Juste valeur ou non :
un débat mal posé
Novembre 2008
Lionel Escaffre
Chercheur associé à l’EDHEC Financial Analysis
and Accounting Research Centre
Philippe Foulquier
Professeur de finance et comptabilité à l’EDHEC
et Directeur de l’EDHEC Financial Analysis and Accounting Research Centre
Philippe Touron
Professeur de comptabilité à l’EDHEC
EDHEC FINANCIAL
ANALYSIS AND ACCOUNTING
RESEARCH CENTRE
393-400 promenade des Anglais
06202 Nice Cedex 3
Tél. : +33 (0)4 93 18 32 53
Fax : +33 (0)4 93 18 78 41
2
Dans le cadre de l’élaboration de mesures visant à juguler la crise financière actuelle, un
large débat s’est ouvert sur la part de responsabilité de la comptabilité en juste valeur
dans l’accélération des tendances. Ce
position paper
montre qu’un débat mal posé a
conduit à des amendements comptables contra-productifs par rapport à leurs objectifs.
En s’interrogeant sur la pertinence des accusations formulées sur la juste valeur et des
réponses proposées eu égard au rôle de la comptabilité, nous apportons les clefs de
compréhension de ce débat et des propositions de mesures afin d’améliorer la mise en
œuvre de la comptabilité en juste valeur et de la rendre plus pertinente par rapport aux
réalités économiques des banques et plus généralement des entreprises.
Notre propos se justifie par le fait que nous considérons que les détracteurs de la
comptabilité en juste valeur ont omis de considérer le problème plus en amont, c’est-à-
dire, de s’interroger préalablement sur le rôle de la comptabilité. Cette dernière a pour
objectif de fournir la description la plus fiable possible de la situation patrimoniale d’une
entreprise, à un instant donné, dans l’environnement qui prévaut au moment de l’arrêté
des comptes. Les états financiers ont donc un rôle informatif et non prudentiel. Même si la
doctrine comptable a évolué ces dernières années vers des acceptions plus financières, la
comptabilité ne peut se substituer à l’analyse financière et prudentielle.
Afin de réduire la pro-cyclicité du cadre comptable, certains ont proposé des mesures de
suspension, voire de suppression de la juste valeur. Les amendements d’octobre 2008 aux
IFRS 7 et IAS 39 vont d’ailleurs dans ce sens, puisqu’ils autorisent sous certaines conditions,
à traiter désormais au coût historique, des opérations considérées jusqu’alors en juste
valeur. Ce traitement est de nature à occulter la réelle exposition aux risques des entreprises
et à amplifier la défiance de la communauté financière qui, comme au cours de la crise
financière précédente au début de ce millénaire, poursuivra sa quête d’informations en
juste valeur.
En effet, en 2002, alors que la comptabilité était en coût historique dans la plupart
des pays européens, le caractère pro-cyclique des règles comptables avait déjà été
dénoncé. A cette époque, les compagnies d’assurance avaient enregistré des provisions pour
dépréciation durable massives les contraignant à céder une large partie de leurs portefeuilles
actions et à effectuer des augmentations de capital pour reconstituer leur solvabilité.
Dès 2006, nos travaux de recherche ont montré l’impact sur la gestion des entreprises et
les limites des choix de certains traitements comptables retenus par l’IASB. Néanmoins, les
accusations formulées aujourd’hui à l’égard de la juste valeur nous paraissent totalement
biaisées et ne peuvent à ce titre servir de base à la réflexion sur une sortie de crise. Ce n’est
pas parce que la mesure de la juste valeur et les choix des traitements comptables retenus
par l’IASB sont très discutables, qu’il est nécessaire pour autant de rejeter la comptabilité
en juste valeur. De notre point de vue, un retour à la comptabilité en coût historique
constituerait un mauvais choix et ne ferait que prolonger la crise, comme ce fut le cas lors
de la crise bancaire et financière japonaise.
Si la comptabilité en juste valeur conduit à refléter un affaiblissement des bilans des
banques, il n’est pas de son ressort de décider dans quelle mesure cette réduction des fonds
propres comptables, doit se traduire par une demande de capital additionnelle et/ou une
Résumé
Résumé
3
Ce document constitue une synthèse de travaux scientifiques conduits au sein de l'EDHEC. Pour plus d'informations, nous vous
prions de vous adresser à Joanne Finlay de la direction de la recherche de l'EDHEC : joanne.fi[email protected]
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et n'engagent pas la responsabilité de l'EDHEC.
réduction de l’activité. Ce rôle incombe aux régulateurs. La comptabilité n’est qu’un des
instruments d’information disponibles et les décisions des régulateurs doivent se fonder
également sur la réelle exposition à la crise des institutions financières, sur leur capacité à
améliorer leur situation dans un proche avenir, et de façon plus générale, sur la qualité de
leur management à gérer et redresser la situation. Cette dimension prospective ne relève
pas du rôle de la comptabilité.
A propos des auteurs
4
Lionel Escaffre est chercheur associé au
pôle « Analyse Financière et Comptabilité »
de l’EDHEC, commissaire aux comptes près
de la Cour d'Appel de Paris, et professeur
de comptabilité et de contrôle de gestion à
l’Université d’Angers. En 2003, il a créé un
cabinet conseil spécialisé dans les normes
et pratiques comptables qui intervient en
particulier sur les IFRS, les US GAAP et
l’évaluation des instruments financiers.
Il siège au Conseil National de la Comptabilité,
à la commission formation du Conseil
Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables,
et est membre du conseil syndical de
l’Institut Français des Experts-Comptables et
Commissaires aux Comptes. Lionel Escaffre a
publié ses travaux sur les normes comptables
internationales, nord-américaines, et françaises
dans des revues scientifiques et des ouvrages ; il
contribue également aux revues professionnelles
Option Finance
et
Banque Magazine
. Il est
titulaire d’un Doctorat en Sciences de Gestion
de l’Université Paris IX Dauphine.
Philippe Foulquier est professeur de
finance et de comptabilité et directeur du pôle
« Analyse Financière et Comptabilité » à l’EDHEC.
Après avoir débuté sa carrière à la direction
scientifique au sein de l’UAP, Philippe Foulquier
a travaillé durant dix ans comme analyste
financier spécialisé sur le secteur de l’assurance.
Avant de rejoindre l’EDHEC en 2005, il dirigeait
l’équipe pan-européenne d'analystes financiers
en charge de l’assurance chez Exane BNP Paribas.
Il a été plusieurs fois primé comme
meilleur analyste financier assurance dans
les classements Extel/Thomson Financial et
l'
Agefi
. A l’EDHEC, ses travaux de recherche
se sont centrés sur l’étude de l’impact des
IFRS et de Solvency II sur la gestion des
compagnies d’assurance et sur la valorisation
des sociétés (tous secteurs). Il a dans ce cadre
été le coauteur d’une étude approfondie de la
question et contribué à diverses consultations
du CEIOPS (comité européen des contrôleurs des
assurances et fonds de pension). Il a publié
de nombreux articles dans les revues
professionnelles et ses travaux et analyses
ont été mentionnés par le
Financial Times
et
The Economist
. Il siège à la commission
« comptabilité et analyse financière » de la SFAF
(Société Française des Analystes Financiers).
Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences
Economiques de l’Université Paris X Nanterre,
d’un master en Banques et Finance, et diplômé
de la SFAF.
Philippe Touron est professeur de comptabilité
à l’EDHEC. Philippe Touron enseigne la
comptabilité financière, la comptabilité de
gestion, et la communication financière.
Il intervient notamment au sein de l’
Executive
MBA
et conçoit et anime des formations sur
mesure pour grands comptes. Spécialiste des
normes comptables internationales, il siège à la
commission comptabilité et analyse financière
de la SFAF (Société Française des Analystes
Financiers) et est membre de l’association
européenne de comptabilité (EAA) et de
l’Association Francophone de Comptabilité.
Philippe Touron a publié dans diverses revues
académiques de premier plan dont
Critical
Perspectives on Accounting
, dans des revues
professionnelles, et est l’auteur d’un ouvrage
de référence consacré à la comptabilité en
IFRS. Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences
de Gestion d’HEC Paris, d’un master en
comptabilité, contrôle de gestion, et décision,
et d’un master en finance.
5
Table des matières
Résumé ........................................................................................................................................................2
Introduction ...............................................................................................................................................6
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes des utilisateurs .......................................................8
I.1. La comptabilité a un rôle d’information ..........................................................................8
I.2. La comptabilité n'a pas de rôle prudentiel .....................................................................9
I.3. La mesure de la juste valeur : prix
versus
valeur ....................................................... 10
II. De la pertinence des critiques formulées à l’égard de la juste valeur
en cette période de crise .................................................................................................................... 13
II.1. La juste valeur est-elle pro-cyclique et a-t-elle amplifiée la crise ?
Les solutions de lissage ou de suspension de la juste valeur
sont-elles pertinentes ? ............................................................................................................. 13
II.2. Pertinence des critiques sur la juste valeur par rapport à sa mesure ................. 16
II.3. Les aménagements nécessaires du traitement comptable de la juste valeur
indépendamment de la crise ................................................................................................... 18
III. La volatilité du compte de résultat remet-elle en question la pertinence de son
traitement en IFRS ? ............................................................................................................................ 21
Conclusion ............................................................................................................................................... 24
Références ............................................................................................................................................. 25
1 / 28 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !