Le s Cah ie rs de l 'O b s e rvatoire viticol e - N° 5 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE SOMMAIRE ACCUEIL............................................................................................................. 3 M. Kléber MESQUIDA Premier Vice-président du Conseil général de l'Hérault, Délégué général, chargé de l’aménagement durable du territoire PRESENTATION DE LA JOURNEE .............................................................. 5 M. Christian JEAN Vice-président du Conseil général de l’Hérault, Délégué à l’agriculture et à la forêt, Conseiller général, Maire de Claret. LA CONSOMMATION MONDIALE DE VIN : ZOOM SUR LE ROYAUME-UNI ET LA CHINE......................................... 7 Mme Francoise BRUGIERE Chef de décision Etudes et Marchés – Viniflhor DISCUSSION .................................................................................................... 11 LE ROYAUME-UNI......................................................................................... 15 APPROCHE MARKETING DANS LA GRANDE DISTRIBUTION ANGLAISE ........................................................................................................ 15 M. Olivier PROTHON Chef de mission agricole Ubifrance COMPRENDRE LES CONSOMMATEURS DE VIN EN GRANDEBRETAGNE....................................................................................................... 21 M. Jean-Philippe PERROUTY Research Manager – Wine Intelligence TABLE RONDE : QUELLE STRATEGIE ADOPTER FACE A LA MONTEE EN PUISSANCE DES PAYS DU NOUVEAU MONDE SUR LE MARCHE BRITANNIQUE ? ............................................................................................. 29 Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1 CONCLUSION DE LA MATINEE ................................................................ 49 M. Henri CABANEL Conseiller général - Délégué à la viticulture 1ER DECEMBRE 2006 1 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE PRESENTATION DES VINS LES PLUS VENDUS AU ROYAUME-UNI ET EN CHINE ................................................................................................... 53 M. André VEZINHET Président du Conseil général de l'Hérault PRESENTATION DE LA VITICULTURE CHINOISE.............................. 55 M. Alain CARBONNEAU Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du vin Professeur de viticulture à l’Agro Montpellier APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONSOMMATEUR CHINOIS ....... 63 M. Yannick GUERIN Operations Manager – Fargo Group APPROCHE MARKETING DE LA GRANDE DISTRIBUTION CHINOISE ......................................................................................................... 68 M. Richard CHANE Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine TABLE RONDE : PERSPECTIVES ET FACTEURS DE REUSSITE POUR LES VINS DU LANGUEDOC SUR UN MARCHE EMERGENT ....................................... 75 Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER SYNTHESE ET PERSPECTIVES DE LA JOURNEE ................................ 84 M. Hervé HANNIN Ingénieur de Recherche à l’Agro Montpellier (IHEV) 1ER DECEMBRE 2006 2 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE ACCUEIL M. Kléber MESQUIDA Premier Vice-président du Conseil général de l'Hérault, Délégué général, chargé de l’aménagement durable du territoire Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue dans cet Hôtel du Département, mais aussi vous dire le plaisir que l’on a de vous rencontrer pour échanger sur ce problème essentiel, partie intégrante de notre richesse, de notre culture, qu’est le vin, et qu’est aussi la vigne à travers l’élément qu’elle apporte en structurant le paysage et en donnant un sens à l’économie de ce département. L’Observatoire viticole Nous avons créé un Observatoire viticole depuis 2002. Il a tout d’abord été en gestation, on l’a expérimenté, et on a créé plusieurs groupes de travail ; je ne vais pas entrer dans le détail puisque ce n’est pas l’objet aujourd’hui. Si tout à l’heure il y avait des questions, mes collègues approfondiront ou donneront plus d’éclairage sur le fonctionnement de cet observatoire. Nous l’avons conçu comme un outil à disposition de la profession, pour qu’elle puisse en tirer des enseignements et définir les stratégies nécessaires pour orienter les cultures, pour essayer de re-cibler un certain nombre d’éléments par rapport à la commercialisation, qui est essentielle. Ce travail qui est fait avec les professionnels, et même principalement par eux, puisque dans le comité de pilotage, ils sont très largement majoritaires avec sur 21 membres du comité de pilotage, seulement 4 élus du Conseil général, est une volonté départementale d’accompagner, d’être aux côtés de la profession et aussi de mettre les moyens nécessaires. Nous n’avons pas la prétention de dicter des directions, mais nous avons cette volonté forte d’accompagner. A la découverte des vins du monde, pourquoi ? Je n’en dirai pas plus sur l’outil. Aujourd’hui, l’objectif c’est la découverte des vins qui sont consommés au Royaume-Uni et en Chine. Je l’annonce car nous avons eu dans les fiches d’inscription quelques observations : «Pourquoi allons nous découvrir les vins des autres mondes alors que nous en produisons ? » Je crois que, lorsqu’on veut pénétrer des marchés, il faut savoir ce que le client attend, ce qu’il est, ce qui l’attire, pourquoi il consomme tel type ou telle typologie de vin ou de produits, et éventuellement voir si nos produits peuvent s’adapter, peuvent être contingentés de manière à rentrer dans des créneaux de concurrence. Il est évident que, lorsque qu’on l’on produit, l’objectif essentiel est de prendre des parts de marché. Je n’en dirai pas plus là-dessus non plus, puisque je veux être très bref. Ministre et Parlementaires Je voudrais simplement vous dire quelques mots sur l’actualité, puisqu’il y a eu une rencontre avec le Ministre mercredi matin, à Paris, avec des parlementaires de la région. Pour une fois, et pour la première fois, le Ministre a donc réuni l’ensemble des parlementaires, quelque soit leur engagement politique, et nous avons fait un tour de table. Chacun a pu s’exprimer s’il le souhaitait. Le Ministre a annoncé un certain nombre d’éléments d’accompagnement et il y a eu quelques revendications de la part de parlementaires, notamment au sujet d’une intervention très forte de l’Etat par rapport aux metteurs en marché. Une question a également 1ER DECEMBRE 2006 3 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE été soulevée : pourquoi ne pas mettre un fonds de soutien en trésorerie aux grandes entreprises, c'est-à-dire les coopératives ? Les vignerons indépendants ont certes des difficultés aussi, mais quand on s’adresse à une cave coopérative, il y a un regroupement, il y a une masse, il y a une quantité derrière. Ce fonds de soutien viserait à essayer de réguler le marché car aujourd’hui le prix de la distillation est devenu le prix directeur. Il est impensable que l’on puisse vendre à perte alors que, normalement, la loi l’interdit. Aujourd’hui, c’est pourtant ce qui se passe dans la plupart des cas, et ce qui est regrettable, parce que ça met à plat un certain nombre d’économies, et ça va mettre en très grande difficulté un certain nombre de vignerons, dans une proportion importante. Je n’en dirai pas plus encore là-dessus, mais dans tous les cas je peux vous assurer que le Département, avec ses moyens budgétaires, a la volonté politique d’accompagner la profession pour traverser cette crise-là, d’essayer de mettre en place un certain nombre de dispositifs, de moyens d’accompagnement, de soutien, pour que l’on puisse être davantage offensif sur le plan des marchés. Puisqu’il s’agit de marchés, je crois qu’aujourd’hui on aura l’occasion de découvrir deux pays, de comprendre pourquoi et comment ils arrivent à importer des vins et de quelle manière ils le font. Nous allons essayer de comprendre comment nous positionner de façon plus offensive et plus performante, et quand je dis « nous », c’est globalement, en terme sociétal. Dans tous les cas, il est important que nous soyons vigilants et que tous les moyens soient mis en œuvre, que des synergies soient créées entre l’Etat, la Région, le Département, les collectivités locales, pour faire face à cette crise qui est sans précédent depuis 1907, comme tous les acteurs le reconnaissent, et qui aujourd’hui pèse énormément sur notre économie. Je vous souhaite une bonne matinée de travail, une bonne dégustation, et que les échanges fructueux puissent nous éclairer un petit peu l’avenir parce qu’aujourd’hui hélas, il est bien sombre… Merci, bon travail et bon courage. 1ER DECEMBRE 2006 4 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1 Merci M. le Vice-président. M. Christian Jean, à vous maintenant de nous présenter cette journée. PRESENTATION DE LA JOURNEE M. Christian JEAN Vice-président du Conseil général de l’Hérault, Délégué à l’agriculture et à la forêt, Conseiller général, Maire de Claret. Après les mots d’accueil de mon collègue Kléber, je vais essayer de rentrer dans le vif du sujet. La préoccupation que nous avons depuis deux ans déjà, c’est effectivement, au niveau de l’Observatoire viticole, de rentrer dans le volet « veille concurrentielle » et de permettre à chacun d’entre nous de bien mesurer ce qui se passe autour de nous, par rapport aux difficultés que nous connaissons, et de réfléchir à la façon dont nous pouvons prendre un certain nombre d’orientations liées à ce qui se passe dans le monde, puisque aujourd’hui nous savons que nous en sommes directement tributaires. Je rappellerai simplement qu’en 2004, nous avions vu les conditions de production ainsi que les approches commerciales du Chili, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud et de l’Australie. Mais je tiens à insister surtout sur le volet conditions de production. En 2005, notre démarche avait été tout à fait comparable et les pays ou régions étudiés étaient la Californie, l’Espagne et l’Italie, nos voisins. Pour 2006, bien entendu, la situation évolue quelque peu, puisque c’est davantage le volet «approche commerciale, marketing » qui va être abordé sur deux pays : le Royaume-Uni et la Chine. Pourquoi le Royaume-Uni ? Nous avons choisi le Royaume-Uni parce que tout le monde connaît la place qu’occupe ce pays dans l’action commerciale et l’importance de ce qu’on appelle « la démarche anglosaxonne » au niveau de tous les vins. On sait très bien qu’une grande partie des vins qui sont commercialisés dans le monde sont marqués par une approche anglo-saxonne. Il est donc très important de comprendre ce marché, notamment au niveau de l’approche, de la consommation dans ce type de pays et de la façon dont la distribution et les démarches marketing ont pu être faites, parce que je crois que cette approche peut avoir un écho dans bon nombre d’autres pays qui sont un peu sous l’emprise culturelle du Royaume-Uni. Pourquoi la Chine ? Je remercie tout particulièrement les personnes qui vont intervenir sur ce volet parce que je vais vous faire part d’un témoignage assez personnel : par hasard, et par curiosité, je voulais connaître le cœur de l’Asie et je suis parti l’an dernier en Kirghizie pour voir les hauts plateaux. C’est vrai que les paysages sont exceptionnels et en me baladant, je suis arrivé au bord du lac Issyk Köl, un grand lac qui est situé au nord de la Chine et à l’ouest de la Mongolie. J’y ai découvert qu’il y avait des Italiens qui s’étaient installés là-bas et qui allaient y cultiver de la vigne. J’ai été très étonné. Je crois qu’aujourd’hui la vigne est en train de se 1ER DECEMBRE 2006 5 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE généraliser en tant que production sur toute notre planète, parce que réellement, en tant que vigneron, je ne désespère pas que ce soit effectivement cette consommation-là qui va couvrir la planète entière, qui va être la consommation la plus prisée dans le monde et qui va faire référence en terme de consommation. En discutant avec les Italiens, j’ai compris qu’ils s’installaient là-bas en y apportant toute une culture au niveau de la mise en valeur des terres et au niveau de la culture méditerranéenne de la vigne. Ils allaient en fait transposer là-bas tout un savoir-faire qui venait de chez nous. Ainsi, d’une certaine façon, pour les consommateurs de ces vins là-bas, la référence sera une référence méditerranéenne. Dans le challenge qui se présente à nous, puisque nous traversons une période de crise difficile, je crois que Kléber l’a rappelé, nous, les élus, portons une grande attention au suivi de cette situation, à la façon dont nous souhaiterions voir, ici et là, au travers de nos gouvernants, quelques dispositions clairement édictées, et qui faciliteraient une véritable reprise dans le maintien de la vigne au meilleur niveau, dans le département de l’Hérault. Cela dit, il faut savoir en même temps que nous allons être confrontés à cette concurrence mondiale, mais confrontés en sachant que les gens qui vont produire dans le monde vont prendre souvent comme référence ce qui s’est fait chez nous, puisque la vigne a souvent ses états de noblesse dans les secteurs où nous produisons. C’est donc cette confrontation de situations qui me parait être particulièrement intéressante, même si les choses sont apparemment difficiles. Il faut quand même que nous arrivions à comprendre ce qui se passe autour de chez nous, pour que nous arrivions à préserver une viticulture qui servira, je l’espère à l’avenir, et sans faire du nombrilisme, d’élément de référence à toutes les productions au monde. Là aussi, c’est tout à l’honneur des centres de recherche, des centres de développement, de pouvoir nous accompagner et de pouvoir faire école, parce qu’on ne vit pas isolé du reste du monde, et l’avenir est justement fondé sur une parfaite compréhension de ce qui se passe à l’extérieur. Il s’agit de l’un des objets essentiels de l’Observatoire viticole, et je ne doute pas que nous arriverons d’année en année à permettre cette compréhension et à faciliter le travail des vignerons qui oeuvrent quotidiennement sur notre territoire. Ce que je viens de dire est peut-être ambitieux, mais il s’agit sûrement de la réalité que l’on peut vivre au quotidien chez nous. En tous cas, cette journée me paraît être de la plus grande importance parce que c’est au travers de l’approche du Royaume-Uni et de la Chine que nous allons répondre à certaines interrogations et peut-être permettre de mieux apprécier la façon dont nous pouvons œuvrer dans nos organisations professionnelles afin de préserver un avenir à la viticulture, qui comme l’a dit Kléber, est réellement essentielle à l’avenir de ce département. 1ER DECEMBRE 2006 6 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE LA CONSOMMATION MONDIALE DE VIN : ZOOM SUR LE ROYAUME-UNI ET LA CHINE M. Jean KOUCHNER Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1 Merci M. Christian Jean. Sans attendre, nous allons examiner ce qu’est aujourd’hui cette évolution de la consommation mondiale de vin. Nous ferons un zoom sur le Royaume-Uni et la Chine, ces deux pays au cœur de nos réflexions d’aujourd’hui. Je donne donc la parole à Mme Françoise Brugière. Mme Francoise BRUGIERE Chef de décision Etudes et Marchés – Vinifllhor Merci beaucoup. Je vous fais une très courte introduction à propos de l’aspect zoom sur la Grande-Bretagne et la Chine, puisque nous avons la chance d’avoir des spécialistes de ces deux pays aujourd'hui. La consommation mondiale de vin Je vais uniquement présenter des éléments sur la consommation mondiale. Certaines diapositives sont en anglais parce que nous nous sommes dit que pour être présents sur les marchés internationaux, il y avait un préalable linguistique et que ce n’était pas très choquant de présenter l’information en anglais. Où consomme-t-on du vin ? D’après les statistiques qui sont générées par l’OIV, essentiellement en Europe, avec 2/3 des vins consommés, et en Amérique avec 21% des vins consommés. Donc, la consommation est très concentrée : 7 pays (France, Italie, Etats-Unis, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Argentine) représentent 60% de la consommation mondiale de vin. Ces pays sont presque tous des pays producteurs. On note néanmoins l’arrivée récente dans ce petit groupe de tête du petit nouveau dont on a beaucoup parlé, le Royaume-Uni, qui aujourd’hui se trouve, toujours d’après les statistiques de l’OIV, en 6ème place dans ce palmarès des consommateurs de vins. La Chine pourrait éventuellement être tout près de ce groupe de tête des consommateurs. Donc, on a d’abord, pour la consommation de vin, des pays qui sont des pays producteurs, avec, largement en tête, la France et l’Italie. Comment évolue la consommation mondiale de vin ? Elle a énormément chuté dans les années 80.. Elle s’est stabilisée dans les années 90, malgré des variations interannuelles importantes, et on peut dire maintenant que, depuis 95, la consommation mondiale de vin est à nouveau en croissance. En effet, au cours des 10 années cette tendance à la croissance n’est pas démentie, avec des variations interannuelles qui peuvent être importantes mais qui sont également dues à une grande part d’incertitude. Il y a un grand nombre de pays dont on ne connaît pas précisément la consommation. Quand on ne connaît pas cette consommation, on 1ER DECEMBRE 2006 7 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE la calcule par solde. De la production additionnée des importations, on soustrait les exportations, ce qui reste et qui n’est a priori pas distillé, bien que là aussi on n’en sache pas grand-chose, est considéré comme étant la consommation. Sans vraies statistiques, on opère de cette façon. Après estimation de cette consommation, on peut considérer que, depuis une dizaine d’années, la consommation mondiale est en croissance d’environ un million et demi d’hectolitres par an. Ceci est plutôt une bonne nouvelle pour le secteur viticole, comme a dit M. Jean, avec un produit qui trouve de plus en plus de consommateurs dans de plus en plus de pays, ce qui n’est pas le cas de toutes les économies ou de toutes les filières. On a donc un élément très favorable par rapport à la filière du vin. Cette progression de la consommation est la résultante de deux tendances contradictoires : - une première tendance qui est la baisse, à partir de niveaux très élevés, de la consommation dans les pays traditionnellement producteurs et consommateurs. Vous avez ainsi 4 pays (parmi lesquels on pourrait ajouter le Portugal), où les niveaux de consommation étaient très élevés dans les années 60, et avaient quasiment diminué de moitié en 2000 : l’Italie, la France, l’Argentine et l’Espagne. L’Argentine est un pays du vieux monde viticole quand on regarde la consommation, un pays qui a connu aussi une crise dans son mode de consommation - avec une consommation de vin de table dont plus personne ne veut, cela impliquant donc une profonde modification de ce vignoble. - L’autre tendance concerne les pays qui ne consommaient quasiment pas de vin dans les années 60 et dont on voit progresser la consommation depuis 30 ans. Quelques exemples significatifs : la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark, dont on regrette d’ailleurs qu’il ne soit pas un plus grand pays, parce qu’on voit qu’ils font quand même beaucoup d’efforts pour la consommation de vin. Ces pays-là sont des pays qui consommaient bien sûr déjà de l’alcool avant de découvrir le vin, mais qui consommaient l’alcool prioritairement sous forme de bière, éventuellement de spiritueux. Le grand mouvement mondial qui dynamise la consommation du vin est que dans tous les pays, la source d’alcool traditionnelle majoritaire voit sa part diminuer dans la consommation d’alcool au profil des autres sources. Il se trouve que, démographiquement parlant, les consommateurs qui consommaient l’alcool prioritairement sous forme de bière ou de spiritueux sont plus nombreux que ceux qui consomment l’alcool aujourd’hui prioritairement sous forme de vin. Donc si ceux qui consomment sous forme de vin voient leur consommation diminuer, les autres, qui sont en train de basculer de la bière et des spiritueux vers le vin, sont plus nombreux et c’est ce qui fait que, au final, la consommation de vin mondiale est en train de progresser. On peut d’ailleurs penser que cette progression va se poursuivre. Niveau de consommation des vins et autres alcools Les pays à potentiel sont des pays où on consomme déjà de l’alcool. Il est vrai qu’il est plus facile de faire boire du vin dans ces pays-là; et nous allons d’abord nous pencher sur eux. Dans de nombreux pays, la part du vin peut potentiellement progresser. Le Royaume-Uni • Un marché en croissance C’est un pays dans lequel les importations sont en croissance. La part de la France dans l’exportation de vin vers le Royaume-Uni stagne depuis 15 ans, alors qu’on voit progresser la part de l’Australie et des Etats-Unis. La part des Etats-Unis qui semble décroître à la fin est en fait un petit artéfact : il y des vins américains qui partent en vrac des Etats-Unis vers l’Italie, sont embouteillés en Italie et sont ensuite expédiés en Angleterre. Et c’est la provenance et non l’origine qui est prise en compte par les douanes, d’où des difficultés à analyser les 1ER DECEMBRE 2006 8 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE statistiques, difficultés qui devraient croître car plus nous allons assister à ce type de mouvements, suite à des rachats d’entreprises, plus nous aurons de difficultés à comprendre les statistiques. Dans tous les cas, ce que l’on peut retenir là, c’est que, dans ce marché en expansion qu’est le Royaume Uni, la France maintient ses positions mais ne se développe pas. • Mode de consommation Comment consomme-t-on le vin au Royaume-Uni ? Déjeuner ou dîner dehors est un type de distraction en voie de développement : 24% des Britanniques vont au restaurant une fois par mois le soir et 14% en journée en dehors des fast-food. Comme dans les autres pays, on assiste, du fait de l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail, et aussi du fait que les femmes travaillent, à une progression des repas pris en restauration rapide, ce qui n’est pas favorable à la consommation de vin. En moyenne, un Britannique prend chaque année 171 repas en dehors de son foyer, ce qui représente 25 millions de repas chaque jour, dont 2/3 en restauration commerciale et 1/3 en restauration collective. Selon mes chiffres qui datent un peu mais seront actualisés tout à l’heure, le secteur de la restauration réalise 20% des ventes de vin en volume et 30% en valeur. Au Royaume-Uni on a également une progression de la consommation à domicile par rapport au hors domicile. Juste un petit zoom plus précis sur ce se secteur du hors domicile : La partie « restauration traditionnelle » a tendance à diminuer en terme de commerce de vin, mais dans la restauration branchée – la nouvelle restauration en chaîne – la consommation – et donc la vente – de vin a tendance à progresser. Et ceci concerne tous les vins. Si on regarde où sont les vins français, on voit qu’ils dominent dans cette restauration traditionnelle, et donc subissent également l’érosion de ce marché. A l’inverse, les vins français ne sont pas présents dans cette restauration branchée, dont le marché se développe. Je pense qu’on va nous expliquer pourquoi, et quels sont les acteurs mondiaux qui savent vendre les vins dans ce type de restauration. • La grande distribution Au Royaume-Uni, ce marché est en croissance, et là aussi la part des vins français a tendance à décroître et passe de 27% à 17%. Les Australiens sont passés devant et maintenant ce sont les Américains qui montent très fort. Pourquoi les vins français n’ont-ils pas leur place dans le circuit en libre service ? Est-ce qu’on ne peut pas vendre de vins français dans ce circuit ? Là aussi j’espère que nos experts vont nous apporter des réponses. • Les rosés Dernier élément sur la Grande-Bretagne : un exemple de difficulté, le marché des rosés. Ce marché a beaucoup progressé ces dernières années, puisqu’on a une progression de 75% sur 3 ans de vente en grande distribution. Les ventes de rosés français progressent de 25%, les rosés californiens de 100%. Les rosés californiens dominent déjà ce marché des vins rosés tel que vous pouvez le voir. N’aurions nous pas des rosés qui pourraient plaire aux Britanniques ? Voilà une autre question…. 1ER DECEMBRE 2006 9 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE La Chine La première difficulté est d’avoir des statistiques. Je ne parlerai que peu des aspects du vignoble. Le vignoble en Chine est en croissance, avec 150 000 hectares qui sont destinés prioritairement au raisin de table, mais qui peut être aussi être vinifié : on a donc du mal à cerner les vignobles, dits strictement de cuve. • La consommation En matière de consommation, la Chine en 2003 se trouve parmi les premiers pays consommateurs, avec ce chiffre fourni par l’OIV. Là aussi, ces statistiques sont déduites par le solde, ce ne sont pas des statistiques de consommation directe, puisqu’ils n’ont pas le bonheur de connaître la consommation taxée en Chine. La consommation y serait de 10 millions d’hectolitres, et dans ces 10 millions on aurait en fait 4 à 5 millions qui seraient vraiment des vins obtenus exclusivement à partir du raisin et le reste qui seraient des vins avec d’autres fruits divers et variés. La définition du vin n’est donc pas encore complètement calquée sur la définition générale du vin. Selon les sources Sopexa, en ce qui concerne le marché intérieur chinois, on estime qu’il y a une production de vins sensu stricto de 4 millions d’hectolitres et des importations de 540 000 hectolitres. Et là, on serait vraiment uniquement dans le marché des vins entièrement obtenus à partir de raisin. Donc, les Chinois, comme tous les pays producteurs, boivent local. Le Français boit français, l’Italien boit italien, l’Américain boit américain, le Chinois boit, en grande majorité, chinois. Néanmoins, les importations sont en forte progression. La France est dans le mouvement de progression de ces importations et est suivie de près par l’Australie. C’est plutôt une bonne nouvelle, une nouvelle intéressante. Il faut qu’on nous confirme que les choix qui sont faits par les entreprises françaises sont les bons et que cette dynamique de croissance des vins français reste possible. Autre élément d’optimiste sur le marché chinois, qui le résultat de négociations OMC, le résultat de la mondialisation des échanges si l’on peut dire : les taxes à l’importation ont fortement décru ces dernières années. On a néanmoins à peu près 48% de taxes sur les vins en Chine, et cela aussi vous sera détaillé plus tard. Je vais terminer par deux petites photos : La première montre un rayon vins en Chine. Ma première impression quand je vois cela est de ma demander comment on peut leur imposer des choses pareilles. On a perdu les consommateurs français dans des rayons comme celui-ci. Cela m’interroge beaucoup ce type de rayons et j’espère aussi que les experts vont nous éclairer sur la capacité des Chinois à trouver leur bonheur dans un rayon tel que celui-ci. Pour finir, il s’agit d’une photo ramenée de la mission effectuée par le Ministre il y a une dizaine de jours : Il s’agit de vins chinois dont nous avons pris l’étiquette. Vous avez donc ce magnifique Château Médoc-Paris, Cabernet-Sauvignon (n.d.l.r. image d’un château très bordelais avec la Tour Eiffel en arrière plan) : cela peut donner matière à réflexion sur la manière d’aborder, en position solide, ces marchés lointains. Voilà, je vous remercie et vous souhaite une bonne journée. 1ER DECEMBRE 2006 10 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE DISCUSSION M. Jean KOUCHNER Merci beaucoup pour cet exposé très clair et porteur de beaucoup d’informations. On va pouvoir disposer de quelques instants, notamment pour répondre à quelques questions, en attendant que nos amis viennent exposer plus précisément la situation en Angleterre. Ils ne sauraient tarder à arriver, M. Prothon est d’ailleurs déjà là. Nous regrettons tous, vu les sourires qui ont parcouru la salle, que le Danemark ne soit pas plus grand et que certains pays producteurs ne soient pas plus petits. Y a-t-il des questions, des précisions que vous souhaiteriez approfondir et poser à Mme Bruguière ? M. Michel BATAILLE Président de l’Union des Coopératives de Foncalieu Je voudrais savoir ce que pense la salle de la dernière photo qui nous a été montrée (n.d.l.r. image d’un château très bordelais avec la Tour Eiffel en arrière plan). Quand on voyage dans le monde et que l’on parle de vins, les gens font très souvent référence à la France. Si l’on prend l’exemple de cette bouteille de vin chinois, comment est-elle référencée ? Elle est référencée comme Château, c’est souvent la façon de dire que c’est un grand vin en France, Médoc, zone de production française, Paris, c’est la France. C’est vrai que nous pouvons nous demander à juste titre que, si demain, tout le monde se met à faire du vin comme celui-là, nos vins vont disparaître. Mais dans le même temps, partout dans le monde, il se boirait du vin avec une connotation française. Alors, comment arriver à concilier cette double situation ? Pour nous, il serait particulièrement important que la référence du vin reste française dans le monde, et que dans le même temps les vins français puissent avoir leur place au niveau de la commercialisation mondiale. Voilà le challenge, la réflexion. Je n’ai pas moi-même de solution, mais j’aimerais, si dans la salle certains ont des appréciations, qu’ils donnent à chaud l’appréciation qu’ils ont de ce type de provocation. M. Jean KOUCHNER Quelqu’un veut répondre à cette vaste question ? De la salle Cette étiquette ne me provoque pas du tout. Les Chinois utilisent une ligne avec trois hameçons : un hameçon Château, un hameçon Médoc et un hameçon Paris. Si un poisson passe, ils l’attraperont sans doute, parce que l’un de ces trois hameçons va forcément lui plaire. 1ER DECEMBRE 2006 11 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER Les Parisiens sont spécialement contents de voir que la Tour Eiffel est maintenant dans un environnement durable. Mme Francoise BRUGIERE Je ne sais si M. Laurent Mayoux pourrait nous éclairer par rapport au projet de la Ferme Française en Chine, avec cet objectif que la France soit la référence pour les Chinois via les réalisations de ce projet. M. Laurent MAYOUX Viniflhor Je peux en dire deux mots. Je travaille avec Françoise Brugière à Viniflhor. Viniflhor est associé avec le Ministère de l’Agriculture sur un projet de coopération bilatérale technique entre la France et la Chine. Ce projet a consisté à construire en Chine, à proximité de Beijing, dans la province de Huailai, une ferme, appelée ferme franco-chinoise. C’est une ferme pilote vitivinicole de 20 hectares où nous avons implanté un vignoble avec des cépages français. On a exporté notre meilleur savoir-faire en terme de technique sur les cépages : les meilleurs clones, les meilleurs matériels. A première vue, cela peut paraître très bizarre : « Mais que fait-on, on va aider les Chinois à faire mieux que nous, à leur transférer notre savoir-faire ?! ». Par rapport à cette interrogation, je crois qu’il faut prendre un peu de recul et se poser deux questions : d’une part, je crois qu’il y a une attente forte des Chinois en matière de savoir technologique au niveau du vin, car ils n’en ont pas. Si nous ne sommes pas là, beaucoup de nos concurrents sont tout à fait prêts à aller faire la même chose : les Australiens et les Italiens, notamment, ont d’ores et déjà fait des propositions, et pour même faire encore plus grand que nous. Donc, si nous ne le faisons pas, d’autres le feront et le transfert technologique se fera. C’est clair et net, cela a été le cas dans d’autres pays et la Chine n’échappera pas à cette situation. D’autre part, à travers cela, nous avons voulu créer chez les Chinois un sentiment de fierté de production nationale de vins chinois, et associer à ce sentiment de fierté l’image de la France. Cela peut sembler être un raisonnement un peu compliqué, mais si demain, les meilleurs vins chinois sont faits avec de la technologie française, ces meilleurs vins seront associés à la France et l’idée qui sous-tend derrière est que lorsqu’un Chinois se rend dans un rayon vins en Chine ou ailleurs, lorsqu’il passe devant les vins français, il ait en tête ces références et qu’il se dise « ce sont les vins français les meilleurs et je vais acheter ces vins- là ». On travaille sur l’image, on essaie d’exporter notre image, pas seulement au niveau de nos vins produits en France, mais aussi en terme de savoir-faire, de culture, en espérant que cela puisse servir les producteurs français quand ils envoient leur vin là-bas. Voilà un peu l’idée associée à ce domaine, qui est par ailleurs une belle réussite parce qu’aujourd'hui les vins produits dans cette ferme pilote sont d’un très bon niveau. Je pense que tous les gens qui y sont passés ont été surpris de la qualité qu’on avait pu atteindre dans ce terroir particulier qui 1ER DECEMBRE 2006 12 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE n’a rien à voir avec le nôtre. Aujourd'hui, notre ambition est de produire sur cette ferme pilote, à très petite échelle, les meilleurs vins chinois et d’associer à ceux-ci l’image de la France et du savoir-faire français. M. Jean KOUCHNER Merci, c’est un monde de réflexion et de débat pour tout à l’heure sans doute. M. Alain CARBONNEAU Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin Professeur de Viticulture à l’Agro-Montpellier Je voudrais réagir dans le même sens. Je prends un peu cette étiquette comme un compliment. Je voudrais dire qu’en Asie, en Chine et en Inde, puisqu’il ne faut pas oublier l’Inde, et je le suggère pour une prochaine session d’ailleurs, l’image de la France est une référence à la fois culturelle et oenologique. Je crois qu’il faut en être fier et les gens qui imitent comme c’est le cas ici, n’imitent que les gens qui méritent d’être imités, je crois qu’il faut quand même le dire. Il ne faut pas s’en vexer. Il faut peut-être prendre des précautions juridiques et commerciales. Une seule chose me choque sur cette étiquette, il y a trois lettres de trop : le M, le E et le D. Si on les enlevait, je serais content. Merci. De la salle Pour rebondir sur l’intervention sur la ferme viti-vinicole en Chine, je me pose une question : comment le consommateur va-t-il pouvoir arriver à différencier ce qui est chinois de ce qui est français si on lui vend par exemple quelque chose de chinois avec indiqué Château, Médoc, Paris, Cabernet-Sauvignon ? Même si dans son esprit on arrive à lui faire comprendre que le français, c’est encore le cran au-dessus, comment va-t-il faire la différence entre l’un et l’autre puisque cela ne semble pas forcément évident ? Une chose m’interpelle : on est en Europe en train d’essayer de restructurer, avec des propositions d’arrachage de vastes surfaces, et il se plante beaucoup de vignes ailleurs, en Chine par exemple, et c’est peut-être un problème. Si d’un côté on fait des efforts sur la production, en se disant qu’enfin on va sortir de la crise en arrachant pour équilibrer la production et la demande, mais que de l’autre, cette production augmente dans des proportions bien supérieures ailleurs, c’est un peu l’image des Shadocks qui écopent. M. Jean KOUCHNER Merci. Encore une intervention avant que nous n’engagions une réflexion plus précise sur le Royaume-Uni. On reviendra bien entendu sur cette question de la Chine, au marketing, à tous ces efforts, à toutes ces questions que vous venez de soulever dans le débat. 1ER DECEMBRE 2006 13 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE De la salle Je suis M. Rousset de Viniflhor. Je suis également intervenu sur la Chine. Là-bas, il y a un effet millésime, on créé des millésimes. 1996, il n’est pas facile de trouver des millésimes 1996 produits en Chine et pourtant certaines étiquettes en portent la mention. Que peut-on faire par rapport à cette situation ? Je vous donne mon écho personnel : si l’entreprise française ou australienne aujourd'hui porte contentieux sur ce type d’évènements, c'est-à-dire ces malversations en matière d’étiquetage, elle n’a pas beaucoup de chance d’aboutir, et ce bien que la Chine soit un pays membre de l’OMC et donc théoriquement respectueuse des brevets et des origines. Comment pourrait-on arriver à résoudre ce problème-là ? Peut-être par le biais d’un opérateur qui contesterait ces fameuses étiquettes qui sont le fait de grosses entreprises chinoises qui ont pignon sur rue et qu’on peut imaginer directement branchées d’un point de vue politique. Une autre solution consisterait à ce que les productions chinoises de qualité qui sont concurrencées malhonnêtement par ces produits-là portent elles-mêmes contentieux devant les tribunaux chinois en indiquant que ces étiquettes sont usurpées. Je ne vois pas d’autres solutions. Une entreprise seule allant au contentieux contre ces étiquettes n’a pas grande chance de réussite. Cependant si l’ensemble des importateurs souligne que tout le monde fait partie de l’OMC, et que tout le monde doit en respecter les règles, ces sources d’étiquettes, qui sont une concurrence parfaitement déloyale, seront peut-être taries. 1ER DECEMBRE 2006 14 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER Merci. Il s’agissait d’un premier échange qui promet déjà d’aborder toute une série de questions qui sont au cœur de nos réflexions aujourd'hui. Nous allons enchaîner. Je voudrais souhaiter la bienvenue et inviter à prendre place sur la tribune M. Olivier Prothon, qui est Chef de Mission Agricole à Ubifrance. Je voudrais le remercier tout particulièrement d’avoir accepté de répondre à notre invitation au pied levé, puisqu’il remplace M. Peter Darbyshire, qui est Directeur Général de Thierry’s, un importateur qui, au dernier moment pour des raisons internes à son entreprise, a du se désister. Je voudrais également inviter M. Jean-Philippe Perrouty qui est Directeur de Recherche chez Wine Intelligence de bien vouloir nous rejoindre. Nous allons donc commencer avec M. Prothon. Je vous donne la parole. LE ROYAUME-UNI APPROCHE MARKETING DANS LA GRANDE DISTRIBUTION ANGLAISE M. Olivier PROTHON Chef de mission agricole Ubifrance Je suis très heureux de vous retrouver ici, en effet au pied levé. Cela dit, je vais essayer de donner toute la substantifique moelle concernant cet élément essentiel qu’est le RoyaumeUni, qui est loin d’être acquis bien qu’étant un marché de proximité, et de réfléchir avec vous. Le sujet est centré sur l’approche de la distribution moderne pour le vin. Cela dit, il faut quand même commencer par parler de ce marché de très grande importance et qui nécessite sans doute d’être redécouvert. L’économie britannique Au niveau économique, le Royaume-Uni se porte bien : il y a peu de chômage et une croissance certaine. Il est donc toujours mieux d’aller sur un marché où les choses se portent bien d’un point de vue économique. Je ne vais pas vous expliquer pourquoi car il ne s’agit pas de l’objet du débat. Pour la France, en terme agroalimentaire, c’est évidemment un marché extrêmement stratégique puisqu’on y réalise le premier solde excédentaire dans nos échanges agroalimentaires, tous produits confondus. La place du vin y est extrêmement prépondérante. Il faut également savoir que ce marché importe de plus en plus de produits agroalimentaires et qu’il a fait le choix de moins produire et de situer son économie plutôt autour de services, en particulier financiers. Donc, c’est toujours une opportunité pour nous, et pour le vin évidemment, puisqu’on n’en produit que très peu là bas, mais aussi d’une façon générale pour les produits alimentaires. 1ER DECEMBRE 2006 15 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE On a tendance à dire que les Britanniques ne sont pas des Européens et pourtant dans la réalité, 70% des produits qu’ils importent, ne serait-ce que pour se nourrir, proviennent de l’Europe. Les Britanniques, qu’on le veuille ou non, sont donc Européens. Dans les échanges britanniques, l’élément boisson, dont fait partie le vin, est en premier poste au niveau des importations. Le marché alimentaire, par rapport à 60 millions de consommateurs, se répartit presque à part égale en termes de dépenses entre ce que l’on appelle les produits à emporter, consommés à la maison (Off-Trade), et les produits consommés hors domicile, c'est-à-dire au restaurant, dans les cantines sociales (On-Trade), etc. La distribution alimentaire On va à présent parler de la distribution alimentaire dans laquelle il faut mettre de l’ordre. On y trouve la bande des 4 (the Big four) qui représente 75% du marché. Il s’agit des quatre plus grosses enseignes, dont nous reparlerons tout à l’heure, et qui font un peu la loi. Il existe également des groupes qui recherchent un positionnement différencié, qui ne cherchent pas forcément à être leader sur le marché, mais qui sont intéressants et on verra aussi pourquoi. Il y a également d’autres intervenants, tel que le discount, mais ils ne sont pas très importants. La bande des 4 est constituée par Tesco, Asda, Sainsbury’s et le groupe Morrisons. Le leader est Tesco. Je ne suis sur le Royaume-Uni que depuis deux ans mais il fut un temps où Tesco n’était pas le leader, mais Sainsbury’s, qui fait par ailleurs un retour intéressant. Asda est en fait le groupe Walmart, c'est-à-dire le leader mondial de la distribution, mais pas dans la façon de s’internationaliser, à la différence de Carrefour qui est beaucoup plus mature dans son approche internationale. Ce groupe est implanté en Europe, surtout au Royaume-Uni. Il connaît de grandes difficultés depuis 1999 pour obtenir une place de leader, peut-être parce que le système est difficile à mettre en œuvre. Le marché du vin A présent, passons au marché du vin. Il faut dire qu’après une période assez longue que l’on pourrait qualifier de « 30 Glorieuses », où le marché était en croissance constante et avec des taux de croissance substantiels, on arrive cette année dans une période assez différente où, semble-t-il, la croissance du marché se tasse. On rentre donc dans une configuration plus mature du marché, ce qui nous amène à considérer que ce marché va se redéfinir complètement et différemment. Il est donc très important de le redécouvrir, de par sa nouvelle configuration et de par les nouveaux enjeux stratégiques qui gravitent autour. Je pense qu’il s’agit d’une grande opportunité que nous devons saisir et Dieu sait que nous en avons besoin. Pour se faire une idée actualisée de ce marché, je dirai qu’il faut en faire deux photos et c’est ce que je vous propose. Une a été prise en 1985, il y a 20 ans environ, et une autre en 2005. La consommation a plus que doublé en 20 ans. Le consommateur était, il y a 20 ans, un consommateur aisé qui allait souvent au restaurant. Aujourd'hui, on a 70% de taux de pénétration du vin, on a 31,5 millions de consommateurs de vin avec une dominante des circuits de distribution moderne, pour l’approche du consommateur. L’offre dominante, il y a 20 ans, provenait d’Europe et en particulier de France. On peut qualifier l’offre d’aujourd'hui de globale avec deux pôles dominants : le Nouveau Monde d’un côté et l’Europe de l’autre. Il y a 20 ans, la segmentation du marché suivait ce que l’offre européenne, et en particulier la France, proposait. Aujourd'hui, elle se fait par couleur, par origine, par cépage, en fonction des assemblages, des marques, des étiquettes et le tout dans un contexte global. En outre, il faut souligner que les achats doivent se faire vite à présent. 1ER DECEMBRE 2006 16 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE La décision d’achat Auparavant, lorsqu’on prenait plaisir à boire du vin et que l’on prenait son temps, les prescripteurs jouaient un rôle essentiel, en particulier le sommelier ou celui qui, dans les magasins spécialisés, vous indiquait quoi acheter et comment acheter. Aujourd'hui, on a 30 secondes pour acheter du vin, mais il faut se faire plaisir avec. Les valeurs du vin Un petit mot également sur les valeurs qui environnent le vin actuellement au Royaume-Uni, en particulier le vin tranquille. On va donc faire 3 colonnes évolutives : 1. L’origine, la génèse : la France surtout, avec un mix qualité-diversité-terroir, avec une prédominance des assemblages sans mise en avant des cépages dont on ne parlait que peu. 2. Ensuite, vient une phase de transition avec un marché qui est passé de 12 l par an et par consommateur à 24 l. C’est le Nouveau Monde qui a conquis ces 12 l supplémentaires. Ici, il s’agit surtout de marques et de cépages qui sont deux notions qui ont été introduites. 3. Aujourd'hui, on arrive à un marché mature, et il va falloir redistribuer les cartes pour que chacun trouve son espace et crée de la valeur. On parle à présent non plus de cépages, mais de bi-variétal voire de tri-variétal. Les régions d’origine, y compris au niveau du Nouveau Monde, commencent à être mises en avant. Regardons le cas de la Nouvelle-Zélande par exemple. Le développement des marques ombrelles prend de plus en plus d’importance pour rendre plus facile et véhiculer l’accès à la nuance, au plaisir. En ce qui concerne l’élaboration, l’assemblage devient une valeur, comme dans le whisky finalement. Le marché aujourd'hui au Royaume-Uni en terme de circuit de distribution : Il se répartit comme suit, selon les données de Nielsen qui sont les plus retenues par les opérateurs du marché. Les ventes à emporter, ce qu’on appelle le off trade, sont beaucoup plus importantes que le on trade. Les ventes par Internet sont importantes également et représentent 11 millions de caisses. On a longtemps parlé du Cross-Channel, c'est-à-dire les gens qui allaient acheter leurs vins à Calais ou ailleurs en France, et qui représentaient 12% de l’équivalent du marché britannique il y a 20 ans. Aujourd'hui, la baisse atteint 5%. Quand on parle de on trade, cela désigne la restauration surtout, mais il faut faire une segmentation à l’intérieur de ce terme générique car cela désigne à la fois la restauration de type gastronomique et la restauration plus facile, du type pub. Les pubs sont certes des endroits où l’on boit de la bière en regardant des matchs de football, mais ils deviennent de plus en plus des endroits où l’on mange et les pubs segmentent cette restauration en fonction de l’heure de consommation. Au niveau de la gamme de vins consommés, il y a donc une segmentation parallèle de plus en plus poussée. Le Off-Trade Le off trade prédomine dans la distribution moderne et représente près de 70% du marché. N’oublions pas la vente par correspondance qui se développe et sur laquelle les opérateurs de la distribution moderne tels que Tesco ont d’ores et déjà pris plus de 50% de parts de marché. Ce marché est un marché complexe qu’il faut examiner attentivement. Il faut réfléchir à ce marché en terme de cibles stratégiques, en terme de segments stratégiques que l’on doit découper. Voici ceux que je retiens pour faire simple : 1ER DECEMBRE 2006 17 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE • Off trade : distribution moderne : les Big-Four. C’est une approche bien particulière, ce sont des exigences bien particulières qui nécessitent donc que l’on s’organise et que l’on travaille d’une certaine façon. • Off trade : distribution moderne différenciée : il s’agit d’entreprises de la distribution comme Waitrose. D’autres facteurs feront levier ici par rapport à l’offre de vin et c’est notamment la recherche de gammes, les achats plus en direct, les promotions, bien sûr, qui compteront. • Off trade : chaînes spécialisées, type Thresher, Oddbins ou Majestic. Il s’agit d’un secteur qui a tendance à se concentrer. On l’a d’ailleurs vu avec la disparition d’un des principaux intervenants Unwins qui a été repris en grande partie par Thresher. Voilà un autre type d’approche encore une fois avec un rôle important joué également par les promotions et dans lequel il existe une lutte concurrentielle importante entre les opérateurs. • Off trade : indépendants spécialisés, que l’on touche par des grossistes. On a donc souvent tendance à mettre cela dans le on trade car il s’agit du même type d’opérateurs grossistes qui vont servir les restaurants et les petits cavistes indépendants. Le On-Trade • On trade : il faut différencier les différents formats de restauration. M. Jean KOUCHNER M. Prothon, est–ce volontaire que vous ne parliez pas à ce niveau-là de la progression des ventes via Internet ? M. Olivier PROTHON J’aurais dû le mettre effectivement, mais là j’ai uniquement pris en compte on trade et off trade. Aujourd'hui, l’analyse du circuit Internet requiert l’analyse de ce que font les grands intervenants de la distribution au niveau du développement des ventes par Internet, au niveau du vin, mais également au niveau de l’alimentaire. Actuellement, les deux grands enjeux stratégiques pour les opérateurs de la distribution moderne sont évidemment des enjeux de développement. Ils portent sur les ventes par Internet qui connaissent un certain développement et sur certains formats de magasins, en particulier le format Convenience Store, c'est-à-dire des formats réduits mais sur lesquels on met un maximum de produits. En effet, d’une part l’immobilier est très coûteux au Royaume-Uni, et d’autre part, les Anglais font leurs courses souvent, mais en petite quantité, notamment par exemple parce qu’ils boivent du lait frais pasteurisé et que cela tient deux à trois jours dans le frigidaire. Pour toutes ces petites raisons, le système britannique de distribution est très différent du système français qu’il faut se sortir de la tête. Le terme GMS est complètement inapproprié pour ce système britannique. Il faut parler de distribution moderne. Les enjeux de la distribution moderne se feront sur des petits formats en terme de développement. Cela ne veut pas dire que les grands formats ne sont pas importants, mais ils ont moins d’importance, moins d’incidence. 1ER DECEMBRE 2006 18 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Un autre enjeu de développement est donc Internet. Et pour en revenir à la question que vous posiez, sur Internet, au niveau des grands opérateurs de la distribution, celui qui a l’avantage concurrentiel est Ocado, donc Waitrose, c'est-à-dire un opérateur différencié, mais il a pris cet avantage car il a complètement isolé l’organisation de son circuit de distribution amont au niveau Internet, alors que les autres font de la distribution à partir des magasins. Cela ne tiendra pas la route dès lors que l’on a une croissance rapide. Celui qui a fait l’investissement avant a donc un avantage concurrentiel. Parallèlement à cela, les opérateurs qui travaillaient déjà dans la vente par correspondance ont également pris un avantage concurrentiel et sont des opérateurs très importants, tels que DirectWine. Les opérateurs situés à Calais vont également tenter de développer ce système de vente par Internet à moindre échelle. Actuellement, donc, c’est la foire d’empoigne. L’approche Internet est intéressante car on touche directement le consommateur, on peut lui faire passer des informations, faire des lots qui l’intéressent, etc. Les évolutions en terme de volume du marché off trade Sur 2006, on voit un certain tassement du marché, qui devient manifestement mature. Cela est un premier élément à retenir, car il est nouveau. On ne va donc plus parler du Royaume-Uni comme un marché qui croît de 4% chaque année. C’est beaucoup moins le cas. Pour le faire croître, il va falloir se bouger beaucoup plus. Répartition de la couleur des vins consommés Il y a un équilibre entre blanc et rouge avec une évolution sensible du rosé. Cela me permet d’introduire sur ceux qui profitent de la croissance actuellement : ce sont ceux qui apportent du rosé, c'est-à-dire la Californie avec le White Zinfandel. La Californie rejoint donc les positions françaises actuellement, tout simplement parce que la France n’a pas su ou pu se distinguer comme un fournisseur de rosé approprié au marché britannique. Evidemment, il ne s’agit pas de produire en Languedoc du White Zinfandel, bien difficile à boire pour des gens un tant soit peu connaisseurs, mais cela dit, c’est comme cela que le marché a évolué ces derniers temps. Répartition Nouveau Monde/Vieux Monde Je vous présente à présent deux photos du marché prises en 1990 et 2006. La répartition Nouveau-Monde/pays traditionnels s’est équilibrée, bien que le Nouveau Monde progresse toujours. Je pense néanmoins qu’il y a aussi actuellement une maturité dans la pénétration du Nouveau Monde. Autrement dit, tout le monde est touché par la vague de maturité et donc tout le monde se pose la question dans un marché mature, de savoir ce qu’il fait car ses positions ne progressent plus, voire régressent. Participation des pays Voici la configuration de l’approvisionnement du circuit off trade en vins tranquilles. Un élément important, qui fait levier actuellement et qui explique en grande partie nos pertes de marché sur le Royaume-Uni, est que sur le marché du Royaume-Uni en terme de vins, comme pour beaucoup d’autres produits alimentaires, les marques distributeurs avaient une part prépondérante. Elles cèdent à présent le pas au profit des marques fabricants. Tout l’enjeu de croissance et de génération de valeur se situe au niveau de celui qui pourra mettre un pied là où le marché, le rayon croît, c'est-à-dire là où les marques de fabricants prennent la place aux marques de distributeurs. Par exemple, dans la distribution, les ventes de Bordeaux sont à plus de 60% de marques de distributeurs. Par effet mécanique, les ventes de Bordeaux se cassent donc la figure. Si aucune substitution ne se fait par des ventes de marques de 1ER DECEMBRE 2006 19 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Bordeaux, et bien il n’y aura plus de Bordeaux. C’est la même chose pour les vins de pays qui viennent notamment de votre région. Répartition entre la position des marques françaises et des marques distributeurs La France a du mal à progresser en marques, alors que le marché des marques distributeurs régresse, ce qui fait que notre position est assez difficile. J’insiste sur les marques, toujours dans le circuit off trade. Dans les principales marques, on ne trouve que deux marques françaises dans le TOP 20. Cela ne veut pas dire qu’il faut mettre des marques parmi les leaders. Cela n’est pas le propos, parce que le marché du Royaume-Uni a de la place pour de très nombreuses marques. Le problème est qu’il faut faire des marques. Je reviens sur ma petite segmentation stratégique pour m’intéresser plus particulièrement à ce segment du off trade GMS ou plutôt off trade « Bande des 4 ». A l’intérieur de ce segment stratégique, il existe une lutte avec des stratégies concurrentielles développées par chacun des groupes qu’il convient d’identifier. Il faut savoir ce que cherchent à faire Tesco, Asda, Sainsbury’s et Morrisons. Une fois qu’on les a compris, on essaie d’adapter une solution à leurs besoins. Il serait un peu long de vous expliquer cela dans le détail en 25 minutes, mais nous avons édité tout récemment un ouvrage très intéressant pour les opérateurs qui veulent s’y intéresser. Il s’agit d’une étude sur la distribution alimentaire britannique avec une fiche détaillée des stratégies des grands groupes. Il suffit d’aller sur Internet www.ubifrance.fr. Ce que je retiens et ce qui est important dans ce segment, c’est la relation avec le fournisseur. Il s’agit là d’un point clé. Tout d’abord le mode de relation pour la Bande des 4 : c’est un partenariat avec des agences, dans la grande majorité des cas. Ainsi, M. Peter Darbyshire, que je remplace aujourd'hui, était à la tête d’une agence de ce type et il existe environ une dizaine d’intervenants de la sorte qui sont choisis dans la relation avec la production. Il s’agit d’un choix d’externalisation qui s’est avéré progressivement opportun pour les distributeurs parce qu’ils ont moins de personnes à payer et ils peuvent s’appuyer sur des prestataires. Outre cela, ce qui est important, c’est d’avoir des moyens promotionnels parce que toute la mise en avant, la simplification de l’offre en cours passent par des mises en avant promotionnelles. Il faut donc avoir les moyens de pouvoir suivre. Pour les opérateurs de la distribution moderne qui recherchent un positionnement différencié, tels que Waitrose ou Marks & Spencers, ce qui va compter, c’est plus d’établir une gamme large, différente de ce que proposera Tesco. Les promotions sont aussi très importantes. Ils sont donc très exigeants de ce côté et très durs en affaire. L’évolution du contexte du vin dans la distribution moderne Côté clients, ce que j’observe c’est que 70% du vin au Royaume-Uni est consommé en dehors des repas. Les achats sont rapides et se font en trente secondes. Actuellement, il y a des évolutions dans le mode de vie et cela a des incidences immédiates : les gens travaillent beaucoup au Royaume-Uni. Il existe de nombreux pluri-emplois et les gens passent beaucoup de temps dans les transports. Il faut donc aller vite pour acheter mais, d’un autre côté, il faut aussi se détendre, puisque les Britanniques sont sous pression constamment, parce qu’ils travaillent beaucoup et qu’ils ont des moyens de transport abominables. Il y a donc un besoin de produits pratiques par manque de temps. La femme est le décideur dans les achats en supermarché à 65%. Il y a également un développement du format convenience store dont je parlais tout à l’heure. Cela signifie qu’il y a moins d’espace pour mettre les vins, et donc une sélection très dure dans les gammes actuellement, en fonction de la clarté de l’offre, de la disponibilité, de la confiance, de la facilité d’achat. 1ER DECEMBRE 2006 20 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Voici le point de vue de Tesco sur la France. Pour eux, la France est encore le numéro 2 et c’est toujours le numéro 1 en perception qualité. Les clients sont prêts à aller au-delà des appellations classiques. Vous avez donc toutes vos chances pour introduire des références nouvelles et Dieu sait que le Languedoc a des choses à dire. Le marché étant mature, il faut donc refaire de la valeur et ce qui retient beaucoup l’intérêt des distributeurs actuellement, c’est de créer une opportunité au niveau du segment Premium. Ils comptent beaucoup sur la France pour ça et le Languedoc a toutes ses chances là-dessus. Tesco considère que la France a beaucoup de ressources en terme de vin, de qualité, de possibilités. Tesco pense également que nous devons rejoindre l’expertise export du Nouveau Monde, autrement dit, qu’il faut être aussi bon que les Australiens. Ils considèrent que la France est limitée au niveau des innovations, ce qui me choque énormément quand je vois tout ce qu’il se fait de nouveau chez nous. Cela signifie qu’on ne sait pas communiquer sur le fait que nous sommes innovants. Ils nous demandent de travailler sur les marques, de faire plus attention dans les repérages marketing et stratégiques. Pour conclure, ce marché est donc marqué par une maturité, une distribution moderne prédominante (70%), un processus de clarification de l’offre en cours, et un développement des marques fabricants : les opportunités pour le Languedoc sont de faire des AOC des marques. Vous pouvez tout à fait le faire, il existe des méthodes pour cela. Vous devez aussi créer des marques globales parce que vous avez tout pour apporter la constitution de marques globales au sens français du terme. La France a un positionnement généraliste, c’est évident, et elle accrochera ce positionnement généraliste au niveau de la création d’un véritable segment Premium. N’oublions pas qu’actuellement, nous sommes condamnés à la marginalisation parce que nous sommes aux deux extrêmes du marché : nous sommes les moins chers et les plus chers. M. Jean KOUCHNER Merci M. Prothon, notamment d’avoir répondu avec ce brio au pied levé. Vous êtes basé à Londres, ainsi que M. Jean-Philippe Perrouty, qui est Directeur de Recherche chez Wine Intelligence, et à qui je laisse la parole. COMPRENDRE LES CONSOMMATEURS DE VIN EN GRANDE-BRETAGNE M. Jean-Philippe PERROUTY Research Manager – Wine Intelligence On m’a appelé pour venir faire une présentation sur les consommateurs britanniques qui boivent du vin. On vous a parlé de la distribution, moi je vais vous parler de quatre choses : - le consommateur, - le cépage, - la segmentation, - quels sont les problèmes pour les vins français. 1ER DECEMBRE 2006 21 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Toutes les données que je vais vous présenter proviennent de notre entreprise qui s’appelle Wine Intelligence. Nous faisons des études de marché uniquement dans le domaine du vin, nous sommes basés à Londres. Pour remettre les choses dans leur contexte, notre entreprise a été créée il y a cinq ans par trois personnes qui vendaient du vin dans des entreprises de distribution de vin et qui étaient frustrées parce qu’on ne savait strictement rien sur le consommateur, on n’avait aucune donnée. Ils ont donc créé cette entreprise qui fait des études de marché. Mais plus globalement, nous sommes une entreprise de consultants dans le monde du vin. J’ai structuré la présentation autour de quatre points : - une vue d’ensemble du marché en Grande-Bretagne, - une segmentation des consommateurs de vin britanniques – en fait il n’y a pas UN consommateur britannique, il y en a au moins quatre, cinq, et en fait il y en a environ 23 millions, c'est-à-dire des gens qui boivent du vin au moins une fois par moins en Angleterre, - un zoom sur les vins français, - quelques éléments pour le débat. 1. Vue d’ensemble du marché en Grande-Bretagne En Grande-Bretagne, il y a 46 millions d’adultes, et sur ce chiffre, 23 millions et demi qui boivent du vin au moins une fois par mois. Je ne vais vous parler que de cette catégorie-là, des consommateurs qui boivent du vin au moins une fois par mois, car ils représentent 94% de la valeur, c'est-à-dire des portefeuilles qui sont ouverts et des livres sterling qui sont déposées à la caisse chez Tesco ou chez les autres distributeurs. Ces 23 millions de consommateurs, donc, dépensent environ 8 milliards de livres sterling par an dans le vin. La consommation en Grande-Bretagne c’est essentiellement une consommation de détente. Mr Prothon le disait juste avant, en rentrant du travail, on boit un verre de vin pour se détendre. Pendant le repas, on boit également un verre de vin pour se détendre. Beaucoup plus marginalement, on va boire le vin plus traditionnellement avec un repas amélioré, avec sa famille, avec sa belle-mère, avec ses amis, ou pendant un anniversaire. Combien dépense-t-on ? Et bien, pas beaucoup. Environ 4£ pour une occasion informelle, pour se relaxer à la fin de la journée, ou pendant le repas. Pour se détendre ou accompagner son repas de façon informelle, on est prêt à aller vaguement au-delà, près de 5£, et on dépense une livre de plus pour des occasions plus formelles, plus sociales. Il faut se souvenir que les occasions informelles sont l’essentiel des occasions de consommation. 80% des bouteilles de vin, qui sont achetées dans le off trade, sont achetées pour se détendre. Et cela représente, en gros, les trois quarts de la valeur. Donc, le marché britannique est représenté par la détente et les occasions informelles. Dans le on trade, c'est-à-dire la consommation dans les bars, les pubs, les restaurants, la situation est un peu différente. On va dépenser un peu plus, on se trouve plus souvent dans des situations de consommation formelles. La répartition est donc plus équilibrée avec la moitié de la consommation étant formelle et l’autre informelle. Par exemple de plus en plus de femmes boivent du vin au pub, les hommes, pas trop encore, sauf quand ils draguent une fille, ils boivent la même chose qu’elle, sinon ils boivent essentiellement de la bière. A ma connaissance, le on trade représente un quart de ce qui est bu en Grande-Bretagne. 1ER DECEMBRE 2006 22 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE L’essentiel de la consommation de vin en Grande-Bretagne c’est le off trade, c’est le supermarché, c’est pour boire à la maison. On a vu dans quelles circonstances ils boivent, combien ils dépensent, maintenant, que boivent-ils ? C’est une question que l’on a posée il y a quelques mois à un peu plus de 1000 consommateurs de vin, « Quel est votre vin favori ? » La première chose qui leur vient à l’esprit en Grande-Bretagne c’est avant tout une couleur et ensuite on pense cépage, et ça c’est très important, car on va y revenir tout au long de la présentation. Le cépage est un élément incontournable du marché britannique. Je dirai que l’Anglais est un animal étrange, il veut savoir ce qu’il achète, ce qu’il y a dans la bouteille. Si vous achetez un jus de fruits en supermarché, vous voulez savoir si c’est du jus d’orange, du jus de pamplemousse ou du jus d’ananas. Là c’est pareil : ils vont acheter du vin et veulent savoir si c’est un Cabernet, un Merlot, un Grenache, ou de la Syrah. Que boivent-ils en terme de pays ? C’est aussi une question qu’on leur pose : très rapidement, on leur demande quels pays ils boivent et quels pays ils boivent le plus fréquemment. On appelle ceux qui boivent le plus fréquemment la même chose des Loyalists, c'est-à-dire des fidèles ; les Trialists sont des occasionnels. Par exemple, il y a 47% d’occasionnels pour la France, donc 47% de consommateurs anglais qui achètent France de temps en temps mais, leurs achats les plus fréquents sont Australie ou Italie. Deux points importants à noter : - la France a encore un très gros taux de pénétration. En gros, 70% des consommateurs anglais boivent français, et c’est très loin devant tous les autres pays. C’est comparable à l’Australie, qui est passée devant la France. Le problème, c’est que l’Australie génère beaucoup plus de fidèles à ses vins. Et c’est très concret : la même personne va acheter France et Australie, sauf qu’elle va prendre une bouteille de France et deux d’Australie, et c’est cela qui fait les volumes à la fin. - les Etats-Unis. Ils ne sont pas fréquemment cités, mais ce n’est pas du tout représentatif. En fait, il se trouve que les ventes de vins américains, surtout californiens, au Royaume-Uni sont surtout guidées par les marques : Blossom Hill, Gallo, Fetzer, Echo Falls essentiellement. Il y a probablement de la confusion car ces marques ne mettent pas en avant leur provenance californienne. Elles mettent en avant leur marque et leur cépage, et c’est tout. C’est pour cela que les consommateurs n’ont pas forcement conscience qu'ils boivent Etats-Unis. Où achètent-il le vin ? Au supermarché à 95% ; la quasi-totalité des consommateurs anglais passent la porte du supermarché au moins une ou deux fois par mois pour acheter leur vin. Viennent ensuite tous les magasins de proximité, et Internet. Pour Internet, il y a eu un gros développement des ventes en ligne avec Tesco, mais il n’y a pas de données vraiment fiables concernant les ventes par Internet. Ceci étant dit, il y a beaucoup de ventes par Internet manifestement, et ce qu’il ressort dans nos panels, c’est que ce sont les consommateurs de vins français qui achètent le plus sur Internet. Il y a environ 6% de consommateurs de vins français qui achètent sur Internet contre 3% pour le consommateur moyen. Qu’est ce qui est important pour faire un choix ? Le premier critère qui ressort est le cépage. C’est une tendance très forte. Il y a deux ans, le cépage se trouvait en dessous de l’origine et de la marque, et maintenant c’est au dessus. Les 1ER DECEMBRE 2006 23 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE deux tiers des consommateurs anglais veulent savoir ce qu’ils achètent. Ils veulent un cépage qu’ils aiment, qui vient d’un pays d’origine qu’ils apprécient, avec une marque qu’ils connaissent, le tout en promotion. Le grand mot à la mode aux Etats-Unis (c’est un anglicisme), c’est « deal-junkies », des junkies aux promotions ; des types qui attendent leur « shoot » à la fin de la journée, qui attendent la prochaine promotion. Bientôt, vous allez acheter une bouteille et on va vous en donner 10 gratuites, c’est de la folie ! La promotion est en plein développement. Ce qu’il se passe sur le marché, c’est que la plupart des consommateurs vont chercher le « value for money », le rapport qualité/prix. Ils veulent un produit qu’ils aiment, mais le moins cher possible. En ce qui concerne la région d’origine, seulement 40% des consommateurs nous disent que c’est important quand ils font un choix ; par la suite nous verrons que c’est réservé à un segment de connaisseurs très impliqués. La plupart des consommateurs regardent le pays d’origine. Ils font confiance à « Australie » ; quelques-uns feront confiance à Barossa Valley en Australie, mais « Australie » est un signe de confiance. « France » ne l’est probablement pas. On entend souvent « France, 8£, une occasion spéciale où je veux être sûr de ne pas me tromper ». Les jeunes sont les plus fidèles aux vins français, ils vont y mettre le prix. Mais comme on l’a vu, les gens dépensent rarement plus de 3 ou 4£ pour une bouteille de vin. Et à ce niveau de prix, c’est l’Australie qui récupère le marché. L’image du pays d’origine est donc très importante. 2. Segmentation des consommateurs de vin britanniques On a parlé des consommateurs en général, mais en fait il y a plusieurs sortes de consommateurs. Il y a deux ans, on a pris 3000 enquêtes sur les consommateurs réguliers de vin, et on les a segmentés. On voulait regarder quels étaient ces différents segments. Pour les identifier, on a fait simple. On a défini les groupes avec ces questions-là : - combien de fois ils achètent, - pour quelles occasions ils achètent, - combien ils dépensent lorsqu’ils achètent, - le degré qu’a l’importance du vin pour eux, - leur degré de connaissance. On s’est aperçu qu’en fait le degré d’importance guidait les comportements dans le supermarché. On a obtenu 5 groupes de consommateurs sur les 23 millions de consommateurs de vins : • Les Mainstream at-homers. Ils représentent un tiers du marché. Ce sont des gens assez impliqués car ils aiment le vin, ils vont passer du temps dans le rayon du supermarché ; ils s’y connaissent assez en vin. Ils consomment généralement au moins une fois par semaine ; mais ils ont aussi beaucoup de charges en Angleterre, ils travaillent beaucoup et la bouteille de vin coûte 4£. Donc, cette catégorie va consacrer du temps à chercher les meilleurs rapports qualité/prix. A la fin de la journée, ils vont donc acheter des vins à 4£ environ. Ils représentent un tiers des gens, et un peu plus de 38% des livres dépensées car ils ont une tendance à aller au-delà du prix moyen, car ils aiment le vin. • Les Adventurous connoisseurs : ce sont des experts. Le vin est très important dans leur vie, ils consomment entre 2 et 5 fois par semaine, pratiquement tous les jours, ils sont très impliqués et très expérimentés aussi. Donc, ce degré d’implication fait qu’ils dépensent beaucoup. Ils descendent rarement en dessous 1ER DECEMBRE 2006 24 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE de 5£, ce qui est énorme. Ils représentent un consommateur sur 5, mais un tiers des livres dépensées. Les amateurs de vins français vont se retrouver essentiellement dans cette catégorie ; 30% des gens qui consomment français se trouvent dans ce segment-là, contre 18% dans la population. • Les Weekly treaters sont des gens qui consomment occasionnellement, qui ne sont pas des connaisseurs et qui n’ont aucune envie de traîner dans le rayon Vins. Du coup, ils utilisent le prix comme une repère de qualité et ils vont dépenser typiquement entre 4 et 6 £. Plutôt 6 que 4, parce qu’ils consomment peu fréquemment. Du coup, c’est 16% de la population mais 10% de la valeur. Les deux derniers segments représentent les deal junkies. • Les Social bargain hunters, comme indique leur nom, chassent la promotion dans les rayons. On a eu l’exemple d’un ancien PDG ayant de très gros revenus, plus que les miens ou les vôtres, qui était capable de faire tous les supermarchés du coin pour trouver le meilleur deal. Il était capable de faire 20 Kms pour acheter 12 bouteilles de vin allemand, parce qu’il y avait une promotion à 1,8£. C’est un peu comme si vous achetiez une bouteille de vin à 80 centimes d’euro dans un supermarché ici. Ils vont donc chasser la promotion, par contre ils sont la plus grosse fréquence de consommation ; avec les Adventurous connoisseurs. Ils consomment quasiment tous les jours ; en tous cas plusieurs fois par semaine. Ils consomment beaucoup, mais pas cher. • Les Frugal conservatives consomment très peu et dépensent très peu. Ils font 23% de la population et 10% de la valeur. Si l’on veut être plus pragmatique, cela signifie que les Mainstream at-homers font 3 milliards de livres, les Adventurous connoisseurs un peu moins, 2,8 milliards de livres et ensuite les Social bargain hunters presque 1,9 milliards de livres. Cela vous donne une idée de qui il faut solliciter. Tout le monde, sauf les Frugal conservatives.. Et pour enfoncer le clou, voilà une estimation de la dépense individuelle annuelle : un expert va dépenser 650£, parce qu’il boit beaucoup et paye cher la bouteille. Les Social bargain hunters dépensent beaucoup car ils boivent beaucoup, mais ils vont cibler les promotions. Ils sont intéressants car ils aiment bien les marques, et peuvent devenir fidèle à une marque. Quand ils ont trouvé une marque à un très bon rapport qualité/prix, ils sont capables de la racheter toutes les semaines. Et à chaque fois que vous ferez une promotion, ils prendront 12 bouteilles de la marque. Les Mainstream at-homers dépensent moyennement, le vin est important pour eux et ils y mettent un prix moyen, mais ils sont 8 millions. Donc ce sont ces gens-là qu’il faut viser. Les Weekly treaters dépensent beaucoup mais ils consomment peu ; ils sont très « marques ». Ils n’y connaissent rien en vin : pour eux le vin, ce n’est pas très important donc ils achètent les marques. Si vous êtes un producteur ou une marque et que vous voulez lancer un produit à 4€, c’est-àdire le prix moyen pratiqué sur le marché, vous pouvez voir immédiatement qui vous toucherez. Qu’est-ce qui pousse les consommateurs à prendre une bouteille sur l’étalage ? Comment choisissent-ils ? Qu’est-ce qui est important ? Que disent-ils être important ? Importance du cépage Il y a un premier point à noter là-dessus : je vous parlais du cépage tout à l’heure. Il se trouve que le cépage est important à travers tous les portraits de consommateurs, y compris les experts, voire les très experts. Le cépage n’est pas réservé aux gens qui n’y connaissent rien, 1ER DECEMBRE 2006 25 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE et qui ont besoin de quelque chose de simple. Le cépage est réservé à tout le monde, à tous les consommateurs anglais. Il s’agit toujours d’un critère de choix très important, même pour le segment des Frugal conservatives, qui ne consomment que très peu. Région d’origine Le second point à noter est l’importance de l’origine du vin, et on parle là du pays d’origine. La région d’origine vient dans le top 5 des critères de choix, uniquement pour les consommateurs experts. La France est bien placée pour ce type de consommateurs, mais il faut faire attention à l’Australie qui commence à faire des vins plus haut de gamme, vendus plus chers, type Barossa Valley. Il est même question de créer des appellations à l’australienne. Ce qui est une chance pour les vins français, c’est que les Australiens ne sont pas encore tous d’accord sur ce point là. Le segment des Adventurous connoisseurs connaissent tout : le Gigondas, le Châteauneuf du Pape, le Chianti. Ils savent même que Chianti est une région d’origine, contrairement à 60% des consommateurs anglais qui pensent que le Chianti est un cépage. Néanmoins, ce segment de consommateurs ne représente qu’une petite partie du marché anglais. Pour tous les autres, c’est seulement le pays d’origine qui importe. Conseil d’ami Un autre point très important à souligner est que les consommateurs anglais aiment se faire conseiller par leur entourage proche sur les vins à consommer, notamment pour le segment des Weekly treaters qui n’y connaissent rien mais qui dépensent tout de même 5, 6 ou 7 £ sur une bouteille de vin et qui ont donc besoin de critères rassurants. Ils ont besoin de choses simples, de choses qui rassurent, c’est-à-dire soit la recommandation d’un ami, soit la marque, soit un cépage reconnu. Offres promotionnelles Enfin, les offres promotionnelles sont présentes dans tous les segments de consommateurs. C’est un critère de choix très important. Tous les consommateurs recherchent les promotions parce que tous les distributeurs en offrent. Fidélité des consommateurs 22% de consommateurs anglais sont des loyalists au vin français : ils disent que le vin qu’ils achètent le plus fréquemment, c’est le vin français, la France. Il s’agit de vos consommateurs « cœur » : c’est eux qui font du volume et qui sont prêts à payer pour une bouteille, c’est eux qui font de la valeur. Que boivent-ils d’autre ? 68% des consommateurs qui sont fidèles aux vins français boivent aussi l’Australie. Et cela représente une menace. Cela veut dire que s’ils aiment aussi Australie, il se peut que l’Australie vous les vole. Autre menace très importante : la moitié des consommateurs fidèles aux vins français (51%) boivent aussi Italie. Cela peut être résumé par deux mots : Pinot Grigio. C’est un cépage qui marche extrêmement fort. Il faut souligner qu’il y a une très forte présence de la gastronomie italienne en Grande-Bretagne, avec de nombreux restaurants, qui jouissent d’une très bonne image. La menace n°1 est donc l’Australie. En ce qui concerne les opportunités à présent : ceux qui achètent français, mais pas le plus souvent et que l’on nomme les trialists, à qui sont-ils loyaux ? Aucune surprise : 41% des consommateurs de vins qui choisissent occasionnellement les vins français boivent aussi 1ER DECEMBRE 2006 26 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE australien. Il s’agit là d’une opportunité : il faut les voler aux Australiens. Le raisonnement est simple, mais le mettre en pratique est compliqué, je le concède. En résumé : Opportunité n°1, l’Australie, menace n°1, l’Australie…pourquoi ? Quand on regarde les vins français à travers les segments de consommateurs, le taux de pénétration descend. Quand on prend les Adventurous connoisseurs, on s’aperçoit que 85% d’entre eux boivent français, et parmi eux un tiers est loyal aux vins français. Quand on regarde les segments suivants, plus le degré d’implication dans le vin baisse, moins le taux de pénétration est fort et moins on a de fidélité aux vins français. La raison est celle-ci : les segments suivants sont de moins en moins impliqués dans le vin, s’y connaissent de moins en moins. Le vin ne les intéresse pas au plus haut point. Ils aiment boire le vin pour se détendre à la fin de la journée et force est de constater que les Australiens, les Américains avec Blossom Hill, Echo Falls, Fetzer proposent des choses assez simples, notamment avec l’indication du cépage sur la bouteille. On s’aperçoit qu’il y a quasiment autant de consommateurs anglais qui boivent Australie que de consommateurs qui boivent France. Il y a toujours un gros taux de pénétration pour les vins français. Le problème réside dans le pourcentage dans chaque segment de consommateurs qui disent être loyaux aux vins australiens. Par exemple, un tiers des Mainstream at homers sont loyaux aux vins australiens mais seulement 1 sur 5, c’est-à-dire 20% d’entre eux, sont loyaux aux vins français. L’Australie génère plus de fidélité, plus de loyauté à son vin. On peut donc supposer que certains consommateurs qui buvaient français ont bu un jour australien et le vin australien est devenu le vin qu’ils achètent le plus. Le problème est vraiment là. Ce segment là, c’est un tiers du volume et 38% de la valeur. C’est un segment énorme. Selon mes calculs, en gros, l’Australie génère plus de loyauté que la France sur environ 78% des volumes, des consommateurs. La France génère plus de loyauté, plus de fidélité sur 18% des consommateurs. Il est vrai que cela représente un tiers de la valeur, mais de l’autre côté on a 56%. Les Australiens génèrent plus de fidélité, c’est un fait. La marque Il faut quand même parler également un peu de la marque. La première marque française est Piat d’Or, qui est une marque qui décroît. Tous les ans, elle baisse. Piat d’Or était très connue dans les années 80 en Angleterre. C’est, paraît-il, français, mais embouteillé en Italie…Quand on demande aux Anglais de citer une marque, ils disent « Chardonnay ». Dans mes souvenirs de l’Agro, on retrouve plus ou moins la même chose en France : « Citez moi une marque : Côtes du Rhône, citez moi une région d’origine : Malesan ». Quand on pose la question aux Anglais sur la marque qu’ils préfèrent, ils répondent australien, américain, cépage, mais il n’y a rien de français. Et quand Pinot Grigio est cité, et bien cela apporte de l’eau au moulin des Italiens. A présent, quelques éléments pour le débat : → 23 millions de consommateurs, → Ils buvaient de plus en plus jusqu’à aujourd'hui. Il semblerait qu’il y ait à présent un plateau, une stagnation. Mais peut-être que cela va-t-il repartir, → 16 millions de consommateurs britanniques boivent du vin, mais le problème est qu’ils sont de moins en moins fidèles au vin français et qu’ils deviennent de plus en plus regardants sur le rapport qualité/prix parce que tous les distributeurs font des offres promotionnelles (achetez en deux, la troisième est gratuite, moins 20%...). En outre, avec les Jeux Olympiques qui arrivent, le coût de la vie continue à augmenter. Les distributeurs communiquent donc énormément sur les offres promotionnelles. L’essentiel de la distribution off trade se fait dans les supermarchés dont la philosophie est de communiquer 1ER DECEMBRE 2006 27 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE sur les bas prix. Il y a peut-être des portes de sortie, avec Tesco notamment qui a décidé de développer ses vins Premium, peut-être pour essayer de tirer ses marges vers le haut, car pour les distributeurs, le vin ne permet pas de faire des marges importantes, en tous cas, bien moins que certains autres produits de grande consommation. Il s’agit néanmoins d’un bon produit d’appel, • qui sont vos consommateurs ? (Ils ne sont pas tous pareils), • qui achète vos vins ? • le sujet chaud : le cépage. Mon expérience personnelle : j’ai essayé d’acheter français en Angleterre, je me suis trompé dans mon choix et cela m’a coûté 4 £. Du coup, je n’ai plus jamais acheté français en Angleterre. Quand je vais en France, je ramène du vin français. Je ne comprends rien dans le rayon des vins français et pourtant, je connais un peu le vin. Il y a un problème, il n’y a pas de cépage. C’est un point de débat, • la plupart de nos vins sont-ils adaptés à l’occasion de consommation là-bas, c'est-à-dire : j’ai envie de me détendre à la fin de la journée, avec ou sans repas ? • les marques. Au cours des 10 dernières années, avec l’arrivée du Nouveau Monde notamment, les règles du jeu ont changé. Il y a 10 ans, on pouvait encore aller voir son acheteur en GD, chez un caviste ou un importateur avec un bon produit, et on menait une négociation de type classique en goûtant le vin. Cela fait partie du passé à présent : maintenant, le Nouveau Monde est arrivé, ils font des vins plutôt bons, qui sont plus constants que les vins français et ils se comportent comme une marque. Les régions de France ne doivent-elles pas se comporter comme des marques, hors du débat des AOC : Bourgogne, Bordeaux, etc. ? Une marque, c’est une promesse, un plan, des mesures, des objectifs que l’on peut mesurer. C’est une approche pragmatique. Si on n’a pas atteint les objectifs, on en examine les raisons et on corrige. Je sais bien que cela n’est pas facile. Je pose juste la question. Et quand on se trouve devant un distributeur, il faut aller au–delà du « mon vin il est bon ! » parce qu’en face on a des producteurs qui ont des bons vins, qui ont un plan, qui le montrent au distributeur et qui viennent l’aider : « J’ai fait des études de marché, les consommateurs vont adorer, et puis en plus je vais mettre cela en promotion ». Il existe des exemples frappants : Jean-Paul Chenet, c’est du vin de pays. Je ne sais pas si les Grands Chais de France sont bénéficiaires ou pas, car ils font beaucoup de promotions. Tout ce que je sais c’est qu’ils vendent, et que les gens achètent, et qu’il est en train d’étendre son réseau de distribution : dans trois ans ils seront présents partout, et ça marche ! C’est les plus gros volumes français. Ne faut-il pas faire des marques ? Je vous remercie de votre attention. 1ER DECEMBRE 2006 28 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE TABLE RONDE QUELLE STRATEGIE ADOPTER FACE A LA MONTEE EN PUISSANCE DES PAYS DU NOUVEAU MONDE SUR LE MARCHE BRITANNIQUE ? Participent M. Eric GASPARINI, Responsable Export Royaume-Uni de Jeanjean M. Michel BATAILLE, Président de l’Union des Coopératives de Foncalieu M. Henri de COLBERT, Vigneron au Château de Flaugergues M. Olivier PROTHON, Chef de Mission Agricole, Ubifrance M. Jean-Philippe PERROUTY, Research Manager, Wine Intelligence Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1 M. Jean KOUCHNER Merci M. Perrouty. On va continuer avec les questions que vous avez soulevées, et d’autres qui sont inspirées par vos propos. Je voudrais qu’on enchaîne tout de suite avec la table ronde puisque toutes ces questions seront traitées avec vous également et avec des personnes que j’appelle maintenant : M. Henri de COLBERT, M. Eric Gasparini, et M. Michel Bataille. M. Henri de COLBERT est vigneron au Château de Flaugergues, M. Bataille est président de l’Union des Coopératives de Foncalieu et vigneron (40 millions d’euros de chiffre d’affaires avec un effectif de 70 personnes environ et 85% de la production destinée en 2001 à l’export dont 60% au total vers le Royaume-Uni), M. Eric Gasparini est responsable export vers le Royaume-Uni chez Jeanjean (144 millions d’euros de chiffre d’affaires). Merci à vous d’être présents, notamment M. Gasparini, qui je crois est très pris en ce moment puisque Jeanjean a repris la société Antoine Moueix & Lebègue, St-Emilion, qui produit 3 millions de cols par an. Cela donne une idée de l’ampleur de votre activité. Je voudrais me tourner d’abord vers M. Henri de Colbert. Que représente pour vous le Royaume-Uni, quel est le pourcentage à l’export, et si vous exportez, quels sont les problèmes que vous rencontrez ? Puis, je voudrais vous demander de réagir à ce qui a été dit à propos du marché britannique. M. Henri de COLBERT Vigneron au Château de Flaugergues Nous exportons 80% de nos vins, ce qui représente 1 million d’euros de chiffre d’affaires par an, et entre 150 000 et 200 000 bouteilles par an. L’Angleterre représente 30 à 35% de la totalité de notre exportation, entre 40 000 à 50 000 bouteilles. Donc, nous n’affrontons pas les mêmes problèmes que ceux qui gèrent des millions de bouteilles. Notre problème est de valoriser un prix suffisant, car Flaugergues c’est 20 emplois permanents, 4 cadres pour 30 hectares de vignes, donc tout cela a un coût élevé. Mais c’est la condition indispensable pour 1ER DECEMBRE 2006 29 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE arriver à avoir des produits qui soient corrects et adaptés aux marchés. Nos vins sont vendus en Angleterre à 7,99 euros, c’est-à-dire 8 £, ou 6,50 £ pour les rosés. Je voudrais témoigner dans le même sens de ce qui a été dit tout à l’heure : il y a 10 ou 20 ans on a pu entrer dans ce marché parce qu’on était les meilleurs, qu’on avait un prix correct, et qu’à la limite le prix n’avait pas tellement d’importance. Mais il faut aussi dire que nous produisions l’un des meilleurs vins de dégustation, l’un des meilleurs vins importés en Angleterre - meilleur vin en France aussi - donc nous avions un atout de qualité qui nous permettait d’exporter. Depuis quelques années, nous nous voyons obligés de passer par la case de la promotion. Actuellement, vous pouvez voir sur Internet les promotions effectuées sur les vins de Flaugergues : vous gagnez 2 £ si vous achetez 2 bouteilles de rosé, donc le prix passe de 6,49 £ à 5,49 £ la bouteille (vous gagnez 1£ par bouteille). Et vous gagnez 1£ sur les rouges, c’est-à-dire vous passez de 7,99 £ à 7,49 £ en en achetant deux. Donc tout ceci suppose d’énormes efforts. Ce que je veux dire c’est que lorsque nous établissons les prix pour l’Angleterre, quelles que soient les quantités vendues, si l’on veut développer ces marchés, il faut prévoir des remises quantitatives, des frais de communication, des cadeaux pour les promotions, etc. Ensuite, nous essayons de nous placer sur le marché en nous positionnant par rapport à nos concurrents. Il est exclu pour nous de produire des vins de cépages à 3 ou 4 € la bouteille, on ne pourra pas s’en sortir. Pour valoriser et justifier nos prix, il faut autre chose. Nos avantages par rapport à d’autres : on reçoit par exemple des milliers de touristes chaque année dont quelques centaines d’Anglais, qui repartent avec l’adresse des boutiques où l’on peut trouver nos vins en Angleterre, qui sont au nombre de 150. Ils vont donc créer une demande. Ensuite, nous investissons fortement dans la communication, nous sommes présents dans les premières pages des catalogues, ce qui coûte très cher mais qui permet que notre marque, qui représente très peu de quantité, soit connue. Actuellement des gens en Angleterre achètent du Flaugergues parce qu’ils nous connaissent et que cela fait longtemps qu’on leur en parle. Ensuite, on travaille avec le prestataire de services final, celui qui va vendre notre produit et qui va demander que notre produit soit vendu : on le reçoit chez nous, il est bien accueilli, on va le voir et on va essayer de négocier avec lui pour qu’il propose le Flaugergues le plus souvent possible, etc. Enfin, ce dont je voudrais témoigner c’est qu’il y a quelques années l’acheteur était un « master of wine » un compétent en vin, aujourd’hui on a plutôt des commerciaux, des gens qui font du business, des financiers qui n’en n’ont que faire du vin. Notre interlocuteur n’est plus un connaisseur en vin, donc il faut s’adapter. M. Jean KOUCHNER Juste un détail supplémentaire s’il vous plaît : vendez-vous par Internet, notamment aux personnes que vous recevez et qui effectuent des commandes ? 1ER DECEMBRE 2006 30 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Henri de COLBERT On s’est interdit d’être concurrents de nos clients. Nous disons aux gens que nous recevons au domaine que s’ils veulent du vin, ils devront l’acheter chez nos distributeurs en Angleterre. On crée une demande en s’interdisant d’être concurrents de nos clients. En contre-partie, le site de notre client parle bien de nous et effectue des promotions que nous assurons. M. Jean KOUCHNER Merci. Vous pouvez passer le micro à M. Bataille. Alors, je voudrais connaître vos propres réactions dans la même lignée de ce qui a été dit et également votre expérience. M. Michel BATAILLE Je ne fais pas de langue de bois donc je vais m’y attacher comme à l’accoutumée. Ce qui est important de préciser c’est que j’ai connu Henri de COLBERT il y a 25 ans, quand il était au FORMEXA. J’étais tout jeune vigneron et je commençais à m’intéresser au commerce. Son témoignage est complètement opposé au mien, mais c’est normal puisque le marché est pluriel, et il est important de le préciser. En sortant de la salle, il ne faut pas que les gens se disent qu’il faut faire comme un tel ou un tel : les circuits sont différents et chacun peut trouver sa place. Nous vendons 12 millions de cols en Angleterre, nous devons sûrement être la première entreprise languedocienne dans ce pays. On y est implanté depuis longtemps. Pour réagir à ce qui vient d’être dit, je ferai un parallèle avec la stratégie militaire : je regrette que Christian Jean, qui est parti, ait introduit son propos en donnant son point de vue sur le rôle de la Méditerranée à partir d’un voyage en Kirghizie et de la rencontre avec des opérateurs italiens en Kirghizie. Aujourd’hui, chaque fois que les responsables professionnels et les responsables politiques se réfugient derrière la tradition française, on se retrouve dans la même situation que les généraux français, que le général Gamelin en 1939 derrière la ligne Maginot. On a vu le résultat. Il faut qu’on doute et qu’on se remette en question. Certes, Montpellier avec Alain Carbonneau et Hervé Hannin sont des témoignages vivants, mais aussi M. Deloire etc. et nous travaillons avec eux : ils maîtrisent parfaitement l’aspect viticole, ils ne sont d’ailleurs pas suffisamment utilisés par les Languedociens. Mais les Australiens, les Sud-Africains, les Chiliens, les Californiens ont fait des progrès bien plus grands que la France en matière viticole et font des produits adaptés au marché. Ce qui compte, c’est bien le pilotage par l’aval et l’adaptation au marché. Donc je pense chaque fois qu’on parlera des AOC, du style français (on a entendu pendant longtemps que le Carignan est un cépage emblématique du Languedoc alors que tout le monde sait que c’est un cépage espagnol introduit à la fin du 19ème siècle en Languedoc-Roussillon), il y aura quelqu’un qui vendra 25 000 bouteilles d’excellent vieux Carignan. Mais il faut suivre la tendance du marché. Aujourd’hui, cela a été expliqué par M. Perrouty : la tendance du marché en Grande-Bretagne, c’est le cépage et c’est la marque. S’il 1ER DECEMBRE 2006 31 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE y a autant de consommateurs fidèles aux Australiens, c’est parce que les marques australiennes sont fortes et ces marques tiennent leurs promesses. Quand on achète Jacob’s Creek ou Hardy’s, on sait à quoi s’attendre. Alors que quand on achète un vin français, on n’a pas de vraie marque. Il existe une marque qui fait entre 1 et 4 millions de cols par an en fonction des promotions ; les marques françaises sont, la plupart du temps, éphémères : elles s’installent et disparaissent. On a souvent des déceptions. Donc la marque est un élément essentiel. Je rejoins M. de Colbert en disant que la promotion est actuellement un élément majeur en Grande-Bretagne. On a une pression très forte sur les distributeurs quand on est sur les segments Premium, alors que M. de Colbert est plutôt sur les segments Ultra Premium. Je rencontre encore beaucoup de «Masters of Wine». Il est important de signaler que les femmes ont un rôle majeur en Angleterre en tant que consommatrices, mais aussi en tant qu’acheteuses, telles que Abigail Hirschfeld à Sainsbury’s et si Peter Darbyshire était là, il a recruté dans son agence Lindsay Talas qui était l’acheteuse de Tesco. C’est un point important, parce que le profil des vins doit être adapté aussi à la part plus féminine des consommateurs et de l’acheteur. Pour terminer, comme l’a déjà indiqué M. Perrouty, il existe une très forte pression en Grande-Bretagne sur les coûts qui s’indexent considérablement. Il n’y a qu’à voir le nombre d’achats de maisons en Languedoc-Roussillon. On a la pression parce que chaque année les taxes augmentent. Cette année par exemple, ce sont 6 centimes d’euros d’augmentation. Et les distributeurs les font porter sur les producteurs, donc globalement tous les producteurs, du moins ceux qui sont sur le secteur de l’off trade ont 6 centimes à rajouter à leurs charges, ce qui correspond au coût de l’augmentation des « duties », puisqu’un produit qui est positionné à 4,99 £ ou à 5,99 £ en Angleterre va rester à ce niveau-là, on ne va par exemple pas augmenter de 3 pences pour passer de 4,99 £ à 5,02 £ parce que c’est très segmenté. Ensuite, il y un mot que tout le monde devrait apprendre c’est BOGOF (Buy One, Get One Free), c’est-à-dire une bouteille gratuite pour une bouteille achetée. La plupart des opérations de la grande distribution se font selon ce modèle ; il faut donc calculer un prix moyen sur la base du taux de promotion qui est toujours difficile à estimer, mais dans le meilleur des cas, cela représente 80% en promotion et 20% en fond de rayon. Vous avez donc effectivement, un produit, et cela a été bien expliqué dans le découpage des consommateurs, qui est à 4,99 £ ou à 5,99 £ pendant 11 mois de l’année, et pendant 4 semaines il est à 2,99 £. Nous en avons chez Tesco, chez Sainsbury’s, etc. Nous avons les vins « mâches », dont on vend chez Tesco en moyenne 200 bouteilles par magasin et par semaine sur une marque qui s’appelle La Cité de Foncalieu et on a aussi une marque très « française » qui s’appelle Winter Hill - peut-être que vous ne l’avez pas trouvée, pensant que c’était une marque australienne. Les vins « mâches », c’est, hors promotions, 200 bouteilles, et en promotion 3 000 bouteilles par semaine. M. Jean KOUCHNER Merci. M. Gasparini : 40% à l’export, combien vers le Royaume-Uni ? 1ER DECEMBRE 2006 32 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Eric GASPARINI Responsable export Royaume-Uni de Jeanjean Au Royaume-Uni, on fait à peu près 6 à 7 millions d’euros sur 44 millions d’euros pour le groupe, et un bon tiers à l’export donc 15 millions d’euros. Nos exportations vers l’Angleterre ne sont pas aussi importantes que Foncalieu, on réalise 3 millions de cols environ, mais je peux vous dire qu’ils pèsent lourd et que c’est beaucoup plus que ce qu’on faisait il y a 3 ans. Je voudrais simplement réagir en vous faisant part de l’expérience de Jeanjean et de sa stratégie pour le Royaume-Uni. On est parti d’un constat : il y a 3 ou 4 ans, on vendait de moins en moins vers le Royaume-Uni, on avait de grosses difficultés, je crois qu’on était béat devant la progression des vins du Nouveau Monde. On ne comprenait pas, on s’interrogeait. Nos vins sont des vins de plaisir et on avait entendu parler des vins de détente, mais on en était finalement resté sur cette approche de producteurs. C’est une autocritique, et on s’est demandé ce qu’il fallait faire. Je ne vais pas redire ce qui a déjà été raconté, mais on a tout simplement appliqué une recette qui n’est pas facile mais qui fonctionne : on est parti de la qualité de nos vins, de nos terroirs, c’est important de le souligner, de nos savoir-faire. On a des équipes d’œnologues fortes et jeunes, on s’est entouré du savoir-faire d’œnologues étrangers, anglais et autres qui travaillent dans le monde entier pour enrichir nos connaissances, pour échanger. En partant de là, on a bien compris qu’on n’irait pas loin sans une approche de marché. Là aussi on a fait appel au savoir-faire de professionnels anglais en travaillant avec des agences de développement de marques pour nous aider à faire des recherches et à comprendre ce qu’il faut faire pour plaire aux consommateurs. On est parti du vin pour travailler sur des profils de vins. On savait qu’à la base il fallait absolument avoir une promesse de qualité sur des vins qui apportent peut-être plus de complexité mais aussi une facilité, une promesse au niveau d’une marque qui soit rassurante pour le consommateur, et il fallait prouver cela aux acheteurs. On s’est donc engagé dans ce travail. Enfin, on a travaillé sur des positionnements. On a vu que le secteur Premium se développait, pour nous c’est une chance dans cette région, même s’il ne faut pas négliger l’impact des promotions qui vient réduire les résultats. On ne peut pas réussir en Grande-Bretagne si on n’a pas de partenaire digne de ce nom, local, un agent spécialiste du marché. On a donc travaillé avec un agent bien implanté. Aujourd’hui, au bout de trois ans, on a les premiers résultats : on a réussi à développer une marque dans certaines enseignes à GD, mais ce n’est pas facile et il faut continuer. De la salle Je pose une question à tous les intervenants : peut-on chiffrer le prix d’un lancement de produit, d’une marque en Grande-Bretagne ? L’intervenant de Jeanjean parlait de leur expérience qui consistait à s’entourer de professionnels pour les aider, cela convient donc à Jeanjean ou à Foncalieu, mais pour une coopérative moyenne de l’Hérault, qui n’est pas représentée aujourd’hui, quel pourrait être le prix ? 1ER DECEMBRE 2006 33 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER Question difficile… M. Jean-Philippe PERROUTY Je ne connais pas les prix. Mais à votre place, en tant que petite coopérative je ne créerais pas de marque et c’est un point très important. Sur le graphique montré par M. Prothon figuraient des données Nielsen qui montraient qu’un tiers des ventes en off trade, en supermarchés, sont réalisées par des marques. Il n’y a donc qu’un tiers du marché qui est fait par des marques, si vous regardez dans les soft drinks ou les boissons non alcoolisées, on va arriver à des proportions entre 70 et 90% des ventes qui sont tenus par 5 marques, alors que dans le cas qui nous intéresse, seul un tiers du marché est contrôlé par les marques. C’est-à-dire qu’il y a tout le reste. Les marques permettent de négocier avec les distributeurs et de planifier des promotions, mais il ne faut pas oublier que les promotions masquent un autre problème, qui est celui du pays, en l’occurrence la France ; et là, les coopératives comme celles de l’Hérault peuvent jouer un rôle important à travers leurs réseaux : les syndicats de vins de pays, les syndicats d’appellations. Il existe un problème par rapport à l’image des vins français. Je vais vous citer 2 exemples : • 1er exemple, Thresher : il y a un an, ils ont décidé d’arrêter toutes les promotions et de n’en imposer qu’une seule « 2 bouteilles achetées, la troisième est gratuite », et cela pour tous les pays : Australie, Chili, France, etc. L’effet promotion était donc neutralisé et on pouvait comparer les pays entre eux hors promotion. L’Australie faisait 26% de parts de marché chez Thresher et cela n’a pas changé. Les Etats-Unis sont passé de 14% de parts de marché à 20%. La France est passée de 20% à 14% hors promotions, c’était l’effet de la France, de son image. M. Jean KOUCHNER Mais à quoi cela est-il dû ? Vous évoquiez tout à l’heure cette question en disant que la France ne donnait pas confiance. M. Jean-Philippe PERROUTY • Je vais vous donner un deuxième exemple. A Londres, on trouve des organismes génériques de promotion des pays : Wines of California, Wines of Australia, Wines of Spain, Wines of Austria, Wines of Chili, Wines of Argentina, il y en a 8 ou 9, mais pas de Wines of France. C’est un élément de réponse… 1ER DECEMBRE 2006 34 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Michel BATAILLE En complément de ce qui vient d’être dit par M. Perrouty et qui est très important, je veux ajouter que malheureusement, siégeant à Inter-Sud de France, je crains fort que les querelles professionnelles tuent dans l’œuf Inter-Sud de France et Sud de France, et tout cela pour des problèmes politiques, au sens large du terme, et de pouvoirs personnels. Des élections ont eu lieu il y a quelques années, mais je me suis éloigné de tout cela parce que j’en ai assez que toutes les décisions soient prises à titre personnel et qu’elles tuent les vignerons de base. Moi je ne participe plus à tout cela, je me suis concentré sur les aspects économiques, je travaille 5 jours par semaine en entreprise, et cela me suffit largement. Pour aller sur la question du coût, il n’y a pas de coût direct. Il faut d’abord un bon marketing mix, et à l’intérieur de ce marketing mix, la partie « produit » est importante. Cependant, j’aimerais préciser deux points. Premièrement, il est évident que tout le monde peut essayer de s’introduire dans le marché britannique, il y a des marchés de niche, ce n’est pas trop un problème. Mais si toutes les entreprises languedociennes, en particulier les 300 coopératives du Languedoc-Roussillon, décident de monter un service commercial et d’introduire le marché britannique, le prix des vins français baissera. Le problème c’est qu’on se bat toujours, sans le savoir, contre Jeanjean, Val d’Orbieu, Skalli, etc. à propos de la part de gâteau franco-française. Il faut élargir cette part de gâteau, et on ne peut le faire que si l’on a une ombrelle générale française, ou du Sud de France. C’est un élément important, il est intéressant pour chacun de conserver sa propre part de marché, mais cela au risque de perdre en efficacité. Dernier point, sur la part des rosés : on est passé de 0% de part de marché il y a 5 ans, à 7% maintenant. Ce sont les Californiens qui ont pris l’initiative avec le White Zinfandel, qui est un cépage italien Primitivo, et là je me tourne vers ceux qui étaient à l’Onivins : en France si vous voulez implanter du Primitivo ou du Pinot Grigio, il faudra 10 ans avant de pouvoir avoir l’autorisation d’Onivins. Moi je demande chaque année, et M. Rousset le sait, une autorisation pour toucher une prime sur le Colombard. Nous avons un objectif sur la base Colombard, et nous voulons concurrencer les Sud-Africains sur un produit particulier dans lequel il y a du Colombard, et en France on nous bloque sur ce sujet. Question sur les rosés : est-ce que beaucoup de gens dans la salle ont eu, par l’intermédiaire de leur organisme professionnel technique, une information sur les rosés vendus en Angleterre et en particulier sur la teneur en sucre ? Levez le doigt s’il vous plait. M. Jean KOUCHNER Il y en a … 1ER DECEMBRE 2006 35 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Michel BATAILLE Nous avons réalisé une analyse sur les 20 premiers vins rosés vendus en Angleterre à partir des chiffres du Nielsen, ils ont tous une teneur, à une exception près, qui va de 12 à 30 grammes de sucre. C’est autorisé en France, sauf qu’ici on considère que ce n’est pas bon et donc on ne le fait pas. Dernier point sur la teneur en sucre, à propos des AOC, qui sont donc une chance pour la France (ils le sont pour les rouges, cœur de gamme, et non pas pour les très grands vins qui coûtent jusqu’à 10 £ la bouteille). On peut mettre jusqu’à 4 grammes de sucre dans le rouge, sachant qu’on a la perception du sucré à partir de 8 grammes. Mais en France, çà n’est pas possible. On ne fait pas d’innovation en France parce que ce n’est pas possible. Aujourd’hui, il y a une demande en Angleterre sur le vin à faible degré alcoolique. En France, vous savez qu’on a une autorisation pour désalcooliser, mais qu’on ne peut pas exporter ces vins. Alors je vous le dis franchement, un certain nombre d’entre nous va quand même le faire ! Nous en avons ras-le-bol de toujours courir avec des chaînes à nos pieds. C’est vrai qu’on n’innove pas parce qu’on est aussi coincé par les aspects administratifs, et plutôt que d’aller demander au Ministère quatre subsides qui ne servent souvent à rien, donnons les moyens aux entreprises d’innover, d’aller de l’avant ! Il faut arracher à tous ces caciques intégristes un certain nombre de choses. Ceux qui veulent faire traditionnel, vendanger à la main, piocher au rabassier, pour les gens qui connaissent l’occitan, ça ne me pose aucun problème, je ne veux pas en débattre là. C’est comme le rugby à l’ancienne il y a cinquante ans face aux All blacks d’aujourd’hui : on voit où on en est… M. Henri de COLBERT Moi je voudrais répondre à M. Bataille, faire au moins une fresque plus large ou au moins donner une réponse précise à la question du coût d’une marque. Je voudrais y répondre par une autre question, en vous expliquant que, de l’administrateur de centre de gestion, au bout de trente ans, je n’ai jamais pu obtenir que le centre de gestion me dise combien ça coûte de faire du vin, et je pense qu’il y a peu de gens ici qui aient vraiment fait une étude sur le coût de production, et ceci est une première partie de réponse. Ensuite, il faut bien comprendre que nous, producteurs, quand on agit en commerciaux, il nous faut raisonner également en commerciaux : on a à vendre nos produits au meilleur prix possible bien sûr, ce qui veut dire qu’un travail de commercial coûte très cher, beaucoup plus cher que de produire déjà. Ensuite, créer une marque ou prendre un marché ou créer un client, c’est un réel investissement. Effectivement, cela n’est pas prévu actuellement dans nos lignes comptables. C’est un investissement fort, qui requiert du temps, des salariés, du matériel, de la communication ; en somme tout un tas de choses qui coûtent de l’argent et qu’on ajoute. Et c’est à nous-mêmes, chaque fois, de faire les comptes. Mais c’est vrai que je peux vous dire que mon introduction en Angleterre, où je n’ai pas de marque, m’a coûtée en gros 500 000 ou 600 000 francs à l’époque. Ça représente des années de travail avec des gens qu’on paie pour essayer d’entrer dans un marché. 1ER DECEMBRE 2006 36 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE De la salle M. Granès de l’ICV. J’ai une question car je suis étonné par ce qu’on a vu. On nous répète depuis plusieurs années comment est le marché anglais et que la France est toujours un peu à la traîne par rapport aux évolutions qu’on connaît déjà depuis quand même quelques temps. Il me semble qu’il y a eu également un rappel historique des différences de comportement d’il y a 10 ou 15 ans sur le marché anglais par rapport à aujourd’hui, mais on ne nous a pas expliqué d’où cela provenait. Il me semble qu’il y a une quinzaine d’années les Australiens ont décidé de se développer sur le marché anglais. Ils ont mis en place une stratégie de communication et de marketing, et si aujourd’hui les Anglais choisissent le cépage ce n’est pas par hasard, ce n’est pas dû à l’évolution de la société anglaise. C’est qu’il y a eu une stratégie de communication, d’éducation du consommateur britannique, pour aujourd’hui lui faire prendre conscience ou le convaincre en tout cas que le cépage est la porte d’entrée la plus facile pour choisir ses vins et ne pas se tromper. Depuis 5 à 10 ans ou un peu plus récemment, ce sont les marques qui sont venues derrière comme un complément au cépage. On voit donc là un tableau, dont on nous a montré la photographie, se construire. Je pense que c’est une idée de vouloir s’inspirer de ce qui se fait, voire de s’accrocher au wagon et d’essayer de vendre le maximum de volume en suivant ce type de stratégie, mais je me pose une question dont je fais part aux intervenants : sommesnous incapables de penser le futur et d’imaginer des stratégies innovantes à côté de stratégie de suiveurs ? C’est ce qu’on fait aujourd’hui en rentrant dans les cépages et dans les marques, c’est une bonne stratégie qui est nécessaire pour développer nos parts de marché, mais n’y a-til pas aujourd’hui de stratégie innovante possible ? J’ai entendu, un peu avec surprise tout à l’heure, qu’il fallait laisser tomber ce segment de consommateurs britanniques qui consommaient très peu et qui essayaient de faire des économies. Ne faut-il pas, au contraire, s’intéresser à eux en premier lieu, les éduquer, leur apprendre, essayer de leur proposer de nouveaux produits, ne s’agit-il pas là de nouveaux consommateurs potentiels, ne faut-il pas établir des plans stratégiques sur 10 ans au lieu de continuer simplement à suivre ce qui se fait déjà ? De la salle Si je puis me permettre, je trouve ça assez surprenant qu’on nous propose des plans à dix ans alors qu’on est en train de crever. Il faut quand même être raisonnable. De la salle (réponse Daniel Granès) Institut Coopératif du Vin Ce n’est pas l’un ou l’autre : je ne suis pas en train de dire qu’il faille faire l’un ou l’autre. Je dis qu’à côté de ce travail nécessaire de développement sur le marché britannique, ne peut-on pas aussi penser le futur ? 1ER DECEMBRE 2006 37 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean-Philippe PERROUTY Je connais un peu l’histoire de la région, je viens des Corbières. Sur les AOC, dans les années 30, les Français avaient 70 ans d’avance mais dans le sens inverse. Je m’explique : dans les cépages, pour faire de l’AOC il faut être dans une aire, il faut avoir des cépages imposés. Vous n’avez pas le droit de faire n’importe quel cépage. Donc, le cépage est une partie intégrante de l’Appellation d’Origine Contrôlée, on fait beaucoup d’AOC, mais en France on ne fait pas que cela. Par exemple, concernant le Côtes du Rhône, vous avez à peu près la moitié des consommateurs Anglais qui ne savent pas que c’est une Région d’Origine, ils croient soit que c’est un cépage soit que c’est un style de vin. Il y en a encore moins qui pensent que le Côtes du Rhône c’est, par exemple, « Grenache Syrah ». Je suis peut-être un peu naïf ou bête, mais pourquoi est-ce qu’on ne met pas « Grenache Syrah » sur le Côtes du Rhône, où est le problème, s’il y a du Grenache et de la Syrah dedans, et si en plus il faut faire du Grenache et de la Syrah pour produire du Côtes du Rhône ? Par contre, pour ce qui est des plans à 10 ans, je suis plutôt d’accord avec vous. Il faut que quelqu’un prenne une décision et dise ce qu’il faut faire ! et l’argent que tout le monde se distribue, c’est là qu’on va l’investir. Un plan à 10 ans ne signifie pas de continuer avec les mêmes erreurs pendant 10 ans, mais au bout d’un an, il faut faire un état des lieux pour voir ce qui a marché ou pas et corriger les erreurs éventuelles. Je pense, et cela est valable pour une grosse marque type Chamarré qui vient de se lancer avec je ne sais plus quel budget, mais c’est également valable pour des coopératives qui peuvent se regrouper : Inter Sud de France est devenu manifestement Sud de France. Que les vignerons se regroupent pour mettre leurs moyens en commun et établir un plan stratégique, cela me paraît cohérent. M. Olivier PROTHON Simplement pour enrichir le débat, on est passé de 12 litres à 24 ou 25 litres, c’est ce que je disais tout à l’heure. Donc sur ce gain de 12 litres, il faut savoir que les 12 anciens litres d’il y a 20 ans sont devenus un peu moins parce que les gens ont un peu vieilli, consomment un peu moins, certains sont morts, etc. En revanche ce gain de 12 litres, en plus du déclin démographique, s’est fait avec un véhicule simple puisqu’on avait des nouveaux promoteurs de vins qui n’avaient pas la complexité des régions, pays, etc., donc ils se sont dit « le vin c’est fait avec du raisin, et c’est du raisin français d’ailleurs, et donc ça fait bien. le CabernetSauvignon, le Chardonnay, tout cela a une consonance française », donc le marketing était simple. J’étais en Italie avant, la grande problématique c’était la viande. Il y a eu la crise de la vache folle il n’y a pas longtemps, je n’ai jamais compris pourquoi on ne mettait pas en avant le Charolais, le Limousin, le Blanc d’Aquitaine alors qu’en Italie ils mangent de la viande de jeune bovin qui vient du Massif Central à 80%. J’ai réussi péniblement à monter une filière sur le plus difficile : la Blonde d’Aquitaine née en France et élevée en Italie, je ne vous raconte pas l’histoire parce qu’on en aurait pour trois jours. Pour en revenir à nos vins, je disais simplement que le cépage c’est bien, c’est un véhicule, mais actuellement le marché est en train de mûrir et c’est toute une opportunité pour nous. Bien sûr, il me paraît évident, ça ne devrait même plus être sujet à débat, que de dire le Côtes 1ER DECEMBRE 2006 38 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE du Rhône c’est de la Syrah et du Grenache, ou du Mourvèdre, etc. selon les cas. Il est évident que ces véhicules sont, pour le consommateur, une bonne accroche et qu’à la limite, il en veut un peu plus pourvu que ça soit présenté d’une façon simple. Quant à la contre étiquette, allez dans les rayons britanniques, vous verrez bien qu’elle est devant ! Ce dont il faut parler maintenant, c’est de construire. On ne va pas faire des guerres de chapelles sur les cépages, les appellations, on en n’a absolument rien à faire côté britannique, côté consommateurs britanniques et côtés exportateurs bien entendu. Ce qu’il nous faut faire c’est construire et innover. On a l’origine des cépages. Quand je fais des conférences aux consommateurs britanniques, ils me regardent avec des yeux tout ronds, et je leur dit « vous savez du Sancerre, c’est du Sauvignon ». Ça commence comme ça. Après on les prend par le bout du nez et on les amène boire du Sancerre, du Sauvignon du Languedoc, etc., et l’affaire est jouée. Faisons bien nos vins, essayons de faire de bons mix. Combien ça coûte ? Avant de parler des coûts, cherchons un partenaire. Ce n’est pas facile ! Et puis, les partenaires font des marques aussi, le problème se pose en terme de partenariat. Ensuite, plus que le coût, raisonnons en terme de retour sur investissement, de façon à aller voir le banquier et pouvoir négocier, c’est comme pour l’achat d’une maison. De la salle Bonjour, Philippe d’Allaines, abbaye de Valmagne, producteur. J’ai une question et une réflexion. La question porte sur l’étiquetage : quelle est la tendance actuelle en cette matière ? Est-ce qu’on reste sur l’étiquette traditionnelle type Bordeaux ou faut-il plutôt aller sur le marché anglais avec des étiquettes très modernes type Nouveau Monde ? M. Jean KOUCHNER Avec une Tour Eiffel au milieu des vignes ?! De la salle Exactement. Une petite réflexion. Bientôt aura lieu la London Wine Fair. Le mètre carré y coûte 550 €, les Espagnols, les Italiens, les Australiens qui vont y participer se voient rembourser la moitié des prix de leurs stands et de leurs frais généraux par leurs pays respectifs. Nous, en France, quand on va participer à cette manifestation, rien n’est payé. Je pense que c’est peut-être une réflexion à avoir au niveau des élus du Conseil général, s’ils veulent nous aider, nous producteurs, on est tout à fait partant pour aller travailler sur l’Angleterre et sur tous les autres pays d’ailleurs je pense qu’on est capable de faire du bon vin, mais c’est commercialement qu’on a besoin d’aide. Je pense que nous aider à aller nous installer sur un beau stand à la London Wine Fair et nous payer une partie des frais est la meilleur aide qu’on puisse nous apporter. 1ER DECEMBRE 2006 39 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER M. de Colbert, vos étiquettes sont-elles les mêmes ? M. Henri de COLBERT Question étiquette, j’ai deux réponses à donner. D’abord, j’ai des étiquettes très simples, il n’y a pas grand-chose d’indiqué dessus si ce n’est la contre étiquette, et comme vous l’avez dit, la contre étiquette est présentée devant. Mais sinon, j’ai marqué sur les étiquettes de vins « vin issu du Vieux Monde », je l’ai même marqué en anglais. On affiche carrément qu’on est des vins du Vieux Monde, en opposition au Nouveau Monde. M. Jean-Philippe PERROUTY Sur les étiquettes, je suis dans les études de marché, je m’y connais assez : bien malin est celui qui pourra vous donner la recette. Personne. La seule recette ou réponse que vous pourrez avoir c’est « j’ai une étiquette, je veux vendre à ces gens-là, on regarde ». Je vais vous donner deux exemples. Blossom Hill a refait tout son packaging récemment, il a fait un truc plutôt tourné vers les femmes, probablement 25 à 35 ans, avec des fleurs partout. C’est très recherché, et d’ailleurs manifestement ça marche parce que Blossom Hill est loin de se casser la figure. C’est un packaging très travaillé, très moderne, Nouveau Monde. Maintenant l’autre star, Jacob’s Creek, 3ème ou 4ème en volume, mais dans nos enquêtes il bénéficie du plus gros taux de notoriété en Angleterre, vous pouvez regarder les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, tout ce que vous voulez : Jacob’s Creek est connu par 90 à 97% des consommateurs anglais de vin. Leur étiquette est on ne peut plus simple et plus traditionnelle. C’est sur fond blanc, « Jacob’s Creek », Times New Roman sur Word, « Jacob’s Creek » en noir, Cabernet-Sauvignon, et c’est tout, et ça marche vachement bien. Donc, c’est ce que je vous disais, bien malin est celui qui donnera la recette. On a présenté l’année dernière, à la London Wine Fair justement, toute une série de groupes d’étude avec les jeunes consommateurs de18-24 ans, et on a un peu examiné la question des étiquettes. L’une des principales conclusions qui s’impose, c’est qu’il ne faut surtout pas essayer de « sur-marketer » les jeunes en faisant des étiquettes colorées, des étiquettes pour « jeunes ». Cela ne marche pas, parce que les jeunes sont en l’occurrence les plus fidèles au vins français, et l’on s’aperçoit que quand ils vont manger chez un copain ou chez leur nouvelle belle-mère, ils vont acheter une bouteille à 6 ou 7 £ et comme ils ne connaissent pas trop, ils vont prendre français. Mais à 7 £, pour ne pas se tromper, ils ne vont pas choisir une étiquette bariolée. Maintenant, si vous voulez quand même le faire, je suis sûr que certaines marcheront si elles sont bien faites. 1ER DECEMBRE 2006 40 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Eric GASPARINI Juste un mot sur mon expérience, celle de Jeanjean. Simple et traditionnel, cela me plaît bien. Pour rappeler quelque chose qui a été dite ce matin, n’arrivez pas chez un acheteur de grande distribution en disant : « voilà, simple et traditionnelle, voilà une belle étiquette, je l’ai fait travailler, je suis sûr que ça va marcher » … Il faut prouver qu’elle va marcher par un test, par un panel, par un focus group, etc. Tout doit avoir fait l’objet, pour l’approche GD, d’une étude pour le marché britannique, donc pas d’approche franco-française. M. Olivier PROTHON Je voulais compléter par rapport à l’étiquetage, simplement pour dire, que nous avons beaucoup parlé de Blossom Hill, sa cible clientèle, ce sont plutôt des clients récemment introduits dans le vin, pas très connaisseurs, etc. et puis, Blossom Hill développe beaucoup le principe d’aucune indication de cépage. C’est juste du Blossom Hill blanc, rouge ou rosé. Alors que là, pour le rosé, c’est Wighting Hill… Tout ça pour dire que toute cette histoire est simplement associée à ce qui va être plus facilement perceptible par le consommateur, et je pense que cela évolue. N’oubliez pas que « blend » est très riche comme évocation ; il faut simplement expliquer que nous faisons des assemblages qui s’appellent « blend », parfois cela peut être vendeur si, bien sûr, l’on a fait un travail qui véhicule une marque, un repère, etc. Dernière chose, je voulais me faire aussi l’écho d’une journée à laquelle mon voisin de droite a participé, tout comme quelqu’un de chez Foncalieu le 17 octobre dernier, au cours de laquelle des professionnels très avertis ont discuté avec des professionnels britanniques de la distribution en particulier, et des grandes agences, sur le développement des marques en France justement. Cela explique un certain nombre de choses. Je voulais simplement m’en faire l’écho parce que je crois que c’est important : d’abord, on attend beaucoup de nous et les Britanniques sont restés optimistes pour ce qui est de nos capacités à pouvoir répondre. Deuxièmement, il y a beaucoup d’expériences qui ont démarré au Royaume-Uni. C’est ce que j’expliquais tout à l’heure : il faut avoir des partenaires qui le font. Troisièmement, un certain nombre d’appellations sont déjà des marques et elles sont même perçues comme telles chez nous, et donc souvent, c’est presque une opportunité parce qu’on peut construire à partir de quelque chose qui démarre, ou à partir de certains éléments qui ont des points dominants, comme une coopérative qui couvre par exemple Fitou, C’est aussi à prendre en compte. Autrement dit, regardons ce qui est déjà prêt à l’emploi par rapport à ce que veut le marché. Enfin, je reviens à l’histoire du coût, il est en rapport avec ce qu’on peut faire, c’est-à-dire une marque ombrelle par exemple comme l’a fait Bourgogne avec Blason de Bourgogne, c’est bien entendu moins coûteux que les grandes marques australiennes, et ça fonctionne. Il y a donc de la place pour la diversité. Les marques servent à faciliter l’accès au vin. 1ER DECEMBRE 2006 41 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Alain CARBONNEAU Je voudrais revenir sur le vin lui-même au travers de quelque chose dont personne ne parle me semble-t-il, qui est la physiologie du consommateur. M. Perrouty en a peut-être parlé lorsqu’il a indiqué que sur le marché anglais le vin se consommait en tant qu’élément de détente. Je crois que le fait de le dire peut orienter vers l’étude de l’état physiologique du consommateur. Je vais prendre un exemple qui est lié à l’évolution des goûts, nous sommes sur une certaine tendance me semble-t-il. J’ai appris cela quand j’étais à Bordeaux, où les Bordeaux traditionnels finalement sont moins bien perçus - ça c’était il y a trente ans - et les Bordeaux eux-mêmes ont évolué, les caractères Merlot sont mieux prisés que les caractères CabernetSauvignon qui sont considérés comme austères et intellectuels, du moins ceux du Bordelais. Nous avons franchi une autre étape, notre goût a changé, on nous a édulcoré le palais, il y a du sucre partout maintenant, je crois qu’il faut en tenir compte. Est-ce qu’on peut aller contre cela ? C’est une question que j’adresse au panel. Je ne sais pas. En tout cas, je pose cette question et je constate. Personnellement, je l’ai fait au moins une cinquantaine de fois, j’ai piégé des consommateurs traditionnels tout simplement avec des vins australiens. Il y avait des copeaux, oui, il y avait 14° d’alcool, oui, mais les gens aiment la sucrosité. Et peut-être que ça fait partie de la détente. Les vins français - heureusement qu’il y a toujours des amateurs - sont considérés comme des vins intellectuels. Il faut un peu se prendre la tête pour découvrir tous les aspects, pour remonter au terroir et dire « ah oui ! Là j’aperçois quelque chose du terroir ». C’est très bien, mais le vin se consomme de plus en plus dans des occasions de détente et il faut changer notre conception du vin si l’on veut regagner des parts sur le marché. C’est pour moi la base de physiologie finalement du goût. Alors je voudrais connaître un peu votre réaction. M. Michel BATAILLE Ce que vient de dire Alain Carbonneau est extrêmement important. On a pu nous aussi, et il y a des gens dans la salle qui étaient là quand on l’a fait, constater et piéger sur une dégustation de Cabernet, justement parce que on sait tous que le Cabernet languedocien est beaucoup moins apprécié des consommateurs que les Cabernet par exemple chiliens ou australiens. On avait donc fait à l’aveugle, avec un jury d’œnologues et des gens de l’Institut du Goût de Tours, une dégustation de Cabernet très bien vendus en Angleterre, des Cabernet australiens, chiliens, et des produits de chez nous, y compris des Foncalieu. Désastre ! Les vins français y compris des vins de caves particulières très côtées, arrivaient en dernier, systématiquement. Et, grosse surprise, le numéro un était chilien, ça on s’y attendait, le numéro deux Yellow Tail, dont on dit partout que c’est une infâme soupe. Certains ont même dit de ce vin qu’il était désalcoolisé... Je vous donne une piste de progression : 14°, donc des vendanges mûres. Je sais bien qu’ici les Cabernet se font au mois d’octobre et qu’il pleut, et que l’évolution du climat fait qu’il pleuvra encore plus à cette époque-là ; et des IPT inférieurs à 55, donc des durées de macération courtes. Vous regarderez les deux fiches techniques qui sont jointes à vos dossiers et vous regarderez les durées de macération, c’est 5 jours pour les Lindeman’s et consorts. Donc, Alain Carbonneau a parfaitement raison, aujourd’hui on est dans un monde du « sweet », du « soft », et il faut des vins plus légers mais pas forcément avec moins d’alcool. 1ER DECEMBRE 2006 42 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Après, le marché des vins faiblement alcoolisés est un autre marché dont je parlerai tout à l’heure, mais les vins qui se consomment sont souvent des vins qui sont alcoolisés. Attention, l’alcoolisation n’est pas la cible : ce niveau d’alcool correspond à un niveau de maturité. En ce qui concerne les vins sucrés, on a piégé une œnologue australienne qui travaille pour Bibendum Wine Ltd, dans le secteur entrée de gamme, à qui nous vendons 2 millions de cols par an. On lui a proposé nos vins de façon classique, et puis on lui a proposé un rosé avec une base de Syrah, sachant qu’il doit être plus coloré en Angleterre qu’en France. On y avait mis 12 grammes de sucre. Chaque année quand elle venait déguster, elle ne voulait pas de sucre dans ses rosés puisque c’était réservé aux Australiens et Californiens, et pourtant, c’est le produit qui est sorti en premier. Elle a dit : « oui, finalement vous avez raison, on va mettre du sucre ». Même une œnologue australienne (elle a fait une partie de ses études en France) qui travaille en Angleterre depuis 5 ans, est aussi polluée par cette image ringarde des vins français : on ne met pas de sucre dans les rosés français. Cependant lorsqu’on les vend tels quels, on en vend 2 ou 3 fois moins, et quand on rajoute du sucre sans leur dire, ils acceptent. Il faut qu’on sorte de nos certitudes et qu’on fasse de même avec un certain nombre de gens qui ont des certitudes sur les vins français. J’ai discuté avec Kevin Smith de chez Tesco qui disait que pour les vins français, il faut des étiquettes traditionnelles, etc. Quand on lui présente une série, il choisit la moins traditionnelle. Donc au-delà du discours général sur les vins français, il faut se méfier car l’attitude plus opérationnelle des acheteurs est souvent différente. Je ne dis pas qu’il n’y a pas ces tendances, mais quand je parlais de 4 grammes de sucre sur les AOC - moi je n’en fais pas en tant que producteur - mais il y a des producteurs d’AOC dans la salle, c’est interdit, mais pensez-y parce que sinon on boira des AOC en Angleterre pour le cassoulet et du civet de sanglier. Et ce n’est pas ce qu’ils mangent le plus fréquemment… M. Jean KOUCHNER Ou alors, c’est un domaine d’exportation pour l’Hérault, le sanglier ! M. de Colbert, vous avez un commentaire ? M. Henri de COLBERT Sur le goût des consommateurs, Yellow Tail a très bien marché aux Etats-Unis, j’ai goûté et personnellement j’ai trouvé ça infâme. Mon palais n’y est pas habitué, pour moi ils ont déversé un camion de sucre dans la bouteille ! Mais ça a très bien marché aux Etats-Unis. Donc je suis entièrement d’accord avec vous. Ceci étant dit, les consommateurs vont former des attentes quand ils rentrent dans un magasin. Ils vont voir une bouteille, ils vont former des attentes. Alors quand vous dites : « on piège les consommateurs », évidemment qu’on le fait. J’ai même vu des études à l’Agro faites par François Deville, où on a piégé des œnologues sur les goûts : vins blancs coloriés en rouge où l’on retrouve des odeurs de vins rouges… Evidemment qu’on les piège, parce qu’ils forment des attentes : Chili, France… En France, l’attente qu’on retrouve souvent dans les focus group est « hit or miss », c’est-àdire, ça va être très bon ou très mauvais. C’est la fiabilité du goût. Ils vont former des attentes, on ne voit jamais un consommateur rentrer dans un magasin chez Tesco, en fermant les yeux, 1ER DECEMBRE 2006 43 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE avec un tire-bouchon et à goûter les bouteilles pour choisir celle qu’il aimera. Cela n’arrivera pas. Il va choisir d’abord une étiquette. Après il faut que ça soit bon parce que sinon il n’en achètera plus. Mais dans la distribution, sur le Royaume Uni en tout cas, je crois qu’on peut dire qu’il y a déjà un problème d’éliminé : il n’y a plus de mauvais vin sur les étagères, car les mauvais vins ou ceux qui ont des défauts sont sortis très rapidement. Après on peut s’adapter au goût sucré. 92% de la croissance enregistrée sur les vins rosés en Grande-Bretagne concernent essentiellement 2 marques : Gallo et Blossom Hill. On voit même des marques de rosé, des appellations ou des régions régresser, dans un marché en expansion. Le sucré marche bien évidemment ; alors pourquoi ces deux marques ? Si vous faites un goût très bon mais que l’image de ce que vous faites (c'est-à-dire ce qu’il y a sur l’étiquette) est mauvaise et que les types n’aiment pas la France, ils trouveront que la bouteille est mauvaise. M. Jean KOUCHNER On ne peut pas non plus tirer trop vers l’uniformisation, parce qu’à ce moment-là la vie n’aurait plus de sens. Est-ce qu’on peut à la fois concilier les particularités et les qualités d’un certain nombre de vins qui étaient des vins de terroirs et qui le restent, avec les exigences d’un marché qui est… M. Henri de COLBERT Excusez-moi, mais les vins de terroirs (je ne suis pas sûr de savoir exactement de quoi on parle) qui ont des caractéristiques, qui coûtent assez cher à produire, et sont donc vendus à des prix assez élevés - pour simplifier au-dessus de 5 £ en Angleterre - progressent en vente. Les vins français vendus en dessous de 5 £ et qui représentent 85% du marché régressent. C’est un fait. Le problème des vins français ne se situe pas au niveau des vins de terroir. Evidemment qu’il faut faire des efforts et qu’il faut s’adapter mais ils continuent à se vendre. De la salle Pierre Roch, cabinet Alter Vision. Ça m’intéresse de rouvrir un peu ce débat. Je regrette qu’on ait, cela a été évoqué, très peu parlé de cette partie que nous évoquons maintenant, c’est bien normal, je comprends qu’on ait d’abord parlé des grandes cibles, c’est-à-dire les cibles qui vont intéresser beaucoup de gens et en particulier les marques, mais je me sens un peu frustré parce que pour moi le vin c’est la diversité… M. Prothon en a parlé en disant qu’il y avait des gens qui s’organisaient avec des marques ombrelles et voilà ma question : on a essayé de me rassurer hier dans une grande messe à Mondiaviti à Vinitech à Bordeaux, en me disant « ne vous inquiétez pas, il n’y a pas qu’un seul consommateur, il y en a beaucoup ». Mais finalement, on les classe toujours dans des axes en disant qu’il y en a cinq ou six sur chacun des marchés. Donc le vin n’est-ce pas la diversité ? Qu’en est-il justement ? Parce qu’il ne faut pas aller avec une seule arme à la guerre. Qu’en est-il donc des initiatives faites par des marques ombrelles telles que celles citées pour la Bourgogne ou autres ? Et pourra-t-on garder une diversité à ce vin, même si l’on doit tenir compte de l’évolution des goûts des consommateurs ? 1ER DECEMBRE 2006 44 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Olivier PROTHON Je vous rejoins parfaitement. Je pense que, quand on prend conscience que nous rentrons dans une période de maturité, s’agissant du marché britannique, il faut réfléchir. C’est un peu comme si on prenait le rayon des conserves : tout d’un coup ça ne se vend pas plus. Regardez ce qu’a fait Bonduelle : pendant 20 ans, il a essayé de régénérer l’idée et l’image de la conserve. Je reviens au vin ; je pense que jusqu’à maintenant, la préoccupation du marché britannique était de gagner plus de consommateurs, c’était donc assez simple. Je pense que maintenant, le problème qui va se poser est de faire de la valeur avec plus ou moins les mêmes volumes. Donc, la question française est reposée : l’intérêt pour la France est plutôt bon, c’est à la France de se positionner. Je parle des off trade qui représentent 70% du marché, s’agissant des grandes surfaces, et je pense que l’exemple de la maison de Bourgogne pour la marque ombrelle peut être décliné sans doute sur beaucoup d’autres régions. On arrive à vendre du St Véran que personne ne connaît sous une ombrelle de la maison de Bourgogne, et on s’aperçoit que c’est une bonne option en rapport qualité/prix par rapport à un blanc plutôt haut de gamme. Je pense qu’il faut réfléchir à ces deux exemples au niveau de différents bassins de production. Une des approches des marques serait de proposer une marque globale, autrement dit France. Je sais que des initiatives sont en cours et que la France ne fait que commencer à s’exprimer. Donc je suis quand même assez confiant dans le fait qu’à partir du moment où les opérations ont été faites avec suffisamment de réflexion en amont et avec suffisamment de construction, on devrait y arriver. Je l’espère en tout cas. Ensuite, le 2ème challenge pour la France est de structurer des choses simples, « easy access to diversity », l’accès facile à la diversité. On doit rester dans la diversité, c’est sûr, c’est notre nature et il n’y a aucune raison de la changer. Le marché du vin est un marché qui recherche la diversité, mais il y a tout ce travail à faire pour faire rentrer la grosse corde dans le chas de l’aiguille. Ce n’est pas simple… Mais je n’ai jamais connu de marché facile. M. Michel BATAILLE Pour compléter et nuancer le propos que je tenais tout à l’heure, je voulais ajouter que le problème n’est pas celui de l’uniformité, mais celui de l’homogénéité. On peut être diversifié sur une offre homogène. Or, l’offre française ne l’est pas, elle est complètement éclatée. Ça rejoint également le propos qui était tenu par M. d’Allaines. On se rend en ordre dispersé à la London Wine Fair, ou ailleurs comme à Prowein, et on voit que les Australiens, eux, avancent en tant que Wine of Australia. Ils sont ensemble, à part une ou deux entreprises qui sont multi pays, comme South-Corp à l’époque, avant qu’ils ne soient rachetés, qui proposaient à côté des vins italiens. Le problème est de trouver, non pas une marque ombrelle, mais une dénomination large. Moi, je suis favorable à Vins de France dans les vins de pays, parce que sinon on va passer à la trappe, mais il faut absolument que Sud de France émerge, et j’ai certaines craintes dont j’ai parlé tout à l’heure. Quant à la diversité, et ça a été évoqué tout à l’heure par quelqu’un d’autre de l’ICV, il faut, bien entendu, et cela se fait dans toutes les entreprises, que vos produits star génèrent du cash pour investir dans les produits de demain. Il faut qu’aujourd’hui nos cépages et nos marques, alors qu’on n’est pas bien implanté, génèrent du cash parce que ça ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. J’ai le souvenir d’un grand responsable qui disait il y a 7 ans à une assemblée générale de la CCVF qu’il fallait axer la communication sur les cépages, et malheureusement ou heureusement, on voit que ça continue. Donc les choses n’évoluent pas non plus très vite, mais il faut construire pour demain. Cette construction doit se faire certes dans la diversité, 1ER DECEMBRE 2006 45 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE mais aussi sur des choses communes. Et on peut concurrencer les pays du Nouveau Monde avec du Sauvignon, du Merlot, mais avec une touche française ou languedocienne. Par contre il faut que cette touche soit reconnaissable, or là on est hétérogène car il y a des choses qui sont très adaptées au marché et d’autres qui ne le sont pas du tout. Des Merlot qui sont rentrés à 12°5, qui sentent la pyrazine ou des Cabernet qui sentent la pyrazine, ce n’est pas très vendeur. Deuxièmement, pour revenir sur le White Zinfandel et le Pinot Grigio, avec lequel les Italiens font un tabac, même en Allemagne, notamment grâce au nombre important de pizzerias qui y sont implantées, il manque pour le Languedoc et pour la France un cépage emblématique. Chili, Carmenère ; Australie, Syrah ; Pinotage pour l’Afrique du Sud, Malbec pour l’Argentine, Tannat pour l’Uruguay, Zinfandel pour les Etats-Unis, Sangiovese pour les Italiens, Tempranillo pour les Espagnols, Languedoc Roussillon ?? Quelqu’un avait posé la question à Alain Carbonneau il y a 3 ans ici même, et il avait alors répondu Marselan. Mais où en est-on aujourd’hui ? Je peux vous dire pour répondre à la question sur la diversité qu’on a lancé une marque en Angleterre et en Europe depuis un an, et qu’on l’a voulue hors « big five », c’est-à-dire qu’on ne présente que des cépages ne figurant pas dans les cinq plus grands cépages : en blanc on a eu un Marsan et un Vermentino et en rouge un Marselan et un Malbec, le tout présenté dans un packaging soigné. On a fait d’ailleurs un test consommateurs chez Sainsbury’s, qui d’ailleurs était un peu inquiétant, sur la France mais les résultats sont confidentiels et je ne pourrais en parler que l’année prochaine. Ces cépages-là ne sont pas connus. On est rentré chez Fooler’s (30 pubs en Angleterre), mais grâce à l’appui à la vente. Chez Sainsbury’s, Abigael, l’acheteuse, trouve ça très bon, mais vu que ce n’est pas reconnu… Et quand on dit Malbec, tout le monde pense que c’est un vin argentin. Est-ce que c’est un mal d’ailleurs ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est parce que j’ai un ingénieur agronome argentin ? Je ne sais pas. Mais voilà, on essaie de trouver cette diversité là, on peut aussi la décliner sur les appellations, mais il faut qu’on trouve la « French touch » ou la « Languedocenian touch », et c’est important. M. Jean KOUCHNER Encore une ou deux questions si vous le souhaitez avant que nous passions à l’étape suivante. 1ER DECEMBRE 2006 46 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE De la salle Serge Azais, vigneron. Deux choses : je m’aperçois qu’il y a quand même un marché des vins traditionnels et un marché qu’on peut appeler de vins très technologiques, qui est surtout d’orientation australienne , voire chilienne ou californienne. Je pense que ces deux marchés ont de la valeur ajoutée. Je voudrais demander à propos de ces vins technologiques si dans le futur ils seront capables de générer du revenu à nos viticulteurs ? Je me pose cette question. Vu qu’aujourd’hui on rentre dans une viticulture industrielle, je me demande si c’est vraiment le devenir de la France ? Peut-on aujourd’hui s’autoriser à faire cela en Languedoc ? Et quelles sont les limites du vin ? Où doit-on placer la frontière ? Où est-ce qu’on va dans les pratiques œnologiques ? Faut-il qu’on vende de la limonade bientôt pour assurer nos revenus par ce biais ? M. Jean KOUCHNER Si les viticulteurs veulent non seulement vendre des produits mais en plus générer des revenus, alors où va-t-on ? M. Michel BATAILLE La question de Serge m’était adressée, c’est un vieux débat qu’on a d’ailleurs tous deux. Evidemment, je suis en costume et ça change de l’époque où j’étais en bleu, voire avec une cagoule au Comité d’Action Viticole. Mais le cheminement intellectuel est finalement le même : c’est celui d’assurer le meilleur revenu au producteur du Languedoc-Roussillon. Je ne crois plus aux grandes manifestations de masse, où l’on descendait dans la rue et cassait quelques trucs. On faisait de la distillation et ça fonctionnait comme ça. On sait bien que ça c’est fini ; aussi bien en terme d’image que de moyens financiers de l’Etat ou de l’Union Européenne. Ensuite, il faut se battre. Pour cela il y a deux solutions. C’est la ligne Maginot que j’évoquais au début en disant que, finalement, on fait du vin depuis 25 siècles ici, et ce n’est pas les Australiens qui vont nous l’apprendre. Mais malheureusement on constate tous les jours qu’en Angleterre, pays dont on parle aujourd’hui mais également dans un pays très traditionnel comme la Belgique, on est attaqué de toutes parts par ces vins-là. Donc je le dis de nouveau : c’est une période qui ne durera pas forcément pendant 20 ans. Je sais bien qu’on ne plante pas des salades mais il faut s’adapter en permanence, ce sont les fameuses matrices de Boston : on nous fait payer fort cher quand on fait intervenir des cabinets d’intelligence économique sur ce problème, mais vous savez qu’Ernst and Young notamment, a fait beaucoup d’études en France qui ont coûté fort cher et qu’on n’a d’ailleurs pas utilisées. Donc, par rapport à cela Serge, j’allais dire qu’il y a le côté militant que tu peux avoir et que je peux avoir quand j’enlève la cravate dans telle ou telle association, lorsque nous annonçons que nous sommes contre la mondialisation , ou en tout cas qu’on en veut une qui soit différente, et puis il y a la réalité de « chef d’entreprise », qu’on soit président de coopérative, patron d’un secteur commercial ou vigneron, qui doit constater la réalité du moment, même si on n’est pas d’accord sur le principe. On se bat au niveau des partis 1ER DECEMBRE 2006 47 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE politiques, au niveau social, et, d’un autre côté, on doit assurer du résultat pour ses salariés et pour ses producteurs. Aujourd’hui et pour les 5 ans à venir, la confrontation mondiale se fera sur les marques et sur les cépages, même si on peut sentir quelques frémissements mais qui sont de l’ordre de quelques pourcentages et qu’une fois de plus (Henri de Colbert n’est pas dans cette problématique mais, nous, il faut qu’on vende 400 000 hectolitres), on ne les vendra pas que sur Internet. D’après l’étude qu’a faite Viniflhot sur la compétitivité économique, il est vrai qu’en France on n’est pas si pénalisé par nos coûts, on l’est surtout par des rendements qui sont trop faibles, et, pour les vins de pays, par l’absence d’irrigation. Cette absence d’irrigation sera encore plus cruelle dans les 5 ans à venir par le réchauffement climatique, je vous conseille de voir le film d’Al Gore, Une si dérangeante vérité. Il faut qu’on puisse réagir à cela. Je préfèrerais qu’on s’en sorte tous avec 15 ou 12 hectares et 60 hectolitres à l’hectare, mais aujourd’hui ce n’est pas possible, sauf sur les marchés de niche. Mais pour le reste, c’est-à-dire le cœur du marché et de la production, il faut aller se battre face aux Australiens et aux Chiliens. Pour terminer, simplement, et ça sera l’introduction de cet après-midi consacré à la Chine, une pensée d’un stratège chinois Sun Tzu, qu’on cite souvent en stratégie qui dit : « ne vous attaquez pas à votre adversaire mais à sa stratégie ». Alors stratégie : il y a confrontation frontale, qu’il faut contourner différemment selon les endroits. Mais malheureusement, la mondialisation s’impose à nous, chefs d’entreprises, et à tous les niveaux. 1ER DECEMBRE 2006 48 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE CONCLUSION DE LA MATINEE M. Jean KOUCHNER Merci M. Bataille. Alors, nous sommes arrivés aux termes de cette matinée. D’autres interventions auront lieu cet après-midi sur ces questions, bien que s’appliquant à un autre marché. Nous verrons néanmoins qu’il y a sans doute des démarches communes. Je voudrais demander à M. Cabanel, qui est délégué à la viticulture et Conseiller général du canton de Servian, de tirer quelques enseignements de cette demi-journée. M. Henri CABANEL Conseiller général - Délégué à la viticulture Je ne vais peut-être pas tirer les enseignements de cette demi-journée et laisserai le soin à Hervé Hannin de faire la synthèse à la fin de la journée. Je voudrais simplement remercier les intervenants de ce matin et ceux à venir cet après-midi. Quand je vois l’attention qu’a eue l’assistance aux propos et aux exposés qui ont été faits, je les remercie et notamment des interrogations qu’ils ont pu amener. Cela permet un début de réflexion pour pouvoir énoncer des idées et des nouvelles stratégies qui pourront nous sortir du tunnel. Je voudrais essayer en quelques mots de vous parler du travail réalisé au sein de l’Observatoire viticole, et en particulier cette année, sur deux axes essentiels : au niveau du groupe foncier, et au niveau de la veille concurrentielle. • Au niveau du groupe foncier, vous savez que nous avons signé un protocole d’accord qui va rentrer concrètement en vigueur d’ici peu de temps au niveau des entreprises, et qui a été signé sur deux axes concernant l’arrachage. Je voudrais tout de suite dire que ce n’est pas parce qu’on a mis ces actions en place que le Conseil général est pour l’arrachage. Je veux d’emblée vous dire que le Conseil général veut garder une viticulture forte sur son département, mais malheureusement la situation économique fait que l’arrachage va effectivement avoir lieu ; il y en a déjà eu l’année dernière et on annonce autant d’hectares arrachés cette année. Avec la profession et au travers de la commission foncière, nous avons décidé que plutôt que de subir cet arrachage nous préférerions l’organiser sur deux axes : - d’abord sur les arrachages constatés, et il s’agit là d’une compétence du Conseil général : nous avons déterminé 10 zones dans le département sur lesquelles nous allons commencer à travailler sur une restructuration parcellaire, mais ce avec une volonté locale pour arriver concrètement à réussir ces projets là, - ensuite, nous souhaitons essayer d’anticiper en amont cet arrachage et éviter ainsi la fragilité des entreprises économiques sur le territoire. Nous avons donc décidé d’aider une dizaine d’entreprises. L’appel à projet a été lancé et d’ici la fin de l’année nous connaîtrons les entreprises qui ont été retenues. Nous travaillerons avec elles à travers des échanges bilatéraux et une animation qui leur permettra de faire une étude sur leur territoire. • Ensuite, le deuxième axe, et qui sera certainement l’un des axes principaux du travail qui sera effectué l’année prochaine à travers l’Observatoire viticole, c’est la veille concurrentielle. J’aimerais vous lire un peu tout le travail qui a été fait cette année grâce à une étude menée 1ER DECEMBRE 2006 49 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE par le cabinet Spotter. Il est ressorti de la réflexion du groupe de travail qu’on devrait répondre à 4 besoins fondamentaux : - disposer d’une vision globale du marché, de la concurrence et identifier les bonnes pratiques ; - obtenir les informations sur la stratégie des concurrents et son application opérationnelle dans les ventes et les stratégies marketing ; - identifier les forces et les faiblesses de l’image des vins français afin d’adapter une stratégie de communication si nécessaire ; - et enfin connaître en détails le consommateur français et étranger afin d’anticiper les changements et d’adapter les produits par rapport aux offres, ce qui a été largement exposé ce matin. La réponse à ces besoins doit se traduire par la mise en place d’outils ciblés permettant d’obtenir des informations plus ou moins détaillées sur : - les aspects économiques et la stratégie des pays et entreprises concurrents ainsi que les clients actuels et potentiels des vins de la région, - la politique tarifaire et les stratégies marketing des concurrents tant sur le plan national défini par le gouvernement qu’à l’export : promotion, commune, etc., et par les entreprises concurrentes, - l’image des vins français, des vins de la région, en comparaison avec les vins concurrents en France et à l’étranger, - et enfin, le consommateur notamment au niveau des comportements et cela a été largement exposé sur les consommateurs du Royaume Uni, des tendances et des modes mais aussi sur des informations plus larges dépassant le secteur viticole, par exemple le niveau de consommation d’autres produits tels que les boissons gazeuses, etc. Pour répondre à ces différents besoins et enjeux, nous préconisons donc une approche combinant la mise en place d’un réseau de veille régional, associant tous les acteurs du secteur viticole qui souhaitent participer à cette démarche afin d’accroître les échanges et le partage des connaissances. On s’est rendu compte que certains organismes détenaient des informations mais avaient tendance à les garder pour eux alors que nous souhaitons effectivement qu’ils puissent les partager avec nous. Nous avons donc besoin d’une cellule de veille professionnelle capable de récolter, traiter et analyser des informations qui seront obtenues par les outils de veille mis en place, et de mettre en place son réseau propre. Nous avons également besoin d’outils de veille allant de fiches de pays à une lettre mensuelle mise à la disposition des membres du réseau dans un espace réservé au niveau de notre site de l’Observatoire. Le projet de réflexion sur la mise en place d’outils de veille concurrentielle a fait émerger le fait qu’il faut élargir le concept à la veille sectorielle également, afin que le système mis en place prenne en compte l’ensemble des besoins en informations des acteurs viticoles du département et du Conseil général de l’Hérault. C’est dans cette perspective que nous avons présenté un système composé de 4 axes regroupant les outils de veille que nous proposerons d’activer, et les outils ou actions déjà engagés et mis en place par l’Observatoire viticole. Une cohérence de l’ensemble du dispositif a été recherchée. Le cahier des charges de la veille concurrentielle est un outil d’orientation stratégique pour l’Observatoire viticole. Les facteurs de réussite majeurs du projet sont : - l’implication effective des partenaires car ce sont eux qui vont, en partie, contribuer au développement des outils, notamment grâce à la mise en place d’un réseau, mais aussi 1ER DECEMBRE 2006 50 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE - - - ROYAUME-UNI & CHINE les utiliser et les appliquer dans leur réflexion stratégique. Ceci a toujours été le but de l’Observatoire ; des moyens humains supplémentaires par la mise en place d’un partenariat avec les institutions professionnelles, des Universités et des centres de recherches qui détiennent, comme je vous le disais tout à l’heure, des informations qu’ils ne partagent pas toujours ; le Comité du Bassin du Languedoc-Roussillon qui a pour mission de mettre en place un observatoire économique, et nous pouvons recommander que la veille concurrentielle et sectorielle - mise en place par le Conseil général de l’Hérault puisse s’intégrer dans ce cadre ; l’approche du projet par étapes, en validant progressivement les différents outils mis en place et en procédant à un contrôle qualité systématique des outils, ainsi qu’à une évaluation régulière de leur pertinence et utilité opérationnelle pour les acteurs du secteur viticole du département. Donc, vous voyez que c’est quelque chose d’assez compliqué… Tout cela n’a pas encore été mis en place, mais notre volonté est d’y aboutir, donc nous nous y appliquerons cette année ; et c’est l’Observatoire viticole qui arrivera à coordonner toutes ces actions. Pour répondre maintenant, avant de conclure, à la question qui a été soulevée tout à l’heure par un producteur concernant les aides du Département, sachez qu’effectivement nous aidons le secteur à faire en sorte que certains producteurs aillent sur des marchés à l’étranger, mais qu’au niveau des élus que nous sommes, nous devons avoir en face une profession organisée, tel que ceci a été souligné par certains intervenants, car il y a beaucoup de divergences : malheureusement on s’aperçoit donc que la profession n’est pas organisée comme on le souhaiterait. Quand on regarde sur le département de l’Hérault où il y a à peu près 1000 caves de vignerons indépendants et 90 caves coopératives, il nous serait difficile de les aider individuellement. C’est pour cela que nous avons préféré, à travers notre règlement, aider les syndicats de crus ou les syndicats de vins de pays à s’organiser afin qu’ils puissent arriver à faire effectivement des salons à l’étranger. Nous rentrons dans ce cadre-là et je vous conseille de vous renseigner afin de voir s’il y a un syndicat, sur votre territoire et sur votre secteur, qui serait capable de réaliser une opération telle que celle que vous préconisez. C’est tout à fait faisable dans notre règlement. En conclusion, je voudrais insister sur le fait que, malgré la crise importante que subit notre région, à travers le travail qui a été effectué au niveau de l’Observatoire, nous avons montré que nous sommes capables, avec les différentes organisations professionnelles et tous les professionnels, de mettre en place des actions cohérentes et concrètes pour notre viticulture : je viens de citer 2 axes majeurs. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont participé aux différentes réunions de groupes de travail, pour leur fidélité et leur assiduité en 2006, et je les encourage fortement à être aussi assidus et fidèles pour l’année 2007. Notre défi principal en 2007 va être la mise en place de cette veille concurrentielle. Enfin, je tiens à remercier mes collègues et le premier d’entre eux, le Président Vezinhet, qui prendra la parole immédiatement après, pour l’importance qu’il donne à la viticulture de ce département, et pour l’écoute qu’il a par rapport à la profession et aux professionnels, notamment en ce qui concerne l’évolution de cette crise. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui ont organisé cette journée de colloque, cette année tout comme les deux années précédentes d’ailleurs, qui sont des gens fidèles au poste : je veux nommer M. François Boudou de l’Institut Coopératif du Vin, Hervé Hannin et Alain Carbonneau bien sûr, ainsi que toute l’équipe avec laquelle je travaille tout au long de l’année, c'est-à-dire l’équipe 1ER DECEMBRE 2006 51 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE de Jean-Paul Storaï : je vais essayer de les nommer seulement par leurs prénoms en espérant n’en oublier aucun : Marie-Claire, Isabelle, Charlaine, Christophe, Sébastien, Bruno, Thierry, Mohamed, sans oublier Cécile du cabinet et bien sûr, l’animateur de l’Observatoire, Grégory Autin qui nous est très précieux dans l’animation de cet outil. Enfin, je vous remercie, vous, de votre participation et vous donne peut-être rendez-vous l’année prochaine. Merci. 1ER DECEMBRE 2006 52 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE PRESENTATION DES VINS LES PLUS VENDUS AU ROYAUME-UNI ET EN CHINE M. Jean KOUCHNER Merci M. Cabanel. M. le Président est arrivé, il vous a écouté attentivement, j’imagine que ça lui inspire un certain nombre de choses. Nous allons à présent procéder, j’allais dire au meilleur moment bien que le meilleur soit le moment intellectuel, à la dégustation. Il n’y a pas de moment intellectuel savoureux sans dégustation. M. le Président, je vous laisse la parole. M. André VEZINHET Président du Conseil général de l'Hérault Merci de m’accueillir à l’issue d’un débat qui est arrivé jusqu’à moi dans les étages, même si je n’ai pas pu y participer. Je me trouvais 2 étages au-dessus où je recevais de nombreux maires du département de l’Hérault. Nous avons évoqué le problème de la viticulture puisque c’est un problème qui est un dénominateur commun des nombreuses préoccupations dans cette région et dans ce département. Ce que j’ai perçu comme écho de vos débats de ce matin, c’est que la parole avait été libre et que par moments elle avait été dure et cruelle à entendre. Pourtant elle était la traduction d’une réalité qui est celle de la filière vin française aujourd'hui. Présentation des 5 vins étrangers. ROYAUME UNI : LINDEMANS BIN 65 - CHARDONNAY Il s’agit d’un vin du sud-est de l’Australie, qui est très prisé par les consommateurs anglais, et qui est d’ailleurs en tête des ventes au Royaume-Uni. C’est un Chardonnay 2005 vendu 12 $ australien. Il développe en nez des arômes de fruits tropicaux et de délicates notes d’agrumes et de figue, il est légèrement marqué par une note épicée, douce et ample due à l’élevage en barrique. Ces caractéristiques gustatives sont habituellement celles du Chardonnay, à savoir des fruits à noyaux à chair blanche, d’agrumes et de miel. Voilà ce qu’est le Lindemans et pourquoi il a le succès que je viens d’indiquer. YELLOW TAIL - MERLOT Vient après le Yellow Tail. Il s’agit également d’un vin du sud-est de l’Australie vendu 9,95 $ US. C’est un Merlot 2005. Son nez, dit-on, est garni avec des arômes de prune mûre et de groseille ainsi que des touches de chêne épicé et vanillé. Il est souple en bouche avec une domination de notes fruitées, de saveur de cake aux fruits et de prune mûre. Son final est fluide avec des notes de caramel. Voila qui nous incite à le consommer dans un moment. 1ER DECEMBRE 2006 53 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE CASILLERO DEL DIABLO – CABERNET-SAUVIGNON Le troisième des plus vendus au Royaume-Uni est un vin chilien, le Casillero Del Diablo. Il est vendu 7 $US. Il s’intègre dans l’appellation Central Valley avec 100% de CabernetSauvignon. Il a, au dire des dégustateurs, un nez réduit ; il développe des arômes de cassis, groseille, cerise noire, prune noire avec des notes de vanille, moka et de café torréfié. CHINE Viennent ensuite deux vins chinois, qui sont les plus vendus en Chine. DRAGON SEAL – CABERNET-SAUVIGNON Le Dragon Seal fait partie de l’appellation Huailai (Est de la Chine), ses cépages sont à 70% de Cabernet-Sauvignon et à 30% de Merlot. On y retrouve des senteurs de fruits rouges et de cerise légèrement boisée. GREAT WALL CABERNET-SAUVIGNON Le dernier de ces cinq vins est le Great Wall qui provient de la province de Hebei. C’est un Cabernet-Sauvignon. Il est qualifié de vin léger, axé sur les fruits rouges. Je suppose que tout cela vous a donné envie de déguster, je vous laisse donc au plaisir de la dégustation. 1ER DECEMBRE 2006 54 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE PRESENTATION DE LA VITICULTURE CHINOISE M. Alain CARBONNEAU Mesdames et Messieurs, bonjour. Nous allons partir pour un long voyage sur ce continent chinois, ce monde à part qu’est la Chine. Attachez bien vos ceintures, ça va parfois un peu décoiffer. J’espère que vous découvrirez de nouvelles choses. En guise d’introduction, et avant de vous donner quelques clichés, je pense que le vin n’est pas très loin de la philosophie, notamment de la philosophie chinoise. Voilà une méditation taoïste que je livre à votre sagacité : « lorsque vous buvez de l’eau, souvenez-vous de sa source, lorsque vous buvez du vin, souvenez-vous des conditions, des cépages, des terroirs qui ont conduit à son élaboration ». Je crois qu’au-delà des aspects d’organisation, il y a une façon de voir le monde, qui est soit la consommation immédiate - le zapping - soit un certain respect de la nature, et une envie de savoir ce qui se passe lorsque l’on consomme un produit. A ce niveau-là, les Chinois ont certainement beaucoup à nous apprendre. Le nom Chine a été donné par un empereur nommé Quin (se prononce « Chin » en chinois) qui a vécu près de 300 ans avant notre ère et qui a unifié la Chine. Je crois que l’esprit de cet empereur y est resté jusqu’à nos jours. Il y a des états, des populations, des religions, des races, des cultures extrêmement différents en Chine, et il y a une main de fer depuis cette époque, qui assure une cohérence. Sinon il y a bien longtemps que la Chine aurait explosé, et je pense qu’elle n’est pas près de le faire. Cet aspect impérial est encore d’actualité, même si la connotation est différente, je voulais le rappeler. Les questions que nous nous posons, nous qui sommes extérieurs à ce monde qu’est la Chine, sont par exemple : est-ce que la Chine représente l’enjeu d’un marché export colossal ou bien est-ce qu’il n’y a pas un risque d’être concurrencés, d’une manière extrêmement agressive, par les dragons chinois ? C’est tout l’enjeu du débat et pour ma part, je n’ai pas de réponse. Quelques clichés - La Chine est un pays très traditionnel, même les péages d’autoroute sont de style chinois. L’architecture traditionnelle chinoise est présente partout dans le paysage chinois. - Concernant la main-d’œuvre, la vendange est faite à la main ; j’ai rarement vu des vendangeurs ou des vendangeuses habillés de cette façon (n.d.l.r.en costume traditionnel). En tout cas, il y a une importance considérable de la main-d’œuvre ; on est pris en Chine par une masse de femmes et d’hommes, et ils affichent toujours ce besoin de se ressourcer par rapport à la tradition, qui est maintes fois affichée. Ce qui explique peut-être ce besoin de maintenir le contact avec la tradition, c’est l’explosion, notamment dans les grandes villes, de la croissance architecturale et de l’activité économique et sociale. - Notre école est en collaboration officielle avec l’Université du Ningxia à Yinchuan et nous sommes un peu jaloux des moyens dont ils disposent, je le dis au passage, qui sont 1ER DECEMBRE 2006 55 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE absolument considérables. Le gouvernement du Ningxia a donné sa priorité d’investissement à la recherche et l’enseignement supérieur. - Les chinois sont de parfaits imitateurs, et ce très souvent. Je crois reconnaître quelque chose comme Margaux, mais c’est en Chine. (n.d.l.r. photo d’un chai) Bassins de production Cette introduction étant rapidement brossée, voilà la présentation des bassins de production en Chine : - Le Jilin, situé au nord-est de la Chine, est une région très froide et assez peu productrice, - en dessous nous trouvons le Hebei, ou le district de Shasheng, - ensuite vient la région autour de Beijing, qui s’appelle le Bohai et qui rassemble la zone côtière du Tianjin et la presqu’île, dont beaucoup de gens parlent, du Shandong avec la ville de Yantai, - trois états situés en dessous font également de la viticulture, et même du vin, et correspondent à ce qu’on appelle l’ancien lit du Fleuve Jaune, avec le Jiangsu, le Anhui et le Henan. Je passerai très vite là-dessus car je ne pense pas que la viticulture y soit très intéressante, - dans le centre ouest on trouve la province de Shaanxi, la région de Xi’An qui est bien connue des archéologues ; on est à côté du Fleuve Jaune, qui fait une grande boucle d’ailleurs jusqu’au Ningxia dont je vais reparler, - enfin, dans le nord-ouest se trouvent trois états majeurs, ici le Gansu, relativement froid et désertique, le Ningxia dont je reparlerai et tout au fait au nord-ouest, le Xinjiang. Les 3 grands bassins sur lesquels j’insisterai sont le ShanDong, qui est le bassin historique, le Hebei, qui a tout de même plus de poids que le ShanDong, même si certains affirment le contraire (mais je me fie plutôt à mon collègue chinois qu’aux statistiques que l’on trouve en surfant sur le net) et le XinJiang. Statistiques nationales Cela a été pour moi, et le jeu de mot est facile, un casse-tête chinois que de recueillir des statistiques. Je ne suis ni spécialiste de statistiques, ni d’économie. Je les vois donc à travers mon œil de technicien, et ce sera donc simplement la façon avec laquelle je présenterai les choses. D’après la référence mondiale en terme de statistiques, à savoir l’OIV, en reprenant la comparaison France/USA/Chine de 2003, on constate que, quelque soit la nature des produits, en ce qui concerne les surfaces viticoles, il y a un peu plus de 400 000 hectares de vignoble en Chine, soit à peu près la moitié de la surface viticole de France ou l’équivalent de celle des Etats-Unis. En ce qui concerne les productions, en milliers d’hectolitres, la France est le premier producteur mondial, les Etats-Unis ont un niveau qui représente la moitié de celui de la France, et la Chine, un niveau qui représente la moitié de celui des Etats-Unis. En ce qui concerne les raisins frais, la Chine est un très gros producteur. En ce qui concerne la consommation de vins des trois pays, je crois qu’il est difficile en Chine de distinguer la part des importations et celle des vins chinois eux-mêmes, et la consommation 1ER DECEMBRE 2006 56 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE par habitant. Elle est bien sûr très faible en Chine, parce qu’on la divise par 1,2 milliard d’habitants. Le gros problème qui se pose au technicien c’est que, lorsqu’on essaye, et je sais bien que c’est fictif, d’estimer un rendement à l’hectare, en divisant les productions de vin plus le raisin frais, et même le raisin sec, par les surfaces viticoles totales, on arrive à peu près au résultat de 4 tonnes par hectare, voire moins. Cela ne correspond pas à la réalité de ce qu’on voit dans les vignobles où le rendement est sans doute le double ou le triple. Même en tenant compte du fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes vignes, le technicien demande aux économistes s’il n’y aurait pas une enquête plus soignée à mener, parce que, entre le fait de dire que la Chine a enfin rejoint en surface les Etats-Unis et le fait de dire qu’on en est en fait encore très loin, comme mon collègue chinois me l’a indiqué puisque lui recense à peine 42 000 hectares, et bien vous voyez qu’on a de la Chine d’aujourd’hui une vision extrêmement différente. Qui a raison ? Je n’en sais rien. Statistiques régionales Quelques statistiques régionales : nous avons deux sources d’informations. On peut trouver sur Internet des « nouvelles de Chine » en consultation. Comme je doutais des données, j’ai écrit à mon collègue Zhang qui m’a donné d’autres chiffres : des milliers d’hectares de surface viticoles pour le vin exclusivement, et les milliers d’hectolitres de vin produits en Chine. On arrive donc aux chiffres que j’ai indiqués tout à l’heure dans le tableau comparatif Chine/Etats-Unis/France. En ce qui concerne le poids des régions, j’ai plutôt tendance à faire confiance à mon collègue Zhang. On a un équilibre. Restons sur les surfaces viticoles par exemple, entre le nord-ouest (avec le XinJiang, le Ningxia et le Gansu en particulier) et le ShanDong, qui est certainement moins important je pense, et le Hebei qui est une très vieille région dont on reparlera également. Ce sont les trois noms qu’il faut ici retenir. Les caractéristiques climatiques de la Chine Beaucoup de régions chinoises sont assez humides, et très vite, quand on va vers l’ouest, on arrive à des zones très désertiques. Il faut noter que la pluviométrie est fortement marquée par la mousson, qui est le grand phénomène climatique du continent asiatique. Il faut retenir que la viticulture se concentre dans les zones à mousson – pluie d’été – où elle est tout de même relativement atténuée, ou alors dans les zones désertiques où là, bien sûr, il n’y a pas de pluie. Les températures Dans la Chine du nord, il fait froid, les températures y sont équivalentes à celles d’Europe Centrale ou de Russie. Donc en Chine du Nord, il fait très froid l’hiver. Dans le Ningxia, avoir -30°C en janvier est chose courante, ce qui va entraîner bien sûr des conséquences sur la culture de la vigne. En juillet, il fait relativement chaud ; on peut dire que la Chine correspond, en gros, au niveau du climat, à l’Europe du Sud ou à l’Afrique du Nord. Je précise cependant que cette chaleur est accompagnée d’humidité dans la plupart des cas ; ou alors il faut être dans la zone désertique où il fait très chaud, mais très sec. Il n’y a donc aucun climat tempéré en Chine. Il y a deux grands représentants des climats tempérés dans le monde : le climat de type méditerranéen, et des climats de type façade océanique français ; en Chine, on est soit dans des zones steppiques, sub-désertiques, soit dans des régions qui correspondent au climat de Tokyo au Japon : été humide et chaud. Il n’y a 1ER DECEMBRE 2006 57 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE aucune trace de climat de type méditerranéen ni de climat de type océanique Atlantique Nord de l’Europe. Il y a bien sûr, et je vais y revenir, dans le sud de la Chine, une zone tropicale sans hiver. Quelques caractéristiques majeures de la viticulture générale Il faut souligner qu’en Chine la viticulture est une tradition universitaire. J’en profite pour rendre hommage à l’éminent professeur He Puchao de l’Université de Yang Hé qui est un monument de science et qui m’a appris beaucoup sur la viticulture chinoise. La Chine est un pays qui a ses propres vignes ; il ne faut pas voir la Chine uniquement comme un importateur de Merlot et de Cabernet-Sauvignon ou de Chardonnay. Initialement, la vigne couvre la Chine. Ce sont des vignes sauvages ; il y a plus de diversité de vignes sauvages sur le continent asiatique que sur le continent américain à part peut-être la zone des Caraïbes. Par exemple, la Vitis Amurensis pousse près du fleuve Amour dans les zones très froides du nord de la Chine. Ce sont des vignes qui peuvent produire du raisin et qui résistent au froid ; certains en font même du vin. Les hybrides français sont assez pâles en terme de typicité par rapport à ces vins de vigne sauvage chinoise, qui eux sont assez agressifs. Maintenant, si vous êtes pris dans le contexte chinois, avec certains plats chinois, il y a un phénomène d’accoutumance assez curieux à analyser sur le plan sociologique. Donc il faut rappeler que la vigne est présente depuis fort longtemps sur le continent chinois. Je vous donnerai deux exemples assez brillants tout à l’heure dans le Hebei de Vitis Vinifera. Ces vignes ont été importées du Proche-Orient il y a au moins 2000 ans grâce à la route des caravanes. La Chine a donc ses cépages vinifera. Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a. Les autres sont des cépages d’importation. Au niveau des importations justement, les cépages que les Chinois ont importés le plus récemment sont les deux grands rouges qui dominent le monde : le Merlot et le CabernetSauvignon. Il faut bien sûr rajouter le Chardonnay au passage, les grands cépages internationaux étant cultivés en Chine aujourd’hui. Mais ces cépages se trouvaient déjà en Chine depuis fort longtemps, notamment les cépages bordelais. La raison à cela est celle-ci : il y a fort longtemps, des vignerons du Médoc sont allés s’installer en Italie du Nord dans le Veneto Friuli pour certains. D’autres sont partis s’installer au Chili, d’autres en Chine et d’autres encore dans d’autres endroits du monde. Ils ont emmené avec eux les fagots de leurs cépages du Médoc : le Merlot, le Cabernet-Sauvignon, le Cabernet Franc, et puis celui qu’on oublie toujours, la Carmenère. La Carmenère a été redécouverte récemment, dans le Veneto Friuli en premier lieu, où 1/3 des Cabernet franc, c'est-à-dire plusieurs milliers d’hectares, sont en fait de la Carmenère. L’histoire montre que cette Carmenère a été amenée dans la foulée des fagots de sarments des cépages médocains, par un vigneron médocain qui voulait changer d’air. La même histoire se répète au Chili, où ce sont des Bordelais qui ont créé les grands vignobles chiliens. Ce sont eux qui ont également créé les grands crus de la Rioja. Néanmoins, les Chiliens étant un peu moins bons en ampélographie, ils ont confondu le Merlot avec la Carmenère. Si j’en reviens à la Chine, les Chinois, eux, sont tout de même de fins ampélographes. Ils ont toujours distingué deux formes de Cabernet franc : le Cabernet franc et ce que l’on a appelé le Cabernet-Gernischt, et qui a été appelé par les Chinois le Guernishi. Je vous livre l’histoire que mon ami Puchao m’a racontée, car elle peut être intéressante dans un contexte de mondialisation : il y a 150 ans, un Bordelais est arrivé avec ses fagots. Trois étiquettes sur quatre ont pu être déchiffrées sans problème, mais sur la quatrième on ne pouvait distinguer que « CA » car le reste avait été effacé par l’humidité. On a alors pensé qu’il s’agissait d’un Cabernet car ça y ressemblait, et on l’a donc appelé le Cabernet Guernishi. En y regardant de 1ER DECEMBRE 2006 58 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE plus près et en buvant le vin, on s’est rendu compte ce n’était pas du Cabernet Franc, encore moins du Merlot, et surtout pas du Cabernet-Sauvignon. Il s’agissait en fait de la Carmenère, qui a certaines caractéristiques ampélographiques que l’on peut repérer. Le système de production de plants est totalement inexistant en Chine. Il y a donc des maladies sanitaires qui se développent. Je vais vous raconter une anecdote qui peut traduire la mentalité chinoise. Me trouvant face à un vignoble, je dis : « c’est de l’enroulement ». Un tollé s’est fait entendre : un grand professeur chinois aurait dit que c’était une maladie des racines. Ayant pris la tonalité chinoise, je ne me suis surtout pas opposé et j’ai dit : « creusez un trou et montrez-moi le système racinaire ». Les racines étaient en parfait état. Donc j’ai dit : « Ecoutez moi aussi, je suis professeur et je vous dit que ça ne vient pas des racines ». Il y a donc tout un travail à faire de sélection sanitaire dans beaucoup de vignobles chinois. Un mot sur la conduite Le système traditionnel est le système Dragon bien que toutes les vignes chinoises ne soient pas comme ça. Il porte bien son nom, le système Dragon : il s’agit d’un immense tronc avec des bras, qui sont d’immenses cordons avec les bois de taille au-dessus. Il faut quand même savoir que ce système a un double usage : les grappes sont assez loin du sol. A cause des problèmes de mousson et de pourriture, chaleur et humidité ne pardonnent pas. Ses cordons sont très longs. Ce n’est pas pour le plaisir de faire des dragons qui courent le long des chemins, c’est parce qu’on les couche au sol. Même 100 ans après, on les décroche – il faut être chinois pour le faire - on les met au sol et puis on butte à la terre pour supporter les -25°, -30°C l’hiver, qui peut commencer fin octobre – début novembre. C’est très traditionnel, on le voit dans beaucoup de régions en Chine. Ce système a bien évidemment été amélioré dans sa commodité : on trouve à présent par exemple des petits cordons très souples, sur des petits espaliers. Dans le Shandong, sur des sols sableux, on décroche les cordons, on les met au sol, et puis on butte au sable, et ainsi le vinifera peut supporter -30°C l’hiver. Ce qu’on l’on voit très couramment, c’est le standard de la viticulture chinoise, qui est un peu le standard soviétique, bâti autour du tracteur, modèle unique, à l’époque du moins : rang large, environ trois mètres, piquet béton, petit espalier à peu près bien conduit, sol fertile, sablon limoneux, souvent profond, et si on ne dépasse pas 4 tonnes/hectares dans ces sols-là, je rends mon tablier de viticulteur… Les régions On va les balayer à partir du nord-est. • Le Jiling : il n’est pas loin de la Mongolie et de la Sibérie. C’est une région très froide audessus de laquelle on saute habituellement à pieds joints. Il se trouve que j’ai eu la chance avec mes collègues de l’Université de Beijing de goûter à un vin que j’ose classer dans les meilleurs vins liquoreux que j’ai goûtés dans ma vie, avec un hybride français, le Vidal blanc, récolte tardive. Le résultat était assez remarquable. • Le Hebei est une très vieille région qui se situe juste à l’ouest de la Grande Muraille, pas trop loin de Beijing. C’est une région très ensoleillée et sèche. La mousson arrive quand même un petit peu en fin d’été. Le froid et la mousson y sont atténués. Les sols sont sablograveleux sur de jolis coteaux ou en terrasse, ou alluviaux. Deux cépages locaux : le Long Yan ou œil de dragon, et le Nui Naï ou raisin de lait ; ce sont les vinifera chinois que je vous montrerai lorsque je vous parlerai des paysages à la fin. Autres cépages : Cabernet-Sauvignon, Merlot. On sent également augmenter la diversité : Syrah, Zinfandel, Gamay, Pinot, Chardonnay. La conduite type « Dragon » est très traditionnelle dans cette région. L’espalier se développe sur raisin de table. On voit de plus en plus des vignobles en lyre. Même si ce 1ER DECEMBRE 2006 59 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE n’est pas exactement dans le Hebei, je signale simplement le vignoble franco-chinois de Taishi teste des cépages, et c’est extrêmement intéressant pour la Chine, et pour la France également, d’arriver à introduire des clones français et réaliser un bénéfice sur des exportations de matériel végétal. Les sociétés Great Wall et Dragon Seal sont implantées dans cette région. • Le Bohaï inclut essentiellement le ShanDong, avec Yantaï dont beaucoup de gens parlent, et Qingdao, qui est jumelée avec Bordeaux, et la zone côtière du Tianjin. Il s’agit d’une région ensoleillée, assez peu humide, mais plus que le Hebei. Le Hebei est mieux placé que le ShanDong sur le plan du climat. Le Bohaï est composé de sols sableux (on verra un bel exemple d’arènes granitiques dans les collines du ShanDong) et de beaucoup de sols alluviaux en plaine, plutôt alcalins, dans de nombreuses zones du Tianjin. Les cépages : le Chardonnay et là je crois qu’il est bien à sa place, notamment dans les arènes granitiques du ShanDong, le Riesling, mais il s’agit plutôt de Riesling italien, à ne pas confondre car cela n’a rien à voir avec le Riesling rhénan que l’on trouve également, le Cabernet-Sauvignon et le Muscat. La viticulture y est caractérisée par une conduite en espaliers avec des multi cordons enterrables. Les sociétés présentes sont Huadong, qui est la grande référence dans le ShanDong mais aussi Changyu, Wellong, Qingdao, et dans la plaine, Huaxia et Dynasty. • Ancien lit du Fleuve Jaune sur lequel je passerai très vite car c’est une région où la mousson est trop forte, on est beaucoup plus au sud. Il y a des problèmes sanitaires considérables dans cette région, qui ne va pas, à mon avis, se développer sur le plan viticole. • Le centre ouest, Shanxi et Shaanxi. Là aussi le froid et la mousson sont atténués mais on est très loin du potentiel du Hebei je pense. Cette région est caractérisée par des sols alluviaux, sableux, parfois assez fertiles, des espaliers et des cépages classiques : beaucoup de Riesling italien. J’ai même vu une fois un vignoble en gobelet, pratiquement à l’abandon, avec du Carignan. • Le nord-ouest : c’est peut-être le Far West de la Chine viticole. Ningxia et Gansu sont des régions froides à très froides l’hiver, tempérées l’été (le Ningxia est à mille mètres d’altitude), assez sèches car il n’y pratiquement pas de mousson, désertiques à l’ouest, notamment dans le Xinjiang qui est tout à fait à la pointe nord-ouest. Je souligne que la maturation du raisin, notamment dans le Ningxia, se développe dans des conditions tout à fait idéales sur le plan climatique : nuits fraîches, journées ensoleillées, chaudes sans excès, etc. Sols sableux, alluviaux, dès qu’on est près du Fleuve Jaune, mais on recherche de plus en plus des terroirs à côté du mont Helan dont je parlerai à la fin. Il y a de très belles graves sableuses dans ce coinlà. On recherche de la viticulture en coteaux, on fuit la plaine trop productive : voilà une tendance actuelle. Les cépages : Merlot, Cabernet Franc, Cabernet Guernishi (Carmenère), Cabernet-Sauvignon, Chardonnay, Gewurztraminer, Sauvignon, et je signale que, dans le Xinjiang, il y a beaucoup de raisins de table et de raisins secs avec la Sultanine, qui nous vient du Proche-Orient par la route des caravanes. La conduite en espaliers y est largement dominante. On trouve un début de conduite en lyre sur raisins de cuve, notamment dans le Gansu où il se fait de très beaux vins, par exemple Merlot, Cabernet ; je crois d’ailleurs que le meilleur vin rouge issu de ces cépages que j’ai goûté vient du Gansu. Dans le Ningxia, il y a de très grands vins autour du Cabernet Franc ou de la Carmenère, et une vendange tardive de Gewurztraminer tout à fait remarquable dans le Gansu. Les sociétés qui y sont présentes sont la grande société Lou Lan dans le Xinjiang et Guangxia Helan mountain, par exemple. • Régions tropicales : la viticulture tropicale, ça existe ! Il y a une bonne récolte par an tout à fait dans le sud, dans le Yunnan, à la frontière avec le Vietnam, autour de la région de Milé. Merlot, Cabernet-Sauvignon, Grenache noir sont des cépages assez bien adaptés, notamment le Merlot. La conduite est en espaliers, et je tiens à citer la cave de Kunming qui commence à produire. 1ER DECEMBRE 2006 60 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE La viticulture du Hebei. Le système Dragon y est souvent utilisé pour sur le cépage Œil de dragon. Le Nui Naï, un très beau raisin de table, y est produit à 50 tonnes/hectares, et c’est un raisin d’excellente qualité. Les chinois connaissent la vigne, savent la tailler, la faire produire et faire de la qualité. L’Oeil de dragon est un raisin de table et aussi un raisin de cuve qui fait des vins blancs très originaux. Great Wall, notamment, en produit de très intéressants. La viticulture du ShanDong Le plus beau vignoble que j’ai personnellement vu dans le ShanDong est composé d’arènes granitiques, avec du Chardonnay. La viticulture tropicale Au dessus de la plaine de Milé, l’on trouve des rizières en bas et de jeunes Merlot sur les très beaux coteaux argilo-calcaires juste au-dessus. Dans l’état voisin, on a des vignes sauvages chinoises, Vitis Pentagona, en pergola. Pierre Torres, qui rentre de cette région, m’a dit que le vin était vraiment mauvais, mais que devant la magnificence des paysages de la région, il l’avait tout de même trouvé bon. La viticulture du Ningxia Les modes de conduite sont en espaliers près du Fleuve Jaune ; en lyres, parfois pas très bien tenues, sur des parcelles extrêmement productives. On y recherche la viticulture en coteaux. Les vignes sont encore jeunes, car on se trouve au début d’une viticulture de terroir, dès lors qu’on se rapproche du mont Helan. Derrière se trouve la Mongolie. Guangxia est la principale cave ici. Je sais que je vais abuser de votre temps, mais je vous demande deux minutes de plus. Je reviens du Fleuve Jaune ; quand on est en Chine on est pris dans tout un contexte particulier. Moi, personnellement, j’ai éprouvé beaucoup de choses, alors si vous êtes déroutés par la Chine, et c’est souvent le cas, fuyez-la, allez-y en touriste et c’est tout. Mais si vous l’aimez, vivez-y. Voilà le conseil que je peux vous donner. Ce que je voulais vous dire pour terminer, c’est que j’ai un très gros défaut. J’essaye, puisqu’on est obligé de parler anglais, et par contrepoids, de parler à peu près bien français. Je vous ai donc fait un petit poème sur le Ningxia, inspiré d’une vieille histoire du voyageur du Ningxia, alors je vous le lis en toute modestie : Le vent dans le sable dessine un dragon Que moi, le voyageur, j’imagine vivant ; Le vent lui donne une âme ; il s’envole d’un bond : Je reste seul sur terre et redeviens enfant… La marche est longue encore, et je dois réussir ! Mais le souffle du ciel m’attire vers le rêve ; Le nuage se gonfle puis le dragon s’étire : Je vois ses yeux amande et son sourire aux lèvres… La steppe du Ningxia vibre au brûlant soleil ; Le mirage est tenace et le vent tourbillonne ; Je veux voir mon amour avant prochain sommeil : 1ER DECEMBRE 2006 61 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Je me remets en marche et mon pas lent résonne… Pour l’honneur de ma troupe le courage renaît ; J’approche du sommet qui domine le monde ; Mais au dernier moment la tempête apparaît : Dragon éclate en quatre, et chacun entre en ronde… Le Dragon Blanc : Le premier des dragons au nord rejoint le pôle ; Il scintille de glace, et le froid du diamant Me transperce le cœur comme une flèche mongole : Ningxia doit sa survie au bouclier d’Helan… Le Dragon Rouge : Le second des dragons en plein ouest se lève ; Le feu sort de sa bouche, embrasse le couchant ; Rouge désert me couvre ; nomade me relève : Ningxia des caravanes, lointain trésor offrant… Le Dragon Jaune : Le troisième dragon se déploie tout au sud ; Immense serpent jaune, il traverse les terres ; Sa gorge crache eau fertile, détend mon corps si rude : Ningxia vit grâce à lui : ses récoltes prospèrent… Le Dragon Bleu : Le dernier des dragons se fond, bleu, dans la nuit ; Chantant à l’orient, il attend le soleil ; Rêve avec lui s’achève… harmonie… plus de bruit : Ningxia du matin calme, ta beauté m’émerveille ! Merci. M. Jean KOUCHNER Ça aurait été vraiment dommage qu’on vous empêche d’aller jusqu’au bout. Merci aussi pour avoir introduit cette poésie qui va aussi bien avec le vin, d’une façon générale. Je voudrais maintenant dire que nous allons recommencer ce débat que nous avons initié ce matin, mais nous avons d’abord deux présentations : l’une par M. Yannick Guerin, qui est Operations Manager au Fargo Group. Il a d’ailleurs été responsable des vins et spiritueux à la Mission Economique de Shanghai. Il nous parlera d’une approche sociologique du consommateur chinois, et puis ensuite nous donnerons la parole à M Richard Chane. 1ER DECEMBRE 2006 62 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONSOMMATEUR CHINOIS M. Yannick GUERIN Operations Manager – Fargo Group Je vous propose de poursuivre ce voyage chinois, mais ça sera peut être un peu moins poétique ! Je vais essayer de vous faire découvrir et apprendre à mieux connaître ce consommateur chinois, savoir un petit peu qui il est. La consommation de vin en Chine est essentiellement composée d’hommes, âgés de 25 à 45 ans. C’est une consommation qui est très sociale, on consomme généralement en groupe, rarement à domicile, essentiellement du vin rouge, et sous une forme encore très prisée de consommation qu’on appelle « campei » en Chine, c'est-à-dire « cul sec ». Un pays aux contrastes marqués Commençons par des généralités. La Chine est un pays très vaste : d’ouest en est et du nord au sud, on doit avoir des échelles de distance de l’ordre de 5500 Kms. Pour donner une idée, c’est la même distance qui sépare Montpellier de Kigali (Rwanda) ou Montpellier de Islamabad (Pakistan). Cela permet de bien comprendre les différences que l’on peut avoir dans ce pays d’un point à l’autre, qu’elles soient culturelles, linguistiques, et également en terme de pouvoir d’achat. L’essentiel de la consommation des grandes villes se situent sur la côte Est, de Beijing à Canton en passant par Shanghai, et c’est également sur cette zone-là qu’on a le plus fort pouvoir d’achat. M. Carbonneau parlait des températures. Je regardais la météo ce matin sur Internet : aujourd’hui, 1er décembre, il fait -18°C au nord à Harbin et il fait +19°C à Hainan au sud. Cela permet de bien comprendre les différences sur ce pays qui est extrêmement vaste. Profil général de la population chinoise Elle est principalement jeune, la moitié à moins de 35 ans, relativement éduquée, la scolarisation en Chine est obligatoire. On a de plus en plus d’étudiants, et puis point important, l’urbanisation se développe. Aujourd’hui, on doit avoir environ un milliard trois cent millions d’habitants en Chine, 60% vivant à la campagne, 40% en ville. Et c’est en ville que se situent vos consommateurs, avec une population urbaine qui croît de l’ordre de 13 à 15 millions chaque année. Tous ces éléments concourent à faire naître une classe moyenne qui représente aujourd’hui environ 150 millions de chinois, dont 50 millions de ménages, ces derniers disposant de plus de 700 €/mois de revenus. Cela permet de relativiser ce pays qui fait près de 20 fois la superficie de la France, avec de très nombreux Chinois, mais avec une cible finalement plus réduite : environ 150 millions de Chinois appartiendraient à cette classe moyenne. La population solvable est difficile à déterminer. 60% de la population vit à la campagne, et cette population est quasiment exclue des circuits de consommation organisés que l’on peut connaître en Europe. Pour décrire de manière très caricaturale les 520 millions de personnes qui vivent dans les villes, vous avez 330 millions qu’on appellera « classe populaire », avec un logement 1ER DECEMBRE 2006 63 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE composé d’une seule pièce, avec le coin cuisine à côté du lit, et toute la famille qui vit dans cet espace. Vous avez ensuite ce que l’on peut appeler la « classe moyenne » et qui concerne environ 150 millions de Chinois. Ils ont accès à un confort qui se développe, avec ordinateur, mobilier, et une « famille » de type classique, c'est-à-dire souvent limitée à deux personnes. On a une politique d’enfant unique en Chine, mais l’enfant vient de plus en plus tard, tout comme le mariage : finalement on est assez longtemps deux à vivre dans un appartement. Enfin, 40 millions d’urbains sont riches, voire très riches, avec des décors qui peuvent nous paraître parfois un peu kitsch mais qui, finalement, résument cette nouvelle richesse chinoise. Un autre point important pour relativiser ces consommateurs chinois dans leur nombre : l’Oréal estime son marché potentiel à 100 millions de consommatrices chinoises, à peine 10% de la population totale. Ces 40% de chinois qui vivent en ville représentent en fait plus des trois-quarts du pouvoir d’achat chinois. Le profil du citadin chinois Nous allons le décrire car il s’agit en fait de votre consommateur cible. La catégorie des 15-25 ans représente aujourd’hui 64 millions de personnes, des gens qui sont particulièrement individualistes et dépensiers, une famille qui se résume souvent à deux personnes. Les 40-50 ans, qui représentent à peu près 50 millions de personnes, sont, eux, beaucoup plus conservateurs et frugaux. Niveau d’équipement En ce qui concerne le niveau d’équipement, ces citadins chinois ont une maison, une voiture, sont équipés d’un téléphone portable, sont fortement exposés aux médias et à la publicité. Lorsqu’on estime qu’un Européen passe une heure ou deux heures devant sa télévision, il reçoit un certain nombre de spots publicitaires ; dans un même temps, un chinois en reçoit 4 fois plus. Il est vraiment exposé à tout ce qui est média et publicité. En ville, un chinois sur quatre a accès à Internet, il y navigue régulièrement. On a aujourd’hui 120 millions d’internautes. J’ai tendance à dire que la langue des affaires, c’est la langue du client, et pour ceux qui souhaitent véritablement travailler sur la Chine, y aller avec des brochures en français ou même en anglais, n’a pas véritablement de sens ! Un citadin sur vingt dispose d’une carte de crédit, un sur trente-cinq d’une voiture particulière et voyage hors de Chine chaque année, ce qui représente environ 15 millions de personnes. Tout cela permet d’assez bien comprendre et d’apprécier votre cible en Chine. On parle de la Chine comme d’un pays en développement, mais le taux d’équipement des ménages est finalement très élevé : tous ont un réfrigérateur, une télévision couleur, une machine à laver, un téléphone portable, etc. 47% des Chinois à Shanghai, 30% à Beijing et 61% à Canton sont propriétaires. Comment dépensent-ils leur argent ? Depuis 1990, si on se penche sur la répartition des dépenses dans le portefeuille d’un ménage chinois, on voit que la part de l’alimentaire diminue, et dans un même temps que la part « éducation et loisirs » va en augmentant. On se rapproche de plus en plus du type de répartition occidentale : les besoins de base sont aujourd’hui tous pourvus, et on porte une attention particulière à tout ce qui est culture, loisirs. On recherche des plaisirs beaucoup plus personnels, on donne la priorité à la réussite professionnelle, les comportements sont beaucoup plus individualistes avec une place privilégiée de l’enfant. L’enfant-roi en Chine est très important, ce qui se retranscrit ensuite dans les motivations d’achat. Il a tendance à rester assez longtemps au foyer, c’est important dans le sens ou, même 1ER DECEMBRE 2006 64 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE si les revenus ne sont pas, pour la plupart, très élevés, les enfants restent en revanche très tard au domicile des parents. Donc le salaire qu’ils perçoivent leur sert d’argent de poche. Ils sont donc très dépensiers car ils n’ont pas de loyer ou de charges à payer. Il y a un fort taux d’épargne en Chine, probablement l’un des plus forts taux au monde, sinon le premier, pour quatre raisons : - tout d’abord l’enfant. On épargne pour son éducation, les conditions dans lesquelles il va évoluer et vivre ; - la retraite, car les chinois la préparent ; - l’immobilier, chacun veut être propriétaire ; - et puis les imprévus de la vie. Les principales motivations d’achats des chinois - Je l’ai répété maintes fois, mais c’est extrêmement vrai : la place privilégiée de l’enfant est souvent moteur dans les achats et déclencheur, pour un certain nombre d’actes, de consommation. - L’importance de la face - on parle beaucoup de la face en Chine – et la transcription marketing : c’est l’importance de l’emballage. L’emballage en Chine est extrêmement important. Les couleurs, mais aussi la boîte dans laquelle vous mettrez votre bouteille, le suremballage, tout ceci est très important. - L’importance des médias : en France, on a Zidane, en Chine, ils ont un joueur de basket qui s’appelle Yao Ming et qui évolue aux Etats-Unis. Il est l’idole pour tous les Chinois, et les Chinois y sont très sensibles. Ils vont suivre toute la communication qui va tourner autour de ces grandes idoles ou stars. Aujourd’hui, Yao Ming est plutôt sponsor de Mac Donald mais peut-être qu’il pourrait être choisi pour la région Languedoc-Roussillon, je pense qu’il est très porteur… - Le Chinois est joueur : dit comme cela, ça peut paraître assez drôle, mais je crois que Richard en parlera juste après. Le cadeau est un élément essentiel en Chine. On revient sur ce que je disais en terme d’emballage : vous pouvez avoir le meilleur vin du monde, mais si vous le présentez d’une manière assez banale ou standard, comme on peut le faire en Europe, il ne sera pas nécessairement reconnu ; en revanche, si vous avez à côté un vin même modeste mais très bien emballé et qu’en plus vous avez comme cadeau un tire-bouchon, et bien c’est gagné. - L’argumentaire santé est également très important dans la démarche d’achat, les Chinois y sont très sensibles, sans pour autant raisonner en terme de taux de lipides, protides, mais plutôt de Yin et de Yang, de chaud et de froid. C’est pour cela qu’en terme de comportement d’achat, le fameux French wine paradox a été décisif dans les années 97-98 pour déclencher et encourager la consommation de vin. - Le chinois est très curieux, avec un attrait particulier pour la nouveauté ; il a besoin de comprendre, il a envie de connaître, de mieux savoir ce qu’il consomme. Si on prend l’exemple du vin, qui vous intéresse le plus, il est important d’avoir une démarche commerciale, mais aussi pédagogique. Il faut bien comprendre qu’une étiquette en français est quasiment illisible pour la plupart des Chinois ; c’est important d’accompagner le produit soit d’un petit document en chinois, ou bien, d’un prospectus sur le col de la bouteille où l’on explique la température de service, etc., et là, les Chinois y seront très sensibles. - La marque est très importante pour les Chinois ; on le voit dans leurs manières. M. Carbonneau le disait tout à l’heure, les Chinois aiment copier les grandes marques. Généralement, un Chinois qui va acheter un tout nouveau costume Dior va essayer de garder l’étiquette Dior bien apparente et le plus longtemps possible pour bien montrer qu’il a pu s’acheter un tel vêtement. 1ER DECEMBRE 2006 65 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE - ROYAUME-UNI & CHINE Et puis on remarque une influence étrangère de plus en plus marquée, de nouvelles habitudes de consommation. De nombreux Chinois voyagent de plus en plus, vont à l’étranger, donc y sont de plus en plus sensibles. J’ai pris des exemples : le bio, le chocolat, les produits laitiers, mais aussi du vin. Cependant, même s’ils sont effectivement très curieux et influencés par les modes de consommation occidentale, ils ont besoin de trouver des référents et des repères chinois. Je fais souvent ce parallèle avec la consommation de vin et la consommation de thé, on dit souvent que les Chinois mélangent le vin avec du Sprite ou du Coca. Cela s’est fait, c’est vrai, cela se fait peut-être encore mais de moins en moins, mais quand on leur explique qu’on rajoute du lait ou du sucre dans notre thé, ils ont un peu de mal à s’en remettre ! Donc il faut bien comprendre ce parallèle ; pour nous, le thé est peut-être une découverte, au même titre que le vin pour les chinois. Comment consomme le Chinois ? Le shopping constitue la principale activité hors travail, dans les centres commerciaux, avec des pics de consommation principaux qui représentent plus des trois-quarts de la consommation de vin dans l’année : le nouvel an chinois, qui aura lieu le 17 février prochain, la fête du travail début mai et la fête nationale début octobre. Il y a des particularismes locaux alimentaires, M. Carbonneau a fait défiler un certain nombre de cartes qui expliquent bien les différences ; on mange plutôt épicé dans certaines régions, on mange davantage de riz dans le Sud, davantage de blé dans le Nord, ce n’est donc pas UNE Chine, mais plusieurs pays en un seul. Aujourd’hui, à Shanghai, qui est l’un des principaux pôles de consommation (17 millions d’habitants), 90% des Shanghaiens se rendent vingt fois par mois au marché. 93% des Shanghaiens se rendent 7 à 8 fois par mois en hypermarché ou en supermarché. Mais c’est là que vous allez distribuer vos vins. L’hypermarché ou le supermarché a un positionnement bien différent de celui qu’on peut connaître en France ; c’est davantage un magasin de proximité : 70% des Chinois qui vont à Carrefour à Shanghai y vont à pied ou à vélo, et le panier moyen est de 8 €. Les consommations de vin. Les principaux critères d’achats, selon une étude de la Sopexa, sont : - le prix, - la publicité, - l’emballage, - l’origine du produit, - l’origine pays. • Le prix est important, qu’il soit bon marché ou élevé. Effectivement, certains Chinois, qui ont un pouvoir d’achat relativement faible, vont vouloir un vin d’origine étrangère, mais à un prix relativement modeste ; dans le même temps, comme le marché est encore relativement immature, on a toute une partie de la population qui a accès à ce type de produits, mais qui n’y connaît absolument rien, donc qui finalement va prendre le vin le plus cher. Il s’agit d’une consommation très ostentatoire, une fonction très sociale de la consommation : on consomme avec des amis. Montrer qu’on a pu acheter le vin le plus cher est une forme de positionnement social. Il faut savoir qu’en Chine, quand on fait un cadeau, on laisse généralement le prix… • Le vin rouge prédomine : c’est l’essentiel de la consommation à près de 90%. • La fonction de l’achat est très forte : on consomme entre amis, où le vin est utilisé comme cadeau. 1ER DECEMBRE 2006 66 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE • La consommation est encore très faible, mais comme le disait M. Carbonneau, c’est à rapprocher de la taille du pays : 0,31 litre/an/habitant. Le French wine paradox a de l’importance car les Chinois sont très sensibles à l’argumentaire santé. Et de manière basique, voire caricaturale, en Chine, on a, pour les consommateurs, trois référents de base : - un vin étranger s’appellera forcément Bordeaux, - un spiritueux XO, - et un pétillant Champagne. Richard en parlera davantage ensuite. • 65% est vendu en CHR et 35% en magasin hyper ou super. • 90% de la consommation porte aujourd’hui sur des vins d’entrée de gamme entre 3 € et 3,50 €. Il faut savoir que les droits de douane ont relativement baissé. Mais l’essentiel de la consommation sur les vins importés porte sur des vins qui partent à moins de 3,50 € de France. • J’enviais ce matin M. Perrouty qui disait que les Britanniques achètent par caisse de 12 : en Chine, chaque acte d’achat porte sur une ou deux bouteilles, pas plus. La taille des vignobles chinois est à l’image de la Chine : gigantesque. 90 % des vins consommés sont des vins locaux, il faut bien garder ça à l’esprit ; Sur les 10% qui sont importés, 90% est du vrac. Donc la part du vin tranquille importé en bouteille est de 1%. • Pour vous donner un exemple de l’ampleur de la production chinoise, sur cette nouvelle cave actuellement en construction, il y a peu près 8 ou 9 grues en train de travailler, et il y aura un complexe hôtelier, un restaurant, un chai, un musée et un golf. Ce sont donc principalement des vins chinois qui se vendent et se consomment en Chine. Perception des vins français Certainement beaucoup de banalités : - la qualité ressort (étude Sopexa), c’est un point extrêmement important. Nos vins français sont reconnus pour être de qualité ; on sait qu’on fait de belles voitures en Allemagne, et qu’on fait du bon vin en France, - on pense que nos produis sont chers, que, en revanche, - l’offre est compliquée, et réservée à des connaisseurs, pas forcement très accessible pour les Chinois. Manque de promotion et de lisibilité : c’est un point extrêmement important. - le dernier point : il faut vraiment communiquer, il faut créer une marque, car les Chinois y sont très sensibles. Portrait-robot de votre consommateur. On part de 1,3 milliard d’habitants, qui est la population chinoise. Le consommateur de vin est un citadin, donc on arrive à 40% de cette population : 520 millions. Ces chiffres sont approximatifs mais permettent assez bien de relativiser la taille du marché. C’est un homme, 52% de la population est masculine, ce qui donne 270 millions de consommateurs ; tous les consommateurs sont donc des hommes et ce sont eux qui achètent. Le consommateur est âgé de 35 à 45 ans, ce qui nous laisse 60 millions de consommateurs, avec un niveau d’éducation supérieure et appartenant à la classe moyenne ou aisée. Il nous reste donc 22 millions de consommateurs. Quand aux consommateurs de vins importés, qui porte à 90% sur du vin rouge, j’ai mis un point d’interrogation car on n’arrive pas à les quantifier correctement, mais ça permet de bien relativiser, en partant de 1,3 milliard de Chinois : la cible est bien plus modeste que ça. Il existe donc deux stéréotypes que j’ai abordés tout à l’heure : - celui du consommateur fortuné et soucieux de paraître, qui, au restaurant, va commander le vin le plus cher et importé ; 1ER DECEMBRE 2006 67 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE - ROYAUME-UNI & CHINE et à l’inverse, un consommateur moins aisé, jeune cadre, employé dans une entreprise étrangère par exemple, qui va acheter en grande distribution et se tournera davantage vers un vin local beaucoup plus abordable. Un marché des grands crus existe pour les consommateurs chinois. On estime qu’il y a environ 300 000 Chinois millionnaires en euros, donc le marché des grands crus existe, mais ce sont souvent des personnes qui voyagent et qui vont acheter à l’étranger directement. En 2015, il y aura encore plus de Chinois, dont 60% vivront en ville. La classe moyenne qui était de 150 millions va doubler, et la Chine sera le premier marché mondial du luxe : 25% des ventes mondiales du luxe se feront en Chine. On aura passé les JO de 2008 à Beijing et l’exposition universelle de 2010 à Shanghai, évènements qui vont probablement occidentaliser encore plus les modes de consommation. Le calcul qui consisterait à multiplier le nombre de Chinois par le nombre de verres qu’ils pourraient boire n’est encore qu’un leurre. Pour finir sur une note positive, la production et la consommation ont progressé de plus de 10% par an ces dernières années. Le ministre Bussereau, qui était en Chine il y quelques temps, se réjouissait de voir que les exportations de vin en Chine avaient augmenté de 60% en 2006 par rapport à 2005. La Chine est désormais le premier importateur de vin français en Asie. M. Jean KOUCHNER Merci M. Guerin, et pardon de vous presser, d’autant plus que vous venez de Chine pour nous. Donc merci pour ce voyage et merci de vos explications qui sont tout a fait intéressantes, mais il faut laisser du temps pour le débat. M. Chane, je vais vous demander maintenant de bien vouloir prendre le relais. Nous avons convenu, M. Chane et moi, que je lui ferai signe aussi quand il arrivera près de son temps limite, car je le sais très connaisseur de ces questions et il est capable de nous en parler pendant des heures, mais il ne pourra hélas pas. M. Chane, c’est à vous. J’ai omis de préciser que vous étiez consultant auprès de différentes entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine. APPROCHE MARKETING DE LA GRANDE DISTRIBUTION CHINOISE M. Richard CHANE Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importation et de distribution de vin en Chine Je ne serai pas aussi philosophe que M. Carbonneau et je ne pense pas que je pourrai vous faire rêver comme Yannick avec les chiffres. Je vous parlerai d’un thème un peu plus terre à terre, le business, pur et dur, qui est la réalité chinoise aujourd’hui. Nous allons voir qui sont ses intervenants. 1ER DECEMBRE 2006 68 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Nature des principaux importateurs/distributeurs Je vais parler des importateurs et distributeurs de vins de qualité, sachant que les entreprises chinoises importent aussi du vin. • Il y a trois entreprises de tête : ASC, Summergate et Montrose qui sont présentes dans tous les canaux de distribution et ont un portefeuille complet de grandes marques internationales. Le monde entier veut bien sûr entrer dans ces portefeuilles ; Les places sont chères et il faut arroser, n’ayons pas peur des mots. Ces entreprises reçoivent 60 bouteilles d’échantillons par semaine et tous les jours des coups de fils de l’étranger. C’est une entrave manifeste au business en Chine. Ce sont les seules entreprises qui font un effort à proprement dit sur le marketing, sur la dégustation, sur la formation en vins. • Vous avez également quelques Français qui sont là depuis quelques années et qui sont très forts sur les enseignes de grande distribution. D’après les chiffres de Yannick, il y aura d’ici 2010, 100 enseignes Carrefour ouvertes en Chine, et 200 d’ici 15 ans. • Vous avez aussi les grands producteurs, Torres, Gallo, Jacob’s Creek qui ont une politique un peu plus agressive, très discount. Ils font appel au sponsoring avec les dépôts-ventes (système de dépôts-ventes avec les problèmes de recouvrement que ça peut engendrer, avec aussi une possibilité d’embouteiller sur place). • Puis, vous avez des groupes internationaux de vins et spiritueux avec des capacités d’investissement financier à long terme très solides. Ce sont surtout des entreprises qui n’ont pas peur d’investir à perte pour récolter les fruits de leurs investissements dans 10 ans. Aujourd’hui on ne vend pas beaucoup de Champagne, mais les chiffres sont exponentiels. • Vous avez quelques entrepreneurs indépendants qui ont des petites structures localisées avec des portefeuilles plutôt attractifs ; en revanche, par rapport à leurs moyens limités, ils ne peuvent malheureusement pas se permettre d’avoir des stocks sur toute l’année, de répondre à la demande, et, surtout, sur un secteur comme les grands crus classés de Bordeaux – Bordeaux est roi en Chine, comme un peu dans le monde entier - les prix ne sont pas garantis du 1er janvier au 31 décembre. • Il y a aussi quelques importateurs chinois. Certains on tenté leur chance, beaucoup l’ont regretté, c’est quand même difficile d’assurer les intérêts des producteurs sur ce marché chinois. • Enfin, vous avez quelques entreprises qui sont basées à Hong-Kong, qui sont très influentes sur la Chine méridionale, dans la province de Canton. Hong-Kong et Macao sont des temples du libéralisme, avec l’importation parallèle que ça peut engendrer. Canton est la province où l’on dépense trois fois plus au restaurant, qu’à Shanghai ou à Beijing. Ce sont des gens qui ont beaucoup d’argent. Malheureusement, ils représentent des marchés encore très opaques, encore très difficiles à lire pour des distributeurs importateurs. La Chine est grande De Shanghai jusqu’au Xingjiang, il y a bien cinq heures d’avion. Il y a des caractéristiques et des réalités régionales. Une petite anecdote : on avait reçu « Château-Latour » et il ne voulait plus refaire de dîner sur Beijing ni Shanghai, parce qu’il n’y avait que des occidentaux qui venaient, qui se régalaient mais n’achetaient pas de vin. Ce qu’il voulait, c’était avoir des petits repas un petit peu plus intimistes, même avec un minimum de personnes, sur des régions comme Canton où les gens sont désireux d’acheter, et d’avoir de la face, comme l’avait dit Yannick ; c’est très important d’avoir ce côté « prestige ». 1ER DECEMBRE 2006 69 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Aujourd’hui, la Chine riche se situe sur la côte : Beijing, Shanghai, et Canton. Tous les importateurs/distributeurs auront des succursales dans ces trois villes. En revanche, il y aura une émergence des marchés secondaires : dans chaque province de la Chine, il y aura des hôtels de luxe, des hommes d’affaires, des gens avec de très grosses fortunes et donc un besoin de vins fins, de vins français haut de gamme ou de vins étrangers, et le challenge est un défi logistique et de distribution. Certains ont des zones franches, à Shanghai par exemple, et le fait d’envoyer ces vins sur Canton, même les Barolo, même les Châteauneuf du Pape, prennent parfois un petit coup de vieux du fait de la distance et des températures. Les facteurs de réussite et les défis En premier lieu, on aura le souci de capturer ce segment de qualité, de l’identifier, puis on parlera de la promotion pure et dure, et du portefeuille de produits de marque adaptés à ce marché chinois. Le segment de qualité Les 3 S : Solvabilité, Service, Saturation. Aujourd’hui le marché existant pour le vin de qualité en Chine est l’équivalent d'une grande métropole européenne. Cela veut dire que c’est encore 90% de vins chinois avec une minorité de vins importés, de vins de qualité. La différence avec l’Angleterre, ce sont les canaux de distribution : - on aura une majorité de vins écoulés, 60 à 65%, surtout dans les grandes chaînes d’hôtels internationaux : ce qui veut dire que le on trade sera prépondérant sur le off trade, ce qui est quand même une singularité chinoise. Vous aurez bien sûr de la vente directe en particulier aux Chinois qui ont beaucoup d’argent : le PDG de China Télécoms avait commandé six caisses de Laffite 82, ça été difficile, on a du réveiller le tout Bordeaux, mais il a pu avoir ses bouteilles de Bordeaux à temps pour sa fête, - la distribution dans les enseignes internationales : je parle donc du off trade, avec Carrefour, Metro, Park’n Shop, ce qui représente aujourd’hui environ 30% du vin de qualité importé, - dans ces 30%, il y a également le vin écoulé dans quelques galeries haut de gamme et des cavistes indépendants. La solvabilité est un problème : si vous voulez faire des affaires en Chine, c’est facile : tout le monde veut du vin. Seulement, recouvrir les dettes est très difficile. Donc, choisissez bien vos clients. Aujourd’hui, il n’y a que ce public qui est demandeur de vins de qualité, et, bien sûr, on veut dégager des marges et de la valeur ; c’est pour ça qu’on a besoin de services. De nombreux comptes chinois n’ont pas besoin de services ; ils ne connaissent pas le vin, ils ne comprennent pas le vin. C’est donc un défi, dans les grandes chaînes de restauration chinoise, où beaucoup de vin est consommé, plus que dans les hôtels de luxe à la limite, de savoir communiquer, de pouvoir dégager de la valeur sur ces comptes chinois. Ça sera le cas dans quelques années, mais ce n’est pas encore d’actualité. Le marché de vins de qualité importés en Chine est saturé. Ce qui veut dire que les places sont prises chez les distributeurs. Et les places sont chères. Ce segment de qualité progresse de 35 à 45% selon les distributeurs par année ; c’est une croissance très rapide. On parlait des vins chinois qui progressent simplement de 10% : 45% c’est énorme. Mais ça reste un marché relativement petit. Je le répète, pour prendre la mesure de ce marché, c’est celui d’une capitale européenne. 1ER DECEMBRE 2006 70 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE La promotion On parlait ce matin des difficultés des vins français au Royaume-Uni, c’est un peu pareil pour le marché chinois. Il ne suffit pas d’avoir des vins de qualité avec des prix compétitifs. Bien sûr les Chinois sont très sensibles au prix, mais il y a une variable qui est très localisée. C’est à dire le suivi côté fournisseurs et la réactivité au marché : les actions promotionnelles clé en main, les PLV, les primes et les promotrices. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ces charmantes demoiselles sont vos meilleurs atouts, votre meilleure force de vente. Si vous allez en Chine, vous irez au restaurant toute la journée. N’est-ce pas M. Carbonneau ? Personnellement je n’ai pas fait la cuisine depuis deux ans, donc ça se passe au restaurant (je répète : on trade, 65%) et pour accéder à ces restaurants, il faut se mettre ces charmantes demoiselles dans la poche, et leur patron. Il y a un processus d’achat, un processus décisionnel chinois. Il y a beaucoup de monde en Chine, et les rapports sont très difficiles. Comment faire des affaires en Chine ? Pas de formule magique, mais ça reste ardu, ça prend beaucoup de temps, il faut donner de sa personne, il faut attendre, mais parfois ça s’accélère. Et si ça s’accélère, ça va très vite, et il faut être réactif au marché. Etre réactif au marché, ça veut dire qu’il faut être prêt à tomber les prix de 20, 30%, à avoir un maximum de PLV, à fournir un maximum de tire-bouchons, avec des gift box, des boites, des frisbees, etc.… Il faut donc, pour accéder à ces comptes, arriver avec un maximum d’argumentaires, mais à côté du prix et à côté de la qualité. Un vin chinois, peut se vendre à peu près à 2,5 €, et pour une bouteille achetée, une sera offerte. On en parlait pour le marché du Royaume-Uni : c’est très difficile pour les Français parce qu’ils ne sont pas habitués à débloquer ce genre d’opérations promotionnelle « clé en main ». Je vais un peu synthétiser : pour un producteur, l’important est d’aider son distributeur à aider son client. Par exemple : je suis le superviseur de ce restaurant. Ce qui signifie qu’il faut que je mette mon patron d’accord pour pouvoir vendre des vins français, des vins du Languedoc, et pour le faire, il faut avoir un maximum de posters avec des tire-bouchons, avec des primes à la vente, c'est-à-dire donner un euro ou 50 centimes d’euro aux serveuses pour une bouteille vendue ; ce sont des personnes qui gagnent 100 €/mois dans les hôtels de luxe, donc si vous pensez à elles, elles penseront à vous. C’est comme ça que ça marche en Chine : le système de la réciprocité. Les AOC en Chine et image du vin Je pense que je vais ouvrir le débat sur ces concepts d’AOC, on pourra en reparler avec les autres intervenants. Est-ce que les Chinois comprennent bien cette notion d’AOC ? Les copies d’AOC sont-elles une crainte pour les producteurs français ? Ce que je veux mettre en valeur aujourd’hui est le processus d’achat du Chinois ; je pense qu’une des clés d’entrée vraiment essentielle est le pays. L’Arc de Triomphe pour la France, la corrida pour les vins espagnols et les gladiateurs pour les vins italiens. Cela veut dire que la Chine, qui était un pays qui vivait en autarcie il y a 20 ans et qui s’ouvre sur le monde, a besoin de consommer à l’occidentale et qui a besoin de rêver. Consommer du vin, c’est consommer du voyage, consommer une autre culture, et c’est très important pour le Chinois de se réfugier dans cette imagerie du vin. Ce n’est pas le produit en lui-même qui est important ; Bien sûr il y a des Chinois qui veulent connaître le vin, mais il a beaucoup d’enthousiasme et de frénésie autour de ce produit, car la magie du vin, c’est le terroir, c’est l’attachement à la culture, et le Chinois y est très réceptif. Un peu plus que l’Anglo-Saxon, qui va faire son acte d’achat en trente secondes. Je veux dire par là qu’il y a 1ER DECEMBRE 2006 71 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE une démarche intellectuelle dans l’acte de consommation chinois, une envie de connaître, une envie de découvrir. La concurrence Elle se fait à trois niveaux. Pour parler de quelques concepts : la cannibalisation, et pour finir sur une note un peu plus triste, le Nouveau Monde et l’Ancien Monde. Par exemple : je suis producteur d’un pays A et je veux mettre en avant une marque B dans le portefeuille. Donc, je suis listé dans un portefeuille en Chine. Les places sont chères, comme je l’ai dit. Prenons le cas du Chili, qui fait à peu près 6 à 7 % du marché chinois : il y a très peu de producteurs aujourd’hui qui peuvent se permettre d’avoir une politique commerciale sur l’ensemble du pays. Il faut donc absolument que moi – ma marque peut être, par exemple le Casillero Del Diablo – je m’accapare ces 6% existants, voire même plus. Cela veut dire que, au sein d’un importateur, j’ai remarqué un phénomène de cannibalisation : un importateur qui a X parts du marché va mettre en avant ses vins. Donc, je suis commercial, je vends du vin. Je m’en fiche de savoir si le vin est français, s’il est du Languedoc, s’il est de Bordeaux, tout ce que je veux, c’est vendre du vin, arrondir mes fins de mois et faire un maximum de ventes. Si vous me donnez les moyens de vendre du vin avec des tire-bouchons, des primes à la vente, je vais lisser votre vin. Et malheureusement, les vins du Nouveau Monde sont un petit peu plus efficaces par rapport à cette attaque sur le marché, ils sont un petit peu plus business-driven et réussissent à cannibaliser le marché existant d’un distributeur. En ce qui concerne les vins du Languedoc-Roussillon, il y a des marques, je ne vais pas les citer, qui sont présentes en Chine mais qui ont la difficulté à avoir un renouvellement dans leur communication, et les pays du Nouveau Monde le font mieux, mieux que l’Espagne, que l’Italie, que les pays de l’Ancien Monde. Répartition des ventes de vins pays par pays Voilà la répartition des ventes par pays par rapport à la répartition des trois leaders en Chine, pétillant, Champagne et mousseux inclus. La mère patrie du vin, la France, est encore à 40% de ventes ; en deuxième position l’Australie, qui est très présente sur Hong Kong, qui est en fait le jardin de l’Australie, ils y sont très forts et ils ont une politique vraiment très intégrée sur toute la région, ce que par exemple les Américains, qui sont en troisième position, n’ont pas. Et puis, vous avez l’Espagne, le Chili et l’Italie avec 6 à 7%. La France est un peu plus forte que l’Italie sur ce marché chinois. En revanche, on a des progressions beaucoup plus fortes sur des pays comme le Chili et l’Australie. Ce qui veut dire que si nos concurrents progressent plus vite que la France : la France perd des parts de marché, pour les raisons que je viens d’expliquer par rapport à la promotion. Prix moyens en supermarché On va jeter un coup d’œil sur les prix moyens en supermarché : vous avez les vins chinois d’un côté et les vins importés de l’autre. Avec un maximum de 9,5 €, et un minimum de 1,8 € et un prix moyen de 4,3 € pour les vins chinois en supermarché. De l’autre côté les vins importés, qui vont de 6,2 € jusqu’à 15 € pour les vins les plus chers, avec un prix moyen de 9,5 €. Parlons des vins français : ils se situeront plutôt en haut pour les vins AOC. Les vins de pays, les vins de la région, qui sont plutôt dans cette gamme de prix, sont compétitifs par rapport aux pays du Nouveau Monde. En revanche, le Chinois, dans sa démarche intellectuelle, va regarder la pyramide de la législation de classement de qualité française. Et en haut de la pyramide, vous avez les AOC puis vous avez les vins de pays. C’est malheureusement un frein ; la communication n’a pas été assez efficace pour expliquer que les vins de cépages sont 1ER DECEMBRE 2006 72 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE classés en vin de pays ; mais le Chinois ne comprend pas le fait que des vins soient meilleurs et même plus chers et ne soient pas classés en AOC. Ils ont regardé les livres, et ils sont persuadés que les vins AOC sont les meilleurs du classement, ce qui constitue un problème pour les vins de la région en vins de pays. Les stratégies des entreprises chinoises Leur atout est le prix ; elles sont imbattables, ce sont les moins chères, elles font un matraquage publicitaire pour imposer leur marque. C’est le pays où on voit le plus de publicité pour le vin et ce, dans toutes sortes de média, que se soit la télévision ou les magazines. Certaines marques, comme par exemple le Great Wall, vont envoyer une armée de vendeuses dans des restaurants chinois pour vendre ce vin sur place directement. La communication sur le vin en Chine est basée sur un modèle très semblable à celui des spiritueux ou de la bière. On parle très peu du produit en lui-même, on parle plutôt de la marque, de l’association du produit à la marque, c’est-à-dire : je vais boire du vin donc je vais boire Great Wall, Dynasty ou autres. On va les voir : Great Wall, ChangYu, Dragon Seal, Dynasty, Suntime. Il y a une grande concentration de cette offre chinoise : 3 entreprises représentent 50% du marché, 10 entreprises représentent deux tiers de l’offre de vin chinois ce qui représente 90% de la consommation de vin en Chine. On va parler maintenant de la qualité, de la formation et de l’éducation du produit. Pour la qualité, vous avez pu aujourd’hui goûter du vin chinois. Peut-être pourrait-on en parler après mais il est possible qu’une petite proportion provienne du Chili ou même de l’Australie. Cela veut dire qu’aujourd’hui la Chine fait appel à un énorme volume de vin en vrac en provenance de l’étranger. Personne ne pourrait le quantifier à l’heure qu’il est mais il s’agit d’une réalité. Il y a beaucoup de vin en vrac qui est importé en Chine, qui est assemblé et qui est vendu sous la dénomination « vin chinois ». Sauf qu’il y a une progression rapide de cette qualité, et, je pense que M. Carbonneau l’a attesté aujourd’hui : l’optique pour ces entreprises est d’avoir un vignoble qui s’étend, qui sera opérationnel, qui progressera en qualité, afin de se débarrasser de cette importation de vin en vrac petit à petit. Il s’agit d’un objectif qu’ils veulent atteindre en 2020. Les autorités ont mis la barre assez haut, elles veulent que la Chine puisse produire des vins de « World Class ». Donc, cela va représenter une nouvelle menace, un autre pays du Nouveau Monde. L’image du vin Les vins utilisent les idoles chinoises pour communiquer. Je pense notamment aux acteurs du « In the mood for love » que vous avez peut-être vu. « Suntime Wine» est une marque qui a été créée à la suite de ce film ex-nihilo et qui s’est positionnée à un prix légèrement inférieur à celui du top 3 ou top 4. Elle a progressivement gagné des parts de marché avec un matraquage publicitaire et avec des millions de dollars investis rien que pour les ambassadeurs de la marque, les acteurs du film. Qu’est-ce que cette photo (n.d.l.r: une photo où l’on voit une maman proposer du vin à son tout petit) signifie ? Elle signifie que le puritanisme n’est pas un mot chinois, que c’est une culture où boire de l’alcool est un lien social. Je pense d’ailleurs qu’aujourd’hui c’est une fatalité en France que ce puritanisme anglo-saxon ait pu prendre racine. En Chine, cela n’existe pas, vous verrez de la publicité pour le vin et l’alcool partout. Le Chinois a cette réserve naturelle de savoir où est sa limite. « Tout est poison, rien n’est poison, seule la dose est poison », tout le monde le sait, mais seulement il faut le rappeler tous les jours, surtout en France aujourd’hui. 1ER DECEMBRE 2006 73 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE Pour les vins importés, la stratégie n°1 est celle des bas prix. Un acteur qui part du point de vue que personne ne comprend le vin en Chine envoie des volumes et essaie de les caser. Seulement, il y a des acteurs chinois qui seront beaucoup plus compétitifs, et le Français se heurtera au protectionnisme et au chauvinisme chinois. La stratégie n°2 consiste à travailler au coup par coup. Cela correspond peu ou prou à la culture des affaires en Chine : c’est un pays libéral où l’on fait des affaires. C’est cela le nouveau visage de la Chine. C’est très difficile à expliquer, même moi j’aurais du mal à vous l’expliquer, cela prend beaucoup de temps au préalable pour pouvoir arriver à conclure une affaire. On peut néanmoins envoyer du vin et vendre tous azimuts avec un peu de négociation, mais seulement ce sera néfaste à la marque et au produit, et puis l’efficacité sera uniquement à court ou moyen terme. Avec un manque de transparence, ainsi que de la stratégie et de la visibilité, l’efficacité se fera sur le long terme. La stratégie de construire une marque à l’instar des marques chinoises, en visant le long terme, consiste à imposer sa marque. L’inconvénient c’est que cela prend beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Je le répète, les PLV, le matériel commercial, les cadeaux, les primes à la vente et aussi les marges arrière, les droits de référencements, cela coûte beaucoup d’argent, mais finalement cela fonctionne partout comme cela, même en France, et c’est pareil pour la Chine… En ce qui concerne les importations, c’est l’importateur qui est normalement responsable du règlement de toutes les démarches d’importation. Il faut beaucoup de connaissances auprès des autorités chinoises et un grand sens du relationnel. Il s’agit d’un véritable parcours du combattant que de mener à bien les démarches d’importation auprès de l’administration, pour la simple raison que la monnaie chinoise n’est pas convertible en devises. En fait, les autorités veulent contrôler le fait que l’importateur local fait réellement des affaires avec l’étranger, avec contrats, facturations, certificats d’origine et d’hygiène à l’appui. Ces documents leur permettront de donner l’autorisation d’importation et faire que le producteur soit enfin payé. Au niveau de l’étiquetage, cela a changé : auparavant, il était soumis à l’homologation préalable à l’importation. Maintenant, cela n’est plus le cas : on envoie directement les vins qui passent ensuite un simple contrôle d’agrément. Je veux encore ajouter que pour un vin départ cave à 3 €, il faut appliquer une majoration de 50% environ et que le vin arrivera donc à 4,50 € en Chine. Si l’importateur n’est pas un gros importateur, il ajoutera 100% de majoration afin d’augmenter ses marges arrière, ses PLV et donc on arrivera 9 €. Aujourd’hui les importateurs font tout eux-mêmes, le marketing, la distribution, la logistique, et cela coûte beaucoup d’argent. De plus, la concurrence est rude sur le marché chinois… Merci de votre attention. 1ER DECEMBRE 2006 74 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE TABLE RONDE PERSPECTIVES ET FACTEURS DE REUSSITE POUR LES VINS DU LANGUEDOC SUR UN MARCHE EMERGENT Participent Mme Anne-Laure GAUCH, représentante du GIE Plato Méditerranée M. Jean HUILLET, Président de la Confédération Française des Vins de Pays M. Henri de COLBERT, Vigneron au Château de Flaugergues M. Yannick GUERIN, Operations Manager, Fargo Group M. Richard CHANE, Consultant auprès d’entreprises chinoises d’importations et de distribution de vins en Chine M. Alain CARBONNEAU, Directeur des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin, Professeur de Viticulture à l’Agro-Montpellier Les débats ont été animés par M. Jean KOUCHNER, Journaliste, Professeur associé à l’Université de Montpellier 1 M. Jean KOUCHNER Merci M. Chane. Je vous demande de bien vouloir rester là. Je demande également à M. Guérin de le rejoindre ainsi qu’aux personnes qui vont participer maintenant à la table ronde : Mme Anne-Laure Gauch qui est du domaine du Nouveau Monde et du GIE Plateau Méditerranée qui représente 15 entreprises viticoles engagées dans un développement et une recherche de nouveaux marchés en Asie, M. Henri de COLBERT qui a déjà participé avec nous ce matin et qu’on ne présente donc plus et M. Jean Huillet qu’on ne présente plus non plus, qui est Président de la Confédération Française des Vins de Pays et qui revient de Chine, d’un voyage officiel dont la presse s’est fait l’écho. J’ai envie de commencer par vous M. Huillet, d’abord parce que vous êtes pressé, mais aussi parce que j’aimerais bien vous entendre nous dire comment vous avez vécu ce voyage en Chine, comment vous avez perçu les possibilités de développement éventuel de la viticulture et surtout de l’exportation vers la Chine ? M. Jean HUILLET Président de la Confédération Française des Vins de Pays (CFVDP) Je m’excuse d’abord auprès de l’assemblée car j’ai une réunion de secteur et donc il faudra que je parte dans un petit moment. J’ai eu cette chance extraordinaire de partir avec un voyage d’Etat en Chine. Cela limite immédiatement la valeur de l’expérience puisqu’un voyage d’Etat ne dure que 4 jours. Avec toutes les cérémonies officielles, il ne reste plus grand-chose pour aller connaître le pays dans sa diversité. J’ai réussi quand même à m’échapper cependant (j’ai oublié de me rendre à certains rendez-vous) pour aller voir un peu ce qu’il se passait. Donc le témoignage que je vais faire se constitue de choses que j’ai vues et d’anecdotes, ce dont je m’en excuse auprès des intervenants qui eux sont des experts du marché chinois. Cela 1ER DECEMBRE 2006 75 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE recoupe d’ailleurs ce que j’ai entendu. Parfois néanmoins, je ne suis pas tout à fait en désaccord sur ce qui a été dit, mais je doute. Premier élément, effectivement la Chine s’éveille à tout, et donc s’éveille aussi au vin. Elle est capable de tout produire, et donc aussi du vin. Demain, la Chine fera les produits que demandera le monde entier. C’est juste une question de temps. Quand on se rend en Chine, on a le sentiment que, du plus pauvre au plus riche, ces gens ont compris qu’ils avaient le pouvoir d’être les « maîtres du monde » et ils vont le mettre en application. La seule chance que nous ayons, c’est qu’ils ne sont pas colonisateurs, c’est-à-dire qu’ils restent dans leur pays et ils y produisent ce qui est intéressant pour eux dans un premier temps et pour une exportation éventuelle par la suite. Ils ne vont pas s’installer à l’étranger, il n’y aura pas une diaspora chinoise à travers le monde, quoique les Chinatowns des grandes capitales mondiales soient des lieux d’informations et de promotions importants pour la Chine. En ce qui concerne le vin, on aura demain matin tout et n’importe quoi sur le marché. Je dis cela car j’ai été reçu par la société Kofco que vous devez connaître, qui est une grande société d’Etat et qui est en train de devenir indépendante. Ma présence dans le voyage officiel s’est faite en tant que Président de la Confédération Française de Vins de Pays, et c’est donc ce qui est mentionné sur ma carte de visite. Lorsque j’ai donné ma carte avant même de dire bonjour, comme il est de coutume là-bas, la première question qui m’a été posée a été « est-ce que vous vendez du Champagne ? ». J’ai répondu non et on m’a avancé que si je viens de France, je fais forcément du Champagne. Il a donc fallu expliquer le marché français. Je me suis retrouvé en train d’expliquer la hiérarchisation des vins français, alors qu’ils ne s’y intéressent pas du tout. Ce n’est vraiment pas leur problème. Quand je vois les querelles entre nous pour savoir si le Château Machin des Corbières est plus intéressant que le Château Machin de Saint Chinian, je me dis qu’on peut les poursuivre pour aller vendre dans le restaurant du coin, mais que si l’on souhaite aller en Chine, il faut arrêter tout de suite parce que ce n’est vraiment pas le problème, et de toutes façons c’est incompréhensible pour eux. Pour le vin, il y a une hiérarchie, c’est-à-dire que les grands vins sont des grands AOC. Mais lorsque les Chinois parlent d’Appellations d’Origine Contrôlée ce ne sont pas de celles du Languedoc ou du Beaujolais, mais plutôt de certaines AOC de Bourgogne car ils doivent connaître Romanée Conti bien entendu. Ils ne connaissent absolument pas les AOC de Provence et encore moins celles du Val de Loire. Pour les Appellations d’Origine Contrôlée c’est les grands noms : les Pétrus, les Cheval Blanc, les Rothschild, etc. Tout le reste, c’est un vaste ensemble qu’ils ne connaissent absolument pas. M. Jean KOUCHNER Il n’y a pas beaucoup de place pour les vins de pays alors ! M. Jean HUILLET Ce qu’ils veulent ce sont des vins provenant de France, parce qu’ils font du business. Mais si un Chilien arrive avec de la méthodologie de pénétration de marché, c’est lui qui aura le marché. L’Australie considère que la Chine est son jardin, son pré carré donc ils y sont déjà très présents. Il y a cependant une certaine francophilie en Chine. Les Chinois aiment bien le côté français parce que cela représente une certaine culture, et que la France est toujours 1ER DECEMBRE 2006 76 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE perçue comme la patrie du vin, et donc a une image de qualité. Il y a ce petit plus dont il faut profiter. Les vins de pays ont donc toute leur place. Je disais donc que le marché très haut de gamme est saturé. Le bas de gamme est saturé aussi, parce qu’occupé par le vin chinois de production chinoise. Mais il y a le cœur de gamme sur lequel j’ai personnellement de l’espoir. C’est un vin qui se situe entre 5 et 7 €, et c’est là qu’il faut aller. Pour y arriver, il faut utiliser les techniques chinoises telle qu’elles vous ont été expliquées : ne pas oublier le côté gadget avec le tire-bouchon, le cadeau, le pourboire, tous ces petits plus qui ne sont pas l’élément fondamental pour moi mais qu’il faut comprendre pour avancer par la suite. C’est là que se trouve le véritable marché selon moi et qu’une demande va se créer. Une deuxième chose importante est le changement qui s’opère au niveau de la distribution : Quand j’étais en Chine, j’ai rencontré le Président Directeur de Carrefour qui a inauguré son 86ème magasin là-bas. Les Chinois sont en train de rentrer dans les habitudes de consommation dictées par la grande distribution. Il n’y avait auparavant que des grands magasins qui étaient en fait une succession d’étals, mais cela n’avait rien à voir avec la grande distribution telle que nous la connaissons. Dans ce type de magasins-là, la place du vin est relativement faible. A l’inverse, du côté de Carrefour, j’ai effectué quelques mesures : 7 mètres sont consacrés aux Bordeaux, tandis que tous les autres vins français confondus occupent 1 mètre. De plus, il y a à peu près 7 mètres pour les Australiens, 3 mètres pour les Chiliens et quelques mètres pour le reste du monde. Il y a donc un grand travail à faire ; Je pense qu’il y a là un espoir immense. Mais il ne faut pas essayer de pénétrer ce marché en expliquant que les Côtes de Thongue sont meilleures que le Val de Montferrand, ou que celui-ci est meilleur que les Collines de la Moure, ou encore que les Collines de la Moure sont meilleures que les Coteaux de Bessilles. Tout ça est du chinois pour eux, sans jeu de mots. Ce qu’ils veulent, c’est un vin avec une origine (France), une marque et un cépage. Ce qui est curieux, c’est que lorsque j’étais auparavant Président de l’Occitane, et que nous allions aux Etats-Unis, c’est exactement ce que les Américains nous disaient : ils voulaient une origine, France, un cépage et une marque. Il s’agit là de deux pays de taille non négligeable, et si l’on veut les conquérir, il vaudrait mieux qu’on commence à réfléchir à la question qu’ils nous posent avant de commencer à vouloir leur imposer nos contradictions permanentes. Je ne suis pas en train de dire qu’il faille tuer tous les vins de Bessilles et de Côtes de Thongue, certainement pas. Mais vendons-les sur des marchés de niche, très fortement identifiés, avec de la valeur ajoutée, et ne nous avisons pas de vouloir partir sur de la grande distribution avec ce type de produits. Le dernier point que je veux aborder est le problème du comportement chinois dans son approche commerciale. Premièrement, la plupart du temps, on signe le contrat quand on est sur le départ. Jusqu’à ce moment-là, on discute, avec le sourire, c’est très agréable, il n’y a pas de tensions mais c’est très compliqué. En fait, l’astuce de l’acheteur chinois c’est de vous faire parler, de vous laisser vous dévoiler et de repérer les fissures dans lesquelles il s’engouffre…et vous, vous courez derrière pour essayer de faire du business. Deuxièmement, si vous signez un contrat commercial, sachez qu’il a exactement la même valeur que du papier toilette. Les Chinois n’ont pas de référents internationaux par rapport aux tribunaux et se fichent éperdument de ce que vous pouvez signer. Ils peuvent ne pas respecter votre contrat et vous expliquer en cours de route qu’ils ont eu une offre plus intéressante que la vôtre. Le contrat commercial n’a pas une grande valeur. Ce qui me paraît important, dans une pérennité relative, et parce que la dimension du temps change, c’est la construction simultanée d’une opération commerciale en Chine, c’est-à-dire qu’il faut être capable de soutenir une communication permanente et d’investir. En tant qu’individu seul, étranger, vous n’en avez pas le droit, sauf si vous passez par Hong-Kong. Par contre, si vous créez une association franco-chinoise, ou investissez dans une société de conditionnement par exemple, alors là vous mettez votre produit en situation de pérennité. C’est beaucoup plus solide que le simple contrat commercial. Cela veut dire qu’il faut investir. En parlant de cela, il ne faut pas 1ER DECEMBRE 2006 77 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE oublier de mentionner le différentiel de ce pays, qui est un pays qui a un « bas de laine » phénoménal, qui je crois est plus riche que la banque européenne, qui est capable de faire des prêts mondiaux en dessous des taux d’intérêts en vigueur, qui a une croissance à deux chiffres permanente. Prenons l’exemple de l’agriculture qui « baisse » : en fait, elle n’a augmenté « que » de 15% alors qu’elle augmentait auparavant de 30%. Donc, quand on vous demande d’investir, il faut assurer. Pour aborder ce marché, il ne faut pas y aller tout seul, certes il y a l’initiative « Plato» qui est intéressante et qu’il faut regarder de près, mais c’est encore trop petit et si l’on veut être sur de la grande distribution avec des produits de grand volume, il faut se regrouper derrière des marques franco-chinoises. Il faut faire des produits très marketés chinois mais avec ce goût français. Si l’on veut faire de la marque chinoise sur le marché chinois, ce n’est pas la peine d’y aller. Il faut faire donc du marketé chinois, certes, mais tout en ayant cet espèce de romantisme ou de façon d’être à la française. Troisièmement, tout cela passe par le relationnel individuel. Cela signifie que si, par hasard, vous avez un comportement de dominant, parce que vous êtes LE pays de l’invention du vin, que vous venez d’Europe, que vous affichez 2000 ans d’histoire, etc., on va vous dire le reste… Vous n’avez pas à être dominé non plus. Il faut être totalement respectueux de votre interlocuteur, c’est la clef. Il faut y aller dans un rapport de respect de l’individu et ancrer des relations durables avec vos interlocuteurs. Si vous réussissez, vous aurez un avantage sur une autre personne qui n’aurait pas eu la même entrée. Un rapport commercial est fondé sur un groupe d’individus qui ont l’habitude de travailler ensemble, qui ont mis en place des codes de respect mutuel, et qui vont faire en sorte de garantir la pérennité commerciale. A part cela, c’était un excellent voyage et je vous remercie de m’avoir écouté. M. Jean KOUCHNER Merci M. Huillet. Passez s’il vous plait le micro à votre voisine, Mme Anne-Laure Gauch. Vous avez l’expérience du regroupement d’un certain nombre de viticulteurs pour essayer d’exporter vers la Chine, et j’ai entendu parler de problèmes de solvabilité, de marché saturé en qualité, de difficultés de mise en place (il faut penser aux serveuses par exemple…). Alors, finalement, cela semble très compliqué de rentrer sur le marché chinois d’autant plus qu’il est en partie saturé et même s’il va se développer. Donc comment cela se passe-t-il concrètement ? Quelle est votre expérience de ce point de vue ? Mme Anne-Laure GAUCH Représentante de GIE Plato Méditerranée Avant de répondre à cette question je voulais rebondir sur ce que M. Huillet a dit par rapport au partenariat avec les Chinois et à la création d’alliance franco-chinoise. Certains ont voulu le tenter et se sont brûlé sérieusement les ailes. Il ne faut pas oublier qu’on a des cultures et des traditions très différentes ainsi que des approches très différentes du commerce, comme vous l’avez mentionné tout à l’heure. Il faut donc le faire très prudemment si tant est qu’il faille le faire. Le GIE Plato Méditerranée que je représente est constitué de 14 structures viticoles, entre caves particulières et caves coopératives, ce qui nous permet d’avoir des volumes très importants : on a un garant de 110 000 hectolitres, ce qui représente 7 millions de bouteilles que l’on ne vend pas en totalité en Chine. Cela fait maintenant deux ans et demi qu’on se 1ER DECEMBRE 2006 78 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE penche sur la problématique chinoise et un peu plus d’un an et demi qu’on a vraiment commencé à entrer sur le marché. Il y a à peine un mois que nous avons commencé à voir le bout du tunnel, c’est-à-dire à voir partir le premier container de vin en Chine avec moult difficultés tant en ce qui concerne la solvabilité, - que l’on ne voit d’ailleurs arriver que maintenant avec le client chinois et qui ne va pas être évident à gérer - qu’en ce qui concerne la partie administrative et les douanes. C’est très long et il faut beaucoup se renseigner. Ce n’est vraiment pas chose évidente que d’être au point : il y a de nombreux papiers à envoyer, des blocages en douane, ce n’est vraiment pas facile. Pour ceux qui connaissent le marché brésilien, qui est un marché très difficile aussi, je crois que la Chine est au moins égale au niveau difficultés. M. Jean KOUCHNER Merci. M. de Colbert, alors vous, vous avez été présent en Chine autrefois et plus maintenant. Il faut donc vous poser un certain nombre de questions. M. Henri de COLBERT Oui, je vais essayer d’être le plus bref possible. Je voudrais apporter deux témoignages. Tout d’abord, nous sommes aussi allés en Chine en tant que représentants des Grès de Montpellier, qui est une Appellation d’Origine Contrôlée, avec Madame le Maire de Montpellier et nous, nous avons payé notre voyage. Au lieu d’aborder les grandes villes type Beijing, Canton, Hong Kong et autres, nous avons abordé Chengdu qui est jumelée avec Montpellier. Il y a làbas de la place pour tout le monde puisqu’à Chengdu vivent quelques millions d’habitants. Je suis persuadé que pour faire du commerce avec la Chine, il faut avoir des liens sur place, des gens permanents. Il faut savoir qu’en Chine, un salaire mensuel se situe entre 700 et 800 € au maximum. Il est donc possible d’être présent sur le marché chinois avec toutes les difficultés que cela comporte. Ensuite, je voudrais donner un témoignage sur l’exportation que j’ai faite en Chine, qui était la Chine Taiwan d’ailleurs. Je suis allé discuter à Paris, à ChinaTown avec 8 interlocuteurs chinois en face de moi. Nous nous étions mis d’accord sur un certain nombre de conditions, de commissions et autres. A l’issue de la discussion, ils m’ont dit : « on vient demain matin chez vous à Montpellier pour conclure le reste ! ». Le lendemain matin, 3 sur les 8 se sont présentés et m’ont dit : « on a prévu des commissions pour les uns et pour les autres, mais il en faut d’autres pour nous et il ne faut pas que les 5 autres présents hier soient au courant ». Il s’agit là d’un problème très compliqué et très difficile à régler. Il faut que tous les maillons de la chaîne gagnent et s’y retrouvent et que chacun ne sache pas ce que l’autre a touché. Je vous laisse imaginer la difficulté qu’il y a à faire fonctionner ce système qui marche très bien si l’on joue le jeu. Nous avons ainsi pu exporter quelques palettes et nous avons ensuite décidé d’arrêter parce que c’était très compliqué. Mais à mon avis c’est possible, il y a de la place pour tout le monde, même si le marché est saturé. Quand on sait que le petit village à côté de Chengdu, qui comptait 3 000 habitants il y a 3 ans, en compte 300 000 aujourd’hui et en comptera 2 millions demain, je pense qu’il n’y aura pas de problèmes pour envoyer quelques palettes ou quelques containers dans ces endroits sans se marcher sur les pieds et en 1ER DECEMBRE 2006 79 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE réussissant à faire des affaires qui soient bonnes pour toutes les parties prenantes, qui seront nombreuses. Mme Anne-Laure GAUCH Concernant les contacts sur place, il faut se dire que la Chine n’est pas une cible export comme les autres : pour y être présent, il faut avoir quelqu’un sur place effectivement, qui parle couramment le chinois, personnellement je dirais qu’un Français serait le mieux. M. Jean HUILLET Cela me fait penser à une anecdote. Je confirme : il faut avoir quelqu’un de permanent en Chine, sinon on ne pourra pas travailler. J’ai acheté quelques souvenirs pour ma famille, et comme les prix étaient relativement intéressants, j’ai un peu exagéré. Je me suis donc retrouvé avec une difficulté de transport et il a fallu que j’achète une valise. Je me suis rendu dans des endroits traditionnels avec un interprète. Une valise m’intéressait, une Samsonite. J’ai fait demander le prix par mon interprète et lui a répondu 25 €. Elle en vaut 80 ici. Je voulais conclure l’achat immédiatement parce que c’était une affaire, mais la personne avec qui j’étais m’a dit qu’il fallait marchander, ce qui nous avons donc fait. J’ose à peine vous dire le prix que je l’ai payée : 10 €. Il s’agit donc d’un pays qui a encore la tradition du marchandage et de la négociation du prix. Une autre anecdote, toujours dans cette espèce de grand souk, j’ai découvert une chose : je me rends souvent en Afrique du Sud parce que j’ai des amis là-bas. Qui dit Afrique du Sud, dit traditions africaines, masques traditionnels, etc. J’ai trouvé à Beijing des masques qui étaient 3 fois moins chers que ceux que je trouvais sur les marchés africains. Je vous avoue franchement que je ne sais pas comment ils font. La Chine est un marché que nous ne devons pas négliger, mais il faut y aller sur la pointe des pieds et les yeux grands ouverts. M. Jean KOUCHNER Merci. Certains disent qu’ils sont fabriqués en Chine et que c’est normal qu’ils soient moins chers. Je donne la parole à la salle maintenant si vous le souhaitez pour quelques instants. De la salle Bonjour, ma question s’adresse à M. Carbonneau. C’est une question d’ordre technique. J’ai cru comprendre qu’il y avait une majorité de sable dans le sol, donc est-ce que les pieds sont greffés ou non ? 1ER DECEMBRE 2006 80 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Alain CARBONNEAU Il vrai que beaucoup de sols sont sableux et la majorité des vignobles sont en franc de pieds. On se pose quand même des questions parce que dans certains sols il ne s’agit quand même pas de sable pur. Il y a beaucoup d’éléments fins. Pour l’instant, on ne perçoit pas de développement du phylloxéra. Je crois qu’on ne connaît pas tout, il y a certainement l’effet de la température des sols en hiver, et là je parle essentiellement de la Chine du nord, qui peut effectivement limiter le phylloxéra. On ne comprend pas pourquoi ce même phylloxéra ne se développe pas au Chili non plus, alors qu’il est présent au Pérou. Donc, sur un phénomène très ancien comme le phylloxéra il y aurait encore des choses à apprendre, mais comme on a résolu le problème par les porte-greffes, on ne l’étudie plus. Pour l’instant, c’est franc de pieds. De la salle Une question de synthèse sur les années à venir. J’ai entendu dire qu’on prévoyait une augmentation de la consommation en Chine, ne serait-ce que par l’augmentation démographique. J‘ai cru comprendre aussi qu’on parlait de l’augmentation du vignoble en Chine. Alors, quels sont les pronostics en terme de solde pour les années qui viennent ? Est-ce que la production va augmenter plus vite que la consommation et est-ce que la Chine va devenir un pays exportateur ou bien est-ce qu’au contraire l’augmentation de la production locale va doper l’augmentation de la consommation et que le marché va être encore plus important dans les années qui viennent, pour nous Européens ? M. Alain CARBONNEAU J’espère que d’autres intervenants pourront répondre. Il faudrait déjà être à peu près sûr des statistiques actuelles, cela nous permettrait d’y voir un peu plus clair. Je pense que ce qui serait intéressant à faire, c’est une étude de la consommation des jeunes Chinois, ça doit être en cours, mais je vous cite la réponse de l’un de nos anciens thésards, Zhenping Wang. Dans le Ningxia, selon lui, « les jeunes Chinois boivent de plus en plus de vin, mais du vin peu cher» et les vins d’hybrides français conviendraient très bien. Cela tendrait donc à démontrer qu’il y a une croissance du marché chinois pour les vins d’entrée de gamme, rouges bien évidemment. Personnellement, je serais plutôt sur une note optimiste de grandissement de ce marché qui sera peut-être saturé sur les hauts de gamme, mais qui s’ouvre largement, me semble-t-il, en cœur de gamme et peut-être en entrée de gamme. Néanmoins, en entrée de gamme les Chinois sont très forts. Il faudrait quand même sonder la réaction des consommateurs chinois. Quant au fait qu’ils deviennent concurrents, je crois que la Chine, comme tout grand pays, a son orgueil, et les Chinois essaieront d’être reconnus sur des grands crus d’ici très peu de temps. Ils ont des terroirs qui le permettent, ils pourront produire des vins originaux sur le plan technique, j’en suis convaincu. Mais je crois qu’il faut jouer le jeu. Cela ne me choquerait pas si on achetait de temps en temps des grands vins chinois parce que c’est un peu un appel à la réciprocité. Je pense que c’est un moyen indirect de vendre des grands vins du Languedoc. Le terme de partenariat, pour moi, est un terme fort. 1ER DECEMBRE 2006 81 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Jean KOUCHNER M. Chane sur cette question. M. Richard CHANE Il y a des restaurants chinois dans toutes les grandes villes du monde, et je pense qu’il serait mal venu de consommer des vins du Languedoc dans un restaurant chinois. Donc, les entreprises chinoises ont des prétentions pour l’export, et cela va arriver très vite. En revanche, par rapport à l’importation de ce « milieu de gamme » il y a des espaces qui se créent, il y a des entreprises d’importation de produits de niche qui se créent, des sous distributeurs dans ces marchés secondaires qui se créent également. On ne peut pas rester sur une espèce d’oligopole d’importateurs – distributeurs. Encore une fois, ce sont les difficultés que l’on a évoquées par rapport au business, au suivi, au relationnel, et là il n’y a pas de secrets : il faut investir que ce soit en temps, ou sur le plan financier. M. Jean KOUCHNER M. Huillet, très brièvement et puis ensuite M. Guérin que j’aimerais bien entendre sur cette question. M. Jean HUILLET Sur cet aspect, nous avons à la fois très peu de temps et beaucoup de temps pour investir ce marché parce qu’il va se développer pour plusieurs raisons : les jeunes se mettent à la consommation et durant le temps de réactivité nécessaire pour recréer le produit identitaire chinois, il faut qu’on occupe l’espace ; Une lutte contre l’alcoolisme est organisée par l’Etat à partir de l’image du vin (il faut souligner que la consommation d’alcools forts est un véritable sport chinois). Nous sommes dans un système étatique libéral, donc à partir de là quand l’Etat décide, les choses se font, et c’est là le deuxième intérêt. A terme, le sport sera de boire du vin chinois de très haute qualité, et les Chinois sont parfaitement capables de le faire dans les prochaines années, mais en attendant, nous pouvons occuper l’espace. M. Jean KOUCHNER M. Guérin. Vous nous avez fait une description sociologique précise et intéressante du marché chinois, comment voyez-vous son développement ? 1ER DECEMBRE 2006 82 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE M. Yannick GUERIN Je ne l’ai pas dit précédemment, mais ma société vend des produits œnologiques, de la tonnellerie, de la micro-oxygénation, un certain nombre d’équipement et de produits œnologiques aux caves chinoises qu’on connaît relativement bien. Aujourd’hui elles n’ont pas vraiment de prétentions à l’export, même pour les grands noms comme ChangYu, Great Wall, etc., qui ont un marché local potentiel tellement important qu’aujourd’hui ils n’ont pas le souci d’aller à l’export. Les deux vins qui ont d’ailleurs été dégustés ne sont pas nécessairement les vins les plus vendus en Chine. En revanche le Dragon Seal est le plus exporté. Les « grands » comme Suntime ou ChangYu aujourd’hui ne sont pas intéressés par l’export, ils savent très bien qu’ils ne sont pas encore au point du point de vue gustatif. L’un des grands acteurs du vin en Chine, que je ne citerai pas ici, a produit un millésime 1994 qui avait vraiment très bien marché. Tous les ans, il réimprime des étiquettes « Millésime 1994 » puisque ce millésime marche très bien… C’est pour cela qu’aujourd’hui les grands Chinois comme ChangYu ou Great Wall ne sont pas sur les salons internationaux, ils sont plutôt discrets, ils savent que sur le plan juridique et légal ils ne sont pas tout à fait au point, ils sont loin d’être dupes. En revanche, il existe des petits domaines, dont un qui se trouve à Taiyuan et qui s’appelle Shanxi Grace Vineyard qui, pour moi, est peut-être le meilleur vin chinois. Je ne sais pas si certains l’ont goûté mais il a gagné, il y a 2 ans je crois, une médaille d’argent à Bruxelles. Il existe donc des vins chinois qui s’intéressent déjà aujourd’hui au marché international, certains sont en vente dans les duty free ou dans les avions. Mais c’est aussi vrai qu’il ne s’agit pas de leur préoccupation première. Quant à la production chinoise, elle augmente effectivement. Il s’agit certainement d’une progression de l’ordre de deux chiffres tous les ans, on plante partout. Je ne pourrais pas vous dire combien exactement, mais les importations de plants augmentent. Encore une fois, comme le disait M. Carbonneau, c’est extrêmement difficile d’avoir des chiffres précis, il y a toujours en Chine des zones d’ombre, mais comme chacun le sait les ombres sont chinoises. 1ER DECEMBRE 2006 83 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE SYNTHESE ET PERSPECTIVES DE LA JOURNEE M. Jean KOUCHNER Nous sommes donc arrivés au terme de notre demi-journée, je vais donc passer la parole à M. Hervé Hannin, qui est Ingénieur de Recherche à l’Agro-Montpellier, et lui demander de bien vouloir nous faire part de sa synthèse et de sa conclusion. M. Yannick GUERIN Avant que M. Huillet ne parte, je voudrais dire que j’ai été stupéfait de voir qu’on était arrivé aux mêmes conclusions au bout d’un voyage officiel de quelques jours pour l’un, et de 6 ans de résidence en Chine pour l’autre. A la différence près, peut-être qu’après 6 ans on se rend compte que finalement sur la Samsonite à 10 €, il y a probablement 2 € qui sont partis dans la poche du guide. Donc, finalement il l’a même payée très cher. M. Hervé HANNIN Ingénieur de Recherche à l’Agro Montpellier (IHEV) Je vais essayer de vous livrer les quelques réflexions que ces débats m’inspirent. Tout d’abord, j’ai l’impression que nous sommes en train de réussir le pari qu’on avait fait il y a quelques années et là je me tourne vers les initiateurs de cette journée. Aujourd’hui on a parlé de marketing, de mondialisation, d’interculturalité de façon extrêmement pragmatique, et cela fait du bien de parler de viticulture sans parler forcément de crise et d’arrachage, même si l’on n’oublie pas ces vraies questions difficiles, voire douloureuses. Il y a effectivement un contexte de crise, et sans doute est-ce à la fois plus difficile et plus pertinent d’aborder ces grandes questions que sont la mondialisation, le marketing, le contexte interculturel dans cette période. Il faudra bien emprunter les voies de l’information de la recherche, et il faudra bien des débats, pour faire avancer les choses. En tout cas, on est toujours ravi de pouvoir participer à cela au niveau de l’Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin. Deuxièmement, j’ai l’impression qu’on parle du vin en tant que produit, mais qu’en réalité, on en parle plus fondamentalement en tant que « phénomène vin ». Si ce mot a un sens, c’est justement dans ce genre de débats qu’on peut le voir. Finalement, ce qui importe, n’est ce pas autant le produit, que son approche dans la distribution, la façon de faire du business, les moyens utilisés pour leur donner de la valeur, etc. On ne comprend pas bien pourquoi dans tel segment, on consomme de telle façon, pourquoi tout d’un coup les prix s’envolent dans tel autre…. Cette valeur là, c’est bien autre chose que la valeur de l’eau et de l’alcool qui composent majoritairement notre « produit-vin ». Qu’est-ce qui va donner cette valeur à ce produit ? On touche bien là à l’approche d’un phénomène qu’il faut concevoir d’un point de vue à la fois quantitatif et qualitatif. Quantitativement, la difficulté d’approcher les statistiques a été évoquée. Quand on parle de statistiques pour le Royaume-Uni et la Chine, il faut bien comprendre que l’on se heurte à un obstacle : ces deux pays n’adhèrent pas à l’OIV, qui est justement l’instance dont une des 1ER DECEMBRE 2006 84 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE missions est de suivre l’évolution de la production et la consommation dans l’ensemble des pays de monde et qui le fait très correctement, en tout cas à biais constant. Pour la production au Royaume-Uni, ne pas la suivre de près n’est peut-être pas très grave, mais en revanche, on est un peu désemparé pour ce qui est de la Chine. Heureusement, l’OIV y travaille malgré tout et certains organismes tentent également d’ y suppléer : c’est le Wine Intelligence dont nous a parlé M. Jean Philippe Perrouty ou les approches d’UBIFRANCE, représenté aujourd’hui par M. Olivier Prothon, ou d’autres encore ; reste qu’ il s’agit d’une véritable difficulté que de pouvoir suivre ces évolutions statistiques. Deuxième aspect, la Chine et les statistiques, voilà à une association qui peut laisser quelque peu rêveur. J’ai parfois pensé que les Chinois nous cachaient quelque chose à nous donner des chiffres fantaisistes ou à ne pas donner de chiffres du tout. En allant là-bas, on s’aperçoit qu’ils ne cachent rien ou pas grand-chose manifestement, qu’ils donnent éventuellement ce qu’ils ont, mais qu’ils ne sont probablement, et là je parle sous le contrôle des spécialistes, pas aussi obsédés que nous, par le suivi statistique ; je me demande même s’ils ne considèrent pas comme une forme de perversion mentale occidentale que d’être sans cesse obnubilé par ces résultats. Le Chinois n’a pas très peur d’avancer sans statistiques, mais au fond, ne fonctionnait-on pas ainsi il y a encore quelques décennies ? L’occident a sans doute acquis une certaine façon de penser, qui tranche avec la culture chinoise sans pour cela qu’ils aient du retard sur nous, au contraire ; en tout cas, il semble qu’ils s’émancipent très bien de ce genre de fonctionnement. Sinon on ne comprendrait pas comment on arrive à la fois à planter de la vigne et à consommer du vin à de tels niveaux dans un pays où cela n’était pas traditionnel. On ne sait pas si les Chinois consomment 0,3 litres par habitant et par an, ou 20 litres par an, si on divise par les 22 millions que M. Yannick Guérin évoquait tout à l’heure. Cela nous désarme peut-être, nous, de ne pas savoir, mais en Chine, ça ne désarme personne, le Chinois avance très bien comme cela. Le vin et le thé : un choc des cultures ? Qualitativement, on mesure à quel point il n’y a pas de marché s’il n’y a pas de définition du vin, et c’est là quelque chose qui nous touche beaucoup. En Chine, il y a peu de temps encore, il y avait le même mot pour désigner l’ensemble des boissons fermentées ou distillées, pourvu qu’il y ait de l’alcool, et une base de fruit quel qu’il soit, raisins ou autres. Une définition juridique s’est faite jour récemment mais on sent bien qu’il reste du chemin à parcourir.. Il ne s’agit pas d’une logique d’imitation ou de perversion, on est simplement dans un usage très générique du mot « vin », tel qu’on l’a d’ailleurs connu en France jusqu’au 19ème siècle. On a longtemps parlé de « vins » au pluriel, jusqu’à ce que celui de raisin ne gagne une suprématie sur les autres. La Chine est un peu dans cette situation aujourd’hui. Mais pour comprendre comment les Chinois peuvent envisager le vin tel qu’on le conçoit, nous, en occident ou même plus largement à l’OIV, je crois qu’il faut regarder comment nous considérons le thé. M. Richard Chane a fortement insisté avec raison sur l’idée que la palette, la richesse, la diversité des thés est probablement supérieure à celle des vins, et pourtant il connaît bien les vins. pensons à l’effarement des Chinois qui nous voient mettre allègrement du citron dans le thé, du lait, et trouver cela très chic voire très anglais ! Et nous nous permettrions de leur dire « Attention, ne mettez même pas d’eau dans le vin ! ». C’est sans doute cela aussi le choc des cultures ! Ce choc des cultures n’est finalement pas très grave. Aujourd’hui, on a fait le pari de conquérir des marchés. Cela ne signifie pas que la planète nous attend mais que nous sommes prêts à aller voir segment par segment comment conquérir ces marchés et définir un nouveau marketing-mix adapté à ce dessein. Pour définir ce mix, et (je crois que là tout le monde est 1ER DECEMBRE 2006 85 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE d’accord, ce que je vois d’ailleurs avec plaisir par rapport à il y a quelques années), on a compris que faire du marketing dans le vin c’est être capable de répondre à une demande sans pour autant se soumettre au consommateur. Heureusement d’ailleurs, parce que ce consommateur ne connaît pas forcément grand-chose ! Produits et réglementation Nous avons eu aujourd'hui des enseignements intéressants sur la façon d’adapter nos produits. Il faut d’urgence faire en sorte que nos rosés, qui sont des rosés de qualité, y compris dans le sud de la France, deviennent des fers de lance sur le marché anglais. Il faut sûrement prendre en compte des questions nouvelles de sucrosité qui correspondent à des goûts. M. Alain Carbonneau notamment a parlé de physiologie, non pas de la vigne pour une fois, mais de physiologie humaine et il a bien fait. Mon sentiment est qu’il faut sans doute innover, - M. Michel Bataille a beaucoup insisté là-dessus-. Je ne suis pas sûr qu’on utilise toutes les possibilités d’innovation ou, en tous cas, toutes les possibilités permises par la réglementation. J’ai été surpris par exemple par l’affaire du bi-cépage en Angleterre ; je crois que rien n’interdit dans la réglementation nationale, à des producteurs de Côtes du Rhône, de mettre l’indication de bi-cépage sur leurs produits. On peut donc invoquer la réglementation française pesante, mais on peut également utiliser toutes les possibilités permises par celle-ci. Il n’en reste pas moins que la réglementation est parfois rigide. Si on voulait faire la même chose que ce fameux vin de liqueur de cépage Vidal que M. Alain Carbonneau a repéré en Chine, on ne le pourrait pas : pour pouvoir faire du vin doux naturel hors appellation, il faut en effet déroger à un article de 1942... C’est ce genre de choses sur lequel il faudrait sans doute réviser ou rénover la réglementation. Le positionnement Au niveau des prix, on a compris là aussi qu’il y avait parfois un paradoxe. Il faut être capable d’attaquer des marchés à faible coût quand cela est nécessaire et ne pas s’enfermer dans un modèle unique du produit de luxe ; au contraire, comme en Angleterre, où nous sommes trop présents sur les entrées de gamme et sur le très haut de gamme, il faudrait se concentrer sur le cœur de gamme. On voit que dans le cas de consommation ostentatoire, le prix n’est pas un problème, et ça on peut le constater en Chine. J’ai vu par exemple un vin de Bergerac, sans notoriété ici, à 25 € la bouteille là-bas. Mais là encore, ces vins-là sont bien packagés, comme l’ont bien expliqué M. Yannick Guérin et M. Richard Chane. La distribution Sur la distribution, il semble qu’on progresse d’une année à l’autre. On ne se contente plus de dire « grande distribution » ou « petite distribution traditionnelle ». On l’a bien vu dans les exposés, derrière « le CHR », il y a du CHR qui est traditionnel sur lequel les vins français sont bien placés au Royaume-Uni mais malheureusement la consommation en CHR traditionnel décroît. La distribution en CHR branché, celle qui est subordonnée à de puissantes centrales d’achat, à l’inverse, progresse et là, nous ne sommes pas bien placés. C’est intéressant d’aller fouiller à l’intérieur des segments, et c’est justement cela, le marketing : en permanence re-délimiter, approfondir chacun des segments, fouiller à l’intérieur, creuser les logiques à l’oeuvre. Trade marketing, le point commun à la Chine et au Royaume-Uni Ce qui est intéressant à mon avis, et s’il y a une synthèse à faire entre le Royaume Uni et la Chine (qui n’ont à peu près rien à voir sur la plupart des aspects), c’est l’idée qu’ on pourra pas se contenter d’y faire un marketing du consommateur et négliger longtemps le distributeur. 1ER DECEMBRE 2006 86 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE A chaque fois, qu’on soit une petite coopérative, un petit opérateur ou même une grande entreprise régionale, c’est-à-dire une toute petite entreprise mondiale, on n’échappera pas à l’ appel du trade marketing, c’est-à-dire un marketing qui cible les distributeurs. Ceux qui réussissent sur les marchés à l’export le savent bien. On a évoqué le fait d’établir des liens de confiance avec ses distributeurs, de partenariat à long terme, de mieux connaître son distributeur pour mieux agir sur lui, comme en marketing des consommateurs finalement, mais avec les distributeurs. Qu’est-ce que le trade marketing ? ça rejoint les discours de ce matin et de cet après-midi : étudiez bien votre distributeur ! Tous ne se ressemblent pas. Il est vrai qu’il y en a quatre gros au Royaume-Uni, mais tous ne font pas la même chose. Avec Tesco, on peut envisager d’autres partenariats qu’avec Sainsbury ou Asda – et inversement -, et c’est ça le trade marketing. L’autre enseignement du trade marketing, c’est qu’il faut arrêter de se battre contre son distributeur et au contraire essayer de lui faire gagner de l’argent. C’est une petite révolution que doivent faire nos esprits, mais si on y réfléchit bien, quand on fait gagner de l’argent à son distributeur, il serait surprenant qu’il arrête de travailler avec nous ! Qu’elle se conçoive du côté du producteur ou en partenariat avec les distributeurs, il faut bien également parler de communication : C’est là un dénominateur commun à ce qui a été dit ce matin et cet après-midi. C’est vrai en Chine, comme ça l’est en France et au Royaume-Uni. Ce sont les termes du partenariat qui peuvent changer. Pour certains, il est urgent de distribuer des tire-bouchons en Chine, alors qu’en Angleterre il est vrai que cela semble un peu moins urgent. C’est vrai aussi que la promotion devient de plus en plus sauvage, rappelons-nous les exemples de ce matin. Les diapositives que M. Richard Chane a passées tout à l’heure montraient des jeunes Chinoises très souriantes qui s’occupaient gentiment d’un consommateur. Pour ce que j’ai vu personnellement en Chine, le rayon vin de Carrefour, par exemple, met en concurrence plusieurs importateurs qui apportent leurs propres vendeuses, habillées à l’occidentale. Lorsque l’on arrive dans le rayon, on devient la cible idéale : c’est de la promotion un peu sauvage mais très efficace : les vendeuses ne sont pas statiques, elles se précipitent vers nous parce que leur commission est en jeu. On me dit que certaines étaient prêtes à manger l’oreille de l’autre : comme cela faisait un peu désordre, « Carrefour » a mis un peu de déontologie dans tout ça : il n’y a pas les gestes physiques, il n’y a pas de mêlée, mais il y a quand même la volonté de tirer le maximum du client ! L’éducation du consommateur, une des clés de réussite. En prenant un peu de recul, pour être vu sur ces marchés, on voit bien qu’il faut faire des promotions, notamment par le prix, mais je ne suis pas sûr que le revenu du vigneron soit systématiquement au rendez-vous. L’autre façon de faire c’est de gagner un peu en notoriété. M. Henri de Colbert nous a montré qu’à force de se payer des premières pages, on finit par gagner un peu de notoriété, et que c’est fondamental pour passer sur le marché. Néanmoins, il témoigne aussi de ce que cette notoriété reste faible et elle coûte très cher. Ne sont-ce pas là des instruments trop classiques ? A côté de cette promotion et de cette publicité, est-ce qu’il ne manque pas simplement un peu plus d’éducation du consommateur ? Si on aide le consommateur à reconnaître la valeur du produit, et c’est M. Daniel Granès qui le proposait ce matin, peut-être sera-t-on moins obligé de baisser nos prix pour lui faire accepter le produit, ou de le faire rêver avec la publicité, qui est certes un instrument utile mais aussi un instrument classique que l’on retrouve associé à la plupart des produits de nos jours. S’il y a une particularité au vin et s’il s’agit vraiment d’un bien culturel comme on le défend tous les jours, ne faut-il pas retrousser une manche pour la publicité, une manche pour la 1ER DECEMBRE 2006 87 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE promotion, et puis une troisième manche pour l’éducation ! On a la chance d’avoir des étudiants qui arrivent en France et qui nous disent qu’ils veulent bien s’occuper de l’éducation de leur concitoyens, parce qu’ils sont amoureux des vins ! Ces étudiants sont Japonais, Chinois, Indiens, et ils aiment le vin, ils aiment la région, ils aiment la France, ils aiment le Languedoc, mais il faut les éduquer. J’ai des anciens élèves dont certains ont traduit des guides dans leurs pays, et d’autres qui en ont même écrit : le premier guide du vin à Taiwan a été écrit par un étudiant taïwanais qui est venu se former en France et à l’OIV. Au Japon c’est la même chose. Regardez bien M. Chane car vous avez peut-être devant vous le futur Parker chinois ! C’est par l’éducation au vin qu’on risque de donner de la valeur ajoutée, une valeur que l’on retrouvera en amont si on est capable de la faire remonter, si on ne la galvaude pas chez le vigneron. Il ne faut pas être naïf, on n’échappera pas à ce travail d’éducation, tout en faisant de la publicité et en investissant. Je vais vous donner des exemples concrets. Quand on va voir des professionnels dans la région et qu’on leur dit qu’on a des étudiants étrangers qui sont de véritables pierres précieuses pour les entreprises de la région, qui parlent 5 langues, qui aiment le vin, qui aiment la région et qui sont capables d’être des prescripteurs – car selon moi, la prescription va être l’argument gagnant à l’avenir - je n’ose pas vous dire les réponses que l’on reçoit. Les entreprises sont désemparées et nous disent qu’elles n’ont rien à leur proposer ! Un mois plus tard, ces étudiants seront partis, trouveront du travail en Chine, parce que ne vous inquiétez pas, en Chine il y a du travail. Voilà pourquoi les propositions qui ont été faites ce matin de se présenter derrière des bannières communes ne signifient pas une perte d’identité ou une uniformité : il s’agit de gagner en cohérence. On n’échappera pas à cela si on veut se battre. Vous l’avez vu aujourd’hui : il n’y a pas beaucoup de place pour les petits ; à un moment donné il faut se regrouper, se réunir, et ceci n’est pas nécessairement incompatible avec le fait de faire valoir sa différence. Nous n’échapperons pas à cette disposition mentale à laquelle nous devrions d’ailleurs être davantage préparés, je crois. N’ayez pas peur d’éduquer le consommateur chinois, il n’a pas peur de la complexité, il est pareil que l’automobiliste chinois, il est parfois capable de rouler dans les deux sens, sur les deux pistes de l’autoroute ! Eux, à la réflexion, doivent nous prendre pour des esprits assez étroits, en comparaison ! La complexité ne leur fait donc pas peur et l’AOC non plus : paradoxalement, les 3 lettres AOC sont même un repère efficace et utile pour un chinois qui ne sait pas lire intégralement nos étiquettes ! Toutefois, à la question de savoir si le distributeur ou l’opérateur chinois va respecter l’AOC, l’on sait très bien que non. On l’a vu avec l’exemple du Château Médoc évoqué ce matin qui nous fait réfléchir. Mais finalement, le respectent-ils plus mal que tout un chacun dans le monde? La grosse différence est que le Chinois est pragmatique. S’il faut dans un contrat respecter l’Appellation d’Origine, il le fera, mais jamais avec un armement moral tel que le nôtre ! C’est en tout cas ce que disent les consultants chinois aujourd’hui ; et ils ajoutent qu’en Chine, quand on signe un contrat, c’est la première marche vers la dénonciation de ce contrat ! C’est finalement peut-être assez vrai en occident aussi sauf qu’on n’aime pas le vivre de la sorte... La compétitivité Je terminerai en disant qu’après ce que nous avons entendu aujourd'hui, il semble bien que s’ouvrent des voies pour résoudre notre problème de compétitivité. Aujourd’hui on arrive à diagnostiquer assez bien que le problème de la crise viticole que l’on connaît est très lié à et un problème de compétitivité. Il faudra sans doute revoir à un certain moment la question des rendements dont parlait M. Michel Bataille tout à l’heure. Sans doute faudra-t-il revoir le modèle des AOC généralisé à l’IG en France pour près de 85% de la production. J’y inclus les vins de pays car il s’agit un peu de la même philosophie. Ou 55% de la production même pour les AOC pures, c’est beaucoup. S’imposer des contraintes, se tirer des balles dans le pied 1ER DECEMBRE 2006 88 A LA DECOUVERTE DES VINS DU MONDE ROYAUME-UNI & CHINE sur 55% de la production, ce n’est sans doute pas la voie de la compétitivité. Or, à quoi s’expose-t-on là ? On a deux exemples frappants, le Royaume-Uni et la Chine sur lesquels il nous faut être compétitifs ; cela se fera peut-être d’abord par les rendements, qu’on a le plus amputés avec certains décrets. Le mystère chinois La question a été posée aussi, et je crois qu’il ne fallait pas l’oublier : que deviennent les vins importés en Chine ? Il est vrai qu’en Chine, on ne voit pas bien les vins importés, à part ceux en bouteilles. On ne sait pas bien où passent les vins en vrac importés. Je pensais que cette question serait posée… La question qui se pose aussi est : que va faire la Chine ? Elle peut importer, produire. Veut-elle exporter ? C’est probable, au moins dans les restaurants chinois comme disait M. Richard Chane, et au-delà. Veut-elle être le « maître du monde » comme disait M. Jean Huillet ? Je n’en sais rien, je ne suis pas sûr (l’empire du « milieu »n’a pas toujours démontré son impérialisme à l’extérieur), mais en tout cas elle en a les moyens et c’est une chose possible à terme. Est-ce que c’est sa volonté ? C’est une question qu’il faudra suivre à défaut d’y répondre aujourd’hui. Bonne nouvelle, M. Jean Huillet l’a dit tout à l’heure, il faut investir, sur de l’immatériel et on l’a vu avec le marché anglais sur la promotion, l’image, la communication, et il faut le faire en Chine aussi. A une époque où on parle d’arrachage généralisé, qui ressemble beaucoup à un désinvestissement, cela fait plaisir de savoir qu’on peut et qu’on veut encore investir. Quand on investit, c’est que l’on pense qu’il y aura un retour sur investissement et c’est donc plutôt de bon augure. Je terminerai en vous disant qu’à mon avis, si l’on regarde ce qui se passe dans le monde de la distribution au Royaume-Uni, dans la psychologie du consommateur et du distributeur chinois, le maître mot de cette journée me paraît être le pragmatisme. Dans notre pays, fortement producteur, notre région très productrice, la plus grande du monde sans doute, notre département lui aussi très producteur malgré les politiques d’arrachage, je crois qu’on n’a jamais autant parlé de pragmatisme qu’à l’époque actuelle, cela va sans doute devenir une obligation. Peut-être avons-nous été jusqu’à présent très théoriciens, organisateurs du monde, de nos appellations, de nos définitions. Il faut sans doute prendre un peu de recul, mais il ne faut pas tout lâcher non plus. On connaît les limites du libéralisme économique. On va bientôt fêter les 100 ans de 1907. On sait que dans l’histoire de ce siècle, l’une des façons de résoudre ces crises d’un marché de surproduction libérale a justement consisté à structurer l’offre et la production jusqu’au statut viticole, aux appellations d’origine, et à la création de l’OIV en 1924. Je crois que la trentaine d’années entre 1907 et la 2ème guerre mondiale, n’aura pas été du temps perdu pour le vin et pour la structuration de l’offre. Simplement, on ne peut plus vivre tout à fait avec ça aujourd’hui mais il faut sans doute encadrer ces marchés internationaux pour en protéger les vertus et la loyauté… même s’il faut un peu de pragmatisme pour regagner ces marchés. Je vous remercie de votre attention. M. Jean KOUCHNER Merci. Je suis ravi de voir que vous restez assis, cela prouve que vous en redemandez, mais la séance est terminée. Je vous remercie de votre participation. Merci à vous, qui avez fait ce voyage de Chine et à vous, qui avez participé. Nous nous reverrons très bientôt. Les actes du colloque vous seront envoyés. 1ER DECEMBRE 2006 89