Américaine qui a son jour réservé à cette sortie et, sachant qu’il n’est pas
libre ce jour-là, les gens qu’il fréquente trouvent son absence toute
naturelle: « Inutile de compter sur Swann ce soir, (…), vous savez bien
que c’est le jour d’Opéra de son Américaine2». De même, pour consacrer
son intégration au sein du clan Verdurin, Swann devra les rejoindre, en
compagnie d’Odette et des fidèles, « au Châtelet ». Le théâtre devient
ainsi une sorte de complément ou de prolongation du salon : il y a les
théâtres où, dans certains milieux, on se doit d’aller. Odette, qui
énumère à Swann tous les « endroits chics », y inclut « L’Eden Théâtre ».
Plus tard, elle voudra se rendre à Bayreuth en compagnie des Verdurin,
moins par intérêt pour Wagner que par snobisme.
On se donne facilement en spectacle dans les théâtres, même quand
on n’est pas acteur, et on devient acteur dans le théâtre mondain que
sont les salons. Mais dans ce théâtre de la vie comme dans l’autre,
certains jouent mieux que d’autres. Cottard, par exemple, qui ne
connaît pas très bien les codes du langage social, ne donne pas toujours
la bonne réplique à ses interlocuteurs. Il semble sorti d’une pièce de
Feydeau – dont Proust connaît bien les œuvres –, tant ses réparties sont
d’un comique énorme, tant il est constamment en décalage par rapport
aux dialogues de convention. Un de ses principaux défauts est de
presque tout prendre au premier degré, en particulier les formules de
politesse :
Quel que fût l’aveuglement de Mme Verdurin à son égard, elle avait
fini, tout en continuant à le trouver très fin, par être agacée de voir que
quand elle l’invitait dans une avant-scène à entendre Sarah Bernhardt,
lui disant, pour plus de grâce : «Vous êtes trop aimable d’être venu,
Docteur, d’autant plus que je suis sûre que vous avez déjà souvent
entendu Sarah Bernhardt, et puis nous sommes trop près de la scène »,
le docteur Cottard qui était entré dans la loge avec un sourire qui
attendait pour se préciser ou pour disparaître que quelqu’un d’autorisé
le renseignât sur la valeur du spectacle, lui répondait : «En effet, on est
beaucoup trop près et on a commencé à être fatigué de Sarah Bernhardt.
Mais vous m’avez exprimé le désir que je vienne. Pour moi vos désirs
sont des ordres. Je suis trop heureux de vous rendre service. Que ne
ferait-on pas pour vous être agréable, vous êtes si bonne3» !
On pense là, entre autres, à l’arrivée inopinée de Mathieu chez les
Pinglet dans L’Hôtel du libre échange de Feydeau4. Les Pinglet, avec qui
Mathieu a passé les vacances, lui ayant dit « si jamais vous venez à
Paris… vous ne descendrez pas ailleurs que chez nous », Mathieu les
prend au mot et décide de venir s’installer pour un mois chez eux avec
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