95
Lectures 191, mai-juin 2015
Moi je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la
trouviez aussi… Je vais d’abord vous couper la
tête. Ensuite vous trouverez la vérité ! »
Tout au contraire, c’est une fort jolie histoire
que raconte Miriam Henke - sinologue et
traductrice - dans Lao Tseu ou la voie du dra-
gon. Par une nuit chaude et claire, une jeune
Chinoise, le regard levé vers le ciel, aurait vu
passer une comète et en aurait avalé avec le
noyau la prune qu’elle dégustait. Elle aurait
donné naissance à un enfant né avec des che-
veux blancs et une barbe blanche : Lao Tseu !
En ouvrant un petit Platon consacré à Albert
Einstein, on rêve d’y découvrir une fiction
autour de l’abandon d’un temps absolu dans
lequel baignerait un espace qui en serait sé-
paré. La tâche a été confiée au polytechnicien
Frédéric Morlot. L’ouvrage Les Illuminations
d’Albert Einstein est un exercice brillant, met-
tant en scène un Einstein jeune accompagnant
son oncle électricien chargé de l’éclairage à la
foire de Munich. Et voici le lecteur prisonnier
dans un lieu où toutes les dimensions sont
bizarrement bousculées. Mais Frédéric Morlot,
vulgarisateur de talent, n’a-t-il pas voulu expli-
quer trop de choses en soixante pages ? Pour
certains lecteurs, cette fiction sera peut-être
plus compliquée à lire que les textes écrits par
Einstein lui-même expliquant la relativité aux
« profanes ».
Marion Muller-Colard, auteure chez Gallimard
Jeunesse du roman Prunelle de mes yeux,
avait déjà rédigé un petit Platon consacré à
Freud, Le professeur Freud parle aux poissons.
Manifestement, cette théologienne protes-
tante qui, nous dit-on, écrit depuis son plus
jeune âge, possède cet art de conter « qui
révèle le sens, sans commettre l’erreur de le
définir » comme disait Hanna Arendt. Et c’est
précisément vers cette philosophe qui préfé-
rait se définir comme professeure de théorie
politique qu’elle se tourne à présent : Le Petit
Théâtre de Hannah Arendt est l’un des plus ré-
cents titres parus. 1975. Un soir de décembre
dans un immeuble de Manhattan, Hannah
Arendt tente, malgré sa fatigue, d’achever La
Vie de l’esprit, dont elle avait entamé l’écri-
ture après avoir assisté au procès d’Eichmann.
Quand, traversant le miroir, débarque une pe-
tite fille, une Hannah de 8 ans ! La « grande »
entraîne la « petite » dans un théâtre. La scène
se transforme en agora. Et voici que défile l’his-
toire de notre société occidentale, commentée
par la « grande » à l’intention de la « petite ».
S’arrêtant évidemment longuement, sans la
nommer, sur la période sombre du nazisme, au
centre de la réflexion de Hannah Arendt.
Il n’y a pas que les mots
La collection « Les petits Platons » compte
à présent un peu plus de vingt-cinq titres.
Imprimés en France sur papier Fedrigoni, ce
sont de beaux « objets-livres ». La graphiste,
Yohanna Nguyen, Art Director de la maison,
enseigne, nous dit-on, au Paris College of Art.
Chaque cahier est confié à un illustrateur ou
une illustratrice qui s’efforce de porter la pen-
sée parfois même là où les mots s’arrêtent. La
plupart de ces artistes sont passés par l’École
supérieure des arts décoratifs de Strasbourg.
Certains noms - Nathalie Novi, Ghislaine
Herbera, Clémence Pollet… - sont déjà fami-
liers aux lecteurs d’albums jeunesse. Les pre-
miers pas des autres dans ce domaine sont
prometteurs : on songe à Mayumi Otero, à
Eunhwa Lee, à Annabelle Buxton… Mais on
songe aussi aux gravures de Sylvestre Briquet,
aux sculptures de François Schwoebel…
La réédition entamée en format de poche
grâce à un partenariat avec le quotidien Le
Monde et deux autres magazines du groupe,
Télérama et La Vie, permettra sans doute
d’élargir le lectorat de la collection. Imprimée
en Chine et abandonnant, hélas ! au passage,
le beau papier Fedrigoni, sa présentation en
coffret est séduisante.
Quant à l’avenir, les prochains volumes
annoncés renseignent Galilée, Deleuze,
Héraclite et Pic de La Mirandole. Mais Jean-
Paul Mongin évoque aussi « d’autres grands
noms » tels qu’Aristote, Machiavel, Spinoza ou
Whitehead...
Peut-être n’y aura-t-il pas de Voltaire avant
longtemps, l’éditeur ayant des mots peu
amènes pour l’auteur de Candide. Mais pou-
vons-nous espérer des femmes philosophes ?
Et aussi d’autres escapades en dehors de la
philosophie occidentale ? •
JEUNESSE