La bio au Mexique
La « bio » commence à être bien connue dans les divers pays européens. Et nous savons qu’au
Maroc, par exemple, un certain nombre d’exploitations s’y sont mises, puisque de nombreux
agrumes vendus dans nos magasins de produits biologiques en proviennent. Mais qu’en est-il,
ailleurs dans le monde, dans des pays aussi « exotiques » que le Mexique ?
Texte et photographies de François Couplan
Les 26 et 27 novembre 2011 s’est tenue dans la ville d’Uruapan, dans l’état du Michoacan, à
quelque quatre cents kilomètres à l’ouest de la ville de Mexico, la deuxième foire
agrobiologique nationale - la première datait de l’année précédente, au même endroit. Sur la
place principale de la ville, sous un grand chapiteau blanc, se sont réunis une quarantaine de
producteurs et de transformateurs venus de tout le pays. Impossible de se tromper : nous
sommes bien au Mexique ! Les Indiens pur’hépechas, descendus de leur meseta - le plateau
d’altitude à deux mille cinq cents mètres où se répartissent la plupart de leurs communautés -,
préparent d’intrigantes tortillas de maïs bleu, qu’ils fourrent de nopales ou de flores de
calabaza et de fromage local. Les tortillas sont des galettes de grains de maïs, longuement
cuits avec de la chaux, afin d’en dissoudre la cuticule indigeste et de libérer la vitamine PP, ce
qui augmente la valeur nutritionnelle de la céréale. Les grains sont ensuite écrasés en une pâte
compacte. Les « vraies » tortillas sont fabriquées à la main plutôt qu’à la machine. Les
nopales sont de jeunes pousses tendres de cactus, débarrassées de leurs épines, et les flores de
calabaza sont des fleurs de courge. On ne peut faire plus indien !
Une foire où manger n'est pas tout…
Un stand se spécialise dans la salsa picante, la sauce piquante au piment qui relève tous les
plats mexicains, du petit déjeuner au dîner. Plusieurs autres font dans la douceur : des
confitures de mûre sauvage, de coing et d’autres fruits de la montagne, tel le tejocote, une
grosse aubépine jaune. Certains vendent des goyaves, des fruits de la passion ou les exotiques
changungas (Byrsonima crassifolia) à l’odeur pénétrante dont plusieurs producteurs font aussi
des liqueurs. Question alcool, on ne peut éviter la célèbre tequila qui existe ici en bio, ainsi
que son ancêtre le mezcal, une boisson puissante révélant davantage le goût de la plante que
l’on distille : le maguey, une agave. Cette dernière est cultivée, dans le cas de la tequila,
sauvage dans celui du mezcal, plus artisanal. Et pour rappeler que, bien qu’à mille six cents
mètres d’altitude, nous ne sommes qu’à trois heures de la côte pacifique au climat tropical, un
producteur de noix de coco propose aux passants de se désaltérer grâce à l’eau des noix vertes
qu’il décalotte d’un coup expert de sa machete.
D’autres stands proposent du chewing-gum bio - le chicle, arbre qui produit la gomme
nécessaire est l’une des plus importantes cultures bio du pays -, des activateurs de compost,
des semences certifiées, des lombrics pour hâter la formation d’humus, du jus de la plante-
miracle polynésienne noni et toutes sortes de plantes médicinales dont les graines de l’étrange
bananier qui pousse dans le parc national au centre de la ville d’Uruapan.
En bordure de la foire, une tente abrite les conférences qui se succèdent sur toutes sortes de
sujets ayant trait à l’agriculture biologique, à l’alimentation saine et aux problèmes liés à
l’écologie. La foule est nombreuse, aussi bien le samedi que le dimanche, et l’ambiance est
conviviale, festive même, comme le veut le caractère mexicain. On sent qu’ici, le maïs
OGM et la pression des grands groupes est plus qu’une menace, la « bio » représente une
motivation forte chez les personnes qui veulent vivre autrement. Dans un pays 80% de la
population vit dans la pauvreté, ce mode de consommation n’est pas un luxe, mais une
nécessité pour sortir d’un cercle de dépendance qui ruine l’économie des paysans et la santé
du peuple. On ressent donc un esprit combatif et communautaire dans lequel l’implication des
peuples indigènes est pour beaucoup.
Chewing gum et avaocats de la maffia
L’agriculture biologique n’est pas encore ici un phénomène de masse - d’ailleurs, l’est-
elle ? - mais elle se porte bien et se développe rapidement. Et le Mexique est le pays qui
compte le plus de producteurs bio dans le monde. Aujourd’hui quelque 3.452.000 hectares y
sont officiellement cultivés en bio, ce qui représente environ 2,5% du total des surfaces
cultivées, une situation comparable à celle de la France, sachant que le Mexique est quatre
fois plus grand que l’Hexagone… Sur ce total, plus de 90% sont certifiés par
Bioagricert America, une filiale de l’organisme certificateur italien du même nom.
Bioagricert, qui possède quarante-et-un bureaux dans le pays, est co-organisateur de la foire
biologique d’Uruapan se situe son siège social. L’état du Michoacán fait également partie
des organisateurs, ce qui montre que les pouvoirs publics s’intéressent à ce mode de culture
porteur d’avenir pour l’économie et le bien-être de la population.
Curieusement, la plus grande superficie cultivée en agriculture biologique - 1.363.000
hectares - est dévolue au chicle (Manilkara chicle), un arbuste de la forêt tropicale dont la
sève blanche, récoltée par incision du tronc comme l’est le pin dans les Landes, sert à préparer
du chewing-gum. La majeure partie de la production vient des états du Quintana Roo et de
Campeche, dans le Yucatan, et la plupart des cultivateurs sont des Indiens Mayas.
Pratiquement toute la récolte de chicle est exportée en Europe et au Japon ; les États-Unis,
le marché du chewing-gum est aux mains d’une seule famille, boycotte le chicle biologique
mexicain ! Parmi les trente-deux états qui composent le Mexique, celui où l’agriculture
biologique est la plus pandue est le Michoacán, avait lieu la foire biologique. Près d’un
million d’hectares y sont certifiés bio, dont sept cent mille pour l’élevage extensif et deux cent
mille pour les plantes médicinales.
La ville d’Uruapan est entourée de vergers d’avocatiers et se déclare elle-même « capitale
mondiale de l’avocat ». Quelque cent dix mille hectares sont dédiés à ce fruit originaire du
Mexique, non sans poser de graves problèmes écologiques : il faut irriguer les vergers et pour
cela apporter de l’eau depuis la ville en camions-citernes (pipas) car le sol volcanique est
poreux et aucun cours d’eau ne se rencontre à l’air libre. La pollution engendrée par les
engrais et les pesticides ont largement contaminé la nappe phréatique dont dépend la
population urbaine qui compte plusieurs centaines de milliers de personnes. Et avec le
réchauffement climatique, les avocatiers peuvent être cultivés de plus en plus haut sur les
montagnes, au détriment des superbes forêts de chênes et de pins qui forment l’environnement
naturel de la gion. Le passage à l’agriculture biologique permettrait au moins de réduire la
problématique, mais à l’heure actuelle, moins de 10% de la superficie totale du verger,
environ dix mille hectares, sont cultivés de cette manièreQui plus est, toute la production
part à destination des États-Unis - 90% - et de l’Europe - 10% - car les prix à l’exportation
sont infiniment plus avantageux pour les producteurs - et pour les intermédiaires - que ceux
du marché intérieur. Au point d’ailleurs que les narcotrafiquants qui exercent sur la région,
comme en bien d’autres lieux du Mexique, une mainmise de plus en plus lourde s’intéressent
sérieusement à la culture biologique de l’avocat. Les avocats de la maffia, tout un
programme…
Une production exclusivement vouée à l'exportation ?
La bio mexicaine propose aussi des cultures franchement tropicales, tels la mangue - quatre
mille hectares sur trente-cinq mille dans le Michoacán, dont toute la production est exportée
aux États-Unis -, la noix de coco dix mille hectares -, les agrumes et en particulier le
pamplemousse et le citron vert ou “limette” - mille vingt-cinq hectares en bio sur quarante
mille dans l’état -, ainsi que des bananes.
L’état de Jalisco, quant à lui, se spécialise dans la culture de l’agave bleue, maguey azul
(Agave tequilana), que l’on cultive en vastes champs d’aspect étrange. Les agaves sont de
grandes plantes, souvent prises pour des cactus, qui parsèment le littoral de la côte d’Azur
elles lancent vers le ciel leurs immenses hampes florales, semblables à des poteaux
télégraphiques, puis meurent… Il faut dire que c’est dans l’état de Jalisco que se situe la ville
de Tequila, au nord-ouest de la capitale, Guadalajara, qui a donné son nom au célèbre alcool
distillé du tronc longuement cuit de la plante, un peu comme, en France, le cognac doit son
nom à la ville de Cognac sur la Charente. Dix marques de tequila bio se partagent le marché,
la plupart, encore une fois, pour l’exportation…
Au final, la situation de l’agriculture biologique au Mexique est un reflet de celle de
l’économie et de la société du pays. La majorité de la population est pauvre, mais souhaite
vivre selon l’exemple des États-Unis - où émigrent tous ceux qui le peuvent… - et consommer
les produits « modernes » fabriqués par l’industrie. Les paysans ne cessent de quitter leurs
terres pour venir grossir la population des villes : Mexico City est devenue la troisième
mégalopole au niveau mondial. Pourtant, le modèle de la milpa, le champ traditionnel des
peuples indigènes représente un modèle écologique et nutritionnel : sur les hampes du maïs
poussent les tiges des haricots, tandis que les courges couvrent le sol et que viennent ça et là
diverses adventices telles les miltomates (Physalis spp.) et les quelites, légumes-feuilles des
genres Chenopodium et Amaranthus, couramment consommées et pleines de vertus.
Un gros travail reste à faire pour développer le marché intérieur en apprenant aux Mexicains
l’intérêt des produits bio. Ici comme ailleurs, aujourd’hui, ce sont les riches qui désirent
manger ce que les pauvres ne veulent plus consommerMais il se dessine un mouvement
qui court-circuite ce schéma en faisant prendre conscience aux personnes du peuple que les
aliments traditionnels, plein de bienfaits nutritionnels, sont les plus souhaitables pour soi et sa
famille et que l’agriculture biologique est une solution économiquement rentable pour prendre
soin de sa santé et de celle de son milieu de vie. D’ailleurs, beaucoup de producteurs font du
bio sans le prétendre car la certification coûte cher. Les chiffres réels sont donc certainement
beaucoup plus élevés que les statistiques officielles. Des groupes et des instituts d’état
travaillent à développer l’agriculture biologique pour le peuple, avec des coûts pour le
consommateur - et souvent aussi le producteur - pas plus élevés quen agriculture
conventionnelle : des cours sont ainsi dispensés afin d’apprendre à préparer soi-même son
engrais, ses insecticides, ses fongicides, etc. Par ailleurs, on développe l’économie locale et
les circuits courts.
Et un réseau de producteurs bios locaux et de certification participative est en train d’être
développé voir www.mexicocert.org. Plutôt que de continuer à favoriser les produits
d’exportation, il est donc possible qu’à l’avenir, l’agriculture biologique serve directement les
intérêts de la population mexicaine et de son environnement terriblement mis à mal depuis de
nombreuses années. Le pays est varié, son histoire riche et ses ressources innombrables.
L’affaire est à suivre…
---
Fraois Couplan, auteur de nombreux ouvrages pratiques et de flexion sur les utilisations des
plantes et sur la nature, organise des stages de découverte des plantes sauvages comestibles et
dicinales. Il marre prochainement une formation sur trois ans dans le cadre du Colge
Pratique d’Ethnobotanique qu’il a fon. Celle-ci a pour but de permettre aux personnes
intéreses de connaître en profondeur les plantes et leurs usages, dans un but personnel ou
professionnel.
François Couplan
72, chemin des Broussatières
F-69.126 Brindas
l : 0033/4/78.59.90.03
fc@couplan.com - www.couplan.com
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