Le s Cah ie rs de l`Obse rvatoire viticole

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Le s Cah ie rs de l
'O b s e rvatoire viticol
e - N° 5
A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
SOMMAIRE
ACCUEIL............................................................................................................. 3
M. Kléber MESQUIDA
Premier Vice-président du Conseil général de l'Hérault,
Délégué général, chargé de l’aménagement durable du territoire
PRESENTATION DE LA JOURNEE .............................................................. 5
M. Christian JEAN
Vice-président du Conseil général de l’Hérault, Délégué à l’agriculture et à la forêt,
Conseiller général, Maire de Claret.
LA CONSOMMATION MONDIALE DE VIN :
ZOOM SUR LE ROYAUME-UNI ET LA CHINE......................................... 7
Mme Francoise BRUGIERE
Chef de décision Etudes et Marchés – Viniflhor
DISCUSSION .................................................................................................... 11
LE ROYAUME-UNI......................................................................................... 15
APPROCHE MARKETING DANS LA GRANDE DISTRIBUTION
ANGLAISE ........................................................................................................ 15
M. Olivier PROTHON
Chef de mission agricole Ubifrance
COMPRENDRE LES CONSOMMATEURS DE VIN EN GRANDEBRETAGNE....................................................................................................... 21
M. Jean-Philippe PERROUTY
Research Manager – Wine Intelligence
TABLE RONDE :
QUELLE STRATEGIE ADOPTER FACE A LA MONTEE EN
PUISSANCE DES PAYS DU NOUVEAU MONDE SUR LE MARCHE
BRITANNIQUE ? ............................................................................................. 29
Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à
l’Université de Montpellier 1
CONCLUSION DE LA MATINEE ................................................................ 49
M. Henri CABANEL
Conseiller général - Délégué à la viticulture
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
PRESENTATION DES VINS LES PLUS VENDUS AU ROYAUME-UNI
ET EN CHINE ................................................................................................... 53
M. André VEZINHET
Président du Conseil général de l'Hérault
PRESENTATION DE LA VITICULTURE CHINOISE.............................. 55
M. Alain CARBONNEAU
Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du vin
Professeur de viticulture à l’Agro Montpellier
APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONSOMMATEUR CHINOIS ....... 63
M. Yannick GUERIN
Operations Manager – Fargo Group
APPROCHE MARKETING DE LA GRANDE DISTRIBUTION
CHINOISE ......................................................................................................... 68
M. Richard CHANE
Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine
TABLE RONDE :
PERSPECTIVES ET FACTEURS DE REUSSITE POUR LES VINS DU
LANGUEDOC SUR UN MARCHE EMERGENT ....................................... 75
Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER
SYNTHESE ET PERSPECTIVES DE LA JOURNEE ................................ 84
M. Hervé HANNIN
Ingénieur de Recherche à l’Agro Montpellier (IHEV)
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
ACCUEIL
M. Kléber MESQUIDA
Premier Vice-président du Conseil général de l'Hérault,
Délégué général, chargé de l’aménagement durable du territoire
Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue dans cet Hôtel du Département, mais
aussi vous dire le plaisir que l’on a de vous rencontrer pour échanger sur ce problème
essentiel, partie intégrante de notre richesse, de notre culture, qu’est le vin, et qu’est aussi la
vigne à travers l’élément qu’elle apporte en structurant le paysage et en donnant un sens à
l’économie de ce département.
L’Observatoire viticole
Nous avons créé un Observatoire viticole depuis 2002. Il a tout d’abord été en gestation, on
l’a expérimenté, et on a créé plusieurs groupes de travail ; je ne vais pas entrer dans le détail
puisque ce n’est pas l’objet aujourd’hui. Si tout à l’heure il y avait des questions, mes
collègues approfondiront ou donneront plus d’éclairage sur le fonctionnement de cet
observatoire.
Nous l’avons conçu comme un outil à disposition de la profession, pour qu’elle puisse en tirer
des enseignements et définir les stratégies nécessaires pour orienter les cultures, pour essayer
de re-cibler un certain nombre d’éléments par rapport à la commercialisation, qui est
essentielle. Ce travail qui est fait avec les professionnels, et même principalement par eux,
puisque dans le comité de pilotage, ils sont très largement majoritaires avec sur 21 membres
du comité de pilotage, seulement 4 élus du Conseil général, est une volonté départementale
d’accompagner, d’être aux côtés de la profession et aussi de mettre les moyens nécessaires.
Nous n’avons pas la prétention de dicter des directions, mais nous avons cette volonté forte
d’accompagner.
A la découverte des vins du monde, pourquoi ?
Je n’en dirai pas plus sur l’outil. Aujourd’hui, l’objectif c’est la découverte des vins qui sont
consommés au Royaume-Uni et en Chine. Je l’annonce car nous avons eu dans les fiches
d’inscription quelques observations : «Pourquoi allons nous découvrir les vins des autres
mondes alors que nous en produisons ? » Je crois que, lorsqu’on veut pénétrer des marchés, il
faut savoir ce que le client attend, ce qu’il est, ce qui l’attire, pourquoi il consomme tel type
ou telle typologie de vin ou de produits, et éventuellement voir si nos produits peuvent
s’adapter, peuvent être contingentés de manière à rentrer dans des créneaux de concurrence. Il
est évident que, lorsque qu’on l’on produit, l’objectif essentiel est de prendre des parts de
marché. Je n’en dirai pas plus là-dessus non plus, puisque je veux être très bref.
Ministre et Parlementaires
Je voudrais simplement vous dire quelques mots sur l’actualité, puisqu’il y a eu une rencontre
avec le Ministre mercredi matin, à Paris, avec des parlementaires de la région. Pour une fois,
et pour la première fois, le Ministre a donc réuni l’ensemble des parlementaires, quelque soit
leur engagement politique, et nous avons fait un tour de table. Chacun a pu s’exprimer s’il le
souhaitait. Le Ministre a annoncé un certain nombre d’éléments d’accompagnement et il y a
eu quelques revendications de la part de parlementaires, notamment au sujet d’une
intervention très forte de l’Etat par rapport aux metteurs en marché. Une question a également
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
été soulevée : pourquoi ne pas mettre un fonds de soutien en trésorerie aux grandes
entreprises, c'est-à-dire les coopératives ? Les vignerons indépendants ont certes des
difficultés aussi, mais quand on s’adresse à une cave coopérative, il y a un regroupement, il y
a une masse, il y a une quantité derrière. Ce fonds de soutien viserait à essayer de réguler le
marché car aujourd’hui le prix de la distillation est devenu le prix directeur.
Il est impensable que l’on puisse vendre à perte alors que, normalement, la loi l’interdit.
Aujourd’hui, c’est pourtant ce qui se passe dans la plupart des cas, et ce qui est regrettable,
parce que ça met à plat un certain nombre d’économies, et ça va mettre en très grande
difficulté un certain nombre de vignerons, dans une proportion importante.
Je n’en dirai pas plus encore là-dessus, mais dans tous les cas je peux vous assurer que le
Département, avec ses moyens budgétaires, a la volonté politique d’accompagner la
profession pour traverser cette crise-là, d’essayer de mettre en place un certain nombre de
dispositifs, de moyens d’accompagnement, de soutien, pour que l’on puisse être davantage
offensif sur le plan des marchés. Puisqu’il s’agit de marchés, je crois qu’aujourd’hui on aura
l’occasion de découvrir deux pays, de comprendre pourquoi et comment ils arrivent à
importer des vins et de quelle manière ils le font. Nous allons essayer de comprendre
comment nous positionner de façon plus offensive et plus performante, et quand je dis
« nous », c’est globalement, en terme sociétal.
Dans tous les cas, il est important que nous soyons vigilants et que tous les moyens soient mis
en œuvre, que des synergies soient créées entre l’Etat, la Région, le Département, les
collectivités locales, pour faire face à cette crise qui est sans précédent depuis 1907, comme
tous les acteurs le reconnaissent, et qui aujourd’hui pèse énormément sur notre économie.
Je vous souhaite une bonne matinée de travail, une bonne dégustation, et que les échanges
fructueux puissent nous éclairer un petit peu l’avenir parce qu’aujourd’hui hélas, il est bien
sombre…
Merci, bon travail et bon courage.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1
Merci M. le Vice-président. M. Christian Jean, à vous maintenant de nous présenter cette
journée.
PRESENTATION DE LA JOURNEE
M. Christian JEAN
Vice-président du Conseil général de l’Hérault, Délégué à l’agriculture et à la forêt,
Conseiller général, Maire de Claret.
Après les mots d’accueil de mon collègue Kléber, je vais essayer de rentrer dans le vif du
sujet. La préoccupation que nous avons depuis deux ans déjà, c’est effectivement, au niveau
de l’Observatoire viticole, de rentrer dans le volet « veille concurrentielle » et de permettre à
chacun d’entre nous de bien mesurer ce qui se passe autour de nous, par rapport aux
difficultés que nous connaissons, et de réfléchir à la façon dont nous pouvons prendre un
certain nombre d’orientations liées à ce qui se passe dans le monde, puisque aujourd’hui nous
savons que nous en sommes directement tributaires.
Je rappellerai simplement qu’en 2004, nous avions vu les conditions de production ainsi que
les approches commerciales du Chili, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud et de l’Australie.
Mais je tiens à insister surtout sur le volet conditions de production. En 2005, notre démarche
avait été tout à fait comparable et les pays ou régions étudiés étaient la Californie, l’Espagne
et l’Italie, nos voisins. Pour 2006, bien entendu, la situation évolue quelque peu, puisque c’est
davantage le volet «approche commerciale, marketing » qui va être abordé sur deux pays : le
Royaume-Uni et la Chine.
Pourquoi le Royaume-Uni ?
Nous avons choisi le Royaume-Uni parce que tout le monde connaît la place qu’occupe ce
pays dans l’action commerciale et l’importance de ce qu’on appelle « la démarche anglosaxonne » au niveau de tous les vins. On sait très bien qu’une grande partie des vins qui sont
commercialisés dans le monde sont marqués par une approche anglo-saxonne. Il est donc très
important de comprendre ce marché, notamment au niveau de l’approche, de la
consommation dans ce type de pays et de la façon dont la distribution et les démarches
marketing ont pu être faites, parce que je crois que cette approche peut avoir un écho dans bon
nombre d’autres pays qui sont un peu sous l’emprise culturelle du Royaume-Uni.
Pourquoi la Chine ?
Je remercie tout particulièrement les personnes qui vont intervenir sur ce volet parce que je
vais vous faire part d’un témoignage assez personnel : par hasard, et par curiosité, je voulais
connaître le cœur de l’Asie et je suis parti l’an dernier en Kirghizie pour voir les hauts
plateaux. C’est vrai que les paysages sont exceptionnels et en me baladant, je suis arrivé au
bord du lac Issyk Köl, un grand lac qui est situé au nord de la Chine et à l’ouest de la
Mongolie. J’y ai découvert qu’il y avait des Italiens qui s’étaient installés là-bas et qui allaient
y cultiver de la vigne. J’ai été très étonné. Je crois qu’aujourd’hui la vigne est en train de se
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
généraliser en tant que production sur toute notre planète, parce que réellement, en tant que
vigneron, je ne désespère pas que ce soit effectivement cette consommation-là qui va couvrir
la planète entière, qui va être la consommation la plus prisée dans le monde et qui va faire
référence en terme de consommation. En discutant avec les Italiens, j’ai compris qu’ils
s’installaient là-bas en y apportant toute une culture au niveau de la mise en valeur des terres
et au niveau de la culture méditerranéenne de la vigne. Ils allaient en fait transposer là-bas
tout un savoir-faire qui venait de chez nous. Ainsi, d’une certaine façon, pour les
consommateurs de ces vins là-bas, la référence sera une référence méditerranéenne.
Dans le challenge qui se présente à nous, puisque nous traversons une période de crise
difficile, je crois que Kléber l’a rappelé, nous, les élus, portons une grande attention au suivi
de cette situation, à la façon dont nous souhaiterions voir, ici et là, au travers de nos
gouvernants, quelques dispositions clairement édictées, et qui faciliteraient une véritable
reprise dans le maintien de la vigne au meilleur niveau, dans le département de l’Hérault. Cela
dit, il faut savoir en même temps que nous allons être confrontés à cette concurrence
mondiale, mais confrontés en sachant que les gens qui vont produire dans le monde vont
prendre souvent comme référence ce qui s’est fait chez nous, puisque la vigne a souvent ses
états de noblesse dans les secteurs où nous produisons.
C’est donc cette confrontation de situations qui me parait être particulièrement intéressante,
même si les choses sont apparemment difficiles. Il faut quand même que nous arrivions à
comprendre ce qui se passe autour de chez nous, pour que nous arrivions à préserver une
viticulture qui servira, je l’espère à l’avenir, et sans faire du nombrilisme, d’élément de
référence à toutes les productions au monde. Là aussi, c’est tout à l’honneur des centres de
recherche, des centres de développement, de pouvoir nous accompagner et de pouvoir faire
école, parce qu’on ne vit pas isolé du reste du monde, et l’avenir est justement fondé sur une
parfaite compréhension de ce qui se passe à l’extérieur. Il s’agit de l’un des objets essentiels
de l’Observatoire viticole, et je ne doute pas que nous arriverons d’année en année à permettre
cette compréhension et à faciliter le travail des vignerons qui oeuvrent quotidiennement sur
notre territoire.
Ce que je viens de dire est peut-être ambitieux, mais il s’agit sûrement de la réalité que l’on
peut vivre au quotidien chez nous. En tous cas, cette journée me paraît être de la plus grande
importance parce que c’est au travers de l’approche du Royaume-Uni et de la Chine que nous
allons répondre à certaines interrogations et peut-être permettre de mieux apprécier la façon
dont nous pouvons œuvrer dans nos organisations professionnelles afin de préserver un avenir
à la viticulture, qui comme l’a dit Kléber, est réellement essentielle à l’avenir de ce
département.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
LA CONSOMMATION MONDIALE DE VIN :
ZOOM SUR LE ROYAUME-UNI ET LA CHINE
M. Jean KOUCHNER
Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1
Merci M. Christian Jean. Sans attendre, nous allons examiner ce qu’est aujourd’hui cette
évolution de la consommation mondiale de vin. Nous ferons un zoom sur le Royaume-Uni et
la Chine, ces deux pays au cœur de nos réflexions d’aujourd’hui. Je donne donc la parole à
Mme Françoise Brugière.
Mme Francoise BRUGIERE
Chef de décision Etudes et Marchés – Vinifllhor
Merci beaucoup. Je vous fais une très courte introduction à propos de l’aspect zoom sur la
Grande-Bretagne et la Chine, puisque nous avons la chance d’avoir des spécialistes de ces
deux pays aujourd'hui.
La consommation mondiale de vin
Je vais uniquement présenter des éléments sur la consommation mondiale. Certaines
diapositives sont en anglais parce que nous nous sommes dit que pour être présents sur les
marchés internationaux, il y avait un préalable linguistique et que ce n’était pas très choquant
de présenter l’information en anglais.
Où consomme-t-on du vin ? D’après les statistiques qui sont générées par l’OIV,
essentiellement en Europe, avec 2/3 des vins consommés, et en Amérique avec 21% des vins
consommés. Donc, la consommation est très concentrée : 7 pays (France, Italie, Etats-Unis,
Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Argentine) représentent 60% de la consommation
mondiale de vin. Ces pays sont presque tous des pays producteurs. On note néanmoins
l’arrivée récente dans ce petit groupe de tête du petit nouveau dont on a beaucoup parlé, le
Royaume-Uni, qui aujourd’hui se trouve, toujours d’après les statistiques de l’OIV, en 6ème
place dans ce palmarès des consommateurs de vins. La Chine pourrait éventuellement être
tout près de ce groupe de tête des consommateurs.
Donc, on a d’abord, pour la consommation de vin, des pays qui sont des pays producteurs,
avec, largement en tête, la France et l’Italie.
Comment évolue la consommation mondiale de vin ? Elle a énormément chuté dans les
années 80.. Elle s’est stabilisée dans les années 90, malgré des variations interannuelles
importantes, et on peut dire maintenant que, depuis 95, la consommation mondiale de vin est
à nouveau en croissance. En effet, au cours des 10 années cette tendance à la croissance n’est
pas démentie, avec des variations interannuelles qui peuvent être importantes mais qui sont
également dues à une grande part d’incertitude. Il y a un grand nombre de pays dont on ne
connaît pas précisément la consommation. Quand on ne connaît pas cette consommation, on
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
la calcule par solde. De la production additionnée des importations, on soustrait les
exportations, ce qui reste et qui n’est a priori pas distillé, bien que là aussi on n’en sache pas
grand-chose, est considéré comme étant la consommation. Sans vraies statistiques, on opère
de cette façon.
Après estimation de cette consommation, on peut considérer que, depuis une dizaine
d’années, la consommation mondiale est en croissance d’environ un million et demi
d’hectolitres par an. Ceci est plutôt une bonne nouvelle pour le secteur viticole, comme a dit
M. Jean, avec un produit qui trouve de plus en plus de consommateurs dans de plus en plus de
pays, ce qui n’est pas le cas de toutes les économies ou de toutes les filières. On a donc un
élément très favorable par rapport à la filière du vin.
Cette progression de la consommation est la résultante de deux tendances contradictoires :
- une première tendance qui est la baisse, à partir de niveaux très élevés, de la consommation
dans les pays traditionnellement producteurs et consommateurs. Vous avez ainsi 4 pays
(parmi lesquels on pourrait ajouter le Portugal), où les niveaux de consommation étaient très
élevés dans les années 60, et avaient quasiment diminué de moitié en 2000 : l’Italie, la France,
l’Argentine et l’Espagne. L’Argentine est un pays du vieux monde viticole quand on regarde
la consommation, un pays qui a connu aussi une crise dans son mode de consommation - avec
une consommation de vin de table dont plus personne ne veut, cela impliquant donc une
profonde modification de ce vignoble.
- L’autre tendance concerne les pays qui ne consommaient quasiment pas de vin dans les
années 60 et dont on voit progresser la consommation depuis 30 ans. Quelques exemples
significatifs : la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark, dont on regrette d’ailleurs qu’il
ne soit pas un plus grand pays, parce qu’on voit qu’ils font quand même beaucoup d’efforts
pour la consommation de vin. Ces pays-là sont des pays qui consommaient bien sûr déjà de
l’alcool avant de découvrir le vin, mais qui consommaient l’alcool prioritairement sous forme
de bière, éventuellement de spiritueux. Le grand mouvement mondial qui dynamise la
consommation du vin est que dans tous les pays, la source d’alcool traditionnelle majoritaire
voit sa part diminuer dans la consommation d’alcool au profil des autres sources. Il se trouve
que, démographiquement parlant, les consommateurs qui consommaient l’alcool
prioritairement sous forme de bière ou de spiritueux sont plus nombreux que ceux qui
consomment l’alcool aujourd’hui prioritairement sous forme de vin. Donc si ceux qui
consomment sous forme de vin voient leur consommation diminuer, les autres, qui sont en
train de basculer de la bière et des spiritueux vers le vin, sont plus nombreux et c’est ce qui
fait que, au final, la consommation de vin mondiale est en train de progresser. On peut
d’ailleurs penser que cette progression va se poursuivre.
Niveau de consommation des vins et autres alcools
Les pays à potentiel sont des pays où on consomme déjà de l’alcool. Il est vrai qu’il est plus
facile de faire boire du vin dans ces pays-là; et nous allons d’abord nous pencher sur eux.
Dans de nombreux pays, la part du vin peut potentiellement progresser.
Le Royaume-Uni
• Un marché en croissance
C’est un pays dans lequel les importations sont en croissance. La part de la France dans
l’exportation de vin vers le Royaume-Uni stagne depuis 15 ans, alors qu’on voit progresser la
part de l’Australie et des Etats-Unis. La part des Etats-Unis qui semble décroître à la fin est en
fait un petit artéfact : il y des vins américains qui partent en vrac des Etats-Unis vers l’Italie,
sont embouteillés en Italie et sont ensuite expédiés en Angleterre. Et c’est la provenance et
non l’origine qui est prise en compte par les douanes, d’où des difficultés à analyser les
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statistiques, difficultés qui devraient croître car plus nous allons assister à ce type de
mouvements, suite à des rachats d’entreprises, plus nous aurons de difficultés à comprendre
les statistiques.
Dans tous les cas, ce que l’on peut retenir là, c’est que, dans ce marché en expansion qu’est le
Royaume Uni, la France maintient ses positions mais ne se développe pas.
• Mode de consommation
Comment consomme-t-on le vin au Royaume-Uni ? Déjeuner ou dîner dehors est un type de
distraction en voie de développement : 24% des Britanniques vont au restaurant une fois par
mois le soir et 14% en journée en dehors des fast-food. Comme dans les autres pays, on
assiste, du fait de l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail, et aussi du fait que les
femmes travaillent, à une progression des repas pris en restauration rapide, ce qui n’est pas
favorable à la consommation de vin. En moyenne, un Britannique prend chaque année 171
repas en dehors de son foyer, ce qui représente 25 millions de repas chaque jour, dont 2/3 en
restauration commerciale et 1/3 en restauration collective. Selon mes chiffres qui datent un
peu mais seront actualisés tout à l’heure, le secteur de la restauration réalise 20% des ventes
de vin en volume et 30% en valeur.
Au Royaume-Uni on a également une progression de la consommation à domicile par rapport
au hors domicile. Juste un petit zoom plus précis sur ce se secteur du hors domicile : La partie
« restauration traditionnelle » a tendance à diminuer en terme de commerce de vin, mais dans
la restauration branchée – la nouvelle restauration en chaîne – la consommation – et donc la
vente – de vin a tendance à progresser. Et ceci concerne tous les vins. Si on regarde où sont
les vins français, on voit qu’ils dominent dans cette restauration traditionnelle, et donc
subissent également l’érosion de ce marché. A l’inverse, les vins français ne sont pas présents
dans cette restauration branchée, dont le marché se développe. Je pense qu’on va nous
expliquer pourquoi, et quels sont les acteurs mondiaux qui savent vendre les vins dans ce type
de restauration.
• La grande distribution
Au Royaume-Uni, ce marché est en croissance, et là aussi la part des vins français a tendance
à décroître et passe de 27% à 17%. Les Australiens sont passés devant et maintenant ce sont
les Américains qui montent très fort.
Pourquoi les vins français n’ont-ils pas leur place dans le circuit en libre service ? Est-ce
qu’on ne peut pas vendre de vins français dans ce circuit ? Là aussi j’espère que nos experts
vont nous apporter des réponses.
• Les rosés
Dernier élément sur la Grande-Bretagne : un exemple de difficulté, le marché des rosés. Ce
marché a beaucoup progressé ces dernières années, puisqu’on a une progression de 75% sur 3
ans de vente en grande distribution. Les ventes de rosés français progressent de 25%, les rosés
californiens de 100%. Les rosés californiens dominent déjà ce marché des vins rosés tel que
vous pouvez le voir.
N’aurions nous pas des rosés qui pourraient plaire aux Britanniques ? Voilà une autre
question….
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
La Chine
La première difficulté est d’avoir des statistiques. Je ne parlerai que peu des aspects du
vignoble. Le vignoble en Chine est en croissance, avec 150 000 hectares qui sont destinés
prioritairement au raisin de table, mais qui peut être aussi être vinifié : on a donc du mal à
cerner les vignobles, dits strictement de cuve.
• La consommation
En matière de consommation, la Chine en 2003 se trouve parmi les premiers pays
consommateurs, avec ce chiffre fourni par l’OIV. Là aussi, ces statistiques sont déduites par le
solde, ce ne sont pas des statistiques de consommation directe, puisqu’ils n’ont pas le bonheur
de connaître la consommation taxée en Chine. La consommation y serait de 10 millions
d’hectolitres, et dans ces 10 millions on aurait en fait 4 à 5 millions qui seraient vraiment des
vins obtenus exclusivement à partir du raisin et le reste qui seraient des vins avec d’autres
fruits divers et variés. La définition du vin n’est donc pas encore complètement calquée sur la
définition générale du vin. Selon les sources Sopexa, en ce qui concerne le marché intérieur
chinois, on estime qu’il y a une production de vins sensu stricto de 4 millions d’hectolitres et
des importations de 540 000 hectolitres. Et là, on serait vraiment uniquement dans le marché
des vins entièrement obtenus à partir de raisin.
Donc, les Chinois, comme tous les pays producteurs, boivent local. Le Français boit français,
l’Italien boit italien, l’Américain boit américain, le Chinois boit, en grande majorité, chinois.
Néanmoins, les importations sont en forte progression. La France est dans le mouvement de
progression de ces importations et est suivie de près par l’Australie. C’est plutôt une bonne
nouvelle, une nouvelle intéressante. Il faut qu’on nous confirme que les choix qui sont faits
par les entreprises françaises sont les bons et que cette dynamique de croissance des vins
français reste possible.
Autre élément d’optimiste sur le marché chinois, qui le résultat de négociations OMC, le
résultat de la mondialisation des échanges si l’on peut dire : les taxes à l’importation ont
fortement décru ces dernières années. On a néanmoins à peu près 48% de taxes sur les vins en
Chine, et cela aussi vous sera détaillé plus tard.
Je vais terminer par deux petites photos :
La première montre un rayon vins en Chine. Ma première impression quand je vois cela est de
ma demander comment on peut leur imposer des choses pareilles. On a perdu les
consommateurs français dans des rayons comme celui-ci. Cela m’interroge beaucoup ce type
de rayons et j’espère aussi que les experts vont nous éclairer sur la capacité des Chinois à
trouver leur bonheur dans un rayon tel que celui-ci.
Pour finir, il s’agit d’une photo ramenée de la mission effectuée par le Ministre il y a une
dizaine de jours : Il s’agit de vins chinois dont nous avons pris l’étiquette. Vous avez donc ce
magnifique Château Médoc-Paris, Cabernet-Sauvignon (n.d.l.r. image d’un château très
bordelais avec la Tour Eiffel en arrière plan) : cela peut donner matière à réflexion sur la
manière d’aborder, en position solide, ces marchés lointains.
Voilà, je vous remercie et vous souhaite une bonne journée.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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DISCUSSION
M. Jean KOUCHNER
Merci beaucoup pour cet exposé très clair et porteur de beaucoup d’informations. On va
pouvoir disposer de quelques instants, notamment pour répondre à quelques questions, en
attendant que nos amis viennent exposer plus précisément la situation en Angleterre. Ils ne
sauraient tarder à arriver, M. Prothon est d’ailleurs déjà là. Nous regrettons tous, vu les
sourires qui ont parcouru la salle, que le Danemark ne soit pas plus grand et que certains pays
producteurs ne soient pas plus petits. Y a-t-il des questions, des précisions que vous
souhaiteriez approfondir et poser à Mme Bruguière ?
M. Michel BATAILLE
Président de l’Union des Coopératives de Foncalieu
Je voudrais savoir ce que pense la salle de la dernière photo qui nous a été montrée (n.d.l.r.
image d’un château très bordelais avec la Tour Eiffel en arrière plan). Quand on voyage dans
le monde et que l’on parle de vins, les gens font très souvent référence à la France. Si l’on
prend l’exemple de cette bouteille de vin chinois, comment est-elle référencée ? Elle est
référencée comme Château, c’est souvent la façon de dire que c’est un grand vin en France,
Médoc, zone de production française, Paris, c’est la France. C’est vrai que nous pouvons nous
demander à juste titre que, si demain, tout le monde se met à faire du vin comme celui-là, nos
vins vont disparaître. Mais dans le même temps, partout dans le monde, il se boirait du vin
avec une connotation française. Alors, comment arriver à concilier cette double situation ?
Pour nous, il serait particulièrement important que la référence du vin reste française dans le
monde, et que dans le même temps les vins français puissent avoir leur place au niveau de la
commercialisation mondiale. Voilà le challenge, la réflexion. Je n’ai pas moi-même de
solution, mais j’aimerais, si dans la salle certains ont des appréciations, qu’ils donnent à chaud
l’appréciation qu’ils ont de ce type de provocation.
M. Jean KOUCHNER
Quelqu’un veut répondre à cette vaste question ?
De la salle
Cette étiquette ne me provoque pas du tout. Les Chinois utilisent une ligne avec trois
hameçons : un hameçon Château, un hameçon Médoc et un hameçon Paris. Si un poisson
passe, ils l’attraperont sans doute, parce que l’un de ces trois hameçons va forcément lui
plaire.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
Les Parisiens sont spécialement contents de voir que la Tour Eiffel est maintenant dans un
environnement durable.
Mme Francoise BRUGIERE
Je ne sais si M. Laurent Mayoux pourrait nous éclairer par rapport au projet de la Ferme
Française en Chine, avec cet objectif que la France soit la référence pour les Chinois via les
réalisations de ce projet.
M. Laurent MAYOUX
Viniflhor
Je peux en dire deux mots. Je travaille avec Françoise Brugière à Viniflhor. Viniflhor est
associé avec le Ministère de l’Agriculture sur un projet de coopération bilatérale technique
entre la France et la Chine. Ce projet a consisté à construire en Chine, à proximité de Beijing,
dans la province de Huailai, une ferme, appelée ferme franco-chinoise. C’est une ferme pilote
vitivinicole de 20 hectares où nous avons implanté un vignoble avec des cépages français. On
a exporté notre meilleur savoir-faire en terme de technique sur les cépages : les meilleurs
clones, les meilleurs matériels. A première vue, cela peut paraître très bizarre : « Mais que
fait-on, on va aider les Chinois à faire mieux que nous, à leur transférer notre savoir-faire ?! ».
Par rapport à cette interrogation, je crois qu’il faut prendre un peu de recul et se poser deux
questions : d’une part, je crois qu’il y a une attente forte des Chinois en matière de savoir
technologique au niveau du vin, car ils n’en ont pas. Si nous ne sommes pas là, beaucoup de
nos concurrents sont tout à fait prêts à aller faire la même chose : les Australiens et les
Italiens, notamment, ont d’ores et déjà fait des propositions, et pour même faire encore plus
grand que nous. Donc, si nous ne le faisons pas, d’autres le feront et le transfert technologique
se fera. C’est clair et net, cela a été le cas dans d’autres pays et la Chine n’échappera pas à
cette situation. D’autre part, à travers cela, nous avons voulu créer chez les Chinois un
sentiment de fierté de production nationale de vins chinois, et associer à ce sentiment de fierté
l’image de la France. Cela peut sembler être un raisonnement un peu compliqué, mais si
demain, les meilleurs vins chinois sont faits avec de la technologie française, ces meilleurs
vins seront associés à la France et l’idée qui sous-tend derrière est que lorsqu’un Chinois se
rend dans un rayon vins en Chine ou ailleurs, lorsqu’il passe devant les vins français, il ait en
tête ces références et qu’il se dise « ce sont les vins français les meilleurs et je vais acheter ces
vins- là ».
On travaille sur l’image, on essaie d’exporter notre image, pas seulement au niveau de nos
vins produits en France, mais aussi en terme de savoir-faire, de culture, en espérant que cela
puisse servir les producteurs français quand ils envoient leur vin là-bas. Voilà un peu l’idée
associée à ce domaine, qui est par ailleurs une belle réussite parce qu’aujourd'hui les vins
produits dans cette ferme pilote sont d’un très bon niveau. Je pense que tous les gens qui y
sont passés ont été surpris de la qualité qu’on avait pu atteindre dans ce terroir particulier qui
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n’a rien à voir avec le nôtre. Aujourd'hui, notre ambition est de produire sur cette ferme
pilote, à très petite échelle, les meilleurs vins chinois et d’associer à ceux-ci l’image de la
France et du savoir-faire français.
M. Jean KOUCHNER
Merci, c’est un monde de réflexion et de débat pour tout à l’heure sans doute.
M. Alain CARBONNEAU
Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin
Professeur de Viticulture à l’Agro-Montpellier
Je voudrais réagir dans le même sens. Je prends un peu cette étiquette comme un compliment.
Je voudrais dire qu’en Asie, en Chine et en Inde, puisqu’il ne faut pas oublier l’Inde, et je le
suggère pour une prochaine session d’ailleurs, l’image de la France est une référence à la fois
culturelle et oenologique. Je crois qu’il faut en être fier et les gens qui imitent comme c’est le
cas ici, n’imitent que les gens qui méritent d’être imités, je crois qu’il faut quand même le
dire. Il ne faut pas s’en vexer. Il faut peut-être prendre des précautions juridiques et
commerciales. Une seule chose me choque sur cette étiquette, il y a trois lettres de trop : le M,
le E et le D. Si on les enlevait, je serais content. Merci.
De la salle
Pour rebondir sur l’intervention sur la ferme viti-vinicole en Chine, je me pose une question :
comment le consommateur va-t-il pouvoir arriver à différencier ce qui est chinois de ce qui est
français si on lui vend par exemple quelque chose de chinois avec indiqué Château, Médoc,
Paris, Cabernet-Sauvignon ? Même si dans son esprit on arrive à lui faire comprendre que le
français, c’est encore le cran au-dessus, comment va-t-il faire la différence entre l’un et l’autre
puisque cela ne semble pas forcément évident ? Une chose m’interpelle : on est en Europe en
train d’essayer de restructurer, avec des propositions d’arrachage de vastes surfaces, et il se
plante beaucoup de vignes ailleurs, en Chine par exemple, et c’est peut-être un problème. Si
d’un côté on fait des efforts sur la production, en se disant qu’enfin on va sortir de la crise en
arrachant pour équilibrer la production et la demande, mais que de l’autre, cette production
augmente dans des proportions bien supérieures ailleurs, c’est un peu l’image des Shadocks
qui écopent.
M. Jean KOUCHNER
Merci. Encore une intervention avant que nous n’engagions une réflexion plus précise sur le
Royaume-Uni. On reviendra bien entendu sur cette question de la Chine, au marketing, à tous
ces efforts, à toutes ces questions que vous venez de soulever dans le débat.
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De la salle
Je suis M. Rousset de Viniflhor. Je suis également intervenu sur la Chine. Là-bas, il y a un
effet millésime, on créé des millésimes. 1996, il n’est pas facile de trouver des millésimes
1996 produits en Chine et pourtant certaines étiquettes en portent la mention. Que peut-on
faire par rapport à cette situation ? Je vous donne mon écho personnel : si l’entreprise
française ou australienne aujourd'hui porte contentieux sur ce type d’évènements, c'est-à-dire
ces malversations en matière d’étiquetage, elle n’a pas beaucoup de chance d’aboutir, et ce
bien que la Chine soit un pays membre de l’OMC et donc théoriquement respectueuse des
brevets et des origines. Comment pourrait-on arriver à résoudre ce problème-là ? Peut-être par
le biais d’un opérateur qui contesterait ces fameuses étiquettes qui sont le fait de grosses
entreprises chinoises qui ont pignon sur rue et qu’on peut imaginer directement branchées
d’un point de vue politique. Une autre solution consisterait à ce que les productions chinoises
de qualité qui sont concurrencées malhonnêtement par ces produits-là portent elles-mêmes
contentieux devant les tribunaux chinois en indiquant que ces étiquettes sont usurpées. Je ne
vois pas d’autres solutions. Une entreprise seule allant au contentieux contre ces étiquettes n’a
pas grande chance de réussite. Cependant si l’ensemble des importateurs souligne que tout le
monde fait partie de l’OMC, et que tout le monde doit en respecter les règles, ces sources
d’étiquettes, qui sont une concurrence parfaitement déloyale, seront peut-être taries.
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ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
Merci. Il s’agissait d’un premier échange qui promet déjà d’aborder toute une série de
questions qui sont au cœur de nos réflexions aujourd'hui.
Nous allons enchaîner. Je voudrais souhaiter la bienvenue et inviter à prendre place sur la
tribune M. Olivier Prothon, qui est Chef de Mission Agricole à Ubifrance. Je voudrais le
remercier tout particulièrement d’avoir accepté de répondre à notre invitation au pied levé,
puisqu’il remplace M. Peter Darbyshire, qui est Directeur Général de Thierry’s, un
importateur qui, au dernier moment pour des raisons internes à son entreprise, a du se désister.
Je voudrais également inviter M. Jean-Philippe Perrouty qui est Directeur de Recherche chez
Wine Intelligence de bien vouloir nous rejoindre.
Nous allons donc commencer avec M. Prothon. Je vous donne la parole.
LE ROYAUME-UNI
APPROCHE MARKETING DANS LA GRANDE DISTRIBUTION ANGLAISE
M. Olivier PROTHON
Chef de mission agricole Ubifrance
Je suis très heureux de vous retrouver ici, en effet au pied levé. Cela dit, je vais essayer de
donner toute la substantifique moelle concernant cet élément essentiel qu’est le RoyaumeUni, qui est loin d’être acquis bien qu’étant un marché de proximité, et de réfléchir avec vous.
Le sujet est centré sur l’approche de la distribution moderne pour le vin. Cela dit, il faut quand
même commencer par parler de ce marché de très grande importance et qui nécessite sans
doute d’être redécouvert.
L’économie britannique
Au niveau économique, le Royaume-Uni se porte bien : il y a peu de chômage et une
croissance certaine. Il est donc toujours mieux d’aller sur un marché où les choses se portent
bien d’un point de vue économique. Je ne vais pas vous expliquer pourquoi car il ne s’agit pas
de l’objet du débat.
Pour la France, en terme agroalimentaire, c’est évidemment un marché extrêmement
stratégique puisqu’on y réalise le premier solde excédentaire dans nos échanges
agroalimentaires, tous produits confondus. La place du vin y est extrêmement prépondérante.
Il faut également savoir que ce marché importe de plus en plus de produits agroalimentaires et
qu’il a fait le choix de moins produire et de situer son économie plutôt autour de services, en
particulier financiers. Donc, c’est toujours une opportunité pour nous, et pour le vin
évidemment, puisqu’on n’en produit que très peu là bas, mais aussi d’une façon générale pour
les produits alimentaires.
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ROYAUME-UNI & CHINE
On a tendance à dire que les Britanniques ne sont pas des Européens et pourtant dans la
réalité, 70% des produits qu’ils importent, ne serait-ce que pour se nourrir, proviennent de
l’Europe. Les Britanniques, qu’on le veuille ou non, sont donc Européens. Dans les échanges
britanniques, l’élément boisson, dont fait partie le vin, est en premier poste au niveau des
importations. Le marché alimentaire, par rapport à 60 millions de consommateurs, se répartit
presque à part égale en termes de dépenses entre ce que l’on appelle les produits à emporter,
consommés à la maison (Off-Trade), et les produits consommés hors domicile, c'est-à-dire au
restaurant, dans les cantines sociales (On-Trade), etc.
La distribution alimentaire
On va à présent parler de la distribution alimentaire dans laquelle il faut mettre de l’ordre. On
y trouve la bande des 4 (the Big four) qui représente 75% du marché. Il s’agit des quatre plus
grosses enseignes, dont nous reparlerons tout à l’heure, et qui font un peu la loi. Il existe
également des groupes qui recherchent un positionnement différencié, qui ne cherchent pas
forcément à être leader sur le marché, mais qui sont intéressants et on verra aussi pourquoi. Il
y a également d’autres intervenants, tel que le discount, mais ils ne sont pas très importants.
La bande des 4 est constituée par Tesco, Asda, Sainsbury’s et le groupe Morrisons. Le leader
est Tesco. Je ne suis sur le Royaume-Uni que depuis deux ans mais il fut un temps où Tesco
n’était pas le leader, mais Sainsbury’s, qui fait par ailleurs un retour intéressant. Asda est en
fait le groupe Walmart, c'est-à-dire le leader mondial de la distribution, mais pas dans la façon
de s’internationaliser, à la différence de Carrefour qui est beaucoup plus mature dans son
approche internationale. Ce groupe est implanté en Europe, surtout au Royaume-Uni. Il
connaît de grandes difficultés depuis 1999 pour obtenir une place de leader, peut-être parce
que le système est difficile à mettre en œuvre.
Le marché du vin
A présent, passons au marché du vin. Il faut dire qu’après une période assez longue que l’on
pourrait qualifier de « 30 Glorieuses », où le marché était en croissance constante et avec des
taux de croissance substantiels, on arrive cette année dans une période assez différente où,
semble-t-il, la croissance du marché se tasse. On rentre donc dans une configuration plus
mature du marché, ce qui nous amène à considérer que ce marché va se redéfinir
complètement et différemment. Il est donc très important de le redécouvrir, de par sa nouvelle
configuration et de par les nouveaux enjeux stratégiques qui gravitent autour. Je pense qu’il
s’agit d’une grande opportunité que nous devons saisir et Dieu sait que nous en avons besoin.
Pour se faire une idée actualisée de ce marché, je dirai qu’il faut en faire deux photos et c’est
ce que je vous propose. Une a été prise en 1985, il y a 20 ans environ, et une autre en 2005.
La consommation a plus que doublé en 20 ans. Le consommateur était, il y a 20 ans, un
consommateur aisé qui allait souvent au restaurant. Aujourd'hui, on a 70% de taux de
pénétration du vin, on a 31,5 millions de consommateurs de vin avec une dominante des
circuits de distribution moderne, pour l’approche du consommateur.
L’offre dominante, il y a 20 ans, provenait d’Europe et en particulier de France. On peut
qualifier l’offre d’aujourd'hui de globale avec deux pôles dominants : le Nouveau Monde d’un
côté et l’Europe de l’autre. Il y a 20 ans, la segmentation du marché suivait ce que l’offre
européenne, et en particulier la France, proposait. Aujourd'hui, elle se fait par couleur, par
origine, par cépage, en fonction des assemblages, des marques, des étiquettes et le tout dans
un contexte global. En outre, il faut souligner que les achats doivent se faire vite à présent.
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La décision d’achat
Auparavant, lorsqu’on prenait plaisir à boire du vin et que l’on prenait son temps, les
prescripteurs jouaient un rôle essentiel, en particulier le sommelier ou celui qui, dans les
magasins spécialisés, vous indiquait quoi acheter et comment acheter. Aujourd'hui, on a 30
secondes pour acheter du vin, mais il faut se faire plaisir avec.
Les valeurs du vin
Un petit mot également sur les valeurs qui environnent le vin actuellement au Royaume-Uni,
en particulier le vin tranquille. On va donc faire 3 colonnes évolutives :
1. L’origine, la génèse : la France surtout, avec un mix qualité-diversité-terroir, avec une
prédominance des assemblages sans mise en avant des cépages dont on ne parlait que
peu.
2. Ensuite, vient une phase de transition avec un marché qui est passé de 12 l par an et
par consommateur à 24 l. C’est le Nouveau Monde qui a conquis ces 12 l
supplémentaires. Ici, il s’agit surtout de marques et de cépages qui sont deux notions
qui ont été introduites.
3. Aujourd'hui, on arrive à un marché mature, et il va falloir redistribuer les cartes pour
que chacun trouve son espace et crée de la valeur. On parle à présent non plus de
cépages, mais de bi-variétal voire de tri-variétal. Les régions d’origine, y compris au
niveau du Nouveau Monde, commencent à être mises en avant. Regardons le cas de la
Nouvelle-Zélande par exemple. Le développement des marques ombrelles prend de
plus en plus d’importance pour rendre plus facile et véhiculer l’accès à la nuance, au
plaisir. En ce qui concerne l’élaboration, l’assemblage devient une valeur, comme
dans le whisky finalement.
Le marché aujourd'hui au Royaume-Uni en terme de circuit de distribution :
Il se répartit comme suit, selon les données de Nielsen qui sont les plus retenues par les
opérateurs du marché.
Les ventes à emporter, ce qu’on appelle le off trade, sont beaucoup plus importantes que le on
trade. Les ventes par Internet sont importantes également et représentent 11 millions de
caisses. On a longtemps parlé du Cross-Channel, c'est-à-dire les gens qui allaient acheter
leurs vins à Calais ou ailleurs en France, et qui représentaient 12% de l’équivalent du marché
britannique il y a 20 ans. Aujourd'hui, la baisse atteint 5%.
Quand on parle de on trade, cela désigne la restauration surtout, mais il faut faire une
segmentation à l’intérieur de ce terme générique car cela désigne à la fois la restauration de
type gastronomique et la restauration plus facile, du type pub. Les pubs sont certes des
endroits où l’on boit de la bière en regardant des matchs de football, mais ils deviennent de
plus en plus des endroits où l’on mange et les pubs segmentent cette restauration en fonction
de l’heure de consommation. Au niveau de la gamme de vins consommés, il y a donc une
segmentation parallèle de plus en plus poussée.
Le Off-Trade
Le off trade prédomine dans la distribution moderne et représente près de 70% du marché.
N’oublions pas la vente par correspondance qui se développe et sur laquelle les opérateurs de
la distribution moderne tels que Tesco ont d’ores et déjà pris plus de 50% de parts de marché.
Ce marché est un marché complexe qu’il faut examiner attentivement. Il faut réfléchir à ce
marché en terme de cibles stratégiques, en terme de segments stratégiques que l’on doit
découper. Voici ceux que je retiens pour faire simple :
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• Off trade : distribution moderne : les Big-Four. C’est une approche bien particulière, ce sont
des exigences bien particulières qui nécessitent donc que l’on s’organise et que l’on travaille
d’une certaine façon.
• Off trade : distribution moderne différenciée : il s’agit d’entreprises de la distribution
comme Waitrose. D’autres facteurs feront levier ici par rapport à l’offre de vin et c’est
notamment la recherche de gammes, les achats plus en direct, les promotions, bien sûr, qui
compteront.
• Off trade : chaînes spécialisées, type Thresher, Oddbins ou Majestic. Il s’agit d’un secteur
qui a tendance à se concentrer. On l’a d’ailleurs vu avec la disparition d’un des principaux
intervenants Unwins qui a été repris en grande partie par Thresher. Voilà un autre type
d’approche encore une fois avec un rôle important joué également par les promotions et dans
lequel il existe une lutte concurrentielle importante entre les opérateurs.
• Off trade : indépendants spécialisés, que l’on touche par des grossistes. On a donc souvent
tendance à mettre cela dans le on trade car il s’agit du même type d’opérateurs grossistes qui
vont servir les restaurants et les petits cavistes indépendants.
Le On-Trade
• On trade : il faut différencier les différents formats de restauration.
M. Jean KOUCHNER
M. Prothon, est–ce volontaire que vous ne parliez pas à ce niveau-là de la progression des
ventes via Internet ?
M. Olivier PROTHON
J’aurais dû le mettre effectivement, mais là j’ai uniquement pris en compte on trade et off
trade.
Aujourd'hui, l’analyse du circuit Internet requiert l’analyse de ce que font les grands
intervenants de la distribution au niveau du développement des ventes par Internet, au niveau
du vin, mais également au niveau de l’alimentaire. Actuellement, les deux grands enjeux
stratégiques pour les opérateurs de la distribution moderne sont évidemment des enjeux de
développement.
Ils portent sur les ventes par Internet qui connaissent un certain développement et sur certains
formats de magasins, en particulier le format Convenience Store, c'est-à-dire des formats
réduits mais sur lesquels on met un maximum de produits. En effet, d’une part l’immobilier
est très coûteux au Royaume-Uni, et d’autre part, les Anglais font leurs courses souvent, mais
en petite quantité, notamment par exemple parce qu’ils boivent du lait frais pasteurisé et que
cela tient deux à trois jours dans le frigidaire. Pour toutes ces petites raisons, le système
britannique de distribution est très différent du système français qu’il faut se sortir de la tête.
Le terme GMS est complètement inapproprié pour ce système britannique. Il faut parler de
distribution moderne. Les enjeux de la distribution moderne se feront sur des petits formats en
terme de développement. Cela ne veut pas dire que les grands formats ne sont pas importants,
mais ils ont moins d’importance, moins d’incidence.
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ROYAUME-UNI & CHINE
Un autre enjeu de développement est donc Internet. Et pour en revenir à la question que vous
posiez, sur Internet, au niveau des grands opérateurs de la distribution, celui qui a l’avantage
concurrentiel est Ocado, donc Waitrose, c'est-à-dire un opérateur différencié, mais il a pris cet
avantage car il a complètement isolé l’organisation de son circuit de distribution amont au
niveau Internet, alors que les autres font de la distribution à partir des magasins. Cela ne
tiendra pas la route dès lors que l’on a une croissance rapide. Celui qui a fait l’investissement
avant a donc un avantage concurrentiel. Parallèlement à cela, les opérateurs qui travaillaient
déjà dans la vente par correspondance ont également pris un avantage concurrentiel et sont
des opérateurs très importants, tels que DirectWine.
Les opérateurs situés à Calais vont également tenter de développer ce système de vente par
Internet à moindre échelle. Actuellement, donc, c’est la foire d’empoigne. L’approche Internet
est intéressante car on touche directement le consommateur, on peut lui faire passer des
informations, faire des lots qui l’intéressent, etc.
Les évolutions en terme de volume du marché off trade
Sur 2006, on voit un certain tassement du marché, qui devient manifestement mature. Cela est
un premier élément à retenir, car il est nouveau. On ne va donc plus parler du Royaume-Uni
comme un marché qui croît de 4% chaque année. C’est beaucoup moins le cas. Pour le faire
croître, il va falloir se bouger beaucoup plus.
Répartition de la couleur des vins consommés
Il y a un équilibre entre blanc et rouge avec une évolution sensible du rosé. Cela me permet
d’introduire sur ceux qui profitent de la croissance actuellement : ce sont ceux qui apportent
du rosé, c'est-à-dire la Californie avec le White Zinfandel. La Californie rejoint donc les
positions françaises actuellement, tout simplement parce que la France n’a pas su ou pu se
distinguer comme un fournisseur de rosé approprié au marché britannique. Evidemment, il ne
s’agit pas de produire en Languedoc du White Zinfandel, bien difficile à boire pour des gens
un tant soit peu connaisseurs, mais cela dit, c’est comme cela que le marché a évolué ces
derniers temps.
Répartition Nouveau Monde/Vieux Monde
Je vous présente à présent deux photos du marché prises en 1990 et 2006. La répartition
Nouveau-Monde/pays traditionnels s’est équilibrée, bien que le Nouveau Monde progresse
toujours. Je pense néanmoins qu’il y a aussi actuellement une maturité dans la pénétration du
Nouveau Monde. Autrement dit, tout le monde est touché par la vague de maturité et donc
tout le monde se pose la question dans un marché mature, de savoir ce qu’il fait car ses
positions ne progressent plus, voire régressent.
Participation des pays
Voici la configuration de l’approvisionnement du circuit off trade en vins tranquilles.
Un élément important, qui fait levier actuellement et qui explique en grande partie nos pertes
de marché sur le Royaume-Uni, est que sur le marché du Royaume-Uni en terme de vins,
comme pour beaucoup d’autres produits alimentaires, les marques distributeurs avaient une
part prépondérante. Elles cèdent à présent le pas au profit des marques fabricants. Tout l’enjeu
de croissance et de génération de valeur se situe au niveau de celui qui pourra mettre un pied
là où le marché, le rayon croît, c'est-à-dire là où les marques de fabricants prennent la place
aux marques de distributeurs. Par exemple, dans la distribution, les ventes de Bordeaux sont à
plus de 60% de marques de distributeurs. Par effet mécanique, les ventes de Bordeaux se
cassent donc la figure. Si aucune substitution ne se fait par des ventes de marques de
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Bordeaux, et bien il n’y aura plus de Bordeaux. C’est la même chose pour les vins de pays qui
viennent notamment de votre région.
Répartition entre la position des marques françaises et des marques distributeurs
La France a du mal à progresser en marques, alors que le marché des marques distributeurs
régresse, ce qui fait que notre position est assez difficile.
J’insiste sur les marques, toujours dans le circuit off trade. Dans les principales marques, on
ne trouve que deux marques françaises dans le TOP 20. Cela ne veut pas dire qu’il faut mettre
des marques parmi les leaders. Cela n’est pas le propos, parce que le marché du Royaume-Uni
a de la place pour de très nombreuses marques. Le problème est qu’il faut faire des marques.
Je reviens sur ma petite segmentation stratégique pour m’intéresser plus particulièrement à ce
segment du off trade GMS ou plutôt off trade « Bande des 4 ». A l’intérieur de ce segment
stratégique, il existe une lutte avec des stratégies concurrentielles développées par chacun des
groupes qu’il convient d’identifier. Il faut savoir ce que cherchent à faire Tesco, Asda,
Sainsbury’s et Morrisons. Une fois qu’on les a compris, on essaie d’adapter une solution à
leurs besoins. Il serait un peu long de vous expliquer cela dans le détail en 25 minutes, mais
nous avons édité tout récemment un ouvrage très intéressant pour les opérateurs qui veulent
s’y intéresser. Il s’agit d’une étude sur la distribution alimentaire britannique avec une fiche
détaillée des stratégies des grands groupes. Il suffit d’aller sur Internet www.ubifrance.fr.
Ce que je retiens et ce qui est important dans ce segment, c’est la relation avec le fournisseur.
Il s’agit là d’un point clé. Tout d’abord le mode de relation pour la Bande des 4 : c’est un
partenariat avec des agences, dans la grande majorité des cas. Ainsi, M. Peter Darbyshire, que
je remplace aujourd'hui, était à la tête d’une agence de ce type et il existe environ une dizaine
d’intervenants de la sorte qui sont choisis dans la relation avec la production. Il s’agit d’un
choix d’externalisation qui s’est avéré progressivement opportun pour les distributeurs parce
qu’ils ont moins de personnes à payer et ils peuvent s’appuyer sur des prestataires.
Outre cela, ce qui est important, c’est d’avoir des moyens promotionnels parce que toute la
mise en avant, la simplification de l’offre en cours passent par des mises en avant
promotionnelles. Il faut donc avoir les moyens de pouvoir suivre.
Pour les opérateurs de la distribution moderne qui recherchent un positionnement différencié,
tels que Waitrose ou Marks & Spencers, ce qui va compter, c’est plus d’établir une gamme
large, différente de ce que proposera Tesco. Les promotions sont aussi très importantes. Ils
sont donc très exigeants de ce côté et très durs en affaire.
L’évolution du contexte du vin dans la distribution moderne
Côté clients, ce que j’observe c’est que 70% du vin au Royaume-Uni est consommé en dehors
des repas. Les achats sont rapides et se font en trente secondes.
Actuellement, il y a des évolutions dans le mode de vie et cela a des incidences immédiates :
les gens travaillent beaucoup au Royaume-Uni. Il existe de nombreux pluri-emplois et les
gens passent beaucoup de temps dans les transports. Il faut donc aller vite pour acheter mais,
d’un autre côté, il faut aussi se détendre, puisque les Britanniques sont sous pression
constamment, parce qu’ils travaillent beaucoup et qu’ils ont des moyens de transport
abominables. Il y a donc un besoin de produits pratiques par manque de temps.
La femme est le décideur dans les achats en supermarché à 65%. Il y a également un
développement du format convenience store dont je parlais tout à l’heure. Cela signifie qu’il y
a moins d’espace pour mettre les vins, et donc une sélection très dure dans les gammes
actuellement, en fonction de la clarté de l’offre, de la disponibilité, de la confiance, de la
facilité d’achat.
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Voici le point de vue de Tesco sur la France.
Pour eux, la France est encore le numéro 2 et c’est toujours le numéro 1 en perception qualité.
Les clients sont prêts à aller au-delà des appellations classiques. Vous avez donc toutes vos
chances pour introduire des références nouvelles et Dieu sait que le Languedoc a des choses à
dire. Le marché étant mature, il faut donc refaire de la valeur et ce qui retient beaucoup
l’intérêt des distributeurs actuellement, c’est de créer une opportunité au niveau du segment
Premium. Ils comptent beaucoup sur la France pour ça et le Languedoc a toutes ses chances
là-dessus. Tesco considère que la France a beaucoup de ressources en terme de vin, de qualité,
de possibilités. Tesco pense également que nous devons rejoindre l’expertise export du
Nouveau Monde, autrement dit, qu’il faut être aussi bon que les Australiens. Ils considèrent
que la France est limitée au niveau des innovations, ce qui me choque énormément quand je
vois tout ce qu’il se fait de nouveau chez nous. Cela signifie qu’on ne sait pas communiquer
sur le fait que nous sommes innovants. Ils nous demandent de travailler sur les marques, de
faire plus attention dans les repérages marketing et stratégiques.
Pour conclure, ce marché est donc marqué par une maturité, une distribution moderne
prédominante (70%), un processus de clarification de l’offre en cours, et un développement
des marques fabricants : les opportunités pour le Languedoc sont de faire des AOC des
marques. Vous pouvez tout à fait le faire, il existe des méthodes pour cela. Vous devez aussi
créer des marques globales parce que vous avez tout pour apporter la constitution de marques
globales au sens français du terme. La France a un positionnement généraliste, c’est évident,
et elle accrochera ce positionnement généraliste au niveau de la création d’un véritable
segment Premium. N’oublions pas qu’actuellement, nous sommes condamnés à la
marginalisation parce que nous sommes aux deux extrêmes du marché : nous sommes les
moins chers et les plus chers.
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Prothon, notamment d’avoir répondu avec ce brio au pied levé. Vous êtes basé à
Londres, ainsi que M. Jean-Philippe Perrouty, qui est Directeur de Recherche chez Wine
Intelligence, et à qui je laisse la parole.
COMPRENDRE LES CONSOMMATEURS DE VIN EN GRANDE-BRETAGNE
M. Jean-Philippe PERROUTY
Research Manager – Wine Intelligence
On m’a appelé pour venir faire une présentation sur les consommateurs britanniques qui
boivent du vin. On vous a parlé de la distribution, moi je vais vous parler de quatre choses :
- le consommateur,
- le cépage,
- la segmentation,
- quels sont les problèmes pour les vins français.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Toutes les données que je vais vous présenter proviennent de notre entreprise qui s’appelle
Wine Intelligence. Nous faisons des études de marché uniquement dans le domaine du vin,
nous sommes basés à Londres. Pour remettre les choses dans leur contexte, notre entreprise a
été créée il y a cinq ans par trois personnes qui vendaient du vin dans des entreprises de
distribution de vin et qui étaient frustrées parce qu’on ne savait strictement rien sur le
consommateur, on n’avait aucune donnée. Ils ont donc créé cette entreprise qui fait des études
de marché. Mais plus globalement, nous sommes une entreprise de consultants dans le monde
du vin.
J’ai structuré la présentation autour de quatre points :
- une vue d’ensemble du marché en Grande-Bretagne,
- une segmentation des consommateurs de vin britanniques – en fait il n’y a pas UN
consommateur britannique, il y en a au moins quatre, cinq, et en fait il y en a environ
23 millions, c'est-à-dire des gens qui boivent du vin au moins une fois par moins en
Angleterre,
- un zoom sur les vins français,
- quelques éléments pour le débat.
1. Vue d’ensemble du marché en Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, il y a 46 millions d’adultes, et sur ce chiffre, 23 millions et demi qui
boivent du vin au moins une fois par mois. Je ne vais vous parler que de cette catégorie-là, des
consommateurs qui boivent du vin au moins une fois par mois, car ils représentent 94% de la
valeur, c'est-à-dire des portefeuilles qui sont ouverts et des livres sterling qui sont déposées à
la caisse chez Tesco ou chez les autres distributeurs. Ces 23 millions de consommateurs, donc,
dépensent environ 8 milliards de livres sterling par an dans le vin.
La consommation en Grande-Bretagne c’est essentiellement une consommation de détente.
Mr Prothon le disait juste avant, en rentrant du travail, on boit un verre de vin pour se
détendre. Pendant le repas, on boit également un verre de vin pour se détendre. Beaucoup plus
marginalement, on va boire le vin plus traditionnellement avec un repas amélioré, avec sa
famille, avec sa belle-mère, avec ses amis, ou pendant un anniversaire.
Combien dépense-t-on ? Et bien, pas beaucoup. Environ 4£ pour une occasion informelle,
pour se relaxer à la fin de la journée, ou pendant le repas. Pour se détendre ou accompagner
son repas de façon informelle, on est prêt à aller vaguement au-delà, près de 5£, et on dépense
une livre de plus pour des occasions plus formelles, plus sociales.
Il faut se souvenir que les occasions informelles sont l’essentiel des occasions de
consommation. 80% des bouteilles de vin, qui sont achetées dans le off trade, sont achetées
pour se détendre. Et cela représente, en gros, les trois quarts de la valeur. Donc, le marché
britannique est représenté par la détente et les occasions informelles.
Dans le on trade, c'est-à-dire la consommation dans les bars, les pubs, les restaurants, la
situation est un peu différente. On va dépenser un peu plus, on se trouve plus souvent dans des
situations de consommation formelles. La répartition est donc plus équilibrée avec la moitié
de la consommation étant formelle et l’autre informelle. Par exemple de plus en plus de
femmes boivent du vin au pub, les hommes, pas trop encore, sauf quand ils draguent une fille,
ils boivent la même chose qu’elle, sinon ils boivent essentiellement de la bière. A ma
connaissance, le on trade représente un quart de ce qui est bu en Grande-Bretagne.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
L’essentiel de la consommation de vin en Grande-Bretagne c’est le off trade, c’est le
supermarché, c’est pour boire à la maison.
On a vu dans quelles circonstances ils boivent, combien ils dépensent, maintenant, que
boivent-ils ?
C’est une question que l’on a posée il y a quelques mois à un peu plus de 1000
consommateurs de vin, « Quel est votre vin favori ? »
La première chose qui leur vient à l’esprit en Grande-Bretagne c’est avant tout une couleur et
ensuite on pense cépage, et ça c’est très important, car on va y revenir tout au long de la
présentation. Le cépage est un élément incontournable du marché britannique. Je dirai que
l’Anglais est un animal étrange, il veut savoir ce qu’il achète, ce qu’il y a dans la bouteille. Si
vous achetez un jus de fruits en supermarché, vous voulez savoir si c’est du jus d’orange, du
jus de pamplemousse ou du jus d’ananas. Là c’est pareil : ils vont acheter du vin et veulent
savoir si c’est un Cabernet, un Merlot, un Grenache, ou de la Syrah.
Que boivent-ils en terme de pays ?
C’est aussi une question qu’on leur pose : très rapidement, on leur demande quels pays ils
boivent et quels pays ils boivent le plus fréquemment. On appelle ceux qui boivent le plus
fréquemment la même chose des Loyalists, c'est-à-dire des fidèles ; les Trialists sont des
occasionnels. Par exemple, il y a 47% d’occasionnels pour la France, donc 47% de
consommateurs anglais qui achètent France de temps en temps mais, leurs achats les plus
fréquents sont Australie ou Italie.
Deux points importants à noter :
- la France a encore un très gros taux de pénétration. En gros, 70% des consommateurs
anglais boivent français, et c’est très loin devant tous les autres pays. C’est comparable
à l’Australie, qui est passée devant la France. Le problème, c’est que l’Australie
génère beaucoup plus de fidèles à ses vins. Et c’est très concret : la même personne va
acheter France et Australie, sauf qu’elle va prendre une bouteille de France et deux
d’Australie, et c’est cela qui fait les volumes à la fin.
- les Etats-Unis. Ils ne sont pas fréquemment cités, mais ce n’est pas du tout
représentatif. En fait, il se trouve que les ventes de vins américains, surtout
californiens, au Royaume-Uni sont surtout guidées par les marques : Blossom Hill,
Gallo, Fetzer, Echo Falls essentiellement. Il y a probablement de la confusion car ces
marques ne mettent pas en avant leur provenance californienne. Elles mettent en avant
leur marque et leur cépage, et c’est tout. C’est pour cela que les consommateurs n’ont
pas forcement conscience qu'ils boivent Etats-Unis.
Où achètent-il le vin ?
Au supermarché à 95% ; la quasi-totalité des consommateurs anglais passent la porte du
supermarché au moins une ou deux fois par mois pour acheter leur vin. Viennent ensuite tous
les magasins de proximité, et Internet. Pour Internet, il y a eu un gros développement des
ventes en ligne avec Tesco, mais il n’y a pas de données vraiment fiables concernant les
ventes par Internet. Ceci étant dit, il y a beaucoup de ventes par Internet manifestement, et ce
qu’il ressort dans nos panels, c’est que ce sont les consommateurs de vins français qui
achètent le plus sur Internet. Il y a environ 6% de consommateurs de vins français qui
achètent sur Internet contre 3% pour le consommateur moyen.
Qu’est ce qui est important pour faire un choix ?
Le premier critère qui ressort est le cépage. C’est une tendance très forte. Il y a deux ans, le
cépage se trouvait en dessous de l’origine et de la marque, et maintenant c’est au dessus. Les
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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deux tiers des consommateurs anglais veulent savoir ce qu’ils achètent. Ils veulent un cépage
qu’ils aiment, qui vient d’un pays d’origine qu’ils apprécient, avec une marque qu’ils
connaissent, le tout en promotion. Le grand mot à la mode aux Etats-Unis (c’est un
anglicisme), c’est « deal-junkies », des junkies aux promotions ; des types qui attendent leur
« shoot » à la fin de la journée, qui attendent la prochaine promotion. Bientôt, vous allez
acheter une bouteille et on va vous en donner 10 gratuites, c’est de la folie ! La promotion est
en plein développement. Ce qu’il se passe sur le marché, c’est que la plupart des
consommateurs vont chercher le « value for money », le rapport qualité/prix. Ils veulent un
produit qu’ils aiment, mais le moins cher possible.
En ce qui concerne la région d’origine, seulement 40% des consommateurs nous disent que
c’est important quand ils font un choix ; par la suite nous verrons que c’est réservé à un
segment de connaisseurs très impliqués. La plupart des consommateurs regardent le pays
d’origine. Ils font confiance à « Australie » ; quelques-uns feront confiance à Barossa Valley
en Australie, mais « Australie » est un signe de confiance. « France » ne l’est probablement
pas. On entend souvent « France, 8£, une occasion spéciale où je veux être sûr de ne pas me
tromper ». Les jeunes sont les plus fidèles aux vins français, ils vont y mettre le prix. Mais
comme on l’a vu, les gens dépensent rarement plus de 3 ou 4£ pour une bouteille de vin. Et à
ce niveau de prix, c’est l’Australie qui récupère le marché. L’image du pays d’origine est
donc très importante.
2. Segmentation des consommateurs de vin britanniques
On a parlé des consommateurs en général, mais en fait il y a plusieurs sortes de
consommateurs.
Il y a deux ans, on a pris 3000 enquêtes sur les consommateurs réguliers de vin, et on les a
segmentés. On voulait regarder quels étaient ces différents segments. Pour les identifier, on a
fait simple. On a défini les groupes avec ces questions-là :
- combien de fois ils achètent,
- pour quelles occasions ils achètent,
- combien ils dépensent lorsqu’ils achètent,
- le degré qu’a l’importance du vin pour eux,
- leur degré de connaissance.
On s’est aperçu qu’en fait le degré d’importance guidait les comportements dans le
supermarché. On a obtenu 5 groupes de consommateurs sur les 23 millions de consommateurs
de vins :
• Les Mainstream at-homers. Ils représentent un tiers du marché. Ce sont des
gens assez impliqués car ils aiment le vin, ils vont passer du temps dans le rayon
du supermarché ; ils s’y connaissent assez en vin. Ils consomment généralement au
moins une fois par semaine ; mais ils ont aussi beaucoup de charges en Angleterre,
ils travaillent beaucoup et la bouteille de vin coûte 4£. Donc, cette catégorie va
consacrer du temps à chercher les meilleurs rapports qualité/prix. A la fin de la
journée, ils vont donc acheter des vins à 4£ environ. Ils représentent un tiers des
gens, et un peu plus de 38% des livres dépensées car ils ont une tendance à aller
au-delà du prix moyen, car ils aiment le vin.
• Les Adventurous connoisseurs : ce sont des experts. Le vin est très important
dans leur vie, ils consomment entre 2 et 5 fois par semaine, pratiquement tous les
jours, ils sont très impliqués et très expérimentés aussi. Donc, ce degré
d’implication fait qu’ils dépensent beaucoup. Ils descendent rarement en dessous
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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de 5£, ce qui est énorme. Ils représentent un consommateur sur 5, mais un tiers des
livres dépensées. Les amateurs de vins français vont se retrouver essentiellement
dans cette catégorie ; 30% des gens qui consomment français se trouvent dans ce
segment-là, contre 18% dans la population.
• Les Weekly treaters sont des gens qui consomment occasionnellement, qui ne
sont pas des connaisseurs et qui n’ont aucune envie de traîner dans le rayon Vins.
Du coup, ils utilisent le prix comme une repère de qualité et ils vont dépenser
typiquement entre 4 et 6 £. Plutôt 6 que 4, parce qu’ils consomment peu
fréquemment. Du coup, c’est 16% de la population mais 10% de la valeur.
Les deux derniers segments représentent les deal junkies.
• Les Social bargain hunters, comme indique leur nom, chassent la promotion
dans les rayons. On a eu l’exemple d’un ancien PDG ayant de très gros revenus,
plus que les miens ou les vôtres, qui était capable de faire tous les supermarchés du
coin pour trouver le meilleur deal. Il était capable de faire 20 Kms pour acheter 12
bouteilles de vin allemand, parce qu’il y avait une promotion à 1,8£. C’est un peu
comme si vous achetiez une bouteille de vin à 80 centimes d’euro dans un
supermarché ici. Ils vont donc chasser la promotion, par contre ils sont la plus
grosse fréquence de consommation ; avec les Adventurous connoisseurs. Ils
consomment quasiment tous les jours ; en tous cas plusieurs fois par semaine. Ils
consomment beaucoup, mais pas cher.
• Les Frugal conservatives consomment très peu et dépensent très peu. Ils font
23% de la population et 10% de la valeur.
Si l’on veut être plus pragmatique, cela signifie que les Mainstream at-homers font 3 milliards
de livres, les Adventurous connoisseurs un peu moins, 2,8 milliards de livres et ensuite les
Social bargain hunters presque 1,9 milliards de livres. Cela vous donne une idée de qui il faut
solliciter. Tout le monde, sauf les Frugal conservatives..
Et pour enfoncer le clou, voilà une estimation de la dépense individuelle annuelle : un expert
va dépenser 650£, parce qu’il boit beaucoup et paye cher la bouteille. Les Social bargain
hunters dépensent beaucoup car ils boivent beaucoup, mais ils vont cibler les promotions. Ils
sont intéressants car ils aiment bien les marques, et peuvent devenir fidèle à une marque.
Quand ils ont trouvé une marque à un très bon rapport qualité/prix, ils sont capables de la
racheter toutes les semaines. Et à chaque fois que vous ferez une promotion, ils prendront 12
bouteilles de la marque. Les Mainstream at-homers dépensent moyennement, le vin est
important pour eux et ils y mettent un prix moyen, mais ils sont 8 millions. Donc ce sont ces
gens-là qu’il faut viser. Les Weekly treaters dépensent beaucoup mais ils consomment peu ;
ils sont très « marques ». Ils n’y connaissent rien en vin : pour eux le vin, ce n’est pas très
important donc ils achètent les marques.
Si vous êtes un producteur ou une marque et que vous voulez lancer un produit à 4€, c’est-àdire le prix moyen pratiqué sur le marché, vous pouvez voir immédiatement qui vous
toucherez. Qu’est-ce qui pousse les consommateurs à prendre une bouteille sur l’étalage ?
Comment choisissent-ils ? Qu’est-ce qui est important ? Que disent-ils être important ?
Importance du cépage
Il y a un premier point à noter là-dessus : je vous parlais du cépage tout à l’heure. Il se trouve
que le cépage est important à travers tous les portraits de consommateurs, y compris les
experts, voire les très experts. Le cépage n’est pas réservé aux gens qui n’y connaissent rien,
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et qui ont besoin de quelque chose de simple. Le cépage est réservé à tout le monde, à tous les
consommateurs anglais. Il s’agit toujours d’un critère de choix très important, même pour le
segment des Frugal conservatives, qui ne consomment que très peu.
Région d’origine
Le second point à noter est l’importance de l’origine du vin, et on parle là du pays d’origine.
La région d’origine vient dans le top 5 des critères de choix, uniquement pour les
consommateurs experts. La France est bien placée pour ce type de consommateurs, mais il
faut faire attention à l’Australie qui commence à faire des vins plus haut de gamme, vendus
plus chers, type Barossa Valley. Il est même question de créer des appellations à
l’australienne. Ce qui est une chance pour les vins français, c’est que les Australiens ne sont
pas encore tous d’accord sur ce point là. Le segment des Adventurous connoisseurs
connaissent tout : le Gigondas, le Châteauneuf du Pape, le Chianti. Ils savent même que
Chianti est une région d’origine, contrairement à 60% des consommateurs anglais qui pensent
que le Chianti est un cépage. Néanmoins, ce segment de consommateurs ne représente qu’une
petite partie du marché anglais. Pour tous les autres, c’est seulement le pays d’origine qui
importe.
Conseil d’ami
Un autre point très important à souligner est que les consommateurs anglais aiment se faire
conseiller par leur entourage proche sur les vins à consommer, notamment pour le segment
des Weekly treaters qui n’y connaissent rien mais qui dépensent tout de même 5, 6 ou 7 £ sur
une bouteille de vin et qui ont donc besoin de critères rassurants. Ils ont besoin de choses
simples, de choses qui rassurent, c’est-à-dire soit la recommandation d’un ami, soit la marque,
soit un cépage reconnu.
Offres promotionnelles
Enfin, les offres promotionnelles sont présentes dans tous les segments de consommateurs.
C’est un critère de choix très important. Tous les consommateurs recherchent les promotions
parce que tous les distributeurs en offrent.
Fidélité des consommateurs
22% de consommateurs anglais sont des loyalists au vin français : ils disent que le vin qu’ils
achètent le plus fréquemment, c’est le vin français, la France. Il s’agit de vos consommateurs
« cœur » : c’est eux qui font du volume et qui sont prêts à payer pour une bouteille, c’est eux
qui font de la valeur. Que boivent-ils d’autre ? 68% des consommateurs qui sont fidèles aux
vins français boivent aussi l’Australie. Et cela représente une menace. Cela veut dire que s’ils
aiment aussi Australie, il se peut que l’Australie vous les vole.
Autre menace très importante : la moitié des consommateurs fidèles aux vins français (51%)
boivent aussi Italie. Cela peut être résumé par deux mots : Pinot Grigio. C’est un cépage qui
marche extrêmement fort. Il faut souligner qu’il y a une très forte présence de la gastronomie
italienne en Grande-Bretagne, avec de nombreux restaurants, qui jouissent d’une très bonne
image.
La menace n°1 est donc l’Australie.
En ce qui concerne les opportunités à présent : ceux qui achètent français, mais pas le plus
souvent et que l’on nomme les trialists, à qui sont-ils loyaux ? Aucune surprise : 41% des
consommateurs de vins qui choisissent occasionnellement les vins français boivent aussi
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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australien. Il s’agit là d’une opportunité : il faut les voler aux Australiens. Le raisonnement est
simple, mais le mettre en pratique est compliqué, je le concède.
En résumé : Opportunité n°1, l’Australie, menace n°1, l’Australie…pourquoi ?
Quand on regarde les vins français à travers les segments de consommateurs, le taux de
pénétration descend. Quand on prend les Adventurous connoisseurs, on s’aperçoit que 85%
d’entre eux boivent français, et parmi eux un tiers est loyal aux vins français. Quand on
regarde les segments suivants, plus le degré d’implication dans le vin baisse, moins le taux de
pénétration est fort et moins on a de fidélité aux vins français. La raison est celle-ci : les
segments suivants sont de moins en moins impliqués dans le vin, s’y connaissent de moins en
moins. Le vin ne les intéresse pas au plus haut point. Ils aiment boire le vin pour se détendre à
la fin de la journée et force est de constater que les Australiens, les Américains avec Blossom
Hill, Echo Falls, Fetzer proposent des choses assez simples, notamment avec l’indication du
cépage sur la bouteille.
On s’aperçoit qu’il y a quasiment autant de consommateurs anglais qui boivent Australie que
de consommateurs qui boivent France. Il y a toujours un gros taux de pénétration pour les vins
français. Le problème réside dans le pourcentage dans chaque segment de consommateurs qui
disent être loyaux aux vins australiens. Par exemple, un tiers des Mainstream at homers sont
loyaux aux vins australiens mais seulement 1 sur 5, c’est-à-dire 20% d’entre eux, sont loyaux
aux vins français. L’Australie génère plus de fidélité, plus de loyauté à son vin. On peut donc
supposer que certains consommateurs qui buvaient français ont bu un jour australien et le vin
australien est devenu le vin qu’ils achètent le plus. Le problème est vraiment là. Ce segment
là, c’est un tiers du volume et 38% de la valeur. C’est un segment énorme. Selon mes calculs,
en gros, l’Australie génère plus de loyauté que la France sur environ 78% des volumes, des
consommateurs. La France génère plus de loyauté, plus de fidélité sur 18% des
consommateurs. Il est vrai que cela représente un tiers de la valeur, mais de l’autre côté on a
56%. Les Australiens génèrent plus de fidélité, c’est un fait.
La marque
Il faut quand même parler également un peu de la marque. La première marque française est
Piat d’Or, qui est une marque qui décroît. Tous les ans, elle baisse. Piat d’Or était très connue
dans les années 80 en Angleterre. C’est, paraît-il, français, mais embouteillé en Italie…Quand
on demande aux Anglais de citer une marque, ils disent « Chardonnay ». Dans mes souvenirs
de l’Agro, on retrouve plus ou moins la même chose en France : « Citez moi une marque :
Côtes du Rhône, citez moi une région d’origine : Malesan ». Quand on pose la question aux
Anglais sur la marque qu’ils préfèrent, ils répondent australien, américain, cépage, mais il n’y
a rien de français. Et quand Pinot Grigio est cité, et bien cela apporte de l’eau au moulin des
Italiens.
A présent, quelques éléments pour le débat :
→ 23 millions de consommateurs,
→ Ils buvaient de plus en plus jusqu’à aujourd'hui. Il semblerait qu’il y ait à présent un
plateau, une stagnation. Mais peut-être que cela va-t-il repartir,
→ 16 millions de consommateurs britanniques boivent du vin, mais le problème est qu’ils
sont de moins en moins fidèles au vin français et qu’ils deviennent de plus en plus
regardants sur le rapport qualité/prix parce que tous les distributeurs font des offres
promotionnelles (achetez en deux, la troisième est gratuite, moins 20%...).
En outre, avec les Jeux Olympiques qui arrivent, le coût de la vie continue à augmenter. Les
distributeurs communiquent donc énormément sur les offres promotionnelles. L’essentiel de
la distribution off trade se fait dans les supermarchés dont la philosophie est de communiquer
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sur les bas prix. Il y a peut-être des portes de sortie, avec Tesco notamment qui a décidé de
développer ses vins Premium, peut-être pour essayer de tirer ses marges vers le haut, car pour
les distributeurs, le vin ne permet pas de faire des marges importantes, en tous cas, bien moins
que certains autres produits de grande consommation. Il s’agit néanmoins d’un bon produit
d’appel,
• qui sont vos consommateurs ? (Ils ne sont pas tous pareils),
• qui achète vos vins ?
• le sujet chaud : le cépage.
Mon expérience personnelle : j’ai essayé d’acheter français en Angleterre, je me suis trompé
dans mon choix et cela m’a coûté 4 £. Du coup, je n’ai plus jamais acheté français en
Angleterre. Quand je vais en France, je ramène du vin français. Je ne comprends rien dans le
rayon des vins français et pourtant, je connais un peu le vin. Il y a un problème, il n’y a pas de
cépage. C’est un point de débat,
• la plupart de nos vins sont-ils adaptés à l’occasion de consommation là-bas, c'est-à-dire : j’ai
envie de me détendre à la fin de la journée, avec ou sans repas ?
• les marques.
Au cours des 10 dernières années, avec l’arrivée du Nouveau Monde notamment, les règles du
jeu ont changé. Il y a 10 ans, on pouvait encore aller voir son acheteur en GD, chez un caviste
ou un importateur avec un bon produit, et on menait une négociation de type classique en
goûtant le vin. Cela fait partie du passé à présent : maintenant, le Nouveau Monde est arrivé,
ils font des vins plutôt bons, qui sont plus constants que les vins français et ils se comportent
comme une marque. Les régions de France ne doivent-elles pas se comporter comme des
marques, hors du débat des AOC : Bourgogne, Bordeaux, etc. ? Une marque, c’est une
promesse, un plan, des mesures, des objectifs que l’on peut mesurer. C’est une approche
pragmatique. Si on n’a pas atteint les objectifs, on en examine les raisons et on corrige. Je sais
bien que cela n’est pas facile. Je pose juste la question. Et quand on se trouve devant un
distributeur, il faut aller au–delà du « mon vin il est bon ! » parce qu’en face on a des
producteurs qui ont des bons vins, qui ont un plan, qui le montrent au distributeur et qui
viennent l’aider : « J’ai fait des études de marché, les consommateurs vont adorer, et puis en
plus je vais mettre cela en promotion ». Il existe des exemples frappants : Jean-Paul Chenet,
c’est du vin de pays. Je ne sais pas si les Grands Chais de France sont bénéficiaires ou pas, car
ils font beaucoup de promotions. Tout ce que je sais c’est qu’ils vendent, et que les gens
achètent, et qu’il est en train d’étendre son réseau de distribution : dans trois ans ils seront
présents partout, et ça marche ! C’est les plus gros volumes français. Ne faut-il pas faire des
marques ?
Je vous remercie de votre attention.
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TABLE RONDE
QUELLE STRATEGIE ADOPTER FACE A LA MONTEE EN PUISSANCE DES
PAYS DU NOUVEAU MONDE SUR LE MARCHE BRITANNIQUE ?
Participent
M. Eric GASPARINI, Responsable Export Royaume-Uni de Jeanjean
M. Michel BATAILLE, Président de l’Union des Coopératives de Foncalieu
M. Henri de COLBERT, Vigneron au Château de Flaugergues
M. Olivier PROTHON, Chef de Mission Agricole, Ubifrance
M. Jean-Philippe PERROUTY, Research Manager, Wine Intelligence
Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à
l’Université de Montpellier 1
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Perrouty. On va continuer avec les questions que vous avez soulevées, et d’autres
qui sont inspirées par vos propos. Je voudrais qu’on enchaîne tout de suite avec la table ronde
puisque toutes ces questions seront traitées avec vous également et avec des personnes que
j’appelle maintenant : M. Henri de COLBERT, M. Eric Gasparini, et M. Michel Bataille.
M. Henri de COLBERT est vigneron au Château de Flaugergues, M. Bataille est président de
l’Union des Coopératives de Foncalieu et vigneron (40 millions d’euros de chiffre d’affaires
avec un effectif de 70 personnes environ et 85% de la production destinée en 2001 à l’export
dont 60% au total vers le Royaume-Uni), M. Eric Gasparini est responsable export vers le
Royaume-Uni chez Jeanjean (144 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Merci à vous d’être présents, notamment M. Gasparini, qui je crois est très pris en ce moment
puisque Jeanjean a repris la société Antoine Moueix & Lebègue, St-Emilion, qui produit 3
millions de cols par an. Cela donne une idée de l’ampleur de votre activité.
Je voudrais me tourner d’abord vers M. Henri de Colbert. Que représente pour vous le
Royaume-Uni, quel est le pourcentage à l’export, et si vous exportez, quels sont les problèmes
que vous rencontrez ? Puis, je voudrais vous demander de réagir à ce qui a été dit à propos du
marché britannique.
M. Henri de COLBERT
Vigneron au Château de Flaugergues
Nous exportons 80% de nos vins, ce qui représente 1 million d’euros de chiffre d’affaires par
an, et entre 150 000 et 200 000 bouteilles par an. L’Angleterre représente 30 à 35% de la
totalité de notre exportation, entre 40 000 à 50 000 bouteilles. Donc, nous n’affrontons pas les
mêmes problèmes que ceux qui gèrent des millions de bouteilles. Notre problème est de
valoriser un prix suffisant, car Flaugergues c’est 20 emplois permanents, 4 cadres pour 30
hectares de vignes, donc tout cela a un coût élevé. Mais c’est la condition indispensable pour
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
arriver à avoir des produits qui soient corrects et adaptés aux marchés. Nos vins sont vendus
en Angleterre à 7,99 euros, c’est-à-dire 8 £, ou 6,50 £ pour les rosés.
Je voudrais témoigner dans le même sens de ce qui a été dit tout à l’heure : il y a 10 ou 20 ans
on a pu entrer dans ce marché parce qu’on était les meilleurs, qu’on avait un prix correct, et
qu’à la limite le prix n’avait pas tellement d’importance. Mais il faut aussi dire que nous
produisions l’un des meilleurs vins de dégustation, l’un des meilleurs vins importés en
Angleterre - meilleur vin en France aussi - donc nous avions un atout de qualité qui nous
permettait d’exporter. Depuis quelques années, nous nous voyons obligés de passer par la case
de la promotion. Actuellement, vous pouvez voir sur Internet les promotions effectuées sur les
vins de Flaugergues : vous gagnez 2 £ si vous achetez 2 bouteilles de rosé, donc le prix passe
de 6,49 £ à 5,49 £ la bouteille (vous gagnez 1£ par bouteille). Et vous gagnez 1£ sur les
rouges, c’est-à-dire vous passez de 7,99 £ à 7,49 £ en en achetant deux. Donc tout ceci
suppose d’énormes efforts. Ce que je veux dire c’est que lorsque nous établissons les prix
pour l’Angleterre, quelles que soient les quantités vendues, si l’on veut développer ces
marchés, il faut prévoir des remises quantitatives, des frais de communication, des cadeaux
pour les promotions, etc. Ensuite, nous essayons de nous placer sur le marché en nous
positionnant par rapport à nos concurrents. Il est exclu pour nous de produire des vins de
cépages à 3 ou 4 € la bouteille, on ne pourra pas s’en sortir. Pour valoriser et justifier nos prix,
il faut autre chose.
Nos avantages par rapport à d’autres : on reçoit par exemple des milliers de touristes chaque
année dont quelques centaines d’Anglais, qui repartent avec l’adresse des boutiques où l’on
peut trouver nos vins en Angleterre, qui sont au nombre de 150. Ils vont donc créer une
demande. Ensuite, nous investissons fortement dans la communication, nous sommes présents
dans les premières pages des catalogues, ce qui coûte très cher mais qui permet que notre
marque, qui représente très peu de quantité, soit connue. Actuellement des gens en Angleterre
achètent du Flaugergues parce qu’ils nous connaissent et que cela fait longtemps qu’on leur
en parle. Ensuite, on travaille avec le prestataire de services final, celui qui va vendre notre
produit et qui va demander que notre produit soit vendu : on le reçoit chez nous, il est bien
accueilli, on va le voir et on va essayer de négocier avec lui pour qu’il propose le Flaugergues
le plus souvent possible, etc.
Enfin, ce dont je voudrais témoigner c’est qu’il y a quelques années l’acheteur était un
« master of wine » un compétent en vin, aujourd’hui on a plutôt des commerciaux, des gens
qui font du business, des financiers qui n’en n’ont que faire du vin. Notre interlocuteur n’est
plus un connaisseur en vin, donc il faut s’adapter.
M. Jean KOUCHNER
Juste un détail supplémentaire s’il vous plaît : vendez-vous par Internet, notamment aux
personnes que vous recevez et qui effectuent des commandes ?
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M. Henri de COLBERT
On s’est interdit d’être concurrents de nos clients. Nous disons aux gens que nous recevons au
domaine que s’ils veulent du vin, ils devront l’acheter chez nos distributeurs en Angleterre.
On crée une demande en s’interdisant d’être concurrents de nos clients. En contre-partie, le
site de notre client parle bien de nous et effectue des promotions que nous assurons.
M. Jean KOUCHNER
Merci. Vous pouvez passer le micro à M. Bataille. Alors, je voudrais connaître vos propres
réactions dans la même lignée de ce qui a été dit et également votre expérience.
M. Michel BATAILLE
Je ne fais pas de langue de bois donc je vais m’y attacher comme à l’accoutumée. Ce qui est
important de préciser c’est que j’ai connu Henri de COLBERT il y a 25 ans, quand il était au
FORMEXA. J’étais tout jeune vigneron et je commençais à m’intéresser au commerce. Son
témoignage est complètement opposé au mien, mais c’est normal puisque le marché est
pluriel, et il est important de le préciser. En sortant de la salle, il ne faut pas que les gens se
disent qu’il faut faire comme un tel ou un tel : les circuits sont différents et chacun peut
trouver sa place.
Nous vendons 12 millions de cols en Angleterre, nous devons sûrement être la première
entreprise languedocienne dans ce pays. On y est implanté depuis longtemps. Pour réagir à ce
qui vient d’être dit, je ferai un parallèle avec la stratégie militaire : je regrette que Christian
Jean, qui est parti, ait introduit son propos en donnant son point de vue sur le rôle de la
Méditerranée à partir d’un voyage en Kirghizie et de la rencontre avec des opérateurs italiens
en Kirghizie.
Aujourd’hui, chaque fois que les responsables professionnels et les responsables politiques se
réfugient derrière la tradition française, on se retrouve dans la même situation que les
généraux français, que le général Gamelin en 1939 derrière la ligne Maginot. On a vu le
résultat. Il faut qu’on doute et qu’on se remette en question. Certes, Montpellier avec Alain
Carbonneau et Hervé Hannin sont des témoignages vivants, mais aussi M. Deloire etc. et nous
travaillons avec eux : ils maîtrisent parfaitement l’aspect viticole, ils ne sont d’ailleurs pas
suffisamment utilisés par les Languedociens. Mais les Australiens, les Sud-Africains, les
Chiliens, les Californiens ont fait des progrès bien plus grands que la France en matière
viticole et font des produits adaptés au marché. Ce qui compte, c’est bien le pilotage par l’aval
et l’adaptation au marché. Donc je pense chaque fois qu’on parlera des AOC, du style français
(on a entendu pendant longtemps que le Carignan est un cépage emblématique du Languedoc
alors que tout le monde sait que c’est un cépage espagnol introduit à la fin du 19ème siècle en
Languedoc-Roussillon), il y aura quelqu’un qui vendra 25 000 bouteilles d’excellent vieux
Carignan. Mais il faut suivre la tendance du marché. Aujourd’hui, cela a été expliqué par M.
Perrouty : la tendance du marché en Grande-Bretagne, c’est le cépage et c’est la marque. S’il
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
y a autant de consommateurs fidèles aux Australiens, c’est parce que les marques
australiennes sont fortes et ces marques tiennent leurs promesses.
Quand on achète Jacob’s Creek ou Hardy’s, on sait à quoi s’attendre. Alors que quand on
achète un vin français, on n’a pas de vraie marque. Il existe une marque qui fait entre 1 et 4
millions de cols par an en fonction des promotions ; les marques françaises sont, la plupart du
temps, éphémères : elles s’installent et disparaissent. On a souvent des déceptions. Donc la
marque est un élément essentiel.
Je rejoins M. de Colbert en disant que la promotion est actuellement un élément majeur en
Grande-Bretagne. On a une pression très forte sur les distributeurs quand on est sur les
segments Premium, alors que M. de Colbert est plutôt sur les segments Ultra Premium. Je
rencontre encore beaucoup de «Masters of Wine». Il est important de signaler que les femmes
ont un rôle majeur en Angleterre en tant que consommatrices, mais aussi en tant
qu’acheteuses, telles que Abigail Hirschfeld à Sainsbury’s et si Peter Darbyshire était là, il a
recruté dans son agence Lindsay Talas qui était l’acheteuse de Tesco. C’est un point
important, parce que le profil des vins doit être adapté aussi à la part plus féminine des
consommateurs et de l’acheteur.
Pour terminer, comme l’a déjà indiqué M. Perrouty, il existe une très forte pression en
Grande-Bretagne sur les coûts qui s’indexent considérablement. Il n’y a qu’à voir le nombre
d’achats de maisons en Languedoc-Roussillon. On a la pression parce que chaque année les
taxes augmentent. Cette année par exemple, ce sont 6 centimes d’euros d’augmentation. Et les
distributeurs les font porter sur les producteurs, donc globalement tous les producteurs, du
moins ceux qui sont sur le secteur de l’off trade ont 6 centimes à rajouter à leurs charges, ce
qui correspond au coût de l’augmentation des « duties », puisqu’un produit qui est positionné
à 4,99 £ ou à 5,99 £ en Angleterre va rester à ce niveau-là, on ne va par exemple pas
augmenter de 3 pences pour passer de 4,99 £ à 5,02 £ parce que c’est très segmenté. Ensuite,
il y un mot que tout le monde devrait apprendre c’est BOGOF (Buy One, Get One Free),
c’est-à-dire une bouteille gratuite pour une bouteille achetée. La plupart des opérations de la
grande distribution se font selon ce modèle ; il faut donc calculer un prix moyen sur la base du
taux de promotion qui est toujours difficile à estimer, mais dans le meilleur des cas, cela
représente 80% en promotion et 20% en fond de rayon. Vous avez donc effectivement, un
produit, et cela a été bien expliqué dans le découpage des consommateurs, qui est à 4,99 £ ou
à 5,99 £ pendant 11 mois de l’année, et pendant 4 semaines il est à 2,99 £. Nous en avons
chez Tesco, chez Sainsbury’s, etc. Nous avons les vins « mâches », dont on vend chez Tesco
en moyenne 200 bouteilles par magasin et par semaine sur une marque qui s’appelle La Cité
de Foncalieu et on a aussi une marque très « française » qui s’appelle Winter Hill - peut-être
que vous ne l’avez pas trouvée, pensant que c’était une marque australienne. Les vins
« mâches », c’est, hors promotions, 200 bouteilles, et en promotion 3 000 bouteilles par
semaine.
M. Jean KOUCHNER
Merci.
M. Gasparini : 40% à l’export, combien vers le Royaume-Uni ?
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Eric GASPARINI
Responsable export Royaume-Uni de Jeanjean
Au Royaume-Uni, on fait à peu près 6 à 7 millions d’euros sur 44 millions d’euros pour le
groupe, et un bon tiers à l’export donc 15 millions d’euros. Nos exportations vers l’Angleterre
ne sont pas aussi importantes que Foncalieu, on réalise 3 millions de cols environ, mais je
peux vous dire qu’ils pèsent lourd et que c’est beaucoup plus que ce qu’on faisait il y a 3 ans.
Je voudrais simplement réagir en vous faisant part de l’expérience de Jeanjean et de sa
stratégie pour le Royaume-Uni. On est parti d’un constat : il y a 3 ou 4 ans, on vendait de
moins en moins vers le Royaume-Uni, on avait de grosses difficultés, je crois qu’on était béat
devant la progression des vins du Nouveau Monde. On ne comprenait pas, on s’interrogeait.
Nos vins sont des vins de plaisir et on avait entendu parler des vins de détente, mais on en
était finalement resté sur cette approche de producteurs. C’est une autocritique, et on s’est
demandé ce qu’il fallait faire. Je ne vais pas redire ce qui a déjà été raconté, mais on a tout
simplement appliqué une recette qui n’est pas facile mais qui fonctionne : on est parti de la
qualité de nos vins, de nos terroirs, c’est important de le souligner, de nos savoir-faire. On a
des équipes d’œnologues fortes et jeunes, on s’est entouré du savoir-faire d’œnologues
étrangers, anglais et autres qui travaillent dans le monde entier pour enrichir nos
connaissances, pour échanger.
En partant de là, on a bien compris qu’on n’irait pas loin sans une approche de marché. Là
aussi on a fait appel au savoir-faire de professionnels anglais en travaillant avec des agences
de développement de marques pour nous aider à faire des recherches et à comprendre ce qu’il
faut faire pour plaire aux consommateurs. On est parti du vin pour travailler sur des profils de
vins. On savait qu’à la base il fallait absolument avoir une promesse de qualité sur des vins
qui apportent peut-être plus de complexité mais aussi une facilité, une promesse au niveau
d’une marque qui soit rassurante pour le consommateur, et il fallait prouver cela aux
acheteurs. On s’est donc engagé dans ce travail.
Enfin, on a travaillé sur des positionnements. On a vu que le secteur Premium se développait,
pour nous c’est une chance dans cette région, même s’il ne faut pas négliger l’impact des
promotions qui vient réduire les résultats.
On ne peut pas réussir en Grande-Bretagne si on n’a pas de partenaire digne de ce nom, local,
un agent spécialiste du marché. On a donc travaillé avec un agent bien implanté. Aujourd’hui,
au bout de trois ans, on a les premiers résultats : on a réussi à développer une marque dans
certaines enseignes à GD, mais ce n’est pas facile et il faut continuer.
De la salle
Je pose une question à tous les intervenants : peut-on chiffrer le prix d’un lancement de
produit, d’une marque en Grande-Bretagne ? L’intervenant de Jeanjean parlait de leur
expérience qui consistait à s’entourer de professionnels pour les aider, cela convient donc à
Jeanjean ou à Foncalieu, mais pour une coopérative moyenne de l’Hérault, qui n’est pas
représentée aujourd’hui, quel pourrait être le prix ?
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
Question difficile…
M. Jean-Philippe PERROUTY
Je ne connais pas les prix. Mais à votre place, en tant que petite coopérative je ne créerais pas
de marque et c’est un point très important. Sur le graphique montré par M. Prothon figuraient
des données Nielsen qui montraient qu’un tiers des ventes en off trade, en supermarchés, sont
réalisées par des marques. Il n’y a donc qu’un tiers du marché qui est fait par des marques, si
vous regardez dans les soft drinks ou les boissons non alcoolisées, on va arriver à des
proportions entre 70 et 90% des ventes qui sont tenus par 5 marques, alors que dans le cas qui
nous intéresse, seul un tiers du marché est contrôlé par les marques. C’est-à-dire qu’il y a tout
le reste. Les marques permettent de négocier avec les distributeurs et de planifier des
promotions, mais il ne faut pas oublier que les promotions masquent un autre problème, qui
est celui du pays, en l’occurrence la France ; et là, les coopératives comme celles de l’Hérault
peuvent jouer un rôle important à travers leurs réseaux : les syndicats de vins de pays, les
syndicats d’appellations.
Il existe un problème par rapport à l’image des vins français. Je vais vous citer 2 exemples :
• 1er exemple, Thresher : il y a un an, ils ont décidé d’arrêter toutes les promotions et de n’en
imposer qu’une seule « 2 bouteilles achetées, la troisième est gratuite », et cela pour tous les
pays : Australie, Chili, France, etc. L’effet promotion était donc neutralisé et on pouvait
comparer les pays entre eux hors promotion. L’Australie faisait 26% de parts de marché chez
Thresher et cela n’a pas changé. Les Etats-Unis sont passé de 14% de parts de marché à 20%.
La France est passée de 20% à 14% hors promotions, c’était l’effet de la France, de son
image.
M. Jean KOUCHNER
Mais à quoi cela est-il dû ? Vous évoquiez tout à l’heure cette question en disant que la
France ne donnait pas confiance.
M. Jean-Philippe PERROUTY
• Je vais vous donner un deuxième exemple. A Londres, on trouve des organismes génériques
de promotion des pays : Wines of California, Wines of Australia, Wines of Spain, Wines of
Austria, Wines of Chili, Wines of Argentina, il y en a 8 ou 9, mais pas de Wines of France.
C’est un élément de réponse…
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Michel BATAILLE
En complément de ce qui vient d’être dit par M. Perrouty et qui est très important, je veux
ajouter que malheureusement, siégeant à Inter-Sud de France, je crains fort que les querelles
professionnelles tuent dans l’œuf Inter-Sud de France et Sud de France, et tout cela pour des
problèmes politiques, au sens large du terme, et de pouvoirs personnels. Des élections ont eu
lieu il y a quelques années, mais je me suis éloigné de tout cela parce que j’en ai assez que
toutes les décisions soient prises à titre personnel et qu’elles tuent les vignerons de base. Moi
je ne participe plus à tout cela, je me suis concentré sur les aspects économiques, je travaille 5
jours par semaine en entreprise, et cela me suffit largement.
Pour aller sur la question du coût, il n’y a pas de coût direct. Il faut d’abord un bon marketing
mix, et à l’intérieur de ce marketing mix, la partie « produit » est importante.
Cependant, j’aimerais préciser deux points. Premièrement, il est évident que tout le monde
peut essayer de s’introduire dans le marché britannique, il y a des marchés de niche, ce n’est
pas trop un problème. Mais si toutes les entreprises languedociennes, en particulier les 300
coopératives du Languedoc-Roussillon, décident de monter un service commercial et
d’introduire le marché britannique, le prix des vins français baissera. Le problème c’est qu’on
se bat toujours, sans le savoir, contre Jeanjean, Val d’Orbieu, Skalli, etc. à propos de la part de
gâteau franco-française. Il faut élargir cette part de gâteau, et on ne peut le faire que si l’on a
une ombrelle générale française, ou du Sud de France. C’est un élément important, il est
intéressant pour chacun de conserver sa propre part de marché, mais cela au risque de perdre
en efficacité.
Dernier point, sur la part des rosés : on est passé de 0% de part de marché il y a 5 ans, à 7%
maintenant. Ce sont les Californiens qui ont pris l’initiative avec le White Zinfandel, qui est
un cépage italien Primitivo, et là je me tourne vers ceux qui étaient à l’Onivins : en France si
vous voulez implanter du Primitivo ou du Pinot Grigio, il faudra 10 ans avant de pouvoir
avoir l’autorisation d’Onivins. Moi je demande chaque année, et M. Rousset le sait, une
autorisation pour toucher une prime sur le Colombard. Nous avons un objectif sur la base
Colombard, et nous voulons concurrencer les Sud-Africains sur un produit particulier dans
lequel il y a du Colombard, et en France on nous bloque sur ce sujet.
Question sur les rosés : est-ce que beaucoup de gens dans la salle ont eu, par l’intermédiaire
de leur organisme professionnel technique, une information sur les rosés vendus en Angleterre
et en particulier sur la teneur en sucre ? Levez le doigt s’il vous plait.
M. Jean KOUCHNER
Il y en a …
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ROYAUME-UNI & CHINE
M. Michel BATAILLE
Nous avons réalisé une analyse sur les 20 premiers vins rosés vendus en Angleterre à partir
des chiffres du Nielsen, ils ont tous une teneur, à une exception près, qui va de 12 à 30
grammes de sucre. C’est autorisé en France, sauf qu’ici on considère que ce n’est pas bon et
donc on ne le fait pas.
Dernier point sur la teneur en sucre, à propos des AOC, qui sont donc une chance pour la
France (ils le sont pour les rouges, cœur de gamme, et non pas pour les très grands vins qui
coûtent jusqu’à 10 £ la bouteille). On peut mettre jusqu’à 4 grammes de sucre dans le rouge,
sachant qu’on a la perception du sucré à partir de 8 grammes. Mais en France, çà n’est pas
possible. On ne fait pas d’innovation en France parce que ce n’est pas possible. Aujourd’hui,
il y a une demande en Angleterre sur le vin à faible degré alcoolique. En France, vous savez
qu’on a une autorisation pour désalcooliser, mais qu’on ne peut pas exporter ces vins. Alors je
vous le dis franchement, un certain nombre d’entre nous va quand même le faire ! Nous en
avons ras-le-bol de toujours courir avec des chaînes à nos pieds. C’est vrai qu’on n’innove pas
parce qu’on est aussi coincé par les aspects administratifs, et plutôt que d’aller demander au
Ministère quatre subsides qui ne servent souvent à rien, donnons les moyens aux entreprises
d’innover, d’aller de l’avant ! Il faut arracher à tous ces caciques intégristes un certain
nombre de choses. Ceux qui veulent faire traditionnel, vendanger à la main, piocher au
rabassier, pour les gens qui connaissent l’occitan, ça ne me pose aucun problème, je ne veux
pas en débattre là. C’est comme le rugby à l’ancienne il y a cinquante ans face aux All blacks
d’aujourd’hui : on voit où on en est…
M. Henri de COLBERT
Moi je voudrais répondre à M. Bataille, faire au moins une fresque plus large ou au moins
donner une réponse précise à la question du coût d’une marque.
Je voudrais y répondre par une autre question, en vous expliquant que, de l’administrateur de
centre de gestion, au bout de trente ans, je n’ai jamais pu obtenir que le centre de gestion me
dise combien ça coûte de faire du vin, et je pense qu’il y a peu de gens ici qui aient vraiment
fait une étude sur le coût de production, et ceci est une première partie de réponse.
Ensuite, il faut bien comprendre que nous, producteurs, quand on agit en commerciaux, il
nous faut raisonner également en commerciaux : on a à vendre nos produits au meilleur prix
possible bien sûr, ce qui veut dire qu’un travail de commercial coûte très cher, beaucoup plus
cher que de produire déjà. Ensuite, créer une marque ou prendre un marché ou créer un client,
c’est un réel investissement. Effectivement, cela n’est pas prévu actuellement dans nos lignes
comptables. C’est un investissement fort, qui requiert du temps, des salariés, du matériel, de la
communication ; en somme tout un tas de choses qui coûtent de l’argent et qu’on ajoute. Et
c’est à nous-mêmes, chaque fois, de faire les comptes.
Mais c’est vrai que je peux vous dire que mon introduction en Angleterre, où je n’ai pas de
marque, m’a coûtée en gros 500 000 ou 600 000 francs à l’époque. Ça représente des années
de travail avec des gens qu’on paie pour essayer d’entrer dans un marché.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
De la salle
M. Granès de l’ICV. J’ai une question car je suis étonné par ce qu’on a vu. On nous répète
depuis plusieurs années comment est le marché anglais et que la France est toujours un peu à
la traîne par rapport aux évolutions qu’on connaît déjà depuis quand même quelques temps. Il
me semble qu’il y a eu également un rappel historique des différences de comportement d’il y
a 10 ou 15 ans sur le marché anglais par rapport à aujourd’hui, mais on ne nous a pas expliqué
d’où cela provenait.
Il me semble qu’il y a une quinzaine d’années les Australiens ont décidé de se développer sur
le marché anglais. Ils ont mis en place une stratégie de communication et de marketing, et si
aujourd’hui les Anglais choisissent le cépage ce n’est pas par hasard, ce n’est pas dû à
l’évolution de la société anglaise. C’est qu’il y a eu une stratégie de communication,
d’éducation du consommateur britannique, pour aujourd’hui lui faire prendre conscience ou le
convaincre en tout cas que le cépage est la porte d’entrée la plus facile pour choisir ses vins et
ne pas se tromper.
Depuis 5 à 10 ans ou un peu plus récemment, ce sont les marques qui sont venues derrière
comme un complément au cépage. On voit donc là un tableau, dont on nous a montré la
photographie, se construire. Je pense que c’est une idée de vouloir s’inspirer de ce qui se fait,
voire de s’accrocher au wagon et d’essayer de vendre le maximum de volume en suivant ce
type de stratégie, mais je me pose une question dont je fais part aux intervenants : sommesnous incapables de penser le futur et d’imaginer des stratégies innovantes à côté de stratégie
de suiveurs ? C’est ce qu’on fait aujourd’hui en rentrant dans les cépages et dans les marques,
c’est une bonne stratégie qui est nécessaire pour développer nos parts de marché, mais n’y a-til pas aujourd’hui de stratégie innovante possible ? J’ai entendu, un peu avec surprise tout à
l’heure, qu’il fallait laisser tomber ce segment de consommateurs britanniques qui
consommaient très peu et qui essayaient de faire des économies. Ne faut-il pas, au contraire,
s’intéresser à eux en premier lieu, les éduquer, leur apprendre, essayer de leur proposer de
nouveaux produits, ne s’agit-il pas là de nouveaux consommateurs potentiels, ne faut-il pas
établir des plans stratégiques sur 10 ans au lieu de continuer simplement à suivre ce qui se fait
déjà ?
De la salle
Si je puis me permettre, je trouve ça assez surprenant qu’on nous propose des plans à dix ans
alors qu’on est en train de crever. Il faut quand même être raisonnable.
De la salle (réponse Daniel Granès)
Institut Coopératif du Vin
Ce n’est pas l’un ou l’autre : je ne suis pas en train de dire qu’il faille faire l’un ou l’autre. Je
dis qu’à côté de ce travail nécessaire de développement sur le marché britannique, ne peut-on
pas aussi penser le futur ?
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean-Philippe PERROUTY
Je connais un peu l’histoire de la région, je viens des Corbières. Sur les AOC, dans les années
30, les Français avaient 70 ans d’avance mais dans le sens inverse.
Je m’explique : dans les cépages, pour faire de l’AOC il faut être dans une aire, il faut avoir
des cépages imposés. Vous n’avez pas le droit de faire n’importe quel cépage. Donc, le
cépage est une partie intégrante de l’Appellation d’Origine Contrôlée, on fait beaucoup
d’AOC, mais en France on ne fait pas que cela. Par exemple, concernant le Côtes du Rhône,
vous avez à peu près la moitié des consommateurs Anglais qui ne savent pas que c’est une
Région d’Origine, ils croient soit que c’est un cépage soit que c’est un style de vin. Il y en a
encore moins qui pensent que le Côtes du Rhône c’est, par exemple, « Grenache Syrah ». Je
suis peut-être un peu naïf ou bête, mais pourquoi est-ce qu’on ne met pas « Grenache Syrah »
sur le Côtes du Rhône, où est le problème, s’il y a du Grenache et de la Syrah dedans, et si en
plus il faut faire du Grenache et de la Syrah pour produire du Côtes du Rhône ?
Par contre, pour ce qui est des plans à 10 ans, je suis plutôt d’accord avec vous. Il faut que
quelqu’un prenne une décision et dise ce qu’il faut faire ! et l’argent que tout le monde se
distribue, c’est là qu’on va l’investir. Un plan à 10 ans ne signifie pas de continuer avec les
mêmes erreurs pendant 10 ans, mais au bout d’un an, il faut faire un état des lieux pour voir ce
qui a marché ou pas et corriger les erreurs éventuelles. Je pense, et cela est valable pour une
grosse marque type Chamarré qui vient de se lancer avec je ne sais plus quel budget, mais
c’est également valable pour des coopératives qui peuvent se regrouper : Inter Sud de France
est devenu manifestement Sud de France. Que les vignerons se regroupent pour mettre leurs
moyens en commun et établir un plan stratégique, cela me paraît cohérent.
M. Olivier PROTHON
Simplement pour enrichir le débat, on est passé de 12 litres à 24 ou 25 litres, c’est ce que je
disais tout à l’heure. Donc sur ce gain de 12 litres, il faut savoir que les 12 anciens litres d’il y
a 20 ans sont devenus un peu moins parce que les gens ont un peu vieilli, consomment un peu
moins, certains sont morts, etc. En revanche ce gain de 12 litres, en plus du déclin
démographique, s’est fait avec un véhicule simple puisqu’on avait des nouveaux promoteurs
de vins qui n’avaient pas la complexité des régions, pays, etc., donc ils se sont dit « le vin
c’est fait avec du raisin, et c’est du raisin français d’ailleurs, et donc ça fait bien. le CabernetSauvignon, le Chardonnay, tout cela a une consonance française », donc le marketing était
simple.
J’étais en Italie avant, la grande problématique c’était la viande. Il y a eu la crise de la vache
folle il n’y a pas longtemps, je n’ai jamais compris pourquoi on ne mettait pas en avant le
Charolais, le Limousin, le Blanc d’Aquitaine alors qu’en Italie ils mangent de la viande de
jeune bovin qui vient du Massif Central à 80%. J’ai réussi péniblement à monter une filière
sur le plus difficile : la Blonde d’Aquitaine née en France et élevée en Italie, je ne vous
raconte pas l’histoire parce qu’on en aurait pour trois jours.
Pour en revenir à nos vins, je disais simplement que le cépage c’est bien, c’est un véhicule,
mais actuellement le marché est en train de mûrir et c’est toute une opportunité pour nous.
Bien sûr, il me paraît évident, ça ne devrait même plus être sujet à débat, que de dire le Côtes
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ROYAUME-UNI & CHINE
du Rhône c’est de la Syrah et du Grenache, ou du Mourvèdre, etc. selon les cas. Il est évident
que ces véhicules sont, pour le consommateur, une bonne accroche et qu’à la limite, il en veut
un peu plus pourvu que ça soit présenté d’une façon simple. Quant à la contre étiquette, allez
dans les rayons britanniques, vous verrez bien qu’elle est devant !
Ce dont il faut parler maintenant, c’est de construire. On ne va pas faire des guerres de
chapelles sur les cépages, les appellations, on en n’a absolument rien à faire côté britannique,
côté consommateurs britanniques et côtés exportateurs bien entendu. Ce qu’il nous faut faire
c’est construire et innover. On a l’origine des cépages. Quand je fais des conférences aux
consommateurs britanniques, ils me regardent avec des yeux tout ronds, et je leur dit « vous
savez du Sancerre, c’est du Sauvignon ». Ça commence comme ça. Après on les prend par le
bout du nez et on les amène boire du Sancerre, du Sauvignon du Languedoc, etc., et l’affaire
est jouée.
Faisons bien nos vins, essayons de faire de bons mix.
Combien ça coûte ? Avant de parler des coûts, cherchons un partenaire. Ce n’est pas facile !
Et puis, les partenaires font des marques aussi, le problème se pose en terme de partenariat.
Ensuite, plus que le coût, raisonnons en terme de retour sur investissement, de façon à aller
voir le banquier et pouvoir négocier, c’est comme pour l’achat d’une maison.
De la salle
Bonjour, Philippe d’Allaines, abbaye de Valmagne, producteur. J’ai une question et une
réflexion. La question porte sur l’étiquetage : quelle est la tendance actuelle en cette matière ?
Est-ce qu’on reste sur l’étiquette traditionnelle type Bordeaux ou faut-il plutôt aller sur le
marché anglais avec des étiquettes très modernes type Nouveau Monde ?
M. Jean KOUCHNER
Avec une Tour Eiffel au milieu des vignes ?!
De la salle
Exactement. Une petite réflexion. Bientôt aura lieu la London Wine Fair. Le mètre carré y
coûte 550 €, les Espagnols, les Italiens, les Australiens qui vont y participer se voient
rembourser la moitié des prix de leurs stands et de leurs frais généraux par leurs pays
respectifs. Nous, en France, quand on va participer à cette manifestation, rien n’est payé. Je
pense que c’est peut-être une réflexion à avoir au niveau des élus du Conseil général, s’ils
veulent nous aider, nous producteurs, on est tout à fait partant pour aller travailler sur
l’Angleterre et sur tous les autres pays d’ailleurs je pense qu’on est capable de faire du bon
vin, mais c’est commercialement qu’on a besoin d’aide. Je pense que nous aider à aller nous
installer sur un beau stand à la London Wine Fair et nous payer une partie des frais est la
meilleur aide qu’on puisse nous apporter.
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ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
M. de Colbert, vos étiquettes sont-elles les mêmes ?
M. Henri de COLBERT
Question étiquette, j’ai deux réponses à donner. D’abord, j’ai des étiquettes très simples, il n’y
a pas grand-chose d’indiqué dessus si ce n’est la contre étiquette, et comme vous l’avez dit, la
contre étiquette est présentée devant. Mais sinon, j’ai marqué sur les étiquettes de vins « vin
issu du Vieux Monde », je l’ai même marqué en anglais. On affiche carrément qu’on est des
vins du Vieux Monde, en opposition au Nouveau Monde.
M. Jean-Philippe PERROUTY
Sur les étiquettes, je suis dans les études de marché, je m’y connais assez : bien malin est
celui qui pourra vous donner la recette. Personne. La seule recette ou réponse que vous
pourrez avoir c’est « j’ai une étiquette, je veux vendre à ces gens-là, on regarde ».
Je vais vous donner deux exemples. Blossom Hill a refait tout son packaging récemment, il a
fait un truc plutôt tourné vers les femmes, probablement 25 à 35 ans, avec des fleurs partout.
C’est très recherché, et d’ailleurs manifestement ça marche parce que Blossom Hill est loin de
se casser la figure. C’est un packaging très travaillé, très moderne, Nouveau Monde.
Maintenant l’autre star, Jacob’s Creek, 3ème ou 4ème en volume, mais dans nos enquêtes il
bénéficie du plus gros taux de notoriété en Angleterre, vous pouvez regarder les jeunes, les
vieux, les femmes, les hommes, tout ce que vous voulez : Jacob’s Creek est connu par 90 à
97% des consommateurs anglais de vin. Leur étiquette est on ne peut plus simple et plus
traditionnelle. C’est sur fond blanc, « Jacob’s Creek », Times New Roman sur Word,
« Jacob’s Creek » en noir, Cabernet-Sauvignon, et c’est tout, et ça marche vachement bien.
Donc, c’est ce que je vous disais, bien malin est celui qui donnera la recette.
On a présenté l’année dernière, à la London Wine Fair justement, toute une série de groupes
d’étude avec les jeunes consommateurs de18-24 ans, et on a un peu examiné la question des
étiquettes. L’une des principales conclusions qui s’impose, c’est qu’il ne faut surtout pas
essayer de « sur-marketer » les jeunes en faisant des étiquettes colorées, des étiquettes pour
« jeunes ». Cela ne marche pas, parce que les jeunes sont en l’occurrence les plus fidèles au
vins français, et l’on s’aperçoit que quand ils vont manger chez un copain ou chez leur
nouvelle belle-mère, ils vont acheter une bouteille à 6 ou 7 £ et comme ils ne connaissent pas
trop, ils vont prendre français. Mais à 7 £, pour ne pas se tromper, ils ne vont pas choisir une
étiquette bariolée. Maintenant, si vous voulez quand même le faire, je suis sûr que certaines
marcheront si elles sont bien faites.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Eric GASPARINI
Juste un mot sur mon expérience, celle de Jeanjean. Simple et traditionnel, cela me plaît bien.
Pour rappeler quelque chose qui a été dite ce matin, n’arrivez pas chez un acheteur de grande
distribution en disant : « voilà, simple et traditionnelle, voilà une belle étiquette, je l’ai fait
travailler, je suis sûr que ça va marcher » … Il faut prouver qu’elle va marcher par un test, par
un panel, par un focus group, etc. Tout doit avoir fait l’objet, pour l’approche GD, d’une étude
pour le marché britannique, donc pas d’approche franco-française.
M. Olivier PROTHON
Je voulais compléter par rapport à l’étiquetage, simplement pour dire, que nous avons
beaucoup parlé de Blossom Hill, sa cible clientèle, ce sont plutôt des clients récemment
introduits dans le vin, pas très connaisseurs, etc. et puis, Blossom Hill développe beaucoup le
principe d’aucune indication de cépage. C’est juste du Blossom Hill blanc, rouge ou rosé.
Alors que là, pour le rosé, c’est Wighting Hill… Tout ça pour dire que toute cette histoire est
simplement associée à ce qui va être plus facilement perceptible par le consommateur, et je
pense que cela évolue. N’oubliez pas que « blend » est très riche comme évocation ; il faut
simplement expliquer que nous faisons des assemblages qui s’appellent « blend », parfois cela
peut être vendeur si, bien sûr, l’on a fait un travail qui véhicule une marque, un repère, etc.
Dernière chose, je voulais me faire aussi l’écho d’une journée à laquelle mon voisin de droite
a participé, tout comme quelqu’un de chez Foncalieu le 17 octobre dernier, au cours de
laquelle des professionnels très avertis ont discuté avec des professionnels britanniques de la
distribution en particulier, et des grandes agences, sur le développement des marques en
France justement. Cela explique un certain nombre de choses. Je voulais simplement m’en
faire l’écho parce que je crois que c’est important : d’abord, on attend beaucoup de nous et les
Britanniques sont restés optimistes pour ce qui est de nos capacités à pouvoir répondre.
Deuxièmement, il y a beaucoup d’expériences qui ont démarré au Royaume-Uni. C’est ce que
j’expliquais tout à l’heure : il faut avoir des partenaires qui le font. Troisièmement, un certain
nombre d’appellations sont déjà des marques et elles sont même perçues comme telles chez
nous, et donc souvent, c’est presque une opportunité parce qu’on peut construire à partir de
quelque chose qui démarre, ou à partir de certains éléments qui ont des points dominants,
comme une coopérative qui couvre par exemple Fitou, C’est aussi à prendre en compte.
Autrement dit, regardons ce qui est déjà prêt à l’emploi par rapport à ce que veut le marché.
Enfin, je reviens à l’histoire du coût, il est en rapport avec ce qu’on peut faire, c’est-à-dire une
marque ombrelle par exemple comme l’a fait Bourgogne avec Blason de Bourgogne, c’est
bien entendu moins coûteux que les grandes marques australiennes, et ça fonctionne. Il y a
donc de la place pour la diversité. Les marques servent à faciliter l’accès au vin.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Alain CARBONNEAU
Je voudrais revenir sur le vin lui-même au travers de quelque chose dont personne ne parle me
semble-t-il, qui est la physiologie du consommateur. M. Perrouty en a peut-être parlé lorsqu’il
a indiqué que sur le marché anglais le vin se consommait en tant qu’élément de détente. Je
crois que le fait de le dire peut orienter vers l’étude de l’état physiologique du consommateur.
Je vais prendre un exemple qui est lié à l’évolution des goûts, nous sommes sur une certaine
tendance me semble-t-il. J’ai appris cela quand j’étais à Bordeaux, où les Bordeaux
traditionnels finalement sont moins bien perçus - ça c’était il y a trente ans - et les Bordeaux
eux-mêmes ont évolué, les caractères Merlot sont mieux prisés que les caractères CabernetSauvignon qui sont considérés comme austères et intellectuels, du moins ceux du Bordelais.
Nous avons franchi une autre étape, notre goût a changé, on nous a édulcoré le palais, il y a du
sucre partout maintenant, je crois qu’il faut en tenir compte. Est-ce qu’on peut aller contre
cela ? C’est une question que j’adresse au panel. Je ne sais pas. En tout cas, je pose cette
question et je constate. Personnellement, je l’ai fait au moins une cinquantaine de fois, j’ai
piégé des consommateurs traditionnels tout simplement avec des vins australiens. Il y avait
des copeaux, oui, il y avait 14° d’alcool, oui, mais les gens aiment la sucrosité. Et peut-être
que ça fait partie de la détente. Les vins français - heureusement qu’il y a toujours des
amateurs - sont considérés comme des vins intellectuels. Il faut un peu se prendre la tête pour
découvrir tous les aspects, pour remonter au terroir et dire « ah oui ! Là j’aperçois quelque
chose du terroir ». C’est très bien, mais le vin se consomme de plus en plus dans des
occasions de détente et il faut changer notre conception du vin si l’on veut regagner des parts
sur le marché. C’est pour moi la base de physiologie finalement du goût. Alors je voudrais
connaître un peu votre réaction.
M. Michel BATAILLE
Ce que vient de dire Alain Carbonneau est extrêmement important. On a pu nous aussi, et il y
a des gens dans la salle qui étaient là quand on l’a fait, constater et piéger sur une dégustation
de Cabernet, justement parce que on sait tous que le Cabernet languedocien est beaucoup
moins apprécié des consommateurs que les Cabernet par exemple chiliens ou australiens. On
avait donc fait à l’aveugle, avec un jury d’œnologues et des gens de l’Institut du Goût de
Tours, une dégustation de Cabernet très bien vendus en Angleterre, des Cabernet australiens,
chiliens, et des produits de chez nous, y compris des Foncalieu. Désastre ! Les vins français y
compris des vins de caves particulières très côtées, arrivaient en dernier, systématiquement.
Et, grosse surprise, le numéro un était chilien, ça on s’y attendait, le numéro deux Yellow
Tail, dont on dit partout que c’est une infâme soupe. Certains ont même dit de ce vin qu’il
était désalcoolisé...
Je vous donne une piste de progression : 14°, donc des vendanges mûres. Je sais bien qu’ici
les Cabernet se font au mois d’octobre et qu’il pleut, et que l’évolution du climat fait qu’il
pleuvra encore plus à cette époque-là ; et des IPT inférieurs à 55, donc des durées de
macération courtes. Vous regarderez les deux fiches techniques qui sont jointes à vos dossiers
et vous regarderez les durées de macération, c’est 5 jours pour les Lindeman’s et consorts.
Donc, Alain Carbonneau a parfaitement raison, aujourd’hui on est dans un monde du
« sweet », du « soft », et il faut des vins plus légers mais pas forcément avec moins d’alcool.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Après, le marché des vins faiblement alcoolisés est un autre marché dont je parlerai tout à
l’heure, mais les vins qui se consomment sont souvent des vins qui sont alcoolisés. Attention,
l’alcoolisation n’est pas la cible : ce niveau d’alcool correspond à un niveau de maturité.
En ce qui concerne les vins sucrés, on a piégé une œnologue australienne qui travaille pour
Bibendum Wine Ltd, dans le secteur entrée de gamme, à qui nous vendons 2 millions de cols
par an. On lui a proposé nos vins de façon classique, et puis on lui a proposé un rosé avec une
base de Syrah, sachant qu’il doit être plus coloré en Angleterre qu’en France. On y avait mis
12 grammes de sucre. Chaque année quand elle venait déguster, elle ne voulait pas de sucre
dans ses rosés puisque c’était réservé aux Australiens et Californiens, et pourtant, c’est le
produit qui est sorti en premier. Elle a dit : « oui, finalement vous avez raison, on va mettre du
sucre ». Même une œnologue australienne (elle a fait une partie de ses études en France) qui
travaille en Angleterre depuis 5 ans, est aussi polluée par cette image ringarde des vins
français : on ne met pas de sucre dans les rosés français. Cependant lorsqu’on les vend tels
quels, on en vend 2 ou 3 fois moins, et quand on rajoute du sucre sans leur dire, ils acceptent.
Il faut qu’on sorte de nos certitudes et qu’on fasse de même avec un certain nombre de gens
qui ont des certitudes sur les vins français. J’ai discuté avec Kevin Smith de chez Tesco qui
disait que pour les vins français, il faut des étiquettes traditionnelles, etc. Quand on lui
présente une série, il choisit la moins traditionnelle. Donc au-delà du discours général sur les
vins français, il faut se méfier car l’attitude plus opérationnelle des acheteurs est souvent
différente. Je ne dis pas qu’il n’y a pas ces tendances, mais quand je parlais de 4 grammes de
sucre sur les AOC - moi je n’en fais pas en tant que producteur - mais il y a des producteurs
d’AOC dans la salle, c’est interdit, mais pensez-y parce que sinon on boira des AOC en
Angleterre pour le cassoulet et du civet de sanglier. Et ce n’est pas ce qu’ils mangent le plus
fréquemment…
M. Jean KOUCHNER
Ou alors, c’est un domaine d’exportation pour l’Hérault, le sanglier ! M. de Colbert, vous
avez un commentaire ?
M. Henri de COLBERT
Sur le goût des consommateurs, Yellow Tail a très bien marché aux Etats-Unis, j’ai goûté et
personnellement j’ai trouvé ça infâme. Mon palais n’y est pas habitué, pour moi ils ont
déversé un camion de sucre dans la bouteille ! Mais ça a très bien marché aux Etats-Unis.
Donc je suis entièrement d’accord avec vous.
Ceci étant dit, les consommateurs vont former des attentes quand ils rentrent dans un magasin.
Ils vont voir une bouteille, ils vont former des attentes. Alors quand vous dites : « on piège les
consommateurs », évidemment qu’on le fait. J’ai même vu des études à l’Agro faites par
François Deville, où on a piégé des œnologues sur les goûts : vins blancs coloriés en rouge où
l’on retrouve des odeurs de vins rouges… Evidemment qu’on les piège, parce qu’ils forment
des attentes : Chili, France…
En France, l’attente qu’on retrouve souvent dans les focus group est « hit or miss », c’est-àdire, ça va être très bon ou très mauvais. C’est la fiabilité du goût. Ils vont former des attentes,
on ne voit jamais un consommateur rentrer dans un magasin chez Tesco, en fermant les yeux,
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avec un tire-bouchon et à goûter les bouteilles pour choisir celle qu’il aimera. Cela n’arrivera
pas. Il va choisir d’abord une étiquette. Après il faut que ça soit bon parce que sinon il n’en
achètera plus. Mais dans la distribution, sur le Royaume Uni en tout cas, je crois qu’on peut
dire qu’il y a déjà un problème d’éliminé : il n’y a plus de mauvais vin sur les étagères, car les
mauvais vins ou ceux qui ont des défauts sont sortis très rapidement.
Après on peut s’adapter au goût sucré. 92% de la croissance enregistrée sur les vins rosés en
Grande-Bretagne concernent essentiellement 2 marques : Gallo et Blossom Hill. On voit
même des marques de rosé, des appellations ou des régions régresser, dans un marché en
expansion. Le sucré marche bien évidemment ; alors pourquoi ces deux marques ?
Si vous faites un goût très bon mais que l’image de ce que vous faites (c'est-à-dire ce qu’il y a
sur l’étiquette) est mauvaise et que les types n’aiment pas la France, ils trouveront que la
bouteille est mauvaise.
M. Jean KOUCHNER
On ne peut pas non plus tirer trop vers l’uniformisation, parce qu’à ce moment-là la vie
n’aurait plus de sens. Est-ce qu’on peut à la fois concilier les particularités et les qualités d’un
certain nombre de vins qui étaient des vins de terroirs et qui le restent, avec les exigences d’un
marché qui est…
M. Henri de COLBERT
Excusez-moi, mais les vins de terroirs (je ne suis pas sûr de savoir exactement de quoi on
parle) qui ont des caractéristiques, qui coûtent assez cher à produire, et sont donc vendus à des
prix assez élevés - pour simplifier au-dessus de 5 £ en Angleterre - progressent en vente. Les
vins français vendus en dessous de 5 £ et qui représentent 85% du marché régressent. C’est un
fait. Le problème des vins français ne se situe pas au niveau des vins de terroir. Evidemment
qu’il faut faire des efforts et qu’il faut s’adapter mais ils continuent à se vendre.
De la salle
Pierre Roch, cabinet Alter Vision. Ça m’intéresse de rouvrir un peu ce débat. Je regrette qu’on
ait, cela a été évoqué, très peu parlé de cette partie que nous évoquons maintenant, c’est bien
normal, je comprends qu’on ait d’abord parlé des grandes cibles, c’est-à-dire les cibles qui
vont intéresser beaucoup de gens et en particulier les marques, mais je me sens un peu frustré
parce que pour moi le vin c’est la diversité… M. Prothon en a parlé en disant qu’il y avait des
gens qui s’organisaient avec des marques ombrelles et voilà ma question : on a essayé de me
rassurer hier dans une grande messe à Mondiaviti à Vinitech à Bordeaux, en me disant « ne
vous inquiétez pas, il n’y a pas qu’un seul consommateur, il y en a beaucoup ». Mais
finalement, on les classe toujours dans des axes en disant qu’il y en a cinq ou six sur chacun
des marchés. Donc le vin n’est-ce pas la diversité ? Qu’en est-il justement ? Parce qu’il ne
faut pas aller avec une seule arme à la guerre. Qu’en est-il donc des initiatives faites par des
marques ombrelles telles que celles citées pour la Bourgogne ou autres ? Et pourra-t-on garder
une diversité à ce vin, même si l’on doit tenir compte de l’évolution des goûts des
consommateurs ?
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Olivier PROTHON
Je vous rejoins parfaitement. Je pense que, quand on prend conscience que nous rentrons dans
une période de maturité, s’agissant du marché britannique, il faut réfléchir. C’est un peu
comme si on prenait le rayon des conserves : tout d’un coup ça ne se vend pas plus. Regardez
ce qu’a fait Bonduelle : pendant 20 ans, il a essayé de régénérer l’idée et l’image de la
conserve. Je reviens au vin ; je pense que jusqu’à maintenant, la préoccupation du marché
britannique était de gagner plus de consommateurs, c’était donc assez simple. Je pense que
maintenant, le problème qui va se poser est de faire de la valeur avec plus ou moins les
mêmes volumes. Donc, la question française est reposée : l’intérêt pour la France est plutôt
bon, c’est à la France de se positionner. Je parle des off trade qui représentent 70% du
marché, s’agissant des grandes surfaces, et je pense que l’exemple de la maison de Bourgogne
pour la marque ombrelle peut être décliné sans doute sur beaucoup d’autres régions. On arrive
à vendre du St Véran que personne ne connaît sous une ombrelle de la maison de Bourgogne,
et on s’aperçoit que c’est une bonne option en rapport qualité/prix par rapport à un blanc
plutôt haut de gamme. Je pense qu’il faut réfléchir à ces deux exemples au niveau de
différents bassins de production. Une des approches des marques serait de proposer une
marque globale, autrement dit France. Je sais que des initiatives sont en cours et que la
France ne fait que commencer à s’exprimer. Donc je suis quand même assez confiant dans le
fait qu’à partir du moment où les opérations ont été faites avec suffisamment de réflexion en
amont et avec suffisamment de construction, on devrait y arriver. Je l’espère en tout cas.
Ensuite, le 2ème challenge pour la France est de structurer des choses simples, « easy access to
diversity », l’accès facile à la diversité. On doit rester dans la diversité, c’est sûr, c’est notre
nature et il n’y a aucune raison de la changer. Le marché du vin est un marché qui recherche
la diversité, mais il y a tout ce travail à faire pour faire rentrer la grosse corde dans le chas de
l’aiguille. Ce n’est pas simple… Mais je n’ai jamais connu de marché facile.
M. Michel BATAILLE
Pour compléter et nuancer le propos que je tenais tout à l’heure, je voulais ajouter que le
problème n’est pas celui de l’uniformité, mais celui de l’homogénéité. On peut être diversifié
sur une offre homogène. Or, l’offre française ne l’est pas, elle est complètement éclatée. Ça
rejoint également le propos qui était tenu par M. d’Allaines. On se rend en ordre dispersé à la
London Wine Fair, ou ailleurs comme à Prowein, et on voit que les Australiens, eux, avancent
en tant que Wine of Australia. Ils sont ensemble, à part une ou deux entreprises qui sont multi
pays, comme South-Corp à l’époque, avant qu’ils ne soient rachetés, qui proposaient à côté
des vins italiens. Le problème est de trouver, non pas une marque ombrelle, mais une
dénomination large. Moi, je suis favorable à Vins de France dans les vins de pays, parce que
sinon on va passer à la trappe, mais il faut absolument que Sud de France émerge, et j’ai
certaines craintes dont j’ai parlé tout à l’heure.
Quant à la diversité, et ça a été évoqué tout à l’heure par quelqu’un d’autre de l’ICV, il faut,
bien entendu, et cela se fait dans toutes les entreprises, que vos produits star génèrent du cash
pour investir dans les produits de demain. Il faut qu’aujourd’hui nos cépages et nos marques,
alors qu’on n’est pas bien implanté, génèrent du cash parce que ça ne va pas s’arrêter du jour
au lendemain. J’ai le souvenir d’un grand responsable qui disait il y a 7 ans à une assemblée
générale de la CCVF qu’il fallait axer la communication sur les cépages, et malheureusement
ou heureusement, on voit que ça continue. Donc les choses n’évoluent pas non plus très vite,
mais il faut construire pour demain. Cette construction doit se faire certes dans la diversité,
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mais aussi sur des choses communes. Et on peut concurrencer les pays du Nouveau Monde
avec du Sauvignon, du Merlot, mais avec une touche française ou languedocienne. Par contre
il faut que cette touche soit reconnaissable, or là on est hétérogène car il y a des choses qui
sont très adaptées au marché et d’autres qui ne le sont pas du tout. Des Merlot qui sont rentrés
à 12°5, qui sentent la pyrazine ou des Cabernet qui sentent la pyrazine, ce n’est pas très
vendeur.
Deuxièmement, pour revenir sur le White Zinfandel et le Pinot Grigio, avec lequel les Italiens
font un tabac, même en Allemagne, notamment grâce au nombre important de pizzerias qui y
sont implantées, il manque pour le Languedoc et pour la France un cépage emblématique.
Chili, Carmenère ; Australie, Syrah ; Pinotage pour l’Afrique du Sud, Malbec pour
l’Argentine, Tannat pour l’Uruguay, Zinfandel pour les Etats-Unis, Sangiovese pour les
Italiens, Tempranillo pour les Espagnols, Languedoc Roussillon ??
Quelqu’un avait posé la question à Alain Carbonneau il y a 3 ans ici même, et il avait alors
répondu Marselan. Mais où en est-on aujourd’hui ? Je peux vous dire pour répondre à la
question sur la diversité qu’on a lancé une marque en Angleterre et en Europe depuis un an, et
qu’on l’a voulue hors « big five », c’est-à-dire qu’on ne présente que des cépages ne figurant
pas dans les cinq plus grands cépages : en blanc on a eu un Marsan et un Vermentino et en
rouge un Marselan et un Malbec, le tout présenté dans un packaging soigné. On a fait
d’ailleurs un test consommateurs chez Sainsbury’s, qui d’ailleurs était un peu inquiétant, sur
la France mais les résultats sont confidentiels et je ne pourrais en parler que l’année
prochaine. Ces cépages-là ne sont pas connus. On est rentré chez Fooler’s (30 pubs en
Angleterre), mais grâce à l’appui à la vente. Chez Sainsbury’s, Abigael, l’acheteuse, trouve ça
très bon, mais vu que ce n’est pas reconnu… Et quand on dit Malbec, tout le monde pense que
c’est un vin argentin. Est-ce que c’est un mal d’ailleurs ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est parce
que j’ai un ingénieur agronome argentin ? Je ne sais pas. Mais voilà, on essaie de trouver cette
diversité là, on peut aussi la décliner sur les appellations, mais il faut qu’on trouve la « French
touch » ou la « Languedocenian touch », et c’est important.
M. Jean KOUCHNER
Encore une ou deux questions si vous le souhaitez avant que nous passions à l’étape suivante.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
De la salle
Serge Azais, vigneron. Deux choses : je m’aperçois qu’il y a quand même un marché des vins
traditionnels et un marché qu’on peut appeler de vins très technologiques, qui est surtout
d’orientation australienne , voire chilienne ou californienne. Je pense que ces deux marchés
ont de la valeur ajoutée. Je voudrais demander à propos de ces vins technologiques si dans le
futur ils seront capables de générer du revenu à nos viticulteurs ? Je me pose cette question.
Vu qu’aujourd’hui on rentre dans une viticulture industrielle, je me demande si c’est vraiment
le devenir de la France ? Peut-on aujourd’hui s’autoriser à faire cela en Languedoc ? Et
quelles sont les limites du vin ? Où doit-on placer la frontière ? Où est-ce qu’on va dans les
pratiques œnologiques ? Faut-il qu’on vende de la limonade bientôt pour assurer nos revenus
par ce biais ?
M. Jean KOUCHNER
Si les viticulteurs veulent non seulement vendre des produits mais en plus générer des
revenus, alors où va-t-on ?
M. Michel BATAILLE
La question de Serge m’était adressée, c’est un vieux débat qu’on a d’ailleurs tous deux.
Evidemment, je suis en costume et ça change de l’époque où j’étais en bleu, voire avec une
cagoule au Comité d’Action Viticole. Mais le cheminement intellectuel est finalement le
même : c’est celui d’assurer le meilleur revenu au producteur du Languedoc-Roussillon. Je ne
crois plus aux grandes manifestations de masse, où l’on descendait dans la rue et cassait
quelques trucs. On faisait de la distillation et ça fonctionnait comme ça. On sait bien que ça
c’est fini ; aussi bien en terme d’image que de moyens financiers de l’Etat ou de l’Union
Européenne.
Ensuite, il faut se battre. Pour cela il y a deux solutions. C’est la ligne Maginot que j’évoquais
au début en disant que, finalement, on fait du vin depuis 25 siècles ici, et ce n’est pas les
Australiens qui vont nous l’apprendre. Mais malheureusement on constate tous les jours qu’en
Angleterre, pays dont on parle aujourd’hui mais également dans un pays très traditionnel
comme la Belgique, on est attaqué de toutes parts par ces vins-là. Donc je le dis de nouveau :
c’est une période qui ne durera pas forcément pendant 20 ans. Je sais bien qu’on ne plante pas
des salades mais il faut s’adapter en permanence, ce sont les fameuses matrices de Boston : on
nous fait payer fort cher quand on fait intervenir des cabinets d’intelligence économique sur
ce problème, mais vous savez qu’Ernst and Young notamment, a fait beaucoup d’études en
France qui ont coûté fort cher et qu’on n’a d’ailleurs pas utilisées.
Donc, par rapport à cela Serge, j’allais dire qu’il y a le côté militant que tu peux avoir et que
je peux avoir quand j’enlève la cravate dans telle ou telle association, lorsque nous annonçons
que nous sommes contre la mondialisation , ou en tout cas qu’on en veut une qui soit
différente, et puis il y a la réalité de « chef d’entreprise », qu’on soit président de
coopérative, patron d’un secteur commercial ou vigneron, qui doit constater la réalité du
moment, même si on n’est pas d’accord sur le principe. On se bat au niveau des partis
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politiques, au niveau social, et, d’un autre côté, on doit assurer du résultat pour ses salariés et
pour ses producteurs. Aujourd’hui et pour les 5 ans à venir, la confrontation mondiale se fera
sur les marques et sur les cépages, même si on peut sentir quelques frémissements mais qui
sont de l’ordre de quelques pourcentages et qu’une fois de plus (Henri de Colbert n’est pas
dans cette problématique mais, nous, il faut qu’on vende 400 000 hectolitres), on ne les
vendra pas que sur Internet. D’après l’étude qu’a faite Viniflhot sur la compétitivité
économique, il est vrai qu’en France on n’est pas si pénalisé par nos coûts, on l’est surtout par
des rendements qui sont trop faibles, et, pour les vins de pays, par l’absence d’irrigation. Cette
absence d’irrigation sera encore plus cruelle dans les 5 ans à venir par le réchauffement
climatique, je vous conseille de voir le film d’Al Gore, Une si dérangeante vérité. Il faut
qu’on puisse réagir à cela. Je préfèrerais qu’on s’en sorte tous avec 15 ou 12 hectares et 60
hectolitres à l’hectare, mais aujourd’hui ce n’est pas possible, sauf sur les marchés de niche.
Mais pour le reste, c’est-à-dire le cœur du marché et de la production, il faut aller se battre
face aux Australiens et aux Chiliens.
Pour terminer, simplement, et ça sera l’introduction de cet après-midi consacré à la Chine, une
pensée d’un stratège chinois Sun Tzu, qu’on cite souvent en stratégie qui dit : « ne vous
attaquez pas à votre adversaire mais à sa stratégie ». Alors stratégie : il y a confrontation
frontale, qu’il faut contourner différemment selon les endroits. Mais malheureusement, la
mondialisation s’impose à nous, chefs d’entreprises, et à tous les niveaux.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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CONCLUSION DE LA MATINEE
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Bataille. Alors, nous sommes arrivés aux termes de cette matinée. D’autres
interventions auront lieu cet après-midi sur ces questions, bien que s’appliquant à un autre
marché. Nous verrons néanmoins qu’il y a sans doute des démarches communes. Je voudrais
demander à M. Cabanel, qui est délégué à la viticulture et Conseiller général du canton de
Servian, de tirer quelques enseignements de cette demi-journée.
M. Henri CABANEL
Conseiller général - Délégué à la viticulture
Je ne vais peut-être pas tirer les enseignements de cette demi-journée et laisserai le soin à
Hervé Hannin de faire la synthèse à la fin de la journée. Je voudrais simplement remercier les
intervenants de ce matin et ceux à venir cet après-midi. Quand je vois l’attention qu’a eue
l’assistance aux propos et aux exposés qui ont été faits, je les remercie et notamment des
interrogations qu’ils ont pu amener. Cela permet un début de réflexion pour pouvoir énoncer
des idées et des nouvelles stratégies qui pourront nous sortir du tunnel.
Je voudrais essayer en quelques mots de vous parler du travail réalisé au sein de
l’Observatoire viticole, et en particulier cette année, sur deux axes essentiels : au niveau du
groupe foncier, et au niveau de la veille concurrentielle.
• Au niveau du groupe foncier, vous savez que nous avons signé un protocole d’accord qui va
rentrer concrètement en vigueur d’ici peu de temps au niveau des entreprises, et qui a été
signé sur deux axes concernant l’arrachage. Je voudrais tout de suite dire que ce n’est pas
parce qu’on a mis ces actions en place que le Conseil général est pour l’arrachage. Je veux
d’emblée vous dire que le Conseil général veut garder une viticulture forte sur son
département, mais malheureusement la situation économique fait que l’arrachage va
effectivement avoir lieu ; il y en a déjà eu l’année dernière et on annonce autant d’hectares
arrachés cette année. Avec la profession et au travers de la commission foncière, nous avons
décidé que plutôt que de subir cet arrachage nous préférerions l’organiser sur deux axes :
- d’abord sur les arrachages constatés, et il s’agit là d’une compétence du Conseil
général : nous avons déterminé 10 zones dans le département sur lesquelles nous
allons commencer à travailler sur une restructuration parcellaire, mais ce avec une
volonté locale pour arriver concrètement à réussir ces projets là,
- ensuite, nous souhaitons essayer d’anticiper en amont cet arrachage et éviter ainsi la
fragilité des entreprises économiques sur le territoire. Nous avons donc décidé d’aider
une dizaine d’entreprises. L’appel à projet a été lancé et d’ici la fin de l’année nous
connaîtrons les entreprises qui ont été retenues. Nous travaillerons avec elles à travers
des échanges bilatéraux et une animation qui leur permettra de faire une étude sur leur
territoire.
• Ensuite, le deuxième axe, et qui sera certainement l’un des axes principaux du travail qui
sera effectué l’année prochaine à travers l’Observatoire viticole, c’est la veille concurrentielle.
J’aimerais vous lire un peu tout le travail qui a été fait cette année grâce à une étude menée
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
par le cabinet Spotter. Il est ressorti de la réflexion du groupe de travail qu’on devrait
répondre à 4 besoins fondamentaux :
- disposer d’une vision globale du marché, de la concurrence et identifier les bonnes
pratiques ;
- obtenir les informations sur la stratégie des concurrents et son application
opérationnelle dans les ventes et les stratégies marketing ;
- identifier les forces et les faiblesses de l’image des vins français afin d’adapter une
stratégie de communication si nécessaire ;
- et enfin connaître en détails le consommateur français et étranger afin d’anticiper les
changements et d’adapter les produits par rapport aux offres, ce qui a été largement
exposé ce matin.
La réponse à ces besoins doit se traduire par la mise en place d’outils ciblés permettant
d’obtenir des informations plus ou moins détaillées sur :
- les aspects économiques et la stratégie des pays et entreprises concurrents ainsi que les
clients actuels et potentiels des vins de la région,
- la politique tarifaire et les stratégies marketing des concurrents tant sur le plan national
défini par le gouvernement qu’à l’export : promotion, commune, etc., et par les
entreprises concurrentes,
- l’image des vins français, des vins de la région, en comparaison avec les vins
concurrents en France et à l’étranger,
- et enfin, le consommateur notamment au niveau des comportements et cela a été
largement exposé sur les consommateurs du Royaume Uni, des tendances et des
modes mais aussi sur des informations plus larges dépassant le secteur viticole, par
exemple le niveau de consommation d’autres produits tels que les boissons gazeuses,
etc.
Pour répondre à ces différents besoins et enjeux, nous préconisons donc une approche
combinant la mise en place d’un réseau de veille régional, associant tous les acteurs du
secteur viticole qui souhaitent participer à cette démarche afin d’accroître les échanges et le
partage des connaissances. On s’est rendu compte que certains organismes détenaient des
informations mais avaient tendance à les garder pour eux alors que nous souhaitons
effectivement qu’ils puissent les partager avec nous. Nous avons donc besoin d’une cellule de
veille professionnelle capable de récolter, traiter et analyser des informations qui seront
obtenues par les outils de veille mis en place, et de mettre en place son réseau propre. Nous
avons également besoin d’outils de veille allant de fiches de pays à une lettre mensuelle mise
à la disposition des membres du réseau dans un espace réservé au niveau de notre site de
l’Observatoire.
Le projet de réflexion sur la mise en place d’outils de veille concurrentielle a fait émerger le
fait qu’il faut élargir le concept à la veille sectorielle également, afin que le système mis en
place prenne en compte l’ensemble des besoins en informations des acteurs viticoles du
département et du Conseil général de l’Hérault. C’est dans cette perspective que nous avons
présenté un système composé de 4 axes regroupant les outils de veille que nous proposerons
d’activer, et les outils ou actions déjà engagés et mis en place par l’Observatoire viticole. Une
cohérence de l’ensemble du dispositif a été recherchée. Le cahier des charges de la veille
concurrentielle est un outil d’orientation stratégique pour l’Observatoire viticole. Les facteurs
de réussite majeurs du projet sont :
- l’implication effective des partenaires car ce sont eux qui vont, en partie, contribuer au
développement des outils, notamment grâce à la mise en place d’un réseau, mais aussi
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les utiliser et les appliquer dans leur réflexion stratégique. Ceci a toujours été le but de
l’Observatoire ;
des moyens humains supplémentaires par la mise en place d’un partenariat avec les
institutions professionnelles, des Universités et des centres de recherches qui
détiennent, comme je vous le disais tout à l’heure, des informations qu’ils ne partagent
pas toujours ;
le Comité du Bassin du Languedoc-Roussillon qui a pour mission de mettre en place
un observatoire économique, et nous pouvons recommander que la veille
concurrentielle et sectorielle - mise en place par le Conseil général de l’Hérault puisse s’intégrer dans ce cadre ;
l’approche du projet par étapes, en validant progressivement les différents outils mis
en place et en procédant à un contrôle qualité systématique des outils, ainsi qu’à une
évaluation régulière de leur pertinence et utilité opérationnelle pour les acteurs du
secteur viticole du département.
Donc, vous voyez que c’est quelque chose d’assez compliqué… Tout cela n’a pas encore été
mis en place, mais notre volonté est d’y aboutir, donc nous nous y appliquerons cette année ;
et c’est l’Observatoire viticole qui arrivera à coordonner toutes ces actions. Pour répondre
maintenant, avant de conclure, à la question qui a été soulevée tout à l’heure par un
producteur concernant les aides du Département, sachez qu’effectivement nous aidons le
secteur à faire en sorte que certains producteurs aillent sur des marchés à l’étranger, mais
qu’au niveau des élus que nous sommes, nous devons avoir en face une profession organisée,
tel que ceci a été souligné par certains intervenants, car il y a beaucoup de divergences :
malheureusement on s’aperçoit donc que la profession n’est pas organisée comme on le
souhaiterait. Quand on regarde sur le département de l’Hérault où il y a à peu près 1000 caves
de vignerons indépendants et 90 caves coopératives, il nous serait difficile de les aider
individuellement. C’est pour cela que nous avons préféré, à travers notre règlement, aider les
syndicats de crus ou les syndicats de vins de pays à s’organiser afin qu’ils puissent arriver à
faire effectivement des salons à l’étranger. Nous rentrons dans ce cadre-là et je vous conseille
de vous renseigner afin de voir s’il y a un syndicat, sur votre territoire et sur votre secteur, qui
serait capable de réaliser une opération telle que celle que vous préconisez. C’est tout à fait
faisable dans notre règlement.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que, malgré la crise importante que subit notre
région, à travers le travail qui a été effectué au niveau de l’Observatoire, nous avons montré
que nous sommes capables, avec les différentes organisations professionnelles et tous les
professionnels, de mettre en place des actions cohérentes et concrètes pour notre viticulture :
je viens de citer 2 axes majeurs.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont participé aux différentes réunions de groupes de
travail, pour leur fidélité et leur assiduité en 2006, et je les encourage fortement à être aussi
assidus et fidèles pour l’année 2007. Notre défi principal en 2007 va être la mise en place de
cette veille concurrentielle. Enfin, je tiens à remercier mes collègues et le premier d’entre eux,
le Président Vezinhet, qui prendra la parole immédiatement après, pour l’importance qu’il
donne à la viticulture de ce département, et pour l’écoute qu’il a par rapport à la profession et
aux professionnels, notamment en ce qui concerne l’évolution de cette crise. Je voudrais aussi
remercier tous ceux qui ont organisé cette journée de colloque, cette année tout comme les
deux années précédentes d’ailleurs, qui sont des gens fidèles au poste : je veux nommer M.
François Boudou de l’Institut Coopératif du Vin, Hervé Hannin et Alain Carbonneau bien sûr,
ainsi que toute l’équipe avec laquelle je travaille tout au long de l’année, c'est-à-dire l’équipe
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ROYAUME-UNI & CHINE
de Jean-Paul Storaï : je vais essayer de les nommer seulement par leurs prénoms en espérant
n’en oublier aucun : Marie-Claire, Isabelle, Charlaine, Christophe, Sébastien, Bruno, Thierry,
Mohamed, sans oublier Cécile du cabinet et bien sûr, l’animateur de l’Observatoire, Grégory
Autin qui nous est très précieux dans l’animation de cet outil. Enfin, je vous remercie, vous,
de votre participation et vous donne peut-être rendez-vous l’année prochaine. Merci.
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ROYAUME-UNI & CHINE
PRESENTATION DES VINS LES PLUS VENDUS AU ROYAUME-UNI ET EN
CHINE
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Cabanel. M. le Président est arrivé, il vous a écouté attentivement, j’imagine que ça
lui inspire un certain nombre de choses. Nous allons à présent procéder, j’allais dire au
meilleur moment bien que le meilleur soit le moment intellectuel, à la dégustation. Il n’y a
pas de moment intellectuel savoureux sans dégustation. M. le Président, je vous laisse la
parole.
M. André VEZINHET
Président du Conseil général de l'Hérault
Merci de m’accueillir à l’issue d’un débat qui est arrivé jusqu’à moi dans les étages, même si
je n’ai pas pu y participer. Je me trouvais 2 étages au-dessus où je recevais de nombreux
maires du département de l’Hérault. Nous avons évoqué le problème de la viticulture puisque
c’est un problème qui est un dénominateur commun des nombreuses préoccupations dans
cette région et dans ce département. Ce que j’ai perçu comme écho de vos débats de ce matin,
c’est que la parole avait été libre et que par moments elle avait été dure et cruelle à entendre.
Pourtant elle était la traduction d’une réalité qui est celle de la filière vin française
aujourd'hui.
Présentation des 5 vins étrangers.
ROYAUME UNI :
LINDEMANS BIN 65 - CHARDONNAY
Il s’agit d’un vin du sud-est de l’Australie, qui est très prisé par les consommateurs anglais, et
qui est d’ailleurs en tête des ventes au Royaume-Uni. C’est un Chardonnay 2005 vendu 12 $
australien. Il développe en nez des arômes de fruits tropicaux et de délicates notes d’agrumes
et de figue, il est légèrement marqué par une note épicée, douce et ample due à l’élevage en
barrique. Ces caractéristiques gustatives sont habituellement celles du Chardonnay, à savoir
des fruits à noyaux à chair blanche, d’agrumes et de miel. Voilà ce qu’est le Lindemans et
pourquoi il a le succès que je viens d’indiquer.
YELLOW TAIL - MERLOT
Vient après le Yellow Tail. Il s’agit également d’un vin du sud-est de l’Australie vendu 9,95 $
US. C’est un Merlot 2005. Son nez, dit-on, est garni avec des arômes de prune mûre et de
groseille ainsi que des touches de chêne épicé et vanillé. Il est souple en bouche avec une
domination de notes fruitées, de saveur de cake aux fruits et de prune mûre. Son final est
fluide avec des notes de caramel. Voila qui nous incite à le consommer dans un moment.
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CASILLERO DEL DIABLO – CABERNET-SAUVIGNON
Le troisième des plus vendus au Royaume-Uni est un vin chilien, le Casillero Del Diablo. Il
est vendu 7 $US. Il s’intègre dans l’appellation Central Valley avec 100% de CabernetSauvignon. Il a, au dire des dégustateurs, un nez réduit ; il développe des arômes de cassis,
groseille, cerise noire, prune noire avec des notes de vanille, moka et de café torréfié.
CHINE
Viennent ensuite deux vins chinois, qui sont les plus vendus en Chine.
DRAGON SEAL – CABERNET-SAUVIGNON
Le Dragon Seal fait partie de l’appellation Huailai (Est de la Chine), ses cépages sont à 70%
de Cabernet-Sauvignon et à 30% de Merlot. On y retrouve des senteurs de fruits rouges et de
cerise légèrement boisée.
GREAT WALL CABERNET-SAUVIGNON
Le dernier de ces cinq vins est le Great Wall qui provient de la province de Hebei. C’est un
Cabernet-Sauvignon. Il est qualifié de vin léger, axé sur les fruits rouges.
Je suppose que tout cela vous a donné envie de déguster, je vous laisse donc au plaisir de la
dégustation.
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ROYAUME-UNI & CHINE
PRESENTATION DE LA VITICULTURE CHINOISE
M. Alain CARBONNEAU
Mesdames et Messieurs, bonjour. Nous allons partir pour un long voyage sur ce continent
chinois, ce monde à part qu’est la Chine. Attachez bien vos ceintures, ça va parfois un peu
décoiffer. J’espère que vous découvrirez de nouvelles choses.
En guise d’introduction, et avant de vous donner quelques clichés, je pense que le vin n’est
pas très loin de la philosophie, notamment de la philosophie chinoise. Voilà une méditation
taoïste que je livre à votre sagacité : « lorsque vous buvez de l’eau, souvenez-vous de sa
source, lorsque vous buvez du vin, souvenez-vous des conditions, des cépages, des terroirs qui
ont conduit à son élaboration ».
Je crois qu’au-delà des aspects d’organisation, il y a une façon de voir le monde, qui est soit la
consommation immédiate - le zapping - soit un certain respect de la nature, et une envie de
savoir ce qui se passe lorsque l’on consomme un produit. A ce niveau-là, les Chinois ont
certainement beaucoup à nous apprendre.
Le nom Chine a été donné par un empereur nommé Quin (se prononce « Chin » en chinois)
qui a vécu près de 300 ans avant notre ère et qui a unifié la Chine. Je crois que l’esprit de cet
empereur y est resté jusqu’à nos jours. Il y a des états, des populations, des religions, des
races, des cultures extrêmement différents en Chine, et il y a une main de fer depuis cette
époque, qui assure une cohérence. Sinon il y a bien longtemps que la Chine aurait explosé, et
je pense qu’elle n’est pas près de le faire. Cet aspect impérial est encore d’actualité, même si
la connotation est différente, je voulais le rappeler.
Les questions que nous nous posons, nous qui sommes extérieurs à ce monde qu’est la Chine,
sont par exemple : est-ce que la Chine représente l’enjeu d’un marché export colossal ou bien
est-ce qu’il n’y a pas un risque d’être concurrencés, d’une manière extrêmement agressive,
par les dragons chinois ? C’est tout l’enjeu du débat et pour ma part, je n’ai pas de réponse.
Quelques clichés
- La Chine est un pays très traditionnel, même les péages d’autoroute sont de style chinois.
L’architecture traditionnelle chinoise est présente partout dans le paysage chinois.
- Concernant la main-d’œuvre, la vendange est faite à la main ; j’ai rarement vu des
vendangeurs ou des vendangeuses habillés de cette façon (n.d.l.r.en costume traditionnel). En
tout cas, il y a une importance considérable de la main-d’œuvre ; on est pris en Chine par une
masse de femmes et d’hommes, et ils affichent toujours ce besoin de se ressourcer par rapport
à la tradition, qui est maintes fois affichée. Ce qui explique peut-être ce besoin de maintenir le
contact avec la tradition, c’est l’explosion, notamment dans les grandes villes, de la croissance
architecturale et de l’activité économique et sociale.
- Notre école est en collaboration officielle avec l’Université du Ningxia à Yinchuan et nous
sommes un peu jaloux des moyens dont ils disposent, je le dis au passage, qui sont
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absolument considérables. Le gouvernement du Ningxia a donné sa priorité d’investissement
à la recherche et l’enseignement supérieur.
- Les chinois sont de parfaits imitateurs, et ce très souvent. Je crois reconnaître quelque chose
comme Margaux, mais c’est en Chine. (n.d.l.r. photo d’un chai)
Bassins de production
Cette introduction étant rapidement brossée, voilà la présentation des bassins de production en
Chine :
- Le Jilin, situé au nord-est de la Chine, est une région très froide et assez peu
productrice,
- en dessous nous trouvons le Hebei, ou le district de Shasheng,
- ensuite vient la région autour de Beijing, qui s’appelle le Bohai et qui rassemble la
zone côtière du Tianjin et la presqu’île, dont beaucoup de gens parlent, du Shandong
avec la ville de Yantai,
- trois états situés en dessous font également de la viticulture, et même du vin, et
correspondent à ce qu’on appelle l’ancien lit du Fleuve Jaune, avec le Jiangsu, le
Anhui et le Henan. Je passerai très vite là-dessus car je ne pense pas que la viticulture
y soit très intéressante,
- dans le centre ouest on trouve la province de Shaanxi, la région de Xi’An qui est bien
connue des archéologues ; on est à côté du Fleuve Jaune, qui fait une grande boucle
d’ailleurs jusqu’au Ningxia dont je vais reparler,
- enfin, dans le nord-ouest se trouvent trois états majeurs, ici le Gansu, relativement
froid et désertique, le Ningxia dont je reparlerai et tout au fait au nord-ouest, le
Xinjiang.
Les 3 grands bassins sur lesquels j’insisterai sont le ShanDong, qui est le bassin historique, le
Hebei, qui a tout de même plus de poids que le ShanDong, même si certains affirment le
contraire (mais je me fie plutôt à mon collègue chinois qu’aux statistiques que l’on trouve en
surfant sur le net) et le XinJiang.
Statistiques nationales
Cela a été pour moi, et le jeu de mot est facile, un casse-tête chinois que de recueillir des
statistiques. Je ne suis ni spécialiste de statistiques, ni d’économie. Je les vois donc à travers
mon œil de technicien, et ce sera donc simplement la façon avec laquelle je présenterai les
choses.
D’après la référence mondiale en terme de statistiques, à savoir l’OIV, en reprenant la
comparaison France/USA/Chine de 2003, on constate que, quelque soit la nature des produits,
en ce qui concerne les surfaces viticoles, il y a un peu plus de 400 000 hectares de vignoble en
Chine, soit à peu près la moitié de la surface viticole de France ou l’équivalent de celle des
Etats-Unis.
En ce qui concerne les productions, en milliers d’hectolitres, la France est le premier
producteur mondial, les Etats-Unis ont un niveau qui représente la moitié de celui de la
France, et la Chine, un niveau qui représente la moitié de celui des Etats-Unis.
En ce qui concerne les raisins frais, la Chine est un très gros producteur.
En ce qui concerne la consommation de vins des trois pays, je crois qu’il est difficile en Chine
de distinguer la part des importations et celle des vins chinois eux-mêmes, et la consommation
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par habitant. Elle est bien sûr très faible en Chine, parce qu’on la divise par 1,2 milliard
d’habitants.
Le gros problème qui se pose au technicien c’est que, lorsqu’on essaye, et je sais bien que
c’est fictif, d’estimer un rendement à l’hectare, en divisant les productions de vin plus le raisin
frais, et même le raisin sec, par les surfaces viticoles totales, on arrive à peu près au résultat de
4 tonnes par hectare, voire moins. Cela ne correspond pas à la réalité de ce qu’on voit dans les
vignobles où le rendement est sans doute le double ou le triple. Même en tenant compte du
fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes vignes, le technicien demande aux économistes
s’il n’y aurait pas une enquête plus soignée à mener, parce que, entre le fait de dire que la
Chine a enfin rejoint en surface les Etats-Unis et le fait de dire qu’on en est en fait encore très
loin, comme mon collègue chinois me l’a indiqué puisque lui recense à peine 42 000 hectares,
et bien vous voyez qu’on a de la Chine d’aujourd’hui une vision extrêmement différente. Qui
a raison ? Je n’en sais rien.
Statistiques régionales
Quelques statistiques régionales : nous avons deux sources d’informations. On peut trouver
sur Internet des « nouvelles de Chine » en consultation. Comme je doutais des données, j’ai
écrit à mon collègue Zhang qui m’a donné d’autres chiffres : des milliers d’hectares de
surface viticoles pour le vin exclusivement, et les milliers d’hectolitres de vin produits en
Chine. On arrive donc aux chiffres que j’ai indiqués tout à l’heure dans le tableau comparatif
Chine/Etats-Unis/France.
En ce qui concerne le poids des régions, j’ai plutôt tendance à faire confiance à mon collègue
Zhang. On a un équilibre. Restons sur les surfaces viticoles par exemple, entre le nord-ouest
(avec le XinJiang, le Ningxia et le Gansu en particulier) et le ShanDong, qui est certainement
moins important je pense, et le Hebei qui est une très vieille région dont on reparlera
également.
Ce sont les trois noms qu’il faut ici retenir.
Les caractéristiques climatiques de la Chine
Beaucoup de régions chinoises sont assez humides, et très vite, quand on va vers l’ouest, on
arrive à des zones très désertiques. Il faut noter que la pluviométrie est fortement marquée par
la mousson, qui est le grand phénomène climatique du continent asiatique.
Il faut retenir que la viticulture se concentre dans les zones à mousson – pluie d’été – où elle
est tout de même relativement atténuée, ou alors dans les zones désertiques où là, bien sûr, il
n’y a pas de pluie.
Les températures
Dans la Chine du nord, il fait froid, les températures y sont équivalentes à celles d’Europe
Centrale ou de Russie. Donc en Chine du Nord, il fait très froid l’hiver. Dans le Ningxia, avoir
-30°C en janvier est chose courante, ce qui va entraîner bien sûr des conséquences sur la
culture de la vigne. En juillet, il fait relativement chaud ; on peut dire que la Chine
correspond, en gros, au niveau du climat, à l’Europe du Sud ou à l’Afrique du Nord. Je
précise cependant que cette chaleur est accompagnée d’humidité dans la plupart des cas ; ou
alors il faut être dans la zone désertique où il fait très chaud, mais très sec.
Il n’y a donc aucun climat tempéré en Chine. Il y a deux grands représentants des climats
tempérés dans le monde : le climat de type méditerranéen, et des climats de type façade
océanique français ; en Chine, on est soit dans des zones steppiques, sub-désertiques, soit dans
des régions qui correspondent au climat de Tokyo au Japon : été humide et chaud. Il n’y a
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aucune trace de climat de type méditerranéen ni de climat de type océanique Atlantique Nord
de l’Europe. Il y a bien sûr, et je vais y revenir, dans le sud de la Chine, une zone tropicale
sans hiver.
Quelques caractéristiques majeures de la viticulture générale
Il faut souligner qu’en Chine la viticulture est une tradition universitaire. J’en profite pour
rendre hommage à l’éminent professeur He Puchao de l’Université de Yang Hé qui est un
monument de science et qui m’a appris beaucoup sur la viticulture chinoise.
La Chine est un pays qui a ses propres vignes ; il ne faut pas voir la Chine uniquement comme
un importateur de Merlot et de Cabernet-Sauvignon ou de Chardonnay. Initialement, la vigne
couvre la Chine. Ce sont des vignes sauvages ; il y a plus de diversité de vignes sauvages sur
le continent asiatique que sur le continent américain à part peut-être la zone des Caraïbes.
Par exemple, la Vitis Amurensis pousse près du fleuve Amour dans les zones très froides du
nord de la Chine. Ce sont des vignes qui peuvent produire du raisin et qui résistent au froid ;
certains en font même du vin. Les hybrides français sont assez pâles en terme de typicité par
rapport à ces vins de vigne sauvage chinoise, qui eux sont assez agressifs. Maintenant, si vous
êtes pris dans le contexte chinois, avec certains plats chinois, il y a un phénomène
d’accoutumance assez curieux à analyser sur le plan sociologique. Donc il faut rappeler que la
vigne est présente depuis fort longtemps sur le continent chinois.
Je vous donnerai deux exemples assez brillants tout à l’heure dans le Hebei de Vitis Vinifera.
Ces vignes ont été importées du Proche-Orient il y a au moins 2000 ans grâce à la route des
caravanes. La Chine a donc ses cépages vinifera. Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a. Les
autres sont des cépages d’importation.
Au niveau des importations justement, les cépages que les Chinois ont importés le plus
récemment sont les deux grands rouges qui dominent le monde : le Merlot et le CabernetSauvignon. Il faut bien sûr rajouter le Chardonnay au passage, les grands cépages
internationaux étant cultivés en Chine aujourd’hui. Mais ces cépages se trouvaient déjà en
Chine depuis fort longtemps, notamment les cépages bordelais. La raison à cela est celle-ci : il
y a fort longtemps, des vignerons du Médoc sont allés s’installer en Italie du Nord dans le
Veneto Friuli pour certains. D’autres sont partis s’installer au Chili, d’autres en Chine et
d’autres encore dans d’autres endroits du monde. Ils ont emmené avec eux les fagots de leurs
cépages du Médoc : le Merlot, le Cabernet-Sauvignon, le Cabernet Franc, et puis celui qu’on
oublie toujours, la Carmenère. La Carmenère a été redécouverte récemment, dans le Veneto
Friuli en premier lieu, où 1/3 des Cabernet franc, c'est-à-dire plusieurs milliers d’hectares,
sont en fait de la Carmenère. L’histoire montre que cette Carmenère a été amenée dans la
foulée des fagots de sarments des cépages médocains, par un vigneron médocain qui voulait
changer d’air.
La même histoire se répète au Chili, où ce sont des Bordelais qui ont créé les grands
vignobles chiliens. Ce sont eux qui ont également créé les grands crus de la Rioja.
Néanmoins, les Chiliens étant un peu moins bons en ampélographie, ils ont confondu le
Merlot avec la Carmenère.
Si j’en reviens à la Chine, les Chinois, eux, sont tout de même de fins ampélographes. Ils ont
toujours distingué deux formes de Cabernet franc : le Cabernet franc et ce que l’on a appelé le
Cabernet-Gernischt, et qui a été appelé par les Chinois le Guernishi. Je vous livre l’histoire
que mon ami Puchao m’a racontée, car elle peut être intéressante dans un contexte de
mondialisation : il y a 150 ans, un Bordelais est arrivé avec ses fagots. Trois étiquettes sur
quatre ont pu être déchiffrées sans problème, mais sur la quatrième on ne pouvait distinguer
que « CA » car le reste avait été effacé par l’humidité. On a alors pensé qu’il s’agissait d’un
Cabernet car ça y ressemblait, et on l’a donc appelé le Cabernet Guernishi. En y regardant de
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plus près et en buvant le vin, on s’est rendu compte ce n’était pas du Cabernet Franc, encore
moins du Merlot, et surtout pas du Cabernet-Sauvignon. Il s’agissait en fait de la Carmenère,
qui a certaines caractéristiques ampélographiques que l’on peut repérer.
Le système de production de plants est totalement inexistant en Chine. Il y a donc des
maladies sanitaires qui se développent. Je vais vous raconter une anecdote qui peut traduire la
mentalité chinoise. Me trouvant face à un vignoble, je dis : « c’est de l’enroulement ». Un
tollé s’est fait entendre : un grand professeur chinois aurait dit que c’était une maladie des
racines. Ayant pris la tonalité chinoise, je ne me suis surtout pas opposé et j’ai dit : « creusez
un trou et montrez-moi le système racinaire ». Les racines étaient en parfait état. Donc j’ai
dit : « Ecoutez moi aussi, je suis professeur et je vous dit que ça ne vient pas des racines ». Il
y a donc tout un travail à faire de sélection sanitaire dans beaucoup de vignobles chinois.
Un mot sur la conduite
Le système traditionnel est le système Dragon bien que toutes les vignes chinoises ne soient
pas comme ça. Il porte bien son nom, le système Dragon : il s’agit d’un immense tronc avec
des bras, qui sont d’immenses cordons avec les bois de taille au-dessus.
Il faut quand même savoir que ce système a un double usage : les grappes sont assez loin du
sol. A cause des problèmes de mousson et de pourriture, chaleur et humidité ne pardonnent
pas. Ses cordons sont très longs. Ce n’est pas pour le plaisir de faire des dragons qui courent
le long des chemins, c’est parce qu’on les couche au sol. Même 100 ans après, on les
décroche – il faut être chinois pour le faire - on les met au sol et puis on butte à la terre pour
supporter les -25°, -30°C l’hiver, qui peut commencer fin octobre – début novembre. C’est
très traditionnel, on le voit dans beaucoup de régions en Chine.
Ce système a bien évidemment été amélioré dans sa commodité : on trouve à présent par
exemple des petits cordons très souples, sur des petits espaliers. Dans le Shandong, sur des
sols sableux, on décroche les cordons, on les met au sol, et puis on butte au sable, et ainsi le
vinifera peut supporter -30°C l’hiver.
Ce qu’on l’on voit très couramment, c’est le standard de la viticulture chinoise, qui est un peu
le standard soviétique, bâti autour du tracteur, modèle unique, à l’époque du moins : rang
large, environ trois mètres, piquet béton, petit espalier à peu près bien conduit, sol fertile,
sablon limoneux, souvent profond, et si on ne dépasse pas 4 tonnes/hectares dans ces sols-là,
je rends mon tablier de viticulteur…
Les régions
On va les balayer à partir du nord-est.
• Le Jiling : il n’est pas loin de la Mongolie et de la Sibérie. C’est une région très froide audessus de laquelle on saute habituellement à pieds joints. Il se trouve que j’ai eu la chance
avec mes collègues de l’Université de Beijing de goûter à un vin que j’ose classer dans les
meilleurs vins liquoreux que j’ai goûtés dans ma vie, avec un hybride français, le Vidal blanc,
récolte tardive. Le résultat était assez remarquable.
• Le Hebei est une très vieille région qui se situe juste à l’ouest de la Grande Muraille, pas
trop loin de Beijing. C’est une région très ensoleillée et sèche. La mousson arrive quand
même un petit peu en fin d’été. Le froid et la mousson y sont atténués. Les sols sont sablograveleux sur de jolis coteaux ou en terrasse, ou alluviaux. Deux cépages locaux : le Long
Yan ou œil de dragon, et le Nui Naï ou raisin de lait ; ce sont les vinifera chinois que je vous
montrerai lorsque je vous parlerai des paysages à la fin. Autres cépages : Cabernet-Sauvignon,
Merlot. On sent également augmenter la diversité : Syrah, Zinfandel, Gamay, Pinot,
Chardonnay. La conduite type « Dragon » est très traditionnelle dans cette région. L’espalier
se développe sur raisin de table. On voit de plus en plus des vignobles en lyre. Même si ce
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n’est pas exactement dans le Hebei, je signale simplement le vignoble franco-chinois de
Taishi teste des cépages, et c’est extrêmement intéressant pour la Chine, et pour la France
également, d’arriver à introduire des clones français et réaliser un bénéfice sur des
exportations de matériel végétal. Les sociétés Great Wall et Dragon Seal sont implantées dans
cette région.
• Le Bohaï inclut essentiellement le ShanDong, avec Yantaï dont beaucoup de gens parlent, et
Qingdao, qui est jumelée avec Bordeaux, et la zone côtière du Tianjin. Il s’agit d’une région
ensoleillée, assez peu humide, mais plus que le Hebei. Le Hebei est mieux placé que le
ShanDong sur le plan du climat. Le Bohaï est composé de sols sableux (on verra un bel
exemple d’arènes granitiques dans les collines du ShanDong) et de beaucoup de sols alluviaux
en plaine, plutôt alcalins, dans de nombreuses zones du Tianjin. Les cépages : le Chardonnay
et là je crois qu’il est bien à sa place, notamment dans les arènes granitiques du ShanDong, le
Riesling, mais il s’agit plutôt de Riesling italien, à ne pas confondre car cela n’a rien à voir
avec le Riesling rhénan que l’on trouve également, le Cabernet-Sauvignon et le Muscat.
La viticulture y est caractérisée par une conduite en espaliers avec des multi cordons
enterrables. Les sociétés présentes sont Huadong, qui est la grande référence dans le
ShanDong mais aussi Changyu, Wellong, Qingdao, et dans la plaine, Huaxia et Dynasty.
• Ancien lit du Fleuve Jaune sur lequel je passerai très vite car c’est une région où la mousson
est trop forte, on est beaucoup plus au sud. Il y a des problèmes sanitaires considérables dans
cette région, qui ne va pas, à mon avis, se développer sur le plan viticole.
• Le centre ouest, Shanxi et Shaanxi. Là aussi le froid et la mousson sont atténués mais on est
très loin du potentiel du Hebei je pense. Cette région est caractérisée par des sols alluviaux,
sableux, parfois assez fertiles, des espaliers et des cépages classiques : beaucoup de Riesling
italien. J’ai même vu une fois un vignoble en gobelet, pratiquement à l’abandon, avec du
Carignan.
• Le nord-ouest : c’est peut-être le Far West de la Chine viticole. Ningxia et Gansu sont des
régions froides à très froides l’hiver, tempérées l’été (le Ningxia est à mille mètres d’altitude),
assez sèches car il n’y pratiquement pas de mousson, désertiques à l’ouest, notamment dans le
Xinjiang qui est tout à fait à la pointe nord-ouest. Je souligne que la maturation du raisin,
notamment dans le Ningxia, se développe dans des conditions tout à fait idéales sur le plan
climatique : nuits fraîches, journées ensoleillées, chaudes sans excès, etc. Sols sableux,
alluviaux, dès qu’on est près du Fleuve Jaune, mais on recherche de plus en plus des terroirs à
côté du mont Helan dont je parlerai à la fin. Il y a de très belles graves sableuses dans ce coinlà. On recherche de la viticulture en coteaux, on fuit la plaine trop productive : voilà une
tendance actuelle. Les cépages : Merlot, Cabernet Franc, Cabernet Guernishi (Carmenère),
Cabernet-Sauvignon, Chardonnay, Gewurztraminer, Sauvignon, et je signale que, dans le
Xinjiang, il y a beaucoup de raisins de table et de raisins secs avec la Sultanine, qui nous vient
du Proche-Orient par la route des caravanes. La conduite en espaliers y est largement
dominante. On trouve un début de conduite en lyre sur raisins de cuve, notamment dans le
Gansu où il se fait de très beaux vins, par exemple Merlot, Cabernet ; je crois d’ailleurs que le
meilleur vin rouge issu de ces cépages que j’ai goûté vient du Gansu. Dans le Ningxia, il y a
de très grands vins autour du Cabernet Franc ou de la Carmenère, et une vendange tardive de
Gewurztraminer tout à fait remarquable dans le Gansu. Les sociétés qui y sont présentes sont
la grande société Lou Lan dans le Xinjiang et Guangxia Helan mountain, par exemple.
• Régions tropicales : la viticulture tropicale, ça existe ! Il y a une bonne récolte par an tout à
fait dans le sud, dans le Yunnan, à la frontière avec le Vietnam, autour de la région de Milé.
Merlot, Cabernet-Sauvignon, Grenache noir sont des cépages assez bien adaptés, notamment
le Merlot. La conduite est en espaliers, et je tiens à citer la cave de Kunming qui commence à
produire.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
La viticulture du Hebei.
Le système Dragon y est souvent utilisé pour sur le cépage Œil de dragon. Le Nui Naï, un très
beau raisin de table, y est produit à 50 tonnes/hectares, et c’est un raisin d’excellente qualité.
Les chinois connaissent la vigne, savent la tailler, la faire produire et faire de la qualité.
L’Oeil de dragon est un raisin de table et aussi un raisin de cuve qui fait des vins blancs très
originaux. Great Wall, notamment, en produit de très intéressants.
La viticulture du ShanDong
Le plus beau vignoble que j’ai personnellement vu dans le ShanDong est composé d’arènes
granitiques, avec du Chardonnay.
La viticulture tropicale
Au dessus de la plaine de Milé, l’on trouve des rizières en bas et de jeunes Merlot sur les très
beaux coteaux argilo-calcaires juste au-dessus.
Dans l’état voisin, on a des vignes sauvages chinoises, Vitis Pentagona, en pergola. Pierre
Torres, qui rentre de cette région, m’a dit que le vin était vraiment mauvais, mais que devant
la magnificence des paysages de la région, il l’avait tout de même trouvé bon.
La viticulture du Ningxia
Les modes de conduite sont en espaliers près du Fleuve Jaune ; en lyres, parfois pas très bien
tenues, sur des parcelles extrêmement productives. On y recherche la viticulture en coteaux.
Les vignes sont encore jeunes, car on se trouve au début d’une viticulture de terroir, dès lors
qu’on se rapproche du mont Helan. Derrière se trouve la Mongolie. Guangxia est la principale
cave ici.
Je sais que je vais abuser de votre temps, mais je vous demande deux minutes de plus. Je
reviens du Fleuve Jaune ; quand on est en Chine on est pris dans tout un contexte particulier.
Moi, personnellement, j’ai éprouvé beaucoup de choses, alors si vous êtes déroutés par la
Chine, et c’est souvent le cas, fuyez-la, allez-y en touriste et c’est tout. Mais si vous l’aimez,
vivez-y. Voilà le conseil que je peux vous donner.
Ce que je voulais vous dire pour terminer, c’est que j’ai un très gros défaut. J’essaye,
puisqu’on est obligé de parler anglais, et par contrepoids, de parler à peu près bien français. Je
vous ai donc fait un petit poème sur le Ningxia, inspiré d’une vieille histoire du voyageur du
Ningxia, alors je vous le lis en toute modestie :
Le vent dans le sable dessine un dragon
Que moi, le voyageur, j’imagine vivant ;
Le vent lui donne une âme ; il s’envole d’un bond :
Je reste seul sur terre et redeviens enfant…
La marche est longue encore, et je dois réussir !
Mais le souffle du ciel m’attire vers le rêve ;
Le nuage se gonfle puis le dragon s’étire :
Je vois ses yeux amande et son sourire aux lèvres…
La steppe du Ningxia vibre au brûlant soleil ;
Le mirage est tenace et le vent tourbillonne ;
Je veux voir mon amour avant prochain sommeil :
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Je me remets en marche et mon pas lent résonne…
Pour l’honneur de ma troupe le courage renaît ;
J’approche du sommet qui domine le monde ;
Mais au dernier moment la tempête apparaît :
Dragon éclate en quatre, et chacun entre en ronde…
Le Dragon Blanc :
Le premier des dragons au nord rejoint le pôle ;
Il scintille de glace, et le froid du diamant
Me transperce le cœur comme une flèche mongole :
Ningxia doit sa survie au bouclier d’Helan…
Le Dragon Rouge :
Le second des dragons en plein ouest se lève ;
Le feu sort de sa bouche, embrasse le couchant ;
Rouge désert me couvre ; nomade me relève :
Ningxia des caravanes, lointain trésor offrant…
Le Dragon Jaune :
Le troisième dragon se déploie tout au sud ;
Immense serpent jaune, il traverse les terres ;
Sa gorge crache eau fertile, détend mon corps si rude :
Ningxia vit grâce à lui : ses récoltes prospèrent…
Le Dragon Bleu :
Le dernier des dragons se fond, bleu, dans la nuit ;
Chantant à l’orient, il attend le soleil ;
Rêve avec lui s’achève… harmonie… plus de bruit :
Ningxia du matin calme, ta beauté m’émerveille !
Merci.
M. Jean KOUCHNER
Ça aurait été vraiment dommage qu’on vous empêche d’aller jusqu’au bout. Merci aussi pour
avoir introduit cette poésie qui va aussi bien avec le vin, d’une façon générale.
Je voudrais maintenant dire que nous allons recommencer ce débat que nous avons initié ce
matin, mais nous avons d’abord deux présentations : l’une par M. Yannick Guerin, qui est
Operations Manager au Fargo Group. Il a d’ailleurs été responsable des vins et spiritueux à la
Mission Economique de Shanghai. Il nous parlera d’une approche sociologique du
consommateur chinois, et puis ensuite nous donnerons la parole à M Richard Chane.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
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APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONSOMMATEUR CHINOIS
M. Yannick GUERIN
Operations Manager – Fargo Group
Je vous propose de poursuivre ce voyage chinois, mais ça sera peut être un peu moins
poétique ! Je vais essayer de vous faire découvrir et apprendre à mieux connaître ce
consommateur chinois, savoir un petit peu qui il est.
La consommation de vin en Chine est essentiellement composée d’hommes, âgés de 25 à 45
ans. C’est une consommation qui est très sociale, on consomme généralement en groupe,
rarement à domicile, essentiellement du vin rouge, et sous une forme encore très prisée de
consommation qu’on appelle « campei » en Chine, c'est-à-dire « cul sec ».
Un pays aux contrastes marqués
Commençons par des généralités.
La Chine est un pays très vaste : d’ouest en est et du nord au sud, on doit avoir des échelles de
distance de l’ordre de 5500 Kms. Pour donner une idée, c’est la même distance qui sépare
Montpellier de Kigali (Rwanda) ou Montpellier de Islamabad (Pakistan). Cela permet de bien
comprendre les différences que l’on peut avoir dans ce pays d’un point à l’autre, qu’elles
soient culturelles, linguistiques, et également en terme de pouvoir d’achat. L’essentiel de la
consommation des grandes villes se situent sur la côte Est, de Beijing à Canton en passant par
Shanghai, et c’est également sur cette zone-là qu’on a le plus fort pouvoir d’achat.
M. Carbonneau parlait des températures. Je regardais la météo ce matin sur Internet :
aujourd’hui, 1er décembre, il fait -18°C au nord à Harbin et il fait +19°C à Hainan au sud.
Cela permet de bien comprendre les différences sur ce pays qui est extrêmement vaste.
Profil général de la population chinoise
Elle est principalement jeune, la moitié à moins de 35 ans, relativement éduquée, la
scolarisation en Chine est obligatoire. On a de plus en plus d’étudiants, et puis point
important, l’urbanisation se développe. Aujourd’hui, on doit avoir environ un milliard trois
cent millions d’habitants en Chine, 60% vivant à la campagne, 40% en ville. Et c’est en ville
que se situent vos consommateurs, avec une population urbaine qui croît de l’ordre de 13 à 15
millions chaque année.
Tous ces éléments concourent à faire naître une classe moyenne qui représente aujourd’hui
environ 150 millions de chinois, dont 50 millions de ménages, ces derniers disposant de plus
de 700 €/mois de revenus.
Cela permet de relativiser ce pays qui fait près de 20 fois la superficie de la France, avec de
très nombreux Chinois, mais avec une cible finalement plus réduite : environ 150 millions de
Chinois appartiendraient à cette classe moyenne.
La population solvable est difficile à déterminer. 60% de la population vit à la campagne, et
cette population est quasiment exclue des circuits de consommation organisés que l’on peut
connaître en Europe.
Pour décrire de manière très caricaturale les 520 millions de personnes qui vivent dans les
villes, vous avez 330 millions qu’on appellera « classe populaire », avec un logement
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ROYAUME-UNI & CHINE
composé d’une seule pièce, avec le coin cuisine à côté du lit, et toute la famille qui vit dans
cet espace. Vous avez ensuite ce que l’on peut appeler la « classe moyenne » et qui concerne
environ 150 millions de Chinois. Ils ont accès à un confort qui se développe, avec ordinateur,
mobilier, et une « famille » de type classique, c'est-à-dire souvent limitée à deux personnes.
On a une politique d’enfant unique en Chine, mais l’enfant vient de plus en plus tard, tout
comme le mariage : finalement on est assez longtemps deux à vivre dans un appartement.
Enfin, 40 millions d’urbains sont riches, voire très riches, avec des décors qui peuvent nous
paraître parfois un peu kitsch mais qui, finalement, résument cette nouvelle richesse chinoise.
Un autre point important pour relativiser ces consommateurs chinois dans leur nombre :
l’Oréal estime son marché potentiel à 100 millions de consommatrices chinoises, à peine 10%
de la population totale. Ces 40% de chinois qui vivent en ville représentent en fait plus des
trois-quarts du pouvoir d’achat chinois.
Le profil du citadin chinois
Nous allons le décrire car il s’agit en fait de votre consommateur cible. La catégorie des 15-25
ans représente aujourd’hui 64 millions de personnes, des gens qui sont particulièrement
individualistes et dépensiers, une famille qui se résume souvent à deux personnes.
Les 40-50 ans, qui représentent à peu près 50 millions de personnes, sont, eux, beaucoup plus
conservateurs et frugaux.
Niveau d’équipement
En ce qui concerne le niveau d’équipement, ces citadins chinois ont une maison, une voiture,
sont équipés d’un téléphone portable, sont fortement exposés aux médias et à la publicité.
Lorsqu’on estime qu’un Européen passe une heure ou deux heures devant sa télévision, il
reçoit un certain nombre de spots publicitaires ; dans un même temps, un chinois en reçoit 4
fois plus. Il est vraiment exposé à tout ce qui est média et publicité.
En ville, un chinois sur quatre a accès à Internet, il y navigue régulièrement. On a aujourd’hui
120 millions d’internautes. J’ai tendance à dire que la langue des affaires, c’est la langue du
client, et pour ceux qui souhaitent véritablement travailler sur la Chine, y aller avec des
brochures en français ou même en anglais, n’a pas véritablement de sens !
Un citadin sur vingt dispose d’une carte de crédit, un sur trente-cinq d’une voiture particulière
et voyage hors de Chine chaque année, ce qui représente environ 15 millions de personnes.
Tout cela permet d’assez bien comprendre et d’apprécier votre cible en Chine.
On parle de la Chine comme d’un pays en développement, mais le taux d’équipement des
ménages est finalement très élevé : tous ont un réfrigérateur, une télévision couleur, une
machine à laver, un téléphone portable, etc. 47% des Chinois à Shanghai, 30% à Beijing et
61% à Canton sont propriétaires.
Comment dépensent-ils leur argent ?
Depuis 1990, si on se penche sur la répartition des dépenses dans le portefeuille d’un ménage
chinois, on voit que la part de l’alimentaire diminue, et dans un même temps que la part
« éducation et loisirs » va en augmentant. On se rapproche de plus en plus du type de
répartition occidentale : les besoins de base sont aujourd’hui tous pourvus, et on porte une
attention particulière à tout ce qui est culture, loisirs. On recherche des plaisirs beaucoup plus
personnels, on donne la priorité à la réussite professionnelle, les comportements sont
beaucoup plus individualistes avec une place privilégiée de l’enfant.
L’enfant-roi en Chine est très important, ce qui se retranscrit ensuite dans les motivations
d’achat. Il a tendance à rester assez longtemps au foyer, c’est important dans le sens ou, même
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si les revenus ne sont pas, pour la plupart, très élevés, les enfants restent en revanche très tard
au domicile des parents. Donc le salaire qu’ils perçoivent leur sert d’argent de poche. Ils sont
donc très dépensiers car ils n’ont pas de loyer ou de charges à payer. Il y a un fort taux
d’épargne en Chine, probablement l’un des plus forts taux au monde, sinon le premier, pour
quatre raisons :
- tout d’abord l’enfant. On épargne pour son éducation, les conditions dans lesquelles il
va évoluer et vivre ;
- la retraite, car les chinois la préparent ;
- l’immobilier, chacun veut être propriétaire ;
- et puis les imprévus de la vie.
Les principales motivations d’achats des chinois
- Je l’ai répété maintes fois, mais c’est extrêmement vrai : la place privilégiée de
l’enfant est souvent moteur dans les achats et déclencheur, pour un certain nombre
d’actes, de consommation.
- L’importance de la face - on parle beaucoup de la face en Chine – et la transcription
marketing : c’est l’importance de l’emballage. L’emballage en Chine est extrêmement
important. Les couleurs, mais aussi la boîte dans laquelle vous mettrez votre bouteille,
le suremballage, tout ceci est très important.
- L’importance des médias : en France, on a Zidane, en Chine, ils ont un joueur de
basket qui s’appelle Yao Ming et qui évolue aux Etats-Unis. Il est l’idole pour tous les
Chinois, et les Chinois y sont très sensibles. Ils vont suivre toute la communication qui
va tourner autour de ces grandes idoles ou stars. Aujourd’hui, Yao Ming est plutôt
sponsor de Mac Donald mais peut-être qu’il pourrait être choisi pour la région
Languedoc-Roussillon, je pense qu’il est très porteur…
- Le Chinois est joueur : dit comme cela, ça peut paraître assez drôle, mais je crois que
Richard en parlera juste après. Le cadeau est un élément essentiel en Chine. On revient
sur ce que je disais en terme d’emballage : vous pouvez avoir le meilleur vin du
monde, mais si vous le présentez d’une manière assez banale ou standard, comme on
peut le faire en Europe, il ne sera pas nécessairement reconnu ; en revanche, si vous
avez à côté un vin même modeste mais très bien emballé et qu’en plus vous avez
comme cadeau un tire-bouchon, et bien c’est gagné.
- L’argumentaire santé est également très important dans la démarche d’achat, les
Chinois y sont très sensibles, sans pour autant raisonner en terme de taux de lipides,
protides, mais plutôt de Yin et de Yang, de chaud et de froid. C’est pour cela qu’en
terme de comportement d’achat, le fameux French wine paradox a été décisif dans les
années 97-98 pour déclencher et encourager la consommation de vin.
- Le chinois est très curieux, avec un attrait particulier pour la nouveauté ; il a besoin de
comprendre, il a envie de connaître, de mieux savoir ce qu’il consomme. Si on prend
l’exemple du vin, qui vous intéresse le plus, il est important d’avoir une démarche
commerciale, mais aussi pédagogique. Il faut bien comprendre qu’une étiquette en
français est quasiment illisible pour la plupart des Chinois ; c’est important
d’accompagner le produit soit d’un petit document en chinois, ou bien, d’un
prospectus sur le col de la bouteille où l’on explique la température de service, etc., et
là, les Chinois y seront très sensibles.
- La marque est très importante pour les Chinois ; on le voit dans leurs manières. M.
Carbonneau le disait tout à l’heure, les Chinois aiment copier les grandes marques.
Généralement, un Chinois qui va acheter un tout nouveau costume Dior va essayer de
garder l’étiquette Dior bien apparente et le plus longtemps possible pour bien montrer
qu’il a pu s’acheter un tel vêtement.
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ROYAUME-UNI & CHINE
Et puis on remarque une influence étrangère de plus en plus marquée, de nouvelles
habitudes de consommation. De nombreux Chinois voyagent de plus en plus, vont à
l’étranger, donc y sont de plus en plus sensibles. J’ai pris des exemples : le bio, le
chocolat, les produits laitiers, mais aussi du vin. Cependant, même s’ils sont
effectivement très curieux et influencés par les modes de consommation occidentale,
ils ont besoin de trouver des référents et des repères chinois. Je fais souvent ce
parallèle avec la consommation de vin et la consommation de thé, on dit souvent que
les Chinois mélangent le vin avec du Sprite ou du Coca. Cela s’est fait, c’est vrai, cela
se fait peut-être encore mais de moins en moins, mais quand on leur explique qu’on
rajoute du lait ou du sucre dans notre thé, ils ont un peu de mal à s’en remettre ! Donc
il faut bien comprendre ce parallèle ; pour nous, le thé est peut-être une découverte, au
même titre que le vin pour les chinois.
Comment consomme le Chinois ?
Le shopping constitue la principale activité hors travail, dans les centres commerciaux, avec
des pics de consommation principaux qui représentent plus des trois-quarts de la
consommation de vin dans l’année : le nouvel an chinois, qui aura lieu le 17 février prochain,
la fête du travail début mai et la fête nationale début octobre.
Il y a des particularismes locaux alimentaires, M. Carbonneau a fait défiler un certain nombre
de cartes qui expliquent bien les différences ; on mange plutôt épicé dans certaines régions, on
mange davantage de riz dans le Sud, davantage de blé dans le Nord, ce n’est donc pas UNE
Chine, mais plusieurs pays en un seul.
Aujourd’hui, à Shanghai, qui est l’un des principaux pôles de consommation (17 millions
d’habitants), 90% des Shanghaiens se rendent vingt fois par mois au marché. 93% des
Shanghaiens se rendent 7 à 8 fois par mois en hypermarché ou en supermarché. Mais c’est là
que vous allez distribuer vos vins. L’hypermarché ou le supermarché a un positionnement
bien différent de celui qu’on peut connaître en France ; c’est davantage un magasin de
proximité : 70% des Chinois qui vont à Carrefour à Shanghai y vont à pied ou à vélo, et le
panier moyen est de 8 €.
Les consommations de vin.
Les principaux critères d’achats, selon une étude de la Sopexa, sont :
- le prix,
- la publicité,
- l’emballage,
- l’origine du produit,
- l’origine pays.
• Le prix est important, qu’il soit bon marché ou élevé. Effectivement, certains Chinois, qui
ont un pouvoir d’achat relativement faible, vont vouloir un vin d’origine étrangère, mais à un
prix relativement modeste ; dans le même temps, comme le marché est encore relativement
immature, on a toute une partie de la population qui a accès à ce type de produits, mais qui
n’y connaît absolument rien, donc qui finalement va prendre le vin le plus cher. Il s’agit d’une
consommation très ostentatoire, une fonction très sociale de la consommation : on consomme
avec des amis. Montrer qu’on a pu acheter le vin le plus cher est une forme de positionnement
social. Il faut savoir qu’en Chine, quand on fait un cadeau, on laisse généralement le prix…
• Le vin rouge prédomine : c’est l’essentiel de la consommation à près de 90%.
• La fonction de l’achat est très forte : on consomme entre amis, où le vin est utilisé comme
cadeau.
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ROYAUME-UNI & CHINE
• La consommation est encore très faible, mais comme le disait M. Carbonneau, c’est à
rapprocher de la taille du pays : 0,31 litre/an/habitant. Le French wine paradox a de
l’importance car les Chinois sont très sensibles à l’argumentaire santé. Et de manière basique,
voire caricaturale, en Chine, on a, pour les consommateurs, trois référents de base :
- un vin étranger s’appellera forcément Bordeaux,
- un spiritueux XO,
- et un pétillant Champagne. Richard en parlera davantage ensuite.
• 65% est vendu en CHR et 35% en magasin hyper ou super.
• 90% de la consommation porte aujourd’hui sur des vins d’entrée de gamme entre 3 € et 3,50
€. Il faut savoir que les droits de douane ont relativement baissé. Mais l’essentiel de la
consommation sur les vins importés porte sur des vins qui partent à moins de 3,50 € de
France.
• J’enviais ce matin M. Perrouty qui disait que les Britanniques achètent par caisse de 12 : en
Chine, chaque acte d’achat porte sur une ou deux bouteilles, pas plus.
La taille des vignobles chinois est à l’image de la Chine : gigantesque. 90 % des vins
consommés sont des vins locaux, il faut bien garder ça à l’esprit ; Sur les 10% qui sont
importés, 90% est du vrac. Donc la part du vin tranquille importé en bouteille est de 1%.
• Pour vous donner un exemple de l’ampleur de la production chinoise, sur cette nouvelle
cave actuellement en construction, il y a peu près 8 ou 9 grues en train de travailler, et il y
aura un complexe hôtelier, un restaurant, un chai, un musée et un golf.
Ce sont donc principalement des vins chinois qui se vendent et se consomment en Chine.
Perception des vins français
Certainement beaucoup de banalités :
- la qualité ressort (étude Sopexa), c’est un point extrêmement important. Nos vins
français sont reconnus pour être de qualité ; on sait qu’on fait de belles voitures en
Allemagne, et qu’on fait du bon vin en France,
- on pense que nos produis sont chers, que, en revanche,
- l’offre est compliquée, et réservée à des connaisseurs, pas forcement très accessible
pour les Chinois. Manque de promotion et de lisibilité : c’est un point extrêmement
important.
- le dernier point : il faut vraiment communiquer, il faut créer une marque, car les
Chinois y sont très sensibles.
Portrait-robot de votre consommateur.
On part de 1,3 milliard d’habitants, qui est la population chinoise. Le consommateur de vin
est un citadin, donc on arrive à 40% de cette population : 520 millions. Ces chiffres sont
approximatifs mais permettent assez bien de relativiser la taille du marché. C’est un homme,
52% de la population est masculine, ce qui donne 270 millions de consommateurs ; tous les
consommateurs sont donc des hommes et ce sont eux qui achètent. Le consommateur est âgé
de 35 à 45 ans, ce qui nous laisse 60 millions de consommateurs, avec un niveau d’éducation
supérieure et appartenant à la classe moyenne ou aisée. Il nous reste donc 22 millions de
consommateurs. Quand aux consommateurs de vins importés, qui porte à 90% sur du vin
rouge, j’ai mis un point d’interrogation car on n’arrive pas à les quantifier correctement, mais
ça permet de bien relativiser, en partant de 1,3 milliard de Chinois : la cible est bien plus
modeste que ça.
Il existe donc deux stéréotypes que j’ai abordés tout à l’heure :
- celui du consommateur fortuné et soucieux de paraître, qui, au restaurant, va
commander le vin le plus cher et importé ;
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ROYAUME-UNI & CHINE
et à l’inverse, un consommateur moins aisé, jeune cadre, employé dans une entreprise
étrangère par exemple, qui va acheter en grande distribution et se tournera davantage
vers un vin local beaucoup plus abordable.
Un marché des grands crus existe pour les consommateurs chinois. On estime qu’il y a
environ 300 000 Chinois millionnaires en euros, donc le marché des grands crus existe, mais
ce sont souvent des personnes qui voyagent et qui vont acheter à l’étranger directement.
En 2015, il y aura encore plus de Chinois, dont 60% vivront en ville. La classe moyenne qui
était de 150 millions va doubler, et la Chine sera le premier marché mondial du luxe : 25%
des ventes mondiales du luxe se feront en Chine. On aura passé les JO de 2008 à Beijing et
l’exposition universelle de 2010 à Shanghai, évènements qui vont probablement
occidentaliser encore plus les modes de consommation.
Le calcul qui consisterait à multiplier le nombre de Chinois par le nombre de verres qu’ils
pourraient boire n’est encore qu’un leurre.
Pour finir sur une note positive, la production et la consommation ont progressé de plus de
10% par an ces dernières années. Le ministre Bussereau, qui était en Chine il y quelques
temps, se réjouissait de voir que les exportations de vin en Chine avaient augmenté de 60% en
2006 par rapport à 2005. La Chine est désormais le premier importateur de vin français en
Asie.
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Guerin, et pardon de vous presser, d’autant plus que vous venez de Chine pour
nous. Donc merci pour ce voyage et merci de vos explications qui sont tout a fait
intéressantes, mais il faut laisser du temps pour le débat.
M. Chane, je vais vous demander maintenant de bien vouloir prendre le relais. Nous avons
convenu, M. Chane et moi, que je lui ferai signe aussi quand il arrivera près de son temps
limite, car je le sais très connaisseur de ces questions et il est capable de nous en parler
pendant des heures, mais il ne pourra hélas pas.
M. Chane, c’est à vous. J’ai omis de préciser que vous étiez consultant auprès de différentes
entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine.
APPROCHE MARKETING DE LA GRANDE DISTRIBUTION CHINOISE
M. Richard CHANE
Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine
Je ne serai pas aussi philosophe que M. Carbonneau et je ne pense pas que je pourrai vous
faire rêver comme Yannick avec les chiffres. Je vous parlerai d’un thème un peu plus terre à
terre, le business, pur et dur, qui est la réalité chinoise aujourd’hui. Nous allons voir qui sont
ses intervenants.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Nature des principaux importateurs/distributeurs
Je vais parler des importateurs et distributeurs de vins de qualité, sachant que les entreprises
chinoises importent aussi du vin.
• Il y a trois entreprises de tête : ASC, Summergate et Montrose qui sont présentes dans tous
les canaux de distribution et ont un portefeuille complet de grandes marques internationales.
Le monde entier veut bien sûr entrer dans ces portefeuilles ; Les places sont chères et il faut
arroser, n’ayons pas peur des mots.
Ces entreprises reçoivent 60 bouteilles d’échantillons par semaine et tous les jours des coups
de fils de l’étranger. C’est une entrave manifeste au business en Chine. Ce sont les seules
entreprises qui font un effort à proprement dit sur le marketing, sur la dégustation, sur la
formation en vins.
• Vous avez également quelques Français qui sont là depuis quelques années et qui sont très
forts sur les enseignes de grande distribution. D’après les chiffres de Yannick, il y aura d’ici
2010, 100 enseignes Carrefour ouvertes en Chine, et 200 d’ici 15 ans.
• Vous avez aussi les grands producteurs, Torres, Gallo, Jacob’s Creek qui ont une politique
un peu plus agressive, très discount. Ils font appel au sponsoring avec les dépôts-ventes
(système de dépôts-ventes avec les problèmes de recouvrement que ça peut engendrer, avec
aussi une possibilité d’embouteiller sur place).
• Puis, vous avez des groupes internationaux de vins et spiritueux avec des capacités
d’investissement financier à long terme très solides. Ce sont surtout des entreprises qui n’ont
pas peur d’investir à perte pour récolter les fruits de leurs investissements dans 10 ans.
Aujourd’hui on ne vend pas beaucoup de Champagne, mais les chiffres sont exponentiels.
• Vous avez quelques entrepreneurs indépendants qui ont des petites structures localisées
avec des portefeuilles plutôt attractifs ; en revanche, par rapport à leurs moyens limités, ils ne
peuvent malheureusement pas se permettre d’avoir des stocks sur toute l’année, de répondre à
la demande, et, surtout, sur un secteur comme les grands crus classés de Bordeaux – Bordeaux
est roi en Chine, comme un peu dans le monde entier - les prix ne sont pas garantis du 1er
janvier au 31 décembre.
• Il y a aussi quelques importateurs chinois. Certains on tenté leur chance, beaucoup l’ont
regretté, c’est quand même difficile d’assurer les intérêts des producteurs sur ce marché
chinois.
• Enfin, vous avez quelques entreprises qui sont basées à Hong-Kong, qui sont très influentes
sur la Chine méridionale, dans la province de Canton.
Hong-Kong et Macao sont des temples du libéralisme, avec l’importation parallèle que ça
peut engendrer. Canton est la province où l’on dépense trois fois plus au restaurant, qu’à
Shanghai ou à Beijing. Ce sont des gens qui ont beaucoup d’argent. Malheureusement, ils
représentent des marchés encore très opaques, encore très difficiles à lire pour des
distributeurs importateurs.
La Chine est grande
De Shanghai jusqu’au Xingjiang, il y a bien cinq heures d’avion. Il y a des caractéristiques et
des réalités régionales. Une petite anecdote : on avait reçu « Château-Latour » et il ne voulait
plus refaire de dîner sur Beijing ni Shanghai, parce qu’il n’y avait que des occidentaux qui
venaient, qui se régalaient mais n’achetaient pas de vin. Ce qu’il voulait, c’était avoir des
petits repas un petit peu plus intimistes, même avec un minimum de personnes, sur des
régions comme Canton où les gens sont désireux d’acheter, et d’avoir de la face, comme
l’avait dit Yannick ; c’est très important d’avoir ce côté « prestige ».
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Aujourd’hui, la Chine riche se situe sur la côte : Beijing, Shanghai, et Canton. Tous les
importateurs/distributeurs auront des succursales dans ces trois villes. En revanche, il y aura
une émergence des marchés secondaires : dans chaque province de la Chine, il y aura des
hôtels de luxe, des hommes d’affaires, des gens avec de très grosses fortunes et donc un
besoin de vins fins, de vins français haut de gamme ou de vins étrangers, et le challenge est un
défi logistique et de distribution. Certains ont des zones franches, à Shanghai par exemple, et
le fait d’envoyer ces vins sur Canton, même les Barolo, même les Châteauneuf du Pape,
prennent parfois un petit coup de vieux du fait de la distance et des températures.
Les facteurs de réussite et les défis
En premier lieu, on aura le souci de capturer ce segment de qualité, de l’identifier, puis on
parlera de la promotion pure et dure, et du portefeuille de produits de marque adaptés à ce
marché chinois.
Le segment de qualité
Les 3 S : Solvabilité, Service, Saturation.
Aujourd’hui le marché existant pour le vin de qualité en Chine est l’équivalent d'une grande
métropole européenne. Cela veut dire que c’est encore 90% de vins chinois avec une minorité
de vins importés, de vins de qualité.
La différence avec l’Angleterre, ce sont les canaux de distribution :
- on aura une majorité de vins écoulés, 60 à 65%, surtout dans les grandes chaînes
d’hôtels internationaux : ce qui veut dire que le on trade sera prépondérant sur le off
trade, ce qui est quand même une singularité chinoise. Vous aurez bien sûr de la vente
directe en particulier aux Chinois qui ont beaucoup d’argent : le PDG de China
Télécoms avait commandé six caisses de Laffite 82, ça été difficile, on a du réveiller le
tout Bordeaux, mais il a pu avoir ses bouteilles de Bordeaux à temps pour sa fête,
- la distribution dans les enseignes internationales : je parle donc du off trade, avec
Carrefour, Metro, Park’n Shop, ce qui représente aujourd’hui environ 30% du vin de
qualité importé,
- dans ces 30%, il y a également le vin écoulé dans quelques galeries haut de gamme et
des cavistes indépendants.
La solvabilité est un problème : si vous voulez faire des affaires en Chine, c’est facile : tout le
monde veut du vin. Seulement, recouvrir les dettes est très difficile. Donc, choisissez bien vos
clients.
Aujourd’hui, il n’y a que ce public qui est demandeur de vins de qualité, et, bien sûr, on veut
dégager des marges et de la valeur ; c’est pour ça qu’on a besoin de services. De nombreux
comptes chinois n’ont pas besoin de services ; ils ne connaissent pas le vin, ils ne
comprennent pas le vin. C’est donc un défi, dans les grandes chaînes de restauration chinoise,
où beaucoup de vin est consommé, plus que dans les hôtels de luxe à la limite, de savoir
communiquer, de pouvoir dégager de la valeur sur ces comptes chinois. Ça sera le cas dans
quelques années, mais ce n’est pas encore d’actualité.
Le marché de vins de qualité importés en Chine est saturé. Ce qui veut dire que les places sont
prises chez les distributeurs. Et les places sont chères.
Ce segment de qualité progresse de 35 à 45% selon les distributeurs par année ; c’est une
croissance très rapide. On parlait des vins chinois qui progressent simplement de 10% : 45%
c’est énorme. Mais ça reste un marché relativement petit. Je le répète, pour prendre la mesure
de ce marché, c’est celui d’une capitale européenne.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
La promotion
On parlait ce matin des difficultés des vins français au Royaume-Uni, c’est un peu pareil pour
le marché chinois. Il ne suffit pas d’avoir des vins de qualité avec des prix compétitifs. Bien
sûr les Chinois sont très sensibles au prix, mais il y a une variable qui est très localisée. C’est
à dire le suivi côté fournisseurs et la réactivité au marché : les actions promotionnelles clé en
main, les PLV, les primes et les promotrices. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ces charmantes
demoiselles sont vos meilleurs atouts, votre meilleure force de vente. Si vous allez en Chine,
vous irez au restaurant toute la journée. N’est-ce pas M. Carbonneau ? Personnellement je
n’ai pas fait la cuisine depuis deux ans, donc ça se passe au restaurant (je répète : on trade,
65%) et pour accéder à ces restaurants, il faut se mettre ces charmantes demoiselles dans la
poche, et leur patron.
Il y a un processus d’achat, un processus décisionnel chinois. Il y a beaucoup de monde en
Chine, et les rapports sont très difficiles.
Comment faire des affaires en Chine ? Pas de formule magique, mais ça reste ardu, ça prend
beaucoup de temps, il faut donner de sa personne, il faut attendre, mais parfois ça s’accélère.
Et si ça s’accélère, ça va très vite, et il faut être réactif au marché. Etre réactif au marché, ça
veut dire qu’il faut être prêt à tomber les prix de 20, 30%, à avoir un maximum de PLV, à
fournir un maximum de tire-bouchons, avec des gift box, des boites, des frisbees, etc.…
Il faut donc, pour accéder à ces comptes, arriver avec un maximum d’argumentaires, mais à
côté du prix et à côté de la qualité. Un vin chinois, peut se vendre à peu près à 2,5 €, et pour
une bouteille achetée, une sera offerte. On en parlait pour le marché du Royaume-Uni : c’est
très difficile pour les Français parce qu’ils ne sont pas habitués à débloquer ce genre
d’opérations promotionnelle « clé en main ».
Je vais un peu synthétiser : pour un producteur, l’important est d’aider son distributeur à aider
son client. Par exemple : je suis le superviseur de ce restaurant. Ce qui signifie qu’il faut que
je mette mon patron d’accord pour pouvoir vendre des vins français, des vins du Languedoc,
et pour le faire, il faut avoir un maximum de posters avec des tire-bouchons, avec des primes
à la vente, c'est-à-dire donner un euro ou 50 centimes d’euro aux serveuses pour une bouteille
vendue ; ce sont des personnes qui gagnent 100 €/mois dans les hôtels de luxe, donc si vous
pensez à elles, elles penseront à vous. C’est comme ça que ça marche en Chine : le système de
la réciprocité.
Les AOC en Chine et image du vin
Je pense que je vais ouvrir le débat sur ces concepts d’AOC, on pourra en reparler avec les
autres intervenants. Est-ce que les Chinois comprennent bien cette notion d’AOC ? Les copies
d’AOC sont-elles une crainte pour les producteurs français ?
Ce que je veux mettre en valeur aujourd’hui est le processus d’achat du Chinois ; je pense
qu’une des clés d’entrée vraiment essentielle est le pays.
L’Arc de Triomphe pour la France, la corrida pour les vins espagnols et les gladiateurs pour
les vins italiens. Cela veut dire que la Chine, qui était un pays qui vivait en autarcie il y a 20
ans et qui s’ouvre sur le monde, a besoin de consommer à l’occidentale et qui a besoin de
rêver.
Consommer du vin, c’est consommer du voyage, consommer une autre culture, et c’est très
important pour le Chinois de se réfugier dans cette imagerie du vin. Ce n’est pas le produit en
lui-même qui est important ; Bien sûr il y a des Chinois qui veulent connaître le vin, mais il a
beaucoup d’enthousiasme et de frénésie autour de ce produit, car la magie du vin, c’est le
terroir, c’est l’attachement à la culture, et le Chinois y est très réceptif. Un peu plus que
l’Anglo-Saxon, qui va faire son acte d’achat en trente secondes. Je veux dire par là qu’il y a
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ROYAUME-UNI & CHINE
une démarche intellectuelle dans l’acte de consommation chinois, une envie de connaître, une
envie de découvrir.
La concurrence
Elle se fait à trois niveaux. Pour parler de quelques concepts : la cannibalisation, et pour finir
sur une note un peu plus triste, le Nouveau Monde et l’Ancien Monde.
Par exemple : je suis producteur d’un pays A et je veux mettre en avant une marque B dans le
portefeuille. Donc, je suis listé dans un portefeuille en Chine. Les places sont chères, comme
je l’ai dit.
Prenons le cas du Chili, qui fait à peu près 6 à 7 % du marché chinois : il y a très peu de
producteurs aujourd’hui qui peuvent se permettre d’avoir une politique commerciale sur
l’ensemble du pays. Il faut donc absolument que moi – ma marque peut être, par exemple le
Casillero Del Diablo – je m’accapare ces 6% existants, voire même plus. Cela veut dire que,
au sein d’un importateur, j’ai remarqué un phénomène de cannibalisation : un importateur qui
a X parts du marché va mettre en avant ses vins. Donc, je suis commercial, je vends du vin. Je
m’en fiche de savoir si le vin est français, s’il est du Languedoc, s’il est de Bordeaux, tout ce
que je veux, c’est vendre du vin, arrondir mes fins de mois et faire un maximum de ventes. Si
vous me donnez les moyens de vendre du vin avec des tire-bouchons, des primes à la vente, je
vais lisser votre vin. Et malheureusement, les vins du Nouveau Monde sont un petit peu plus
efficaces par rapport à cette attaque sur le marché, ils sont un petit peu plus business-driven et
réussissent à cannibaliser le marché existant d’un distributeur.
En ce qui concerne les vins du Languedoc-Roussillon, il y a des marques, je ne vais pas les
citer, qui sont présentes en Chine mais qui ont la difficulté à avoir un renouvellement dans
leur communication, et les pays du Nouveau Monde le font mieux, mieux que l’Espagne, que
l’Italie, que les pays de l’Ancien Monde.
Répartition des ventes de vins pays par pays
Voilà la répartition des ventes par pays par rapport à la répartition des trois leaders en Chine,
pétillant, Champagne et mousseux inclus. La mère patrie du vin, la France, est encore à 40%
de ventes ; en deuxième position l’Australie, qui est très présente sur Hong Kong, qui est en
fait le jardin de l’Australie, ils y sont très forts et ils ont une politique vraiment très intégrée
sur toute la région, ce que par exemple les Américains, qui sont en troisième position, n’ont
pas. Et puis, vous avez l’Espagne, le Chili et l’Italie avec 6 à 7%. La France est un peu plus
forte que l’Italie sur ce marché chinois. En revanche, on a des progressions beaucoup plus
fortes sur des pays comme le Chili et l’Australie. Ce qui veut dire que si nos concurrents
progressent plus vite que la France : la France perd des parts de marché, pour les raisons que
je viens d’expliquer par rapport à la promotion.
Prix moyens en supermarché
On va jeter un coup d’œil sur les prix moyens en supermarché : vous avez les vins chinois
d’un côté et les vins importés de l’autre. Avec un maximum de 9,5 €, et un minimum de 1,8 €
et un prix moyen de 4,3 € pour les vins chinois en supermarché. De l’autre côté les vins
importés, qui vont de 6,2 € jusqu’à 15 € pour les vins les plus chers, avec un prix moyen de
9,5 €.
Parlons des vins français : ils se situeront plutôt en haut pour les vins AOC. Les vins de pays,
les vins de la région, qui sont plutôt dans cette gamme de prix, sont compétitifs par rapport
aux pays du Nouveau Monde. En revanche, le Chinois, dans sa démarche intellectuelle, va
regarder la pyramide de la législation de classement de qualité française. Et en haut de la
pyramide, vous avez les AOC puis vous avez les vins de pays. C’est malheureusement un
frein ; la communication n’a pas été assez efficace pour expliquer que les vins de cépages sont
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ROYAUME-UNI & CHINE
classés en vin de pays ; mais le Chinois ne comprend pas le fait que des vins soient meilleurs
et même plus chers et ne soient pas classés en AOC. Ils ont regardé les livres, et ils sont
persuadés que les vins AOC sont les meilleurs du classement, ce qui constitue un problème
pour les vins de la région en vins de pays.
Les stratégies des entreprises chinoises
Leur atout est le prix ; elles sont imbattables, ce sont les moins chères, elles font un
matraquage publicitaire pour imposer leur marque. C’est le pays où on voit le plus de
publicité pour le vin et ce, dans toutes sortes de média, que se soit la télévision ou les
magazines. Certaines marques, comme par exemple le Great Wall, vont envoyer une armée de
vendeuses dans des restaurants chinois pour vendre ce vin sur place directement. La
communication sur le vin en Chine est basée sur un modèle très semblable à celui des
spiritueux ou de la bière. On parle très peu du produit en lui-même, on parle plutôt de la
marque, de l’association du produit à la marque, c’est-à-dire : je vais boire du vin donc je vais
boire Great Wall, Dynasty ou autres. On va les voir : Great Wall, ChangYu, Dragon Seal,
Dynasty, Suntime.
Il y a une grande concentration de cette offre chinoise : 3 entreprises représentent 50% du
marché, 10 entreprises représentent deux tiers de l’offre de vin chinois ce qui représente 90%
de la consommation de vin en Chine.
On va parler maintenant de la qualité, de la formation et de l’éducation du produit. Pour la
qualité, vous avez pu aujourd’hui goûter du vin chinois. Peut-être pourrait-on en parler après
mais il est possible qu’une petite proportion provienne du Chili ou même de l’Australie. Cela
veut dire qu’aujourd’hui la Chine fait appel à un énorme volume de vin en vrac en provenance
de l’étranger. Personne ne pourrait le quantifier à l’heure qu’il est mais il s’agit d’une réalité.
Il y a beaucoup de vin en vrac qui est importé en Chine, qui est assemblé et qui est vendu sous
la dénomination « vin chinois ». Sauf qu’il y a une progression rapide de cette qualité, et, je
pense que M. Carbonneau l’a attesté aujourd’hui : l’optique pour ces entreprises est d’avoir un
vignoble qui s’étend, qui sera opérationnel, qui progressera en qualité, afin de se débarrasser
de cette importation de vin en vrac petit à petit.
Il s’agit d’un objectif qu’ils veulent atteindre en 2020. Les autorités ont mis la barre assez
haut, elles veulent que la Chine puisse produire des vins de « World Class ». Donc, cela va
représenter une nouvelle menace, un autre pays du Nouveau Monde.
L’image du vin
Les vins utilisent les idoles chinoises pour communiquer. Je pense notamment aux acteurs du
« In the mood for love » que vous avez peut-être vu. « Suntime Wine» est une marque qui a
été créée à la suite de ce film ex-nihilo et qui s’est positionnée à un prix légèrement inférieur à
celui du top 3 ou top 4. Elle a progressivement gagné des parts de marché avec un matraquage
publicitaire et avec des millions de dollars investis rien que pour les ambassadeurs de la
marque, les acteurs du film.
Qu’est-ce que cette photo (n.d.l.r: une photo où l’on voit une maman proposer du vin à son
tout petit) signifie ? Elle signifie que le puritanisme n’est pas un mot chinois, que c’est une
culture où boire de l’alcool est un lien social. Je pense d’ailleurs qu’aujourd’hui c’est une
fatalité en France que ce puritanisme anglo-saxon ait pu prendre racine. En Chine, cela
n’existe pas, vous verrez de la publicité pour le vin et l’alcool partout. Le Chinois a cette
réserve naturelle de savoir où est sa limite. « Tout est poison, rien n’est poison, seule la dose
est poison », tout le monde le sait, mais seulement il faut le rappeler tous les jours, surtout en
France aujourd’hui.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
Pour les vins importés, la stratégie n°1 est celle des bas prix. Un acteur qui part du point de
vue que personne ne comprend le vin en Chine envoie des volumes et essaie de les caser.
Seulement, il y a des acteurs chinois qui seront beaucoup plus compétitifs, et le Français se
heurtera au protectionnisme et au chauvinisme chinois. La stratégie n°2 consiste à travailler
au coup par coup. Cela correspond peu ou prou à la culture des affaires en Chine : c’est un
pays libéral où l’on fait des affaires. C’est cela le nouveau visage de la Chine. C’est très
difficile à expliquer, même moi j’aurais du mal à vous l’expliquer, cela prend beaucoup de
temps au préalable pour pouvoir arriver à conclure une affaire. On peut néanmoins envoyer du
vin et vendre tous azimuts avec un peu de négociation, mais seulement ce sera néfaste à la
marque et au produit, et puis l’efficacité sera uniquement à court ou moyen terme. Avec un
manque de transparence, ainsi que de la stratégie et de la visibilité, l’efficacité se fera sur le
long terme.
La stratégie de construire une marque à l’instar des marques chinoises, en visant le long
terme, consiste à imposer sa marque. L’inconvénient c’est que cela prend beaucoup de temps
et beaucoup d’argent. Je le répète, les PLV, le matériel commercial, les cadeaux, les primes à
la vente et aussi les marges arrière, les droits de référencements, cela coûte beaucoup
d’argent, mais finalement cela fonctionne partout comme cela, même en France, et c’est pareil
pour la Chine…
En ce qui concerne les importations, c’est l’importateur qui est normalement responsable du
règlement de toutes les démarches d’importation. Il faut beaucoup de connaissances auprès
des autorités chinoises et un grand sens du relationnel. Il s’agit d’un véritable parcours du
combattant que de mener à bien les démarches d’importation auprès de l’administration, pour
la simple raison que la monnaie chinoise n’est pas convertible en devises. En fait, les autorités
veulent contrôler le fait que l’importateur local fait réellement des affaires avec l’étranger,
avec contrats, facturations, certificats d’origine et d’hygiène à l’appui. Ces documents leur
permettront de donner l’autorisation d’importation et faire que le producteur soit enfin payé.
Au niveau de l’étiquetage, cela a changé : auparavant, il était soumis à l’homologation
préalable à l’importation. Maintenant, cela n’est plus le cas : on envoie directement les vins
qui passent ensuite un simple contrôle d’agrément.
Je veux encore ajouter que pour un vin départ cave à 3 €, il faut appliquer une majoration de
50% environ et que le vin arrivera donc à 4,50 € en Chine. Si l’importateur n’est pas un gros
importateur, il ajoutera 100% de majoration afin d’augmenter ses marges arrière, ses PLV et
donc on arrivera 9 €. Aujourd’hui les importateurs font tout eux-mêmes, le marketing, la
distribution, la logistique, et cela coûte beaucoup d’argent. De plus, la concurrence est rude
sur le marché chinois…
Merci de votre attention.
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TABLE RONDE
PERSPECTIVES ET FACTEURS DE REUSSITE POUR LES VINS DU
LANGUEDOC SUR UN MARCHE EMERGENT
Participent
Mme Anne-Laure GAUCH, représentante du GIE Plato Méditerranée
M. Jean HUILLET, Président de la Confédération Française des Vins de Pays
M. Henri de COLBERT, Vigneron au Château de Flaugergues
M. Yannick GUERIN, Operations Manager, Fargo Group
M. Richard CHANE, Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importations et de
distribution de vins en Chine
M. Alain CARBONNEAU, Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin, Professeur de
Viticulture à l’Agro-Montpellier
Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à
l’Université de Montpellier 1
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Chane. Je vous demande de bien vouloir rester là. Je demande également à M.
Guérin de le rejoindre ainsi qu’aux personnes qui vont participer maintenant à la table ronde :
Mme Anne-Laure Gauch qui est du domaine du Nouveau Monde et du GIE Plateau
Méditerranée qui représente 15 entreprises viticoles engagées dans un développement et une
recherche de nouveaux marchés en Asie, M. Henri de COLBERT qui a déjà participé avec
nous ce matin et qu’on ne présente donc plus et M. Jean Huillet qu’on ne présente plus non
plus, qui est Président de la Confédération Française des Vins de Pays et qui revient de Chine,
d’un voyage officiel dont la presse s’est fait l’écho.
J’ai envie de commencer par vous M. Huillet, d’abord parce que vous êtes pressé, mais aussi
parce que j’aimerais bien vous entendre nous dire comment vous avez vécu ce voyage en
Chine, comment vous avez perçu les possibilités de développement éventuel de la viticulture
et surtout de l’exportation vers la Chine ?
M. Jean HUILLET
Président de la Confédération Française des Vins de Pays (CFVDP)
Je m’excuse d’abord auprès de l’assemblée car j’ai une réunion de secteur et donc il faudra
que je parte dans un petit moment. J’ai eu cette chance extraordinaire de partir avec un voyage
d’Etat en Chine. Cela limite immédiatement la valeur de l’expérience puisqu’un voyage
d’Etat ne dure que 4 jours. Avec toutes les cérémonies officielles, il ne reste plus grand-chose
pour aller connaître le pays dans sa diversité. J’ai réussi quand même à m’échapper cependant
(j’ai oublié de me rendre à certains rendez-vous) pour aller voir un peu ce qu’il se passait.
Donc le témoignage que je vais faire se constitue de choses que j’ai vues et d’anecdotes, ce
dont je m’en excuse auprès des intervenants qui eux sont des experts du marché chinois. Cela
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recoupe d’ailleurs ce que j’ai entendu. Parfois néanmoins, je ne suis pas tout à fait en
désaccord sur ce qui a été dit, mais je doute.
Premier élément, effectivement la Chine s’éveille à tout, et donc s’éveille aussi au vin. Elle
est capable de tout produire, et donc aussi du vin. Demain, la Chine fera les produits que
demandera le monde entier. C’est juste une question de temps. Quand on se rend en Chine, on
a le sentiment que, du plus pauvre au plus riche, ces gens ont compris qu’ils avaient le
pouvoir d’être les « maîtres du monde » et ils vont le mettre en application. La seule chance
que nous ayons, c’est qu’ils ne sont pas colonisateurs, c’est-à-dire qu’ils restent dans leur pays
et ils y produisent ce qui est intéressant pour eux dans un premier temps et pour une
exportation éventuelle par la suite. Ils ne vont pas s’installer à l’étranger, il n’y aura pas une
diaspora chinoise à travers le monde, quoique les Chinatowns des grandes capitales mondiales
soient des lieux d’informations et de promotions importants pour la Chine. En ce qui concerne
le vin, on aura demain matin tout et n’importe quoi sur le marché. Je dis cela car j’ai été reçu
par la société Kofco que vous devez connaître, qui est une grande société d’Etat et qui est en
train de devenir indépendante. Ma présence dans le voyage officiel s’est faite en tant que
Président de la Confédération Française de Vins de Pays, et c’est donc ce qui est mentionné
sur ma carte de visite. Lorsque j’ai donné ma carte avant même de dire bonjour, comme il est
de coutume là-bas, la première question qui m’a été posée a été « est-ce que vous vendez du
Champagne ? ». J’ai répondu non et on m’a avancé que si je viens de France, je fais
forcément du Champagne. Il a donc fallu expliquer le marché français. Je me suis retrouvé en
train d’expliquer la hiérarchisation des vins français, alors qu’ils ne s’y intéressent pas du
tout. Ce n’est vraiment pas leur problème. Quand je vois les querelles entre nous pour savoir
si le Château Machin des Corbières est plus intéressant que le Château Machin de Saint
Chinian, je me dis qu’on peut les poursuivre pour aller vendre dans le restaurant du coin, mais
que si l’on souhaite aller en Chine, il faut arrêter tout de suite parce que ce n’est vraiment pas
le problème, et de toutes façons c’est incompréhensible pour eux. Pour le vin, il y a une
hiérarchie, c’est-à-dire que les grands vins sont des grands AOC. Mais lorsque les Chinois
parlent d’Appellations d’Origine Contrôlée ce ne sont pas de celles du Languedoc ou du
Beaujolais, mais plutôt de certaines AOC de Bourgogne car ils doivent connaître Romanée
Conti bien entendu. Ils ne connaissent absolument pas les AOC de Provence et encore moins
celles du Val de Loire. Pour les Appellations d’Origine Contrôlée c’est les grands noms : les
Pétrus, les Cheval Blanc, les Rothschild, etc. Tout le reste, c’est un vaste ensemble qu’ils ne
connaissent absolument pas.
M. Jean KOUCHNER
Il n’y a pas beaucoup de place pour les vins de pays alors !
M. Jean HUILLET
Ce qu’ils veulent ce sont des vins provenant de France, parce qu’ils font du business. Mais si
un Chilien arrive avec de la méthodologie de pénétration de marché, c’est lui qui aura le
marché. L’Australie considère que la Chine est son jardin, son pré carré donc ils y sont déjà
très présents. Il y a cependant une certaine francophilie en Chine. Les Chinois aiment bien le
côté français parce que cela représente une certaine culture, et que la France est toujours
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perçue comme la patrie du vin, et donc a une image de qualité. Il y a ce petit plus dont il faut
profiter. Les vins de pays ont donc toute leur place. Je disais donc que le marché très haut de
gamme est saturé. Le bas de gamme est saturé aussi, parce qu’occupé par le vin chinois de
production chinoise. Mais il y a le cœur de gamme sur lequel j’ai personnellement de l’espoir.
C’est un vin qui se situe entre 5 et 7 €, et c’est là qu’il faut aller. Pour y arriver, il faut utiliser
les techniques chinoises telle qu’elles vous ont été expliquées : ne pas oublier le côté gadget
avec le tire-bouchon, le cadeau, le pourboire, tous ces petits plus qui ne sont pas l’élément
fondamental pour moi mais qu’il faut comprendre pour avancer par la suite. C’est là que se
trouve le véritable marché selon moi et qu’une demande va se créer.
Une deuxième chose importante est le changement qui s’opère au niveau de la distribution :
Quand j’étais en Chine, j’ai rencontré le Président Directeur de Carrefour qui a inauguré son
86ème magasin là-bas. Les Chinois sont en train de rentrer dans les habitudes de consommation
dictées par la grande distribution. Il n’y avait auparavant que des grands magasins qui étaient
en fait une succession d’étals, mais cela n’avait rien à voir avec la grande distribution telle
que nous la connaissons. Dans ce type de magasins-là, la place du vin est relativement faible.
A l’inverse, du côté de Carrefour, j’ai effectué quelques mesures : 7 mètres sont consacrés aux
Bordeaux, tandis que tous les autres vins français confondus occupent 1 mètre. De plus, il y a
à peu près 7 mètres pour les Australiens, 3 mètres pour les Chiliens et quelques mètres pour le
reste du monde. Il y a donc un grand travail à faire ; Je pense qu’il y a là un espoir immense.
Mais il ne faut pas essayer de pénétrer ce marché en expliquant que les Côtes de Thongue sont
meilleures que le Val de Montferrand, ou que celui-ci est meilleur que les Collines de la
Moure, ou encore que les Collines de la Moure sont meilleures que les Coteaux de Bessilles.
Tout ça est du chinois pour eux, sans jeu de mots. Ce qu’ils veulent, c’est un vin avec une
origine (France), une marque et un cépage. Ce qui est curieux, c’est que lorsque j’étais
auparavant Président de l’Occitane, et que nous allions aux Etats-Unis, c’est exactement ce
que les Américains nous disaient : ils voulaient une origine, France, un cépage et une marque.
Il s’agit là de deux pays de taille non négligeable, et si l’on veut les conquérir, il vaudrait
mieux qu’on commence à réfléchir à la question qu’ils nous posent avant de commencer à
vouloir leur imposer nos contradictions permanentes. Je ne suis pas en train de dire qu’il faille
tuer tous les vins de Bessilles et de Côtes de Thongue, certainement pas. Mais vendons-les sur
des marchés de niche, très fortement identifiés, avec de la valeur ajoutée, et ne nous avisons
pas de vouloir partir sur de la grande distribution avec ce type de produits.
Le dernier point que je veux aborder est le problème du comportement chinois dans son
approche commerciale. Premièrement, la plupart du temps, on signe le contrat quand on est
sur le départ. Jusqu’à ce moment-là, on discute, avec le sourire, c’est très agréable, il n’y a pas
de tensions mais c’est très compliqué. En fait, l’astuce de l’acheteur chinois c’est de vous
faire parler, de vous laisser vous dévoiler et de repérer les fissures dans lesquelles il
s’engouffre…et vous, vous courez derrière pour essayer de faire du business.
Deuxièmement, si vous signez un contrat commercial, sachez qu’il a exactement la même
valeur que du papier toilette. Les Chinois n’ont pas de référents internationaux par rapport aux
tribunaux et se fichent éperdument de ce que vous pouvez signer. Ils peuvent ne pas respecter
votre contrat et vous expliquer en cours de route qu’ils ont eu une offre plus intéressante que
la vôtre. Le contrat commercial n’a pas une grande valeur. Ce qui me paraît important, dans
une pérennité relative, et parce que la dimension du temps change, c’est la construction
simultanée d’une opération commerciale en Chine, c’est-à-dire qu’il faut être capable de
soutenir une communication permanente et d’investir. En tant qu’individu seul, étranger, vous
n’en avez pas le droit, sauf si vous passez par Hong-Kong. Par contre, si vous créez une
association franco-chinoise, ou investissez dans une société de conditionnement par exemple,
alors là vous mettez votre produit en situation de pérennité. C’est beaucoup plus solide que le
simple contrat commercial. Cela veut dire qu’il faut investir. En parlant de cela, il ne faut pas
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oublier de mentionner le différentiel de ce pays, qui est un pays qui a un « bas de laine »
phénoménal, qui je crois est plus riche que la banque européenne, qui est capable de faire des
prêts mondiaux en dessous des taux d’intérêts en vigueur, qui a une croissance à deux chiffres
permanente. Prenons l’exemple de l’agriculture qui « baisse » : en fait, elle n’a augmenté
« que » de 15% alors qu’elle augmentait auparavant de 30%. Donc, quand on vous demande
d’investir, il faut assurer. Pour aborder ce marché, il ne faut pas y aller tout seul, certes il y a
l’initiative « Plato» qui est intéressante et qu’il faut regarder de près, mais c’est encore trop
petit et si l’on veut être sur de la grande distribution avec des produits de grand volume, il faut
se regrouper derrière des marques franco-chinoises. Il faut faire des produits très marketés
chinois mais avec ce goût français. Si l’on veut faire de la marque chinoise sur le marché
chinois, ce n’est pas la peine d’y aller. Il faut faire donc du marketé chinois, certes, mais tout
en ayant cet espèce de romantisme ou de façon d’être à la française.
Troisièmement, tout cela passe par le relationnel individuel. Cela signifie que si, par hasard,
vous avez un comportement de dominant, parce que vous êtes LE pays de l’invention du vin,
que vous venez d’Europe, que vous affichez 2000 ans d’histoire, etc., on va vous dire le
reste… Vous n’avez pas à être dominé non plus. Il faut être totalement respectueux de votre
interlocuteur, c’est la clef. Il faut y aller dans un rapport de respect de l’individu et ancrer des
relations durables avec vos interlocuteurs. Si vous réussissez, vous aurez un avantage sur une
autre personne qui n’aurait pas eu la même entrée. Un rapport commercial est fondé sur un
groupe d’individus qui ont l’habitude de travailler ensemble, qui ont mis en place des codes
de respect mutuel, et qui vont faire en sorte de garantir la pérennité commerciale.
A part cela, c’était un excellent voyage et je vous remercie de m’avoir écouté.
M. Jean KOUCHNER
Merci M. Huillet. Passez s’il vous plait le micro à votre voisine, Mme Anne-Laure Gauch.
Vous avez l’expérience du regroupement d’un certain nombre de viticulteurs pour essayer
d’exporter vers la Chine, et j’ai entendu parler de problèmes de solvabilité, de marché saturé
en qualité, de difficultés de mise en place (il faut penser aux serveuses par exemple…). Alors,
finalement, cela semble très compliqué de rentrer sur le marché chinois d’autant plus qu’il est
en partie saturé et même s’il va se développer. Donc comment cela se passe-t-il
concrètement ? Quelle est votre expérience de ce point de vue ?
Mme Anne-Laure GAUCH
Représentante de GIE Plato Méditerranée
Avant de répondre à cette question je voulais rebondir sur ce que M. Huillet a dit par rapport
au partenariat avec les Chinois et à la création d’alliance franco-chinoise. Certains ont voulu
le tenter et se sont brûlé sérieusement les ailes. Il ne faut pas oublier qu’on a des cultures et
des traditions très différentes ainsi que des approches très différentes du commerce, comme
vous l’avez mentionné tout à l’heure. Il faut donc le faire très prudemment si tant est qu’il
faille le faire.
Le GIE Plato Méditerranée que je représente est constitué de 14 structures viticoles, entre
caves particulières et caves coopératives, ce qui nous permet d’avoir des volumes très
importants : on a un garant de 110 000 hectolitres, ce qui représente 7 millions de bouteilles
que l’on ne vend pas en totalité en Chine. Cela fait maintenant deux ans et demi qu’on se
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penche sur la problématique chinoise et un peu plus d’un an et demi qu’on a vraiment
commencé à entrer sur le marché. Il y a à peine un mois que nous avons commencé à voir le
bout du tunnel, c’est-à-dire à voir partir le premier container de vin en Chine avec moult
difficultés tant en ce qui concerne la solvabilité, - que l’on ne voit d’ailleurs arriver que
maintenant avec le client chinois et qui ne va pas être évident à gérer - qu’en ce qui concerne
la partie administrative et les douanes. C’est très long et il faut beaucoup se renseigner. Ce
n’est vraiment pas chose évidente que d’être au point : il y a de nombreux papiers à envoyer,
des blocages en douane, ce n’est vraiment pas facile. Pour ceux qui connaissent le marché
brésilien, qui est un marché très difficile aussi, je crois que la Chine est au moins égale au
niveau difficultés.
M. Jean KOUCHNER
Merci. M. de Colbert, alors vous, vous avez été présent en Chine autrefois et plus maintenant.
Il faut donc vous poser un certain nombre de questions.
M. Henri de COLBERT
Oui, je vais essayer d’être le plus bref possible. Je voudrais apporter deux témoignages. Tout
d’abord, nous sommes aussi allés en Chine en tant que représentants des Grès de Montpellier,
qui est une Appellation d’Origine Contrôlée, avec Madame le Maire de Montpellier et nous,
nous avons payé notre voyage. Au lieu d’aborder les grandes villes type Beijing, Canton,
Hong Kong et autres, nous avons abordé Chengdu qui est jumelée avec Montpellier. Il y a làbas de la place pour tout le monde puisqu’à Chengdu vivent quelques millions d’habitants. Je
suis persuadé que pour faire du commerce avec la Chine, il faut avoir des liens sur place, des
gens permanents. Il faut savoir qu’en Chine, un salaire mensuel se situe entre 700 et 800 € au
maximum. Il est donc possible d’être présent sur le marché chinois avec toutes les difficultés
que cela comporte.
Ensuite, je voudrais donner un témoignage sur l’exportation que j’ai faite en Chine, qui était
la Chine Taiwan d’ailleurs. Je suis allé discuter à Paris, à ChinaTown avec 8 interlocuteurs
chinois en face de moi. Nous nous étions mis d’accord sur un certain nombre de conditions,
de commissions et autres. A l’issue de la discussion, ils m’ont dit : « on vient demain matin
chez vous à Montpellier pour conclure le reste ! ». Le lendemain matin, 3 sur les 8 se sont
présentés et m’ont dit : « on a prévu des commissions pour les uns et pour les autres, mais il
en faut d’autres pour nous et il ne faut pas que les 5 autres présents hier soient au courant ». Il
s’agit là d’un problème très compliqué et très difficile à régler. Il faut que tous les maillons
de la chaîne gagnent et s’y retrouvent et que chacun ne sache pas ce que l’autre a touché. Je
vous laisse imaginer la difficulté qu’il y a à faire fonctionner ce système qui marche très bien
si l’on joue le jeu. Nous avons ainsi pu exporter quelques palettes et nous avons ensuite
décidé d’arrêter parce que c’était très compliqué. Mais à mon avis c’est possible, il y a de la
place pour tout le monde, même si le marché est saturé. Quand on sait que le petit village à
côté de Chengdu, qui comptait 3 000 habitants il y a 3 ans, en compte 300 000 aujourd’hui et
en comptera 2 millions demain, je pense qu’il n’y aura pas de problèmes pour envoyer
quelques palettes ou quelques containers dans ces endroits sans se marcher sur les pieds et en
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réussissant à faire des affaires qui soient bonnes pour toutes les parties prenantes, qui seront
nombreuses.
Mme Anne-Laure GAUCH
Concernant les contacts sur place, il faut se dire que la Chine n’est pas une cible export
comme les autres : pour y être présent, il faut avoir quelqu’un sur place effectivement, qui
parle couramment le chinois, personnellement je dirais qu’un Français serait le mieux.
M. Jean HUILLET
Cela me fait penser à une anecdote. Je confirme : il faut avoir quelqu’un de permanent en
Chine, sinon on ne pourra pas travailler. J’ai acheté quelques souvenirs pour ma famille, et
comme les prix étaient relativement intéressants, j’ai un peu exagéré. Je me suis donc retrouvé
avec une difficulté de transport et il a fallu que j’achète une valise. Je me suis rendu dans des
endroits traditionnels avec un interprète. Une valise m’intéressait, une Samsonite. J’ai fait
demander le prix par mon interprète et lui a répondu 25 €. Elle en vaut 80 ici. Je voulais
conclure l’achat immédiatement parce que c’était une affaire, mais la personne avec qui
j’étais m’a dit qu’il fallait marchander, ce qui nous avons donc fait. J’ose à peine vous dire le
prix que je l’ai payée : 10 €. Il s’agit donc d’un pays qui a encore la tradition du marchandage
et de la négociation du prix.
Une autre anecdote, toujours dans cette espèce de grand souk, j’ai découvert une chose : je me
rends souvent en Afrique du Sud parce que j’ai des amis là-bas. Qui dit Afrique du Sud, dit
traditions africaines, masques traditionnels, etc. J’ai trouvé à Beijing des masques qui étaient
3 fois moins chers que ceux que je trouvais sur les marchés africains. Je vous avoue
franchement que je ne sais pas comment ils font.
La Chine est un marché que nous ne devons pas négliger, mais il faut y aller sur la pointe des
pieds et les yeux grands ouverts.
M. Jean KOUCHNER
Merci. Certains disent qu’ils sont fabriqués en Chine et que c’est normal qu’ils soient moins
chers.
Je donne la parole à la salle maintenant si vous le souhaitez pour quelques instants.
De la salle
Bonjour, ma question s’adresse à M. Carbonneau. C’est une question d’ordre technique. J’ai
cru comprendre qu’il y avait une majorité de sable dans le sol, donc est-ce que les pieds sont
greffés ou non ?
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M. Alain CARBONNEAU
Il vrai que beaucoup de sols sont sableux et la majorité des vignobles sont en franc de pieds.
On se pose quand même des questions parce que dans certains sols il ne s’agit quand même
pas de sable pur. Il y a beaucoup d’éléments fins. Pour l’instant, on ne perçoit pas de
développement du phylloxéra. Je crois qu’on ne connaît pas tout, il y a certainement l’effet de
la température des sols en hiver, et là je parle essentiellement de la Chine du nord, qui peut
effectivement limiter le phylloxéra. On ne comprend pas pourquoi ce même phylloxéra ne se
développe pas au Chili non plus, alors qu’il est présent au Pérou. Donc, sur un phénomène
très ancien comme le phylloxéra il y aurait encore des choses à apprendre, mais comme on a
résolu le problème par les porte-greffes, on ne l’étudie plus. Pour l’instant, c’est franc de
pieds.
De la salle
Une question de synthèse sur les années à venir. J’ai entendu dire qu’on prévoyait une
augmentation de la consommation en Chine, ne serait-ce que par l’augmentation
démographique. J‘ai cru comprendre aussi qu’on parlait de l’augmentation du vignoble en
Chine. Alors, quels sont les pronostics en terme de solde pour les années qui viennent ? Est-ce
que la production va augmenter plus vite que la consommation et est-ce que la Chine va
devenir un pays exportateur ou bien est-ce qu’au contraire l’augmentation de la production
locale va doper l’augmentation de la consommation et que le marché va être encore plus
important dans les années qui viennent, pour nous Européens ?
M. Alain CARBONNEAU
J’espère que d’autres intervenants pourront répondre. Il faudrait déjà être à peu près sûr des
statistiques actuelles, cela nous permettrait d’y voir un peu plus clair. Je pense que ce qui
serait intéressant à faire, c’est une étude de la consommation des jeunes Chinois, ça doit être
en cours, mais je vous cite la réponse de l’un de nos anciens thésards, Zhenping Wang. Dans
le Ningxia, selon lui, « les jeunes Chinois boivent de plus en plus de vin, mais du vin peu
cher» et les vins d’hybrides français conviendraient très bien. Cela tendrait donc à démontrer
qu’il y a une croissance du marché chinois pour les vins d’entrée de gamme, rouges bien
évidemment. Personnellement, je serais plutôt sur une note optimiste de grandissement de ce
marché qui sera peut-être saturé sur les hauts de gamme, mais qui s’ouvre largement, me
semble-t-il, en cœur de gamme et peut-être en entrée de gamme. Néanmoins, en entrée de
gamme les Chinois sont très forts. Il faudrait quand même sonder la réaction des
consommateurs chinois.
Quant au fait qu’ils deviennent concurrents, je crois que la Chine, comme tout grand pays, a
son orgueil, et les Chinois essaieront d’être reconnus sur des grands crus d’ici très peu de
temps. Ils ont des terroirs qui le permettent, ils pourront produire des vins originaux sur le
plan technique, j’en suis convaincu. Mais je crois qu’il faut jouer le jeu. Cela ne me
choquerait pas si on achetait de temps en temps des grands vins chinois parce que c’est un peu
un appel à la réciprocité. Je pense que c’est un moyen indirect de vendre des grands vins du
Languedoc. Le terme de partenariat, pour moi, est un terme fort.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Jean KOUCHNER
M. Chane sur cette question.
M. Richard CHANE
Il y a des restaurants chinois dans toutes les grandes villes du monde, et je pense qu’il serait
mal venu de consommer des vins du Languedoc dans un restaurant chinois. Donc, les
entreprises chinoises ont des prétentions pour l’export, et cela va arriver très vite.
En revanche, par rapport à l’importation de ce « milieu de gamme » il y a des espaces qui se
créent, il y a des entreprises d’importation de produits de niche qui se créent, des sous
distributeurs dans ces marchés secondaires qui se créent également. On ne peut pas rester sur
une espèce d’oligopole d’importateurs – distributeurs. Encore une fois, ce sont les difficultés
que l’on a évoquées par rapport au business, au suivi, au relationnel, et là il n’y a pas de
secrets : il faut investir que ce soit en temps, ou sur le plan financier.
M. Jean KOUCHNER
M. Huillet, très brièvement et puis ensuite M. Guérin que j’aimerais bien entendre sur cette
question.
M. Jean HUILLET
Sur cet aspect, nous avons à la fois très peu de temps et beaucoup de temps pour investir ce
marché parce qu’il va se développer pour plusieurs raisons : les jeunes se mettent à la
consommation et durant le temps de réactivité nécessaire pour recréer le produit identitaire
chinois, il faut qu’on occupe l’espace ; Une lutte contre l’alcoolisme est organisée par l’Etat à
partir de l’image du vin (il faut souligner que la consommation d’alcools forts est un véritable
sport chinois). Nous sommes dans un système étatique libéral, donc à partir de là quand l’Etat
décide, les choses se font, et c’est là le deuxième intérêt. A terme, le sport sera de boire du vin
chinois de très haute qualité, et les Chinois sont parfaitement capables de le faire dans les
prochaines années, mais en attendant, nous pouvons occuper l’espace.
M. Jean KOUCHNER
M. Guérin. Vous nous avez fait une description sociologique précise et intéressante du marché
chinois, comment voyez-vous son développement ?
1ER DECEMBRE 2006
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
M. Yannick GUERIN
Je ne l’ai pas dit précédemment, mais ma société vend des produits œnologiques, de la
tonnellerie, de la micro-oxygénation, un certain nombre d’équipement et de produits
œnologiques aux caves chinoises qu’on connaît relativement bien. Aujourd’hui elles n’ont pas
vraiment de prétentions à l’export, même pour les grands noms comme ChangYu, Great Wall,
etc., qui ont un marché local potentiel tellement important qu’aujourd’hui ils n’ont pas le
souci d’aller à l’export. Les deux vins qui ont d’ailleurs été dégustés ne sont pas
nécessairement les vins les plus vendus en Chine. En revanche le Dragon Seal est le plus
exporté. Les « grands » comme Suntime ou ChangYu aujourd’hui ne sont pas intéressés par
l’export, ils savent très bien qu’ils ne sont pas encore au point du point de vue gustatif. L’un
des grands acteurs du vin en Chine, que je ne citerai pas ici, a produit un millésime 1994 qui
avait vraiment très bien marché. Tous les ans, il réimprime des étiquettes « Millésime 1994 »
puisque ce millésime marche très bien… C’est pour cela qu’aujourd’hui les grands Chinois
comme ChangYu ou Great Wall ne sont pas sur les salons internationaux, ils sont plutôt
discrets, ils savent que sur le plan juridique et légal ils ne sont pas tout à fait au point, ils sont
loin d’être dupes. En revanche, il existe des petits domaines, dont un qui se trouve à Taiyuan
et qui s’appelle Shanxi Grace Vineyard qui, pour moi, est peut-être le meilleur vin chinois. Je
ne sais pas si certains l’ont goûté mais il a gagné, il y a 2 ans je crois, une médaille d’argent à
Bruxelles. Il existe donc des vins chinois qui s’intéressent déjà aujourd’hui au marché
international, certains sont en vente dans les duty free ou dans les avions. Mais c’est aussi vrai
qu’il ne s’agit pas de leur préoccupation première.
Quant à la production chinoise, elle augmente effectivement. Il s’agit certainement d’une
progression de l’ordre de deux chiffres tous les ans, on plante partout. Je ne pourrais pas vous
dire combien exactement, mais les importations de plants augmentent. Encore une fois,
comme le disait M. Carbonneau, c’est extrêmement difficile d’avoir des chiffres précis, il y a
toujours en Chine des zones d’ombre, mais comme chacun le sait les ombres sont chinoises.
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A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE
ROYAUME-UNI & CHINE
SYNTHESE ET PERSPECTIVES DE LA JOURNEE
M. Jean KOUCHNER
Nous sommes donc arrivés au terme de notre demi-journée, je vais donc passer la parole à M.
Hervé Hannin, qui est Ingénieur de Recherche à l’Agro-Montpellier, et lui demander de bien
vouloir nous faire part de sa synthèse et de sa conclusion.
M. Yannick GUERIN
Avant que M. Huillet ne parte, je voudrais dire que j’ai été stupéfait de voir qu’on était arrivé
aux mêmes conclusions au bout d’un voyage officiel de quelques jours pour l’un, et de 6 ans
de résidence en Chine pour l’autre. A la différence près, peut-être qu’après 6 ans on se rend
compte que finalement sur la Samsonite à 10 €, il y a probablement 2 € qui sont partis dans la
poche du guide. Donc, finalement il l’a même payée très cher.
M. Hervé HANNIN
Ingénieur de Recherche à l’Agro Montpellier (IHEV)
Je vais essayer de vous livrer les quelques réflexions que ces débats m’inspirent.
Tout d’abord, j’ai l’impression que nous sommes en train de réussir le pari qu’on avait fait il y
a quelques années et là je me tourne vers les initiateurs de cette journée. Aujourd’hui on a
parlé de marketing, de mondialisation, d’interculturalité de façon extrêmement pragmatique,
et cela fait du bien de parler de viticulture sans parler forcément de crise et d’arrachage, même
si l’on n’oublie pas ces vraies questions difficiles, voire douloureuses. Il y a effectivement un
contexte de crise, et sans doute est-ce à la fois plus difficile et plus pertinent d’aborder ces
grandes questions que sont la mondialisation, le marketing, le contexte interculturel dans cette
période. Il faudra bien emprunter les voies de l’information de la recherche, et il faudra bien
des débats, pour faire avancer les choses. En tout cas, on est toujours ravi de pouvoir
participer à cela au niveau de l’Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin.
Deuxièmement, j’ai l’impression qu’on parle du vin en tant que produit, mais qu’en réalité, on
en parle plus fondamentalement en tant que « phénomène vin ». Si ce mot a un sens, c’est
justement dans ce genre de débats qu’on peut le voir. Finalement, ce qui importe, n’est ce pas
autant le produit, que son approche dans la distribution, la façon de faire du business, les
moyens utilisés pour leur donner de la valeur, etc. On ne comprend pas bien pourquoi dans
tel segment, on consomme de telle façon, pourquoi tout d’un coup les prix s’envolent dans tel
autre…. Cette valeur là, c’est bien autre chose que la valeur de l’eau et de l’alcool qui
composent majoritairement notre « produit-vin ». Qu’est-ce qui va donner cette valeur à ce
produit ? On touche bien là à l’approche d’un phénomène qu’il faut concevoir d’un point de
vue à la fois quantitatif et qualitatif.
Quantitativement, la difficulté d’approcher les statistiques a été évoquée. Quand on parle de
statistiques pour le Royaume-Uni et la Chine, il faut bien comprendre que l’on se heurte à un
obstacle : ces deux pays n’adhèrent pas à l’OIV, qui est justement l’instance dont une des
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missions est de suivre l’évolution de la production et la consommation dans l’ensemble des
pays de monde et qui le fait très correctement, en tout cas à biais constant. Pour la production
au Royaume-Uni, ne pas la suivre de près n’est peut-être pas très grave, mais en revanche, on
est un peu désemparé pour ce qui est de la Chine. Heureusement, l’OIV y travaille malgré tout
et certains organismes tentent également d’ y suppléer : c’est le Wine Intelligence dont nous a
parlé M. Jean Philippe Perrouty ou les approches d’UBIFRANCE, représenté aujourd’hui par
M. Olivier Prothon, ou d’autres encore ; reste qu’ il s’agit d’une véritable difficulté que de
pouvoir suivre ces évolutions statistiques.
Deuxième aspect, la Chine et les statistiques, voilà à une association qui peut laisser quelque
peu rêveur. J’ai parfois pensé que les Chinois nous cachaient quelque chose à nous donner des
chiffres fantaisistes ou à ne pas donner de chiffres du tout. En allant là-bas, on s’aperçoit
qu’ils ne cachent rien ou pas grand-chose manifestement, qu’ils donnent éventuellement ce
qu’ils ont, mais qu’ils ne sont probablement, et là je parle sous le contrôle des spécialistes, pas
aussi obsédés que nous, par le suivi statistique ; je me demande même s’ils ne considèrent pas
comme une forme de perversion mentale occidentale que d’être sans cesse obnubilé par ces
résultats. Le Chinois n’a pas très peur d’avancer sans statistiques, mais au fond, ne
fonctionnait-on pas ainsi il y a encore quelques décennies ? L’occident a sans doute acquis
une certaine façon de penser, qui tranche avec la culture chinoise sans pour cela qu’ils aient
du retard sur nous, au contraire ; en tout cas, il semble qu’ils s’émancipent très bien de ce
genre de fonctionnement. Sinon on ne comprendrait pas comment on arrive à la fois à planter
de la vigne et à consommer du vin à de tels niveaux dans un pays où cela n’était pas
traditionnel. On ne sait pas si les Chinois consomment 0,3 litres par habitant et par an, ou 20
litres par an, si on divise par les 22 millions que M. Yannick Guérin évoquait tout à l’heure.
Cela nous désarme peut-être, nous, de ne pas savoir, mais en Chine, ça ne désarme personne,
le Chinois avance très bien comme cela.
Le vin et le thé : un choc des cultures ?
Qualitativement, on mesure à quel point il n’y a pas de marché s’il n’y a pas de définition du
vin, et c’est là quelque chose qui nous touche beaucoup. En Chine, il y a peu de temps encore,
il y avait le même mot pour désigner l’ensemble des boissons fermentées ou distillées, pourvu
qu’il y ait de l’alcool, et une base de fruit quel qu’il soit, raisins ou autres. Une définition
juridique s’est faite jour récemment mais on sent bien qu’il reste du chemin à parcourir.. Il ne
s’agit pas d’une logique d’imitation ou de perversion, on est simplement dans un usage très
générique du mot « vin », tel qu’on l’a d’ailleurs connu en France jusqu’au 19ème siècle. On a
longtemps parlé de « vins » au pluriel, jusqu’à ce que celui de raisin ne gagne une suprématie
sur les autres. La Chine est un peu dans cette situation aujourd’hui. Mais pour comprendre
comment les Chinois peuvent envisager le vin tel qu’on le conçoit, nous, en occident ou
même plus largement à l’OIV, je crois qu’il faut regarder comment nous considérons le thé.
M. Richard Chane a fortement insisté avec raison sur l’idée que la palette, la richesse, la
diversité des thés est probablement supérieure à celle des vins, et pourtant il connaît bien les
vins. pensons à l’effarement des Chinois qui nous voient mettre allègrement du citron dans le
thé, du lait, et trouver cela très chic voire très anglais ! Et nous nous permettrions de leur dire
« Attention, ne mettez même pas d’eau dans le vin ! ». C’est sans doute cela aussi le choc des
cultures !
Ce choc des cultures n’est finalement pas très grave. Aujourd’hui, on a fait le pari de
conquérir des marchés. Cela ne signifie pas que la planète nous attend mais que nous sommes
prêts à aller voir segment par segment comment conquérir ces marchés et définir un nouveau
marketing-mix adapté à ce dessein. Pour définir ce mix, et (je crois que là tout le monde est
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d’accord, ce que je vois d’ailleurs avec plaisir par rapport à il y a quelques années), on a
compris que faire du marketing dans le vin c’est être capable de répondre à une demande sans
pour autant se soumettre au consommateur. Heureusement d’ailleurs, parce que ce
consommateur ne connaît pas forcément grand-chose !
Produits et réglementation
Nous avons eu aujourd'hui des enseignements intéressants sur la façon d’adapter nos produits.
Il faut d’urgence faire en sorte que nos rosés, qui sont des rosés de qualité, y compris dans le
sud de la France, deviennent des fers de lance sur le marché anglais. Il faut sûrement prendre
en compte des questions nouvelles de sucrosité qui correspondent à des goûts. M. Alain
Carbonneau notamment a parlé de physiologie, non pas de la vigne pour une fois, mais de
physiologie humaine et il a bien fait. Mon sentiment est qu’il faut sans doute innover, - M.
Michel Bataille a beaucoup insisté là-dessus-. Je ne suis pas sûr qu’on utilise toutes les
possibilités d’innovation ou, en tous cas, toutes les possibilités permises par la réglementation.
J’ai été surpris par exemple par l’affaire du bi-cépage en Angleterre ; je crois que rien
n’interdit dans la réglementation nationale, à des producteurs de Côtes du Rhône, de mettre
l’indication de bi-cépage sur leurs produits. On peut donc invoquer la réglementation
française pesante, mais on peut également utiliser toutes les possibilités permises par celle-ci.
Il n’en reste pas moins que la réglementation est parfois rigide. Si on voulait faire la même
chose que ce fameux vin de liqueur de cépage Vidal que M. Alain Carbonneau a repéré en
Chine, on ne le pourrait pas : pour pouvoir faire du vin doux naturel hors appellation, il faut
en effet déroger à un article de 1942... C’est ce genre de choses sur lequel il faudrait sans
doute réviser ou rénover la réglementation.
Le positionnement
Au niveau des prix, on a compris là aussi qu’il y avait parfois un paradoxe. Il faut être capable
d’attaquer des marchés à faible coût quand cela est nécessaire et ne pas s’enfermer dans un
modèle unique du produit de luxe ; au contraire, comme en Angleterre, où nous sommes trop
présents sur les entrées de gamme et sur le très haut de gamme, il faudrait se concentrer sur le
cœur de gamme. On voit que dans le cas de consommation ostentatoire, le prix n’est pas un
problème, et ça on peut le constater en Chine. J’ai vu par exemple un vin de Bergerac, sans
notoriété ici, à 25 € la bouteille là-bas. Mais là encore, ces vins-là sont bien packagés, comme
l’ont bien expliqué M. Yannick Guérin et M. Richard Chane.
La distribution
Sur la distribution, il semble qu’on progresse d’une année à l’autre. On ne se contente plus de
dire « grande distribution » ou « petite distribution traditionnelle ». On l’a bien vu dans les
exposés, derrière « le CHR », il y a du CHR qui est traditionnel sur lequel les vins français
sont bien placés au Royaume-Uni mais malheureusement la consommation en CHR
traditionnel décroît. La distribution en CHR branché, celle qui est subordonnée à de
puissantes centrales d’achat, à l’inverse, progresse et là, nous ne sommes pas bien placés.
C’est intéressant d’aller fouiller à l’intérieur des segments, et c’est justement cela, le
marketing : en permanence re-délimiter, approfondir chacun des segments, fouiller à
l’intérieur, creuser les logiques à l’oeuvre.
Trade marketing, le point commun à la Chine et au Royaume-Uni
Ce qui est intéressant à mon avis, et s’il y a une synthèse à faire entre le Royaume Uni et la
Chine (qui n’ont à peu près rien à voir sur la plupart des aspects), c’est l’idée qu’ on pourra
pas se contenter d’y faire un marketing du consommateur et négliger longtemps le
distributeur.
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ROYAUME-UNI & CHINE
A chaque fois, qu’on soit une petite coopérative, un petit opérateur ou même une grande
entreprise régionale, c’est-à-dire une toute petite entreprise mondiale, on n’échappera pas à l’
appel du trade marketing, c’est-à-dire un marketing qui cible les distributeurs. Ceux qui
réussissent sur les marchés à l’export le savent bien. On a évoqué le fait d’établir des liens de
confiance avec ses distributeurs, de partenariat à long terme, de mieux connaître son
distributeur pour mieux agir sur lui, comme en marketing des consommateurs finalement,
mais avec les distributeurs.
Qu’est-ce que le trade marketing ? ça rejoint les discours de ce matin et de cet après-midi :
étudiez bien votre distributeur ! Tous ne se ressemblent pas. Il est vrai qu’il y en a quatre gros
au Royaume-Uni, mais tous ne font pas la même chose. Avec Tesco, on peut envisager
d’autres partenariats qu’avec Sainsbury ou Asda – et inversement -, et c’est ça le trade
marketing.
L’autre enseignement du trade marketing, c’est qu’il faut arrêter de se battre contre son
distributeur et au contraire essayer de lui faire gagner de l’argent. C’est une petite révolution
que doivent faire nos esprits, mais si on y réfléchit bien, quand on fait gagner de l’argent à son
distributeur, il serait surprenant qu’il arrête de travailler avec nous !
Qu’elle se conçoive du côté du producteur ou en partenariat avec les distributeurs, il faut bien
également parler de communication :
C’est là un dénominateur commun à ce qui a été dit ce matin et cet après-midi. C’est vrai en
Chine, comme ça l’est en France et au Royaume-Uni. Ce sont les termes du partenariat qui
peuvent changer. Pour certains, il est urgent de distribuer des tire-bouchons en Chine, alors
qu’en Angleterre il est vrai que cela semble un peu moins urgent. C’est vrai aussi que la
promotion devient de plus en plus sauvage, rappelons-nous les exemples de ce matin. Les
diapositives que M. Richard Chane a passées tout à l’heure montraient des jeunes Chinoises
très souriantes qui s’occupaient gentiment d’un consommateur. Pour ce que j’ai vu
personnellement en Chine, le rayon vin de Carrefour, par exemple, met en concurrence
plusieurs importateurs qui apportent leurs propres vendeuses, habillées à l’occidentale.
Lorsque l’on arrive dans le rayon, on devient la cible idéale : c’est de la promotion un peu
sauvage mais très efficace : les vendeuses ne sont pas statiques, elles se précipitent vers nous
parce que leur commission est en jeu. On me dit que certaines étaient prêtes à manger l’oreille
de l’autre : comme cela faisait un peu désordre, « Carrefour » a mis un peu de déontologie
dans tout ça : il n’y a pas les gestes physiques, il n’y a pas de mêlée, mais il y a quand même
la volonté de tirer le maximum du client !
L’éducation du consommateur, une des clés de réussite.
En prenant un peu de recul, pour être vu sur ces marchés, on voit bien qu’il faut faire des
promotions, notamment par le prix, mais je ne suis pas sûr que le revenu du vigneron soit
systématiquement au rendez-vous. L’autre façon de faire c’est de gagner un peu en notoriété.
M. Henri de Colbert nous a montré qu’à force de se payer des premières pages, on finit par
gagner un peu de notoriété, et que c’est fondamental pour passer sur le marché. Néanmoins, il
témoigne aussi de ce que cette notoriété reste faible et elle coûte très cher. Ne sont-ce pas là
des instruments trop classiques ? A côté de cette promotion et de cette publicité, est-ce qu’il
ne manque pas simplement un peu plus d’éducation du consommateur ? Si on aide le
consommateur à reconnaître la valeur du produit, et c’est M. Daniel Granès qui le proposait ce
matin, peut-être sera-t-on moins obligé de baisser nos prix pour lui faire accepter le produit,
ou de le faire rêver avec la publicité, qui est certes un instrument utile mais aussi un
instrument classique que l’on retrouve associé à la plupart des produits de nos jours.
S’il y a une particularité au vin et s’il s’agit vraiment d’un bien culturel comme on le défend
tous les jours, ne faut-il pas retrousser une manche pour la publicité, une manche pour la
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promotion, et puis une troisième manche pour l’éducation ! On a la chance d’avoir des
étudiants qui arrivent en France et qui nous disent qu’ils veulent bien s’occuper de l’éducation
de leur concitoyens, parce qu’ils sont amoureux des vins ! Ces étudiants sont Japonais,
Chinois, Indiens, et ils aiment le vin, ils aiment la région, ils aiment la France, ils aiment le
Languedoc, mais il faut les éduquer. J’ai des anciens élèves dont certains ont traduit des
guides dans leurs pays, et d’autres qui en ont même écrit : le premier guide du vin à Taiwan a
été écrit par un étudiant taïwanais qui est venu se former en France et à l’OIV. Au Japon c’est
la même chose. Regardez bien M. Chane car vous avez peut-être devant vous le futur Parker
chinois ! C’est par l’éducation au vin qu’on risque de donner de la valeur ajoutée, une valeur
que l’on retrouvera en amont si on est capable de la faire remonter, si on ne la galvaude pas
chez le vigneron. Il ne faut pas être naïf, on n’échappera pas à ce travail d’éducation, tout en
faisant de la publicité et en investissant.
Je vais vous donner des exemples concrets. Quand on va voir des professionnels dans la
région et qu’on leur dit qu’on a des étudiants étrangers qui sont de véritables pierres
précieuses pour les entreprises de la région, qui parlent 5 langues, qui aiment le vin, qui
aiment la région et qui sont capables d’être des prescripteurs – car selon moi, la prescription
va être l’argument gagnant à l’avenir - je n’ose pas vous dire les réponses que l’on reçoit. Les
entreprises sont désemparées et nous disent qu’elles n’ont rien à leur proposer ! Un mois plus
tard, ces étudiants seront partis, trouveront du travail en Chine, parce que ne vous inquiétez
pas, en Chine il y a du travail. Voilà pourquoi les propositions qui ont été faites ce matin de se
présenter derrière des bannières communes ne signifient pas une perte d’identité ou une
uniformité : il s’agit de gagner en cohérence. On n’échappera pas à cela si on veut se battre.
Vous l’avez vu aujourd’hui : il n’y a pas beaucoup de place pour les petits ; à un moment
donné il faut se regrouper, se réunir, et ceci n’est pas nécessairement incompatible avec le fait
de faire valoir sa différence. Nous n’échapperons pas à cette disposition mentale à laquelle
nous devrions d’ailleurs être davantage préparés, je crois.
N’ayez pas peur d’éduquer le consommateur chinois, il n’a pas peur de la complexité, il est
pareil que l’automobiliste chinois, il est parfois capable de rouler dans les deux sens, sur les
deux pistes de l’autoroute ! Eux, à la réflexion, doivent nous prendre pour des esprits assez
étroits, en comparaison ! La complexité ne leur fait donc pas peur et l’AOC non plus :
paradoxalement, les 3 lettres AOC sont même un repère efficace et utile pour un chinois qui
ne sait pas lire intégralement nos étiquettes ! Toutefois, à la question de savoir si le
distributeur ou l’opérateur chinois va respecter l’AOC, l’on sait très bien que non. On l’a vu
avec l’exemple du Château Médoc évoqué ce matin qui nous fait réfléchir. Mais finalement,
le respectent-ils plus mal que tout un chacun dans le monde? La grosse différence est que le
Chinois est pragmatique. S’il faut dans un contrat respecter l’Appellation d’Origine, il le fera,
mais jamais avec un armement moral tel que le nôtre ! C’est en tout cas ce que disent les
consultants chinois aujourd’hui ; et ils ajoutent qu’en Chine, quand on signe un contrat, c’est
la première marche vers la dénonciation de ce contrat ! C’est finalement peut-être assez vrai
en occident aussi sauf qu’on n’aime pas le vivre de la sorte...
La compétitivité
Je terminerai en disant qu’après ce que nous avons entendu aujourd'hui, il semble bien que
s’ouvrent des voies pour résoudre notre problème de compétitivité. Aujourd’hui on arrive à
diagnostiquer assez bien que le problème de la crise viticole que l’on connaît est très lié à et
un problème de compétitivité. Il faudra sans doute revoir à un certain moment la question des
rendements dont parlait M. Michel Bataille tout à l’heure. Sans doute faudra-t-il revoir le
modèle des AOC généralisé à l’IG en France pour près de 85% de la production. J’y inclus
les vins de pays car il s’agit un peu de la même philosophie. Ou 55% de la production même
pour les AOC pures, c’est beaucoup. S’imposer des contraintes, se tirer des balles dans le pied
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sur 55% de la production, ce n’est sans doute pas la voie de la compétitivité. Or, à quoi
s’expose-t-on là ? On a deux exemples frappants, le Royaume-Uni et la Chine sur lesquels il
nous faut être compétitifs ; cela se fera peut-être d’abord par les rendements, qu’on a le plus
amputés avec certains décrets.
Le mystère chinois
La question a été posée aussi, et je crois qu’il ne fallait pas l’oublier : que deviennent les vins
importés en Chine ? Il est vrai qu’en Chine, on ne voit pas bien les vins importés, à part ceux
en bouteilles. On ne sait pas bien où passent les vins en vrac importés. Je pensais que cette
question serait posée… La question qui se pose aussi est : que va faire la Chine ? Elle peut
importer, produire. Veut-elle exporter ? C’est probable, au moins dans les restaurants chinois
comme disait M. Richard Chane, et au-delà. Veut-elle être le « maître du monde » comme
disait M. Jean Huillet ? Je n’en sais rien, je ne suis pas sûr (l’empire du « milieu »n’a pas
toujours démontré son impérialisme à l’extérieur), mais en tout cas elle en a les moyens et
c’est une chose possible à terme. Est-ce que c’est sa volonté ? C’est une question qu’il faudra
suivre à défaut d’y répondre aujourd’hui.
Bonne nouvelle, M. Jean Huillet l’a dit tout à l’heure, il faut investir, sur de l’immatériel et on
l’a vu avec le marché anglais sur la promotion, l’image, la communication, et il faut le faire
en Chine aussi. A une époque où on parle d’arrachage généralisé, qui ressemble beaucoup à
un désinvestissement, cela fait plaisir de savoir qu’on peut et qu’on veut encore investir.
Quand on investit, c’est que l’on pense qu’il y aura un retour sur investissement et c’est donc
plutôt de bon augure.
Je terminerai en vous disant qu’à mon avis, si l’on regarde ce qui se passe dans le monde de la
distribution au Royaume-Uni, dans la psychologie du consommateur et du distributeur
chinois, le maître mot de cette journée me paraît être le pragmatisme. Dans notre pays,
fortement producteur, notre région très productrice, la plus grande du monde sans doute, notre
département lui aussi très producteur malgré les politiques d’arrachage, je crois qu’on n’a
jamais autant parlé de pragmatisme qu’à l’époque actuelle, cela va sans doute devenir une
obligation. Peut-être avons-nous été jusqu’à présent très théoriciens, organisateurs du monde,
de nos appellations, de nos définitions. Il faut sans doute prendre un peu de recul, mais il ne
faut pas tout lâcher non plus. On connaît les limites du libéralisme économique. On va bientôt
fêter les 100 ans de 1907. On sait que dans l’histoire de ce siècle, l’une des façons de résoudre
ces crises d’un marché de surproduction libérale a justement consisté à structurer l’offre et la
production jusqu’au statut viticole, aux appellations d’origine, et à la création de l’OIV en
1924. Je crois que la trentaine d’années entre 1907 et la 2ème guerre mondiale, n’aura pas été
du temps perdu pour le vin et pour la structuration de l’offre. Simplement, on ne peut plus
vivre tout à fait avec ça aujourd’hui mais il faut sans doute encadrer ces marchés
internationaux pour en protéger les vertus et la loyauté… même s’il faut un peu de
pragmatisme pour regagner ces marchés.
Je vous remercie de votre attention.
M. Jean KOUCHNER
Merci. Je suis ravi de voir que vous restez assis, cela prouve que vous en redemandez, mais la
séance est terminée. Je vous remercie de votre participation. Merci à vous, qui avez fait ce
voyage de Chine et à vous, qui avez participé. Nous nous reverrons très bientôt. Les actes du
colloque vous seront envoyés.
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