemble étrangement à celui que lui prête
Swann : il la soupçonne d’avoir des relations amoureuses avec des
femmes.
6
Dans les milieux aristocratiques, la vie n’est pas moins factice et, à
plus forte raison, la vie de salon. Comme chez les bourgeois que sont les
Verdurin, les réceptions sont soigneusement préparées, avec figurants et
décors adéquats. Dès son arrivée à l’hôtel Saint-Euverte, Swann
remarque à quel point ces jours de cérémonies sont comme un « résumé
fictif de leur vie domestique que les maîtresses de maison prétendent
offrir à leurs invités », cherchant « à respecter la vérité du costume et
celle du décor 15 ». L’entrée de l’hôtel, où chaque domestique tient son
rôle avec une solennité et une élégance parfaites, ressemble à l’entrée
d’un théâtre ou d’un opéra, à tel point que c’est à la peinture puis à la
sculpture que le narrateur se met à emprunter ses comparaisons, comme
si ce monde s’était soudain figé dans son irréalité esthétique. Les
grandes marches qu’il faut gravir avec majesté ne manquent pas au
tableau. Mais le salon, où se retrouvent les invités de Mme de SaintEuverte, semble plutôt l’équivalent de la scène que de la salle où sont
assis les spectateurs. Il faut aller « au-delà de la tenture de tapisserie »
pour y pénétrer, en quelque sorte traverser le rideau, entrer dans la
pièce… de théâtre. Une des principales étoiles de cette représentation
mondaine est la princesse des Laumes qui, sous prétexte de paraître simple,
fait une entrée de théâtre dans le salon de Mme de Saint-Euverte :
Pour montrer qu’elle ne cherchait pas à faire sentir, dans un salon,
où elle ne venait que par condescendance, la supériorité de son rang, elle
était entrée en effaçant les épaules là même où il n’y avait aucune foule à
fendre et personne à laisser passer, restant exprès dans le fond, de l’air
d’y être à sa place, comme un roi qui fait la queue à la porte d’un théâtre
tant que les autorités n’ont pas été prévenues qu’il est là 16.
La princesse joue les modestes pour surprendre davantage quand elle
sera remarquée. Comme les Verdurin mais, bien sûr, d’une autre
manière, elle soigne ses effets, cherche à séduire, à impressionner, à
subjuguer. Ce besoin de plaire vise toutes les composantes public, même
celles qu’elle méprise. La princesse n’aime pas dire aux gens qu’elle ne
veut pas aller chez eux et trouve toujours un prétexte pour refuser leurs
invitations, en ayant l’air désolée.
Langage et comportements : le théâtre comme modèle.
Cette imitation du théâtre se traduit de manière plus directe quand
les pièces, les opéras, les vaudevilles deviennent à tel point des modèles
qu’on en adopte les mots, le langage, la façon de se comporter. Ainsi,
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
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Mme Verdurin appelle la famille Trémoïlle les « d’La Trémoïlle » comme
il est d’usage dans les chansons des cafés-concerts. L’esprit de la
princesse des Laumes est rapproché à plusieurs reprises par le
narrateur de celui de Meilhac et Halévy ; c’est-à-dire qu’il se distingue
plus par l’humour que par la profondeur, à l’instar de celui de ces
librettistes vedettes de la fin du XIXe siècle qui ont collaboré notamment
avec Offenbach et aussi beaucoup écrit pour le boulevard. La fréquence
avec laquelle ils sont mentionnés dans la Recherche correspond à leur
popularité d’alors. Même la cuisine subit l’influence du théâtre : une
amie de Mme Cottard a fait exécuter chez elle « la salade japonaise »
dont il est question dans Francillon, la pièce de Dumas qu’il est de bon
ton d’aller voir.
La ressemblance des personnages avec ceux des pièces de théâtre
peut n’être pas volontaire de leur part. Swann, après avoir rompu avec
les Verdurin, les dit sortis « du théâtre de Labiche ! ». La comparaison
n’est pas flatteuse, Labiche montrant dans ses pièces des bourgeois sans
finesse, snobs, égoïstes, hypocrites et, par dessus tout, profondément
ridicules. C’est Proust lui-même, bien souvent, qui met en relation les
dialogues de ses personnages, leurs attitudes, avec des œuvres
dramatiques. Swann, comme Orphée, part à la recherche de son
Eurydice dans les rues de Paris. Le rapport de l’histoire de Swann et
d’Odette avec le mythe a été souvent mis en relief et développé 17 mais il
me semble que Proust fait surtout référence à l’opéra de Gluck: «Parfois,
commente le narrateur, l’ombre d’une femme qui s’approchait de lui, lui
murmurant un mot à l’oreille, lui demandant de la ramener, fit
tressaillir Swann. Il frôlait anxieusement tous ces corps obscurs comme
si parmi les fantômes des morts, dans ce royaume sombre, il eût cherché
Eurydice 18 ». « Royaume sombre » parce que Swann recherche Odette en
pleine nuit, équivalent du « monde des Ténèbres » de l’opéra ; « corps
obscurs » comme le « Chœur des ombres » qui apparaît à Orphée chez
Gluck. La référence à l’opéra revient plus loin comme un leitmotiv, au
moment de la soirée Saint-Euverte, où Swann se met dans un coin pour
entendre « un air d’Orphée qu’exécutait un flûtiste 19 », probablement l’air
de solo pour flûte de l’acte II.
Parfois l’intertextualité est moins évidente, comme celle qu’il m’a
semblé déceler avec un passage de la pièce de Victor Hugo, Marion de
Lorme, au cours du dialogue entre Swann et la princesse des Laumes
chez Mme de Saint-Euverte. « Avouez que la vie est une chose affreuse.
Il n’y a que quand je vous vois que je cesse de m’ennuyer », dit la
princesse. Et Swann lui répond : « Oh ! oui, la vie est une chose affreuse.
Il faut que nous nous voyions, ma chère amie. Ce qu’il y a de gentil avec
8
vous, c’est que vous n’êtes pas gaie 20 ». Cet échange pourrait être une
réécriture du dialogue, lui-même très humoristique, de Louis XIII avec
son bouffon, l’Angely, dans le texte de Hugo. Après avoir avoué à un de
ses courtisans, le duc de Bellegarde, qu’il s’ennuie, le roi dit à son
bouffon L’Angely qui est resté seul avec lui : « (…). Toi qui, seul,
quelquefois me dérides, / Viens. » Et le bouffon répond : « N’est-ce pas
que la vie est une chose amère, / Sire ? » et se met à proférer des propos
sinistres au roi qui, ravi, s’écrie : « Que tu me fais plaisir de parler de la
sorte 21 ! ». La princesse des Laumes, on le découvrira plus tard, n’a pas
une amitié très profonde pour Swann ; il lui plaît parce qu’il est brillant
en société et que sa compagnie lui est agréable. Il fait en quelque sorte
office de bouffon…
Décrypter le référent théâtral pourrait ressembler à ce jeu qui
consiste à regarder une image et à y trouver, se confondant à première
vue dans l’ensemble, des silhouettes et des figures finalement
identifiables. Le narrateur ne nomme jamais don Juan dans Un amour
de Swann ; pourtant Swann est bien une sorte de don Juan, proche de
celui de Molière mais aussi de celui de Da Ponte, du moins avant qu’il ne
tombe amoureux d’Odette : il collectionne les femmes de différents pays,
de diverses conditions sociales, ayant eu pour maîtresses des
aristocrates, des bourgeoises, des petites bonnes, des maigres et des
grasses, sa préférence allant plutôt aux petites bonnes bien en chair.
Odette de Crécy porte le prénom de l’héroïne du Lac des cygnes (Swan
Lake), qui, dans le ballet de Tchaïkovski, a été transformée en cygne par
un maléfice. Quand on sait qu’elle deviendra Odette Swann, on ne peut
s’empêcher de penser que Proust fait un clin d’œil à ses lecteurs. Le
cygne, c’est aussi, chez Wagner, l’animal en lequel a été métamorphosé
par Ortrude le frère disparu d’Elsa, le jeune duc de Brabant, que rend à
lui-même Lohengrin, l’homme mystérieux qui, comme le narrateur de la
Recherche, ne peut dire son nom. Mais Swann, s’il est envoûté par
Odette, joue plutôt, en accablant la jeune femme de questions pour
savoir non seulement ce qu’elle a fait mais qui elle est vraiment, le rôle
d’Elsa. Quant au patronyme des Verdurin, ces admirateurs de Wagner,
il pourrait être un dérivé de L’Or du Rhin…
Les références théâtrales : éléments d’un contexte culturel ou
mises en abyme ?
Le théâtre est un grand sujet de conversation. Les personnages
parlent des pièces qui se jouent, de celles qu’ils ont vues ou qu’ils n’ont
pas vues, de celles dont les autres parlent, de celles qu’ils aiment ou
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
9
qu’ils n’aiment pas. Ces références, faites dans de nombreux cas à des
pièces que les contemporains de Proust, pour la plupart, connaissaient
bien, étaient limpides pour les lecteurs de 1913 ; elles le sont beaucoup
moins pour nous. Il m’a donc paru intéressant d’aller à la recherche de
ces référents perdus et de leurs significations.
Généralement utilisées pour illustrer l’époque à laquelle se situe la
narration, pour servir en quelque sorte d’éléments d’un décor culturel et
cela surtout lorsqu’elles sont contemporaines, les références théâtrales
sont choisies aussi pour leur contenu et entretiennent la plupart du
temps un lien étroit avec le roman, en proposant même, dans certains
cas, une véritable mise en abyme.
Lorsqu’il s’agit simplement d’une citation, celle-ci sert surtout à
formuler humoristiquement son propos. Ainsi au grand-père du
narrateur, chaque fois qu’un ami vient annoncer que Swann est devenu
charmant et ne le quitte plus. Sachant que l’ami en question doit être
proche d’une femme qui intéresse Swann, le grand-père regarde alors la
grand-mère en fredonnant :
Quel est donc ce mystère ?
Je n’y puis rien comprendre.
ou :
Vision fugitive…
ou :
Dans ces affaires
Le mieux est de ne rien voir 22 .
Une petite scène de théâtre, à laquelle le principal intéressé, l’ami
dont Swann est devenu l’intime, ne comprend rien, se joue entre les
grands-parents du narrateur. Ces citations sont tout à fait
transparentes, détachées de leur contexte, et n’ont peut-être pas d’autre
sens que celui qu’elle prennent dans la bouche du grand-père qui
suggère qu’en réalité il n’y a pas de mystère au soudain intérêt de
Swann pour son ami, que cet intérêt sera fugitif, et que le mieux est sans
doute de laisser l’intéressé dans son heureuse ignorance. Mais quand on
sait d’où sont extraites ces citations : de La Dame Blanche 23 de
Boieldieu, d’Hérodiade 24 de Massenet, et de Barbe-bleue 25 d’Offenbach,
on se dit que les titres de ces œuvres ajoutent un sens comique aux
citations : cherchez donc la mystérieuse dame (Odette, rappelons-le, est
« la dame en blanc 26 » dans « Combray »), Swann s’est trouvé une
nouvelle Salomé (l’opéra de Massenet racontant l’histoire de la
légendaire danseuse), elle viendra s’ajouter à la collection de ce barbe-
10
bleue d’opérette.
L’intérêt des personnages pour telle ou telle œuvre est souvent
révélateur. Odette, par exemple, a une prédilection pour La Reine
Topaze, opéra-comique de Victor Massé27. C’est le mauvais goût musical
d’Odette qui semble en cause. Ce mauvais goût enchante et attendrit
d’abord Swann, comme tout ce qui vient d’Odette, parce qu’il est dans la
période idyllique de leur amour. Mais Odette est peut-être sensible,
aussi, à ce que dit le livret, de Lockroy et Battu, qui raconte les amours
d’une jeune bohémienne ; celle-ci séduit un seigneur sans lui dire sa
véritable identité. Il ne la connaîtra qu’après bien des péripéties : elle
est en réalité reine de Bohème. Rappelons à cette occasion que Carmen
a été un temps, dans les brouillons, un prénom d’Odette. Thierry Laget
a bien montré tout ce qui rapprochait le personnage de Proust de celui
de Bizet et a fait judicieusement remarquer que le livret de l’opéra est de
Meilhac et Halévy, ces librettistes dont la princesse des Laumes a
l’esprit : « Swann possède ce même esprit. Il est, ainsi, presque
prédestiné à s’éprendre d’une Carmen 28 … ». Quelque temps après,
Odette refuse de sortir avec Swann, en prétextant qu’elle doit aller voir
Une nuit de Cléopâtre, opéra du même Massé 29, composé sur un livret de
Jules Barbier. Alors que dans le premier cas il était attendri, cette fois,
Swann est exaspéré. Odette semble en tout cas être attirée par le même
genre d’histoires. Une nuit de Cléopâtre raconte l’amour d’un esclave
pour la reine d’Egypte. La reine propose au pauvre homme de passer la
nuit avec lui, à condition qu’il se donne la mort ensuite. Appréciant
particulièrement cette nuit avec l’esclave, elle veut le sauver. Mais ce
dernier, fou de jalousie à l’idée qu’elle va retrouver les bras d’Antoine,
s’empoisonne. Outre qu’elles témoignent de la sentimentalité naïve du
personnage d’Odette, qui se passionne pour les aventures amoureuses
des reines de la fiction ou de l’histoire, ces deux pièces comportent des
personnages de femmes dominantes : l’homme y est plus ou moins leur
jouet et si la première des pièces a un dénouement heureux, en
correspondance avec l’amour un moment partagé de Swann pour Odette,
la seconde se termine mal, en correspondance avec la phase déclinante
des relations du couple.
Odette raffole aussi de Serge Panine, pièce de Georges Ohnet 30, qui
propose plutôt le schéma inverse : Micheline, jeune bourgeoise fortunée,
est épousée pour son argent par le prince Serge Panine. La belle-mère
de celui-ci, Mme Desvarennes, fatiguée de payer les dettes de son
gendre, lui coupe les vivres. Il s’acoquine alors avec un financier véreux
qui lui fait faire des affaires louches et le déshonore. Mme Desvarennes
tue son gendre pour éviter qu’il ne comparaisse en cour d’assises. Un
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
11
ami dévoué de la famille fera passer le meurtre pour un suicide. Au
moment le plus serein de leur amour, Swann, toujours indulgent, va voir
la pièce pour partager les goûts d’Odette. Mais quand il en est à
nouveau question chez les Verdurin, il est beaucoup moins enclin à « être
de moitié » dans les goûts de la jeune femme. C’est Mme Cottard qui lui
rappelle l’intérêt d’Odette pour Georges Ohnet, en disant le partager
mais préférer encore à Serge Panine Le Maître de forges 31. Swann prend
alors un air ironique et dit que « son manque d’admiration est à peu près
égal pour ces deux chefs-d’œuvre 32 ». Là encore, la crise que connaît son
amour lui fait prendre ses distances avec les engouements d’Odette. Le
Maître de forges raconte l’histoire de Philippe Derblay, riche bourgeois
au grand cœur, qui épouse Claire de Beaulieu, jeune aristocrate ruinée
et dédaignée pour cela par son fiancé, le duc de Bligny. La noblesse des
sentiments de Philippe réussira à le faire aimer de sa femme qui, au
départ, ne l’épouse que par dépit et vengeance. Peut-être n’est-il pas si
étonnant que Mme Cottard, incarnation de la bourgeoisie qui a réussi,
soit attirée par ces pièces qui montrent des aristocrates sans scrupule
face à de puissants et généreux bourgeois. Quant à Odette, elle essaie
de se faire une honorabilité bourgeoise –l’aristocratie étant un milieu
impossible à approcher pour elle. D’autre part, il y a dans Le Maître de
forges une intrigue sentimentale qui doit lui plaire. Swann, en
revanche, qui est reçu dans les milieux aristocrates et qui commence à
être en mauvais termes avec les Verdurin, n’apprécie sans doute pas
l’idéologie des pièces de Georges Ohnet, indépendamment de ce qu’il
peut penser de leur qualité intrinsèque.
C’est pour être utile à la carrière de son mari que Mme Cottard
parle théâtre. Elle n’a pas vu Francillon 33 dont elle évoque la « salade
japonaise » qui est un des principaux sujets de conversation « dans les
salons », du moins ceux que fréquente la femme du docteur. Swann ne
semble pas apprécier, non plus, cette pièce. On le comprend… De fait,
la « salade », dont la jeune première donne la recette pendant presque
toute une scène, en est la principale originalité. Mais Francillon ne sert
pas uniquement à brosser le décor d’une époque : l’œuvre est aussi pour
le narrateur prétexte à se moquer des modes et des discussions soidisant culturelles dans les salons ainsi que de la futilité des critères de
succès. Cependant, le rejet de Swann qui, contrairement à son habitude,
se montre peu aimable avec Mme Cottard, pourrait bien ne pas tenir
uniquement, là encore, à des critères esthétiques. La pièce raconte les
problèmes d’un couple, Lucien et Francine. Lucien trompe Francine
sans vergogne mais veut la quitter quand elle lui dit que, pour se venger,
elle lui a rendu la pareille. Swann, qui a lui-même passé beaucoup de
12
temps avec de fraîches petites bonnes au début de sa liaison avec Odette
mais qui est violemment jaloux de celle-ci quand il suppose qu’elle le
trompe, n’apprécie pas forcément ce reflet vaudevillesque de sa propre
situation.
Swann est d’ailleurs tellement obsédé par Odette et la vie secrète
qu’il lui devine, que le moindre titre de pièce lui apparaît comme un
miroir des états d’âme de la jeune femme. En cherchant un spectacle à
aller voir avec la princesse des Laumes, il est soudain effondré à la vue
d’un titre, Les Filles de marbre. Le narrateur nous explique pourquoi
ces mots lui font un tel effet : il se souvient d’un propos rapporté par
Odette à qui Mme Verdurin aurait dit un jour : « Prends garde, je saurai
bien te dégeler, tu n’es pas de marbre 34. » Mais la pièce de Théodore
Barrière 35 nous en dit plus long sur le rapport qu’il peut y avoir entre
Odette et « les filles de marbre ». Dans un épilogue, l’auteur raconte
l’histoire du sculpteur Phidias, tombé amoureux de trois statues qu’il a
créées. Il voudrait les garder auprès de lui mais elles tournent leur
visage de marbre vers un client du sculpteur, qui fait étalage de sa
richesse et veut les acheter. Elles ont choisi… Pareille à ces filles de
marbre, Marco, une jeune fille vénale, se fatigue vite d’un jeune peintre
au nom prédestiné, Raphaël. Elle retournera finalement à sa vie
dépravée, dédaignant la passion du jeune homme. De même, Odette
conserve-telle son âme de cocotte malgré la passion de Swann qui se
rend très vite compte de l’inconstance de sa maîtresse et de son intérêt
pour l’argent.
Pourtant, il ne faudrait pas tomber dans le travers qui consisterait à
trouver à tout prix une relation entre le texte proustien et l’œuvre qu’il
cite. Je me trompe peut-être mais je n’ai pas vu d’autre sens à
l’évocation des Danicheff 36 que celui qui est tout à fait apparent dans le
texte : c’est une pièce qui a des chances d’avoir beaucoup de succès, d’où
l’intérêt pour les Verdurin, pense Swann, d’obtenir un coupe-file à
l’occasion de la reprise de cette œuvre. Du point de vue des Verdurin,
avoir un coupe-file, c’est montrer qu’on est quelqu’un de très important,
qui a droit à des faveurs, c’est entrer au théâtre en faisant son effet,
comme un acteur qui se fait remarquer en entrant en scène.
Les dramaturges contemporains : absents ou cachés?
On peut s’interroger sur l’absence d’auteurs dramatiques
contemporains que Proust connaît personnellement, auxquels il écrit,
dont il va voir les pièces. Aucune mention ni citation, aussi bien dans
Un amour de Swann que dans toute la Recherche, de Porto-Riche,
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
13
François de Curel, Antoine Bibesco, Henry Bernstein. Il m’a semblé
toutefois intéressant de me reporter aux pièces de ces auteurs quand
Proust les avait vues et j’ai pu constater qu’y sont traités de nombreux
thèmes chers au romancier : la difficulté d’aimer et d’être aimé dans le
même temps, la jalousie, l’antagonisme des classes aristocratique et
bourgeoise (comme chez Georges Ohnet), les rapports amoureux des
hommes avec les actrices et les courtisanes, les rapports entre mères et
fils, etc. Bien sûr, certaines questions se posent avec plus d’acuité à des
époques données: il est évident que la fin du XIXe siècle et le début du
XXe voient l’émergence d’une bourgeoisie qui a réussi dans les affaires et
qui veut rivaliser avec une aristocratie déclinante et ruinée, et que les
hommes d’un milieu social élevé, bourgeois ou aristocrates, ont souvent,
à cette époque, des maîtresses du demi-monde… Mais je crois qu’il faut
peut-être aller au-delà de ces ressemblances inévitables entre
contemporains. Il me semble que Proust, qui connaît bien ce théâtre de
boulevard, a pu vouloir rivaliser avec lui – comme nous avons vu qu’il le
faisait probablement, par moments, avec celui de Labiche ou avec celui
de Feydeau. Démontrer qu’il pouvait traiter avec génie des sujets
exploités sans finesse a pu constituer pour lui une sorte de gageure. Il
est amusant, par exemple, de retrouver sous une forme un peu
différente, la constatation de Swann lorsqu’il n’aime plus Odette : « Dire
que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu
mon plus grand amour pour une femme qui ne me plaisait pas, qui
n’était pas mon genre ! » dans la bouche d’Anna, l’héroïne de L’Invitée de
François de Curel. Retrouvant son mari quelques années après l’avoir
quitté et stupéfaite de constater à quel point il manque de séduction, elle
se demande comment elle a pu l’aimer : « se dire : “voilà l’être ridicule
pour lequel j’ai été extrêmement malheureuse !” ». Proust semble avoir
été impressionné par cette pièce puisqu’il écrivit un texte inspiré par
elle, publié dans La Revue Blanche de juillet-août 1893 et repris dans
Les Plaisirs et les jours 37. Etienne, héros d’Amoureuse de Porto-Riche 38,
est excédé par sa femme parce qu’elle l’aime trop, et commence à la
regarder avec intérêt lorsqu’il pense qu’elle l’a trompé… La jalousie du
passé occupe un rôle prépondérant dans les relations amoureuses de ce
théâtre et c’est souvent la jalousie qui y alimente l’amour.
*
Dire que la vie est un théâtre peut paraître une banalité qui a
souvent été exploitée en littérature. Proust, lui, ne le dit pas mais le
démontre, avec, je crois, beaucoup d’originalité, et de diverses façons :
14
plus que par une traditionnelle démonstration psychologique, il révèle le
caractère de ses personnages par leurs paroles et leurs silences, leurs
gestes et les intonations de leur voix, leur manière de s’habiller, le décor
dans lequel ils vivent; et le romancier donne souvent à voir et à
entendre, comme au spectacle. Les métaphores théâtrales se
développent tout au long de l’œuvre avec cohérence, faisant écho à toute
une thématique empruntée à l’art dramatique. En fait cette
assimilation de la vie à un théâtre se présente comme une des
manifestations de l’interpénétration constante, dans l’œuvre, de la
réalité et de la fiction, qui rivalisent, s’influencent. Le roman proustien
prend ainsi une dimension shakespearienne et pose quantité de
questions : sommes-nous faits de l’étoffe des songes ? Odette n’est-elle
qu’une projection de l’imagination de Swann ? saurons-nous jamais qui
est l’autre ? Ce besoin de se donner en spectacle, d’attirer les regards sur
soi, ne manifeste-t-il pas une envie irrésistible de plaire, d’être aimé ?
Cette imitation du théâtre, cette envie intense d’être sous les projecteurs
est contraire à la création. Le peintre ridicule du salon Verdurin,
Monsieur Biche, dont le nom est très proche de celui de Labiche, et dont
le personnage sort sans doute, lui aussi, comme le « Patron » et la
« Patronne », du théâtre de celui-ci, ne deviendra Elstir, artiste génial,
que lorsqu’il prendra ses distances avec la vie mondaine. Swann, en
revanche, ne réussira jamais à être autre chose qu’un brillant homme du
monde, le «petit Charles » de la princesse des Laumes. Le temps perdu
ne se retrouve qu’à l’intérieur de soi, une fois enlevés les masques. Mais
on peut être acteur à la manière de la Berma, autre artiste de génie :
celle-ci, qui hérite, entre autres, de certaines qualités de Sarah
Bernhardt mais également de la grande chanteuse wagnérienne
Brema 39, intériorise le texte, le réinvente par sa manière personnelle de
le dire, le fait sien, mêle à son interprétation des références sculpturales,
picturales et musicales, en fait plus que du théâtre, un art qui embrasse
toutes les formes artistiques. De la même façon, Proust qui fait
référence et emprunte à tous les genres – musique, peinture, poésie –, se
sert de toute la culture dramatique qui est la sienne pour suggérer que
le roman peut être aussi théâtre.
Notes
1. A la recherche du temps perdu, tome I, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, Du côté de chez Swann II, p.338. J’utiliserai par la suite
l’abréviation RTP I.
Références et métaphores théâtrales dans Un amour de Swann
15
2. RTP I, p.192.
3. RTP I, p.198.
4. Pièce en trois actes représentée pour la première fois à Paris, le 5
décembre 1894 au théâtre des Nouveautés. Ecrite en collaboration avec
Maurice Desvallières.
5. RTP I, p. 247.
6. RTP I, p. 245.
7. RTP I, p. 200.
8. Ibid.
9. RTP I, p. 203.
10. Ibid.
11. RTP I, p.258.
12. RTP I, p. 254.
13. RTP I, p. 294.
14. Sacripant (livret de Philippe Gille, musique de Jules Duprato) fut
représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre des Fantaisies
parisiennes le 24 septembre 1866.
15. RTP I, p.317.
16. RTP I, p. 325
17. Notamment par Marie Miguet-Ollagnier dans La Mythologie de
Marcel Proust, Les Belles Lettres, 1982.
18. RTP I, p. 227.
19. RTP I, p. 322.
20. RTP I, p.336.
21. Victor Hugo, Marion de Lorme, acte IV, scène 8.
22. RTP I, p.191.
23. Livret de Scribe (1825).
24. Opéra créé en 1881.
25. Opéra-comique créé en 1866.
26. « “Allons, Gilberte, viens ; qu’est-ce que tu fais” cria d’une voix
perçante et autoritaire une dame en blanc … ». Voir RTP I, p. 140. Mais elle
sera, bien sûr, la dame en blanc après avoir été « la dame en rose », les
événements relatés dans « Un amour de Swann » étant antérieurs à ceux de
« Combray ».
27. Créé en 1856.
28. Thierry Laget présente Un amour de Swann de Marcel Proust,
Foliothèque, Gallimard, 1991, p.89
29. Créé en 1885.
30. Créée en 1881.
31. Pièce créée en 1883.
32. RTP I, p.253.
33. Pièce d’Alexandre Dumas fils, créée au Théâtre-Français en 1887.
34. RTP I, p.354.
35. Créée en 1853.
36. Pièce de Pierre Newsky (pseudonyme de Pierre de Corvin-
16
Kroukowsky), représentée pour la première fois à Paris au théâtre de l’Odéon
en 1876, elle fut reprise notamment en 1884 et en 1896. Alexandre Dumas
fils y collabora. La cruauté des boyards (les nobles de Russie) y est dénoncée,
particulièrement en la personne de la comtesse Danicheff, prête à accepter le
malheur de son fils plutôt que de lui laisser épouser une serve. La vraie
noblesse, celle du cœur, se révèle en la personne du moujik Osip.
37. Il a assisté à la première le 19 janvier 1893.
38. La première eut lieu au théâtre de l’Odéon, avec Réjane, le 25 avril
1891.
39. Voir Danièle Gasiglia-Laster, « Genèse d’un personnage : la Berma »,
dans Marcel Proust 1, A la recherche du temps perdu, des personnages aux
structures, textes réunis par Pierre-Edmond Robert, La Revue des Lettres
Modernes, Minard, 1992, p.17-31.
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