Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le vendredi 17 mai 2013
A quoi rime l’exportation de la démocratie en kit ?
Sommaire
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Sommaire –
numéro 12
numéro 12 numéro 12
numéro 12
Le mot de la Rédaction… page 1
Pacotille pour Nègres ?... page 4
Inadaptation… page 6
La Commission Electorale Indépendante… page 11
Vigilance mal placée… page 19
Rejet ou appropriation ? … page 24
Conclusions partielles et provisoires… page 31
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Le mot de la Rédaction
« Un à un, Bénin en tête, les pays africains sont entrés « en transition », soit par le biais d’un
processus de concertation collective (les fameuses Conférences Nationales Souveraines au
Bénin, Niger, Togo, Tchad, Congo-Brazzaville, Zaïre...), soit par un renversement de pouvoir
(Mali), soit sous la houlette d’un Chef d’État ouvrant son régime à quelques réformes
(Gabon, Cameroun, Rwanda, Burundi...).
La panoplie des outils à mobiliser au fil de ces transitions « accompagnées » par les bailleurs
de fonds nationaux et internationaux, était tellement similaire dans chaque pays
(multipartisme intégral, libéralisation de la presse écrite puis de l’audiovisuel, réforme
constitutionnelle, renouvellement institutionnel et, immanquablement, élections libres et
pluralistes) que l’on a pu parler de démocratie en kit ‘».
Marie-Soleil Frère
ÉLECTIONS ET MÉDIAS EN AFRIQUE CENTRALE (2009)
«
Ce qu’on appelle un gouvernement, c’est un concert de pouvoirs qui, chacun dans un office
distinct, travaillent ensemble à une oeuvre finale et totale. Que le gouvernement fasse cette
oeuvre, voilà tout son mérite; une machine ne vaut que par son effet. Ce qui importe, ce n’est
pas qu’elle soit bien dessinée sur le papier, mais c’est qu’elle fonctionne bien sur le terrain.
En vain, les constructeurs allégueraient la beauté de leur plan et l’enchaînement de leurs
théorèmes, on ne leur a demandé ni plans, ni théorèmes, mais un outil. Pour que cet outil soit
maniable et efficace, deux conditions sont requises. En premier lieu, il faut que les pouvoirs
publics s’accordent : sans quoi ils s’annulent. En second lieu, il faut que les pouvoirs publics
soient obéis : sans quoi ils sont nuls. La Constituante n’a pourvu ni à cette concorde, m à
cette obéissance
»
Hippolyte Taine (à propos de la Révolution française)
*
La vente de meubles en kit est la spécialité entre autres d’«Ikea », célèbre marque de
meubles venus de Suède. Sortir du magasin non avec un meuble, mais avec une grande boîte
et le monter soi-même à partir de pièces détachées est donc une pratique exotique que nous
avons adoptée, non pas parce que nous serions bricoleurs dans l’âme, mais surtout parce que
c’est moins cher. Cette dimension n’est pas absente de la « démocratie en kit ». Elle est même
plus présente encore : ce que l’on appelle pudiquement « transitions « accompagnées » par les
bailleurs de fonds nationaux et internationaux », ce sont parfois tout simplement des élections
payées par l’étranger. Chez « Ikea », ils sont plus radin : ils faut quand même payer leurs
meubles.
Il y a tout de même dans cela un aspect qui me dérange un chouia : acquérir une
importation suppose qu’il s’agit d’une chose, ou d’une pratique qui, auparavant était inconnue
dans le pays importateur. Autrement dit : avant qu’il y ait des « Ikea » en Belgique, les Belges
ne connaissaient pas le plaisir délicat qu’il y a à se flanquer d’abord un tour de rein pour
trimbaler le « kit », à le déballer ensuite dans le mauvais sens de sorte qu’on s’écrase au
moins un pied, sinon les deux, sous de lourdes planches de bois comprimé, à rester preplexe
dvant des notices rédigées en finnois ou en japonais, à se pincer les doigts entre les mêmes
planches, puis à se demander comment convaincre les éboueurs d’évacuer le cubage de
cartons, plastiques, papiers, frigolite etc.. qui vous reste sur les bras après avoir monté le
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bidule. Après quoi il ne vous restera plus qu’à faire face aux frais pharmaceutiques
nécessaires pour soigner vos diverses entorses et contusions. Cela ne tire pas trop à
conséquence, parce que, après tout, ces fils de Viking ne vous ont rien appris d’essentiel.
Il en va quand même tout différemment, quand il s’agit d’exporter « la démocratie ».
Cela sous-entend que, tout comme nous n’aurions pas de meubles en kit sans les Suédois, les
Africains n’auraient pas la moindre idée de la démocratie sans notre généreux
« accompagnement ».
Allez ! On se fait une petite évocation historique ! La première rencontre entre les
démocrates civilisés et les barbares
primitifs (page spéciale et illustrée, à
l’usage des écoles).
Le soleil du matin faisait de
l’eau soyeuse une vaste émeraude sur
laquelle le ressac battait doucement.
Des averses sans vent, signe sûr de la
terre, déchiraient l’horizon d’un grand
cri de vigie. L’air était embaumé,
c’était comme un alcool. Il ne manquait
même pas le chant des oiseaux dans les
masses lourdes des feuillages. Sur le
pont délavé des hautes caravelles,
oublieux des colères et de leurs
lassitudes, des hommes se reposaient
au rivage des certitudes et l’appétit
montait en eux, de richesses nouvelles Cela se passait en 1498, dans l’estuaire du Congo.
C’était la toute dernière aube libre de cette partie de l’Afrique. Les Bakongo allaient
rencontrer les Portugais…
Les premiers élisaient leurs chefs, et même leurs rois. Leurs femmes participaient à la
vie politique et étaient elles aussi éligibles. Les seconds par contre n’accordaient pas de droits
à leurs femmes, d’autant plus qu’ils n’en avaient guère eux-mêmes, étant soumis à l’autorité
absolue d’un roi désigné par le hasard de la naissance. C’était donc bien la première rencontre
entre les démocrates civilisés et les barbares primitifs, mais ces derniers, dans l’affaire,
c’étaient les Blancs.
Pour renfort de potage, ce sont ensuite les Occidentaux, encore eux, qui ont détruit les
sociétés démocratiques traditionnelles par la chasse aux esclaves et la colonisation. Et, au
sortir de celle-ci, c’est encore ce même « Occident démocrate » qui a liquidé physiquement
les leaders démocrates et installé un eu partout des dictatures dont l’on nous disait, sans rire,
qu’elles « étaient plus conformes à l’esprit africain ». Un comble !
On admettra tout de me que les « accompagnateurs » ont tout pour inquiéter et il
n’est guère étonnant que les transitions « accompagnées » par les « bailleurs de fonds
nationaux et internationaux » - plus simplement dit, les élections payées par l’étranger -,
n’aient pas donné des résultats éblouissants.
Comme le remarque juste titre Mme Frère, si l’on a pu parler de « démocratie en kit »
c’est que la panoplie des outils à mobiliser au fil de ces transitions « accompagnées » était
similaire dans chaque pays et imprégnée du présupposé que « démocratie » et « régime
bourgeois à représentation parlementaire», à la façon européenne ou nord-américaine étaient
synonymes.
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Ces transitions comprenaient toujours l’instauration du multipartisme intégral (sans
aucune mise en garde ni contre l’émiettement, ni contre le fait d’autoriser les autorités du
régime totalitaire sortant à y participer), libéralisation de la presse écrite puis de l’audiovisuel
(sans aucun correctif à la mainmise de l’argent sur les médias), réforme constitutionnelle
(faite en général de copiés/collés de texte légaux exotiques), renouvellement institutionnel et,
immanquablement, élections libres et pluralistes qui seraient désormais la seule manière
admise pour accéder au pouvoir.
C’est, à mon sens, un bel exemple de la manière dont, en politique, on peut en arriver
à un illogisme qui fait pourtant l’unanimité.
Car cela gomme le fait que le « modèle politique implicite » : les régimes bourgeois à
représentation parlementaire, à la façon européenne ou nord-américaine, ont été établis à la
suite de révolutions populaires dont la portée a ensuite été réduite par divers coups d’Etat ou
guerres civiles.
En réalité, tant en Occident qu’en Afrique, la Droite, c’est à dire la partie de l’opinion
qui désirait le maintien des privilèges acquis, l’immobilisme ou la réaction se méfiait de toute
« démocratisation » par crainte de la voir amener une Révolution, c’est à dire concerner aussi
le domaine économique ; et de son côté la Gauche, acquise au changement et au progrès,
craignait les coups d’Etat venant de l’Armée ou des groupes armés. Ces deux menaces ayant
en commun l’utilisation d’une certaine dose de violence, il se fit un consensus superficiel et
irréfléchi sur son exclusion.
Il faut d’ailleurs reconnaître que les Africains, une fois en possession des mécanismes
de la mocratie parlementaire bourgeoise et du principe des « élections comme seul mode
acceptable de changement politique », ont su se montre créatifs en particulier dans l’invention
de méthodes inédites pour sortir des innombrables « contentieux électoraux » qui poussent
plus vite que de mauvaises herbes.
Ainsi, quand on lit une nouvelle comme la récente déclaration par laquelle l'Afrique du
Sud appelle à la mise en place d'un système d'alerte pour prévenir les conflits, l’on reste
rêveur. A moins que ce soit de l’humour… ou de l’ironie involontaire ?
« Un tel système aiderait les pays africains à détecter les situations de conflits
potentiels avant qu'ils n'éclatent », a déclaré la ministre des Relations internationales et de la
Coopération Maite Nkoana-Mashabane. « En tant qu'Africains, nous reconnaissons que nous
devons affiner nos instruments pour faire face aux changements anticonstitutionnels de
gouvernement et pour dissuader le modèle émergent de rébellions illégitimes qui sont
transformés en partenaires légitimes dans les gouvernements d'unité nationale », a dit la
ministre
1
.
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Dépêche de Xinhua.net, le 27/04/2013
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Au nom du « consensus contre la violence », l’on a en effet résolu un certain nombre
de conflits post-électoraux, violents ou menaçant de le devenir, par des formules de
« cohabitations », mariant l’eau et le feu. L’on accepte le maintien d’un « Président-battu-qui-
ne-veut-pas-partir », moyennant un poste de Premier Ministre pour le vainqueur des élections.
Dans un seul cas, celui de la Côte d’Ivoire, l’on a recouru à la force. Mais l’on y a été
contraint par le fait que ni Gbagbo, ni Ouattara n’ont accepté le « compromis » proposé par
l’UA et la CEDEAO et l’on n’a pu y recourir que parce qu’à l’Elysée, il y avait Sarkozy, un
agressif, adepte de la manière forte et de la politique de la canonnière. Une seule voix s’éleva
pour prononcer les mots du bon sens « Ces élections sont douteuses. Il faudrait les
recommencer ». C’était le Président angolais Dos Santos. Sans doute l’a-t-il dit en portugais,
car personne ne semble l’avoir entendu…
Pacotille pour Nègres ?
L’un des reproches que l’on peut faire aux meubles « en kit » c’est d’être fréquemment
de la camelote. C'est-à-dire, suivant l’Académie, une « marchandise caractérisée par sa
qualité médiocre, son peu de valeur ou son apparence trompeuse ». « Mot du langage
populaire, précise Emile Littré, ainsi dit parce que le camelot était une étoffe de médiocre
valeur ». Quelque chose comme la pacotille sans valeur que les trafiquants échangeaient
contre les esclaves lors de la traite des Noirs.
En principe, les élections servent à préserver ce qu’il y a de plus précieux : la paix, la
vie, le sang et les larmes des êtres humains. Tout recours à la violence les met en danger. La
plus noble des Révolutions, quelle que soient la noblesse des idées qu’elle promeut, la beauté
des rêves politiques qui la sous-tendent, a les pieds dans la boue et dans le sang. Les élections
ne sont rien d’autre qu’un mécanisme pacifique de résolution des conflits sur les méthodes et
les principes qui doivent régir le fonctionnement d’un état.
Il semble que l’on ait oublié la moitié au moins de ce que signifie ce fait pourtant
évident.
Une Révolution, même si elle ne se réduit pas à une guerre civile, peut en déclencher
une. Et il est connu que les luttes fratricides portent souvent les horreurs de la guerre à leur
paroxysme. C’est ce que l’on a voulu éviter en proposant un système
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qui soit non-violent,
tout en laissant une place à la force : l’affrontement est remplacé par un comptage. Cette
dimension-là est partout consciente et affirmée.
Mais le fait qu’il y ait danger de guerre civile signifie aussi que l’enjeu est – ou, si l’on
veut, qu’il paraît suffisamment important à une partie importante de la population pour
qu’elle y risque sa personne, ses biens sa vie… Un changement politique est une de ces
« raisons de vivre » qui sont aussi d’excellentes raisons de mourir. Fanatisme, dira-t-on…
Certes, l’on peut soupirer avec Voltaire : « La fanatisme est à la superstition ce que le
transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui
prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un
enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique », mais le fait est que
cela existe et que donc il faut en tenir compte.
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Il en a eu d’autres au cours des âges : combat singulier remplaçant l’affrontement des armées, tirage au sort,
voire même partie d’échecs.
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