Courage Monsieur Lazhar

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6 ARTS
E T S P EC TACL E S
LA PRESSE MONTRÉAL LUNDI 22 JANVIER 2007
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THÉÂTRE
Bashir Lazhar
EN BREF
Courage Monsieur Lazhar
SYLVIE ST-JACQUES
CRITIQUE
On peut dire que l’état d’esprit de
la journée nous avait préparés à
entendre Bashir Lazhar, le degré
de racisme des Québécois ayant
été le sujet de toutes les tribunes.
Le hasard faisant bien les choses,
la dernière création d’Évelyne de la
Chenelière, sur la douloureuse intégration d’un instituteur d’origine
algérienne, tombe à point nommé
en cette ère d’introspection, où
l’on entend trop peu souvent la
version de ces « étrangers » que l’on
accommode plus qu’on accueille.
C’est donc le parcours d’un
enseignant suppléant dans une
école primaire. Un monologue où
les spectateurs jouent les élèves de
sixième année qui écoutent sagement leur maître, campé par un
Denis Gravereaux à la fois solide
et émouvant. En arrière-scène,
un tableau noir tient lieu d’écran
qui diffuse tantôt le contenu de la
leçon, tantôt des informations sur
la vie de Bashir Lazhar. Formé
à la « française », Bashir le suppléant, venu remplacer une institutrice qui s’est suicidée dans
l’enceinte de l’école, s’étonne
du fonctionnement de la classe.
Celui qui a moins de mal à épeler « Abdelmalek Merbah » que
« Camille Soucy » ne comprend
pas pourquoi on enseigne l’anglais à des enfants qui maîtrisent
à peine le français. Aussi, désapprouve-t-il le temps consacré à
recevoir la visite des pompiers ou
à assister à des pièces de théâtre,
préférant faire découvrir Balzac
à ses élèves. Du coup, le système
d’éducation avec son culte des
« compétences transversales » en
prend pour son rhume.
Mais c’est surtout à l’extérieur
de la salle de classe que Bashir
Lazhar rencontre des embûches.
Avec les collègues, notamment,
qui lui réservent un accueil frigorifique. Sa ns pa rler de ses
frustrations vis-à-vis le système
d’immigration, qui lui refuse son
PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI
Denis Gravereaux est à la fois solide et émouvant dans le rôle de cet immigrant appelé à faire de la suppléance dans une
classe de sixième année du primaire.
image peu reluisante de la société
québécoise, où des individus
comme cet enseignant dévoué
sont condamnés à l’acculturation
ou l’anéantissement. Comment
un peuple peut-il affirmer
sa culture sans écraser celle
Grâce à un texte bien ficelé, une mise en scène
de l’autre ? La question reste
sans réponse. C’est le destin
intelligente et un jeu captivant, la qualité dramatique de d’un homme, à la fois unique et semblable à celui de
l’oeuvre a préséance sur sa pertinence documentaire.
milliers de réfugiés vivant
à Montréal en 20 06, que
Épris de la langue et des enfants Bashir Lazhar nous raconte. Hors
qui nous amène, Occidentaux,
à réfléchir sur le sens du mot qui, à ses yeux, « sont les mêmes des manchettes sur l’immigration
«courage», une vertu dont Bashir partout », Bashir Lazhar parle et transposé au théâtre, l’étranger
Lazhar ne croyait pas avoir besoin, ironiquement à ses petits élè- sort de l’anonymat et gagne le
après avoir vécu l’enfer en Algérie. ves québécois de la nécessité de droit à l’humanité. Un petit pas
Le trio Brière / de la Cheneliè- connaître des mots, pour mieux pour l’homme, un grand pas pour
re/Gravereaux escamote agilement « embrouiller les autres et maî- la connaissance de l’autre.
les pièges de l’oeuvre à «message». triser la situation ». Denis GraGrâce à un texte bien ficelé, une vereaux réussit à transmettre la BASHIR LAZHAR, texte d’Évelyne
mise en scène intelligente et un jeu grande tendresse d’un survivant, de la Chenelière, mise en scène
captivant, la qualité dramatique de qui juge essentiel de parler aux de Daniel Brière, avec Denis
l’oeuvre a préséance sur sa perti- enfants de la « violence de la vie ». Gravereaux, à la salle Jean-Claude
Ou i , Bashir Lazhar est u ne Germain du Théâtre d’Aujourd’hui,
nence documentaire. En revanche,
la discussion qui suit chacune des pièce à méditer, qui renvoie une du 16 janvier au 3 février.
statut de réfugié politique. Et,
surtout, son enlisement dans la
solitude, après avoir perdu toute
sa famille décimée tandis qu’elle
cherchait à fuir le pays. Et voilà
Antilopes
Broyer du noir
CRITIQUE
Antilopes d’ Hen n i ng M a n kell
n’est pas une pièce qui apaise la
conscience. Traçant un portrait
caustique d’un couple de coopérants
suédois anéantis par l’expérience
africaine, celui qui est surtout
connu pour ses polars démontre
comment les bonnes intentions
humanitaires à l’européenne masquent parfois un racisme primaire,
voire colonisateur.
Dans ce spectacle de deux heures, l’Afrique ne se manifeste que
par des sons qui envahissent le
« bunker », décoré à la suédoise,
des coopérants. Et pourtant, sa
présence invisible est menaçante,
représentations permet au public
d’échanger des points de vue sur
l’aspect «réaliste» du personnage.
Autrement dit, l’engagement y est
tout autant poétique que politique.
envahissante. La première chose
qui attire notre attention, sur la
scène, est une immense porte
munie de plusieu rs serru res.
Barricadés dans leur confortable
demeure exempte de tout signe
d’Afrique (à part la bonne et le
gardien de nuit, invisibles et
muets), l’homme (Gabriel Arcand)
et la femme (Danielle Lépine)
s’affairent à préparer leur départ,
dans une danse schizophrénique.
Brillant, Gabriel Arcand plonge
dans la folie émergente de cet
homme coupable, paranoïaque
qui, au terme de sa mission, fait
le constat de sa faiblesse.
Danielle Lépine, quant à elle,
campe l’épouse accusatrice avec
une gravité un peu artificielle, à
laquelle on met un temps à s’ha-
bituer. Peut-être le personnage
de la pièce qui comporte le plus
de contradictions, elle renvoie au
visage de son mari l’inutilité de
son travail, ses dérapages sexuels,
ses intentions viles.
Alors que le huis clos conjugal
est sur le point de basculer dans
l’insupportable, un troisième
personnage arrive dans le décor
avec toute sa naïveté et ses idéaux
voués à l’échec. Lundin, le « remplaçant » coopérant, est ridicule
dans ses habits de colonisateur.
Il aligne les clichés sur les bienfaits de la coopération avec une
candeur qui est à pleurer. Paul
Doucet est efficace dans ce rôle
ca ricatu ra l d’u n hom me qu i
camoufle son penchant profiteur
sous des discours bien-pensants.
La mise en scène de Carmen
Jolin propulse la détresse de ces
trois personnages qui, volontairement, se sont faits prisonniers de
l’Afrique. Leurs nombreux et inutiles déplacements dans l’espace
transmettent leur sentiment de
claustrophobie. Et le texte d’Henning Mankell nous entraîne dans
ce voyage en Afrique loin d’un
exotisme à la National Geographic. Il évoque la tendance des
Blancs à abuser de leur condition
financière supérieure, en suggérant comment certains hommes,
moralement irréprochables dans
leur pays natal, se transforment
en Afrique en pervers ou même
pédophiles.
Antilopes ne propose ni solution
ni lueur d’espoir pour l’avenir des
relations Nord-Sud. Comme dans
son roman Le Fils du vent, Henning
Mankell énonce une vision très
sombre de la suprématie blanche
sur les Africains. Tandis qu’on se
désole d’assister à la descente aux
enfers de ces coopérants désabusés, on est forcé de s’interroger
sur notre comportement d’Occidental vis-à-vis l’Afrique. Hors
de l’aide vouée à l’échec, l’opportunisme ou le simple racisme,
existe-il une voie de réconciliation possible ?
ANTILOPES, d’Henning Mankell,
mise en scène de Carmen Jolin, une
production du Groupe La Veillée,
jusqu’au 10 février au Théâtre
Prospero.
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Du vent entre les dents
N’en jetez plus, la scène est pleine !
LUC BOULANGER
CRITIQUE
CO LL A B O R ATI O N S P ÉCI A LE
Qui trop embrasse mal étreint.
Souvent, les premières œuvres ont
le défaut de vouloir tout dire dans
le même souffle, au risque de se
perdre en cours de route. Du vent
entre les dents est la première pièce
de la comédienne Emmanuelle
Jimenez. Et son texte, terriblement
touffu, multiplie les genres, les
sujets, les lieux et les bonnes intentions. Avec un résultat mitigé.
Créé au Théâtre d’Aujourd’hui,
sous la direction de Martin Faucher,
Du vent entre les dents dévoile une
auteure avec un fort potentiel. Hélas,
elle semble avoir été mal conseillée
au niveau dramaturgique. Voilà
qui étonne, lorsqu’on apprend que
Pour les petits
Après La Naissance, La Goutte de miel,
Monsieur Blink et autres fables à l’intention des petits, la compagnie Côté
cour, côté jardin s’apprête à nous
faire découvrir ses Contes de la planète
bleue. Rencontre entre le conte, le
théâtre et la danse, ce spectacle met
en scène Maïa, une héroïne de 11
ans qui préfère les livres aux occupations de ses congénères. Enfant
dotée d’une imagination fertile, elle
a le pouvoir de donner à la réalité
une dimension magique. Le vendredi 26 janvier à 19h, à la salle
Jean-Eudes, 3535, boul. Rosemont.
Le Loup bleu
à Outremont
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SYLVIE ST-JACQUES
S Y LV I E S T-J ACQ U E S
l’écriture de la pièce remonte à 2002
et que plusieurs artisans de la création québécoise ont porté aux nues
ce texte avant sa création…
Il y est question des hauts et
des bas d’une famille éprouvée
qui se réunira autour de la piscine creusée d’un bungalow pour
l’anniversaire du garçon de 7 ans
(défendu avec fougue par Oliver
Morin). Ce jour-là, un vent transporte une épaisse fumée jaune
au-dessus de Montréal, alors que
le feu ravage les forêts du nord du
Québec (un événement réel qui a
eu lieu à l’été 2002). Une prostituée
amérindienne brisée par la rue,
le sexe et la drogue, ainsi qu’un
inspecteur-chien (sic!) s’ajouteront
aux six membres de cette famille.
Une famille très éclatée, dont les
membres, tous très seuls, cherchent
maladroitement du réconfort.
Emmanuelle Jimenez se défend
d’avoir fait « une pièce à message », portant sur un sujet d’actualité comme les changements
climatiques. Or, son texte évoque
une tonne de sujets problématiques qui alourdissent l’histoire
et nous éloigne des personnages.
Le climat. La dénatalité. La pollution. La famille. Les autochtones. Le système de santé. La
(sur)consommation. Les banlieusards. La chirurgie esthétique. Le
territoire. Le chamanisme. L’enfance perdue… N’en jetez plus, la
scène est pleine ! Pas surprenant
que l’équipe de création aait eu
tant de peine à analyser la pièce
dans les pré-papiers.
Certes, Emmanuelle Jimenez a
du talent. Portée par une écriture
riche et poétique, sa pièce a un
souffle. Ses répliques sont assez
drôles et efficaces. De plus, son
univers tendre et cruel a le mérite
de ne ressembler à rien d’autre.
Mais ce sont les comédiens qui
procurent les meilleurs moments
de cette production. Soulignons :
l’intensité de la composition de
Macha Limonchik, méconnaissable dans son rôle de prostituée (qui
aurait pu être plus développé par
l’auteure); le jeu juste et comique
d’Hélène Mercier (quel bonheur
de la revoir sur les planches)
dans le rôle d’une monoparentale
névrosée; et la performance éclatante d’Émilie Bibeau dans la peau
d’une jeune femme totalement
transformée par la chirurgie esthétique. Bibeau a beaucoup d’assurance et de présence sur scène. Et
sa carrière commence à peine!
DU VENT ENTRE LES DENTS,
Une création du Théâtre
d’Aujourd’hui. Texte : Emmanuelle
Jimenez. Mise en scène : Martin
Faucher. Avec Macha Limonchik,
Julie McClemens, Hélène Mercier,
Muriel Dutil, Émilie Bibeau, Jean
Maheux, Gary Boudreault et
Olivier Morin. Jusqu’au 10 février.
Avec le mémorable Discours de la
méthode, le metteur en scène Antoine
Laprise et son inséparable marionnette Loup bleu nous ont donné
un des moments forts de la saison
d’automne. Ce superbe spectacle
inspiré de la vie et l’œuvre de René
Descartes s’arrête une dernière
fois à Montréal, au Théâtre Outremont, avant de poursuivre sa route
à travers le monde. Les astucieuses
marionnettes du Sous-marin jaune
nous livrent une prestation souvent
drôle et très, très songée sur les origines du monde, l’évolution de la
philo et la suite de l’humanité. Le
mercredi 24 janvier à 19h30.
Si l’anarchie
vous intéresse
Le Festival de théâtre anarchiste
de Montréal, qui revient pour une
deuxième année les 28 et 29 mai,
est présentement à la recherche de
pièces à inclure à sa programmation. Les candidatures convoitées:
des pièces qui se prononcent contre
l’État, le capitalisme, le sexisme,
l’homophobie, l’impérialisme et
l’autoritarisme. Les pièces peuvent
être des productions complètes ou
des lectures sur scène en anglais
ou en français. Lors de sa première
édition, le festival a présenté 10
pièces en provenance du Canada et
des États-Unis et regroupé 50 artistes, dont ceux de la troupe Bread &
Puppet. Il s’agit d’un événement
bénévole, mais le festival fournit
la publicité et une salle de diffusion (la Sala Rossa.) Les candidatures doivent être acheminées au
plus tard le 7 février, par courriel à
l’adresse anarchistfestival@yahoo.
ca ou par la poste à Festival de
théâtre, à l’attention de S. Laplage,
6797, rue de Normanville, Montréal, Québec, H2S 2C2.
Femmes et mise
en scène
C’est cette semaine qu’arrive en
librairie le tome 3 de Mise en scène et
jeu de l’acteur. Pour ce vaste ouvrage
de presque 600 pages, la critique et
théoricienne Josette Féral a interrogé 29 metteures en scène de partout dans le monde. Des femmes de
théâtre comme Brigitte Haentjens,
Laura Yusem et Roxana Silbert s’y
expriment sur leur démarche, leurs
choix, leur vision du théâtre. Elles
s’attardent aussi à la particularité
de la pratique théâtrale au féminin.
Chez Québec Amériques, en librairie à compter du 24 janvier.
Fausse mais
Glorious !
Florence Foster Jenkins est un
nom qui ne vous dit probablement pas grand-chose. Or, cette
Américaine excentrique a connu
un destin unique, pour ne pas
dire complètement farfelu. La
pièce Glorious ! relate l’histoire de
cette femme qui, malgré qu’elle
ne savait pas pousser la note,
est devenue une figure culte des
années 40 et a même rempli le
Carnegie Hall. Surnommée « la
soprano à la gamme chancelante »,
la dame, qui faussait comme elle
respirait, était néanmoins persuadée de la finesse de son oreille
musicale. La comédienne Rosemary Dunsmore interprète le rôle
de cette colorée cantatrice dans
cette comédie qui prend l’affiche
du Centaur du 1er au 25 février.
ENTRÉE EN SCÈNE
> La Cagnotte, au Théâtre DenisePelletier, du 26 janvier au 16
février
> Une nuit arabe, au Quat’Sous, du
22 janvier au 24 février
> Vivre, à l’Usine C, du 23 janvier au
3 février
> Les Champs de glace, dans la salle
intime du Prospero, du 23 janvier
au 17 février
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