
Entretien réalisé avec Jacques Beurier
par S. Raux
S R : Cher Monsieur Beurier, commencez si vous le voulez
bien, par nous dire où vous travaillez…
J B : Je suis actuellement salarié en Orthopédie Pédiatrique
à la clinique des Ormeaux, et chirurgien vacataire à l’hôpital
du Havre, après un parcours qui fût assez… compliqué.
S R : Pouvez-vous nous détailler ce parcours, en démarrant
du début ?
J B : Je suis né à Nancy le 16 janvier 1947, d’un père médecin
et d’une mère avocat, tous deux protestants, ce qui a beau-
coup marqué ma vie. J’ai vécu mon enfance à Aix en Proven-
ce puis mon adolescence à Paris. J’ai fait mes études médica-
les à la faculté de médecine de Paris et j’ai eu la chance, dès
mon externat de fréquenter le service de Monsieur Merle
d’Aubigné à Cochin, ce qui m’a d’emblée inoculé le virus de
l’orthopédie. C’est aussi au moment de mon externat que
j’ai eu l’honneur d’avoir Raphaël Seringe comme interne, j’y
reviendrai…
S R : Et ensuite pour l’internat ?
J B : J’ai passé l’internat en 1969, à une période où la révo-
lution était en marche… Après un semestre dans un hôpital
périphérique je suis parti faire mon service militaire pendant
un an en République Centre-Africaine, en pleine «brousse»
mais où j’avais la chance d’avoir des possibilités techniques
plutôt bonnes pour l’Afrique : labo, radio, anesthésiste, et
surtout présence de « bonnes sœurs » extrêmement compé-
tentes et dévouées qui m’ont énormément appris dans tous
les domaines. J’étais seul médecin dans un rayon de 200 km
et il me fallait tout faire ! C’est ainsi que j’ai du réaliser cette
année-là une quarantaine de césariennes ! Des responsabili-
tés incroyables pour moi qui n’avais que 23 ans…
De retour en France ma première année d’internat en or-
thopédie a eu lieu chez Monsieur Debeyre, à l’hôpital Henri
Mondor ; un premier stage extrêmement protable puisque
je pus réaliser ma première prothèse totale de hanche au
terme de cette année ! Ensuite j’ai eu le plaisir de passer, trop
brièvement, chez le Pr. Jean Cauchoix, puis, pendant un an,
chez Raymond Roy-Camille à Poissy. Ce dernier a réellement
marqué ma carrière : il venait d’inventer et tentait de faire
connaitre la vis pédiculaire. A ce sujet, je l’ai accompagné
à de nombreux congrès et réunions pour présenter cette
nouveauté, qui à l’époque était très mal acceptée et faisait
l’objet d’un rejet brutal de certains de ses collègues ! Gérard
Saillant, futur grand chirurgien du rachis, était son chef de
clinique, c’est dire si j’étais bien entouré… En outre c’est là
que j’ai rencontré ma femme ! Roy Camille (« R.R.C. ») était
une personne particulièrement attachante, très accueillante
et d’une grande tolérance. Après Poissy, je devais faire mon
dernier semestre chez le Pr. Michel Postel, grand-maître de
la chirurgie de la hanche, à Cochin, mais, ce qui n’arrivait ja-
mais, j’ai nalement renoncé à ce poste : j’avais découvert
entre temps, notamment lors de remplacements, le bonheur
de l’exercice de l’Orthopédie Pédiatrique. Monsieur Petit, à
Saint Vincent de Paul, m’a accueilli dans son service. Chacun
sait que ce grand Monsieur a donné son nom à une métho-
de de réduction orthopédique de la luxation congénitale de
hanche. Il a également été le premier à réaliser la chirurgie
de l’atrésie de l’œsophage, et il était très connu pour sa prise
en charge des fentes labio-palatines…
Son équipe était tout aussi extraordinaire puisque composée
de Pierre Queneau, Henri Carlioz, Jean Dubousset, Jean-Pierre
Lebard, Raphaël Seringe ! La convergence de ces diérentes
personnalités m’a réellement permis de découvrir une autre
approche de la médecine et de la chirurgie.
S R : J’imagine que vous êtes devenu chef de clinique dans
ce service à la n de l’internat…
J B : Non, malheureusement ! A la n de mon internat j’ai
soutenu ma thèse, avec Monsieur Debeyre sur les prothè-
ses de genou « à charnière », mises en place pour traiter la
gonarthrose de la personne âgée, avec des succès variables,
soit dit en passant… Au même moment je me marie, puis
avec ma femme, nous décidons de partir pour la Martini-
que ! Roy Camille qui était martiniquais, m’avait dégoté une
place de chef de clinique dans le « service d’orthopédie » de
Fort-de-France…qu’il fallait créer! Et ceci me valait égale-
ment d’être chef de service par la même occasion…
Je suis très er de pouvoir dire que j’ai réalisé la première
prothèse totale de hanche de la Martinique, en 1976. A cette
époque il y avait diérent type d‘internes à la Martinique…
Des bons et des moins bons… Parmi les bons, il y avait Yves
Gibon, devenu depuis, mon associé à la clinique du Havre et
qui l’est toujours après 30 ans !
J’ai également découvert le lendemain de mon arrivée un
type formidable, qui s’est présenté à moi en me disant avec
un fort accent toulousain : « Bonjour Monsieur (Il devait avoir
deux ans de moins que moi!), je suis Paul Bonnevialle, votre
interne, et je vous prête ma voiture car vous allez en avoir be-
soin pour vous installer ! ».
Je l’ai eu, pour mon plus grand bonheur, comme interne
pendant toute cette année et depuis nous ne nous sommes
pratiquement jamais quittés ! Cette année martiniquaise fut
pour moi particulièrement enrichissante. J’ai adoré ce petit
coin de France et noué là-bas des amitiés durables. J’y suis
retourné à de nombreuses reprises plus tard, notamment
dans le cadre de missions « scolioses » dans le service d’Yves
Catonne, qui avait repris et considérablement développé le
service d’orthopédie de l’hôpital.
A mon retour en métropole, il n’y avait nulle part une place
de chef de clinique qui me convienne et c’est alors que Henri
Carlioz qui quittait Saint Vincent de Paul pour Trousseau vint
à mon secours : il me proposa de prendre des vacations par-
tagées entre Saint Vincent de Paul et Necker Enfants Mala-
des, dans le service de Pierre Rigault et de l’accompagner
dans ce transfert assez problématique… qui passait par
l’hôpital Saint-Louis ! J’ai donc participé à l’ouverture de son
service à Trousseau.
Ce fut une époque absolument passionnante : au sein de
trois équipes j’ai pu côtoyer des gens avec lesquels j’ai conti-
nué d’entretenir des liens non seulement professionnels ou
scientiques, mais aussi amicaux : J.P. Padovani, Pol Le Cœur,
Georges Finidori, et surtout A. Gilbert qui lançait, avec un
dynamisme incroyable la microchirurgie en France, et bien
d’autres. A cette époque, il m’est arrivé de voir trois fois
dans la même semaine le même enfant en consultation : à
S.V.P., aux Enfants-Malades et à Trousseau ! Il y avait en outre
énormément de gardes car il n’y avait que deux hôpitaux
pour Paris intra-muros qui étaient de garde pour toute la