ATELIER OLFACTIF I ère Partie culturelle Les plis olfactifs I. Le pli selon Gilles Deleuze D ans son essai Le pli Leibniz et le baroque , Gilles DELEUZE associe le pli et l’organique pour évoquer la présence d’une intelligence qui guiderait l’évolution du pli organique autrement appelé : le pli formatif. 4 3 Le Baroque Le Pli (1988) est un ouvrage à la jonction de l’histoire de la philosophie et de l’histoire de l’art. En parallèle il présente un philosophe Leibniz et une période historique esthétique le baroque dans le sous titre : « Leibniz et le baroque ». Cet essai philosophique complexe répond à un double objectif : Gilles DELEUZE construit un texte philosophique avec des approches nouvelles en philosophie contemporaine dans les années 1980-1990, le concept du pli. Ensuite, il met en relation les disciplines de l’histoire de l’art et de l’histoire de la philosophie en une période donnée. Dans cet essai l’auteur a choisi le Baroque, discipline qui lie esthétisme et philosophie. Le baroque s’illustre comme un mouvement littéraire et artistique apparu entre les XVIe et XVIIe siècles. Le mouvement trouve son origine en Italie dans des villes telles que Rome, Mantoue, Venise et Florence. Ce mouvement artistique qui touche tous les domaines, se caractérise par l’exagération du mouvement, la surcharge décorative, les effets dramatiques, la tension, l’exubérance, la grandeur parfois pompeuse et le contraste. Il touche tous les domaines artistiques, sculpture, peinture, littérature, architecture, théâtre et musique et se répand rapidement dans la plupart des pays d’Europe. Le succès et la grande popularité qu’a connus le baroque sont dus aux encouragements de l’Église catholique romaine qui décide d’utiliser le côté théâtral du baroque pour promouvoir des thèmes religieux avec une implication directe et émotionnelle. Cette esthétique rencontre de fortes résistances dans les pays où se développe un art protestant. 5 1 2 1 & 2, Niccolò SALVI et Niccolo PANNINI, La fontaine de Trevi, Rome, 1762 3. Bernin, L’extase de sainte Thérèse, Rome, Chapelle Cornaro, 1644-1652 4. Tokujin YOSHIOKA, Rainbow Church, Corée, 2006-2010 5. Tokujin YOSHIOKA, Second nature, Tokyo, 2008 3 L’Angleterre reste très réfractaire, la France également. L’aristocratie laïque considérait également l’effet spectaculaire des arts et de l’architecture baroque comme une façon d’impressionner leurs visiteurs et leurs éventuels rivaux. Cet art devient un moyen de propagande pour montrer la grandeur de l’église catholique. En Italie pendant la période baroque, la sculpture du Bernin, L’Extase de sainte Thérèse est taillée entre 1644-1652 dans la Chapelle Cornaro à Rome. Cette œuvre possède une prodigieuse intensité dramatique. La sculpture est placée dans un espace monumental illuminé par un éclairage zénithal, lumière divine qui appelle la sainte à l’extase, la posture et les expressions des personnages sont exagérées pour accroître cet esprit dramatique. Les plis du vêtement de Thérèse ne se finissent pas, ils se plient, se déplient et se replient, à l’infini. La composition tourmentée dessinée par les plis sur le marbre donne l’impression que le corps est en lévitation, ce qui fait oublier la lourdeur de la pierre. Un mouvement vertical, l’appel de la voix divine attire les personnages vers le haut, impression d’envol et de légèreté. Tout comme Tokujin YOSHIOKA avec ces œuvres Raimbow Church et Second Nature , la baroque utilise la lumière pour illustrer une présence céleste pour créer l’infini et l’au-delà. 13 Plis et lumières: la présence divine I l y a un rapport avec le corps, ou les sens en général. Le pli modifie la perception de l’objet. C’est le plat qui devient volume, la troisième dimension qui surgit de la deuxième, comme sur la surface du tableau, lorsque le clair et l’obscur se font relief et profondeur. Tokujin YOSHIOKA exploite la lumière pour animer ces surfaces, créer l’ombre et la lumière. Il joue avec un minimalisme certain, un aspect esthétique, pur, sans oublier le toucher et la texture des matériaux qui est mise en avant. Inga SEMPE assemble également pli et lumière pour concevoir une lampe extensible. Sa hauteur peut varier de 45 cm à deux mètres selon les désirs. La taille s’adapte selon le niveau d’éclairage désiré. L’artiste utilise un pli interactif qui modifie l’aspect visuel de l’objet pour s’adapter aux besoins de son utilisateur. L’intensité lumineuse évolue proportionnellement avec le pli. Inga SEMPE obtient un objet intelligent, pour qu’il soit approprié à chaque moment d’une journée. Le pli devient un mécanisme malléable pour construire un objet, repli d’ingéniosité qui s’adapte subtilement à son entourage. Leibniz et la courbure d’univers : les trois notions fondamentales 6 7 8 6. Tokujin YOSHIOKA, Phenomenon/ Mutina, Italy, 2010, Ceramic 7. Inga SEMPE, abat-jour, Capellini (Italy), 2001, textile plissé, structure métallique, source halogène 42 cm à 2 m 8. Anonyme, 2012, oeuf, Papier C e style artistique s’accorde avec la philosophe de LEIBNIZ. Il est même considéré que la philosophie leibnizienne est la philosophie baroque par excellence, parce que tout se plie, se déplie, se replie. Il en veut ainsi car le propre du baroque est de porter le pli à l’infini. Sur ce fait, Gilles DELEUZE s’appuiera sur les textes de Leibniz intitulés : Nouveaux Essais sur l’entendement humain, pour écrire son essai Le pli. Dans le premier chapitre, DELEUZE reprend pour sa démonstration les traits matériels identifiés par WOLFFLIN dans son ouvrage Renaissance et Baroque : (page 7 ; ligne 2) : L’élargissement horizontal du bas, l’abaissement du fronton, les marches basses et courbes qui avancent, Le traitement de matière par masse et agrégats, l’arrondissement des angles et l’évitement du droit, la substitution de l’acanthe arrondie à l’acanthe dentelée, l ’ utilisation du travertin pour produire des formes spongieuses, caverneuses, La constitution d’une forme tourbillonnaire, La tendance de la matière à déborder l’espace, à se concilier avec le fluide. Gilles DELEUZE démontre que les traits du baroque peuvent se décliner ailleurs que dans la discipline artistique, par exemple dans la discipline philosophique, et particulièrement dans la philosophie leibnizienne. Dans le troisième chapitre, DELEUZE propose six traits métaphysiques du Baroque dont l’un d’entre eux correspond au pli. Il convertit à l’infini les matières et la Forme en matière d’expression L’auteur reprend le principe de la courbure d’univers de LEIBNIZ qui se prolonge en suivant trois notions fondamentales : la fluidité de la matière, l’élasticité des corps, et le ressort comme mécanisme. Dans son essai, Gilles DELEUZE caractérise le pli formatif comme une matière organique définie par des plis endogènes, au contraire de la matière inorganique 15 Les plis organiques I. Le pli formatif 11 9 10 12 9. Tokujin Yoshioka, Memory chair, 2010, pour Moroso. 10, 11 & 12. tissu froissé 2012, tissu épais. Pli endogène, omniprésence d’intelligence D ans le cas du vivant il y a l’omniprésence de l’intelligence, une intelligence qui peut être qualifiée de divine. Celle-ci exprime la préformation du vivant, plus que le pliage endogène, cette intelligence préétablie toutes les étapes de l’évolution de l’organique. Dans ce cas on peut parler de préexistence. Intégrer un système similaire de plis endogènes comme mécanisme dans le meuble permet de répondre aux actions de l’utilisateur de manière intelligente pour faciliter l’usage de celui-ci. Plier / déplier amène la question de l’enveloppe et de l’évolution. L’organique se définit par sa capacité de plier ses propres parties à l’infini, et de les déplier jusqu’à un degré d’évolution finale. L’organique présente la caractéristique de ne pas se copier et se répéter « comme un papillon plié dans une chenille et qui se déplie. Le double sera même simultané, dans la mesure où l’ovule n’est pas une simple enveloppe ». Le pli organique est toujours croisé ou indirect. Les organes subissent une métamorphose pendant l’évolution. 10 Le pli de la matière devient alors un organe qui réagit à son entourage. Le vivant permet à l’utilisateur d’avoir une approche ludique différente de celle d’un élément inerte, sans vie. Cet aspect organique donne à l’objet un grand intérêt pour l’utilisateur. Gilles DELEUZE indique dans son essai :« Ainsi, dans le cas du vivant, il y a un pli formatif intérieur qui se transforme avec l’évolution, avec le développement de l’organisme : d’où la nécessité d’une préformation ». La matière devient alors malléable. 17 II. Applications 15 16 réalistes Le pli organique L es plis organiques se présentent comme une enveloppe vivante qui se replie ou se déploie. Tel un être vivant, l’objet réagit à ce qui l’entoure. L’artiste Tokujin YOSHIOKA, expérimente un tissu intelligent à mémoire de forme. Grâce à celui-ci, l’artiste peut modeler et mettre en forme un volume. Le matériau devient interactif et ludique. Dans ce cas, il est question de pli endogène, l’artiste intervient de l’extérieur, avec ses mains, pour faire évoluer son matériau. Matériau inorganique certes, mais il y a métamorphose de celui-ci, passage d’un matériau simple à un fauteuil complexe. L’intelligence ne réside pas dans l’objet mais bien dans la tête du créateur, mais étant donné que la matière réagit au geste de l’artiste puis évolue, on peut considérer que l’objet subit un pli formatif. Dans le monde du textile, Diana ENG a créé son foulard sur un origami inspiré du mécanisme de déploiement des feuilles de charme et de hêtre. L’écharpe se plie dans un boîtier compact et se déploie pour créer une enveloppe volumineuse autour du cou. Cet objet est parsemé de pliures pour permettre de garder en mémoire le volume de l’objet une fois contracté. Dépliée, cette écharpe révèle la vraie nature du vêtement. Cette création possède les caractéristiques du pli formatif : l’accessoire ne peut se déplier à l’infini. Son évolution est préétablie par les pliures créées par le créateur. Une fois dépliée, on peut considérer que l’écharpe parvient à son degré d’évolution finale. Enfin, Bernard RANCILLAC garde en mémoire la position la plus confortable avec cette chaise en polyester Fauteuil éléphant, 1966. Ce designer impose à la matière un corps étranger. Cette matière se plie pour obtenir l’empreinte du corps humain. 13 14 13 & 14. Tokujin Yoshioka, Memory chair, 2010, pour Moroso. 15. Bernard Rancillac, Fauteuil éléphant, 1966, Polyester et piètement en fer forgé 16. Diana Eng & Stefanie Nieuwenhuys, Eco-Fashion inspiré par la nature, 2011, papiers, tissus pliés P armi toutes ces réalisations, l’auteur travaille la matière pour garder en mémoire un volume. Dans tous les cas, il façonne la matière pour la préformer. Par contre, les artistes n’opèrent pas de la même façon pour arriver au même résultat. Tokujin YOSHIOKA travaille la matière manuellement comme avec de l’argile ou autres matériaux malléables. Il procède par mouvements et plis successifs sur la matière pour former son volume final. Entre le début et la fin de son expérimentation, l’artiste procède à un nombre important de manipulations pour modeler le siège. Au contraire, Bernard RANCILLAC ne procède qu’à une seule opération pour obtenir son volume final. Il impose à la matière un corps étranger qui oblige ce matériau à réagir et à modifier sa structure formelle. Dans le cas du siège éléphant, la transformation n’est pas réversible ou modifiable. Le volume est figé contrairement au matériau de Tokujin YOSHIOKA, qui peut être retravaillé. Cette évolution constante du volume grâce au pli est reprise par Diana ENG dans son écharpe. Il est possible de déplier ou non l’objet pour révéler le vêtement. Les différents artistes utilisent les plis formatifs pour arriver à des résultats différents. Tokujin YOSHIOKA expérimente un matériau à mémoire de forme pour obtenir un objet brut, un siège après multiples manipulations. Bernard RANCILLAC quant à lui a pour but de garder en mémoire la position le plus confortable du corps humain dans un siège. Enfin Diana ENG utilise le pli formatif pour révéler ou dissimuler le volume de son vêtement. 19 Plis de la mémoire I. re re plier, deplier, plier, déplier D ans chaque réalisation les artistes ont tous la même intention, ils confectionnent un objet sans rajouter ou enlever de matière. Le simple fait de la travailler aboutit à une construction complexe tridimensionnelle. Leur intention commune s’illustre par la déstructuration d’un matériau unique. Ils partent tous les trois d’un petit rien pour finir avec objet exceptionnel. Les artistes valorisent à l’aide du pli, une matière plane très banale en volume d’exception. Les artistes plient, déplient, pour lui donner une fonctionnalité un aspect et une vraie identité, rien ne se rajoute, rien ne se perd mais tout se transforme. Valoriser, embellir, enjoliver, l’odeur constutue un élément fondamentalede notre univers, pour exemple une rose sans odeur perd tout son intérêt. La porte d’entrée de notre compréhension du monde devient possible grâce à nos cinq sens qui nous permettent de capter les subtilités de notre environnement. Les métaphores s’emploient pour décrire une odeur, les auteurs comme Philippe CLAUDELl dans son roman Parfum s’en donnent à coeur joie pour nous faire voyager immédiatement en nous racontant leurs odeurs, et autres subterfuges. Les sens nous renvoyant par association à des scènes de notre vécu. L’olfactif est notre sens le plus ancien et nous avons tendance à l’avoir un peu oublié dans notre société moderne aseptisée. Cependant celui-ci à le pouvoir d’éveiller sans cesses nos souvenirs. L’odeur nous renvoie à un endroit, une chose, une personne profondément ancrés dans nos souvenirs. Sentir l’une d’entre elle permet de déployer notre mémoire pour nous projeter dans le passé, Il nous rappelle une expérience vécue. 17 18 20 21 17, 18 & 19. texturage, 2012, papier kraft 20 & 21. tesslation 2012, papier kraft 19 P our une odeur donnée, les images engendrées à l´intérieur de notre cerveau ne sont pas perceptibles par une autre personne. Ce qui explique qu´il est difficile de mettre un nom précis sur certaines odeurs. Il faut apprendre à dialoguer pour se rejoindre quand on parle d´odeurs et d´arômes. On y parvient progressivement en construisant un vocabulaire à partir d´expériences olfactives communes. Parfois certaines senteurs peuvent être perçues de plusieurs façons selon les les individus. Le parfum possède la particularité d’être étroitement lié avec le souvenir et l’émotion. Les fragrances peuvent délier les souvenirs même les plus lointains, pour nous faire revivre nos expériences passées. Par ailleurs, le lien entre un effluve de parfum et un souvenir reste propre à chaque individu. Il devient impossible de rationnaliser et codifier les langages des odeurs. Aujourd’hui, le parfum sur mesure permet de répondre au problème de singularité du parfum. Les artisans parfumeurs offrent la possibilité de construire une partition olfactive personnalisée. Comment est-il possible de valoriser la singularité des parfums tout en créant un dialogue olfactif ? 21 18