Contribution à l`histoire des bonnes pratiques cliniques

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Essai clinique
E ssai clinique
Contribution à l’histoire des bonnes pratiques cliniques
dans les essais de médicaments : l’initiative française
Contribution to the story of good clinical practices in the clinical trials: the french initiative
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J.P. Demarez*
왘 RÉSUMÉ
Tous les essais cliniques portant sur des médicaments
doivent être réalisés selon les “bonnes pratiques cliniques”
(BPC). Il aura fallu près de trente ans pour qu’il en soit ainsi.
Nous reprenons ici les principales étapes ayant conduit
d’abord à constater la nécessité de ce dispositif devenu
essentiel à la qualité des recherches biomédicales puis à
le mettre en forme.
Mots-clés : Bonnes pratiques cliniques – Recherche biomédicale.
왘 A B S TR AC T
All clinical trials should be realized according to good clinical
practices. It took thirty years to get there. Here are the main
steps that led first of all to see the need for this device which
has become essential to the quality of biomedical research to
and then, formalize it.
Keywords: Good clinical practices – Biomedical research.
L
’article L. 1121-3 du Code de la santé publique dispose :
“Les recherches biomédicales portant sur des médicaments
sont réalisées dans le respect des règles de bonnes pratiques
cliniques”. Le présent travail se propose de rappeler pourquoi il en
est ainsi, et comment cela est arrivé. Donc, il était une fois…
LES ORIGINES DE LA PRÉOCCUPATION DE QUALITÉ
DANS LES ESSAIS CLINIQUES
Le souci de la qualité n’est pas une préoccupation récente. Le
concept de qualité lui-même remonte à Platon (1), qui fabrique
* Département de pharmacologie clinique, faculté de médecine de l’hôpital Saint-Antoine,
Paris.
16
le mot “poiotês” à partir du mot grec poieô, signifiant “faire,
dans un jeu à deux, le fournisseur qui agit, le client qui subit”.
Le mot passe par Aristote (1), qui lui donne cette définition :
“Ce en vertu de quoi on est dit être tel”. Par la suite, Cicéron (1),
de qualis, “manière d’être” et talis, “tel”, va donner à l’idée un
nom latin : qualitas. La qualité est la conformité d’un produit
à ce qu’on est en droit d’attendre.
Fils de drapier, Colbert savait ce qu’étaient les draps de mauvaise
qualité. Pour faire en sorte qu’on en vende de beaux, il édicta, en
1669, le Règlement général pour longueur, largeur et qualité de
draps, serge et autres étoffes de laine et de fil qui seront manufacturés dans le royaume. Il créa, dans le même mouvement, le
corps des inspecteurs des manufactures, chargé de démasquer
les fraudeurs, et, pour faire pénétrer les règlements chez les
professionnels, les jurandes, organisations corporatistes des
métiers. Il n’oublia pas de prévoir, à l’intention des fraudeurs,
une échelle de sanctions : l’amende pour le primo-délinquant,
le pilori pour le récidiviste, les galères à la troisième infraction.
Souhaitant des draps de qualité, Colbert avait mis en place ce
que le mot appelle immédiatement à l’esprit : des normes, l’implication des professionnels dans l’observance des normes, le
rôle nécessaire de l’inspection pour en assurer le respect, et
les sanctions qui peuvent en découler pour les malfaisants qui
bafouent les normes dans un esprit de lucre. Car le mépris de
la qualité peut souvent s’avérer rentable.
La démarche de qualité suit toujours le même chemin. Un jour,
on s’aperçoit que, dans tel domaine de l’activité humaine, la
qualité n’est pas au rendez-vous. Il découle de cette observation
un certain nombre de conséquences… qui rappellent les mesures
mises en place par Colbert.
La démarche de qualité, en matière d’essais cliniques, va résulter
d’une succession de constatations, faites à partir d’études plus ou
moins marquantes, réalisées aux États-Unis. La plus emblématique (2), côté “académique”, est probablement celle de l’UGDP
(University Group Diabetes Program). Il s’agissait d’un travail à
l’initiative de chercheurs, réalisé avec le soutien du National Institutes of Health (NIH), tentant, entre 1960 et 1970, de résoudre
la question suivante : “La baisse de glycémie obtenue au moyen
de thérapeutiques réduit-elle le risque cardiovasculaire ?” Le
protocole comparait à un placebo tous les traitements hypoglycémiants disponibles à l’époque : tolbutamide, insuline à dose
fixe, insuline à dose adaptée, phenformine.
La prédominance de décès d’origine cardiovasculaire dans
le groupe tolbutamide a conduit le comité de surveillance à
préconiser l’arrêt de ce traitement. La nouvelle s’est répandue.
La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008
Il en a résulté, d’une part, un mouvement hostile des médecins
convaincus de l’efficacité d’une spécialité qu’ils utilisaient de
façon courante et, d’autre part, des manœuvres des laboratoires
concernés, visant à décrédibiliser une étude dont les résultats
nuisaient à leur cotation en bourse.
Précisément, la manière dont les causes des décès ont été validées
est sujette à caution. Comme il s’agissait de très petits effectifs, et
que la méthode retenue était l’analyse séquentielle, toute erreur
sur la cause des décès rapportés était de nature à invalider la
différence constatée entre le groupe tolbutamide et le groupe
placebo. Dès lors, les conclusions du comité de surveillance
ne seraient plus pertinentes. Or, neuf décès observés dans le
groupe tolbutamide soulèvent des difficultés d’interprétation.
En fait, ils ont été pris en compte, mais bien que morts avant
la date limite de réception des dossiers, les patients ont été
enregistrés après cette date. Il apparaît, de surcroît, que certains
paramètres cardiovasculaires figurant dans la base de données
diffèrent de ceux relevés dans les documents originaux. On
remarquera, par la suite, après une inspection de la FDA (3),
qu’aucune des anomalies relevées ne concernait des paramètres intervenant dans la réponse à la question posée. Mais ces
défauts affectant la qualité procurent un excellent motif pour
disqualifier l’ensemble du travail devenu objet de controverses ;
cela, à la grande satisfaction des industriels commercialisant le
tolbutamide, dans un marché en plein essor.
Autre dossier, côté “industrie”, le refus d’autorisation par la
Food and Drug Administration (FDA) de la sulfinpyrazone en
prévention de la mort subite dans les six premiers mois postinfarctus. Là encore, les conclusions d’une étude dépendaient
de ce que l’on considérait comme un décès de cause cardiaque
“analysable” parmi les morts subites observées. La différence
était ou n’était pas statistiquement significative, selon quelques
subtilités d’analyse. Et la qualité des données collectées laissait
singulièrement à désirer. Cette mauvaise qualité permettait, à
tort, de conclure en faveur du traitement évalué. Ce que la FDA
tenait à faire savoir (4).
Suite à un faisceau de constats préoccupants a, tant du point de
vue éthique que technique, la FDA va organiser, dans sa division
des investigations scientifiques, un programme d’assurance
qualité dans les recherches biomédicales. Car “les études cliniques conduites de façon inadéquate (poorly conducted) exposaient des personnes à des risques inutiles ; en outre, l’existence
d’essais frauduleux avait le grand inconvénient de permettre
l’autorisation de médicaments sur la base de résultats mensongers relatifs à l’efficacité et à la sécurité” (5).
Ces dispositions s’inscrivent dans le contexte du National
Research Act, adopté en 1974 par le Congrès des États-Unis,
dont la finalité était de prévenir la réalisation de recherches
attentatoires aux droits des patients. Il en résultera différents
documents de nature réglementaire b, décrivant, en 1977 (6), les
a. Le numéro d’octobre 1986 de la revue Sciences et Vie en présente un très intéressant florilège, où se mêlent l’incompétence crasse et la malhonnêteté flagrante, sous le titre “Les tricheurs en blouses blanches” (Siences et Vie 1986;826:14-23).
b. Parallèlement, la FDA mit en place toute une série de “guidelines” exposant comment démontrer l’efficacité clinique d’une molécule dans telle ou telle pathologie.
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obligations des promoteurs et des moniteurs d’essais cliniques,
et en 1978 (7), celles des investigateurs. En 1981, la réglementation concernant les comités institutionnels de révision (IRB)
est publiée (8). Quant aux dispositions relatives à l’information
et au consentement à la recherche (9), elles sont reprises de la
jurisprudence américaine, et ressemblent à celles énoncées dans
la déclaration d’Helsinki, elles-mêmes dérivées du procès des
médecins nazis, jugés en 1947 à Nuremberg par un tribunal
américain. Ces quatre dispositifs– consentement informé,
comité indépendant, obligations du promoteur, obligations de
l’investigateur– issus de la réglementation fédérale américaine,
seront rassemblés, par les firmes pharmaceutiques des ÉtatsUnis, à l’intention des médecins expérimentateurs impliqués
dans les essais de médicaments qu’elles entreprennent, sous la
forme d’un petit opuscule intitulé Good Clinical Practices. C’est
ainsi que, des maisons mères à leurs filiales européennes, les
bonnes pratiques cliniques (BPC) traverseront l’Atlantique pour
apparaître, par exemple, chez quelques médecins hospitaliers
français, pour ensuite se propager.
Le but poursuivi par les firmes américaines était essentiellement prosaïque : faire en sorte que certains des essais cliniques
entrepris en Europe avec leur soutien soient utilisables dans
un dossier d’enregistrement présenté à la FDA. Le mieux, en
la circonstance, était de conduire les médecins expérimentateurs européens à travailler selon les dispositions en vigueur
aux États-Unis. Ces études n’ayant, la plupart du temps, qu’un
caractère accessoire pour la démonstration d’efficacité de la
spécialité nouvelle, la préoccupation principale n’était pas tant
les écarts par rapport au protocole ou les déviations vis-à-vis
des documents originaux, que les atteintes possibles au droit des
personnes, en termes de consentement informé. Un tel défaut
constituait un risque juridique pour la firme pharmaceutique
qui l’aurait laissé perdurer. D’autre part, attendu que, depuis
1975, la FDA n’acceptait les études cliniques réalisées hors des
États-Unis qu’à la condition qu’elles respectent la déclaration
d’Helsinki, version Tokyo, il était nécessaire que tout protocole
mis en place ait été, préalablement, soumis à l’avis d’un comité
indépendant. Ce qui n’était pas, à l’époque, possible en France,
faute de comité. Cela eut d’ailleurs un rôle moteur dans l’apparition des comités d’éthique dans les hôpitaux universitaires
français.
De juin 1977 à septembre 1983, la FDA a réalisé 964 inspections
de routine, visant à évaluer la concordance entre les conditions
de réalisation des essais cliniques examinés et les dispositions
normatives évoquées ci-dessus (10). Ces inspections permirent
de mettre en évidence :
✓ dans 40 % des cas, un défaut affectant le consentement des
patients ;
✓ dans 34 % des cas, un bilan inadéquat des produits utilisés
dans l’essai ;
✓ dans 23 % des cas, des violations du protocole ;
✓ dans 18 % des cas, des données inexactes ;
✓ dans 4 % des cas, des données originales non disponibles,
jetant le doute sur l’exactitude des résultats rapportés.
La conclusion fut que si, pour de nombreuses raisons, on obser-
La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008
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vait des errances sérieuses dans la réalisation des essais, seul un
contrôle adéquat des investigateurs par les firmes pharmaceutiques pouvait, par des mesures efficaces, améliorer le niveau
du travail de ceux-ci. La FDA se donnait, pour sa part, le devoir
de redoubler de rigueur.
SITUATION EN FRANCE À L’AUBE
DES BONNES PRATIQUES CLINIQUES
Le jeune pharmacologue clinicien qui aurait, aujourd’hui, la curiosité de consulter un dossier de demande de visa d’une spécialité pharmaceutique conforme aux dispositions du décret du
26 novembre 1953 n’en croirait pas ses yeux (11). Le visa ministériel autorisant l’exploitation d’une spécialité était accordé “lorsqu’il
avait été constaté qu’elle présentait un caractère de nouveauté
ainsi qu’un intérêt thérapeutique, et qu’elle n’entraînait pas de
danger pour la santé morale et physique de la population”. Ce
constat était effectif dès lors que des notabilités médicales attestaient, par leurs observations cliniques jointes au dossier, qu’il en
était ainsi. Il s’agissait, la plupart du temps, de quelques feuilles,
déclarant combien, chez tel et tel patient, le produit s’était avéré
bénéfique. En 1965, le système est modifié. La directive 65/65/
CEE, “concernant le rapprochement des dispositions législatives
réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques”, crée l’autorisation de mise sur le marché (AMM),
transposée en droit français par l’ordonnance du 23 septembre
1967. Cette directive introduit les critères de qualité, d’efficacité
et d’innocuité dans les éléments à prendre en considération par la
Commission d’AMM (crée en 1978), lors de l’examen d’un dossier
de demande de commercialisation, préalablement à la décision du
ministre. La Commission d’AMM ne se contente pas des intuitions et des observations d’experts, mais elle va vérifier, à partir
du dossier clinique établi par le fabricant, la preuve scientifique
de l’efficacité et de l’innocuité du produit. Les travaux cliniques
présentés doivent suivre la méthodologie de la pharmacologie
clinique, dont la connaissance, à l’époque, se trouvait plus dans
les laboratoires pharmaceutiques que chez les médecins expérimentateurs ; grâce, en particulier, à l’enseignement du CESAM
(certificat d’études statistiques appliquées à la médecine).
Certes, l’arrêté du 16 mai 1972 fait apparaître la nécessité d’un
protocole relatif aux essais cliniques. Il se borne cependant à
laisser la liberté “aux experts de déterminer les modalités de
mise en œuvre qui leur paraîtront les plus adéquates dans chaque
cas d’espèce, tout en tenant compte des impératifs éthiques
qui gouvernent les essais sur l’homme”, sans dire un mot de
méthodologie. Les experts figurent sur une liste officielle, où
les laboratoires pharmaceutiques ont la liberté d’aller choisir,
“mais rien n’est dit sur la manière dont [ces experts] doivent
procéder” (11).
c. À cette époque-là, Alain Spriet est directeur médical des laboratoires Hoechst et Pierre SIMON est professeur des universités et initiateur d’un enseignement de la pharmacologie clinique à la Pitié-Salpêtrière. Il est en outre créateur avec Alain Spriet et Jean-Michel Alexandre du
premier certificat de pharmacologie clinique, dont les deux tiers des 1 000 étudiants formés en
huit ans deviendront pharmacologues cliniciens industriels.
18
Les directives 75/318/CEE et 75/319/CEE vont harmoniser les
règles d’obtention des AMM et créer le Comité des spécialités
pharmaceutiques pour les procédures d’A MM européennes,
en précisant le rôle des experts.
Consécutivement, l’arrêté du 16 décembre 1975 dispose, pour
la France.
“Il est nécessaire que les essais cliniques s’effectuent sous forme
d’essais contrôlés. La manière dont ils sont réalisés varie dans
chaque cas et dépend également de considérations d’ordre
éthique. Ainsi, il peut parfois être plus intéressant de comparer
l’effet thérapeutique d’une nouvelle spécialité à celui d’un médicament déjà appliqué dont la valeur thérapeutique est communément connue, plutôt qu’à l’effet d’un placebo.”
“Dans la mesure du possible, mais surtout lorsqu’il s’agit d’essais
où l’effet du produit n’est pas objectivement mesurable, il faut
avoir recours à des essais contrôlés réalisés selon la méthode
du double insu. […] les critères adoptés […] doivent être suffisamment précis pour permettre un traitement statistique. Le
recours à un grand nombre de patients […] ne doit dans aucun
cas être considéré comme pouvant remplacer un essai contrôlé
bien exécuté […]”
“À compter du 1er novembre 1976, les demandes d’autorisation
de mise sur le marché […] ne seront recevables que si elles sont
accompagnées de comptes rendus d’essais cliniques poursuivis
dans le respect du protocole fixé [par le présent arrêté].”
On sait, depuis la publication, en 1970, de l’ouvrage de D.
Schwartz, R. Flamant et J. Lellouch intitulé L’Essai thérapeutique chez l’homme (12), qu’un essai clinique doit obéir à une
méthode rationnelle. Mais il faudra attendre 1980 pour que le
traité d’A. Spriet et P. Simon c expose, à l’intention des cliniciens,
une “méthodologie des essais cliniques de médicaments” (13)
se préoccupant, de façon simple et didactique, des marqueurs
de qualité, qualité éthique comme méthodologique.
Conseiller de Simone Veil, ministre de la Santé de 1975 à 1980,
J.P. Bader a une influence notable sur l’évolution des idées en
matière de médicament, notamment par la création, en 1977, de
la Direction de la pharmacie et du médicament (DPhM), nouveau
département du ministère de la Santé. Lors d’une réunion au
ministère de la Santé, le 23 janvier 1975, il est décidé, au sujet des
AMM, que les expertises cliniques présentées par un laboratoire
pharmaceutique seront soumises à l’évaluation anonyme de deux
experts. Il est également convenu de procéder rétrospectivement
à l’évaluation réelle de l’intérêt des médicaments déjà présents
sur le marché, par le biais d’une Commission de révision des
dictionnaires des spécialités pharmaceutiques, sous l’autorité
de J.M. Alexandre. Pour la première fois, certains laboratoires
français sont confrontés à de vraies questions de méthodologie
concernant leur source de bénéfices.
Il résultera de cette révision un classement des spécialités
pharmaceutiques en deux catégories : celles pour lesquelles
des données objectives disponibles permettent une validation
immédiate dans les indications thérapeutiques revendiquées,
et celles pour lesquelles les indications revendiquées demandent à être démontrées par des travaux complémentaires. Cette
seconde catégorie était destinée à éclater. Certains des médica-
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ments concernés allaient voir leur indication établie. Les autres,
dans la logique européenne, devaient disparaître en 1990, faute
de répondre aux critères exigés par le processus de validation
des AMM accordées antérieurement au 20 novembre 1976.
Toutefois, pour des raisons mêlant santé publique et intérêts
économiques, des solutions appropriées devaient être trouvées
pour le marché français.
Au chapitre des “bonnes pratiques”, relevons un premier texte,
celui des “bonnes pratiques de fabrication” (14), paru le 3 octobre
1978. Il faisait suite à l’adhésion de la France en 1976 au “système
de certification de la qualité des produits pharmaceutiques
entrant dans le commerce international”, objet lui-même d’une
résolution de l’organisation mondiale de la santé (OMS) en 1969.
Le texte, élaboré sous les auspices de la Commission nationale
de la pharmacopée, eut d’abord le caractère d’une circulaire
administrative, accompagnée d’une instruction du ministre de
la Santé, précisant que “tous ceux qui, à tous les échelons, sont
responsables de la qualité des médicaments pourront désormais
se référer à ce document”. Il ne prendra un caractère obligatoire
qu’avec l’arrêté du 20 janvier 1992.
Puis vint l’instruction ministérielle du 31 mai 1983 contenant un “Guide des recommandations de bonnes pratiques
de laboratoire (BPL)”. Ces règles visaient à garantir la validité
et l’intégrité des données recueillies au cours des études de
toxicologie expérimentale réalisées en vue de la constitution
du dossier d’AMM. Le texte était issu d’un consensus entre
experts de l’administration, de l’industrie, et de toxicologues
“académiques”. Il s’inspirait d’un document publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE).
Dans l’esprit de ses concepteurs, le système dit “des bonnes
pratiques” “avait l’avantage de la souplesse”. Il s’agissait “de
constituer des objectifs à atteindre, et non une série de recettes
réglementaires étroites, laissant ainsi le maximum d’autonomie
et de responsabilités aux acteurs eux-mêmes” (15).
Toutefois, la nécessité d’une assurance officielle de la qualité
du médicament français soulevait les questions des inspections et du caractère d’opposabilité juridique des recommandations de bonnes pratiques. Les BPL donnèrent par conséquent
lieu, le 20 janvier 1986, puis le 6 mai 1988, à des décrets les
insérant dans le Code de la santé publique. Cette évolution
dans la hiérarchie des normes n’était pas sans rapport avec les
directives européennes 87/18/CEE et 88/320/CEE. Dès lors,
le rôle des inspecteurs était de vérifier le “degré de conformité
aux principes des BPL”, “les noms des laboratoires soumis à
des inspections dans le cadre d’un programme national de
mise en conformité aux BPL, leur degré de conformité aux
principes des BPL, et les dates des inspections [devant] être
mis à la disposition des autorités nationales de vérification en
matière de BPL d’autres pays membres sur demande… ceci
étant gage de réciprocité”. Mais si les inspecteurs attestaient
officiellement la conformité aux règles de bonnes pratiques, ils
n’avaient pas à apprécier la valeur scientifique intrinsèque des
travaux présentés, ce qui était du ressort du rapporteur près
la Commission d’AMM.
Essai clinique
E ssai clinique
Parallèlement au travail des structures administratives, retracé
ci-dessus, il convient de mentionner l’activité créatrice des
professionnels de la pharmacologie clinique, hospitaliers, universitaires comme industriels. Le colloque organisé à Lyon du 9 au
11 septembre 1977 (16), à l’initiative et sous la présidence de J.P.
Boissel et de C.R. Klimt, constitue une avancée véritablement
porteuse. Il est intitulé “Essais contrôlés multicentres : principes
et problèmes”. Lors de ce colloque, l’exposé “Quality assurance
in clinical trials” a permis à C.L. Meinert (17) de préciser : “Le
contrôle de qualité se propose de maintenir et de renforcer la
validité des résultats d’un essai clinique. Il doit commencer
avant le début de l’essai et se poursuivre jusqu’à la publication
du dernier rapport concernant l’étude. Un grand nombre de
patients et d’enquêteurs sont impliqués dans l’essai multicentrique, et un grand nombre d’informations sont recueillies et
traitées. Cela mobilise beaucoup de temps, d’énergie humaine
et d’argent, il n’est pas concevable de s’embarquer dans une telle
aventure sans précautions quant à la qualité du travail à effectuer.”
Suivaient dix recommandations relatives aux différents aspects
du contrôle de qualité, l’essai pris en exemple étant une étude
“institutionnelle”, le Coronary Drug Project, entreprise avec le
soutien de fonds publics aux États-Unis.
En 1980 (18), un premier congrès INSERM/DPhM fait le point
sur les bases scientifiques et réglementaires de l’évaluation des
médicaments. Dans l’article Contrôle de qualité des essais
thérapeutiques (19), J.P. Boissel et A. Leizorovicz définissent
une prospective très futuriste pour l’époque. Cette prospective
découlait largement d’un essai financé par la Délégation générale
à la recherche scientifique et technique (DGRST), l’INSERM et
la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés
(CNAMTS) et réalisé en 1974 par le groupe Étude de prévention
des récidives de l’infarctus du myocarde par l’aspirine (EPSIM).
Cet essai constituait une sorte de prototype, tant en matière de
contrôle de qualité que d’utilisation de moyens informatiques.
Le manuel d’opérations de l’étude prévoyait une certification du
consentement oral des patients participant, des visites de centres
pour vérifier l’adéquation entre les informations figurant dans
le dossier hospitalier et ce qui avait été noté sur les bordereaux
servant au recueil d’observation (on ne parlait pas encore de case
report form [CRF]). Ces visites sur site avaient été précisément
effectuées par les deux intervenants, J.P. Boissel et A. Leizorovicz.
Ainsi donc, la valeur objective d’un essai dépendrait-elle, en plus
des éléments classiques comme l’analyse du problème posé,
l’adéquation du protocole à la réponse attendue et la justesse de
l’analyse statistique, d’une considération nouvelle, la qualité des
données recueillies. Le “contrôle de qualité” viserait à optimiser
ce dernier élément, ce contrôle de qualité représentant l’ensemble
des processus certifiant la fiabilité des résultats, démarche que
J.P. Boissel et A. Leizorovicz considèrent constituer une exigence
éthique. On rapporte, parmi les éléments sensibles, les “perdus de
vue”, les visites manquées, les données absentes ou erronées, les
mauvaises administrations des traitements testés, les “événements
critiques”, toute une série de critères sur lesquels se fondent les
indices de qualité, soumis à des contrôles internes, voire externes.
Dans le même congrès, R. Flamant et son équipe (20) dressent
La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008
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un bilan critique d’une série de dossiers cliniques adressés à la
commission d’AMM, photographie d’un ensemble de déficiences
traduisant une indigence chronique.
Le deuxième congrès INSERM-DPhM (21), en 1983, intitulé
“Voies nouvelles de l’évaluation scientifique et réglementaire
du médicament”, permet de revenir sur ce “bilan critique des
essais cliniques soumis à l’avis de la Commission d’AMM” (22).
Il complète l’état des lieux réalisé trois ans plus tôt. Le résultat
n’est toujours pas glorieux, mais on est parti de tellement bas. Les
auteurs relèvent l’absence d’une méthodologie rigoureuse dans
la majorité des dossiers présentés, et regrettent que “l’expertise
française de certains produits se réduise à une étude ouverte
de faible intérêt alors que le dossier international, s’il était bien
critiqué et étayé, suffirait largement à emporter la conviction”.
Ils concluent en formulant des souhaits :
✓ que l’industrie aide le clinicien à assurer le bon déroulement
de son expertise, l’infrastructure hospitalière ne donnant pas
les moyens matériels indispensables à la bonne marche et à la
bonne surveillance des essais ;
✓ que l’administration prenne conscience de la nécessité de
règles méthodologiques obligatoires comme condition de
l’amélioration des essais cliniques français, avec, en complément, l’élaboration de guides et la formation des cliniciens aux
essais cliniques.
Au cours d’une communication de ce colloque, intitulée
“Contrôle de qualité des essais cliniques chez le praticien”,
l’orateur J. Ankri fait remarquer que “la préoccupation de la
vérification de la qualité des actes et des documents liés à la
pratique des essais cliniques pour les nouveaux médicaments
est récente” (23). Il reprend les principes énoncés dans les actes
du congrès précédent relatifs au contrôle de qualité pour les
appliquer aux essais en médecine praticienne. Il souligne qu’à
côté des aspects techniques, il existe des “obligations éthiques
à l’égard des sujets participant à une étude, et qui impose la
rigueur de sa réalisation. La garantie minimum que peut exiger
un sujet acceptant de participer à un essai thérapeutique est
bien celle de la qualité de son exécution.”
Aux États-Unis, remarque-t-il, la FDA “a édicté des règles dites
de good clinical practices, précises, détaillées […]. L’industriel
qui souhaite demander une autorisation de commercialisation
d’un nouveau médicament ainsi que l’investigateur qui souhaite
participer à ces programmes d’études doivent appliquer rigoureusement les règles de bonnes pratiques, c’est-à-dire les règles
de contrôle de qualité des essais”.
Malheureusement, en France, ces règles n’existent pas.
L’ÉLABORATION DES BONNES PRATIQUES
CLINIQUES
Ces règles vont donc devoir être définies.
Pour la DPhM, l’idée des BPC comme démarche de qualité
était une étape d’un processus plus large, la modernisation de
la pharmacie française. Elle s’inscrivait également dans une
perspective internationale. Les États-Unis, le Canada et la Suède
20
avaient déjà travaillé le sujet, le Japon manifestait de l’intérêt
pour le concept. Il s’avérait indispensable de concevoir un projet
français à présenter à l’Europe. Sinon, le risque de se retrouver
face à un texte copie conforme des dispositions américaines
n’était pas nul. Il était, de plus, impératif de disposer d’un texte
avant que l’Europe mette cette réflexion en route. Précisément,
sous la forme d’un document intitulé Conduct of clinical trials
(24), l’idée commençait à germer au Committee for Proprietary
Medicinal Products (CPMP).
La façon dont les bonnes pratiques de laboratoires avaient été
élaborées démontrait l’intérêt de la “concertation tripartite”
administratifs-industriels-académiques. Ce type de concertation
se trouvait facilité, depuis 1984, par la création, à l’initiative de
la DPhM et de la Délégation générale à la recherche scientifique
et technique (DGRST), de “Rencontres nationales de pharmacologie clinique”, à Giens. Ces rencontres avaient permis de
faciliter les échanges entre spécialistes institutionnels et industriels, dans un esprit de coopération et de partenariat. Depuis,
différents ateliers de ces rencontres avaient été consacrés à la
façon de conduire des essais cliniques du point de vue aussi bien
de la qualité éthique que de la qualité méthodologique, chez le
malade comme chez le volontaire sain. Cela, rappelons-le, dans
le contexte juridique antérieur à celui que mettra en place la loi
dite Huriet-Sérusclat en décembre 1988.
Sans s’être livrée à une enquête exhaustive, la DPhM détenait
quelques dossiers, rapportés par ses inspecteurs, de fraudeurs
pris sur le fait, médecins ayant inventé des patients, officine
spécialisée dans la construction de dossiers de demande d’AMM
ayant produit des rapports d’essais cliniques mensongers. Le
milieu des pharmacologues cliniciens avait, de son côté, été
sensibilisé par quelques dérapages, aussi bien en matière d’essais que de publications. Certaines firmes pharmaceutiques
nationales s’étaient, pour leur part, risquées à commencer la
mise en place de procédures dans les essais cliniques qu’elles
entreprenaient (25), faisant, en quelque sorte, des bonnes pratiques cliniques comme M. Jourdain faisait de la prose. Et pour
les filiales françaises de firmes américaines, l’exemple venait
de la maison mère.
Le projet de BPC présentait toutefois le risque d’être rejeté par
une majorité d’industriels, ceux-ci ayant déjà vu, depuis dix ans,
les contraintes et obligations réglementaires croîtrent de façon
notable. Les BPC avaient pour conséquence prévisible l’augmentation du coût des essais. Ces coûts affectaient essentiellement
les firmes françaises, et non les filiales françaises de firmes étrangères, moins impliquées dans les programmes de développement,
car recevant les dossiers de demande d’AMM des maisons mères,
dans le but éventuel de leur donner une coloration nationale. À
l’époque, le poids des firmes françaises dans le Syndicat national
de l’industrie pharmaceutique était important.
Les BPC ne manqueraient pas de créer des difficultés chez
les cliniciens, du temps nécessaire aux contrôles de qualité,
qui allongerait d’autant les essais. À ce propos, ces contrôles
de qualité comportaient l’inconvénient d’exposer le médecin
hospitalier, personnage toujours considérable, aux vérifications
tatillonnes d’un “petit salarié” de l’industrie pharmaceutique.
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Tatillonnes, et parfois indiscrètes. Mais surtout, ils avaient
pour conséquence l’intervention de ce salarié du laboratoire
pharmaceutique, contrôleur de qualité, dans les rapports du
médecin avec son patient. Il est utile de rappeler que, à cette
époque, la situation de la recherche biomédicale se confondait avec l’acte de soin. Un contrôle de qualité était, de fait,
l’immixtion d’une tierce personne dans le “colloque singulier”,
expression consacrée caractérisant précisément la relation
médecin-malade. Il pouvait, d’ailleurs, arriver que le malade
ne sache pas qu’il participait à une expérimentation (26). Ce
colloque singulier et le secret médical qui le protège allaient,
sans nul doute, être menacés. Un blocage “culturel” des médecins expérimentateurs était susceptible d’en résulter, au nom
de la déontologie.
Les pharmacologues cliniciens, industriels, académiques ou
administratifs considéraient ce nouveau chantier comme
prometteur, mais on pouvait craindre de leur part un certain
maximalisme.
Puisque les aspects psychologiques s’avéraient importants,
le directeur de la DPhM, J. Daugoumau, fit preuve d’une
grande habilité pédagogique. Les industriels français admirent facilement que en l’absence de BPC, ils s’exposaient à ne
plus exporter leur production, notamment aux États-Unis. Il
convenait donc de se plier à ces nouveaux critères, même si les
conséquences prévisibles des BPC étaient la complexification
des processus, l’obligation de création de postes et l’accroissement des budgets des études. Beaucoup d’industriels avaient
commencé à se familiariser avec le principe des BPC.
Il fut décidé d’organiser un groupe de travail a chargé de mener
une réflexion sur les BPC.
Ce groupe rassemblait des membres d’origines diverses, industriels, universitaires, hospitaliers, agents de l’administration
hospitalière et de la DPhM, sous la présidence de J.P. Bader
(27). Le choix du président procédait d’un raisonnement
plurifactoriel. L’intéressé avait un parcours très actif dans le
monde du médicament, il avait l’expérience de l’animation
de commissions, il était un clinicien authentique, il ne
risquait pas de passer pour un ayatollahs des procédures ou
un archi-administratif, ni pour une personnalité hostile, par
idéologie, à l’industrie pharmaceutique. Il ne pouvait qu’être
accepté de tous. “Avec lui, ça allait marcher.”
Les membres du groupe de travail reçurent comme documents d’information, les textes de la FDA, une instruction
interne d’un laboratoire, un projet canadien, l’avis du Comité
d. Liste des membres :
Mmes A. Artiges, J.P. Bader, A. Chicoye, E. Eschewege, F. Forette, F. Lacombe, M.T. Loulergue,
P. Morin.
M. J.M. Alexandre, J. Ankri, J.P. Bader, J.P. Boissel, C. Caulin, Y. Champey, A. Chandier, J.P. Couzinier, J.P. Demarez, S. Ferry, J.F. Henry, J.M. Husson, Y. Juillet, E. Zarifian.
e. D. Tabuteau, premier directeur de l’Agence du médicament (structure qui va succéder à la
DPhM en 1993), avait proposé que les premiers laboratoires pharmaceutiques inspectés le
soient sur la base du volontariat. L’afflux de demandes d’inspection émanant de la Direction
de l’évaluation de l’Agence rendit cette proposition sans suites.
f. La liste des experts agréés a été supprimée par la loi du 30 juillet 1987, comme non conforme
au principe de libre choix organisé par la procédure communautaire. Découlait de cette disposition la responsabilité incombant au promoteur de vérifier la qualification des experts qu’il
mandatait, et une totale liberté de choix parmi les médecins diplômés.
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E ssai clinique
national d’éthique sur les essais cliniques, des extraits du
colloque INSERM-DPhM 1983, une analyse intitulée Droit
et Pharmacie datée de mars 1985, les bonnes pratiques de
laboratoires et les bonnes pratiques de fabrication.
Lors de sa première réunion, le 9 décembre 1985, le groupe,
s’étant doté d’un calendrier prévisionnel, se constitua en cinq
sous-groupes chargés chacun d’un aspect spécifique : investigateurs et essais en ville, check-list des différents paramètres
de qualité, modalités du contrôle-faisabilité, obligations des
industriels, comités d’éthique.
Le groupe de travail avait six mois pour proposer un projet
de texte “impliquant un certain pragmatisme plutôt qu’un
document de nature purement réglementaire”. Mais il ne faisait
pas de doute que ce système conduirait à des contrôles et à
la réalisation d’inspections e. La maturation fut un peu plus
longue que prévu.
Un projet, daté du 15 janvier 1987, fut adressé pour lecture
critique, par la DPhM, aux Académies de médecine et de
pharmacie, aux Ordres des médecins et des pharmaciens, au
directeur général de l’INSERM, à différentes personnalités
du monde hospitalo-universitaire, au Syndicat national de
l’industrie pharmaceutique, à l’Association des médecins de
l’industrie pharmaceutique et aux entreprises pharmaceutiques françaises les plus importantes (28). Les dispositions
que comportait ce projet, relatives à la méthode du contrôle
et de l’assurance de qualité, étaient classiques, et semblaient
répondre aux buts poursuivis, “visant à renforcer la maîtrise
de la qualité des essais cliniques réalisés en France sur le médicament. Elles ne [visaient] pas à apprécier la valeur scientifique intrinsèque d’une étude”. Ces BPC étaient porteuses de
nouveautés significatives, s’agissant d’un texte rédigé sous les
auspices du ministère de la Santé :
✓ Elles débutaient par un glossaire proposant une définition
commune des termes relatifs à la qualité comme à la conduite
des essais, de nature très technique. On y remarque un usage
particulier du “dossier du malade” : un dossier spécifique doit
exister pour chaque sujet inclus dans l’essai. Il permet, notamment, de vérifier l’authenticité des informations figurant dans
le cahier d’observation ;
✓ Elles prévoyaient la notifi cation “sans délai au système
national de pharmacovigilance des effets indésirables jugés
graves en fonction de leur sévérité” dont le promoteur a
connaissance au cours de l’essai ;
✓ Elles opéraient la réintégration dans le “monopole pharmaceutique de la dispensation” des produits à l’essai, avec le
bilan de leur utilisation ;
✓ Elles faisaient obligation au promoteur de recruter des investigateurs disposant de la qualification nécessaire f et aptes à
pratiquer les essais cliniques. Ces éléments devaient être établis
par un curriculum vitæ à fournir au promoteur ;
✓ Alors qu’antérieurement, les essais devaient être faits “en
principe dans des établissements de soins”, il était désormais
possible qu’un essai soit “effectué en médecine générale ou
en médecine spécialisée, (de façon) habituellement multicentrique” ;
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Essai clinique
E ssai clinique
✓ Un type d’essai particulier apparaissait, l’essai sans objectif
thérapeutique”, imposant des précautions spécifiques, en particulier la compétence pharmacologique de l’investigateur, des locaux
“permettant d’assurer la sécurité des sujets participants”, ces sujet
pouvant être des “volontaires sains”. Il était nécessaire de prévoir
les conditions d’indemnisation de leur participation à l’essai. Leur
consentement devait être manifesté par écrit ;
✓ Elles constituaient la reconnaissance de “comités d’éthique”
consultatifs, la mise entre guillemets marquant une prise de
distance laïque avec la version anglo-saxonne de ce type d’institution ; l’appellation “étant retenue en raison de son emploi dans
le langage courant et dans la littérature”.
✓ Le contrôle de qualité et l’assurance de qualité (contrôle de la
réalité du contrôle), débouchant éventuellement sur une attestation
de BPC accompagnant tel essai audité, devenaient obligatoires.
Parallèlement, les BPC vont entraîner des changements profonds
dans la relation :
✓ du médecin avec le sujet se prêtant à l’expérimentation, qui
doit impérativement être informé de la nature expérimentale
du traitement qui lui est proposé, l’investigateur s’engageant à
recueillir un consentement exprès ;
✓ de l’industriel et de l’investigateur. Le médecin, jusqu’alors,
rendait au laboratoire pharmaceutique le service, moyennant
finances, de soumettre ses patients au traitement à l’essai, selon
un protocole défini à l’avance. Désormais, l’investigateur s’engage à
réaliser un authentique travail avec tout le soin que cela comporte.
Cette acceptation l’oblige à se rendre disponible, à connaître et à
respecter modalités techniques, contrôles et délais, à s’organiser
spécifiquement pour l’essai, à veiller à la qualité du recueil des
données, à informer le plus rapidement possible le promoteur de
tout événement critique, à signer le rapport final et à s’assurer du
devenir de l’ensemble du matériel relatif à l’essai. En contrepartie,
il recevra des honoraires, prévus par une convention financière.
“Ces sommes sortent du cadre des bonnes pratiques cliniques”
(27), mais leur existence et la légitimité sont reconnues pour la
première fois. La participation du médecin à un essai clinique n’est
plus un “petit ménage” effectué à l’occasion, mais un métier.
Les différents destinataires du projet de texte lui firent bon
accueil. Certains, relevant le caractère purement technique du
document, s’interrogèrent sur ses prolongements éthiques éventuels. Les questions les plus communément posées touchaient
à la forme administrative prévue pour ces dispositions et à leur
portée juridique. La référence aux volontaires sains valait-elle
autorisation officielle de ces expérimentations, jusqu’alors du
moins problématiques du point de vue du droit, voire clandestines ? Dans son avis du 2 février 1987, l’Ordre des médecins
relevait, comme on pouvait le prévoir, à propos des contrôles de
qualité, que “cette irruption d’un tiers dans la relation médecinsujet dans le cas d’un essai à visée thérapeutique potentielle
pose un problème de respect du secret professionnel”, sans
toutefois faire de cette remarque le motif d’une quelconque
opposition (29).
g. Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, appellation antérieure des entreprises du
médicament (LEEM).
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Un bulletin de l’Ordre national des médecins d’octobre 1994
précisera : “Les procédures d’audit contribuent à la qualité des
essais cliniques et à la fiabilité de leurs conclusions. Elles constituent également un moyen essentiel de lutte contre la fraude.
Pour des raisons qui tiennent à la déontologie médicale et à la
protection des intérêts des patients, l’Ordre ne peut qu’approuver
ces procédures, qui doivent cependant s’entourer d’un ensemble
de dispositions propres à garantir la confidentialité des données
concernant les patients” (30).
Une fois les différentes remarques prises en considération et,
le cas échéant, intégrées au projet, une réunion de synthèse le
16 avril 1987 permit les dernières mises au point. Le texte définitif
(31) parut en septembre 1987, sous la forme d’un bulletin intitulé
Bonnes pratiques cliniques : avis aux promoteurs et aux investigateurs pour les essais cliniques des médicaments, réunissant le
texte officiel en langue française et sa traduction anglaise.
Alors, le groupe de travail BPC, heureux de l’œuvre accomplie, disparut, comme il est d’usage en la circonstance, avec les
remerciements de la DPhM.
La communication autour des BPC avait commencé avant même
la parution de ce bulletin. Lors du troisième colloque INSERM/
DPhM, du 26 au 29 janvier 1987, intitulé “Développement et
évaluation du médicament”, une séance entière fut consacrée
aux bonnes pratiques, en tant que système d’assurance de qualité
en matière de médicament : “Toute entreprise pharmaceutique
doit mettre en œuvre une politique de la qualité, qui a pour
objet de garantir, dans l’intérêt de la santé publique, que les
médicaments délivrés offrent et conservent la qualité requise
pour l’usage prévu. Pour maîtriser cette qualité, l’entreprise
pharmaceutique doit concevoir et mettre en application un
système d’assurance de qualité. Ce système recouvre toutes les
phases du développement, de la production et de la distribution
du médicament” (32).
Au nom du SNIP g, Y. Juillet précisa : “Si la maîtrise et l’assurance
de qualité doivent rester un objectif prioritaire pour l’industrie,
les bonnes pratiques ne sont qu’un moyen au service de cette
politique de qualité. Si l’on oubliait ce concept fondamental,
le risque évident et immédiat serait que les bonnes pratiques
puissent devenir une fin en elle-même, avec inflation mortelle
des contraintes pour l’entreprise. Cette déviation est l’obstacle
à éviter” (33).
Car, il est nécessaire de le souligner, ces BPC étaient essentiellement un outil. Elles constituaient le troisième élément d’un
triptyque en association avec les bonnes pratiques de fabrication
et les bonnes pratiques de laboratoire. Le projet de janvier fut
présenté par J.P. Bader, avec l’intention sous-jacente qu’elles
deviennent “une sorte de passeport, permettant la libre circulation des médicaments, de pays à pays, de par la garantie qu’elles
apporteront que tout a été fait suivant les règles scientifiques
et éthiques”.
En octobre 1987, le texte définitif étant disponible, ces BPC firent
l’objet, lors des quatrièmes rencontres de Giens, d’un atelier,
intitulé “Bonnes pratiques cliniques, l’expérience du terrain”,
où fut tentée la difficile synthèse de la théorie et de la pratique,
par le moyen d’une amorce de procédure opératoire standard,
La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008
de portée très générale. Avec cette remarque conclusive : “les
conditions de réalisation des essais cliniques rendent plus difficile
la réalisation des bonnes pratiques cliniques, parce qu’à l’inverse
des bonnes pratiques de fabrication où il est le maître des opérations, le promoteur n’a qu’un pouvoir restreint d’intervention
directe. Or il est dépendant de la qualité de l’organisation du
service dans lequel l’essai clinique se déroule”. Effectivement, le
fait que les essais se réalisent dans les hôpitaux ne facilitait pas
les choses, le service hospitalier étant un lieu de soins, avant
d’être un lieu de recherche.
Profitant des décrets d’application de la loi 88-1138 du
20 décembre 1988, relative à la protection des personnes se
prêtant à des recherches biomédicales, dite Huriet-Sérusclat, la
DPhM glissa dans le Code de la santé publique l’article R-5118 :
“Les essais doivent être réalisés en conformité avec […] les bonnes
pratiques cliniques dont les principes sont fixés par arrêté du
ministre chargé de la Santé”. Puis le temps passa. Le 24 avril 1996,
l’Agence du médicament, qui avait succédé à la DPhM, disposait
d’une version actualisée des Bonnes pratiques cliniques pour les
essais cliniques de médicaments, prête à permettre l’application
de cet arrêté annoncé. Cette version découlait directement d’un
document issu de l’International Conference on Harmonization
(ICH), rassemblant des représentants des autorités compétentes
et des industriels venant des États-Unis, d’Europe et du Japon
pour définir des critères communs en matière d’enregistrement
des nouveaux médicaments. Un document similaire étant en
préparation au niveau européen, la version de 1996 demeura à
l’état de projet. Finalement, les BPC sont entrées dans le Code de
la santé publique par décision du Directeur général de l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS) h,
le 24 novembre 2006, soit dix ans plus tard, en application de
l’ordonnance 2005-1087 du 1er septembre 2006, transposant en
droit interne une directive européenne (34) relative aux BPC.
D’autres accueils furent plus mesurés. Ainsi la revue Sciences
et Vie, constatant l’existence d’un “Code de bonnes pratiques
cliniques”, remarque : “Ce code, s’il s’exprime en bons préceptes,
n’a pas le moindre pouvoir contraignant, sur les laboratoires
pharmaceutiques ou sur les médecins cliniciens” (35). C’est, en
fait, le propre des règles de bonnes pratiques. Elles s’adressent
aux professionnels soucieux de bien faire, à qui elles donnent
les indications nécessaires pour aller vers la qualité. Elles ne
comportent, par conséquent, pas de sanctions, du moins pas
explicitement.
Ceux qui ont de mauvaises pratiques relèvent de deux catégories.
La première regroupe les négligents et les peu compétents, qui
peuvent trouver le moyen de corriger leurs défauts. Partant
du principe que le promoteur est chargé de la surveillance des
expérimentateurs, qu’il mandate et qu’il rétribue, les autorités
compétentes se retourneront vers lui lors d’une inspection révélant des imperfections trop criantes ou aux conséquences trop
importantes sur les résultats d’un essai ou sur les droits des
personnes y ayant participé ; au besoin en disqualifiant tout ou
partie d’un dossier. À charge pour le promoteur de donner à
h. L’AFSSaPS prendra, en janvier 1999, la place de l’Agence du médicament.
Essai clinique
E ssai clinique
l’événement les suites qu’il jugera nécessaires. Dans la deuxième
catégorie, il y a les mauvaises pratiques intentionnelles, dans le
but de tricher. Le Code pénal contient toutes les dispositions
nécessaires permettant, si l’infraction est qualifiée, de sanctionner le délinquant, qu’il soit promoteur ou investigateur.
L’un et l’autre relevant d’une juridiction ordinale, l’Ordre des
pharmaciens ou l’Ordre des médecins, les faits répréhensibles
peuvent également faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Le
système des bonnes pratiques permet d’identifier les malfaçons,
c’est là son seul objectif en la circonstance.
ÉPILOGUE
Lors des XVIIes rencontres de pharmacologie clinique de Giens,
en octobre 2001, l’idée vint au comité scientifique de cette
manifestation de constituer un groupe chargé de faire le point,
quatorze ans après la naissance du concept en France, sur la
mise en pratique de ces BPC. Furent présentées les conclusions
de 66 missions d’inspection réalisées en 2000 et 2001 par les
inspecteurs de l’AFSSaPS, sous l’autorité de P.H. Bertoye : “D’une
manière générale, on peut affirmer que l’absence de professionnalisme et l’indigence de la formation des investigateurs, l’intérêt
scientifique médiocre de certains protocoles, la motivation technique insuffisante à l’égard des activités de recherches des uns et
des autres suffisent à expliquer les défauts recensés, les études
douteuses entraînant l’enracinement de mauvaises pratiques,
qui, elles-mêmes, conduisent aux études douteuses” (36).
Sur ce triste constat, le groupe de travail a formulé des propositions visant à améliorer la formation des investigateurs, à
dissuader ces derniers de persister dans les mauvaises pratiques
et à vérifier la qualité de l’observance. Mais l’investigateur n’est
pas seul en cause. L’amélioration des pratiques passe nécessairement par une meilleure assistance de la part des promoteurs,
“un encadrement plus soutenu du monitorage, une vigilance
renforcée des autorités impliquées dans le contrôle et l’utilisation des essais”…
“Vingt fois, sur le métier, remettez votre ouvrage” (37).
■
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