Essai clinique E ssai clinique Contribution à l’histoire des bonnes pratiques cliniques dans les essais de médicaments : l’initiative française Contribution to the story of good clinical practices in the clinical trials: the french initiative ● ● J.P. Demarez* 왘 RÉSUMÉ Tous les essais cliniques portant sur des médicaments doivent être réalisés selon les “bonnes pratiques cliniques” (BPC). Il aura fallu près de trente ans pour qu’il en soit ainsi. Nous reprenons ici les principales étapes ayant conduit d’abord à constater la nécessité de ce dispositif devenu essentiel à la qualité des recherches biomédicales puis à le mettre en forme. Mots-clés : Bonnes pratiques cliniques – Recherche biomédicale. 왘 A B S TR AC T All clinical trials should be realized according to good clinical practices. It took thirty years to get there. Here are the main steps that led first of all to see the need for this device which has become essential to the quality of biomedical research to and then, formalize it. Keywords: Good clinical practices – Biomedical research. L ’article L. 1121-3 du Code de la santé publique dispose : “Les recherches biomédicales portant sur des médicaments sont réalisées dans le respect des règles de bonnes pratiques cliniques”. Le présent travail se propose de rappeler pourquoi il en est ainsi, et comment cela est arrivé. Donc, il était une fois… LES ORIGINES DE LA PRÉOCCUPATION DE QUALITÉ DANS LES ESSAIS CLINIQUES Le souci de la qualité n’est pas une préoccupation récente. Le concept de qualité lui-même remonte à Platon (1), qui fabrique * Département de pharmacologie clinique, faculté de médecine de l’hôpital Saint-Antoine, Paris. 16 le mot “poiotês” à partir du mot grec poieô, signifiant “faire, dans un jeu à deux, le fournisseur qui agit, le client qui subit”. Le mot passe par Aristote (1), qui lui donne cette définition : “Ce en vertu de quoi on est dit être tel”. Par la suite, Cicéron (1), de qualis, “manière d’être” et talis, “tel”, va donner à l’idée un nom latin : qualitas. La qualité est la conformité d’un produit à ce qu’on est en droit d’attendre. Fils de drapier, Colbert savait ce qu’étaient les draps de mauvaise qualité. Pour faire en sorte qu’on en vende de beaux, il édicta, en 1669, le Règlement général pour longueur, largeur et qualité de draps, serge et autres étoffes de laine et de fil qui seront manufacturés dans le royaume. Il créa, dans le même mouvement, le corps des inspecteurs des manufactures, chargé de démasquer les fraudeurs, et, pour faire pénétrer les règlements chez les professionnels, les jurandes, organisations corporatistes des métiers. Il n’oublia pas de prévoir, à l’intention des fraudeurs, une échelle de sanctions : l’amende pour le primo-délinquant, le pilori pour le récidiviste, les galères à la troisième infraction. Souhaitant des draps de qualité, Colbert avait mis en place ce que le mot appelle immédiatement à l’esprit : des normes, l’implication des professionnels dans l’observance des normes, le rôle nécessaire de l’inspection pour en assurer le respect, et les sanctions qui peuvent en découler pour les malfaisants qui bafouent les normes dans un esprit de lucre. Car le mépris de la qualité peut souvent s’avérer rentable. La démarche de qualité suit toujours le même chemin. Un jour, on s’aperçoit que, dans tel domaine de l’activité humaine, la qualité n’est pas au rendez-vous. Il découle de cette observation un certain nombre de conséquences… qui rappellent les mesures mises en place par Colbert. La démarche de qualité, en matière d’essais cliniques, va résulter d’une succession de constatations, faites à partir d’études plus ou moins marquantes, réalisées aux États-Unis. La plus emblématique (2), côté “académique”, est probablement celle de l’UGDP (University Group Diabetes Program). Il s’agissait d’un travail à l’initiative de chercheurs, réalisé avec le soutien du National Institutes of Health (NIH), tentant, entre 1960 et 1970, de résoudre la question suivante : “La baisse de glycémie obtenue au moyen de thérapeutiques réduit-elle le risque cardiovasculaire ?” Le protocole comparait à un placebo tous les traitements hypoglycémiants disponibles à l’époque : tolbutamide, insuline à dose fixe, insuline à dose adaptée, phenformine. La prédominance de décès d’origine cardiovasculaire dans le groupe tolbutamide a conduit le comité de surveillance à préconiser l’arrêt de ce traitement. La nouvelle s’est répandue. La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 Il en a résulté, d’une part, un mouvement hostile des médecins convaincus de l’efficacité d’une spécialité qu’ils utilisaient de façon courante et, d’autre part, des manœuvres des laboratoires concernés, visant à décrédibiliser une étude dont les résultats nuisaient à leur cotation en bourse. Précisément, la manière dont les causes des décès ont été validées est sujette à caution. Comme il s’agissait de très petits effectifs, et que la méthode retenue était l’analyse séquentielle, toute erreur sur la cause des décès rapportés était de nature à invalider la différence constatée entre le groupe tolbutamide et le groupe placebo. Dès lors, les conclusions du comité de surveillance ne seraient plus pertinentes. Or, neuf décès observés dans le groupe tolbutamide soulèvent des difficultés d’interprétation. En fait, ils ont été pris en compte, mais bien que morts avant la date limite de réception des dossiers, les patients ont été enregistrés après cette date. Il apparaît, de surcroît, que certains paramètres cardiovasculaires figurant dans la base de données diffèrent de ceux relevés dans les documents originaux. On remarquera, par la suite, après une inspection de la FDA (3), qu’aucune des anomalies relevées ne concernait des paramètres intervenant dans la réponse à la question posée. Mais ces défauts affectant la qualité procurent un excellent motif pour disqualifier l’ensemble du travail devenu objet de controverses ; cela, à la grande satisfaction des industriels commercialisant le tolbutamide, dans un marché en plein essor. Autre dossier, côté “industrie”, le refus d’autorisation par la Food and Drug Administration (FDA) de la sulfinpyrazone en prévention de la mort subite dans les six premiers mois postinfarctus. Là encore, les conclusions d’une étude dépendaient de ce que l’on considérait comme un décès de cause cardiaque “analysable” parmi les morts subites observées. La différence était ou n’était pas statistiquement significative, selon quelques subtilités d’analyse. Et la qualité des données collectées laissait singulièrement à désirer. Cette mauvaise qualité permettait, à tort, de conclure en faveur du traitement évalué. Ce que la FDA tenait à faire savoir (4). Suite à un faisceau de constats préoccupants a, tant du point de vue éthique que technique, la FDA va organiser, dans sa division des investigations scientifiques, un programme d’assurance qualité dans les recherches biomédicales. Car “les études cliniques conduites de façon inadéquate (poorly conducted) exposaient des personnes à des risques inutiles ; en outre, l’existence d’essais frauduleux avait le grand inconvénient de permettre l’autorisation de médicaments sur la base de résultats mensongers relatifs à l’efficacité et à la sécurité” (5). Ces dispositions s’inscrivent dans le contexte du National Research Act, adopté en 1974 par le Congrès des États-Unis, dont la finalité était de prévenir la réalisation de recherches attentatoires aux droits des patients. Il en résultera différents documents de nature réglementaire b, décrivant, en 1977 (6), les a. Le numéro d’octobre 1986 de la revue Sciences et Vie en présente un très intéressant florilège, où se mêlent l’incompétence crasse et la malhonnêteté flagrante, sous le titre “Les tricheurs en blouses blanches” (Siences et Vie 1986;826:14-23). b. Parallèlement, la FDA mit en place toute une série de “guidelines” exposant comment démontrer l’efficacité clinique d’une molécule dans telle ou telle pathologie. Essai clinique E ssai clinique obligations des promoteurs et des moniteurs d’essais cliniques, et en 1978 (7), celles des investigateurs. En 1981, la réglementation concernant les comités institutionnels de révision (IRB) est publiée (8). Quant aux dispositions relatives à l’information et au consentement à la recherche (9), elles sont reprises de la jurisprudence américaine, et ressemblent à celles énoncées dans la déclaration d’Helsinki, elles-mêmes dérivées du procès des médecins nazis, jugés en 1947 à Nuremberg par un tribunal américain. Ces quatre dispositifs– consentement informé, comité indépendant, obligations du promoteur, obligations de l’investigateur– issus de la réglementation fédérale américaine, seront rassemblés, par les firmes pharmaceutiques des ÉtatsUnis, à l’intention des médecins expérimentateurs impliqués dans les essais de médicaments qu’elles entreprennent, sous la forme d’un petit opuscule intitulé Good Clinical Practices. C’est ainsi que, des maisons mères à leurs filiales européennes, les bonnes pratiques cliniques (BPC) traverseront l’Atlantique pour apparaître, par exemple, chez quelques médecins hospitaliers français, pour ensuite se propager. Le but poursuivi par les firmes américaines était essentiellement prosaïque : faire en sorte que certains des essais cliniques entrepris en Europe avec leur soutien soient utilisables dans un dossier d’enregistrement présenté à la FDA. Le mieux, en la circonstance, était de conduire les médecins expérimentateurs européens à travailler selon les dispositions en vigueur aux États-Unis. Ces études n’ayant, la plupart du temps, qu’un caractère accessoire pour la démonstration d’efficacité de la spécialité nouvelle, la préoccupation principale n’était pas tant les écarts par rapport au protocole ou les déviations vis-à-vis des documents originaux, que les atteintes possibles au droit des personnes, en termes de consentement informé. Un tel défaut constituait un risque juridique pour la firme pharmaceutique qui l’aurait laissé perdurer. D’autre part, attendu que, depuis 1975, la FDA n’acceptait les études cliniques réalisées hors des États-Unis qu’à la condition qu’elles respectent la déclaration d’Helsinki, version Tokyo, il était nécessaire que tout protocole mis en place ait été, préalablement, soumis à l’avis d’un comité indépendant. Ce qui n’était pas, à l’époque, possible en France, faute de comité. Cela eut d’ailleurs un rôle moteur dans l’apparition des comités d’éthique dans les hôpitaux universitaires français. De juin 1977 à septembre 1983, la FDA a réalisé 964 inspections de routine, visant à évaluer la concordance entre les conditions de réalisation des essais cliniques examinés et les dispositions normatives évoquées ci-dessus (10). Ces inspections permirent de mettre en évidence : ✓ dans 40 % des cas, un défaut affectant le consentement des patients ; ✓ dans 34 % des cas, un bilan inadéquat des produits utilisés dans l’essai ; ✓ dans 23 % des cas, des violations du protocole ; ✓ dans 18 % des cas, des données inexactes ; ✓ dans 4 % des cas, des données originales non disponibles, jetant le doute sur l’exactitude des résultats rapportés. La conclusion fut que si, pour de nombreuses raisons, on obser- La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 17 Essai clinique E ssai clinique vait des errances sérieuses dans la réalisation des essais, seul un contrôle adéquat des investigateurs par les firmes pharmaceutiques pouvait, par des mesures efficaces, améliorer le niveau du travail de ceux-ci. La FDA se donnait, pour sa part, le devoir de redoubler de rigueur. SITUATION EN FRANCE À L’AUBE DES BONNES PRATIQUES CLINIQUES Le jeune pharmacologue clinicien qui aurait, aujourd’hui, la curiosité de consulter un dossier de demande de visa d’une spécialité pharmaceutique conforme aux dispositions du décret du 26 novembre 1953 n’en croirait pas ses yeux (11). Le visa ministériel autorisant l’exploitation d’une spécialité était accordé “lorsqu’il avait été constaté qu’elle présentait un caractère de nouveauté ainsi qu’un intérêt thérapeutique, et qu’elle n’entraînait pas de danger pour la santé morale et physique de la population”. Ce constat était effectif dès lors que des notabilités médicales attestaient, par leurs observations cliniques jointes au dossier, qu’il en était ainsi. Il s’agissait, la plupart du temps, de quelques feuilles, déclarant combien, chez tel et tel patient, le produit s’était avéré bénéfique. En 1965, le système est modifié. La directive 65/65/ CEE, “concernant le rapprochement des dispositions législatives réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques”, crée l’autorisation de mise sur le marché (AMM), transposée en droit français par l’ordonnance du 23 septembre 1967. Cette directive introduit les critères de qualité, d’efficacité et d’innocuité dans les éléments à prendre en considération par la Commission d’AMM (crée en 1978), lors de l’examen d’un dossier de demande de commercialisation, préalablement à la décision du ministre. La Commission d’AMM ne se contente pas des intuitions et des observations d’experts, mais elle va vérifier, à partir du dossier clinique établi par le fabricant, la preuve scientifique de l’efficacité et de l’innocuité du produit. Les travaux cliniques présentés doivent suivre la méthodologie de la pharmacologie clinique, dont la connaissance, à l’époque, se trouvait plus dans les laboratoires pharmaceutiques que chez les médecins expérimentateurs ; grâce, en particulier, à l’enseignement du CESAM (certificat d’études statistiques appliquées à la médecine). Certes, l’arrêté du 16 mai 1972 fait apparaître la nécessité d’un protocole relatif aux essais cliniques. Il se borne cependant à laisser la liberté “aux experts de déterminer les modalités de mise en œuvre qui leur paraîtront les plus adéquates dans chaque cas d’espèce, tout en tenant compte des impératifs éthiques qui gouvernent les essais sur l’homme”, sans dire un mot de méthodologie. Les experts figurent sur une liste officielle, où les laboratoires pharmaceutiques ont la liberté d’aller choisir, “mais rien n’est dit sur la manière dont [ces experts] doivent procéder” (11). c. À cette époque-là, Alain Spriet est directeur médical des laboratoires Hoechst et Pierre SIMON est professeur des universités et initiateur d’un enseignement de la pharmacologie clinique à la Pitié-Salpêtrière. Il est en outre créateur avec Alain Spriet et Jean-Michel Alexandre du premier certificat de pharmacologie clinique, dont les deux tiers des 1 000 étudiants formés en huit ans deviendront pharmacologues cliniciens industriels. 18 Les directives 75/318/CEE et 75/319/CEE vont harmoniser les règles d’obtention des AMM et créer le Comité des spécialités pharmaceutiques pour les procédures d’A MM européennes, en précisant le rôle des experts. Consécutivement, l’arrêté du 16 décembre 1975 dispose, pour la France. “Il est nécessaire que les essais cliniques s’effectuent sous forme d’essais contrôlés. La manière dont ils sont réalisés varie dans chaque cas et dépend également de considérations d’ordre éthique. Ainsi, il peut parfois être plus intéressant de comparer l’effet thérapeutique d’une nouvelle spécialité à celui d’un médicament déjà appliqué dont la valeur thérapeutique est communément connue, plutôt qu’à l’effet d’un placebo.” “Dans la mesure du possible, mais surtout lorsqu’il s’agit d’essais où l’effet du produit n’est pas objectivement mesurable, il faut avoir recours à des essais contrôlés réalisés selon la méthode du double insu. […] les critères adoptés […] doivent être suffisamment précis pour permettre un traitement statistique. Le recours à un grand nombre de patients […] ne doit dans aucun cas être considéré comme pouvant remplacer un essai contrôlé bien exécuté […]” “À compter du 1er novembre 1976, les demandes d’autorisation de mise sur le marché […] ne seront recevables que si elles sont accompagnées de comptes rendus d’essais cliniques poursuivis dans le respect du protocole fixé [par le présent arrêté].” On sait, depuis la publication, en 1970, de l’ouvrage de D. Schwartz, R. Flamant et J. Lellouch intitulé L’Essai thérapeutique chez l’homme (12), qu’un essai clinique doit obéir à une méthode rationnelle. Mais il faudra attendre 1980 pour que le traité d’A. Spriet et P. Simon c expose, à l’intention des cliniciens, une “méthodologie des essais cliniques de médicaments” (13) se préoccupant, de façon simple et didactique, des marqueurs de qualité, qualité éthique comme méthodologique. Conseiller de Simone Veil, ministre de la Santé de 1975 à 1980, J.P. Bader a une influence notable sur l’évolution des idées en matière de médicament, notamment par la création, en 1977, de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPhM), nouveau département du ministère de la Santé. Lors d’une réunion au ministère de la Santé, le 23 janvier 1975, il est décidé, au sujet des AMM, que les expertises cliniques présentées par un laboratoire pharmaceutique seront soumises à l’évaluation anonyme de deux experts. Il est également convenu de procéder rétrospectivement à l’évaluation réelle de l’intérêt des médicaments déjà présents sur le marché, par le biais d’une Commission de révision des dictionnaires des spécialités pharmaceutiques, sous l’autorité de J.M. Alexandre. Pour la première fois, certains laboratoires français sont confrontés à de vraies questions de méthodologie concernant leur source de bénéfices. Il résultera de cette révision un classement des spécialités pharmaceutiques en deux catégories : celles pour lesquelles des données objectives disponibles permettent une validation immédiate dans les indications thérapeutiques revendiquées, et celles pour lesquelles les indications revendiquées demandent à être démontrées par des travaux complémentaires. Cette seconde catégorie était destinée à éclater. Certains des médica- La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 ments concernés allaient voir leur indication établie. Les autres, dans la logique européenne, devaient disparaître en 1990, faute de répondre aux critères exigés par le processus de validation des AMM accordées antérieurement au 20 novembre 1976. Toutefois, pour des raisons mêlant santé publique et intérêts économiques, des solutions appropriées devaient être trouvées pour le marché français. Au chapitre des “bonnes pratiques”, relevons un premier texte, celui des “bonnes pratiques de fabrication” (14), paru le 3 octobre 1978. Il faisait suite à l’adhésion de la France en 1976 au “système de certification de la qualité des produits pharmaceutiques entrant dans le commerce international”, objet lui-même d’une résolution de l’organisation mondiale de la santé (OMS) en 1969. Le texte, élaboré sous les auspices de la Commission nationale de la pharmacopée, eut d’abord le caractère d’une circulaire administrative, accompagnée d’une instruction du ministre de la Santé, précisant que “tous ceux qui, à tous les échelons, sont responsables de la qualité des médicaments pourront désormais se référer à ce document”. Il ne prendra un caractère obligatoire qu’avec l’arrêté du 20 janvier 1992. Puis vint l’instruction ministérielle du 31 mai 1983 contenant un “Guide des recommandations de bonnes pratiques de laboratoire (BPL)”. Ces règles visaient à garantir la validité et l’intégrité des données recueillies au cours des études de toxicologie expérimentale réalisées en vue de la constitution du dossier d’AMM. Le texte était issu d’un consensus entre experts de l’administration, de l’industrie, et de toxicologues “académiques”. Il s’inspirait d’un document publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans l’esprit de ses concepteurs, le système dit “des bonnes pratiques” “avait l’avantage de la souplesse”. Il s’agissait “de constituer des objectifs à atteindre, et non une série de recettes réglementaires étroites, laissant ainsi le maximum d’autonomie et de responsabilités aux acteurs eux-mêmes” (15). Toutefois, la nécessité d’une assurance officielle de la qualité du médicament français soulevait les questions des inspections et du caractère d’opposabilité juridique des recommandations de bonnes pratiques. Les BPL donnèrent par conséquent lieu, le 20 janvier 1986, puis le 6 mai 1988, à des décrets les insérant dans le Code de la santé publique. Cette évolution dans la hiérarchie des normes n’était pas sans rapport avec les directives européennes 87/18/CEE et 88/320/CEE. Dès lors, le rôle des inspecteurs était de vérifier le “degré de conformité aux principes des BPL”, “les noms des laboratoires soumis à des inspections dans le cadre d’un programme national de mise en conformité aux BPL, leur degré de conformité aux principes des BPL, et les dates des inspections [devant] être mis à la disposition des autorités nationales de vérification en matière de BPL d’autres pays membres sur demande… ceci étant gage de réciprocité”. Mais si les inspecteurs attestaient officiellement la conformité aux règles de bonnes pratiques, ils n’avaient pas à apprécier la valeur scientifique intrinsèque des travaux présentés, ce qui était du ressort du rapporteur près la Commission d’AMM. Essai clinique E ssai clinique Parallèlement au travail des structures administratives, retracé ci-dessus, il convient de mentionner l’activité créatrice des professionnels de la pharmacologie clinique, hospitaliers, universitaires comme industriels. Le colloque organisé à Lyon du 9 au 11 septembre 1977 (16), à l’initiative et sous la présidence de J.P. Boissel et de C.R. Klimt, constitue une avancée véritablement porteuse. Il est intitulé “Essais contrôlés multicentres : principes et problèmes”. Lors de ce colloque, l’exposé “Quality assurance in clinical trials” a permis à C.L. Meinert (17) de préciser : “Le contrôle de qualité se propose de maintenir et de renforcer la validité des résultats d’un essai clinique. Il doit commencer avant le début de l’essai et se poursuivre jusqu’à la publication du dernier rapport concernant l’étude. Un grand nombre de patients et d’enquêteurs sont impliqués dans l’essai multicentrique, et un grand nombre d’informations sont recueillies et traitées. Cela mobilise beaucoup de temps, d’énergie humaine et d’argent, il n’est pas concevable de s’embarquer dans une telle aventure sans précautions quant à la qualité du travail à effectuer.” Suivaient dix recommandations relatives aux différents aspects du contrôle de qualité, l’essai pris en exemple étant une étude “institutionnelle”, le Coronary Drug Project, entreprise avec le soutien de fonds publics aux États-Unis. En 1980 (18), un premier congrès INSERM/DPhM fait le point sur les bases scientifiques et réglementaires de l’évaluation des médicaments. Dans l’article Contrôle de qualité des essais thérapeutiques (19), J.P. Boissel et A. Leizorovicz définissent une prospective très futuriste pour l’époque. Cette prospective découlait largement d’un essai financé par la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), l’INSERM et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et réalisé en 1974 par le groupe Étude de prévention des récidives de l’infarctus du myocarde par l’aspirine (EPSIM). Cet essai constituait une sorte de prototype, tant en matière de contrôle de qualité que d’utilisation de moyens informatiques. Le manuel d’opérations de l’étude prévoyait une certification du consentement oral des patients participant, des visites de centres pour vérifier l’adéquation entre les informations figurant dans le dossier hospitalier et ce qui avait été noté sur les bordereaux servant au recueil d’observation (on ne parlait pas encore de case report form [CRF]). Ces visites sur site avaient été précisément effectuées par les deux intervenants, J.P. Boissel et A. Leizorovicz. Ainsi donc, la valeur objective d’un essai dépendrait-elle, en plus des éléments classiques comme l’analyse du problème posé, l’adéquation du protocole à la réponse attendue et la justesse de l’analyse statistique, d’une considération nouvelle, la qualité des données recueillies. Le “contrôle de qualité” viserait à optimiser ce dernier élément, ce contrôle de qualité représentant l’ensemble des processus certifiant la fiabilité des résultats, démarche que J.P. Boissel et A. Leizorovicz considèrent constituer une exigence éthique. On rapporte, parmi les éléments sensibles, les “perdus de vue”, les visites manquées, les données absentes ou erronées, les mauvaises administrations des traitements testés, les “événements critiques”, toute une série de critères sur lesquels se fondent les indices de qualité, soumis à des contrôles internes, voire externes. Dans le même congrès, R. Flamant et son équipe (20) dressent La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 19 Essai clinique E ssai clinique un bilan critique d’une série de dossiers cliniques adressés à la commission d’AMM, photographie d’un ensemble de déficiences traduisant une indigence chronique. Le deuxième congrès INSERM-DPhM (21), en 1983, intitulé “Voies nouvelles de l’évaluation scientifique et réglementaire du médicament”, permet de revenir sur ce “bilan critique des essais cliniques soumis à l’avis de la Commission d’AMM” (22). Il complète l’état des lieux réalisé trois ans plus tôt. Le résultat n’est toujours pas glorieux, mais on est parti de tellement bas. Les auteurs relèvent l’absence d’une méthodologie rigoureuse dans la majorité des dossiers présentés, et regrettent que “l’expertise française de certains produits se réduise à une étude ouverte de faible intérêt alors que le dossier international, s’il était bien critiqué et étayé, suffirait largement à emporter la conviction”. Ils concluent en formulant des souhaits : ✓ que l’industrie aide le clinicien à assurer le bon déroulement de son expertise, l’infrastructure hospitalière ne donnant pas les moyens matériels indispensables à la bonne marche et à la bonne surveillance des essais ; ✓ que l’administration prenne conscience de la nécessité de règles méthodologiques obligatoires comme condition de l’amélioration des essais cliniques français, avec, en complément, l’élaboration de guides et la formation des cliniciens aux essais cliniques. Au cours d’une communication de ce colloque, intitulée “Contrôle de qualité des essais cliniques chez le praticien”, l’orateur J. Ankri fait remarquer que “la préoccupation de la vérification de la qualité des actes et des documents liés à la pratique des essais cliniques pour les nouveaux médicaments est récente” (23). Il reprend les principes énoncés dans les actes du congrès précédent relatifs au contrôle de qualité pour les appliquer aux essais en médecine praticienne. Il souligne qu’à côté des aspects techniques, il existe des “obligations éthiques à l’égard des sujets participant à une étude, et qui impose la rigueur de sa réalisation. La garantie minimum que peut exiger un sujet acceptant de participer à un essai thérapeutique est bien celle de la qualité de son exécution.” Aux États-Unis, remarque-t-il, la FDA “a édicté des règles dites de good clinical practices, précises, détaillées […]. L’industriel qui souhaite demander une autorisation de commercialisation d’un nouveau médicament ainsi que l’investigateur qui souhaite participer à ces programmes d’études doivent appliquer rigoureusement les règles de bonnes pratiques, c’est-à-dire les règles de contrôle de qualité des essais”. Malheureusement, en France, ces règles n’existent pas. L’ÉLABORATION DES BONNES PRATIQUES CLINIQUES Ces règles vont donc devoir être définies. Pour la DPhM, l’idée des BPC comme démarche de qualité était une étape d’un processus plus large, la modernisation de la pharmacie française. Elle s’inscrivait également dans une perspective internationale. Les États-Unis, le Canada et la Suède 20 avaient déjà travaillé le sujet, le Japon manifestait de l’intérêt pour le concept. Il s’avérait indispensable de concevoir un projet français à présenter à l’Europe. Sinon, le risque de se retrouver face à un texte copie conforme des dispositions américaines n’était pas nul. Il était, de plus, impératif de disposer d’un texte avant que l’Europe mette cette réflexion en route. Précisément, sous la forme d’un document intitulé Conduct of clinical trials (24), l’idée commençait à germer au Committee for Proprietary Medicinal Products (CPMP). La façon dont les bonnes pratiques de laboratoires avaient été élaborées démontrait l’intérêt de la “concertation tripartite” administratifs-industriels-académiques. Ce type de concertation se trouvait facilité, depuis 1984, par la création, à l’initiative de la DPhM et de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), de “Rencontres nationales de pharmacologie clinique”, à Giens. Ces rencontres avaient permis de faciliter les échanges entre spécialistes institutionnels et industriels, dans un esprit de coopération et de partenariat. Depuis, différents ateliers de ces rencontres avaient été consacrés à la façon de conduire des essais cliniques du point de vue aussi bien de la qualité éthique que de la qualité méthodologique, chez le malade comme chez le volontaire sain. Cela, rappelons-le, dans le contexte juridique antérieur à celui que mettra en place la loi dite Huriet-Sérusclat en décembre 1988. Sans s’être livrée à une enquête exhaustive, la DPhM détenait quelques dossiers, rapportés par ses inspecteurs, de fraudeurs pris sur le fait, médecins ayant inventé des patients, officine spécialisée dans la construction de dossiers de demande d’AMM ayant produit des rapports d’essais cliniques mensongers. Le milieu des pharmacologues cliniciens avait, de son côté, été sensibilisé par quelques dérapages, aussi bien en matière d’essais que de publications. Certaines firmes pharmaceutiques nationales s’étaient, pour leur part, risquées à commencer la mise en place de procédures dans les essais cliniques qu’elles entreprenaient (25), faisant, en quelque sorte, des bonnes pratiques cliniques comme M. Jourdain faisait de la prose. Et pour les filiales françaises de firmes américaines, l’exemple venait de la maison mère. Le projet de BPC présentait toutefois le risque d’être rejeté par une majorité d’industriels, ceux-ci ayant déjà vu, depuis dix ans, les contraintes et obligations réglementaires croîtrent de façon notable. Les BPC avaient pour conséquence prévisible l’augmentation du coût des essais. Ces coûts affectaient essentiellement les firmes françaises, et non les filiales françaises de firmes étrangères, moins impliquées dans les programmes de développement, car recevant les dossiers de demande d’AMM des maisons mères, dans le but éventuel de leur donner une coloration nationale. À l’époque, le poids des firmes françaises dans le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique était important. Les BPC ne manqueraient pas de créer des difficultés chez les cliniciens, du temps nécessaire aux contrôles de qualité, qui allongerait d’autant les essais. À ce propos, ces contrôles de qualité comportaient l’inconvénient d’exposer le médecin hospitalier, personnage toujours considérable, aux vérifications tatillonnes d’un “petit salarié” de l’industrie pharmaceutique. La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 Tatillonnes, et parfois indiscrètes. Mais surtout, ils avaient pour conséquence l’intervention de ce salarié du laboratoire pharmaceutique, contrôleur de qualité, dans les rapports du médecin avec son patient. Il est utile de rappeler que, à cette époque, la situation de la recherche biomédicale se confondait avec l’acte de soin. Un contrôle de qualité était, de fait, l’immixtion d’une tierce personne dans le “colloque singulier”, expression consacrée caractérisant précisément la relation médecin-malade. Il pouvait, d’ailleurs, arriver que le malade ne sache pas qu’il participait à une expérimentation (26). Ce colloque singulier et le secret médical qui le protège allaient, sans nul doute, être menacés. Un blocage “culturel” des médecins expérimentateurs était susceptible d’en résulter, au nom de la déontologie. Les pharmacologues cliniciens, industriels, académiques ou administratifs considéraient ce nouveau chantier comme prometteur, mais on pouvait craindre de leur part un certain maximalisme. Puisque les aspects psychologiques s’avéraient importants, le directeur de la DPhM, J. Daugoumau, fit preuve d’une grande habilité pédagogique. Les industriels français admirent facilement que en l’absence de BPC, ils s’exposaient à ne plus exporter leur production, notamment aux États-Unis. Il convenait donc de se plier à ces nouveaux critères, même si les conséquences prévisibles des BPC étaient la complexification des processus, l’obligation de création de postes et l’accroissement des budgets des études. Beaucoup d’industriels avaient commencé à se familiariser avec le principe des BPC. Il fut décidé d’organiser un groupe de travail a chargé de mener une réflexion sur les BPC. Ce groupe rassemblait des membres d’origines diverses, industriels, universitaires, hospitaliers, agents de l’administration hospitalière et de la DPhM, sous la présidence de J.P. Bader (27). Le choix du président procédait d’un raisonnement plurifactoriel. L’intéressé avait un parcours très actif dans le monde du médicament, il avait l’expérience de l’animation de commissions, il était un clinicien authentique, il ne risquait pas de passer pour un ayatollahs des procédures ou un archi-administratif, ni pour une personnalité hostile, par idéologie, à l’industrie pharmaceutique. Il ne pouvait qu’être accepté de tous. “Avec lui, ça allait marcher.” Les membres du groupe de travail reçurent comme documents d’information, les textes de la FDA, une instruction interne d’un laboratoire, un projet canadien, l’avis du Comité d. Liste des membres : Mmes A. Artiges, J.P. Bader, A. Chicoye, E. Eschewege, F. Forette, F. Lacombe, M.T. Loulergue, P. Morin. M. J.M. Alexandre, J. Ankri, J.P. Bader, J.P. Boissel, C. Caulin, Y. Champey, A. Chandier, J.P. Couzinier, J.P. Demarez, S. Ferry, J.F. Henry, J.M. Husson, Y. Juillet, E. Zarifian. e. D. Tabuteau, premier directeur de l’Agence du médicament (structure qui va succéder à la DPhM en 1993), avait proposé que les premiers laboratoires pharmaceutiques inspectés le soient sur la base du volontariat. L’afflux de demandes d’inspection émanant de la Direction de l’évaluation de l’Agence rendit cette proposition sans suites. f. La liste des experts agréés a été supprimée par la loi du 30 juillet 1987, comme non conforme au principe de libre choix organisé par la procédure communautaire. Découlait de cette disposition la responsabilité incombant au promoteur de vérifier la qualification des experts qu’il mandatait, et une totale liberté de choix parmi les médecins diplômés. Essai clinique E ssai clinique national d’éthique sur les essais cliniques, des extraits du colloque INSERM-DPhM 1983, une analyse intitulée Droit et Pharmacie datée de mars 1985, les bonnes pratiques de laboratoires et les bonnes pratiques de fabrication. Lors de sa première réunion, le 9 décembre 1985, le groupe, s’étant doté d’un calendrier prévisionnel, se constitua en cinq sous-groupes chargés chacun d’un aspect spécifique : investigateurs et essais en ville, check-list des différents paramètres de qualité, modalités du contrôle-faisabilité, obligations des industriels, comités d’éthique. Le groupe de travail avait six mois pour proposer un projet de texte “impliquant un certain pragmatisme plutôt qu’un document de nature purement réglementaire”. Mais il ne faisait pas de doute que ce système conduirait à des contrôles et à la réalisation d’inspections e. La maturation fut un peu plus longue que prévu. Un projet, daté du 15 janvier 1987, fut adressé pour lecture critique, par la DPhM, aux Académies de médecine et de pharmacie, aux Ordres des médecins et des pharmaciens, au directeur général de l’INSERM, à différentes personnalités du monde hospitalo-universitaire, au Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, à l’Association des médecins de l’industrie pharmaceutique et aux entreprises pharmaceutiques françaises les plus importantes (28). Les dispositions que comportait ce projet, relatives à la méthode du contrôle et de l’assurance de qualité, étaient classiques, et semblaient répondre aux buts poursuivis, “visant à renforcer la maîtrise de la qualité des essais cliniques réalisés en France sur le médicament. Elles ne [visaient] pas à apprécier la valeur scientifique intrinsèque d’une étude”. Ces BPC étaient porteuses de nouveautés significatives, s’agissant d’un texte rédigé sous les auspices du ministère de la Santé : ✓ Elles débutaient par un glossaire proposant une définition commune des termes relatifs à la qualité comme à la conduite des essais, de nature très technique. On y remarque un usage particulier du “dossier du malade” : un dossier spécifique doit exister pour chaque sujet inclus dans l’essai. Il permet, notamment, de vérifier l’authenticité des informations figurant dans le cahier d’observation ; ✓ Elles prévoyaient la notifi cation “sans délai au système national de pharmacovigilance des effets indésirables jugés graves en fonction de leur sévérité” dont le promoteur a connaissance au cours de l’essai ; ✓ Elles opéraient la réintégration dans le “monopole pharmaceutique de la dispensation” des produits à l’essai, avec le bilan de leur utilisation ; ✓ Elles faisaient obligation au promoteur de recruter des investigateurs disposant de la qualification nécessaire f et aptes à pratiquer les essais cliniques. Ces éléments devaient être établis par un curriculum vitæ à fournir au promoteur ; ✓ Alors qu’antérieurement, les essais devaient être faits “en principe dans des établissements de soins”, il était désormais possible qu’un essai soit “effectué en médecine générale ou en médecine spécialisée, (de façon) habituellement multicentrique” ; La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 21 Essai clinique E ssai clinique ✓ Un type d’essai particulier apparaissait, l’essai sans objectif thérapeutique”, imposant des précautions spécifiques, en particulier la compétence pharmacologique de l’investigateur, des locaux “permettant d’assurer la sécurité des sujets participants”, ces sujet pouvant être des “volontaires sains”. Il était nécessaire de prévoir les conditions d’indemnisation de leur participation à l’essai. Leur consentement devait être manifesté par écrit ; ✓ Elles constituaient la reconnaissance de “comités d’éthique” consultatifs, la mise entre guillemets marquant une prise de distance laïque avec la version anglo-saxonne de ce type d’institution ; l’appellation “étant retenue en raison de son emploi dans le langage courant et dans la littérature”. ✓ Le contrôle de qualité et l’assurance de qualité (contrôle de la réalité du contrôle), débouchant éventuellement sur une attestation de BPC accompagnant tel essai audité, devenaient obligatoires. Parallèlement, les BPC vont entraîner des changements profonds dans la relation : ✓ du médecin avec le sujet se prêtant à l’expérimentation, qui doit impérativement être informé de la nature expérimentale du traitement qui lui est proposé, l’investigateur s’engageant à recueillir un consentement exprès ; ✓ de l’industriel et de l’investigateur. Le médecin, jusqu’alors, rendait au laboratoire pharmaceutique le service, moyennant finances, de soumettre ses patients au traitement à l’essai, selon un protocole défini à l’avance. Désormais, l’investigateur s’engage à réaliser un authentique travail avec tout le soin que cela comporte. Cette acceptation l’oblige à se rendre disponible, à connaître et à respecter modalités techniques, contrôles et délais, à s’organiser spécifiquement pour l’essai, à veiller à la qualité du recueil des données, à informer le plus rapidement possible le promoteur de tout événement critique, à signer le rapport final et à s’assurer du devenir de l’ensemble du matériel relatif à l’essai. En contrepartie, il recevra des honoraires, prévus par une convention financière. “Ces sommes sortent du cadre des bonnes pratiques cliniques” (27), mais leur existence et la légitimité sont reconnues pour la première fois. La participation du médecin à un essai clinique n’est plus un “petit ménage” effectué à l’occasion, mais un métier. Les différents destinataires du projet de texte lui firent bon accueil. Certains, relevant le caractère purement technique du document, s’interrogèrent sur ses prolongements éthiques éventuels. Les questions les plus communément posées touchaient à la forme administrative prévue pour ces dispositions et à leur portée juridique. La référence aux volontaires sains valait-elle autorisation officielle de ces expérimentations, jusqu’alors du moins problématiques du point de vue du droit, voire clandestines ? Dans son avis du 2 février 1987, l’Ordre des médecins relevait, comme on pouvait le prévoir, à propos des contrôles de qualité, que “cette irruption d’un tiers dans la relation médecinsujet dans le cas d’un essai à visée thérapeutique potentielle pose un problème de respect du secret professionnel”, sans toutefois faire de cette remarque le motif d’une quelconque opposition (29). g. Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, appellation antérieure des entreprises du médicament (LEEM). 22 Un bulletin de l’Ordre national des médecins d’octobre 1994 précisera : “Les procédures d’audit contribuent à la qualité des essais cliniques et à la fiabilité de leurs conclusions. Elles constituent également un moyen essentiel de lutte contre la fraude. Pour des raisons qui tiennent à la déontologie médicale et à la protection des intérêts des patients, l’Ordre ne peut qu’approuver ces procédures, qui doivent cependant s’entourer d’un ensemble de dispositions propres à garantir la confidentialité des données concernant les patients” (30). Une fois les différentes remarques prises en considération et, le cas échéant, intégrées au projet, une réunion de synthèse le 16 avril 1987 permit les dernières mises au point. Le texte définitif (31) parut en septembre 1987, sous la forme d’un bulletin intitulé Bonnes pratiques cliniques : avis aux promoteurs et aux investigateurs pour les essais cliniques des médicaments, réunissant le texte officiel en langue française et sa traduction anglaise. Alors, le groupe de travail BPC, heureux de l’œuvre accomplie, disparut, comme il est d’usage en la circonstance, avec les remerciements de la DPhM. La communication autour des BPC avait commencé avant même la parution de ce bulletin. Lors du troisième colloque INSERM/ DPhM, du 26 au 29 janvier 1987, intitulé “Développement et évaluation du médicament”, une séance entière fut consacrée aux bonnes pratiques, en tant que système d’assurance de qualité en matière de médicament : “Toute entreprise pharmaceutique doit mettre en œuvre une politique de la qualité, qui a pour objet de garantir, dans l’intérêt de la santé publique, que les médicaments délivrés offrent et conservent la qualité requise pour l’usage prévu. Pour maîtriser cette qualité, l’entreprise pharmaceutique doit concevoir et mettre en application un système d’assurance de qualité. Ce système recouvre toutes les phases du développement, de la production et de la distribution du médicament” (32). Au nom du SNIP g, Y. Juillet précisa : “Si la maîtrise et l’assurance de qualité doivent rester un objectif prioritaire pour l’industrie, les bonnes pratiques ne sont qu’un moyen au service de cette politique de qualité. Si l’on oubliait ce concept fondamental, le risque évident et immédiat serait que les bonnes pratiques puissent devenir une fin en elle-même, avec inflation mortelle des contraintes pour l’entreprise. Cette déviation est l’obstacle à éviter” (33). Car, il est nécessaire de le souligner, ces BPC étaient essentiellement un outil. Elles constituaient le troisième élément d’un triptyque en association avec les bonnes pratiques de fabrication et les bonnes pratiques de laboratoire. Le projet de janvier fut présenté par J.P. Bader, avec l’intention sous-jacente qu’elles deviennent “une sorte de passeport, permettant la libre circulation des médicaments, de pays à pays, de par la garantie qu’elles apporteront que tout a été fait suivant les règles scientifiques et éthiques”. En octobre 1987, le texte définitif étant disponible, ces BPC firent l’objet, lors des quatrièmes rencontres de Giens, d’un atelier, intitulé “Bonnes pratiques cliniques, l’expérience du terrain”, où fut tentée la difficile synthèse de la théorie et de la pratique, par le moyen d’une amorce de procédure opératoire standard, La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2008 de portée très générale. Avec cette remarque conclusive : “les conditions de réalisation des essais cliniques rendent plus difficile la réalisation des bonnes pratiques cliniques, parce qu’à l’inverse des bonnes pratiques de fabrication où il est le maître des opérations, le promoteur n’a qu’un pouvoir restreint d’intervention directe. Or il est dépendant de la qualité de l’organisation du service dans lequel l’essai clinique se déroule”. Effectivement, le fait que les essais se réalisent dans les hôpitaux ne facilitait pas les choses, le service hospitalier étant un lieu de soins, avant d’être un lieu de recherche. Profitant des décrets d’application de la loi 88-1138 du 20 décembre 1988, relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, dite Huriet-Sérusclat, la DPhM glissa dans le Code de la santé publique l’article R-5118 : “Les essais doivent être réalisés en conformité avec […] les bonnes pratiques cliniques dont les principes sont fixés par arrêté du ministre chargé de la Santé”. Puis le temps passa. Le 24 avril 1996, l’Agence du médicament, qui avait succédé à la DPhM, disposait d’une version actualisée des Bonnes pratiques cliniques pour les essais cliniques de médicaments, prête à permettre l’application de cet arrêté annoncé. Cette version découlait directement d’un document issu de l’International Conference on Harmonization (ICH), rassemblant des représentants des autorités compétentes et des industriels venant des États-Unis, d’Europe et du Japon pour définir des critères communs en matière d’enregistrement des nouveaux médicaments. Un document similaire étant en préparation au niveau européen, la version de 1996 demeura à l’état de projet. Finalement, les BPC sont entrées dans le Code de la santé publique par décision du Directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS) h, le 24 novembre 2006, soit dix ans plus tard, en application de l’ordonnance 2005-1087 du 1er septembre 2006, transposant en droit interne une directive européenne (34) relative aux BPC. D’autres accueils furent plus mesurés. Ainsi la revue Sciences et Vie, constatant l’existence d’un “Code de bonnes pratiques cliniques”, remarque : “Ce code, s’il s’exprime en bons préceptes, n’a pas le moindre pouvoir contraignant, sur les laboratoires pharmaceutiques ou sur les médecins cliniciens” (35). C’est, en fait, le propre des règles de bonnes pratiques. Elles s’adressent aux professionnels soucieux de bien faire, à qui elles donnent les indications nécessaires pour aller vers la qualité. Elles ne comportent, par conséquent, pas de sanctions, du moins pas explicitement. Ceux qui ont de mauvaises pratiques relèvent de deux catégories. La première regroupe les négligents et les peu compétents, qui peuvent trouver le moyen de corriger leurs défauts. Partant du principe que le promoteur est chargé de la surveillance des expérimentateurs, qu’il mandate et qu’il rétribue, les autorités compétentes se retourneront vers lui lors d’une inspection révélant des imperfections trop criantes ou aux conséquences trop importantes sur les résultats d’un essai ou sur les droits des personnes y ayant participé ; au besoin en disqualifiant tout ou partie d’un dossier. À charge pour le promoteur de donner à h. L’AFSSaPS prendra, en janvier 1999, la place de l’Agence du médicament. Essai clinique E ssai clinique l’événement les suites qu’il jugera nécessaires. Dans la deuxième catégorie, il y a les mauvaises pratiques intentionnelles, dans le but de tricher. Le Code pénal contient toutes les dispositions nécessaires permettant, si l’infraction est qualifiée, de sanctionner le délinquant, qu’il soit promoteur ou investigateur. L’un et l’autre relevant d’une juridiction ordinale, l’Ordre des pharmaciens ou l’Ordre des médecins, les faits répréhensibles peuvent également faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Le système des bonnes pratiques permet d’identifier les malfaçons, c’est là son seul objectif en la circonstance. ÉPILOGUE Lors des XVIIes rencontres de pharmacologie clinique de Giens, en octobre 2001, l’idée vint au comité scientifique de cette manifestation de constituer un groupe chargé de faire le point, quatorze ans après la naissance du concept en France, sur la mise en pratique de ces BPC. Furent présentées les conclusions de 66 missions d’inspection réalisées en 2000 et 2001 par les inspecteurs de l’AFSSaPS, sous l’autorité de P.H. Bertoye : “D’une manière générale, on peut affirmer que l’absence de professionnalisme et l’indigence de la formation des investigateurs, l’intérêt scientifique médiocre de certains protocoles, la motivation technique insuffisante à l’égard des activités de recherches des uns et des autres suffisent à expliquer les défauts recensés, les études douteuses entraînant l’enracinement de mauvaises pratiques, qui, elles-mêmes, conduisent aux études douteuses” (36). Sur ce triste constat, le groupe de travail a formulé des propositions visant à améliorer la formation des investigateurs, à dissuader ces derniers de persister dans les mauvaises pratiques et à vérifier la qualité de l’observance. Mais l’investigateur n’est pas seul en cause. L’amélioration des pratiques passe nécessairement par une meilleure assistance de la part des promoteurs, “un encadrement plus soutenu du monitorage, une vigilance renforcée des autorités impliquées dans le contrôle et l’utilisation des essais”… “Vingt fois, sur le métier, remettez votre ouvrage” (37). ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Platon, Aristote, Ciceron, cités dans Petite histoire de la qualité. Secrétariat d’État à l’Industrie, 2001. 2. Boissel JP. Histoire subjective du souci de la qualité des essais cliniques. Communication à l’auteur d’une note personnelle datée du 21 décembre 2004. 3. Audit confirms conclusions of UGDP oral diabetic drugs. FDA Drug Bull 1979;8:34-6. 4. Temple R, Pledger GW. Special report. The FDA’s critique of the anturane reinfarction trial. N Engl J Med 1980;303(25):1488-92. 5. Kelsey FO. Biomedical Monitoring. J Clin Pharmacol 1978;18(1):3-9. 6. Obligations of sponsors and monitors of clinical investigations. Federal Register. 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