SO L E I L C H E R C H E F U T U R
La chanson en scène
HU B E RTLE R AY
Sous la direction de Véronique Guérin
DESS Responsabilité de projets culturels Université de Rouen 2002
phone : 05 55 06 96 70
C o u rriel : hubert . l e r a y @ l i b e rt y s u rf . f r
Banlieue
Ta grisaille ne m’inspire
Que l’envie de partir
(Karim Kacel, Banlieue, circa 1984.)
Aux portes de la capitale, le béton ne sait pas chanter
Qu’est-ce qu’ils ont fait les architectes de nos cités ?
Entendent-ils la détresse de tous les jours ?
Y’a pas de lampions qui brillent sur les nuits de nos tours
(Thomas Pitiot, Aux portes de la capitale, 2001.)
La mochitude. À mes yeux, la banlieue c’était seulement cela. Des tours et des barres, des cités
grises et du béton froid, du macadam sans chlorophylle. Alphaville. Le cauchemar. La mochitude
poussée à l’extrême.
Et puis j’ai passé plusieurs mois à Ivry sur Seine. J’ai rencontré ceux qui y habitent. Ivry, c’est dans
le 94. Thomas Pitiot, lui, chante son 93 natal. C’est pas bien loin… d’être semblable. «Y’a des défi-
lés de princesses tous les jours sur ma ligne de bus. » J’ai trouvé dans les chansons du 93, comme
dans les cœurs du 94, toutes les couleurs qu’on a oublié de mettre sur les murs.
Vous qui êtes un peu frileux, qui trouvez les gens curieux
Regardez-les tout au fond des yeux.
Si tu veux découvrir une palette de couleurs
Suis-nous, suis-nous, suis-nous dans le tramway du bonheur :
Direction Saint-Denis ou Bobigny
Découvrir toutes les saveurs, faire le tour de tous les pays
Dans le tramway du bonheur.
(Thomas Pitiot, Le tramway du bonheur, 2001.)
À tous ces gens rencontrés à Ivry-sur-Seine. Avec amitié.
1
Soleil cherche futur
SO M M A I R E
— Chacun a droit à son imaginaire personnel (Hors texte I) 03
— Introduction 14
I / Les cas 1 5
a) Dans les bistrots 15
b) Le limonadier exploiteur d’artistes 17
c) L’amateur de musique dans l’illégalité pour raisons économiques 19
d) 1 — L’amateur de musique partiellement dans la légalité 24
d) 2 — Les « fous de chansons », le Pavillon d’Ivry 27
d) 3 — Les associations de bénévoles 30
e) Ailleurs le « café débranché » 32
f) Le 98-1143, un calibre qui tue ou les incidences du décret bruit 38
g) Des établissements éphémères 40
h) Le pousse-café, point de vue du spectateur 41
i) La rincette, point de vue artistique 42
i) Le der des ders, point de vue du programmateur ou producteur 44
— Chez Robert, Électron libre, le squat Rivoli (Hors-texte II) 46
II / Les théâtre s 4 9
a) Introduction 49
b) Le Sentier des Halles 50
c) Le Théâtre de dix heures 53
d) Le Tourtour 55
e) Chambre à louer ! Les théâtres en location 57
f) Pourquoi louer une salle ? 61
g) La nécessité des petites scènes (apprentissage, expérimentation et artisanat) 63
h) Une production type 66
i) Trois budgets de production 69
— Art ou business? (Hors texte III) 74
III / Le projet culture l 8 0
a) Producteur et autoproduction 80
b) Pour une politique culturelle de la chanson 87
c) Le Théâtre aux Trois baudets 93
1 — Un théâtre subventionné 93
2 — La «grande » salle 95
3 — Le cabaret 96
4 — Les différents publics 96
5 — La programmation 97
6 — Les buts 100
d) Un financement public pour les Trois Baudets 102
d) La coopérative de production 105
e) De la notion de patrimoine de la chanson 108
— Personnes rencontrées 110
— Bibliographie 112
Titre emprunté à Hubert-Félix Thiéfaine.
2
Soleil cherche futur
« CH AC U N AD RO I T ÀS O N I M AG I N A I R E PE R S O N N E L »
« Aussi longtemps qu’il y aura deux cultures dont l’une se pré-
tendra la seule vraie, essayant de faire passer l’autre pour une
inculture, aussi longtemps il n’y aura pas de cité. »
(Francis Jeanson) 1
Un débat agite depuis longtemps le monde culturel. D’un côté on parle
de démocratisation culturelle. Il s’agit « d’amener », de « sensibiliser »,
« d’ouvrir » ou de « rendre curieux de la création ». En oubliant parfois
de préciser que nous parlons là dUNE culture, celle des privilégiés, celle
des « héritiers » selon la formule de Bourdieu. 2De l’autre côté les tenants
de la démocratie culturelle ont plutôt pour objectif de favoriser l’expres-
sion de cultures fort diverses selon les origines sociales, professionnelles,
géographiques, religieuses ou linguistiques, etc. et les goûts de chacun.
Le même débat se retrouve posé en d’autres termes. D’un côté les légiti-
mistes affirment la supériorité indiscutable de disciplines artistiques qui
seraient nobles. De l’autre les relativistes pensent que les valeurs univer-
selles ou les thèmes éternels sont traités aussi bien par le théâtre antique
ou l’opéra classique que par le conte paysan ou la chanson ouvrière, par
le théâtre d’ombres indonésien ou par les légendes des Hopis. Et pensent
que l’on peut trouver des productions remarquables dans toutes les dis-
ciplines de toutes les classes sociales et sous toutes les latitudes.
Remarquons en passant que les disciplines considérées comme «nobles »
sont plutôt issues des classes riches, noblesse ou bourgeoisie, et qu’elles
demandent des moyens financiers considérables pour s’exercer. Tandis
que les disciplines « mineures » sont plutôt des modes d’expression des
classes pauvres ou modestes et peuvent bien souvent s’exercer avec des
moyens modestes. Remarquons aussi que la musique occidentale est
« grande » tandis que la musique des Pygmées, de Tuva ou des pays
andins est « ethnique ». Parce que, si la « haute culture» est celle des
classes riches, elle est aussi occidentale.
3
Soleil cherche futur
I — L’action culturelle dans
la cité, page 220, Éditions
du Seuil, 1973.
2 — Voir La distinction, cri -
tique sociale du jugement,
Éditions de Minuit, 1979.
Oublions rapidement que la volonté d’ouverture, manifestée parfois avec
ostentation par la politique culturelle, s’arrête brutalement dès que l’on
examine la comptabilité publique. Le rapport de la commission nationa-
le des musiques actuelles 1rappelle utilement quelques chiffres. Ainsi la
TVA encaissée par l’État sur les ventes des seuls disques dits de « varié-
tés » était de 1,86 milliard de francs quand le budget de la DMD (direc-
tion de la musique et de la danse) était de 1,973 milliard de francs dont
67 millions de francs alloués aux musiques dites « actuelles ». Délaissons
la TVA sur les concerts, sur les droits d’auteur et droits voisins, sur les
instruments de musique et autres fariboles, délaissons aussi les autres
impôts et notons que « Certains membres de la commission
[…] ont
parlé très abruptement […] d’une demande de réparation histo-
rique. » 2
Oublions aussi rapidement la programmation maigrichonne des scènes
généralistes 3quand on chausse les lunettes de la chanson, du jazz, des
musiques traditionnelles et autres mal-aimés des théâtres de l’institution.
Ainsi Le fil d’Ariane 4détaille la programmation chanson des dix scènes
nationales d’Ile de France. On va de « rien » aux valeurs sûres comme
Brassens, Ferré et Vian, non pas repris par des chanteurs de chanson,
mais mis en scène par des gens de théâtre. Trois scènes seulement quit-
tent un peu l’autoroute pour s’engager d’un pied précautionneux sur les
drailles en proposant… de un à quatre spectacles dans l’année !
Oublions tout cela et adoptons un postulat très provisoire affirmant que
ces débats entre relativisme et légitimisme, qui nous ont valu quelques
fortes pensées d’auteurs de talent, 5sont maintenant apaisés et que les
acteurs culturels réservent aujourd’hui une place équitable à tous les
modes d’expression.
4
Soleil cherche futur
1 — Rapport à Catherine
Trautmann, ministre de la
culture et de la communi-
cation, septembre 1998,
page 17.
2 —
Idem, page 18.
3 —
Cette généralisation
laisse volontairement de
côté les exceptions, tels le
théâtre d’Ivry ou la scène
nationale de Mâcon pour
la chanson, qui ne font
que confirmer la règle.
4 — N° 6, décembre 1998.
5 — cf. notamment Alain
Finkielkraut, La défaite de
la pensée, Éditions
Gallimard, 1987, Marc
Fumaroli, L’État culturel,
Éditions de Fallois, 1992
et Maryvonne de Saint-
Pulgent, Le gouvernement
de la culture, Éditions
Gallimard, 1999.
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