PAC ANALYSE 2014/25
redistributive par un Etat ou l’autarcie dans une organisation économique fermée.
Cette critique, dans la diversité de ses approches, conteste une vision de l’homme
parfaitement autodéterminé, seul maître de ses actes, strictement égoïste, en rivalité
constante avec les autres pour l’usage ou la possession de biens et totalement
rationnel. C’est d’ailleurs le concept dominant de l’interprétation de la nature humaine
aujourd’hui et qui s’amplifie encore par les logiques de la rentabilité, du management
ou de la compétitivité. Il s’agit de mettre en cause la vision existentielle du
capitalisme et d’interroger le sens de notre adhésion à ce système. Parmi la
multitude et la profondeur des analyses remettant en cause l’anthropologie de
l’homme capitaliste, soulignons celle de Christian Ansperger qui procède à une
véritable critique existentielle du capitalisme. Celui-ci fonctionne remarquablement
car il nourrit nos angoisses, devant la mort et devant les autres, tout en apportant
une illusion de réponse, ce qui fait sa terrifiante force. Il attise notre désir d’être
immortel et reconnu par les autres, par des actes économiques, de la production à la
consommation, du travail à l’épargne, qui nous confinent dans la fiction de l’élixir
d’immortalité et de reconnaissance sociale éternelle. Cycle infernal et sans fin des
anxiétés et des désirs de les surmonter qui se fécondent mutuellement et permettent
l’amplification permanente du système économique dominant.
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Deuxième perspective : la critique morale du capitalisme. En prenant comme point
de départ les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, cette critique considère que le
capitalisme prolifère sur nos vices (avidité, cupidité, luxe, compétition, transgression
des règles,…) et les encourage dans une spirale mortifère. La tyrannie de l’argent
détruit peu à peu toutes les autres valeurs comme la bienveillance, la générosité, la
solidarité, l’honnêteté, ce que Georges Orwell nomme la décence ordinaire. Une
dénonciation de l’immoralité du capitalisme qui doit dès lors être régulé par des
limites à l’emprise du marché et aux injustices qui en résultent. C’est tout le sens de
l’œuvre du philosophe américain Michael Sandel qui fixe une des limites à la
marchandisation quand l’argent corrompt la nature même du bien ou du service.
Peut-on acheter une amitié, un Prix Nobel, le ventre d’une femme pour y porter un
enfant, une présentation d’excuses, l’adoption d’un bébé, un rein, un déchet
nucléaire ? Non car la mise sur le marché d’un tel bien ou service dénaturerait
profondément son essence même, sa nature intrinsèque. Est-il normal de privilégier
un régime économique qui creuse des inégalités abyssales, détruit la planète,
blanchit l’argent du crime, permet à la finance d’empocher des gains en faisant subit
les pertes à la collectivité ? Selon Mandeville et Smith, les vices privés devaient
produire de la vertu publique. On l’a exprimé plus haut. Force est de constater que
l’ambition, la vanité et l’égoïsme de chacun qui par la dialectique du capitalisme
débouche sur des impasses planétaires et des inégalités vertigineuses n’entrent pas
vraiment dans le domaine de l’éthique. Certes la simple moralisation du capitalisme
empêcherait toute vraie réforme et ne signerait qu’une forme de néocapitalisme à
visage humain. La logique alternative à la main invisible serait au contraire une vision
politique et économique qui assurerait la prospérité à tous les terriens par
l’émergence des biens communs, de l’Etat Providence, des mécanismes de
solidarité, de limites drastiques à la prédation des écosystèmes. Renversement de
perspective : c’est l’attention aux autres et non exclusivement à soi qui produirait de
l’harmonie, de la concorde et de la coopération. La main se doit de devenir visible.