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Signification humaine de la liberté
liberté paraît fictive qui ne serait pas
sociale. Le socialisme et la sociologie
naissante révèlent l’étroite interdépen-
dance des individus au sein de la
collectivité. C’est l’acte de naissance de
l’ère des masses, mais en même temps
se développe et s’exaspère, par contre-
coup, l’affirmation véhémente de l’exi-
gence individuelle. C’est avec cette
double démarche que naît vraiment le
sens moderne de la liberté.
Éclairer la condition humaine
Ce résumé rigide de quelque deux cents
pages laisse inévitablement échapper la
richesse de ce livre: cette culture vivante
qui, loin de se laisser fasciner par les
«vedettes» de la philosophie occidentale
se réfère sans cesse à l’unité d’une vie
intellectuelle en constant devenir,inter-
roge sans discrimination l’histoire des
sciences et des techniques, la pensée
religieuse, la littérature, le progrès des
découvertes qui élargissent l’horizon
géographique toute comme la sphère de
l’univers.
En se proposant de dégager ainsi le
sens concret que prend la liberté pour
chacun de nous, G. Gusdorf met en
lumière qu’elle n’est pas un objet, une
qualité que l’homme posséderait ou ne
posséderait pas, une fois pour toutes,
mais bien «l’enjeu » d’un combat
toujours douteux»que chaque âge
reprend à son compte dans des condi-
tions différentes. Dans la signification
vécue de la liberté s’exprime l’aventure
globale de chaque époque, telle qu’elle
se dessine dans tous les domaines de
l’activité.
Et la récapitulation du passé rend
possible un inventaire du présent. Ce
n’est même qu’à ce prix que nous
parviendrons à dégager la signification
présente de la liberté, à délivrer la
réflexion actuelle de la liberté des mythes
Réfractions 27
et des dogmes contradictoires qui
l’obscurcissent. «Philosopher sainement,
c’est d’abord se demander ce que parler
veut dire.» (p. 11)
Entreprise menée avec clarté et
discernement. Ne s’encombrant d’au-
cune pédanterie et récusant le jargon,
G. Gusdorf mène son enquête bon train,
avec un sens sûr de la formule narquoise
ou ironique qui résume mieux qu’un long
paragraphe. De toute part, cet essai
échappe au domaine du spécialiste.
Liberté, ligne de vie
En tant qu’anarchistes, nous sommes
tout particulièrement intéressés par ce
livre, puisque nous avons placé la liberté
au centrede nos préoccupations et de
nos actions. Et parce que, plus que bien
d’autres, nous avons à réapprendre «ce
que parler veut dire», à clarifier bien des
notions qui entraînent par leur im-
précision même des conflits dérisoires.
Mais nous ne pouvons suivre G. Gusdorf
jusqu’au bout, et c’est au moment même
où il examine «l’exigence libertaire»que
nous reprenons nos distances.
Non pas que nous contestions le sens
positif que l’auteur donne à la liberté
dans le contexte actuel. Quoique chrétien
(protestant), G. Gusdorf se situe sur un
terrain qui nous est proche, puisque sa
recherche se rattache à la pensée
existentielle, et que dans la philosophie
contemporaine je pense qu’il n’y a pas de
courant plus étroitement lié à l’anar-
chisme que l’existentialisme. Le cas de
Stirner, qui a été en fait le premier
existentialiste athée, le prouverait déjà.
La liberté concrète représente pour
chaque homme l’enjeu d’une lutte pour
la vie personnelle qu’il poursuit de la
naissance à la mort. Elle s’exprime dans
l’orientation, dans l’unité plus ou moins
nette d’une existence et d’une person-
nalité. Elle n’est en rien indépendante