
L’ACTEUR ET SES ESPACES DE LIBERTÉ 3
La troisième motivation suggérée par le professionnel est celle de règles professionnelles,
transmises par sa profession, et érigée en règle de conduite par son entreprise : le service du
client passe avant toute autre considération. Sans doute entre-t-on là dans le domaine de la
déontologie, mélange d’efficacité bien comprise, de sagesse professionnelle, de manière de vivre
un métier. Intéressante combinaison, à tirer de l’histoire et de la culture d’une profession ou d’une
entreprise (parfois écrite, voire codifiée), qui peut sans doute aider dans bien des décisions. Les
métiers où les entreprises qui ont formalisé ces règles sont d’ailleurs susceptibles de sanctionner
les manquements.
La quatrième motivation avancée par le professionnel, formé dans un établissement fortement
marqué par des valeurs éducatives, fait référence au devoir de mettre en pratique des valeurs
d’honnêteté, de respect d’autrui. C’est au nom de valeurs morales ancrées en soi par notre
appartenance familiale, éducative, sociale que nous orientons le choix de nos décisions et de nos
actions.
Le cinquième niveau de motivation enfin, mis à jour par le professionnel, et que le jeune met plus
de temps à percevoir, est celui du désir, du libre choix, assumé, conscient et conscientisé, de
regarder le client comme personne humaine respectable, digne de sollicitude, vis-à-vis de laquelle
on se sent redevable et responsable en humanité. Par rapport au niveau précédent, même si les
valeurs mises en jeu (honnêteté, respect d’autrui) sont les mêmes, il s’agit de passer de valeurs
reçues à des valeurs choisies, que l’on s’est appropriées. C’est le passage d’une morale reçue
comme une obligation à une éthique librement choisie.
Que conclure ?
L’acteur économique responsable est sans doute partagé, en pratique, entre tous ces niveaux de
motivation. En tout état de cause, il serait fautif de ne pas se préoccuper de l’intérêt de son
entreprise à long terme. Et tant mieux si la loi, les règles professionnelles, ses réflexes éducatifs,
voire parfois une dose de mauvaise conscience, exerce une limitation effective à notre tentation de
faire jouer l’intérêt particulier au détriment d’un intérêt plus général.
Il y a aussi l’enjeu d’être, et de devenir sans cesse davantage, une personne libre, consciente des
motivations choisies qui fondent ses actes. Tel est l’objectif final de toute démarche d’éducation ;
ce vers quoi on ne cesse de tendre tout au long de sa vie3.
D’où la proposition de définition suivante de l’éthique, empruntée à Michel Falise et Jérôme
Régnier : « agir en assumant consciemment ses choix et en fonction de valeurs promotrices de la
dignité de l’Homme ».
Cette définition marque bien le territoire de l’éthique qui est celui de l’agir, du faire, et pas
seulement celui du dire et du penser. Elle fait référence également aux deux facettes de
compréhension de la conscience, c’est-à-dire consciemment (par opposition à la seule habitude),
et selon sa conscience (selon un comportement choisi et assumé).
2. Clarifions nos valeurs
La question des valeurs est également abordée dans cette définition : les valeurs définies comme
étant ce « qui rend désirable un être ou un comportement »4. La règle du jeu est ici clairement
3 À ce stade, on pourra s’interroger sur les rapports entre éthique et foi. L’éthique, enracinée dans la nature
humaine, est facteur d’humanisation qui ouvre à l’universel. « Sans donner la signification ultime de la vie,
l’éthique, par son existence même, contribue à l’éclairer, au-delà des normes et des principes » (Centre
Interdisciplinaire d’Éthique de l’Université Catholique de Lyon). Pour autant, la foi (du moins dans les
religions révélées) procède d’un autre registre, vécu par le croyant comme un appel qui lui est fait
personnellement par Dieu et qui, d’ailleurs comporte en aval des exigences éthiques, en particulier sur la
prise en compte de la dignité irréductible de la personne humaine comme créée à l’image de Dieu. En
revanche, l’éthique est fondée à interroger les religions sur leurs pratiques et fonctionnements (cf dérives
sectaires). Cependant, « la foi, réduite à l’éthique, perd sa spécificité théologique et mystique ; l’éthique,
réduite à la foi, devient une attitude religieuse en laquelle elle se dénature » (Pierre Gire, L’Éthique
aujourd’hui : la conscience et la loi, 1994).