A quoi rime l`exportation de la démocratie en kit

publicité
Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le vendredi 17 mai 2013
A quoi rime l’exportation de la démocratie en kit ?
Sommaire – numéro 12
Le mot de la Rédaction… page 1
Pacotille pour Nègres ?... page 4
Inadaptation… page 6
La Commission Electorale Indépendante… page 11
Vigilance mal placée… page 19
Rejet ou appropriation ? … page 24
Conclusions partielles et provisoires… page 31
Le mot de la Rédaction
« Un à un, Bénin en tête, les pays africains sont entrés « en transition », soit par le biais d’un
processus de concertation collective (les fameuses Conférences Nationales Souveraines au
Bénin, Niger, Togo, Tchad, Congo-Brazzaville, Zaïre...), soit par un renversement de pouvoir
(Mali), soit sous la houlette d’un Chef d’État ouvrant son régime à quelques réformes
(Gabon, Cameroun, Rwanda, Burundi...).
La panoplie des outils à mobiliser au fil de ces transitions « accompagnées » par les bailleurs
de fonds nationaux et internationaux, était tellement similaire dans chaque pays
(multipartisme intégral, libéralisation de la presse écrite puis de l’audiovisuel, réforme
constitutionnelle, renouvellement institutionnel et, immanquablement, élections libres et
pluralistes) que l’on a pu parler de ‘ démocratie en kit ‘».
Marie-Soleil Frère ÉLECTIONS ET MÉDIAS EN AFRIQUE CENTRALE (2009)
« Ce qu’on
appelle un gouvernement, c’est un concert de pouvoirs qui, chacun dans un office
distinct, travaillent ensemble à une oeuvre finale et totale. Que le gouvernement fasse cette
oeuvre, voilà tout son mérite; une machine ne vaut que par son effet. Ce qui importe, ce n’est
pas qu’elle soit bien dessinée sur le papier, mais c’est qu’elle fonctionne bien sur le terrain.
En vain, les constructeurs allégueraient la beauté de leur plan et l’enchaînement de leurs
théorèmes, on ne leur a demandé ni plans, ni théorèmes, mais un outil. Pour que cet outil soit
maniable et efficace, deux conditions sont requises. En premier lieu, il faut que les pouvoirs
publics s’accordent : sans quoi ils s’annulent. En second lieu, il faut que les pouvoirs publics
soient obéis : sans quoi ils sont nuls. La Constituante n’a pourvu ni à cette concorde, m à
cette obéissance »
Hippolyte Taine (à propos de la Révolution française)
*
La vente de meubles en kit est la spécialité entre autres d’«Ikea », célèbre marque de
meubles venus de Suède. Sortir du magasin non avec un meuble, mais avec une grande boîte
et le monter soi-même à partir de pièces détachées est donc une pratique exotique que nous
avons adoptée, non pas parce que nous serions bricoleurs dans l’âme, mais surtout parce que
c’est moins cher. Cette dimension n’est pas absente de la « démocratie en kit ». Elle est même
plus présente encore : ce que l’on appelle pudiquement « transitions « accompagnées » par les
bailleurs de fonds nationaux et internationaux », ce sont parfois tout simplement des élections
payées par l’étranger. Chez « Ikea », ils sont plus radin : ils faut quand même payer leurs
meubles.
Il y a tout de même dans cela un aspect qui me dérange un chouia : acquérir une
importation suppose qu’il s’agit d’une chose, ou d’une pratique qui, auparavant était inconnue
dans le pays importateur. Autrement dit : avant qu’il y ait des « Ikea » en Belgique, les Belges
ne connaissaient pas le plaisir délicat qu’il y a à se flanquer d’abord un tour de rein pour
trimbaler le « kit », à le déballer ensuite dans le mauvais sens de sorte qu’on s’écrase au
moins un pied, sinon les deux, sous de lourdes planches de bois comprimé, à rester preplexe
dvant des notices rédigées en finnois ou en japonais, à se pincer les doigts entre les mêmes
planches, puis à se demander comment convaincre les éboueurs d’évacuer le cubage de
cartons, plastiques, papiers, frigolite etc.. qui vous reste sur les bras après avoir monté le
1
bidule. Après quoi il ne vous restera plus qu’à faire face aux frais pharmaceutiques
nécessaires pour soigner vos diverses entorses et contusions. Cela ne tire pas trop à
conséquence, parce que, après tout, ces fils de Viking ne vous ont rien appris d’essentiel.
Il en va quand même tout différemment, quand il s’agit d’exporter « la démocratie ».
Cela sous-entend que, tout comme nous n’aurions pas de meubles en kit sans les Suédois, les
Africains n’auraient pas la moindre idée de la démocratie sans notre généreux
« accompagnement ».
Allez ! On se fait une petite évocation historique ! La première rencontre entre les
démocrates civilisés et les barbares
primitifs (page spéciale et illustrée, à
l’usage des écoles).
Le soleil du matin faisait de
l’eau soyeuse une vaste émeraude sur
laquelle le ressac battait doucement.
Des averses sans vent, signe sûr de la
terre, déchiraient l’horizon d’un grand
cri de vigie. L’air était embaumé,
c’était comme un alcool. Il ne manquait
même pas le chant des oiseaux dans les
masses lourdes des feuillages. Sur le
pont délavé des hautes caravelles,
oublieux des colères et de leurs
lassitudes, des hommes se reposaient
au rivage des certitudes et l’appétit
montait en eux, de richesses nouvelles … Cela se passait en 1498, dans l’estuaire du Congo.
C’était la toute dernière aube libre de cette partie de l’Afrique. Les Bakongo allaient
rencontrer les Portugais…
Les premiers élisaient leurs chefs, et même leurs rois. Leurs femmes participaient à la
vie politique et étaient elles aussi éligibles. Les seconds par contre n’accordaient pas de droits
à leurs femmes, d’autant plus qu’ils n’en avaient guère eux-mêmes, étant soumis à l’autorité
absolue d’un roi désigné par le hasard de la naissance. C’était donc bien la première rencontre
entre les démocrates civilisés et les barbares primitifs, mais ces derniers, dans l’affaire,
c’étaient les Blancs.
Pour renfort de potage, ce sont ensuite les Occidentaux, encore eux, qui ont détruit les
sociétés démocratiques traditionnelles par la chasse aux esclaves et la colonisation. Et, au
sortir de celle-ci, c’est encore ce même « Occident démocrate » qui a liquidé physiquement
les leaders démocrates et installé un eu partout des dictatures dont l’on nous disait, sans rire,
qu’elles « étaient plus conformes à l’esprit africain ». Un comble !
On admettra tout de même que les « accompagnateurs » ont tout pour inquiéter et il
n’est guère étonnant que les transitions « accompagnées » par les « bailleurs de fonds
nationaux et internationaux » - plus simplement dit, les élections payées par l’étranger -,
n’aient pas donné des résultats éblouissants.
Comme le remarque juste titre Mme Frère, si l’on a pu parler de « démocratie en kit »
c’est que la panoplie des outils à mobiliser au fil de ces transitions « accompagnées » était
similaire dans chaque pays et imprégnée du présupposé que « démocratie » et « régime
bourgeois à représentation parlementaire», à la façon européenne ou nord-américaine étaient
synonymes.
2
Ces transitions comprenaient toujours l’instauration du multipartisme intégral (sans
aucune mise en garde ni contre l’émiettement, ni contre le fait d’autoriser les autorités du
régime totalitaire sortant à y participer), libéralisation de la presse écrite puis de l’audiovisuel
(sans aucun correctif à la mainmise de l’argent sur les médias), réforme constitutionnelle
(faite en général de copiés/collés de texte légaux exotiques), renouvellement institutionnel et,
immanquablement, élections libres et pluralistes qui seraient désormais la seule manière
admise pour accéder au pouvoir.
C’est, à mon sens, un bel exemple de la manière dont, en politique, on peut en arriver
à un illogisme qui fait pourtant l’unanimité.
Car cela gomme le fait que le « modèle politique implicite » : les régimes bourgeois à
représentation parlementaire, à la façon européenne ou nord-américaine, ont été établis à la
suite de révolutions populaires dont la portée a ensuite été réduite par divers coups d’Etat ou
guerres civiles.
En réalité, tant en Occident qu’en Afrique, la Droite, c’est à dire la partie de l’opinion
qui désirait le maintien des privilèges acquis, l’immobilisme ou la réaction se méfiait de toute
« démocratisation » par crainte de la voir amener une Révolution, c’est à dire concerner aussi
le domaine économique ; et de son côté la Gauche, acquise au changement et au progrès,
craignait les coups d’Etat venant de l’Armée ou des groupes armés. Ces deux menaces ayant
en commun l’utilisation d’une certaine dose de violence, il se fit un consensus superficiel et
irréfléchi sur son exclusion.
Il faut d’ailleurs reconnaître que les Africains, une fois en possession des mécanismes
de la démocratie parlementaire bourgeoise et du principe des « élections comme seul mode
acceptable de changement politique », ont su se montre créatifs en particulier dans l’invention
de méthodes inédites pour sortir des innombrables « contentieux électoraux » qui poussent
plus vite que de mauvaises herbes.
Ainsi, quand on lit une nouvelle comme la récente déclaration par laquelle l'Afrique du
Sud appelle à la mise en place d'un système d'alerte pour prévenir les conflits, l’on reste
rêveur. A moins que ce soit de l’humour… ou de l’ironie involontaire ?
« Un tel système aiderait les pays africains à détecter les situations de conflits
potentiels avant qu'ils n'éclatent », a déclaré la ministre des Relations internationales et de la
Coopération Maite Nkoana-Mashabane. « En tant qu'Africains, nous reconnaissons que nous
devons affiner nos instruments pour faire face aux changements anticonstitutionnels de
gouvernement et pour dissuader le modèle émergent de rébellions illégitimes qui sont
transformés en partenaires légitimes dans les gouvernements d'unité nationale », a dit la
ministre1.
1
Dépêche de Xinhua.net, le 27/04/2013
3
Au nom du « consensus contre la violence », l’on a en effet résolu un certain nombre
de conflits post-électoraux, violents ou menaçant de le devenir, par des formules de
« cohabitations », mariant l’eau et le feu. L’on accepte le maintien d’un « Président-battu-quine-veut-pas-partir », moyennant un poste de Premier Ministre pour le vainqueur des élections.
Dans un seul cas, celui de la Côte d’Ivoire, l’on a recouru à la force. Mais l’on y a été
contraint par le fait que ni Gbagbo, ni Ouattara n’ont accepté le « compromis » proposé par
l’UA et la CEDEAO et l’on n’a pu y recourir que parce qu’à l’Elysée, il y avait Sarkozy, un
agressif, adepte de la manière forte et de la politique de la canonnière. Une seule voix s’éleva
pour prononcer les mots du bon sens « Ces élections sont douteuses. Il faudrait les
recommencer ». C’était le Président angolais Dos Santos. Sans doute l’a-t-il dit en portugais,
car personne ne semble l’avoir entendu…
Pacotille pour Nègres ?
L’un des reproches que l’on peut faire aux meubles « en kit » c’est d’être fréquemment
de la camelote. C'est-à-dire, suivant l’Académie, une « marchandise caractérisée par sa
qualité médiocre, son peu de valeur ou son apparence trompeuse ». « Mot du langage
populaire, précise Emile Littré, ainsi dit parce que le camelot était une étoffe de médiocre
valeur ». Quelque chose comme la pacotille sans valeur que les trafiquants échangeaient
contre les esclaves lors de la traite des Noirs.
En principe, les élections servent à préserver ce qu’il y a de plus précieux : la paix, la
vie, le sang et les larmes des êtres humains. Tout recours à la violence les met en danger. La
plus noble des Révolutions, quelle que soient la noblesse des idées qu’elle promeut, la beauté
des rêves politiques qui la sous-tendent, a les pieds dans la boue et dans le sang. Les élections
ne sont rien d’autre qu’un mécanisme pacifique de résolution des conflits sur les méthodes et
les principes qui doivent régir le fonctionnement d’un état.
Il semble que l’on ait oublié la moitié au moins de ce que signifie ce fait pourtant
évident.
Une Révolution, même si elle ne se réduit pas à une guerre civile, peut en déclencher
une. Et il est connu que les luttes fratricides portent souvent les horreurs de la guerre à leur
paroxysme. C’est ce que l’on a voulu éviter en proposant un système2 qui soit non-violent,
tout en laissant une place à la force : l’affrontement est remplacé par un comptage. Cette
dimension-là est partout consciente et affirmée.
Mais le fait qu’il y ait danger de guerre civile signifie aussi que l’enjeu est – ou, si l’on
veut, qu’il paraît – suffisamment important à une partie importante de la population pour
qu’elle y risque sa personne, ses biens sa vie… Un changement politique est une de ces
« raisons de vivre » qui sont aussi d’excellentes raisons de mourir. Fanatisme, dira-t-on…
Certes, l’on peut soupirer avec Voltaire : « La fanatisme est à la superstition ce que le
transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui
prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un
enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique », mais le fait est que
cela existe et que donc il faut en tenir compte.
2
Il en a eu d’autres au cours des âges : combat singulier remplaçant l’affrontement des armées, tirage au sort,
voire même partie d’échecs.
4
Les élections tiennent du jeu, en ce qu’elles remplacent un affrontement réel et
sanglant par une joute symbolique et ritualisée, mais elles gardent les enjeux essentiels de la
guerre : il s’agit du destin, parfois de la survie, d’un peuple, et cela mobilise les
enthousiasmes et les passions, moins parce que certains inclinent au fanatisme que parce que
l’enjeu est grand, essentiel… Osons le mot : il est vital.
Si je réussis à convaincre quelqu’un de m’acheter – en kit ou pas – pour le prix d’un
objet de qualité, un bidule qui n’est que camelote ou pacotille, je suis un escroc. Si je lui
vends une quelconque poudre de perlimpinpin comme étant un médicament dont il a un
besoin vital, je suis un assassin.
Etant donné leur enjeu vital, les élections ne devraient pas être prises comme un jeu
sans importance. On ne devrait jamais y admettre de l’à peu près, des doutes, de l’incertitude,
du flou. Il faudrait une tolérance zéro pour le doute et l’incertitude. Il n’y a pas de troisième
terme. L’alternative est : les élections doivent être impeccables ou nulles. Et pour qu’il n’y
ait pas de doute, je précise que « nulles » signifie : à recommencer et non l’ouverture de
tractations, négociations, concertations et tutti quanti qui reviennent toujours à « faire avec »
des résultats douteux obtenus par un processus électoral cafouilleux. Si l’inacceptable
s’appelle comme ça, c’est parce qu’il ne saurait être question de l’accepter !
La « pacotille pour nègres » a servi autrefois à acheter à bas prix, pour des miroirs et
de colliers de verroterie, ce qui n’a pas de prix : des être humains. Il est inacceptable
qu’aujourd’hui la pacotille de la « démocratie en kit » serve à acheter à bas prix des pays
entiers.
Une jeune femme fixe les listes électorales sur des panneaux dans un bureau de vote de Bangui, le 21 janvier
2011. © Patrick Faure, Afp
5
Inadaptation
Reportons nous un instant au « joyeux temps des colonies ».
Le Belge, dit-on, a une brique dans le ventre, et donc l’habitat est chez lui le signe de
son rang social. « Des villes qui rappellent nos plus coquettes cités balnéaires égayent et
animent les rives du grand fleuve… », écrit la Commission d’Enquête de 1904 au début de son
rapport, où elle rend hommage au travail accompli par l’EIC. Et les enquêteurs ont mis le
doigt, sans le vouloir, peut-être, sur l’un des « couacs » de la colonisation belge. En effet,
passée la brève époque des abris sommaires ou rudimentaires, puis des bungalows copiés sur
la colonisation britannique, un bon nombre de constructions réalisées pour y loger les Blancs
l’ont été à l’imitation de ce qui était alors le summum de la distinction bourgeoise : la Villa à
la Mer. Bien des constructions des quartiers blancs, au Congo, auraient pu être transportées
telles quelles à Blankenberghe ou à Knokke-le-Zoute. Une fois munies de la plaque « Villa
Mon Rêve » ou « Sam Suffy », elles y auraient été à leur place. Plus tard, d’ailleurs, cette
référence balnéaire deviendra encore plus explicite, avec la très grande fréquence des piscines
privées attenantes aux maisons.
Cela conduisit bien entendu à certaines aberrations. Sous les cieux changeants et
rarement cléments de la Mer du Nord, il est logique de prévoir de larges baies vitrées pour
que le soleil, les jours où il y en a, luise gaiement dans toute la maison. Par 35 ou 40 degrés à
l’ombre, laisser entrer le soleil à flots et multiplier encore les effets de l’astre du jour à travers
les énormes loupes de ces carreaux n’était pas tout à fait l’idée idéale. Après l’indépendance,
on ricana à propos des Congolais qui, héritant de ces maisons, remplacèrent souvent les
carreaux par des planches. C’était pourtant nettement mieux adapté au climat.
Ce qui est vrai pour la géographie physique l’est aussi pour la géographie humaine. Et
l’on peut commettre en l’ignorant des « bourdes » qui valent bien les villas de l’architecture
coloniale. L’exportation vers une destination exotique d’un mécanisme quelconque – peu
importe qu’il relève des institutions politiques, de la bureautique ou de l’électroménager –
suppose toujours qu’en un point quelconque (il s’agit souvent d’une banale prise de courant),
on puisse intégrer cette mécanique à la réalité locale et le faire valablement fonctionner. C’est
là que l’on risque de s’apercevoir que le belle mécanique supporte mal les variations
d’intensité du courant, les pannes et les conditions extrêmes de température, de poussières ou
d’humidité de son nouvel environnement. Souvent, cela grince ou cela grippe.
Les choses se passent parfois un peu comme si les « exportateurs de démocratie en
kit » amenaient en Afrique des appareils ne supportant pas des températures élevées ou
cherchaient à placer des frigos chez les esquimaux. Ce genre d’erreur repose sur l’idée que
l’on parviendra à reconstituer sans peine ailleurs les conditions occidentales. La « démocratie
en kit » repose sur un certain nombre de présupposés, justifiés par les pratiques et habitudes
européennes ou américaines.
Il faut préciser que, quand je dis « présupposés », je ne parle nullement d’idées
préconçues ou de conceptions philosophiques telles par exemple que la souveraineté du
peuple ou l’égalité des citoyens entre eux. Je parle de mécanismes et d’organisation
pratique. Organiser une élection, c’est monter un mécanisme et une machine ne vaut que par
son effet. Ce qui importe, ce n’est pas qu’elle soit bien dessinée sur le papier, mais c’est
qu’elle fonctionne bien sur le terrain.
Une élection occidentale, quant à son mécanisme, repose sur trois piliers :
6
1. une administration permanente qui s’occupe aussi de bien d’autres choses. Il s’agit
notamment d’un certain nombre de fonctionnaires relevant des ministères de l’Intérieur et
de la Justice et de leurs confrères des services régionaux, provinciaux et municipaux
correspondants.
2. un renfort de citoyens convoqués pour l’occasion et exerçant pour l’occasion une
« magistrature temporaire » rémunérée de façon si symbolique que l’on peut parler de
quasi-bénévolat.
3. les magistrats qui organisent le tout et le contrôlent. Parmi les pratiques occidentales, il y a
l’habitude de se fier au pouvoir judiciaire pour fournir des prestations neutres, et dont
personne ne remettra en cause la neutralité.
Tous ces participants ont ceci en commun que les élections les emmerdent, qu’ils
préfèreraient nettement être dans leur lit ou à la pêche et qu’ils sont là parce que c’est une
obligation civique ou parce qu’ils seraient sanctionnés s’ils n’y étaient pas. Il va de soi que la
plupart de ces gens ne prennent aucun intérêt à l’élection, considèrent leur prestation comme
une corvée et n’ont aucune envie de compliquer leur travail en se livrant en plus à des fraudes.
Leur sens de l’éthique repose fondamentalement sur… l’ennui.
Le paysage africain, faut-il le dire, est extrêmement différent.
L’Afrique est cependant connue pour disposer d’une pléthore de fonctionnaires. Mais
un poste dans la fonction publique ne signifie pas que l’on soit compétent. C’est souvent une
récompense pour « services rendus », cela ne garantit pas forcément un revenu stable, ni
même régulier. Quant aux moyens d’existence, être de la fonction publique procure surtout la
possibilité de gagner sa tartine en pressurant les autres, en percevant des pots-de-vin, en
trafiquant de son influence, en favorisant administrativement en sous-main le véritable gagnepain de la famille : le commerce de Madame.
Mas ce n’est pas là le pire. Les administrations permanentes du continent noir n’ont en
général que des bases de données insuffisantes ou obsolètes sur les populations qu’elles sont
censées « administrer » ou « contrôler »3. La RDC, qui est restée vingt-cinq ans sans le
moindre recensement de sa population détient un triste record mais, à peu près partout, il a
fallu commencer par de pénibles, longues et coûteuses opérations de mise à jour et de
vérification des fichiers électoraux.
Enfin, ni la classe des fonctionnaires, ni celle des magistrats ne peuvent en rien être
considérés comme « neutres ». L’intention avouée qu’avaient les « exportateurs de démocratie
en kit » était d’introduire des pratiques telles que le multipartisme et l’alternance en Afrique,
dans des sociétés qui jusque là avaient, pour les unes, fonctionné dans un monolithique
système à part unique ou qui, pour les autres, sortaient d’un conflit interne et étaient encore
divisées en « zones d’influence », ce qui voulait dire, en pratique qu’il y avait, juxtaposées et
coexistants, plusieurs territoire ayant chacun son « monolithisme politique », exacerbé par la
passion du temps de guerre. Dans un cas comme dans l’autre, il n’était nullement question de
trouver dans l’administration des gens de plusieurs obédiences politiques différentes. En
Afrique, un membre de la fonction publique est, par définition, l’homme-lige du politicien qui
3
On constate en général sans commentaire que l’Afrique du Sud est l’un des rares pays africains où le système
électoral fonctionne. Mais dans ce pays la démocratie « multicolore » a succédé à l’apartheid. Sous ce régime
raciste, les « townships » noires étaient intensément « fliquées », dans un but de répression. Mais lorsqu’on
établit des fichiers avec de mauvaises intentions, rien n’empêche de s’en servir ensuite dans un but plus
honorable. L’administration de la RSA a de ce fait une bien meilleure connaissance des quartiers populeux de
ses villes que n’en ont celles des pays africains plus anciennement libérés.
7
l’a mis en place. Inutile de dire que la situation de la Magistrature était encore pire, en
particulier au sein des Cours Constitutionnelles ou Cours Suprêmes chargées, précisément, de
valider les élections. De tels Hauts Magistrats sont nommés personnellement par le Chef de
l’Etat et, bien entendu, beaucoup plus souvent en vertu de la souplesse de leur échine que de
la rigidité de leurs principes ou de leurs vertus.
En Afrique, les circonstances font que la neutralité et l’indépendance du pouvoir
judiciaire ne sont généralement que des mots. Cela ne découle nullement d’une quelconque
tendance des Africains à être « naturellement » autoritaires ou corrompus. Cela tient à ce que
le détenteur du pouvoir suprême considère que toute autre parcelle de pouvoir - ou même de
contre-pouvoir : c’est ce qui y rend la vie de la société civile si précaire, si dangereuse et si
difficile – ne peut revêtir que deux visages : ou bien être détenue par un de « ses hommes »,
ou bien lui être hostile, et donc perçue comme un nid de conspirateurs à détruire par tous les
moyens.
Il pourrait sembler que, dans ces conditions, l’idée même d’élections « acceptablement
honnêtes » ne mène à rien puisque l’entérinement en est confié à une juridiction que l’on a
toutes les raisons de considérer comme partiale.
Seulement voilà : c’est la seule solution dont on dispose. La seule alternative possible
serait de charger une instance extérieure – l’ONU, par exemple – de jouer ce rôle et cela serait
vécu par trop de gens comme un « abandon de souveraineté ». De plus, il n’y a pas qu’en
Afrique qu’un tel soupçon pèse sur la magistrature et l’on peut prendre des précautions contre
le pouvoir excessif des Juges.
On trouve des précautions de cet ordre dans toutes les constitutions occidentales, c’est
à dire – osons appeler un chat, « un chat » - dans les textes que les Constituants africains ont
servilement copiés. Le remède est simple : le pouvoir des Juges se réduit à accepter les
résultats ou à faire recommencer – totalement ou partiellement - l’élection. Ils peuvent dire
« Oui » ou « Non », ET RIEN D’AUTRE.
Bien sûr, il y a une certaine marge d’appréciation. Il faut rappeler ici que, les élections
étant, comme tout ce qui est humain, une œuvre imparfaite, mais aussi une œuvre coûteuse
pour des pays pauvres, valider les résultats ne signifie pas qu’ils ont atteint la perfection et
sont le résultat d'élections « ouvertes, libres, justes et transparentes ». On se contente,
réalistement et modestement, de constater que les fraudes et erreurs que l’on a pu démontrer
ne sont pas d’une ampleur suffisante pour en conclure qu’elles ont inversé le résultat.
D’autant plus que les fraudes et erreurs ne sont pas à sens unique. Il reste que le choix est
entre valider et invalider, entre « oui et « non ».
Ce qui en découle est remarquablement illustré par le cafouillis ivoirien après le
second tour des présidentielles de 2010 opposant Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. Une
seule voix, celle du Président angolais Dos Santos, tint alors le du bon sens : « Ces élections
sont douteuses. Il faudrait les recommencer »… Et c’est ce qu’aurait dû dire le Président de
la Cour Constitutionnelle ivoirienne, Paul Yao ‘N’Dré.
8
Paul Yao N'Dré © D.R.
Celui-ci, un ami de Laurent Gbagbo, va lui donner l’occasion de se souvenir de
l’adage « Mon Dieu ! Protégez-moi de mes amis… Mes ennemis je m’en charge ! ». Il va en
effet gâcher une excellente occasion de rendre service à son ami tout en faisant correctement
son travail.
En effet, les deux camps avaient déjà, le jour du scrutin, manifesté de la « grogne ».
L’on n’a d’ailleurs pratiquement jamais vu, en Afrique, d’élection à propos de laquelle il n’y
ait pas au moins quelques contestations de ce genre. Le camp présidentiel (Gbagbo) comptait
sur le Conseil constitutionnel pour invalider les « votes frauduleux » qu’il y avait eu, selon lui,
dans trois4 régions du Nord: celles des Savanes, de Denguele et du Worodougou. (Il s’agit, on
s’en doute, de circonscriptions « nordistes » où Ouattara a remporté des scores « staliniens »,
supérieurs à 90 % et même à 97 % dans le Denguele).
L'opposition (Ouattara) avait imputé des manœuvres d'intimidation à des partisans du
parti de Gbagbo dans plusieurs bureaux de vote. "Depuis le début du scrutin, nous avons
observé des blocages systématiques", a dit aux journalistes Marcel Tanon, directeur de
campagne d'Ouattara, ajoutant que des représentants du parti avaient été empêchés d'aller
voter dans certains bureaux et chassés de divers autres. Des barrages avaient été mis en place
par de jeunes partisans de Gbagbo qui contrôlaient les cartes d'électeur en repoussant les
personnes susceptibles de voter pour l'opposition, a-t-il dit. La question de l’accès aux
bureaux en fin de journée, alors que le couvre-feu était décrété, a fait aussi l’objet
d’interprétations divergentes (Ouattara prétendait qu’il n’était plus d’application, Gbagbo,
qu’il était toujours en vigueur).
Il y avait donc matière à invalider le scrutin. Il aurait alors été très difficile à l’ONU,
très impliquée dans ce scrutin et dont il est notoire qu’elle penchait nettement pour Ouattara,
de protester contre une invalidation pure et simple. On imagine mal que l’on se plaigne parce
qu’un magistrat est « trop scrupuleux » !
Mais Yao N’Dé va aller plus loin, et même beaucoup trop loin. Il n’invalide qu’une
partie des résultats et proclame Gbagbo réélu sur base de ce qui reste ! Ce faisant, il sort du
« oui ou non », c’est une tentative de coup d’état judiciaire et il ouvre toute grande la porte
aux interventions militaires « au nom de la légalité ».
Je faisais alors le commentaire suivant5 : « Peut-être faudra-t-il, dans un proche
avenir, se féliciter de ce que Paul Yao N’Dré se soit comporté en l’occurrence avec la grâce
et la légèreté d’un hippopotame tentant d’exécuter un pas de danse classique. Car, comme
nous l’avons exposé ci-avant, on ne pouvait qu’accepter le fait que, des fraudes n’étant
4
5
Il a d’abord été question de trois régions, puis, finalement de sept.
Série I, n° 16, page 16
9
jamais exclues, on puisse avoir à réexaminer certains résultats sur base de réclamations, et
demeurait de toute façons le fait que les résultats avaient, en partie à la suite de manœuvres
de retardement du clan Gbagbo, été proclamés au-delà du délai légal de 72 heures, même si
la loi, qui fixe ce délai, est par contre muette sur les conséquences qui découleraient de ce
non-respect. Mais il est par contre certain que, lorsqu’on invalide une élection en tout ou en
partie, cela ne peut avoir qu’une conséquence acceptable : il faut recommencer ! Le seul
choix qui s’offre est soit de recommencer l’élection litigieuse dans l’ensemble du pays, soit de
ne le faire que dans les régions où l’on a des raisons de supposer que des fraudes pourraient
avoir eu lieu.
« Au lieu de quoi, Paul Yao N’Dré décide purement et simplement de soustraire des
résultats tels qu’ils sont les votes de sept régions, ce qui revient à dire que 13% des électeurs
se retrouvent, en pratique, privés de leur droit de vote !
« Par dessus le marché, tout cela repose, apparemment, sur des mathématiques fort
contestables. Car, tenant compte des résultats de la CEI, même après l’annulation du vote de
7 départements du nord suivant les calculs du Conseil constitutionnel, Ouattara l’aurait
toujours emporté avec 48,55 contre 45% pour Gbagbo. Tout ceci démontre que le problème
juridique soulevé par Laurent Gbagbo n’est qu’un prétexte pour cacher, malheureusement
très mal, un coup d’Etat. Ce qui est arrivé en Côte-d’Ivoire n’est ni plus ni moins qu’un
putsch.
« Quant au Conseil constitutionnel ivoirien, son esprit partisan est tellement flagrant
qu’aucune bonne conscience ne peut pas ne pas s’en offusquer. Lors du premier tour, alors
qu’il y avait des contestations, le Conseil constitutionnel est passé outre. Il a homologué les
résultats, parce que Gbagbo était en tête. Paul Yao N’Dré avec son Conseil constitutionnel
amico-clanique, s’est fait sourd à la voix de Bédié qui dénonçait une « volonté manifeste de
tripatouillage ». L’ancien président ivoirien a exigé ne fut-ce qu’un recomptage des bulletins
de vote. Toute l’opposition a exigé le recomptage des voix pour cause de « graves
irrégularités ». Mais, cette fos-là, Paul Yao N’Dré est resté sourd et aphone
« Cette solution est, bien sûr, totalement inacceptable et offre une occasion splendide
à la « communauté internationale » de persister dans son hostilité à Gbagbo, en ayant
désormais toute faculté de le faire en se drapant du drapeau de la démocratie ! » ?
La suite m’a donné raison et, croyez-moi, je n’en suis pas heureux !
En principe, ce genre d’épisode ne devrait pas se produire, car l’instance judiciaire
chargée de la validation des élections peut valider ou invalider, mais ne doit pas prétendre
« redresser » les résultats.
Cela signifie, sans minimiser en rien le rôle crucial qui est celui de la Magistrature,
que celle-ci ne peut que prendre position par rapport à des résultats qu’on lui présente. Elle
peut certes valider des résultats frauduleux, mais il faut pour cela que ces résultats
frauduleux lui aient été présentés, comme résultats provisoires, par l’instance chargée de
l’organisation et du dépouillement des élections.
En Occident, ces tâches sont celles qu’assurent l’administration et les « citoyens
ennuyés » désignés pour cette corvée civique. En Afrique, elles seront assurées par une
institution spéciale : la Commission Electorale Indépendante6.
6
Elle ne porte pas partout ce nom là et elle est susceptible, parfois, de changer de nom, par exemple enRDC où
l’on est passé de la CEI à la CENI
10
Des opposants et des journalistes le 5/9/2011 à Kinshasa, devant le bureau de réception, traitement des
candidatures et accréditation des témoins et observateurs de la Ceni à Kinshasa.
La Commission Electorale Indépendante
Compte tenu de ce qui a été exposé plus haut, il est fort compréhensible que l’on n’ait
pas compté sur le service homologue de l’administration qui s’occupe en Occident des
affaires électorales : le Ministère de l’Intérieur. Recourir à une Commission Electorale
Indépendante était une option défendable. Toute la question est de savoir ce que l’on entend
par « Indépendance » ou – un autre mot très employé dans ce contexte – par « Neutralité ».
Encore une fois, en cette matière comme en beaucoup d’autres, l’on a joué à sautemouton par-dessus toutes les difficultés qui sont propres à l’Afrique et l’on s’est empressé de
considérer que l’on aurait suffisamment défini les choses en s’en tenant à la définition
européenne : il s’agit alors essentiellement d’indépendance par rapport aux partis politiques.
En Occident, même si certaines familles politiques sont éclatées en de multiples
tendances et même si, dans le cadre des élections, beaucoup de différences sont plus
rhétoriques que réelles, notamment parce que la marge de manoeuvre des gouvernements
nationaux européens par rapport aux diktats de l’UE est singulièrement réduite, cette
appartenance est en général connue. La rhétorique, précisément, y aide parce que chaque
famille idéologique a sa manière d’appeler les choses. Pour transmettre un message identique,
par exemple que l’on va une fois de plus baisser sa culotte devant les banques, un orateur qui
dira que c’est nécessaire « pour sauvegarder l’emploi et dans l’intérêt des travailleurs »
appartient à la famille sociale-démocrate, celui qui parle de « l’intérêt général » est
démocrate-chrétien, celui qui se réfère aux « lois du marché et à la compétitivité des
entreprises », libéral et celui qui évoquera « l’environnement, les énergies nouvelles et une
autre manière de vivre et de consommer », écologiste, celui qui dit que tout ces ennuis ont lieu
« à cause du laxisme de la politique d’immigration » est un populiste fascisant. Celui qui ne
dit rien parce qu’il est bâillonné et expulsé par la police, c’est le marxiste.
En Afrique, les familles politiques sont à la fois plus diverses, moins définies
idéologiquement, beaucoup plus personnalisées et plus agressivement tranchées. La RDC,
incontournable détentrice des records quand ils sont négatifs, compte 400 partis politiques.
Cherchez ! Même en épluchant dans leurs plus fines nuances tous les groupuscules
anarchistes, altermondialistes, anarcho-syndicalistes, babouvistes, bolchevistes, collectivistes,
communistes, humanistes, marxistes (tendance Groucho) et marxistes (tendance Karl),
11
progressistes, solidaristes, syndicalistes, tiers-mondistes, etc… vous ne trouverez jamais 400
idéologies différentes.
En réalité, l’idéologie est quasiment absente de la politique africaine. Les élections y
méritent mieux que partout ailleurs le nom de « piège à cons », puisqu’en en faisant le mode
exclusif d’accès au pouvoir, l’on a fermé au peuple la voie de sa libération par la violence
révolutionnaire. Il est rare de rencontrer dans une élection un groupe, un parti ou un candidat
qui puisse réellement se dire « alternatif » ou « de rupture ». En Afrique, ce serait
pratiquement suicidaire car l’on ne serait pas, comme en Europe, bâillonné et expulsé par la
police, mais éliminé physiquement ; en clair : assassiné. A part cela, comme en Europe, les
élections opposent entre eux des politiciens bourgeois qui n’ont d’autre but que de devenir les
plus dominants et les plus largement privilégiés de la classe dominante. A tout prendre, que la
politique africaine soit avant tout affaire d’individus, de « personnalités », relèverait plutôt de
la sincérité ou, si l’on préfère, de l’absence d’hypocrisie.
Toutefois, en même temps que cet important fractionnement de la sphère politique,
l’on observe aussi une forte tendance à la bipolarisation. Ici aussi, l’on peut soupçonner le
mimétisme et le « copié/collé » d’avoir fait des ravages. Les « références » sont en effet les
principales démocraties parlementaires bourgeoises occidentales : USA, France et Royaume
Uni (les deux dernières étant de plus les anciennes métropole coloniales de la plupart des pays
africains). Ce sont des régimes où la bipolarisation politique est forte, appuyée par un suffrage
majoritaire qui la favorise. Beaucoup de constitutions africaines sont des décalques de la
Constitution de la V° République française, ce qui incite à la structuration de l’espace
politique en deux blocs regroupant les partis politiques par ailleurs multiples. En France, cela
se fait sous les noms de « Droite » et « Gauche », empruntés à l’époque où les idéologies
n’étaient pas encore devenues des faux nez en carton pour une politique immuable. En
Afrique, il y a en général le bloc « Présidentiel » (celui du Président-sortant-qui-ne-veut-passortir) et un bloc antagoniste d’Opposition, plus ou moins uni, cohérent, divisé ou émietté,
suivant les cas.
Certes, ce sont parfois ces formations politiques qui sont en cause lorsqu’il est
question de « neutralité ». Et il faut bien admettre que quand, comme en RDC, l’on confie la
présidence de la Commission « neutre » à… un membre fondateur du parti du Président7, il y
a de quoi être estomaqué.
Les soupçons concernant le manque d’indépendance peuvent aussi se référer au
spectre qui hante, sinon l'Afrique, du moins les africanistes, journalistes et autres politologues
supposés faire, à propos de s événements qui surviennent sur le "Continent Noir" des
commentaires éclairés. Ce spectre, c'est celui de l'ethnie.
Aucun journaliste, fût il débutant et embarqué au pied levé et sans expérience
préalable dans un reportage africain, n'est novice au point de ne pas savoir que ce qu'on attend
de lui, dès qu'il aura déposé son ordinateur portatif dans un hôtel climatisé aussi loin que
possible des zones dangereuses et commandé son premier whisky, c'est qu'il fournisse à ses
lecteurs des information sur "l'aspect ethnique de la question". Faute de quoi, on n'aurait pas
l'air sérieux, qu'il s'agisse de commenter des élections au Kenya, un coup d'état raté au Mali,
une révolution réussie au Congo, des troubles sociaux en Afrique du Sud ou une insécurité de
nature non-précisée dans un coin du Cameroun... Cela peut mener parfois à d'amusants
quiproquos. Ainsi, au moment de l'indépendance du Zimbabwe, on se souviendra peut-être
7
Ngoy Mulunda est le cas le plus « gros », mais il n’est pas unique. La parade aux levers de boucliers que ce
genre de nominations provoque est intéressante par son côté « formel ». Les gouvernements africains répondent
imperturbablement qu’en effet la personne incriminée a été membre d’un parti ou même a contribué à le fonder
mais qu’elle n’en est plus membre ou n’y a pas de responsabilité importante. Et, après quelques remous, ça se
tasse…
12
qu'il y avait deux partis "indépendantistes" en lice: le ZAPU et le ZANU, avec chacun une
"locomotive" Joshua Nkomo d'une part et Robert Mugabe d'autre part. Les deux hommes
étaient originaires des deux principaux "groupes ethniques" du pays: les Ndebele et les Shona.
Les premiers font quelques 20% de la population contre un petit 80% pour les seconds. C'est
le Shona Mugabe qui l'emporta par à peu près 80 % des suffrages exprimés. "Prévisible!!!,
s'exclamèrent maints commentateurs, Ils ont évidemment voté par tribus!" Or, c'était faux:
l'examen des résultats détaillés montra que partout, tant chez les Ndebele que chez les Shona,
Mugabe avait "fait" 80 % et Nkomo 20 %, et que donc l'électeur, loin d'obéir à un réflexe
"ethnique" s'était bel et bien décidé sur base du programme des candidats... Ce qui veut aussi
dire que la décision des électeurs a été tout à fait civique, moderne et bien informée, et qu'elle
a été prise sur une base "nationale" et aucunement, comme on est trop facilement porté à le
croire, sur des références ethniques primitives, passéistes et surannées.
Ce concept d'"ethnie", dans l'usage qu'en font les media, est sans aucun doute un des
concepts les plus largement opératoires qui soient, puisque son champ d'application semble
bien être universel. Rien d'humain qui se produise en Afrique ne lui est étranger.
En même temps que, durant la période coloniale, l’on a délimité spatialement une
ethnie, on lui attribue une quasi-éternité (on a dit ironiquement que l'anthropologie, à une
certaine époque, semble avoir considéré les ethnies comme des "essences subsistantes"... et ce
n'est sans doute pas par hasard que le terme est repris à la philosophie thomiste, compte tenu
du rôle important que les auteurs missionnaires ont joué dans cette "ingéniérie"). Plus
exactement, on suppose que les groupes et institutions que l'on a "trouvés" - il vaudrait parfois
mieux dire "découpés" - remontent à un passé fort lointain et que, si histoire il y a eu, elle était
cyclique et répétitive: "étant posé qu'il y a des A et des B et qu'ils sont ennemis héréditaires,
ils se sont fait la guerre x fois par siècle dans le passé... heureusement, maintenant nous
sommes là pour les en empêcher". Et ce découpage n’a pas été sans quelques touches
comiques: alors que, très anciennement (le mot figure dans les chroniques arabes), le terme de
"Bambara"8 était usité pour désigner très vaguement certaines populations d'AOF, le groupe
se voit soudain défini et cartographié de façon précise par un Monsieur Delafosse en 1912. Il
indique même qu'ils sont 538.450. Et comme un renseignement précis est fait pour être
recopié, ils seront toujours 538.450 en 1924 chez Monsieur Monteil, en 1927 et en 1942 chez
Monsieur Tauxier. Il faut croire que les Bambara se sont donc abstenus de faire l'amour, de
naître et de mourir pendant 30 ans.9 Etonnante Afrique !
Lorsque l'ethnie fait la "Une" des journaux, c'est presque toujours pour accompagner
des termes comme "haine, querelle, massacre, etc..." et l'on ne peut s'empêcher d'avoir
l'impression qu'il faut lire entre les lignes "Ils (ces sauvages!) continuent à se massacrer pour
des raisons incompréhensibles". Or, ces "haines tribales héréditaires", lorsqu'on se donne la
peine d'en retracer les causes, ne remontent pas à la nuit des temps mais... à la colonisation et
à l'introduction même du concept d'ethnies. L'opposition Eswe / Ekonda, chez les Tetela, a
même attendu que l'on soit après l'indépendance pour développer ses aspects ravageurs ! On
aurait fait mieux, toujours suivant la même clé de lecture "ethnique", au Rwanda et au
Burundi puisque Tutsi et Hutu auraient attendu près de 800 ans pour s'apercevoir qu'ils se
8
Ce fut le sort commun de bien des termes déjà usités plus anciennement avec des sens très vagues: ("ceux qui
font ceci" ou "ceux qui parlent tel dialecte") qui se virent soudain doté d'un sens univoque, correspondant à des
groupes précis, voire à des "races", délimités en longitude et en latitude. Les avatars du mot "bantou" en sont un
bel exemple. C'est un terme purement linguistique et les hasards de l'histoire peuvent mener des peuples sans
aucune parenté génétique à parler des langues apparentées. On en fit néanmoins un terme de "race". Par la suite,
surtout après la II° Guerre Mondiale, la méfiance envers tout ce qui pouvait paraître raciste fit qu'on ne l'employa
plus... même dans le champs linguistique qui était le sien à l'origine. Et pendant quelques années on ne se référa
plus aux langues bantoues que par le très peu commode terme de "nigéro-congolais central".
9
BAZIN, Jen, “A chacun son Bambara”, in AMSELLE, Jean-Loup & ELIKIA M'BOKOLO, ed. "Au coeur de
l'ethnie. Ethnies, tribalisme et état en Afrique" Paris, La Découverte, coll. Textes à l'appui, 1985, pp 115 -116.
13
haïssent à mort depuis la nuit des temps !10 Il en est d'autres: l'opposition, toujours au Congo,
entre Luba et Lulua remonte à l'établissement du camp de l'EIC à Luluabourg et à des
privilèges, jugés excessifs par les autochtones, accordés aux populations déplacées fixées
autour de ce camp.. Les oppositions Bete / Baoulé en Côte d'Ivoire est curieusement pareille à
des querelles de bornage entre paysans, co-extensives au développement des cultures de
plantation sous le régime français. La "haine tribale" des "vrais Katangais" de Tshombé contre
les Luba-Kasai, quant à elle, ressemble furieusement à une "ratonnade" dirigée contre les
travailleurs immigrés amenés par les mines. Et il était bien commode, aux temps coloniaux,
de disposer d'étiquettes ethniques pour désigner les événements: parler de "révolte des
Batetela" ou de "soulèvement des Bayaka et des Bapende" renvoyait au "passé obscur " quant
aux motifs d'un mouvement supposé irrationnel. "Mutinerie des soldats indigènes" ou
"Jacquerie des coupeurs de palme des plantations Unilever" aurait pu susciter la réflexion sur
des analogies avec des événements européens... Présentée comme remontant à la nuit des
temps, l'ethnie sert en fait de clé de lecture à des phénomènes récents et induits par la société
moderne (coloniale ou post-coloniale)...
Les traditions mêmes des groupes africains font sans cesse état de faits qui montrent
que ces groupes étaient ouverts sur l'extérieur et que leur composition même a été fluctuante.
Rois et chefs sont souvent décrits comme "venus d'ailleurs". La coutume prévoit que tel ou tel
groupe aura un statut spécial comme "premiers occupants du lieu", ce qui revient à dire que le
groupe a conscience de se composer de strates successives de population.11 Et les guerres sont
maintes fois liées au contrôle de routes et itinéraires commerciaux: plusieurs guerres
opposèrent ainsi les Tio et les Bobangui pour le contrôle du pool Malebo, et ces litiges furent
parfois soumis à un arbitrage pour lequel on fit appel à un arbitre extérieur aux deux ethnies.
Tout cela fait bien international dans un monde de monades sans portes ni fenêtres !
D'autre part, si l'appartenance ethnique a un statut aussi prépondérant dans la
conscience de l'Africain et dans ses motivations, à tel point que même dans un contexte
moderne il continuerait à réagir en fonction de ces appartenances, on voit mal comment
s'explique le fait que, très tôt, on a vu apparaître des références plus larges. Et puisqu'il faut
balayer devant sa porte, je citerai mon propre exemple. Lorsque je cherchais des traces de
traditions ou de souvenirs concernant les révoltes de la fin du XIX° siècle, je me suis adressé,
par la force des choses, à beaucoup de personnes âgées de Tetela, ainsi qu'à d'autres groupes
de l'Est. Ces gens avaient été influencés, dans les années ‘60, soit par le MNC / Lumumba,
soit par d'autres partis du cartel lumumbiste. Et, au départ, j'avais tendance à considérer tous
propos tendant à attribuer aux mutinés des conceptions relevant du nationalisme congolais ou
du panafricanisme comme une sorte d'interpolation, l'informateur projetant, pensais-je, ses
idées et celles du héros de l'indépendance dans l'esprit de résistants anti-coloniaux du passé.
Au cours d'une phase ultérieure de travail, dans les archives missionnaires relatives à cette
même période, je trouvai la lettre du Père Achte, dans laquelle il explique qu'il a été capturé,
puis relâché par les rebelles et s'est entretenu avec leurs chefs. Ce document est unique : le P.
Achte est le seul Européen à être revenu de chez les Baoni12 Et son entretien avec Mulamba
est pratiquement la seule "interview" d’un leader Noir à mettre en parallèle avec les dires de
ses adversaires Blancs. Or, Mulamba y tient effectivement ces mêmes propos, parlant de
libérer tous les Noirs de l'EIC, puis ceux du reste de l'Afrique. Donc, un peu plus de dix ans à
10
Selon toute vraisemblance, les Tutsi ont dû arriver dans la région entre 1000 et 1100 de notre ère, soit à peu
près en même temps que les Normands en Angleterre ! Imagine-t-on les Britanniques s'en avisant brusquement
et entreprenant de se massacrer entre Saxons et Normands ?
11
Ainsi, lors de la désignation du Mani-Kongo (le "roi" des Bakongo), l'un des membres du collège électoral, le
Mani-Kubunga, représentant le clan Nsaku, avait voix prépondérante, du fait du lien privilégié de ces premiers
occupants avec la terre.
12
Il y eut quelques mises à mort de prisonniers mais, surtout, la plupart des Blancs préféraient le suicide à la
capture.
14
peine après la création de l'EIC, l'espace congolais et l'identité congolaise avaient été
suffisamment intériorisés par un sergent de la Force Publique pour lui servir de référence
politique et les révoltes de la F.P. font figure de premier acte politique congolais !
Il y a donc une série de signes importants non pas que les ethnies n'existeraient pas,
car il est un fait que des groupes humains précoloniaux en Afrique noire, cela existe, mais
qu'elles ne devaient pas avoir exactement le visage que l'ethnographie coloniale leur prête.
Nier l'existence, en Afrique, de groupes ethniques serait absurde, et reviendrait à dire que ce
continent n'est pas peuplé de peuples. (Notons en passant que les mots africains que nous
traduisons par "ethnie" ou "tribu", par exemple le Swahili "kabila" signifient en fait "peuple"
ou "nation").
Plusieurs identités ethniques (ou tribales ou sous-ethniques) ont reçu une empreinte
idéologique. Les dénominations, ethniques et autres, ont tendance à être multiples et
conjoncturelles; l'ennemi dans un tel contexte est un frère dans tel autre. Catégories et
appellations ethniques sont ainsi des instruments, voire des armes, dont on peut se servir pour
susciter un conflit ou pour en favoriser l'apaisement. Cetes, des problèmes résultent du grand
nombre des ethnies, mais aussi leurs différences de taille (il y en a de fort grandes et de toutes
petites), l’influence du tribalisme en politique et le fait d’avoir eu à gérer des questions de
relations entre « originaires » et « non-originaires ». Mais le grand tort de beaucoup
d’observateur est de vouloir traiter ce qui est « ethnique » come un quadrillage figé et à plat,
alors que dans la réalité il est tridimensionnel, dynamique et sans cesse mouvant. Toute
situation concrète locale résulte toujours d’interactions multiples entre ces divers clivages
emboîtés. Il convient donc de résister à la tentation de la facilité, qu’elle soit ethnique,
religieuse ou linguistique et de la réduction de cette complexité en un simpliste clivage
bipolaire, qu’il soit Est-Ouest, Chrétiens/Musulmans ou que sais-je encore...
Mais c’est souvent dans d’autres domaines que l’on met en cause l’indépendance ou la
neutralité des personnes : il s’agit de leurs liens, réels ou supposés, avec les puissances
étrangères qui, cela complique les chose, sont souvent celles qui aident, appuient, conseillent
le processus électoral. Ces aides, appuis et conseils sont souvent des désignations bénignes
pour le fait qu’en réalité elles paient la facture des élections. Et l’on peut souvent constater
que les principaux bailleurs de fonds sont aussi d’importants investisseurs dans le pays.
Souvent l’ex-colonisateur vient en tête. De là à conclure qu’il compte être payé de retour, il
n’y a qu’un pas, qui est vite franchi13…
Il faut bien dire, aussi, que les membres de la « communauté internationale » tout en
proclamant leur volonté de voir les élections traduire dans les faits la souveraineté du peuple,
font un assourdissant battage publicitaire autour de leur « générosité » et que certains hommes
politiques occidentaux sont fort heureux de se trouver sous les projecteurs, ce qui au total rend
la chose très peu discrète. Nous y reviendrons…
Pour le moment, nous parlons des Commissions Electorales. En ce qui les concerne, il
faut distinguer deux choses : les « grosses pointures » de la Commission elle-même, et les
« petites mains », c'est-à-dire le personnel qu’elles engagent pour effectuer le travail qui, en
Occident, est confié aux fonctionnaires et aux « citoyens ennuyés ».
La Commission Electorale Indépendante proprement dite est le pouvoir organisateur
des élections. Elle doit donc être aussi indépendante que possible tant du pouvoir que de
l’opposition, autant dire de la politique en général.
13
Les liens avec l’étranger sont une arme à double tranchant. L’on s’en défie, mais en même temps, les candidats
aiment à mettre en avant leur « agenda », leur « carnet d’adresse » ou leurs tournées politiques en Europe ou ax
Etats-Unis.
15
Admettons-le, le problème à résoudre n’est pas simple. Pour fonctionner valablement
dans une CEI, il faut connaître le sujet, donc s’intéresser à la politique. Mais pour être
indépendant ou neutre, il faut n’y avoir aucun intérêt personnel. Il faut donc trouver des gens
qui « y ont de l’intérêt mais pas d’intérêts » : qui connaissent bien la politique, mais n’y ont
aucun intérêt partisan. Bien que ces « intéressés sans intérêts » aient des allures d’oxymoron,
cela existe : dans la société civile, parmi les publicistes et les spécialistes du droit, il y a des
gens qui s’intéressent à la politique, la suivent et en connaissent fort bien les mécanismes,
sans être eux-mêmes engagés au sens de mandataires politiques ou de militants de partis.
Logique, la « communauté internationale » prévoyait d’ailleurs généralement parmi ses
« dépenses d’appui » en Afrique un « arrosage » de subsides en direction des organisations
locales de la Société civile.
A lire les déclarations d’intentions, tant africaines qu’internationales, au sujet des CEI,
le profil recherché indiquait clairement que ces gens « compétents, intègres,
impartiaux, etc…» ne pourraient venir que de là. L’on avait tout au plus une petite
inquiétude : au fur et à mesure que se précisaient dans les textes les conditions à remplir pour
être reconnus « compétents, intègres, impartiaux, etc…», l’on avait de plus en plus
l’impression que Jésus-Christ, s’il se présentait, ne remplirait que de justesse les sévères
critère de moralité édictés. Les saints garantis de leur vivant par une auréole étant rares, l’on
se rabattit alors sur des humains ordinaires et sur une impartialité qui ne serait plus garantie
par la compétence, l’intégrité, etc… mais par un « dosage » politique, la société civile n’étant
plus qu’une composante minoritaire destinée à donner au tout un certain lustre d’objectivité.
Pour comble d’absurdité, l’on en est parfois arrivé à considérer la qualité d’ecclésiastique
comme un gage d’indépendance.
En cause : plusieurs facteurs. D’abord, le flou n’est pas moindre dans la distinction
entre politique et humanitaire que dans la démarcation entre partis. Ensuite, le fait que
diverses organisations de la société civile peuvent avoir des liens, formels ou non, avec des
mouvements politiques. Enfin, comme la société civile, par définition, critique la « face
obscure » des actes du pouvoir, la corruption, les atteintes aux droits de l’homme, les bavures
de la police, les dérapages de l’administration, elle est perçue par le pouvoir comme une sorte
d’« opposition bis ». Quoi qu’il en soit, c’était raté.
En dessous de la Commission elle-même, il y avait ce que j’ai appelé ses « petites
mains » : le personnel d’exécution chargé des tâches des fonctionnaires et des « citoyens
ennuyés ».
Dans beaucoup de cas, il a fallu reprendre ab ovo les listes d’électeurs qui existaient et,
à ce sujet, l’on ne peut éviter d’être étonné et même scandalisé.
Le recensement de la population est, dans un Etat, un instrument indispensable de
gestion qui affine considérablement les prévisions et évite des pénuries tragiques et des
gaspillages éhontés liés à des prévisions erronées. Comme la plupart des pays d’Afrique n’ont
concernant leur population que des données lacunaires ou obsolètes, que le recensement s’y
heurte, par endroit, à des difficultés sui generis telles que la présence de groupes nomades ou
semi-nomades et que les fonds leur manquent pour des opérations administratives de grande
envergure, l’occasion était belle, à l’occasion des nombreuses « exportations de la démocratie
en kit », de leur permettre d’effectuer ce recensement, de les munir du matériel nécessaire et
de former comme « agents de la CEI » tout un personnel qui pourrait ensuite s’occuper des
affaires électorales, mais aussi oeuvrer dans les instituts de statistiques et dans divers
ministères dont on pourrait ainsi renvoyer le personnel incompétent et corrompu hérité des
régimes antérieurs. L’occasion était si belle que l’on s’est empressé de la rater.
16
Toutes les « élections assistées » ont invariablement été conçues comme des
opérations « one shot ». Même les cartes d’électeurs doivent être renouvelées à la veille de
chaque nouveau scrutin ! Les emplois de « petites mains de la CEI », eux aussi, furent des
emplois à durée limitée.
Même s’il y a de considérables différences de pays à pays, il est bien connu que
l’Afrique noire, dans son ensemble, est à des années-lumières du plein emploi. Souvent se
pose même le problème qu’avoir un emploi ne signifie pas forcément que l’on soit payé pour
son travail ! Et, à tort ou à raison, beaucoup d’Africains, partant du principe « le Noir n’est
pas bon pour le Noir », estiment qu’un patron « expat » ou un financement étranger sont une
meilleure garantie d’être vraiment payé que l’honnêteté souvent « élastique » d’un employeur
appartenant à la bourgeoisie locale. Les offres d’emploi des CEI reçurent donc un accueil
enthousiaste. On s’est bousculé au portillon.
Profitons-en pour tordre le cou à certains préjugés : intellectuellement et en particulier
du point de vue de la scolarité, les employés des CEI n’étaient pas, dans leur ensemble, un
personnel de second choix, au niveau insuffisant. Pour rappel, nous parlons ici des « petites
mains », d’employés et de techniciens. Il n’a pas été nécessaire d’engager des gens n’ayant
pas le niveau d’étude ou le bagage technique requis. Au contraire, dans le contexte africain où
un fort taux de chômage est endémique, bien des candidats ont postulé pour des fonctions en
dessous de leurs capacités. C’est apparu nettement, par exemple, en RDC, lors de conflits du
travail postérieurs aux élections de 2006
Les CEI ont donc été composées de « personnalités » parmi lesquels il y avait
beaucoup trop de politiques14, beaucoup trop peu de personnes connaissant les techniques en
cause, et où la société civile se fourvoyait dans un cloaque où elle n’était pas à sa place. Elles
ont eu à leur service des employés subalternes très heureux de trouver un travail, même
temporaire, dans des pays où règne un très important chômage endémique. Quand, en
Afrique, le patron dit « Si vous n’êtes pas content, il y en a dix autres qui attendent à la
porte… », c’est une vérité qui doit être prise au pied de la lettre. Employé de la CEI est,
comme tout autre emploi dans le pays, une situation précieuse et précaire et rien ne vous y
défend contre l’arbitraire de l’employeur. Refuser d’exécuter un ordre parce qu’il serait lié à
une fraude ou proclamer l’existence de celle-ci après coup relèverait de l’héroïsme le plus
stoïque. L’on s’exposerait à la perte de son gagne-pain et à des représailles soit policières soit
de ces organisations « musclées » qu’entretiennent les partis politiques, qui le plus souvent
s’appellent pudiquement « jeunesse » mais mériteraient plutôt le nom de « milices ».
Comparez cela avec la situation « standard » en Europe15. Les homologues des
employées de a CENI, ce sont les fonctionnaires et les « citoyens ennuyés ». Les premiers
sont à l’abri d’un statut extrêmement bien protégé qui les met pratiquement à l’abri du
licenciement. Les seconds n’exercent qu’un mandat temporaire le jour même de l’élection. Ils
n’y ont aucun intérêt et ne peuvent donc être sensibles à aucune menace. Cette situation très
différente se résume en ceci : l’Occidental est à l’abri d’une protection sociale très forte, ou au
contraire d’un rôle si ténu qu’il l’empêche de s’y intéresser, alors que l’Africain est dans la
situation de David, sans sa fronde, face à Goliath. Des gens capables de faire un boulot
ennuyeux, cela se trouve ; les héros sont nettement plus rares !
14
A mon avis, les politiques devraient être radicalement EXCLUS des sièges d’une commission électorale. Par
contre, il conviendrait, à l’instar de ce qui se pratique pour les autres étapes du processus électoral, de permettre
ax partis politiques d’y déléguer des observateurs sans voix délibérative.
15
Ces comparaisons ne portent que sur les élections « papier », les seules existant en Afrique à l’heure actuelle.
La problématique de la fraude au vote électronique, en particulier par le bais de truquages de la machine à voter,
ne concerne pour l’instant qu’une partie des élections européennes et américaines, et met d’ailleurs en oeuvre un
type tout nouveau de fraude électorale, où les fournisseurs de machines à voter semblent jouer un rôle des plus
glauques.
17
Il me semble qu’il y a là un « fossé » essentiel, bien plus essentiel, en tous cas, que des
différences dans la conception des partis politiques, par exemple. Or, si l’on réfléchit un tant
soit peu, il n’est pas difficile de s’apercevoir que, pour que le mécanisme des élections
fonctionne, le degré d’indépendance ou de résistance aux pressions que nous connaissons
en Occident est indispensable.
Encore une fois, je rappelle que nous ne nous intéressons pas aux grands principes et
aux concepts de la philosophie politique mais à la réalisation concrète d’un certain nombre
d’opérations très matérielles et fort pratiques, sans lesquelles les grands concepts ne
servent à rien et les immortels principes sont tournés en ridicule. Si vous croyez que
j’exagère, lisez la presse africaine : vous verrez que l’on s’y gargarise de la « volonté
populaire » et de la « légitimité provenant du suffrage universel » pour faire la promotion de
régimes qui, tout le monde le sait, ne reposent que sur l’alliance de la fraude et de la
contrainte. Il est manifeste que, trop souvent, des expressions sonores comme « cohésion
nationale » ou « respect de l’ordre constitutionnel » signifient en réalité « reconnaissance du
pouvoir établi » et « acceptation de ‘résultats électoraux’ plus que douteux ».
Or, il ne s’agit pas de retomber dans un discours imprégné de racisme plus ou moins
camouflé, suivant lequel, quand ils sont noirs, les détenteurs du pouvoir seraient
« naturellement » tyranniques et tricheurs et l’électorat ou les agents des CEI
« naturellement » corruptibles et fraudeurs. Au temps de la guerre froide, l’on s’est servi de
cette « tendance naturelle du pouvoir africain à l’autoritarisme » et de « l’obéissance
traditionnelle au Chef » pour justifier l’avènement de dictatures pro-occidentales. Il ne s’agit
pas de cela. Cela tient uniquement au contexte socio-économique qui fragilise les Africains,
avec pour résultat que l’on ne saurait y réaliser les conditions décrites plus haut.
Et, puisqu’il en est ainsi, il serait vain de vouloir transporter tel quel en Afrique un
décalque des élections occidentales. Le faire, c’est réaliser une sorte de numéro de cirque, une
parodie d’élections, donc c’est de la camelote, de la « pacotille pour Nègres » et nous,
Occidentaux, avons le devoir de ne proposer cette crasse à personne, tout comme les Africains
ont le devoir de le refuser et devraient, si nous insistions, nous botter le cul. Les élections
doivent être impeccables, ou elles ne sont pas.
RDC : Personnel de la CEI au travail pendant les élections de 2006
18
Vigilance mal placée
Les camelots de la « démocratie en kit » ont un boniment fallacieux pour nous faire
accepter les innommables assemblages généreusement qualifiés de « résultat globalement
acceptables ». (L’on reste rêveur devant le sens mystérieux qu’il faut attribuer à
« globalement » quand on le lit dans certains « rapports sur le déroulement des élections »). Il
consiste à dire à peu près : « Bien sûr ce n’est pas parfait ! Mais le plus dur, c’était de leur
faire accepter le principe des élections. Maintenant qu’ils l’ont, vous verrez que tout ira mieux
la prochaine fois ».
Cela repose sur l’idée que les élections seraient comme la natation : le tout est d’oser
sauter dans l’eau la première fois. Or, ce n’est pas la première élection (pourtant entourée de
multiples « soutiens » et d’un immense tintamarre médiatique) qui est cruciale, mais la
deuxième !
C’est en effet à partir de la deuxième élection que peut jouer la sanction électorale,
quant à laquelle, précisément, l’on sent monter en Afrique, et non à tort, un scepticisme
croissant.
Expliquons nous !
La véritable supériorité de l’élection réside dans son caractère répétitif.
Certes, la possibilité de choisir ses dirigeants n’est pas un mince avantage. Mais, ce
que l’élection a d’unique, c’est de ne donner le pouvoir que pour un mandat limité, au bout
duquel un dirigeant insuffisant peut être sanctionné en n’étant pas réélu.
Il n’est nullement démontré que l’élection procure de meilleurs dirigeants que le
hasard de la naissance, ou même que le simple tirage au sort. Elle a par contre l’avantage de
permettre, sans recourir à la violence, de se débarrasser des dirigeants décevants dont on ne
veut plus !
Le caractère démocratique des élections, c’est qu’elles constituent en elles-mêmes un
système de sanctions, tout simplement par la non-réélection. Un mandataire qui a déçu, que ce
soit en étant malhonnête ou simplement bête, incompétent ou paresseux, subira comme
première sanction de se voir privé du pouvoir et des privilèges dont il a mal usé. Cela
s’arrêtera là s’il a simplement été insuffisant ou négligent. S’il a été jusqu’à mal agir, au sens
de la loi, il sera de plus exposé à toutes les enquêtes, poursuites et sanctions qui en découlent,
exactement comme le commun des mortels puisque, n’étant plus élu, il a perdu toute
immunité.
Il est facile de comprendre que la possibilité, pour l’électeur, de ne pas réélire un
dirigeant décevant (quelle qu’en soit la raison, et elle peut ne pas comporter d’aspects
délictueux) conditionne tout le reste. Si l’homme a simplement passé quelques années a jouir
d’une rémunération substantielle et à mener la grande vie la sanction peut très bien s’arrêter
là. Si, plus gourmand encore, il a de plus abusé de sa position à la fois protégée et prestigieuse
pour commettre d’autres actes comme la corruption la concussion, la prévarication, le trafic
d’influence, etc… le fait qu’il ne sera plus couvert par le « parapluie légal » de ses fonctions
officielles l’exposera comme n’importe quel citoyen, aux rigueurs de la loi.
Or, le moins qu’on puisse dire est que les dirigeants africains se montrent peu disposés
à subir cette sanction. S’il leur arrive d’admettre qu’une élection est un bon moyen de sortir
d’une crise (en fait, souvent une guerre civile plus ou moins ouverte) et s’il leur plaît de jouir
de l’auréole de « dirigeants démocratiquement élus », ils ont par contre beaucoup de mal,
semble-t-il à intégrer le concept « fin de mandat ». On se cramponne à son fauteuil avec une
énergie féroce. On ne compte plus les tentatives pour transformer, à coup de mandats
19
successifs et répétés, les mandats présidentiels en présidences à vie, voire en présidences
héréditaires.
Il pourrait certes sembler banal de constater que, partout au monde, les Présidents s’en
vont rarement de gaieté de cœur et qu’être « dans la politique de père en fils » n’est pas un
trait typique de l’Afrique. C’est vrai. Mais si partout au monde on essaie de se faire réélire, ou
de « lancer fiston sur les traces de papa », cela peut déboucher sur un échec. En Afrique, au
contraire, la manœuvre réussit presque toujours, quitte à passer par des épisodes brutaux ou
sanglants.
Il est évidemment encore une fois possible d’épiloguer sur la culture africaine, la
mentalité africaine et le “sens de la famille” à la fois étroit par l’intensité des liens et très
élargi par le grand nombre de ceux qui peuvent en bénéficier. Je ne sais ce qu’il faut admirer
le plus, de cette “pensée africaine” qui finit par contenir tout et son contraire, ou de
l’imagination des “spécialistes” et “africanistes”, capables d’y trouver invariablement ce dont
ils ont besoin… dans leur propre intérêt.
Malheureusement, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais tout simplement d’impunité.
Dans la division internationale du travail, le rôle assigné à l’Afrique est celui de
fournisseur à bon marché de nombreuses matières premières. Cette fourniture a bon marché se
fait d’une manière très simple : il est moins cher de verser un gros « pot-de-vin »
(pudiquement baptisé « commission » ou « intéressement ») à un Président, à son entourage et
à quelques ministres que de payer décemment quelques milliers d’ouvriers. La logique du
profit (dite avec une délicieuse pudeur « main invisible du marché ») c’est que l’idéal serait
qu’ils travaillent gratuitement. Les investisseurs peuvent, bien sûr, affirmer la main sur le
cœur, « en toute honnêteté », qu’ils ont versé ce qu’ils devaient à l’état africain. Ils ignorent
bien sûr (il n’y a pas plus aveugle que celui qui ferme les yeux pour ne pas voir) qu’on ne leur
demande si peu que parce que cet argent disparaîtra dans les poches profondes de quelques
privilégiés. On aboutit alors à des situations comme celles de la RDC : la pays, considéré
comme un « bon élève » par le FMI reçoit à l’été 2010 un allègement de sa dette et annonce
illico une « année du social » dont le peuple n’a pas encore vu le premier franc. En février
2010, le FMI remet ça en faisant état du « bon climat des affaires ». Il est en effet excellent.
Gertler continue à acheter le diamant congolais « en solde ». La société canadienne Katanga
Mining annonce que 2010 devrait dégager des résultats doubles de l’année précédente. Mais
bien sûr ces bénéfices ne sauraient être amputés de ce qu’il faudrait pour donner au personnel
de Katanga Mining un salaire substantiel ou des conditions de travail simplement décentes. Le
profit, c’est pour les actionnaires et puis, « on a déjà donné »… aux ministres.
Cette situation ne va pas s’améliorant, malgré les élections « démocratiques
expportées en kit ! L'Africa Progress Panel (APP), organisation présidée par l'ex-secrétaire
général des Nations unies, Kofi Annan, a rendu public à la mi-mai, à Cape Town (Afrique du
Sud) devant le World Economic Forum, un rapport détaillé sur la façon dont certains pays
africains sont lésés dans la gestion de leurs ressources naturelles. Pays aux immenses
potentialités minières, la RDC aurait perdu entre 2010 et 2012 1,36 milliard USD à l'occasion
de cinq transactions réalisées en moyenne au sixième de leur véritable valeur. Le Kazakh
ENRC qui a hérité du patrimoine minier du Canadien First Quantum est, entre autres, pointé
du doigt .
Présidéq par Kofi Annan, les dix membres de l'Africa Progress Panel ont, au terme de
leurs discussions, relevé que les ressources naturelles de l’Afrique pourraient améliorer de
manière spectaculaire la vie de millions de personnes.
Selon le rapport sur les progrès en Afrique de cette année, le continent noir se trouve
face à une immense opportunité et les décideurs africains doivent prendre des décisions
essentielles. Soit, investir les recettes tirées des ressources naturelles dans leurs populations,
20
pour créer des emplois et générer de nouvelles opportunités pour les millions d’individus des
générations actuelles et futures. Soit, gaspiller ces ressources en permettant une croissance
sans emplois et en laissant les inégalités s’installer.
Le rapport examine en détail cinq contrats conclus entre 2010 et 2012, qui ont coûté à
la RDC plus d’1,3 milliards de dollars de recettes en raison de la sous-évaluation des actifs et
des ventes à des investisseurs étrangers. Cette somme représente le double du budget annuel
alloué à la santé et à l’éducation dans un pays qui présente l’un des taux de mortalité infantile
les plus élevés au monde et qui compte sept millions d’enfants déscolarisés.
La RDC a souffert d’un manque à gagner d’au moins 1,36 milliard de dollars de revenus
potentiels entre 2010 et 2012, en raison de la vente à prix bradés d’actifs miniers à des
sociétés offshore. Selon le rapport, cinq actifs miniers ont été bradés par l’Etat en RDC entre
2010 et 2012, vendus à des sociétés offshore, servant d’intermédiaires, qui réalisent ensuite
d'énormes bénéfices en les revendant à des groupes étrangers. « Aucun pays n’illustre mieux
les coûts élevés des échanges de concessions opaques que la République démocratique du
Congo », indique le rapport.
Kofi Annan, président de l’Africa Progress Panel, a fait comprendre que « la RDC, qui
possède certaines des ressources minières les plus riches au monde, semble ne pas en
profiter, car des compagnies d'Etat sous-évaluent systématiquement les actifs sous-jacents.
Des concessions ont été effectuées en des termes qui génèrent d’importants bénéfices pour des
investisseurs étrangers, pour la plupart installés dans des paradis fiscaux, entraînant un
manque à gagner équivalent pour les finances publiques »16.
Parmi les 5 concessions minières examinées par l’APP, trois concernent le groupe
minier kazakh ENRC, qui a acquis des concessions en RDC via des entités offshore logées
dans des partis fiscaux tels que les Iles Vierges britanniques. Le panel s’appuie, entre autres,
sur l’affaire d’expropriation des mines de Kishiba et de Lonshi dans le territoire de Sakania
ainsi que les rejets de KMT à Kolwezi. Autrefois, propriété du Canadien First Quantum
Minerals, ces mines, situées dans la province du Katanga, auraient été cédées dans des
conditions les plus obscures au groupe minier britannique Eurasian Natural Resources
Corporation (ENRC). Vendue par le gouvernement, la fabuleuse exploitation minière de
Kishiba nichée dans la botte du Katanga, à la frontière avec la Zambie, appartenait en fait à la
société canadienne First Quantum. Prétextant une série d'irrégularités, les autorités de la RDC
ont en 2009 exproprié sans compensation l’entreprise Frontier Sprl, avant de céder tout son
actif au Kazakh ENRC.
Fort de l'appui des autres parties prenantes de son projet, les gouvernements canadien
et sud-africain ainsi que la Banque mondiale, First Quantum a immédiatement saisi la
Financial Services Authority, le régulateur de la Bourse de Londres où son ennemie jurée,
ENRC, est cotée. Pour compenser la chute dramatique de son action à la suite de
l'expropriation, le groupe canadien réclamerait près d’un milliard USD au nouveau
propriétaire. La première escarmouche doit avoir lieu, rapporte-t-on dans la presse spécialisée,
au deuxième semestre de cette année devant le tribunal d'arbitrage des conflits commerciaux
de Washington.
Toutefois, le rapport précise qu’il n’insinue pas de comportement illégal des dirigeants
politiques ou des entreprises impliquées, mais demande une enquête plus approfondie. Tirant
les conséquences pour l’Afrique, partant du cas spécifique de la RDC, Kofi Annan a déclaré
que « les exonérations d’impôts et l’évasion fiscale sont des problèmes de dimension
16
Le gouvernement de la RDC n’a pas tardé à réagir à ce rapport. « La RDC n’a rien perdu, ces actifs ont été
cédés en totale transparence », a déclaré le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, cité par BBC Afrique.
«Combien de fois avons-nous parlé de ces actifs, d’ENRC, Glencore, des Iles Vierges? J’ai répondu à ces
questions à maintes reprises », a-t-il renchéri, balayant d’un revers de la main toutes les accusations portées
contre la RDC… mais incapable d’en réfter une seule.
21
mondiale qui nous affectent tous. Pour les gouvernements du G8, cela correspond à une perte
de revenus. Mais en Afrique, il y a des répercussions directes sur la vie des mères et des
enfants. Dans le monde entier, des millions de citoyens ont aujourd’hui besoin que leurs
leaders réagissent et prennent les devants. Heureusement, il semble que l’élan en faveur du
changement s’accélère ».
Le panel pense que dans de nombreux pays d’Afrique, les revenus issus des ressources
naturelles creusent le fossé entre les riches et les pauvres. Bien des progrès ont été accomplis,
note-t-il, une décennie de croissance à un taux très impressionnant n’a pas cependant amené
des améliorations comparables dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la nutrition.
L’Africa Progress Panel est convaincu que l’Afrique peut mieux gérer ses vastes richesses en
ressources naturelles pour améliorer la vie de ses populations, en définissant des agendas
nationaux ambitieux en faveur du renforcement de la transparence et de la responsabilité.
Toutefois, l’évasion et les exonérations fiscales à l’échelle internationale, la corruption et une
faible gouvernance constituent des défis majeurs, souligne-t-on dans le rapport.
Le rapport salue donc la volonté de la présidence actuelle du G8, assurée par le
Royaume-Uni, ainsi que des autres gouvernements, de mettre la fiscalité et la transparence au
cœur du dialogue de cette année. Il invite tous les pays de l’OCDE à reconnaître le coût de
l’inaction dans ce domaine critique. Les pertes subies par l’Afrique sous la forme de
sorties de capitaux illicites représentent deux fois plus que ce qu’elle reçoit en aide
internationale.
L’APP trouve invraisemblable que certaines entreprises, souvent soutenues par des
fonctionnaires malhonnêtes, pratiquent une évasion fiscale contraire à l’éthique et se servent
des prix de transfert et de sociétés anonymes pour maximiser leurs profits, alors que des
millions d’Africains sont privés d’accès à une nutrition adéquate, à la santé et à l’éducation.
Le mérite du travail de Kofi Annan, après celui de l'ONG anticorruption Global Witness, est
de chiffrer pour la première fois l'impact de ce pillage, reconnaissent des spécialistes du
secteur minier de la RDC. Quant à ENRC, cela fait plusieurs semaines que l'étau se resserre
autour d’elle. Après des années de soupçon de corruption, le bureau britannique de lutte
contre la délinquance financière a annoncé, le 25 avril, l'ouverture d'une enquête sur le groupe
minier. Dans la presse britannique, l’on annonce que des limiers de l’office britannique des
fraudes, Serious Fraud Office, s'apprêtent à s'envoler pour la RDC pour enquêter sur le
patrimoine minier d’ENRC en RDC.
Parmi les 5 concessions minières examinées par l’APP, 3 concernent le groupe minier
kazakh ENRC, qui a acquis des concessions en RDC via des entités offshore contrôlées par
Dan Gertler, un homme d’affaire israélien proche de JKK, et au coeur de nombreuses
tractations minières dans le pays au cours des 10 dernières années. Ce détail n’a pas été mis
en exergue par les journaux congolais. Courageux, mais pas téméraire…
Toujours dans le domaine des « sorties illégales de capitaux, la RDC a perdu
récemment sa place parmi les bénéficiaires de l’ITIE. Ceci, assez curieusement, alors que
dans l’ensemble la RDC est bien notée pour ses progrès en matière de transparence des
industries extractives. Seulement voilà : 88 millions de dollars, qui auraient dû rentrer dans les
caisses de l’état, se sont évaporés. Personne, pas même Kabwelulu, le « jeune technocrate
surdoué » en charge des mines dans le gouvernement Matata Ponyo, n’est en mesure d’en
retrouver la trace ! Radio-Trottoir a, à ce sujet, une explication : ce gros paquet de devises
aurait été enfoui dans les poches très profondes de Zoé Kabila, le frère du Président « mal
22
élu »17. Tout le monde le sait, disent ces médisants, mais même un ministre n’oserait s’en
prendre à la famille de JKK.
Deux faits sont très fréquemment cités – y compris par les « spécialistes » et
« africanistes » admirateurs de la « pensée africaine » - , sans que l’on fasse le lien entre eux,
même si l’on est« spécialistes » et « africanistes » de surcroît. Le premier est la tendance à
peu près générale des classes dirigeantes d’Afrique à vouloir se perpétuer au pouvoir. Le
second est l’existence, dans la plupart des pays d’Afrique, de considérables problèmes
d’impunité.
Le lien est pourtant évident, puisque les fonctions gouvernementales et parlementaires
procurent, de manière nécessaire pour que l’on puisse les exercer, un certain nombre de
privilèges à ceux qui en sont titulaires. Ceux-ci ne consistent pas en une garantie d’impunité.
Simplement poursuivre un parlementaire, un ministre, un Président pendant qu’ils sont en
fonction ne peut pas se faire aussi facilement que pour un autre citoyen. L’action de la Justice
est entravée par des obstacles (par exemple : la nécessité de demander à une Chambre de lever
l’immunité d’un parlementaire avant de pouvoir le poursuivre) ou peut même être suspendue
jusqu’au moment où ledit mandataire sort de fonction (pour citer un exemple récent : il a fallu
attendre la fin des mandats présidentiels de Jacques Chirac pour lui demander de s’expliquer
sur certains actes commis alors qu’il était Maire de Paris, ce qui ne date pas d’hier !)
Si l’on se penche sur l’origine de ces institutions et pratiques, c'est-à-dire sur la genèse
des institutions européennes et nord-américaines durant les XVIII°, XIX° et XX° siècles, on
s’aperçoit assez rapidement que cette façon de faire a été adoptée partout au nom du principe
« du moindre mal »18. Les législateurs furent donc conscients du fait que ces immunités
n’étaient pas quelque chose d’idéal et présentaient des risques d’abus. On considéra que la
crainte de quelques abus individuels devait s’effacer devant la considération que méritait le
17
Il faut rappeler que les élections du 28/11/11 ont été organisées, tout comme celles de 2006, en faisant voter
un « corps électoral inconnu », faute de recensement préalable de la population. Ce fait à lui seul suffirait à en
« plomber » gravement la crédibilité. Elles ont, par-dessus le marché, été entachées de fraudes et de
manipulations à un point tel qu’elles ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Les fraudes les
plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité
des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des
témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus.
L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs. On n’a donc que des résultats dont
la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les
résultats de la présidentielle et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à
jamais inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de
fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui
suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli.
18
Autrement dit, les législateurs étaient partout conscients des risques de « dérapages » inhérents au fait de
placer certains citoyens, totalement ou partiellement, au-dessus de la loi. Mais ils étaient aussi conscients d’un
autre risque et ils l’étaient d’autant plus que ç’avait été une pratique fréquente des régimes despotiques dont on
venait de se débarrasser. Ce risque était l’abus du pouvoir judiciaire ou policier sous l’Ancien Régime pour se
débarrasser d’individus que l’on estimait dangereux, non en raison de leur comportement délictueux, mais de
leurs activités politiques ou de leur connaissance de faits scandaleux liés à l’exercice du pouvoir. En français
nous disons toujours que de tels détenus étaient « embastillés », par référence à la prison de la Bastille, celle qui
fut prise et détruite en 1789. Ce raisonnement est assez analogue à celui qui concerne la pratique, beaucoup plus
ancienne, de l’immunité diplomatique. Personne n’est assez naïf pour ignorer que l’ambassade d’un pays avec
lequel on est en relations mauvaises ou hostiles sera, au moins en partie, un nid d’espions abusant de l’immunité.
On le tolère en se disant que rester en contact et continuer à se parler jusqu’à l’ultime seconde avant le premier
coup de canon peut permettre parfois d’éviter une guerre et que, donc, le jeu en vaut la chandelle.
23
risque d’abus politiques (par exemple : des tracasseries judiciaires envers l’opposition), en
vertu de la priorité de l’intérêt général sur les intérêts particuliers.
Mais il faut aussi remarquer que les mêmes législateurs ont supposé, parce que c’était
la pratique courante de leur temps19, que l’alternance au pouvoir serait pratiquée
normalement. Faut-il le dire ? Il est très différent d’attendre quatre ans pour interroger un
suspect, ou de voir le même interrogatoire reculé d’une quarantaine d’années !
Les dirigeants africains, compte tenu des pratiques citées plus haut, ont toutes les
raisons de se cramponner à leurs sièges présidentiels ou à leurs portefeuilles ministériels.
D’abord par ce que la place est bonne. Ensuite, et surtout, parce qu’ils ne peuvent pas se
permettre de perdre les fonctions qui les immunisent contre les enquêtes et les poursuites que
leur conduite « aux affaires » devrait leur valoir. Il faut qu’ils restent en fonction très
longtemps, de manière à atteindre ce degré de richesse où l’on peut planquer ses économies
dans un paradis fiscal où on les retrouvera le jour où l’on devra fuir devant l’émeute.
Accessoirement, ces régimes »à prolongations » par toute une batterie d’artifices :
élections retardées, modifications constitutionnelles, etc… présente l’avantage de donner aux
prédateurs un temps précieux qui leur permet de préparer et mette en piste « l’opposant » de
leur choix, c’est à dire celui dont la politique ne sera pas « opposée » à celle de son
prédécesseur. Mais le peuple aura sa part : il pourra voter pour choisir la sauce à laquelle il
continuera d’être mangé.
Lorsque l’on parle d’impunité, l’on a souvent à l’esprit les crimes les plus brutaux et
les plus révoltants, comme les viols ou, les massacres de femmes, d’enfants ou de vieillards.
Et il est normal de vouloir qu’on les réprime. Mais il est nécessaire aussi de se rendre compte
que l’impunité de ces crimes-là a son origine lointaine, mais essentielle, dans le refus de
l’alternance, dans le maintien perpétuel dans les sphères immunisante du pouvoir de ceux qui
ne veulent à aucun prix rendre des comptes.
Or, l’on est bien forcé de constater que, si l’on a déployé de considérable moyens,
inventé tout et son contraire, avec une riche imagination relevée d’un zeste de folie débridée,
dans l’accompagnement, l’appui et l’observation – la surveillance, pour parler net – des
élections, rien n’a été prévu pour garantir que la sanction électorale sorte ses effets, c’est à
dire pour que les dirigeants sanctionnés retournent au vestiaire.
Rejet ou appropriation ?
19
La III ° République française est célèbre pour le peu de durée de ses gouvernements. La Reine Victoria eut des
Premiers Ministres alternativement conservateurs et libéraux. La Belgique de Léopold II vit alterner les équipes
catholiques et libérales, etc…
24
La « démocratie en kit » étant un projet d’importation étranger, l’on pouvait se
demander comment le tissu africain allait réagir à cette « greffe ». Rejet ou appropriation ?
Prenons un exemple : le processus électoral en RDC, en 2006, souvent srnommées, au
Congo « Les élections Louis Michel ». Par bien des aspects, le processus électoral clôturant
en 2006 la « Transition » en RDC peut-être vu au moins comme « étranger », voire comme
« imposé » ou « manipulé » par l’étranger.
Dans ses origines d’abord. Il y avait à Kinshasa, en 1998, un gouvernement
parfaitement légitime, tirant son droit à exercer le pouvoir du mouvement populaire qui avait
renversé le dictateur. Le seul tort de Laurent Kabila fut de n’avoir jamais revendiqué ce
pouvoir en tant que gouvernement provisoire. Il faut tout de même remarquer que Laurent
Kabila, dès le 30 juin 1997, avait annoncé des élections, une constituante, etc, agissant donc
de fait comme le chef d’un gouvernement provisoire. La guerre a empêché ces choses de se
faire, et, au vu des difficultés pratiques que rencontra ensuite la CEI, le calendrier alors
promulgué par Kabila apparaît tout à fait irréaliste dans son optimisme.
La levée de bouclier contre le gouvernement provisoire ne fut toutefois pas motivée
par cet irréalisme, mais par le fait que Kabila ne souhaitait pas reprendre à son compte le
dernier épisode du mobutisme, à savoir la CNS et le HCR/PT20. Ce qui revient à dire que son
avis sur la question était le même que celui de Mr. Swing, de l’ONU : au Congo, depuis la
mort de Lumumba, c’était le vide juridique. Pourquoi, alors, les hauts cris
« démocratiques » poussés à propos de la CNS ? Parce qu’il n’y aurait plus de mandats
HCR/PT derrière lesquels abriter son impunité. Les spoliateurs les plus inquiets, bien sûr,
crièrent le plus fort, et ceci, bien entendu, par simple conviction démocratique, qu’on se le
dise...
Ce gouvernement légitime a subi une agression étrangère dépourvue de tout prétexte
crédible. Une guerre, qu’on a pu qualifier de « troisième guerre mondiale », s’est déroulée au
Congo, faisant tant de victimes qu’Amnesty International a pu dire « Au Congo, c’est tous les
jours le 11 septembre... », dans le silence général de la « communauté internationale »,
Belgique comprise. Le Congo n’avait qu’un tort : posséder des richesses minérales.
L’équidistance a consisté à gérer une situation de pure science-fiction. On contraignit les
Congolais à se comporter comme si leurs agresseurs étaient des personnes honorables avec
lesquelles on peut discuter, comme s’il y avait eu une « opposition armée » là où il n’y avait
que des auxiliaires de l’agresseur, des nostalgiques de la dictature déchue et des bandits de
grand chemin.
C’est dans ce contexte, invraisemblable d’irréalisme, que l’on a FORCE le Congo à se
doter d’un gouvernement « de transition », commodément désigné par la formule « 1+4 »,
faisant entrer les pyromanes parmi les pompiers. Un tel gouvernement était, bien sûr, paralysé
à tout bout de champs par ses contradictions internes. Et ce gouvernement imposé par un
« diktat » international avait pour principale fonction d’organiser des élections, sous la tutelle
de la Monuc, de la CIAT et de multiples autres intervenants étrangers dont les va-et-vient
n’étaient même pas discrets.
L’intention manifeste de « l’appui » si généreusement apporté au Congo par la
« communauté internationale » n’était pas d’établir la démocratie, encore moins de l’apporter,
mais bien d’achever de la détruire. En 1961, on avait d’abord tué Lumumba, puis fait la
chasse aux lumumbistes pour éradiquer le pouvoir nationaliste. En 2001, on a semblablement
20
CNS : Conférence Nationale Souveraine. Celle-ci, par fusion avec l’ancien Parlement (mobutiste) devint le
Haut Commissariat de la République / Parlement de Transition.
25
liquidé Laurent Kabila pour raser ensuite ce qu’il avait commencé à construire et qui était une
démocratie plus réelle que le régime parlementaire bourgeois, car elle se proposait aussi de
s’en prendre aux inégalités économiques. C’est ce travail de démolition que l’on appela
fallacieusement « retour à la démocratie ».
L’acteur étranger le moins discret fut le Commissaire de l’UE à la Coopération
Internationale Louis Michel, raison pour laquelle les Congolais parlent souvent des « élections
Louis Michel » pour désigner ce scrutin.
Cette expression couvre souvent l’insinuation accusatrice d’avoir été l’instigateur ou le
complice du truquage de ce scrutin. Les historiens de l’avenir auront à se prononcer sur cette
accusation. L’attitude de Louis Michel peut s’expliquer autrement, mais il est en tous cas
l’auteur d’une « gaffe » si monumentale qu’elle mérite l’épithète d’« historique ».
L’on a incontestablement beaucoup vu et entendu Louis Michel à propos de la
Transition congolaise. Il était alors quelque chose comme le Ministre des Affaires Etrangères
de l’UE, qui avait investi beaucoup dans le processus. Le faire voir, savoir et remarquer faisait
partie de ses fonctions de « commis voyageurs » de l’UE. Va-t-on lui reprocher d’avoir fait
son travail ?
Louis Michel est un libéral. La transition avait doté le Congo d’une législation sur ses
richesses naturelles qui fait la part plus que belle aux investisseurs étrangers, Laurent Kabila
le haïssable collectiviste paraissait définitivement enterré. Il avait tout lieu d’être content et,
expansif, il le montrait. Je n’aime pas cela parce que les idées de Mr. Michel sont aux
antipodes des miennes, mais cela n’est pas suffisant pour que je l’accuse d’avoir recouru à la
fraude pour les favoriser.
Enfin, il y a eu sa gaffe télévisuelle : avoir déclaré sur RTL que JKK était « l’espoir du
Congo ». Il se peut que, ce faisant, Louis Michel n’ait fait qu’exprimer une sympathie
personnelle. Mais, lorsque l’on est l’un des organisateurs principaux d’une élection, a fortiori
quand il s’agit d’une élection étrangère, il n’est pas admissible que l’on exprime aussi
nettement et aussi ouvertement ses préférences. Il ne pouvait qu’être payé de retour en
soupçons d’avoir organisé la victoire qu’il souhaitait. Ce fait à lui seul est très grave et aurait
dû ete sanctionné … Mais l’UE est une machine fort peu démocratique qui ne sanctionne
jamais ses dirigeants.
Le processus était « exotique » ensuite
dans ses modalités d’application. On a fait
appel à des technologies de pointe et l’on a eu
recours massivement à l’ordinateur avec, au
moins pour ce point, le souci louable d’enrôler
rapidement les électeurs... et le désir moins
honnête de le faire n’importe comment On a
aussi décidé d’importer de l’étranger les
bulletins, les urnes et les isoloirs, ce qui était
nettement plus superflu. Il est clair que dans
tout cela on a agi plutôt avec le souci de
dépenser beaucoup au profit des firmes
détentrices de cette technologie, plutôt que de
recourir à des moyens locaux. On s’est ainsi exposé à des soupçons de manipulation. Les
Congolais sont marqués par leur passé: entendre, dans une même phrase le mot « politique »
et le mot « honnêteté » les fait ricaner. Ces importations coûteuses de moyens mystérieux
inspirent dès lors l’idée que « on ne dépense pas cet argent pour rien. Donc, ces machins et
machines sont truqués... ». Le raisonnement est à peu près : « Une urne, c’est une boîte. Mon
26
cousin Jules, qui est menuisier, sait aussi faire des boîtes. Les boîtes de Jules sont deux cents
fois moins chères. Donc, on jette l’argent pas les fenêtres, ou alors ces boîtes ont quelque
chose de spécial qu’on nous cache. Et si on nous le cache, c’est que ce n’est pas pour notre
bien ! » Et comme les Congolais ont aussi de l’imagination, les bruits les plus
invraisemblables circulent sur ces « truquages ». On s’en donne carrément à cœur joie : mieux
que les histoires de sorciers du bon vieux temps... Non seulement ces bruits circulent, mais ils
ont de bonnes chances d’être crus !
Les élections apparaissaient donc sous un aspect énigmatique, partiellement
incompréhensible, appuyé de l’extérieur par la force visible des armes, et par la puissance
plus discrète (mais qui ne se cachait guère) de l’argent. Ce n’est pas exactement ce que l’on
entend couramment par « un visage sympathique » ! Quand on en est là, deux attitudes sont
possibles. Le rejet, ou l’appropriation.
Rappeler que les cultures sont faites d’emprunts multiples, c’est enfoncer une porte
ouverte ! Et l’on aurait tort de croire que l’arrivée des innovations que les peuples ont
adoptées s’est entourée de circonstances riantes et sympathiques. Une bonne partie de
l’Europe vit toujours avec une législation dont les fondements reposent sur le droit romain. Et
pourtant, les Romains ont apporté leurs codes par des méthodes aussi « douces » que celles de
Léopold II au Congo ! Et au Congo même, l’un des aliments les plus couramment consommés
est le manioc. Or, cette plante est d’origine américaine et a été introduite en Afrique par les
marchands d’esclaves ! Mais les Africains n’ont pas tardé à s’apercevoir de ses qualités et à
l’adopter. Si l’on proposait aujourd’hui aux Congolais de se passer de cette nourriture
« étrangère » et de la rejeter à cause de ces origines brutales, il n’y a aucun doute sur ce que
serait leur réaction. ! La plus modérée consisterait à se tapoter doucement la tempe de l’index,
pour exprimer les doutes les plus nets sur le bon sens de l’interlocuteur...
S’approprier les élections est chose réalisable. On l’a fait en 1960. Pourtant la présence
du colonisateur était évidente, et son envie de manipuler ne l’était pas moins. Quant aux textes
de lois, ils avaient été élaborés par le Parlement belge. Si la situation matérielle du peuple
était bien meilleure en 1960, les raisons de se méfier du scrutin étaient, à tous le moins, aussi
nombreuses qu’en 2006. Les Belges attendaient beaucoup de leur « Parti des Nègres
Payés21 ». Ils ont reçu comme réponse le gouvernement Lumumba. Cette utilisation, par les
Congolais, de l’instrument électoral à des fins qui leur étaient propres et qui étaient opposées
à celles du colonisateur, est exactement ce que l’on appelle « appropriation ». Elle est
parfaitement possible !
Elle l’est d’autant plus que, dans l’état des choses qui prévalait depuis la Transition,
les manipulateurs étrangers étaient satisfaits. La transition avait doté le Congo d’une
législation sur ses richesses naturelles qui fait la part plus que belle aux investisseurs
étrangers, et il n’y avait en lice aucun candidat qui eût pour programme de la réformer. On
aurait d’ailleurs cherché en vain le programme de n’importe lequel de ces candidats : histoire
d’amuser la galerie, ils se bornaient à mettre en doute la « congolité » de leurs concurrents ou
à remettre en cause le calendrier électoral. Quand on n’a rien à dire, on fait le bruit que l’on
peut...
Les élections de 2006 ont été organisées, tout comme le seront par après celles du
28/11/11, en faisant voter un « corps électoral inconnu », faute de recensement préalable de la
21
Il était résolument pro-belge et s’appelait « Parti National Populaire », en sigle PNP, d’où le jeu de mots.
27
population. Ce fait à lui seul aurait suffi à en « plomber » gravement la crédibilité. Ce point
fondamental a été suffisamment expliqué pour n’y point revenir22.
Autre facteur important : elles se sont déroulées contrairement au calendrier prévu en
principe par les accords de la Transition. Les élections devaient se dérouler « de bas en
haut » : locales, provinciales, législatives et, pour finir, présidentielles. On a remis aux
calendes grecques les locales, qui n’ont pas encore eu lieu, et cumulé toutes les autres
élections avec le premier tour des présidentielles. De ce fait, l’on a perdu une occasion unique
de diminuer l’effet du « vote de précaution »23.
Malgré toutes ces raisons d’avoir de sérieux doutes, un consensus se fit dans la classe
politique congolaise pour considérer qu’il fallait accepter ces résultats « quand même ». Cette
formule simple recouvre une réalité mouvementée, puisque les armes parlèrent deux fois, dont
une à l’artillerie lourde, que l’on incendia la CSJ lors d’une audience traitant du contentieux
électoral, etc…
La victoire de JKK avait quand même quelque vraisemblance24 mais, surtout, on
voulait conserver ce que l’on considérait comme le grand acquis de la Transition : les
élections elles-mêmes comme seule voie d’accès au pouvoir. De plus, l’on se fiait à la
sanction électorale. S’il était mauvais, il en aurait tout au plus pour cinq ans !
La perplexité fut très apparente après le « renversement des alliances De fin 2008 à
fin 2011, la thèse officielle à propos de la guerre de l’Est proclama que le Rwanda était un
allié, que tous les ennuis venaient du FDLR et que Ntaganda était indispensable à la paix.
On ne pouvait que constater que les Congolais manifestaient en petits groupes très
dispersés ou ne manifestaient pas, et ceci fondamentalement à cause de leurs divisions et
divergences internes. Il y avait bien sûr des difficultés que l’on pourrait appeler
« classiques » : « Je viens si l’on inscrit dans la plateforme de la manif tel point qui
m‘arrange » ; « De quoi elle se mêle, celle-là, elle n’est pas de la région » ; « Je ne vais pas
aux réunions qui ne se tiennent pas en lingala » : « Ma tribu avant tout… » C’est là le sort
commun de presque toutes les préparations de manifs. Mais d’autres difficultés sont plus
graves. On pourrait résumer ainsi la position de certains Congolais : « Une manif pour le
Congo, d’accord, mais alors il faut que ce soit une manif contre Kabila ».
Il y avait tout un arc-en-ciel de positions, depuis les fanas du rassemblement national
qui ne veulent jamais d’autre attitude que « Tous derrière le Chef » jusqu’à ceux qui ne
prétendaient défiler que derrière des calicots portant des slogans du genre « Kabila = Nkunda
= Kagame = (ne l’oublions pas !) Louis Michel». Il va de soi que rapprocher ces points de
vue paraît tout simplement impossible. Et cela plonge les Belges (et d’autres) qui voudraient
se montrer solidaires avec le Congo dans des sentiments divers dont la perplexité n’est pas le
moindre.
Dés alors, il était fort peu probable qu’il y ait eu vraiment beaucoup de vrais partisans
de Joseph Kabila, si l’on entend par là des gens réellement fascinés par son charisme, éblouis
par ses dons ou convaincus par son éloquence. Il y en avait peut-être pour être étonné par les
résultats obtenus, mais leur étonnement ne concernait que le fait qu’ils aient été si mauvais !
Ceux qui passaient pour « kabilistes » auraient dû plutôt s’appeler des
« électoralistes » ou des « constitutionnels ». Leur soutien provenait moins du contentement
22
Voir la Série I, notamment le numéro consacré à l’abbé Malumalu.
On se reportera également à la Série I
24
JP Bemba avait contesté certains résultats favorables à Joseph Kabila. Ce dernier ne contesta rien, alors qu’il
est certain que des intimidations eurent lieu, dans l’Equateur, au profit de Bemba. Selon toute vraisemblance,
même une victoire judiciaire sur toute la ligne n’aurait pas permis à Bemba de « remonter » tout son retard,
surtout dans l’hypothèse où l’on aurait également contesté ses résultats douteux.
23
28
de l’action d’un Président qui a surtout donné la mesure de son incapacité, que de la volonté
de voir désormais en RDC l’accès au pouvoir se faire uniquement par voie d’élection. Dans
leur esprit, mieux valait supporter un Président insuffisant pendant la durée de son mandat et
le « sortir » aux élections, que de se risquer dans d’autres démarches qui pourraient ramener
coups d’état, guerre civile et totalitarisme. Quel que soit l’élu, l’élection est en elle-même un
acquis et jeter cet acquis aux orties risquerait d’être un retour au passé.
Si l’on jette un coup d’œil sur l’autre élection très contestable de ces dernières années,
en Côte d’Ivoire, l’on constate également que l’ « acceptation » des résultats de fin 2010 a
lieu avec une considérable grimace, qui se traduit surtout par le refus de beaucoup de partis de
prendre part aux scrutins suivants. Le résultat risque d’être un pays de plus en plus
« unicolore »,un « retour de manivelle » aux élections suivantes, vers un monolithisme
inverse et il n’est pas dit qu’alors l’on continuera éternellement à préférer les élections à la
violence.
Au Burundi, les observateurs de l’UE ont qualifié l’atmosphère du scrutin qui a vu la
réélection de Nkrunziza de « calme et morose, sur fonds d’arrestation et d’assassinats
ciblés ». Apparemment, les observateurs ne parviennent même plus à s’étonner du recours à la
répression et au meurtre et en sont presque venus à considérer qu’ils font partie de l’ambiance
« normale » d’une élection africaine ! Lors de la présidentielle, les candidats se sont retirés les
uns après les autres, ne laissant en lice que le sortant. On a appelé cette attitude le « syndrome
de Bujumbura ». Une telle attitude pourrait aboutir, de fait, à faire du parti unique présidentiel
le régime démocratiquement choisi et pourquoi pas, à terme, le régime « normal » en
Afrique !
Les élections de 2015 au Burundi n’en sont évidemment encore qu’au stade de la
préparation lointaine. Néanmoins, un certain nombre de signes avant-coureurs sont
inquiétants. Ils sont de deux ordres: certaines mesures législatives, effectivement prévues ou
qui pourraient être envisagées, offrent le flanc à la critique; simultanément, un regain de
tension et de nervosité est perceptible, à l’occasion de faits qui parfois relèvent du “ faits
divers” et, signe encore plus inquiétant, l’on a vu reparaître des miliciens armés.
Les mesures législatives sont un certain manque de transparence dans le recrutement
des personnels qui donne à penser à des choix partisans, une loi, déjà effectivement votée, sur
le contrôle de la presse, qui a été accueillie par un tollé général, pas seulement au Burundi et
le projet prêté à Nkurunziza de briguer un troisième mandat, imitant en cela Joseph Kabila et
Abdoulaye Wade, qui l’un et l’autre ont fait admettre que leur premier mandat, antérieur à la
loi limitant le nombre des mandats, ne comptait pas. Son parti affirme que son mandat de
2005 à 2010 s’inscrivait dans le cadre de la transition entre l’Accord d’Arusha et la mise en
place des institutions actuelles et qu’il n’entre donc pas en ligne de compte. Si le Président
Nkurunziza décide de poser sa candidature, c’est à la Cour Constitutionnelle qu’il reviendra
de se prononcer sur la constitutionnalité de cet acte. Or, cette Cour ne jouit pas de la confiance
d’une grande partie de la population qui voit les juges comme des serviteurs du parti au
pouvoir.
La fréquence avec laquelle les Président africains s’accrochent à leur fauteuil comme
des malades laisse aisément supposer que Nkurunziza, atteint par le même virus, noyaute déjà
les fonctionnaires en vue de tricher, va poser sa candidature, museler la presse, recourir à la
fraude et à la complaisance de la Cour Constitutionnelle, que les protestations, de plus en plus
violentes à mesure que les frustrations s’accumulent, seront écrasées de façon violente, et que
c’est en vue de cela que l’on arme d’ores et déjà des miliciens. Il y a de quoi se sentir
nerveux !
29
Après avoir, dans un premier temps, accepté les élections comme seule source
admissible de légitimité, la plupart des présidents y ont d’abord puisé le prétexte d’un surcroît
de morgue. C’est avec la plus grande hauteur et la plus superlative des superbes qu’ils
écrasent maintenant de leur mépris (ce qui n’est qu’un détail) mais aussi sous les lourds
godillots de leur flicaille, tous ceux qui, d’après eux, veulent s’en prendre au pouvoir
« légitimement issu du suffrage universel ».
Là où autrefois il y avait des rois absolus « par la grâce de Dieu » nous voyons
aujourd’hui des présidents absolus par les urnes de la « démocratie en kit ». Les Chefs d’Etats
ne cessent de multiplier les tentatives pour élargir leurs pouvoirs ou pour en prolonger la
durée. Et, pour ce faire, ils ne cessent de tripoter les Constitutions, ou du moins de
s’essayer… Faut-il énumérer des pratiques connues de tous : modification du mode de scrutin
pour rendre leur réélection plus probable, prolongation mandat pour cause « situations
exceptionnelles », allongement de la durée du mandat présidentiel, suppression ou
accroissement du nombre limite des mandats consécutifs autorisés, présidence transmise de
père en fils… Outre ces tentatives de « bricolage législatif », on assiste aussi à la
recrudescence des refus d’accepter les résultats d’élections, ainsi qu’à la constitution autour
des présidents de gardes prétoriennes et de services spéciaux de sécurité jouissant de larges
privilèges d’impunité, avec souvent en leur sein une large présence de mercenaires
étrangers25.
Les dernières élections au Nigéria ont provoqué plus de 500 morts et, au-delà des
violences, cette démocratie est le pays africain le plus peuplé, le premier producteur de pétrole
du continent et un de ses foyers artistiques, intellectuels et universitaires les plus féconds.
AEn 2011, après les élections législatives du 9 et présidentielle du 16, le Nigéria a élu, le 26
avril, toujours sur fond de violence, les gouverneurs de 24 de ses 36 Etats.
La multiplication des élections violentes et contestées en Afrique devrait peut-être
pousser à la réflexion quelques uns de nos « exportateurs de démocratie en kit ». Mais leur
conscience et leur capacité d’autocritique semblent difficiles à réveiller…
Le Nigéria est le premier producteur de pétrole du continent, et le sixième au monde.
1,9 million de barils sortent quotidiennement de ses raffineries. Cet atout reste
malheureusement inexploité : la corruption a dissout toute chance de voir cette manne
pétrolière être redistribuée à la population nigériane. Eric Guttschuss, chercheur spécialiste du
Nigéria à Human Rights Watch (HRW), explique : « Les dirigeants sont extrêmement riches
mais la plupart des Nigérians vivent encore dans une pauvreté abjecte. Il n'y a aucune
répartition des richesses. »
Elu avec 57% des suffrages exprimés, le nouveau leader, Goodluck Jonathan, viceprésident sortant qui avait pris les rênes du pays après la mort d'Umaru Yar'Adua en 2010,
chrétien et originaire du Sud, contestée par le camp de Muhammadu Buhari, son rival
musulman du Nord du pays, est accusé de fraudes. Human Rights Watch était sur place
pendant l'élection. Leslie Haskell, présente à Oyo, dans le Sud-Ouest du pays, affirme que le
scrutin a été beaucoup plus transparent que lors des élections précédentes : « Nous n'avons
pas vu de fraudes, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas eu. On a assisté à des irrégularités
: des enfants qui votaient, des agents électoraux qui ne respectaient pas la procédure à la
lettre. Mais avant, il y avait carrément des vols d'urnes ! ».
25
C’est là par excellence un domaine sur lequel on est très mal documenté. La fréquence de la chose mène
pourtant à se demander si, par comparaison à l’époque de référence où l’on a beaucoup parlé des mercenaires,
les années 60, où ils se voyaient aisément parce qu’ils étaient blancs, il n’y en a pas davantage aujourd’hui, mais
avec plus de discrétion parce qu’ils sont noirs.
30
Comme les élections « d’avant » avaient été, elles aussi, imperturbablement acceptées
par les « observateurs », on ne peut que se demander « Qu’est-ce qu’il leur faut ? ». A moins
que la réponse soit « Du pétrole ».
Quand à l’observation des scrutins, un exemple croqugnlet nous vient du Burkina
Faso. Blaise Compaoré, qui a renversé Thomas Sankara en 1987 avec la bienveillance de la
France puis a installé son régime dans la répression des journalistes et opposants, se succède à
lui-même en remportant la pseudo-élection présidentielle du 21 novembre 2010. Une nouvelle
fois, cette élection est entachée d’irrégularités. Le tribunal administratif, saisi par les partis
d’opposition, a jugé non conforme au code électoral la carte d’électeur. La suite sera donnée
par le Conseil Constitutionnel qui pourrait décider d’annuler le scrutin. Sentant que l’élection
était jouée d’avance, seule la moitié des 7 millions d'électeurs potentiels s'était inscrite sur les
listes électorales, et seulement 1,7 millions d'entre eux se sont rendus aux urnes. Cette
mascarade prend une signification d’autant plus particulière que Blaise Compaoré entend
modifier la constitution pour pouvoir se représenter indéfiniment à la présidence, à l'instar de
son ami camerounais Paul Biya. C’est pourtant sans complexe que le président du Burkina
Faso va endosser son costume de médiateur pour aller donner des leçons de paix et de
démocratie aux Ivoiriens lors du deuxième tour de la présidentielle, alors que par ailleurs des
soupçons de soutien matériel aux rebelles pèsent sur lui.
L’Union Européenne n’a pu envoyer d’observateurs, une place vite prise par
l'Observatoire Européen pour la Démocratie et le Développement (OEDD). Cette fumeuse
association, cofondée entre autres par Pierre Messmer, a envoyé sur place une douzaine
d’observateurs qui disent avoir constaté « le sérieux, la courtoisie, la discipline, l’ordre et la
maturité » des Burkinabè lors du scrutin, alors que seuls les représentants du candidat
Compaoré et les forces de l'ordre étaient présents dans les bureaux de vote visités. Dans cette
délégation « européenne » composée aux trois-quarts de Français, souvent liés aux réseaux
françafricains, on retrouvait notamment Jacques Godfrain (ancien ministre de la Coopération
de Jacques Chirac), Jacques Perget (général français, contrôleur général des armées),
Françoise Casano (Vice-Présidente des Femmes de l’UMP), Michel Voisin (député UMP,
Vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées), Fouad
Benhalla (Président de Havas Médias International, lié au groupe Bolloré).
L'association « Survie » dénonçait le soutien officieux des autorités françaises et
l’absence de réactions des autorités européennes à la tacite reconduction de Compaoré.
« Survie » dénonçait également cette parodie d'observation qui ne vise qu'à offrir une
légitimité usurpée à un chef d'Etat qu’elle qualifie de « criminel ».
Conclusions partielles et provisoires
Il semble donc bien, au total, que l’Afrique se soit bien approprié l’idée que le
changement politique pacifique au moyen d’élections est préférable à tous les autres. Si le
continent baigne pour le moment dans un climat d’acceptation morose « quand même » de
résultats peu convaincants, cela tient surtout à un refus systématique des classes dominantes
d’accepter ces règles de changement pacifique sans tenter de les modifier à leur profit ou, tout
simplement, de tricher impudemment et d’imposer « leurs » résultats par la force.
Le désenchantement des Africains tient à une perception correcte de leur part : ils ont
compris que des élections doivent être impeccables ou nulles.
Les « exportateurs de démocratie en kit », pour autant qu’ils aient été de bonne foi
dans leurs tentatives, ont à tout le moins gravement sous-estimé la difficulté de mettre sur
pied en Afrique un pouvoir organisateur des élections et son personnel d’exécution qui
31
puissent fonctionner dans des condition d’indépendance et de sécurité qui approchent
des standards occidentaux. La formule de la « Commission électorale indépendante »
devrait être sérieusement revue.
D’autre part, il ne sert à rien d’« observer » ou d’« accompagner » les élections, de
faire même des rapports à ce sujet, si c’est pour en arriver soit à déclarer « acceptables » des
résultats qui ne le sont pas, soit à faire des rapports courageusement critiques qui ne sont
suivis d’aucun effet. Il faut renoncer aux formules du genre « les résultats manquaient de
transparence ». La seule formule acceptable est « Les résultats ne sont pas pleinement
transparents, donc ils sont nuls » et cela doit entraîner des sanctions.
A suivre…
File d’électeurs, au Nigéria
32
Téléchargement