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Sommaire
juillet - août 2013 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours
Bureau de la SOFOP
Président : J. Le c h e v a L L i e r - 1er Vice-Président : c. Ka r g e r - 2e Vice Président : P. La s c o m b e s - Futur 2e Vice Président : c. gL o r i o n
Ancienne Présidente : c. ro m a n a - Secrétaire Général : P. Wi c a r t - Trésorier : F. ac c a d b L e d - Représentant SOFCOT : J. co t t a L o r d a
Membres du Bureau : F. ac c a d b L e d , t. ha u m o n t , F. c h o t e L , r. go u r o n , F. La u n a y , PL. do c q u i e r
la Gazette est dorénavant publié en format A4, an d’être directement imprimée
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Fondateur
J.C. POULIQUEN †
Editorialiste
H. CARLIOZ Paris)
Rédacteur en chef
C. MORIN (Berck)
Membres
J CATON (Lyon)
P CHRESTIAN (Marseille
G FINIDORI (Paris)
J L JOUVE (Marseille
R KOHLER (Lyon)
P LASCOMBES (Nancy)
G F PENNEÇOT (Paris)
M RONGIERES (Toulouse)
J SALES DE GAUZY (Toulouse)
R VIALLE (Paris)
et le GROUPE OMBREDANNE”
Correspondants étrangers
M BEN GHACHEM (Tunis)
R JAWISH (Beyrouth)
I. GHANEM (Beyrouth)
Editeur
SAURAMPS MEDICAL
S.a.r.l. D. TORREILLES
11, boulevard Henri IV
CS 79525
34960 MONTPELLIER Cedex 2
Tél. : 04 67 63 68 80
Fax : 04 67 52 59 05
La Gazette
de la SOciété Française d’Orthopédie Pédiatrique
N°39
Editorial SO.F.O.P.
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux ...............................................................................................2
53/12 ou le bonheur à pleines roues
Une vélobiographie
de J. Beurier ............................................................................................7
Heath Care Delivery in France
with special attention on Pediatric Orthopedics
par JF Dubousset .................................................................................8
Réexion sur la notion oxymoresque
de dysplasie acquise de hanche
par JN Ligier ......................................................................................... 12
Commentaires de R. Seringe pour la Gazette ......................... 13
Technique de xation pelvienne par vis ilio-sacrées
par L. Miladi .........................................................................................15
Comment j’instrumente la région lombo sacrée
dans les scolioses paralytiques
par H. Parent, R. Prébet ....................................................................18
Fixation pelvi-rachidienne
par montage segmentai-re bio-ilio-sacrée.
Un montage en T.
par R. Kabbaj, B. Bouyer, P. Mary, R. Vialle..................................19
La xation lombo-sacro-pelvienne
par C. Morin .........................................................................................21
Lettre ouverte
à Jacques BEURIER en guise d’éditorial
Mon cher Jacques,
Merci de m’avoir rejoint dans la retraite ; je m’y sens
moins seul.
Merci aussi pour bien des choses, même et surtout
si je ne les détaille pas dans ce pseudo-éditorial
dont tu m’as demandé de ne pas faire une hagio-
graphie (que je réserve, d’ailleurs, à mes ennemis) ;
tu vas être obéi. Je me contenterai de détails réels
et peut-être vrais. Ma connaissance de toi vient de
notre (trop brève) collaboration à Saint-Vincent de
Paul, à Saint-Louis, à Trousseau, mais d’autres occa-
sions aussi. Ce ne fut pas en pédalant car tu préfè-
res pour cela être seul. Une fois, une seule fois mais
quelle fois ! Ce fut en montagne. Tu m’as très amica-
lement guidé dans la traversée de la Meije qui reste
peut-être mon plus beau souvenir alpin. Outre
l’expérience transmise tu m’as appris deux choses :
d’abord qu’il ne faut pas prendre pour une prise
rocheuse et able la chaussure du grimpeur précé-
dent ; elle t’a valu une chute et une plaie du front
sans avenir (tu craignais qu’elle ne soit un obstacle
inesthétique à un mariage encore non programmé !
L’avenir a prouvé que non) ; ensuite, qu’une course
éprouvante, longue et fatigante, nempêche pas de
prendre une garde dans la foulée. Il sut pour cela
de s’endormir au volant dans un fossé accueillant,
assez longtemps pour être reposé et éveillé quel-
ques heures plus tard à Saint-Vincent de Paul.
J’ai glané des informations dans l’interview que tu
as donnée à Sébastien Raux ; elle est si claire et tu y
décris si bien ta vie de chirurgien que je n’y reviens
pas. Sauf pour dire que tu peux être heureux de ce
que tu as fait. Peu d’entre nous ont ce droit (moi,
sûrement pas).
Dans une bien agréable rencontre avec ta Caroline
d’élection à la Closerie des Lilas - pour elle un jus de
fruit, pour moi un irish coee - J’ai découvert de toi
bien d’autres aspects ainsi quen d’autres occasions,
banquets de congrès ou déjeuners amicaux.
En bref, tu as eu et tu as une activité tous azimuths,
intense, sans relâche, ecace et satisfaisante. Elle
est professionnelle, la lecture de cette gazette le
montre bien.
Elle est culturelle et je me rappelle une conver-
sation sur Marcel Proust que tu as conclue en me
disant : « Oh ! je le connais tellement par coeur que
maintenant je le lis en allemand ». Qui ne voudrait
lire aussi aisément Proust et l’allemand ? Elle est
sportive, j’en témoigne pour l’alpinisme, très cy-
cliste aussi comme tu en parles si bien dans « 53/12,
le rêve impossible, ou Roue libre ».
A ce sujet, je dois dire mon earement pour l’in-
culture de certains de nos collègues, membres de
l’élite française puisque orthopédistes pédiatres ;
il semble qu’ils n’aient pas lu ton livre, jen ai honte
pour eux. Elle est spirituelle ; la théologie occupe
ta retraite comme l’occupe ta responsabilité de la
communauté protestante du Havre. Elle est fami-
liale et Caroline m’en a parlé avec ferveur mais je
me suis demandé comment et tu as trouvé le
temps, au milieu de tant d’occupations (jen mé-
connais sûrement), de réussir trois enfants.
Voilà, mon cher Jacques, ce que je voulais te dire,
avec une amicale admiration, à toi qui as parfois
douté de la qualité de ta vie par modestie et souci
de perfection.
Henri Carlioz
PS : Je souhaite très fort que « 53/12 » soit accepté
par un bon éditeur et je répondrais volontiers à
tout appel de fonds que lancerait notre Gazette en
ce but. A bon entendeur .
NDLR : La Rédaction de la Gazette approuve plei-
nement cette idée d’H. Carlioz. Que les intéressés,
« membres de l’élite française » et souhaitant faire
reculer « l’inculture » au sein de notre Société, se
fassent connaitre en proposant de parrainer l’œu-
vre « vélo biographique » de notre collègue Jacques
Beurier.
Christian Morin
2
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux
S R : Cher Monsieur Beurier, commencez si vous le voulez
bien, par nous dire où vous travaillez…
J B : Je suis actuellement salarié en Orthopédie Pédiatrique
à la clinique des Ormeaux, et chirurgien vacataire à l’hôpital
du Havre, après un parcours qui fût assez… compliqué.
S R : Pouvez-vous nous détailler ce parcours, en démarrant
du début ?
J B : Je suis né à Nancy le 16 janvier 1947, d’un père médecin
et d’une mère avocat, tous deux protestants, ce qui a beau-
coup marqué ma vie. J’ai vécu mon enfance à Aix en Proven-
ce puis mon adolescence à Paris. J’ai fait mes études médica-
les à la faculté de médecine de Paris et j’ai eu la chance, dès
mon externat de fréquenter le service de Monsieur Merle
d’Aubigné à Cochin, ce qui m’a d’emblée inoculé le virus de
l’orthopédie. C’est aussi au moment de mon externat que
j’ai eu l’honneur d’avoir Raphaël Seringe comme interne, j’y
reviendrai…
S R : Et ensuite pour l’internat ?
J B : J’ai passé linternat en 1969, à une période la révo-
lution était en marche… Après un semestre dans un hôpital
périphérique je suis parti faire mon service militaire pendant
un an en République Centre-Africaine, en pleine «brousse»
mais j’avais la chance d’avoir des possibilités techniques
plutôt bonnes pour l’Afrique : labo, radio, anesthésiste, et
surtout présence de « bonnes sœurs » extrêmement compé-
tentes et dévouées qui mont énormément appris dans tous
les domaines. J’étais seul médecin dans un rayon de 200 km
et il me fallait tout faire ! Cest ainsi que j’ai du réaliser cette
année-là une quarantaine de césariennes ! Des responsabili-
tés incroyables pour moi qui n’avais que 23 ans…
De retour en France ma première année d’internat en or-
thopédie a eu lieu chez Monsieur Debeyre, à l’hôpital Henri
Mondor ; un premier stage extrêmement protable puisque
je pus réaliser ma première prothèse totale de hanche au
terme de cette année ! Ensuite j’ai eu le plaisir de passer, trop
brièvement, chez le Pr. Jean Cauchoix, puis, pendant un an,
chez Raymond Roy-Camille à Poissy. Ce dernier a réellement
marqué ma carrière : il venait dinventer et tentait de faire
connaitre la vis pédiculaire. A ce sujet, je l’ai accompagné
à de nombreux congrès et réunions pour présenter cette
nouveauté, qui à l’époque était très mal acceptée et faisait
l’objet d’un rejet brutal de certains de ses collègues ! Gérard
Saillant, futur grand chirurgien du rachis, était son chef de
clinique, c’est dire si j’étais bien entouré… En outre cest
que j’ai rencontré ma femme ! Roy Camille (« R.R.C. ») était
une personne particulièrement attachante, très accueillante
et d’une grande tolérance. Après Poissy, je devais faire mon
dernier semestre chez le Pr. Michel Postel, grand-maître de
la chirurgie de la hanche, à Cochin, mais, ce qui n’arrivait ja-
mais, j’ai nalement renoncé à ce poste : j’avais découvert
entre temps, notamment lors de remplacements, le bonheur
de l’exercice de l’Orthopédie Pédiatrique. Monsieur Petit, à
Saint Vincent de Paul, m’a accueilli dans son service. Chacun
sait que ce grand Monsieur a donné son nom à une métho-
de de réduction orthopédique de la luxation congénitale de
hanche. Il a également été le premier à réaliser la chirurgie
de l’atrésie de lœsophage, et il était très connu pour sa prise
en charge des fentes labio-palatines…
Son équipe était tout aussi extraordinaire puisque composée
de Pierre Queneau, Henri Carlioz, Jean Dubousset, Jean-Pierre
Lebard, Raphaël Seringe ! La convergence de ces diérentes
personnalités m’a réellement permis de découvrir une autre
approche de la médecine et de la chirurgie.
S R : Jimagine que vous êtes devenu chef de clinique dans
ce service à la n de l’internat…
J B : Non, malheureusement ! A la n de mon internat j’ai
soutenu ma thèse, avec Monsieur Debeyre sur les prothè-
ses de genou « à charnière », mises en place pour traiter la
gonarthrose de la personne âgée, avec des succès variables,
soit dit en passant… Au même moment je me marie, puis
avec ma femme, nous décidons de partir pour la Martini-
que ! Roy Camille qui était martiniquais, m’avait dégoté une
place de chef de clinique dans le « service d’orthopédie » de
Fort-de-France…quil fallait créer! Et ceci me valait égale-
ment d’être chef de service par la même occasion…
Je suis très er de pouvoir dire que j’ai réalisé la première
prothèse totale de hanche de la Martinique, en 1976. A cette
époque il y avait diérent type d‘internes à la Martinique…
Des bons et des moins bons… Parmi les bons, il y avait Yves
Gibon, devenu depuis, mon associé à la clinique du Havre et
qui l’est toujours après 30 ans !
J’ai également découvert le lendemain de mon arrivée un
type formidable, qui s’est présenté à moi en me disant avec
un fort accent toulousain : « Bonjour Monsieur (Il devait avoir
deux ans de moins que moi!), je suis Paul Bonnevialle, votre
interne, et je vous prête ma voiture car vous allez en avoir be-
soin pour vous installer ! ».
Je l’ai eu, pour mon plus grand bonheur, comme interne
pendant toute cette année et depuis nous ne nous sommes
pratiquement jamais quittés ! Cette année martiniquaise fut
pour moi particulièrement enrichissante. J’ai adoré ce petit
coin de France et noué là-bas des amitiés durables. J’y suis
retourné à de nombreuses reprises plus tard, notamment
dans le cadre de missions « scolioses » dans le service d’Yves
Catonne, qui avait repris et considérablement développé le
service d’orthopédie de l’hôpital.
A mon retour en métropole, il n’y avait nulle part une place
de chef de clinique qui me convienne et cest alors que Henri
Carlioz qui quittait Saint Vincent de Paul pour Trousseau vint
à mon secours : il me proposa de prendre des vacations par-
tagées entre Saint Vincent de Paul et Necker Enfants Mala-
des, dans le service de Pierre Rigault et de l’accompagner
dans ce transfert assez problématique… qui passait par
l’hôpital Saint-Louis ! J’ai donc participé à l’ouverture de son
service à Trousseau.
Ce fut une époque absolument passionnante : au sein de
trois équipes j’ai pu côtoyer des gens avec lesquels j’ai conti-
nué d’entretenir des liens non seulement professionnels ou
scientiques, mais aussi amicaux : J.P. Padovani, Pol Le Cœur,
Georges Finidori, et surtout A. Gilbert qui lançait, avec un
dynamisme incroyable la microchirurgie en France, et bien
d’autres. A cette époque, il mest arrivé de voir trois fois
dans la même semaine le même enfant en consultation : à
S.V.P., aux Enfants-Malades et à Trousseau ! Il y avait en outre
énormément de gardes car il n’y avait que deux hôpitaux
pour Paris intra-muros qui étaient de garde pour toute la
3
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux
chirurgie pédiatrique, viscérale et orthopédique ! Je me sou-
viens encore d’une tumeur hépatique rompue et saignant
dans l’abdomen pour laquelle j’ai dû, à Saint-Louis, tasser
des champs avant de transférer l’enfant, « ventre ouvert » à
un chirurgien digestif, contacté chez lui par mes soins, aux
ns d’hépatectomie en urgence… Tout s’est bien terminé…
Heureuse époque !
Après cette année extraordinaire je suis pris comme chef à
La Pitié dans le service de Raymond Roy-Camille. encore
une année passionnante au sein d’une équipe hyper dyna-
mique (peut-être un peu trop parfois !). Il y avait une énorme
activité en chirurgie rachidienne et en traumatologie. Les
gens venaient du monde entier découvrir la vis pédiculaire,
qui commençait sa « carrière ». J’y suis resté un an.
S R : Vous n’arrivez donc jamais comme chef de clinique à
Saint Vincent de Paul ?
J B : Si, j’ai nalement réussi à y faire une année ! J’ai alors eu
le plaisir de travailler avec Pierre Queneau, Seringe et Du-
bousset, et je considère ceci comme mon entrée ocielle
dans la vie active !
Evoluer avec des gens de cette qualité professionnelle était
réellement un honneur. Jean Dubousset se consacrait es-
sentiellement au rachis et aux problèmes posés par les inr-
mes moteurs cérébraux, Raphaël Seringe au pied bot et à la
luxation congénitale de hanche. Toute ma vie, il m’a aidé de
ses conseils et j’ai essayé d’être dèle à son enseignement...
Queneau, lui, savait tout sur tout ! Par contre, au sein d’une
telle équipe, il nétait pas raisonnable de penser à une car-
rière hospitalo-universitaire… Ni Queneau, ni Seringe, ni
Dubousset nétaient à cette époque P.U. ou même P.H…La
question de mon avenir professionnel se posait avec acui-
té…
Alors que Jean Dubousset me proposait de venir l’aider à
la clinique Labrouste, R.R.C. me transmit une proposition
d’association dans une clinique du Havre, pour y prendre en
charge l’orthopédie pédiatrique et le rachis adulte. J’avais
d’autres propositions mais le Havre avait l’avantage (qui s’est
parfaitement vérié par la suite) d’être à la distance idéale
de Paris, ni trop près ni trop loin ! Je me suis donc installé en
privé, moi qui aurais tant désiré travailler dans le public…
C’était en 1979. Mes débuts furent assez diciles et même
conictuels, certains de mes associés « adultes » trouvant
que je nétais pas très rentable...
Après quelques péripéties juridiques et quelques départs,
l’ambiance s’est arrangée et les choses ont évolué dans le
bon sens. Il y avait au Havre, à mon arrivée, une énorme de-
mande de la part des centres d’enfants handicapés. Me rap-
pelant une phrase de Dubousset qui disait : « il faut y aller »,
je me suis rendu dans ces établissements. A cette époque les
enfants IMC étaient parqués dans de grandes salles froides,
posés par terre. Presque tous avaient une scoliose à opérer,
la moitié au moins une hanche luxée !
J’arrivais au bon moment : enn, ils avaient un spécialiste
pour s’occuper de leurs problèmes orthopédiques ! Je dois
avouer par ailleurs que la municipalité communiste du Ha-
vre m’a beaucoup aidé bien que je travaille « dans le privé »
(il n’y avait, parait-il, pas de place à l’hôpital pour moi à cette
époque…).
S R : Quelle était votre « semaine type » dans cet exercice
privé ?
J B : Je nexerçais pas uniquement à la clinique. J’avais obte-
nu une (!) vacation à S.V.P. que j’ai gardée tout au long de ces
années… Voilà comment cela se passait : le lundi j’opérais
au Havre une scoliose, plus ou moins quelques autres trucs
« faciles ». Le lundi soir je prenais la voiture, direction Paris.
Le mardi matin, jopérais, quelquefois avec son aide, un ma-
lade de Jean Dubousset, en général un rachis neurologique.
Le mardi après-midi cétait le « sta » à S.V.P. je pouvais
montrer les dossiers de mes malades havrais les plus lourds.
Souvent le « conseil » était : « pas simple ! Fais pour le mieux et
tiens nous au courant…». Le mercredi matin j’opérais à Pa-
ris à la clinique Labrouste soit un « gros malade » (scoliose
idiopathique par exemple) soit plusieurs moins importants.
Il s’agissait souvent de patients de centres de la région pari-
sienne que je visitais environ une fois par mois ou de mala-
des de Jean Dubousset, qu’il me conait pour une raison ou
pour une autre. Jétais très er de la conance absolue qu’il
me témoignait… Je faisais un saut à Saint Vincent pour voir
la scoliose de la veille, et lais en voiture, dormant plus ou
moins au volant, au Havre pour ma consultation à la clinique
qui commençait, en principe, à 14 h.
Le jeudi, consultations dans les centres d’enfants handica-
pés : ce rite hebdomadaire était et reste pour moi un mo-
ment essentiel de ma semaine. Voir les enfants dans leur
environnement, avec les gens qui s’occupent d’eux au quo-
tidien, permet de comprendre leurs besoins, d’agir rapide-
ment en cas de besoin, de mettre en conance les équipes
soignantes et les parents. Je dois dire que les années 80 ont
été marquées par des progrès extraordinaires dans la prise
en charge des enfants handicapés, à tous points de vue : sur-
veillance médicale, accès aux soins, scolarisation, etc.… cela
a été particulièrement évident dans certaines pathologies
(ainsi par exemple les myopathies).
Je suis assez er d’avoir un peu contribué, dans mon pe-
tit coin, à cette évolution. Je n’y ai aucun mérite : lépoque
était « porteuse »Il semble qu’elle le soit beaucoup moins
maintenant et tout le monde s’accorde pour déplorer une
détérioration de la prise en charge de ces enfants. Eets de
la crise ou évolution de la société ?... Il nous faut rester vigi-
lant.
La n de la semaine se passait au bloc de la clinique et se
concluait le samedi par une bonne consultation de cas « spé-
ciaux »…C’était une autre époque où il était possible dêtre «
à trois endroits à la fois » pour opérer ses propres malades…
ou ceux d’un autre praticien !
Je suis conscient que ceci n’est plus du tout envisageable
aujourd’hui, notamment pour des raisons médico-légales.
Mais il métait possible de fonctionner de cette manière
car je savais pouvoir, à Paris, compter sur l’appui de toute
l’équipe de S.V.P. en cas de « pépin » ; je pense en particulier
à léquipe anesthésique menée par Odile Godiche et Anne
Marie Dubousset, deux anesthésistes géniales du bloc de
Saint Vincent !
C’est en travaillant avec elles que nous avons compris com-
ment organiser la chirurgie du rachis des jeunes myopathes :
nous avons, après de nombreux déboires, compris ensem-
ble qu’il fallait opérer ces enfants avant que leur fonction
4
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux
cardiaque ne se dégrade, et donc opérer des dos pas encore
scoliotiques ! A Labrouste il y avait également un trio d’anes-
thésistes formidables : ils se connaissaient depuis la 6ème,
avaient fait ensemble leur cursus médical, et travaillaient
ensemble dans le même service ! Ils ne connaissaient pas
grand-chose à la chirurgie pédiatrique au début, mais ils s’y
sont mis avec un enthousiasme et une énergie formidables
et très rapidement linstallation du malade, le réveil per opé-
ratoire (eh oui…), l’examen neurologique et la surveillance
post opératoire ne leur ont plus fait peur. J’avais en eux une
conance totale et je ne l’ai pas regretté.
Cette activité « multisite » et « multiville » a duré pendant près
de 20 ans puis j’ai abandonné la pratique privée à Paris :
d’autres chirurgiens « permanents » étaient et je craignais
qu’un jour un accident ne se produise. Parallèlement, je pou-
vais enn, il y a 10 ans, entrer à l’hôpital du Havre dans le
service de chirurgie pédiatrique, avec un statut assez bâtard
mais qui m’a permis d’y travailler avec le plus grand bonheur
et, semble-t-il, à la satisfaction générale. J’y ai introduit, en-
tre autres la chirurgie de la scoliose, l’ostéotomie du bassin
etc. Ce qui n’a pas empêché que je doive quitter tout récem-
ment ce service j’avais été si heureux, pour des raisons
sur lesquelles il est inutile de s’appesantir. J’ai toutefois pu
conserver une consultation de scolioses dans le service d’or-
thopédie…adulte ! Et c’est dans ce service que je suis obligé
d’hospitaliser les enfants que je prends en charge
S R : Point de convergence entre votre formation de rachis
adulte et votre amour de l’orthopédie pédiatrique, la sco-
liose vous a donc beaucoup intéressé… ?
J B : Oui, bien entendu. D’abord parce que j’ai baigné dès
mes débuts dans le rachis (Cauchoix, R.R.C., Dubousset ….)
et que j’ai pu opérer très rapidement beaucoup de malades
à la clinique comme à l’hôpital. Au début j’instrumentais
les scolioses neurologiques par un Luque-Galveston qui
est une technique très ecace chez des malades à haut ris-
que. Puis j’ai vécu « de l’intérieur » lépopée du C.D. qui fut
la période la plus passionnante de ma carrière car j’ai été
associé intimement dès le premier jour à cette aventure. Je
peux vous raconter comment tout a démarré. Monsieur Co-
trel doit quitter son service à Berck, alors qu’il est en train
de jeter dans son atelier les bases du CD : des prises mul-
tiples sur les vertèbres, par des crochets, deux tiges et non
pas une comme dans le Harrington. Ces tiges, « diamantées
», sont reliées par deux DTTIl décide de montrer cela à
Dubousset. Ce dernier, comme à son habitude, est passion-
par ce nouveau concept. Tous deux en parlent en déjeu-
nant au bistrot faisant face à l’hôpital, puis décident de se
lancer ! La première mondiale a lieu à Saint Vincent de Paul,
en janvier 1981 ! Très rapidement par la suite sont apparus
les bénéces « tridimensionnels » de cette technique avec la
dérotation puis le cintrage in-situ. Comme pour la vis pédi-
culaire de Roy Camille, quelques années auparavant, j’ai pu
observer les réactions négatives, en France, de la plupart des
acteurs dans ce domaine ! Néanmoins, parallèlement à ces
réactions, de nombreux patrons nous envoyaient leurs in-
ternes pour se formeret pour les informer ! En fait, Jean
Dubousset a fait connaître cette technique, en partant un an
à Miami chez Monsieur Schuelbarger, une année qui lui a
permis de convaincre de grands chirurgiens comme Winter
et Moe, pendant que Monsieur Cotrel protait de son im-
mense réputation pour répandre la « bonne parole ». Avec
de tels défenseurs, la supériorité de cette méthode a été ac-
ceptée rapidement par les américains et le CD a inondé la
France par la suite… puisqu’il venait des Etats Unis ! Pour ma
part j’ai beaucoup communiqué sur ce sujet dans certains
pays comme l’Allemagne et j’ai aller opérer des patients
un peu partout en France et en Europe. J’ai aussi beaucoup
fréquenté Michel Guillaumat qui, à Saint-Joseph, lançait
l’utilisation du CD dans les déformations rachidiennes de
l’adulte. Je crois pouvoir dire que j’ai, à cette époque, contri-
bué à former à cette technique un grand nombre de chirur-
giens français et étranger, notamment ceux qui venaient
l’apprendre à S.V.P.
L’année « américaine » de J.F.D. n’a pas été facile pour moi :
plusieurs fois, cette année-là, il m’a fallu en plus du mardi, re-
venir à Paris le vendredi et j’ai même fait « un saut » à Miami
pour le congrès du groupe CDmais cétait vraiment pas-
sionnant. On avait l’impression que tout était possible.
S R : Et cest Sofamor qui se fait connaître grâce à ce maté-
riel…
J B : Oui, mais au début c’était franchement artisanal ! Si vous
aviez prévu de faire une scoliose, vous calculiez à peu près
le nombre de crochets nécessaires, en fonction du niveau
du montage, puis vous appeliez monsieur Cotrel, pour qu’il
les fasse fabriquer dans son atelier. Il arrivait à la gare du Ha-
vre avec le matériel sous le bras : crochets, tiges, DTT, dans
une boîte en carton. Le tout était passé au four pendant
que nous étudions le dossier de l’enfant ! Je me souviens du
jour fameux où LA boîte de matériel CD était égarée à Saint
Vincent, alors que j’en avais besoin le lendemain au Havre.
J’appelle l’IBODE et lui dit : « tu vas à la gare et tu la donnes à
n’importe qui dans le train ». Elle s’est exécutée en la donnant
à une gentille mamie, qui sest empressée de prévenir la po-
lice, croyant avoir aaire à un engin explosif. Il a fallu aller la
récupérer au Fort de Vincennes ! Ma femme a fait l’aller-re-
tour à Paris en voiture pour la rapporter à temps !
S R : Est-ce que toute cette émulation vous a donné envie
d’inventer, vous aussi, votre matériel rachis ?
J B : J’ai tenté d’apporter ma petite pierre à lédice en créant
un connecteur ilio-sacré assez délicat d’utilisation, mais per-
mettant d’obtenir une bonne xation du rachis au bassin. Il
consiste en deux cylindres apposés l’un contre l’autre per-
pendiculairement, et a été commercialisé par SofamorIl
est toujours utilisé. J’ai aussi inventé et déposé le brevet de
ce que certains ont appelé le « S.C.S. » (Spine Clip System),
mais ma modestie m’empêche de métendre sur le sujet…
J’ai réalisé et développé avec un de mes associés « viscéral »
la discectomie de L5-S1 par laparoscopie pour le traitement
des hernies discales, (publiée dans Rachis 1994, volume 6).
Cette technique m’a valu de nombreuses critiques …et a été
développée par la suite notamment pour les arthrodèses
par d’autres auteurs. Enn j’avais mis au point lors de mon
clinicat à la Pitié, une plaque occipito-cervicale utilisée pour
la stabilisation du rachis cervical traumatique ou tumoral :
elle est tordue à 90° et s’adapte parfaitement à la charnière
occipito-cervicale. Lécart entre les trous de la plaque corres-
5
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux
pond à l’écart entre deux massifs articulaires de diérents
niveaux. Elle rend encore bien des services dans les cas « li-
mite ».
S R : Vous parlez beaucoup de chirurgie rachidienne adulte.
En faites-vous encore beaucoup ?
J B : Non, j’ai arrêté cette activité que j’aimais et qui, à la dif-
férence de la chirurgie pédiatrique, m’a fait vivre pendant de
nombreuses années (en trente ans j’ai opéré des centaines
de hernies discales et arthrodésé un nombre considérable
de rachis). J’ai eu la chance de rencontrer un jeune chirurgien
passionné de rachis adulte (et du Havre !), élève du Profes-
seur Guigui. Il s’appelle Eric Olivier, et a repris cette activité
qui devenait de plus en plus chronophage. Ceci m’a permis
de me consacrer exclusivement à la chirurgie pédiatrique.
Ceci étant, même si je suis content d’avoir renoué avec ma
passion, je serai heureux de passer le ambeau à un jeune
motivé…
S R : Justement, motivons les jeunes à l’exercice orthopédi-
que pédiatrique privé ! Quelle est, selon vous, la place de
l’orthopédie pédiatrique dans cet exercice ?
J B : Je pense que celui-ci est tout à fait envisageable dans
une grande ville comme Paris. Pour d’autres cités de pro-
vince, cela me paraît plus délicat. En ce qui me concerne, il
faut bien convenir que j’aurais sans doute eu plus de facilités
et moins de soucis nanciers à pratiquer cette chirurgie en
étant temps plein dans un centre hospitalier important. Cela
n’a pas pu se réaliser ni à Paris ni au Havre, deux villes où j’ai
pourtant énormément travaillé… à l’hôpital, pratiquement
pour rien ! Mes autres essais, pour obtenir un poste hospita-
lier ont tous échoué, notamment dans un grand hôpital du
Sud de la France j’avais été nommé, puis « dé-nommé »
à quelques jours de prendre mon poste, de façon assez in-
compréhensible (pour moi en tous cas…). Si lon choisit le
privé il ne faut pas le faire pour l’argent ! Par exemple, je me
vois mal en consultation demander un dépassement à une
maman qui m’amène son enfant atteint d’un pied bot…
C’est un problème, parce que, en privé le prix de l’assurance
annuelle de ce mode d’exercice est réellement ruineux ! Et
il double si vous décidez de faire du rachis ! Le problème de
la chirurgie orthopédique pédiatrique privée aurait gagné à
être abordé dans nos instances professionnelles et en tout
premier lieu au G.E.O.P. devenu SOFOP, mais, pour des rai-
sons assez simples à comprendre cela n’a jamais été le cas :
cette société (fort utile par ailleurs, et que j’aime beaucoup,
depuis sa fondation) ne se passionne guère pour ce qui n’est
pas hospitalier ou universitaire.
La solitude est également parfois très lourde à supporter
et il est indispensable de pouvoir s’adosser à une solide
équipe, comme cela a été mon cas avec Jean Dubousset
et l’équipe de S.V.P. En outre les contraintes administratives
(Orthorisq…) sont de plus en plus lourdes, l’administration
des cliniques et la plupart des anesthésistes peu enclins à
prendre des risques ou à créer, des structures spécialisées
pour une chirurgie généralement assez lourde, peu abon-
dante et peu rentable ; bref je ne pense pas que l’évolution
de la médecine, de notre société et de notre spécialité favo-
risent vraiment l’essor de l’orthopédie pédiatrique privée.
Il faut absolument avoir la vocation et l’on parvient à sur-
monter toutes les dicultés. Pour ma part j’ai résolu (im-
parfaitement) le problème en devenant depuis un an sala-
rié de ma clinique, je ne suis donc plus ociellement dans
le secteur privé même si je travaille exactement « comme
avant ». Ce qui est réjouissant dans le cadre de cet exercice
privé et solitaire, c’est le lien qui s’établit entre le chirurgien,
les patients et les familles... Il s’agit d’un rapport très proche,
presque intime, ressemblant à celui quentretient le méde-
cin de famille avec ses malades. Par exemple, je donne mon
numéro de téléphone portable à tous mes opérés : ceci en-
courage une relation privilégiée, et permet d’être averti en
cas de problème. Je me rends compte de ce lien particulier
en me promenant dans ma petite ville de province : je croise
souvent mes ex-opérés devenus adultes, et cela donne lieu à
des retrouvailles sympathiques et conviviales. J’ai rarement
à changer de trottoir ! Enn il y a certains domaines de la
chirurgie qu’il faut accepter de laisser de côté : ainsi pour les
tumeurs, je ne réalise que la biopsie puis je passe la main.
Les grandes malformations des membres, les allongements
par Ilizarov, sont également des domaines que j’ai abandon-
nés.
Pour clore ce chapitre je dirai qu’il faut d’abord et avant
tout aimer les enfants (pardon pour cette évidence mais
je pense quil convient de la répéter), avoir les reins solides,
être disponible et ne pas s’attendre à faire fortune. Moyen-
nant quoi cest indiscutablement une aventure fantastique
et les satisfactions qu’on en tire compensent largement les
contraintes que je viens d’évoquer.
S R : Je crois savoir que vous avez pris le temps au cours de
votre carrière de partir en mission humanitaire…
J B : Eectivement, outre mon année de coopération en
Centre-Afrique, je suis parti au Congo il y a 3 ans, et à Haïti
avec la Croix Rouge Internationale juste après le séisme.
D’ailleurs j’y retourne au mois de janvier avec Médecins Sans
Frontières. J’encourage bien évidemment les plus jeunes à
penser, dans l’avenir à ce type d’engagement, qui permet
de découvrir une toute autre pratique, ainsi que des cultu-
res diérentes. Par exemple les Haïtiens sont pour moi un
peuple volontaire et travailleur, loin de l’image quen ont
donnée les médias ces derniers temps… Il faut dire que j’ai
travaillé cette passion des cultures étrangères au cours de
mes voyages à vélo…
S R : A vélo ?? Comment ça ?
J B : Oui, à vélo. J’ai été pendant longtemps passionné d’al-
pinisme, mais depuis mon mariage et surtout depuis que je
suis père, je consacre une bonne part de mes loisirs au vélo.
Ma pratique de ce sport s’étend du circuit dominical classi-
que jusqu’à l’aventure d’un Le Havre-Istanbul !
S R : Istanbul ? Cest un peu loin pour y aller en vélo… Et de
façon pratique, comment faîtes-vous ?
J B : Une des premières règles que je me suis imposée est
de partir seul : j’ai pris goût à la solitude et je ne veux pas
entrainer un innocent dans un « Titanic vélocipédique » * !
Comprenez par-là que tout le monde n’aime pas chercher
une auberge ou un hôtel, en vélo, de nuit et sous la pluie,
quelque part en Bulgarie et donc je préfère partir seul
* extrait du livre de Jacques Beurier, intitulé « Roues libres », une œuvre
qui mériterait une édition tant elle plairait aux vélocipédistes convain-
cus, et autres amateurs d’aventures rocambolesques !
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