conviviale, festive même, comme le veut le caractère mexicain. On sent qu’ici, où le maïs
OGM et la pression des grands groupes est plus qu’une menace, la « bio » représente une
motivation forte chez les personnes qui veulent vivre autrement. Dans un pays où 80% de la
population vit dans la pauvreté, ce mode de consommation n’est pas un luxe, mais une
nécessité pour sortir d’un cercle de dépendance qui ruine l’économie des paysans et la santé
du peuple. On ressent donc un esprit combatif et communautaire dans lequel l’implication des
peuples indigènes est pour beaucoup.
Chewing gum et avaocats de la maffia
L’agriculture biologique n’est pas encore ici un phénomène de masse - d’ailleurs, où l’est-
elle ? - mais elle se porte bien et se développe rapidement. Et le Mexique est le pays qui
compte le plus de producteurs bio dans le monde. Aujourd’hui quelque 3.452.000 hectares y
sont officiellement cultivés en bio, ce qui représente environ 2,5% du total des surfaces
cultivées, une situation comparable à celle de la France, sachant que le Mexique est quatre
fois plus grand que l’Hexagone… Sur ce total, plus de 90% sont certifiés par
Bioagricert America, une filiale de l’organisme certificateur italien du même nom.
Bioagricert, qui possède quarante-et-un bureaux dans le pays, est co-organisateur de la foire
biologique d’Uruapan où se situe son siège social. L’état du Michoacán fait également partie
des organisateurs, ce qui montre que les pouvoirs publics s’intéressent à ce mode de culture
porteur d’avenir pour l’économie et le bien-être de la population.
Curieusement, la plus grande superficie cultivée en agriculture biologique - 1.363.000
hectares - est dévolue au chicle (Manilkara chicle), un arbuste de la forêt tropicale dont la
sève blanche, récoltée par incision du tronc comme l’est le pin dans les Landes, sert à préparer
du chewing-gum. La majeure partie de la production vient des états du Quintana Roo et de
Campeche, dans le Yucatan, et la plupart des cultivateurs sont des Indiens Mayas.
Pratiquement toute la récolte de chicle est exportée en Europe et au Japon ; les États-Unis, où
le marché du chewing-gum est aux mains d’une seule famille, boycotte le chicle biologique
mexicain ! Parmi les trente-deux états qui composent le Mexique, celui où l’agriculture
biologique est la plus répandue est le Michoacán, où avait lieu la foire biologique. Près d’un
million d’hectares y sont certifiés bio, dont sept cent mille pour l’élevage extensif et deux cent
mille pour les plantes médicinales.
La ville d’Uruapan est entourée de vergers d’avocatiers et se déclare elle-même « capitale
mondiale de l’avocat ». Quelque cent dix mille hectares sont dédiés à ce fruit originaire du
Mexique, non sans poser de graves problèmes écologiques : il faut irriguer les vergers et pour
cela apporter de l’eau depuis la ville en camions-citernes (pipas) car le sol volcanique est
poreux et aucun cours d’eau ne se rencontre à l’air libre. La pollution engendrée par les
engrais et les pesticides ont largement contaminé la nappe phréatique dont dépend la
population urbaine qui compte plusieurs centaines de milliers de personnes. Et avec le
réchauffement climatique, les avocatiers peuvent être cultivés de plus en plus haut sur les
montagnes, au détriment des superbes forêts de chênes et de pins qui forment l’environnement
naturel de la région. Le passage à l’agriculture biologique permettrait au moins de réduire la
problématique, mais à l’heure actuelle, moins de 10% de la superficie totale du verger,
environ dix mille hectares, sont cultivés de cette manière… Qui plus est, toute la production
part à destination des États-Unis - 90% - et de l’Europe - 10% - car les prix à l’exportation
sont infiniment plus avantageux pour les producteurs - et pour les intermédiaires - que ceux
du marché intérieur. Au point d’ailleurs que les narcotrafiquants qui exercent sur la région,
comme en bien d’autres lieux du Mexique, une mainmise de plus en plus lourde s’intéressent
sérieusement à la culture biologique de l’avocat. Les avocats de la maffia, tout un
programme…