Juste valeur ou non : un débat mal posé

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EDHEC Financial
Analysis and Accounting
Research Centre
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Juste valeur ou non :
un débat mal posé
Novembre 2008
Lionel Escaffre
Chercheur associé à l’EDHEC Financial Analysis
and Accounting Research Centre
Philippe Foulquier
Professeur de finance et comptabilité à l’EDHEC
et Directeur de l’EDHEC Financial Analysis and Accounting Research Centre
Philippe Touron
Professeur de comptabilité à l’EDHEC
Résumé
Dans le cadre de l’élaboration de mesures visant à juguler la crise financière actuelle, un
large débat s’est ouvert sur la part de responsabilité de la comptabilité en juste valeur
dans l’accélération des tendances. Ce position paper montre qu’un débat mal posé a
conduit à des amendements comptables contra-productifs par rapport à leurs objectifs.
En s’interrogeant sur la pertinence des accusations formulées sur la juste valeur et des
réponses proposées eu égard au rôle de la comptabilité, nous apportons les clefs de
compréhension de ce débat et des propositions de mesures afin d’améliorer la mise en
œuvre de la comptabilité en juste valeur et de la rendre plus pertinente par rapport aux
réalités économiques des banques et plus généralement des entreprises.
Notre propos se justifie par le fait que nous considérons que les détracteurs de la
comptabilité en juste valeur ont omis de considérer le problème plus en amont, c’est-àdire, de s’interroger préalablement sur le rôle de la comptabilité. Cette dernière a pour
objectif de fournir la description la plus fiable possible de la situation patrimoniale d’une
entreprise, à un instant donné, dans l’environnement qui prévaut au moment de l’arrêté
des comptes. Les états financiers ont donc un rôle informatif et non prudentiel. Même si la
doctrine comptable a évolué ces dernières années vers des acceptions plus financières, la
comptabilité ne peut se substituer à l’analyse financière et prudentielle.
Afin de réduire la pro-cyclicité du cadre comptable, certains ont proposé des mesures de
suspension, voire de suppression de la juste valeur. Les amendements d’octobre 2008 aux
IFRS 7 et IAS 39 vont d’ailleurs dans ce sens, puisqu’ils autorisent sous certaines conditions,
à traiter désormais au coût historique, des opérations considérées jusqu’alors en juste
valeur. Ce traitement est de nature à occulter la réelle exposition aux risques des entreprises
et à amplifier la défiance de la communauté financière qui, comme au cours de la crise
financière précédente au début de ce millénaire, poursuivra sa quête d’informations en
juste valeur.
En effet, en 2002, alors que la comptabilité était en coût historique dans la plupart
des pays européens, le caractère pro-cyclique des règles comptables avait déjà été
dénoncé. A cette époque, les compagnies d’assurance avaient enregistré des provisions pour
dépréciation durable massives les contraignant à céder une large partie de leurs portefeuilles
actions et à effectuer des augmentations de capital pour reconstituer leur solvabilité.
Dès 2006, nos travaux de recherche ont montré l’impact sur la gestion des entreprises et
les limites des choix de certains traitements comptables retenus par l’IASB. Néanmoins, les
accusations formulées aujourd’hui à l’égard de la juste valeur nous paraissent totalement
biaisées et ne peuvent à ce titre servir de base à la réflexion sur une sortie de crise. Ce n’est
pas parce que la mesure de la juste valeur et les choix des traitements comptables retenus
par l’IASB sont très discutables, qu’il est nécessaire pour autant de rejeter la comptabilité
en juste valeur. De notre point de vue, un retour à la comptabilité en coût historique
constituerait un mauvais choix et ne ferait que prolonger la crise, comme ce fut le cas lors
de la crise bancaire et financière japonaise.
Si la comptabilité en juste valeur conduit à refléter un affaiblissement des bilans des
banques, il n’est pas de son ressort de décider dans quelle mesure cette réduction des fonds
propres comptables, doit se traduire par une demande de capital additionnelle et/ou une
2
Résumé
réduction de l’activité. Ce rôle incombe aux régulateurs. La comptabilité n’est qu’un des
instruments d’information disponibles et les décisions des régulateurs doivent se fonder
également sur la réelle exposition à la crise des institutions financières, sur leur capacité à
améliorer leur situation dans un proche avenir, et de façon plus générale, sur la qualité de
leur management à gérer et redresser la situation. Cette dimension prospective ne relève
pas du rôle de la comptabilité.
Ce document constitue une synthèse de travaux scientifiques conduits au sein de l'EDHEC. Pour plus d'informations, nous vous
prions de vous adresser à Joanne Finlay de la direction de la recherche de l'EDHEC : [email protected]
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et n'engagent pas la responsabilité de l'EDHEC.
3
A propos des auteurs
Lionel Escaffre est chercheur associé au ont été mentionnés par le Financial Times
pôle « Analyse Financière et Comptabilité »
de l’EDHEC, commissaire aux comptes près
de la Cour d'Appel de Paris, et professeur
de comptabilité et de contrôle de gestion à
l’Université d’Angers. En 2003, il a créé un
cabinet conseil spécialisé dans les normes
et pratiques comptables qui intervient en
particulier sur les IFRS, les US GAAP et
l’évaluation des instruments financiers.
Il siège au Conseil National de la Comptabilité,
à la commission formation du Conseil
Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables,
et est membre du conseil syndical de
l’Institut Français des Experts-Comptables et
Commissaires aux Comptes. Lionel Escaffre a
publié ses travaux sur les normes comptables
internationales, nord-américaines, et françaises
dans des revues scientifiques et des ouvrages ; il
contribue également aux revues professionnelles
Option Finance et Banque Magazine. Il est
titulaire d’un Doctorat en Sciences de Gestion
de l’Université Paris IX Dauphine.
4
Philippe Foulquier est professeur de
finance et de comptabilité et directeur du pôle
« Analyse Financière et Comptabilité » à l’EDHEC.
Après avoir débuté sa carrière à la direction
scientifique au sein de l’UAP, Philippe Foulquier
a travaillé durant dix ans comme analyste
financier spécialisé sur le secteur de l’assurance.
Avant de rejoindre l’EDHEC en 2005, il dirigeait
l’équipe pan-européenne d'analystes financiers
en charge de l’assurance chez Exane BNP Paribas.
Il a été plusieurs fois primé comme
meilleur analyste financier assurance dans
les classements Extel/Thomson Financial et
l'Agefi. A l’EDHEC, ses travaux de recherche
se sont centrés sur l’étude de l’impact des
IFRS et de Solvency II sur la gestion des
compagnies d’assurance et sur la valorisation
des sociétés (tous secteurs). Il a dans ce cadre
été le coauteur d’une étude approfondie de la
question et contribué à diverses consultations
du CEIOPS (comité européen des contrôleurs des
assurances et fonds de pension). Il a publié
de nombreux articles dans les revues
professionnelles et ses travaux et analyses
et The Economist. Il siège à la commission
« comptabilité et analyse financière » de la SFAF
(Société Française des Analystes Financiers).
Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences
Economiques de l’Université Paris X Nanterre,
d’un master en Banques et Finance, et diplômé
de la SFAF.
Philippe Touron est professeur de comptabilité
à l’EDHEC. Philippe Touron enseigne la
comptabilité financière, la comptabilité de
gestion, et la communication financière.
Il intervient notamment au sein de l’Executive
MBA et conçoit et anime des formations sur
mesure pour grands comptes. Spécialiste des
normes comptables internationales, il siège à la
commission comptabilité et analyse financière
de la SFAF (Société Française des Analystes
Financiers) et est membre de l’association
européenne de comptabilité (EAA) et de
l’Association Francophone de Comptabilité.
Philippe Touron a publié dans diverses revues
académiques de premier plan dont Critical
Perspectives on Accounting, dans des revues
professionnelles, et est l’auteur d’un ouvrage
de référence consacré à la comptabilité en
IFRS. Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences
de Gestion d’HEC Paris, d’un master en
comptabilité, contrôle de gestion, et décision,
et d’un master en finance.
Table des matières
Résumé.........................................................................................................................................................2
Introduction................................................................................................................................................6
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes des utilisateurs........................................................8
I.1. La comptabilité a un rôle d’information...........................................................................8
I.2. La comptabilité n'a pas de rôle prudentiel......................................................................9
I.3. La mesure de la juste valeur : prix versus valeur........................................................ 10
II. De la pertinence des critiques formulées à l’égard de la juste valeur
en cette période de crise..................................................................................................................... 13
II.1. La juste valeur est-elle pro-cyclique et a-t-elle amplifiée la crise ?
Les solutions de lissage ou de suspension de la juste valeur
sont-elles pertinentes ?.............................................................................................................. 13
II.2. Pertinence des critiques sur la juste valeur par rapport à sa mesure.................. 16
II.3. Les aménagements nécessaires du traitement comptable de la juste valeur
indépendamment de la crise.................................................................................................... 18
III. La volatilité du compte de résultat remet-elle en question la pertinence de son
traitement en IFRS ?............................................................................................................................. 21
Conclusion................................................................................................................................................ 24
Références ............................................................................................................................................. 25
5
Introduction
La crise de crédit consécutive aux pertes sur
les prêts hypothécaires subprime américains
s’est progressivement transformée en une
crise de confiance mondiale. Dès octobre
2007, les ministres des finances et les
gouverneurs des Banques centrales du G-7
ont sollicité le Forum de Stabilité Financière
(FSF), afin qu’il analyse les causes de la crise
et formule des recommandations pour la
gérer. Certaines des propositions d’actions
(FSF 2008) ont concerné directement
les normes comptables. Le FSF a suggéré
que ces dernières devaient améliorer
le traitement et la transparence des
opérations de hors bilan, offrir plus
d’indications sur l’évaluation des instruments
financiers dans des marchés inactifs et
exiger une meilleure information sur les
méthodologies d’évaluation retenues et leur
sensibilité aux hypothèses et paramètres
retenus.
Dans ce contexte est né un vif débat sur
la pertinence d’une comptabilité en juste
valeur en période de crise financière.
Ces controverses reflètent en fait la
difficulté de valoriser des instruments
financiers complexes, mais aussi
traditionnels, dans des marchés inactifs.
Face à l’aggravation de la crise durant l’été
2008, le renforcement de la solidité du
système bancaire mondial et la protection
des dépôts des épargnants privés sont
devenus des priorités. Les interventions des
Etats se sont multipliées à travers le monde
et le groupe des ministres des finances du
G-7 a finalement demandé le 22 septembre
(US Department of the Treasury, 2008) que
soient mises en œuvre les recommandations
du FSF.
Parallèlement, le nombre de détracteurs
vis-à-vis de la comptabilité en juste valeur
n’a cessé de croître. Elle est accusée d’être
un des responsables de l’amplification de la
crise. Les deux principaux griefs mis en
avant sont son caractère pro-cyclique et
l’insuffisante information fournie par les
normalisateurs, pour évaluer des instruments
financiers dans des marchés inactifs.
Acculés, le FASB et l’IASB1 se sont alors lancés
dans une course effrénée pour réajuster leurs
normes. La SEC (Securities and Exchange
Commission) et le FASB ont apporté des
clarifications sur l’évaluation des actifs dans
un marché inactif le 30 septembre 2008 (US
SEC, 2008). La Commission Européenne a
adopté le 16 octobre (règlement CE
n°1004/2008) les amendements de l’IASB
relatifs aux normes IAS 39 et IFRS 72.
L’objectif est de permettre aux institutions
financières (principalement aux banques)
d’atténuer l’impact de la crise actuelle sur
les comptes publiés à partir du troisième
trimestre 2008. Pour ce faire, l’IASB offre
la possibilité, sous certaines conditions, de
reclasser certains instruments financiers vers
des catégories dont le traitement comptable
se traduit par une absence de volatilité dans
le compte de résultat, voire dans le bilan
(à l’exception notable des dépréciations
durables).
L’objectif de ce position paper est de
montrer que le débat sur la juste valeur
est mal posé et que les amendements
effectués dans la précipitation par le
normalisateur international sont contraproductifs par rapport à leurs objectifs.
En s’interrogeant sur la pertinence des
accusations formulées sur la juste valeur
et des réponses proposées eu égard au
rôle de la comptabilité, nous apportons les
clefs de compréhension de ce débat et des
propositions de mesures, afin d’améliorer
la mise en œuvre de la comptabilité en
juste valeur et de la rendre plus pertinente
par rapport aux réalités économiques
des banques et plus généralement des
entreprises.
6
1 - Financial Accounting Standard Board (FASB); International Accounting Standards Board (IASB)
2 - IAS 39 « Financial Instruments : Recognition and Measurement »; IFRS 7 « Financial Instruments: Disclosures »
Introduction
En effet, le débat sur la juste valeur est
biaisé par l’insuffisante considération du
rôle de la comptabilité et par la confusion
engendrée par les traitements comptables
de la juste valeur que l’IASB a retenus
(classification complexe des instruments
financiers, méthodes de valorisation à la
juste valeur dans un marché inactif et
traitement des variations de juste valeur
perfectibles)3. La plupart des critiques
prônant la suspension, voire la suppression
de la juste valeur nous paraissent infondées
car nombre de ses détracteurs font un
amalgame entre le rôle de la comptabilité
et celui de la réglementation prudentielle.
Si l’objectif est de réduire efficacement
le caractère pro-cyclique tant décrié
des réglementations, il semble alors
plus efficace de réaliser des ajustements
au niveau des exigences en capitaux
propres
(exigences
de
solvabilité).
montrons alors que le débat n’a pas lieu de
se focaliser sur la juste valeur, mais plutôt
sur les choix des traitements comptables de
la juste valeur retenus par l’IASB (section
II.3). Enfin, nous élargissons le champ du
débat, en étudiant si la volatilité accrue du
compte de résultat est de nature à remettre
en question la pertinence de son traitement
en IFRS (section III).
Réduire l’information fournie par les
comptes en suspendant l’approche de la
juste valeur ne ferait qu’amplifier la crise
de confiance actuelle. Par ailleurs, alors que
l’approche en coût historique prévalait lors
de la dernière crise financière de 2002-2003,
de nombreux assureurs furent contraints
d’alléger massivement leurs portefeuilles
actions, au pire moment de la tourmente,
afin d’enrayer l’augmentation des provisions
pour dépréciation durable. Ces entreprises
durent augmenter leur capital afin de rétablir
leurs marges de solvabilité. A l’époque, le
caractère pro-cyclique de la comptabilité
(pourtant en coût historique) avait déjà été
dénoncé.
Afin de montrer que le débat sur la juste
valeur est mal posé et a conduit à des
amendements contra-productifs, nous
rappelons dans un premier temps le rôle de la
comptabilité et les attentes des utilisateurs
(section I). Dans les sections II.1 et II.2, nous
analysons la pertinence des critiques sur la
juste valeur en cette période de crise. Nous
7
3 - Ce dernier point est au cœur de notre programme de recherche et a déjà fait l’objet de nombreux travaux (Amenc et al. 2006, Foulquier 2007, Foulquier et Touron
2008).
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes
des utilisateurs
Nous estimons que le débat actuel autour
de la responsabilité de la juste valeur dans
la crise financière est mal posé car il omet
généralement de rappeler la finalité de la
comptabilité qui est informationnelle et
non prudentielle.
I.1. La comptabilité a un rôle
d’information
À l’origine, les systèmes comptables ont
été conçus pour éviter les prévarications
de la part des gestionnaires auxquels les
actionnaires délèguent le contrôle de leurs
actifs. Dans cette optique, le rôle de la
comptabilité est de permettre le contrôle
nécessaire des dirigeants, c’est-à-dire de
s’assurer qu’ils ont utilisé les ressources qui
leur ont été confiées conformément à ce
qui était prévu dans leur contrat implicite
(Gjesdal 1981, Jensen et Mekling 1976). En
d’autres termes, les systèmes comptables
sont apparus pour répondre à un besoin de
reddition des comptes (stewardship).
8
implicitement une relation d’agence dans
les rapports comptables des protagonistes
et que l’introduction de coûts contractuels
permettait d’expliquer l’existence des
systèmes comptables et leur organisation
(Ball et Smith 1991).
Selon la théorie informationnelle (Barth
et Landsman. 1995, Barth 1994, 2007),
la comptabilité et par conséquent les
informations qu’elle véhicule, sont « utiles »
si elles ont une incidence sur la décision
d’investissement. En revanche, lorsqu’elles
ne font que refléter la valeur de marché5,6,
elles sont qualifiées de « pertinentes ».
La littérature comptable assigne également
à la comptabilité un rôle d’information,
notamment dès lors qu’il s’agit de valoriser
des entreprises (Edward et Bell 1961,
Ohlson 1995, Barth 2000, Barth et al.
2001, et Landsman 2007). Deux courants de
recherche se sont ainsi développés autour
des fonctions de la comptabilité : la théorie
contractuelle de la comptabilité et la théorie
informationnelle de la comptabilité.
Toutefois, ces fonctions de contrôle et
d’information de la comptabilité sont
difficilement dissociables, car il paraît
impossible de rendre des comptes sans
informer (Zimmerman 1997). Aussi, dans
la pratique, la comptabilité a un rôle
informatif pour ses utilisateurs7 et renforce
leur capacité à prendre des décisions
économiques. Elle doit à ce titre fournir
une évaluation économique de toute entité
à un instant donné dans l’environnement
qui prévaut au moment de l’arrêté des
comptes. Libre ensuite aux utilisateurs,
de chercher à prévoir les performances
futures de l’entité à partir de ces états
financiers élaborés à partir d’informations
réputées fiables et comparables. Cet aspect
prospectif ne relève néanmoins pas du
rôle de la comptabilité.
Selon la théorie contractuelle, la comptabilité
permet aux actionnaires et aux créanciers
de s’assurer que les dirigeants gèrent à bon
escient les actifs ; il s’agit d’une fonction
de contrôle. De nombreux auteurs (par
exemple Sunder 19974, Watts et Zimmerman
1986, 1990) ont ainsi montré qu’il existait
Afin que les comptes publiés remplissent
leur rôle de fourniture d’informations
homogènes, transparentes et fiables, nous
estimons qu’ils doivent répondre à des
règles relativement strictes qui limitent
la marge d’interprétation des entreprises
dans l’élaboration de leurs comptes.
4 - « La comptabilité et le contrôle fournissent des variables mutuellement observables, par lesquelles le contrat avec les actionnaires (et les autres) est défini et acquiert
une force obligatoire. En l’absence d’un tel système, la diffusion des droits de propriété ne serait pas seulement inefficiente mais simplement impossible. Revendiquer que
dans un marché efficient, la comptabilité se limite essentiellement à une information sur le risque de marché et à expliquer les rendements anormaux, c’est passer à côté
du point essentiel sur ce que la comptabilité permet dans l’entreprise » (Sunder 1997, page 106).
5 - Cette théorie fait ainsi le lien avec le cadre conceptuel de l’IASB et du FASB, même si le terme « pertinence » retenu dans le cadre conceptuel peut prêter à confusion
car il englobe la vision d’ « utilité » et de « pertinence » de la théorie informationnelle.
6 - La mesure de l’incidence sur la décision d’investissement est réalisée en général par une étude d’évènements (impact sur le cours de bourse) alors que la mesure de la
pertinence est appréciée par une étude d’associations.
7 - Nous rappelons que d’après le cadre conceptuel de l’IASB, les utilisateurs des états financiers sont les investisseurs présents et potentiels, les salariés, les bailleurs de
fonds, les fournisseurs et les créanciers apparaissant au cours de l’exploitation, les clients, les gouvernements et leurs agences ainsi que le public (paragraphe 9, cadre
conceptuel, IASB 2008).
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes
des utilisateurs
Les montants publiés doivent aussi faire
l’objet d’une certaine rigueur et rigidité
dans leur détermination pour une meilleure
comparabilité. Pour contrebalancer cette
rigidité, les annexes doivent pouvoir
apporter des explications supplémentaires
aux montants figurant dans le compte de
résultat, bilan et tableaux de flux. Au-delà
de la justification des montants, des études
de sensibilité, simulations et autres tests
de situations stressées doivent permettre
d’offrir une vision élargie de la société.
En d’autres termes, le rôle de la comptabilité
est cantonné à la description la plus fiable
possible de la situation à un instant donné
(pour autant qu’elle puisse être évaluée),
y compris lorsqu’elle se caractérise par
une forte volatilité, puisque cette dernière
reflète en général des perturbations dans
l’environnement de l’entreprise considérée.
Supprimer cette information sous prétexte
de réduire la pro-cyclicité de la comptabilité,
réduirait la transparence et serait de nature
à exacerber la crise de confiance (et faire
augmenter encore la prime de risque).
Ce serait en outre sous estimer la capacité
d’analyse des acteurs des marchés financiers
que de croire qu’ils seraient totalement
dupes. L’incertitude et le manque de
transparence sont toujours sanctionnés par
les marchés. Cette pro-cyclicité, comme
nous le verrons, doit plutôt être gérée au
niveau de la réglementation prudentielle —
à travers par exemple de l’ajustement des
exigences des fonds propres comme suggéré
par Sender (2008).
I. 2 La comptabilité n'a pas de rôle
prudentiel
Après avoir évoqué les attentes des différents
utilisateurs des comptes, il apparait important
de préciser les frontières de la comptabilité
par rapport à celles-ci.
En effet, les objectifs des IFRS en général
et de la « juste valeur » en particulier
sont d’offrir aux utilisateurs des comptes,
une meilleure perception des risques
encourus par les sociétés, et ce qu’ils soient
opérationnels ou financiers. Cette approche
comptable a également la vertu d’inciter les
sociétés à cartographier leurs risques, à en
mesurer leur sensibilité selon des données
endogènes et exogènes, et finalement, à
mieux les couvrir.
Toutefois, si la « juste valeur » constitue ainsi
une avancée significative dans l’information
fournie par les comptes des entreprises8,
il ne faut pas que cette approche plus
« financière » se substitue à l’analyse
financière et prudentielle qui doit rester
indépendante du cadre comptable choisi.
En aucun cas, le résultat arithmétique issu
de calculs comptables fussent-ils réalisés à
la juste valeur ne doit primer sur l’évaluation
du profil des risques de la société par
les investisseurs, régulateurs et analystes
financiers.
Il est important d’éviter la confusion des
genres : le reporting comptable a un rôle
informatif et à ce titre, il doit indiquer la
valeur d’une société au moment de l’arrêté
des comptes9; les règles prudentielles ont,
elles, comme objectif de garantir la stabilité
du système financier et de protéger les dépôts
des épargnants. Le référentiel prudentiel
doit fournir une valeur prudente de la
situation de la société intégrant notamment
les pertes attendues. Mentionnons que ces
normes comptables et prudentielles diffèrent
également des processus de gestion interne
des risques, dont l'approche est beaucoup
plus prospective et a pour objectif de mettre
en œuvre une stratégie optimale d’allocation
du capital économique.
8 - D’après un sondage réalisé auprès de ses membres par le CFA Institute (la plus importante association professionnelle d’analystes financiers au monde), la valorisation
à la juste valeur applicable au secteur financier accroît la transparence et permet de mieux appréhender le profil de risques des institutions financières pour 79% des 2006
répondants (http://www. cfainstitute.org/memresources/monthlyquestion/2008/march.html).
9 - Le cadre conceptuel de l’IASB indique dans son paragraphe 12 : « The objective of financial statements is to provide information about the financial position, performance
and changes in financial position of an entity that is useful to a wide range of users in making economic decisions ».
9
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes
des utilisateurs
Nous estimons que la polémique actuelle
sur la pertinence de la juste valeur dans les
comptes en période de crise est liée au fait
que de nombreux utilisateurs, s’appuyant
sur les progrès en termes d’information
financière de l’évolution des IFRS vers la juste
valeur, demandent à la comptabilité d’aller
au-delà de son rôle. Certains acteurs sont
tentés d’utiliser les grandeurs comptables
sans réaliser d’analyse additionnelle.
Or, la comptabilité comme nous l’avons
mentionné précédemment, n’a pour rôle
que d’offrir une photographie instantanée
de la situation de toute société dans
l’environnement préexistant au moment
de l’arrêté des comptes. Elle ne préjuge
en rien de l’avenir et ne peut constituer
l’unique source décisionnelle pour apprécier
la solidité bilantielle en général, et celle
des banques dans la tourmente actuelle
en particulier. Cette analyse n’est pas du
ressort de la comptabilité et relève des
études des régulateurs prudentiels.
I. 3. La mesure de la juste valeur :
prix versus valeur
Nous avons montré que le débat sur la
comptabilité en juste valeur est mal posé.
Au-delà de l’insuffisante considération du
rôle de la comptabilité, certains détracteurs
de la juste valeur semblent procéder à un
amalgame entre la pertinence de la juste
valeur et celle de sa mesure. Ce n’est pas
parce que la mesure de la juste valeur
et les choix des traitements comptables
retenus par l’IASB sont très discutables,
qu’il est nécessaire pour autant de rejeter
la comptabilité en juste valeur.
Lorsqu’est discutée la mesure de la juste
valeur, il apparaît rapidement un débat sur
la distinction entre le prix et la valeur : les
comptes sont-ils constitués sur la base de
prix ou de valeurs ? Il paraît important pour
notre débat sur la pertinence de l’utilisation
10
de la juste valeur des instruments financiers
dans la comptabilité de souligner au
préalable, que ladite valeur n’existe pas
intrinsèquement, mais qu’elle relève d’une
démarche théorique (Bernheim et Escaffre
1999). Plus précisément, la juste valeur est
définie par l’IASB (IAS 32 § 5 et IAS 39 § 8)
comme le montant pour lequel un actif ou
un passif pourrait être échangé, entre deux
parties bien informées et consentantes dans
le cadre d’une transaction effectuée dans
des conditions de concurrence normale. Il
s’agit donc d’un prix et non d’une valeur
stricto sensu. Cette absence de distinction
est souvent la cause de critiques non
fondées (cf. section II).
Keynes définissait dans sa Théorie Générale,
la valeur d’un actif comme la valeur
actualisée des flux de revenus générés
par sa détention ; il s’agit là de la valeur
intrinsèque. A l’opposé, le prix peut être
défini comme le résultat de la loi de
l’offre et de la demande. Bien qu’il soit
basé sur la valeur de la société, il dépend
d’éléments subjectifs, parfois difficilement
quantifiables, tels que les poids respectifs
dans la négociation de l’acheteur et du
vendeur, leur relation, l’intuitu personae,
la volonté ou l’obligation de réaliser
la transaction, l’intérêt respectif des
protagonistes dans la transaction, etc.
Lorsqu’il existe un marché parfait et complet,
la valeur de marché est la juste valeur. A
contrario, lorsque le marché est imparfait,
la juste valeur doit être déterminée en
intégrant la taille, la profondeur du marché
(liquidité), le risque de contrepartie,
l’intention du management, le coût de
financement, l’aversion au risque, bref, les
particularités des acteurs du marché de gré
à gré10.
La norme IAS 39 (§ AG 74 à AG 81)
présente les principes méthodologiques
10 - Cette problématique n’est pas nouvelle puisque les travaux de Barth et Landsman (1995) traitaient déjà la question de la juste valeur dans un marché parfait et imparfait :
- lorsque le marché est parfait (liquide, actif et organisé), la juste valeur est équivalente à la valeur de marché. Le bilan comporte toutes les informations utiles à l’évaluation de la
société. Dans ce contexte, il est supposé que les dirigeants d’une part, et le marché de l’autre, sont capables de déterminer tous les éléments de l’actif et de leur affecter une « juste
valeur ». Sous cette hypothèse, la constatation effective d’un revenu n’est pas utile à l’évaluation de l’entreprise.
- lorsque le marché est imparfait, il est nécessaire de déterminer une valeur d’usage selon une méthode dont la fiabilité doit être démontrée.
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes
des utilisateurs
de valorisation en l’absence d’un marché
actif. En effet, la juste valeur est un
concept de valeur qui doit être associé à
une démarche méthodologique destinée
à déterminer une valorisation neutre11 et
objective. Pour autant, cette neutralité
ou objectivité dans l’évaluation n’exclut
nullement le jugement professionnel12. La
pertinence de ces valorisations repose sur
la sincérité des hypothèses et la diversité
des méthodes. La transparence de ces
hypothèses et estimations au moyen
d’informations détaillées en annexe doit
assurer la crédibilité et la comparabilité des
comptes publiés.
Selon le normalisateur, les techniques
de valorisation doivent incorporer
l’observation de transactions récentes
dans des conditions de concurrence
normale, entre parties informées et
consentantes 13; la référence à la juste
valeur actuelle d'un autre instrument
identique en substance 14; ou l'analyse
des flux de trésorerie actualisés associée,
le cas échéant, à des modèles de
valorisation stochastiques. Le calcul d’une
valeur reposant sur des flux de trésorerie
actualisés est une méthode qui conduit
à déterminer une valeur d’usage, celleci étant la juste valeur dans le cas d’une
absence totale de marché de référence.
S'il existe une technique de valorisation
couramment utilisée par les intervenants
sur le marché pour évaluer l'instrument
considéré et s'il a été démontré que cette
technique produit des estimations fiables
de valeurs obtenues dans des transactions
sur le marché réel, l'entité doit appliquer
cette technique. Par conséquent, les
entités sont appelées par le normalisateur
à identifier les meilleures pratiques
reconnues.
Soulignons enfin, qu’une entité doit
revoir périodiquement ses techniques et
hypothèses de valorisation, afin d’en vérifier
la validité en intégrant si nécessaire, les prix
des transactions courantes sur le marché
efficient ou de gré à gré qui peuvent être
observées pour le même instrument. Dans
le cas d’absence de paramètres observables
pour construire le modèle, l’entité est alors
tenue de présenter des tests de sensibilité.
Face à une crise financière sans précédent,
l'IASB a publié, le 16 septembre 2008
(IASB 2008a), un projet de rapport préparé
par un groupe d'experts-conseils intitulé
« Evaluation et informations à fournir sur la
juste valeur d'instruments financiers cotés
sur des marchés qui deviennent inactifs ».
Ce groupe de travail a été constitué par
l'IASB à la demande du Forum de Stabilité
Financière. Ces travaux ont été entérinés
le 31 octobre par une publication (IASB,
2008d) proposant des recommandations
pour déterminer la juste valeur.
Ce document est composé de deux parties :
la première est consacrée à l'évaluation, la
seconde traite des informations à fournir et
porte les germes du projet de modification
de la norme IFRS 7 (Instruments financiers :
information sur les risques). Parallèlement,
les 13 et 14 octobre, les normes IAS 39
et IFRS 7 ont été amendées (IASB 2008b,
2008c).
Le groupe de travail a examiné le cas de
marchés inactifs. Dans un tel environnement,
les entités doivent principalement
développer une compréhension complète et
fiable de l'instrument qui fait l'objet d'une
valorisation à la juste valeur pour recueillir
les informations disponibles pertinentes.
11 - Le principe de neutralité est intégré dans le cadre conceptuel IFRS (Cadre § 36).
12 - IAS 39 Financial instruments: recognition and measurement: « A valuation technique would be expected to arrive at a realistic estimate of the fair value if (a) it reasonably
reflects how the market could be expected to price the instrument and (b) the inputs to the valuation technique reasonably represent market expectations and measures of the
risk-return factors inherent in the financial instrument ».
13 - Conformément à la définition de la juste valeur (IAS 32 § 11, dernier alinéa).
14 - En pratique, de nombreux établissements de crédit appliquent par exemple, la méthode du dérivé hypothétique pour valoriser leurs instruments dérivés de couverture comme
des swaps (échange de taux) ou caps et floors (garantie de taux).
11
I. Le rôle de la comptabilité et les attentes
des utilisateurs
L'information à analyser doit comporter :
• les prix des transactions récentes pour les
mêmes instruments ou pour des instruments
identiques, (IASB 2008d, § 37-46)
• les cours de courtiers et de sociétés en
charge de l’archivage des prix fixés sur les
marchés (bases de données…) (IASB 2008d,
§ 52-74),
• les indices et les autres données de
techniques d'évaluation basées sur des
modèles (IASB 2008d, § 47-51).
Si les données de prix ne sont pas
satisfaisantes car elles résultent d’un
marché totalement désorganisé et inactif,
il conviendra de s’appuyer sur une
évaluation mark to model. En effet, en cas de
marché non actif, une entité doit rechercher
la meilleure estimation de la juste valeur
à l'intérieur d’un jugement documenté
qui doit reposer sur les axes suivants :
• estimation sur la base d’une transaction
récente sur un marché actif d’un instrument
financier identique,
• estimation d’une juste valeur sur la base
de l’évaluation d’un instrument financier
similaire,
• modélisation sur la base de paramètres
observables ou non.
Mais en aucun cas, la juste valeur n’est
une valeur forcée et donc une valeur
de liquidation. D’ailleurs, le 10 octobre
2008, le groupe d'experts-conseils
( Expert Advisory Panel ) a rappelé que les
transactions à la valeur « liquidative » ne
devaient pas être incorporées dans les
hypothèses d'évaluation à la juste valeur.
Cette dernière se réfère à une opération
qui serait réalisée dans des conditions
normales et non à une liquidation
forcée. Il a en outre souligné que les
transactions réalisées dans le contexte
de marché de crise actuelle n’étaient pas
nécessairement assimilables à des ventes
12
forcées réalisées sur la base d’une valeur
liquidative 15.
Certains spécialistes ont suggéré que,
lorsque les prix de marché sont déterminés
dans une période de crise (forte chute des
cours ou forte hausse des taux par exemple),
les justes valeurs devraient être déterminées
en appliquant une approche de "valeur
fondamentale" basée principalement sur
les estimations des flux de trésorerie futurs,
assimilable à la détermination d’une valeur
d’usage. Le groupe de travail de l’IASB
a relevé que les "valeurs fondamentales"
ne sont pas cohérentes avec l'objectif
d'évaluation à la juste valeur, notamment
en raison de l’absence de prise en compte
des risques qui sont liées à ces flux de
trésorerie.16
Ainsi, la comptabilité en juste valeur
est inséparable d’une publication
d’informations renforcée, c'est-à-dire
de l’établissement d’états financiers qui
laissent une large place à l’information
qualitative pour expliquer si la juste valeur
provient de la valeur de marché ou d’une
valeur de modèle. Le principe sous-jacent
est que la transparence financière réduit le
doute et favorise la confiance des marchés
dans les comptes publiés.
15 - « The objective of a fair value measurement is the price at which an orderly transaction would take place between market participants on the measurement date; it is not
a forced liquidation (ie forced transaction). Even when a market has become inactive, it is not appropriate to conclude that all market activity represents forced transactions »
(IASB 2008d, § 21-22).
16 - « However, fundamental values are not consistent with the objective of a fair value measurement because they do not take into account factors that markets participants
would consider when pricing the instrument, such as illiquidity and credit risk. […] Accordingly, a value measured using a “fundamental value” approach might not represent
an estimate of a current transaction price » (IASB 2008a page 3).
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
II.1. La juste valeur est-elle procyclique et a-t-elle amplifiée la
crise ? Les solutions de lissage ou
de suspension de la juste valeur
sont-elles pertinentes ?
L’une des critiques les plus virulentes
pour suspendre la juste valeur au sein
des comptes a été liée à sa pro-cyclicité
(Bloomfield et al., 2006). Le Forum de
Stabilité Financière a diligenté au Fonds
Monétaire International une mission
d’étude sur le caractère pro-cyclique de
la juste valeur (FMI 2008). L’objectif de
cette étude n’était pas de remettre en
cause l’idée selon laquelle la juste valeur
conduirait à amplifier la volatilité des
marchés. Toutefois, le FMI a souligné, sur
la base d’une étude menée auprès de 16
banques américaines et européennes sur
2007, que lorsque les émetteurs étaient
en mesure de fournir une information
satisfaisante sur les risques, la juste valeur
améliorait la transparence financière.
A ce titre, le caractère pro-cyclique de la
juste valeur est même susceptible d’être
réduit, grâce à l’information fondée sur les
piliers de risque définis par « Bâle II », mais
aussi grâce aux tests de sensibilité sur les
modèles de valorisation pratiqués par les
entités. Au-delà de ces tests de sensibilité,
une information sur le risque de liquidité,
de crédit, de marché et opérationnel peut
figurer en annexe. C’est d’ailleurs l’objet
de l’amendement de la norme IFRS 7
d’octobre 2008 qui développe une proximité
normative significative avec les dispositions
du comité de Bâle.
Par ailleurs, le FMI a relevé que c’est surtout
l’inadéquation des comptabilisations des
actifs et des passifs qui sont porteurs de procyclicité. Enfin, il avertit que les méthodes
de lissage et de reclassement des actifs
(notamment de catégories valorisées à la
juste valeur vers celles en coût historique)
sont de nature à inciter la prise de risque
immodérée (juste valeur utilisée à la hausse
et limitation à la baisse via les coûts
historiques), à ralentir l’assainissement
des situations de crise et finalement à
engendrer un climat de défiance vis-à-vis
des états financiers.
Notre analyse des critiques qui font de
la juste valeur un amplificateur de la
crise renvoie à nouveau au rôle de la
comptabilité.
Cette crise a montré les fortes interactions
entre les modèles de valorisation des risques,
la gestion des risques et la régulation
prudentielle : face à la chute des prix
des actifs et en particulier des produits
structurés et titrisés, les institutions
financières ont été contraintes d’ajuster
leur exposition aux risques, de renforcer
leurs capitaux propres et/ou de vendre
des actifs pour satisfaire les contraintes
réglementaires de solvabilité, entretenant
voire amplifiant la chute des marchés.
Parallèlement, compte tenu du rôle
informatif de la comptabilité en juste valeur
(offrir aux utilisateurs des comptes une
photographie instantanée du bilan et de la
variation de l’actif net dans les conditions
de marché existantes au moment de l’arrêté
des comptes), la détermination de la prime
de risque appropriée relève du rôle des
utilisateurs.
Selon nous, les critiques de pro-cyclicité
formulées à l’égard de la juste valeur
trouvent leur origine dans le fait que certains
acteurs voudraient que la comptabilité
reflète instantanément la réelle situation
des banques mais aussi, qu’elle intègre
la capacité de ces banques à revenir à
meilleure fortune.
13
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
Si l’approche instantanée de la comptabilité
conduit à un affaiblissement du bilan des
banques, nous estimons toutefois que
ce n’est pas le rôle de la comptabilité
d’estimer dans quelle mesure cette chute
doit se traduire (ou non) par une demande
de fonds propres additionnels et/ou à une
réduction de l’activité. C’est aux régulateurs
de réaliser leur propre analyse, bien entendu
sur la base des comptes, mais aussi de
la capacité de la banque à améliorer sa
situation dans un proche avenir, de sa
réelle exposition à la crise, et de façon plus
générale de la qualité du management à
gérer et à redresser cette situation.
Le problème ici est donc celui des
régulateurs et non des comptables ! Il ne
peut constituer un argument valable pour
supprimer la comptabilité en juste valeur.
Certains utilisateurs des comptes font une
confusion entre les rôles des régulateurs et
de la comptabilité, ou veulent élargir le rôle
de la comptabilité au-delà de ses frontières :
la comptabilité et les règles prudentielles
ne répondent pas aux mêmes objectifs.
Les nombreuses opportunités d’arbitrage
responsables de la crise d’aujourd’hui (telles
que la faible exigence de capital pour des
véhicules hors bilan conduisant de facto
à sous estimer les risques qui leur étaient
associés ou le manque d’harmonisation
internationale quant à la détermination
des capitaux disponibles conduisant ainsi
à des ratios de couverture de solvabilité
du simple au triple selon les pays), relèvent
de la compétence et de la responsabilité
des règles prudentielles et non pas du
traitement de la juste valeur au sein de la
comptabilité.
Le problème que nous soulevons ici est
celui de la cohérence de l’évaluation des
instruments financiers entre les référentiels
comptable, prudentiel et interne. Comment
avoir les mêmes montants alors qu’ils ne
répondent pas aux mêmes objectifs, comme
nous l’avons décrit dans la section I.2.
La pertinence des solutions proposées
peut être évaluée à l’aune du rôle de la
comptabilité. Qu’il s’agisse de lisser la juste
valeur sur six mois – comme ce fut avancé
par trois membres de l’EFRAG17 – ou même
un an, ou de la suspendre temporairement
à l’avantage d’un retour au coût historique,
ces propositions ont peu de sens. En effet,
ces solutions sont de nature à occulter la
réelle exposition aux risques des sociétés et
amplifieraient la défiance de la communauté
financière sans pour autant empêcher le
caractère pro-cyclique, comme l’a illustré le
comportement des compagnies d’assurance
au cours du précédent crash boursier.
Ces révisions offriraient plus de marge
d’interprétation tant au niveau des banques
qui établissent leurs comptes, qu’au niveau
de la perception des utilisateurs. Dans le
climat de défiance actuelle, le sentiment
que les comptes ne reflètent plus la réalité
de marché ou économique, constituerait
un élément additionnel de suspicion d’une
possible sous estimation de la crise par les
banques.
Ainsi, si une modification des règles
devait s’opérer, nous pensons que c’est
au niveau de la régulation prudentielle
qu’elle devrait avoir lieu (comme ce fut le
cas pour les assureurs britanniques lors du
crash financier du début de ce millénaire).
La comptabilité doit conserver son rôle
d’information de la situation bilantielle à
un instant donné, au risque sinon d’ajouter
à la confusion.
Néanmoins, les pressions ont été tellement
fortes que l’IASB a cédé au début du mois
d’octobre 2008. Il a proposé d’aménager
l’approche de la juste valeur dans des
marchés inactifs, en offrant la possibilité de
reclasser sous certaines conditions certains
14
17 - Carsten Zielke, Michael Starkie et Thomas Seeberg « Reporting more could break the writedown spiral » Financial Times, 3 avril 2008. Le Président de l’EFRAG et le reste
de ses membres ont toutefois pris leur distance par rapport à cette proposition isolée «No view formed on the credit crunch» Financial Times, 14 avril 2008.
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
actifs. Nous rappelons que l’IAS 39 § 50
interdisait jusqu’alors tout reclassement de
la catégorie « actifs détenus à des fins de
transaction ». Plus précisément, selon ces
amendements18:
• des actifs (actions et instruments de
dettes) autres que des prêts et créances,
classés jusqu’alors en « actifs détenus à
des fins de transaction » pourront être
reclassés en « disponibles à la vente » ou
à l’exception des actions, en « détenus
jusqu’à échéance » dans le cas de situations
exceptionnelles (IAS 39 § 50.B)19. Toutefois,
cet amendement exclut le reclassement
des dérivés et des actifs enregistrés selon
l’option de juste valeur, qui représentent
une part importante des actifs des assureurs
non classés en « disponibles à la vente ».
Le reclassement vers la catégorie « actifs
détenus à des fins de transaction » reste
interdit.
• des actifs classés en « actifs détenus à des
fins de transaction » ou en « disponibles à
la vente » pourront être reclassés en « prêts
et créances » s’ils sont effectivement des
prêts et créances (c’est-à-dire des actifs
non dérivés avec des paiements fixes ou
déterminés, non cotés sur un marché actif
et sans risque de perte substantielle non
liée à la détérioration du risque de crédit)
à la date du reclassement et que la société
a l’intention et la capacité de les détenir
sur un futur prévisible ou jusqu’à leur
échéance (IAS 39 § 50.D et E). La plupart
des créances titrisées (ABS (Asset-Backed
Securities), RMBS (Residential MortgageBacked Securities), etc.) et des produits
structurés de crédit (notamment du type
CDO (Collateralized-Debt Obligations)) peut
être reclassée en « prêts et créances ».
Les reclassements doivent être effectués
à la juste valeur des actifs à la date du
reclassement. Cette juste valeur devient
ainsi le nouveau prix de revient et interdit
toute reprise des gains et pertes constatés
en résultat avant le reclassement.
Les objectifs de cet amendement sont
doubles :
• permettre aux banques d’atténuer
l’impact de la crise actuelle sur les comptes
publiés du troisième trimestre.
• éviter des distorsions de concurrence
avec les sociétés américaines en réduisant
les divergences entre les US GAAP et les
IFRS en matière de reclassements (SFAS
115, FASB 1993).
Au-delà des critiques des banques et des
assureurs (l’absence de reclassement des
actifs enregistrés selon l’option de juste
valeur maintient une distorsion avec les
pratiques américaines notamment certains
produits structurés (cas des dérivés inclus
dans les CDO dits « synthétiques ») pour
les banques et les dérivés incorporés pour
les assureurs ; les reprises de dépréciations
sur actions et les contraintes des critères
d’éligibilité des actifs pour les assureurs à la
catégorie détenus jusqu'à échéances n’ont
pas été traitées), nous pouvons réitérer
notre point de vue :
• l’approche aux coûts historiques
nécessite l’application de provisions pour
dépréciations durables,
• les acteurs des marchés ne sont pas dupes
par rapport aux changements de méthodes
comptables et seront demandeurs de valeur
de marché et/ou suspicieux, et ce d’autant
plus que la communication sera opaque.
Enfin, soulignons que d’un point de vue
prudentiel, cette reclassification n’est
pas sans conséquence sur la marge de
solvabilité. Plus précisément, selon les
normes IFRS, certains instruments financiers
(par exemple certains CDO) initialement
enregistrés en « actifs détenus à des fins
de transaction » sont reclassés au troisième
trimestre 2008 en « prêts et créances »
selon les amendements IFRS 7 et IAS 39
adoptés par la Commission Européenne le 16
octobre 2008. La traduction prudentielle de
18 - Publication des amendements des normes IAS 39 et IFRS 7 quant au reclassement des actifs financiers le 13 octobre 2008. L’EFRAG a donné son approbation le 13
octobre et la Commission Européenne les a adopté le 16 octobre 2008 (date de publication au JOUE, règlement CE n°1004/2008).
19 - Il a été précisé par ailleurs par l’IASB que la crise actuelle pouvait être considérée comme une situation exceptionnelle rentrant dans le cadre de l’IAS 39 § 50.B
15
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
cette reclassification comptable se traduit
par le reclassement d’un portefeuille de
négociation (trading book) en un portefeuille
d’investissement (banking book). Or, les
exigences prudentielles pour un portefeuille
d’investissement sont supérieures à celle
d’un portefeuille de négociation car les
risques de contrepartie sont explicitement
pris en compte dans le second cas.
Nous estimons donc que cette solution est
plus une tentative de redonner confiance
aux marchés qu'une réelle mesure de sortie
de crise.
II.2. Pertinence des critiques sur
la juste valeur par rapport à sa
mesure
L’adoption de la juste valeur dans les
comptes IFRS s’est inscrite dans un
mouvement plus général visant à améliorer
l’information financière, la transparence et
la reconnaissance plus rapide de la réelle
exposition aux risques. L’objectif est de
favoriser une meilleure gestion des sociétés
et finalement une meilleure discipline
de marché. Les régulations relatives
aux fonctionnements des marchés des
capitaux, aux contrôles et à la solvabilité
des institutions financières ont également
évolué pour satisfaire cet objectif. Ainsi,
ces deux dernières décennies ont vu une
profonde mutation dans la capacité à
identifier, valoriser et gérer les risques
via la généralisation de mise en œuvre
de mesures et contrôle des risques (VaR,
stress testing, structure de contrôle et de
gouvernance).
La crise actuelle constitue un test grandeur
nature de l'ensemble de ces dispositifs de
valorisation et de contrôle et a soulevé
ainsi de nombreuses critiques quant à
l’adéquation des méthodes de valorisation
16
dans des situations extrêmes et par là
même, de la pertinence de la juste valeur
dans la comptabilité.
Au-delà de la qualité des processus de
valorisation (robustesse, exhaustivité et
rigueur), les critiques ont été focalisées
sur la complexité à valoriser des crédits
structurés sophistiqués. Elles concernent
notamment la sous-estimation du risque de
liquidité, la trop forte dépendance vis-à-vis
des agences de notation des valorisations
du marché primaire, et des données
historiques dont la volatilité est devenue
obsolète20. Le scepticisme à l’égard de
ces mesures, combiné à des informations
publiées très hétérogènes et donc peu
comparables entre les acteurs, a amplifié
l’incertitude sur la localisation des risques et
l’illiquidité des marchés. La propagation de
ces incertitudes à de nombreux marchés a
conduit à une crise de confiance mondiale.
Face à ces constatations, même si nous
partageons le sentiment que la juste valeur
doit faire l’objet d’aménagements (plus
d’harmonisation et de transparence dans les
méthodes retenues notamment en l’absence
de marchés profonds et liquides21), remettre
en cause la pertinence de la juste valeur
dans la comptabilité nous semble non
fondé. La juste valeur a permis de rendre
compte plus rapidement de la profondeur
de la crise et une comptabilité aux coûts
historiques aurait très probablement nui
considérablement à l’appréciation de cette
ampleur. La juste valeur offre ainsi la
possibilité de mieux calibrer les solutions de
sortie de crise par des mesures drastiques
(et même exceptionnelles comme c’est le
cas actuellement).
A l’opposé, l’approche de la comptabilité
japonaise en coût historique est souvent
accusée d’avoir offert aux sociétés la possibilité
20 - La VaR intègre de façon inadéquate les risques extrêmes et est sensible (réduction) aux faibles niveaux de volatilité (caractéristique des marchés de crédits avant la crise).
Or, une réduction de la VaR se traduit par une libération de capital et ainsi une prise de risque additionnelle. La généralisation de la VaR au sein des institutions financières
sous l’impulsion des règles prudentielles a amplifié la pro-cyclicité. Enfin, ce phénomène a été accéléré par le développement du modèle originate to distribute (octroi puis
cession du crédit).
21 - Notamment, lors d’une crise de confiance comme nous la vivons, le risque modèle est souvent mis en avant (risque d’erreurs engendrées par la mise en œuvre de techniques
inadaptées ou d’hypothèses inadéquates). Le recours à des modèles théoriques sur des données souvent non observables se traduit par une forte subjectivité et peut conduire
à une asymétrie d’information qui crée des problèmes d’alea moral.
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
de lisser, voire de dissimuler leur exposition
réelle et d’avoir ainsi favorisé le ralentissement
de la sortie de crise qui a duré plus de dix ans.
Par ailleurs, il est souvent mentionné que les
scandales financiers de ces dernières années,
dont les problèmes des Caisses d’Epargne
américaines22 au début des années 90,
auraient pu être réglés plus rapidement et
probablement de façon moins coûteuse, si
leur comptabilité avait été réalisée en valeur
de marché (Michael 2004, Jackson et Lodge
2004). Il devient en effet plus difficile, en juste
valeur et corrélativement à la mise en œuvre
d’un gouvernement d’entreprise efficace, de
se livrer à des manipulations comptables
répréhensibles.
En période de crise, les prix de marché ne
correspondent plus systématiquement à la
capacité future des actifs à générer un cash
flow, c’est-à-dire les rendements futurs. Ils
peuvent comporter une composante reflétant
la liquidité existante sur le marché (Plantin,
Sapra et Shin 2008). Dès lors, il nous semble
préférable de fournir ces informations
complémentaires et/ou recourir à des mark to
model harmonisés et détaillés (méthodologie
de valorisation, données et paramètres utilisés,
hypothèses retenues — notamment par rapport
aux risques de liquidité, de contrepartie et de
modèle — et sensibilité), voire idéalement
d’isoler cette composante de liquidité (liquidity
pricing, Allen et Carletti 2008) indépendante
de la valeur des fondamentaux des actifs,
plutôt que de masquer la réalité derrière des
montants aux coûts historiques.
Ainsi, nous estimons que là encore, les
détracteurs de la juste valeur se sont trompés
de cible et de questions. Le problème sousjacent est plutôt la clarification de certains
choix de traitements comptables retenus par
l’IASB.
Plus précisément, en absence de définitions
clairement formulées par l’IASB, les institutions
financières n’ont pas eu la même interprétation
quant aux éléments déclencheurs qui
permettaient de retenir une approche mark
to model, ni le même timing pour y procéder.
Ceci a renforcé le sentiment d’incertitude et
les craintes de manipulations des comptes.
Certaines banques ont adopté le mark to model
de façon précoce, afin de limiter le montant
des dépréciations comptables qui auraient
été enregistrées en considérant le niveau des
marchés. Ce problème d’interprétation ne
peut toutefois servir à rejeter la juste valeur
en comptabilité.
Les véritables questions sont plutôt les
suivantes. De nombreux CDO et ABS ont été
élaborés spécifiquement pour répondre aux
exigences d’investisseurs spécifiques. Dès lors,
ils n’ont pas vocation à être négociés et il
est difficile d’établir un prix de transaction.
De façon plus générale, consécutivement à
l’assèchement de la liquidité de nombreux
instruments financiers complexes mais aussi
classiques, les prix de transactions tant sur
le marché primaire que secondaire sont
rapidement devenus indisponibles et non
observables. Baser la juste valeur sur des
transactions sporadiques sur des marchés
étroits est irréaliste. Dans quelles mesures
doit-on retenir au titre de juste valeur la
référence à une transaction très occasionnelle
dans un marché illiquide ? Dès lors, sur quels
critères doit-on se baser pour abandonner
l’approche juste valeur déterminée à partir
d’un prix de marché (mark to market) pour
retenir celle reposant sur un modèle (mark to
model) ? Quelles évolutions peut-on envisager
pour rendre plus cohérente la mesure de
la juste valeur (information additionnelle
sur sa volatilité, sa sensibilité, extension de
l’IFRS 723) ? Est-ce que l’approche en trois
catégories retenue par le FASB est pertinente
et doit elle être généralisée24 ? Dès lors,
22 - La comptabilité au coût historique permettait de ne pas laisser filtrer notamment que les Caisses d’Epargne américaines servaient des rémunérations à taux variable
supérieures à la rentabilité à taux fixe de ses actifs hypothécaires.
23 - IFRS 7 (instruments financiers : informations) prévoit une analyse de sensibilité pour les catégories de risques générales mais pas pour des classes d’actifs spécifiques.
Les normes américaines quant à elles n’imposent pas de communication de sensibilité.
24 - La norme américaine FAS 157 prévoit en effet trois niveaux de valorisation selon les conditions des marchés financiers : i) les prix observables pour un même instrument
lorsque les marchés sont liquides sinon quand cela n’est plus possible ii) les prix à des dates proches ou d’instruments financiers ou indices comparables sinon iii) le recours
à des modèles théoriques très documentés (mark to model).
17
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
comment définir et encadrer les solutions
alternatives pour que le mark to model ne
devienne pas un mark to myth25 ?
Plus spécifiquement, si nous revenons sur
une des sources de la crise financière, il
est intéressant de mentionner que pour de
nombreux CDO, il n’existait pas de marché
secondaire, puisqu’ils avaient été créés sur
mesure pour certains investisseurs. Dès
lors, quelle est la juste valeur de ces CDO,
sachant qu’il n’existe pas de marché et qu’il
y a une asymétrie d’informations entre les
banquiers qui les créent et les investisseurs
qui les acquièrent ? Pour le banquier, la juste
valeur peut être calée sur les différentes
composantes du CDO et donc relève d’un
mécanisme de formation de prix lié à la
couverture (statique ou dynamique). Même
si les modèles sous-jacents sont connus et
admis au sein des pratiques des banquiers,
ils nécessitent de nombreuses hypothèses
spécifiques à chaque institution et de
ce fait, il ne peut pas exister une unique
« juste valeur ». Dès lors, le mythe de la
valeur unique prônée par l’IASB tombe
en l’absence de marchés actifs. Face à
cette hétérogénéité des approches, l’IASB
a d'ailleurs renforcé ses recommandations
quant à la prise en compte dans les modèles
de valorisation du risque de modèle,
du risque de liquidité et du risque de
contrepartie.
Ainsi, face à cette absence de marchés
actifs (par construction de certains de ces
CDO), il convient de se poser la question
clé suivante : comment peut-il être admis
(par les normes comptables mais aussi
et surtout par les régulateurs) que ces
produits soient classés en trading book !
Ce choix des banques a été motivé par
une exigence de capitaux propres moindre
dans cette catégorie qu'au sein des banking
books. Le débat sur la remise en cause de
la juste valeur est donc bien totalement
biaisé, puisque la question concerne ici
l’arbitrage opportuniste des banques par
rapport à la réglementation prudentielle
! Il y a donc encore une confusion dans
l’identification de la source du problème :
alors qu'est en cause une perversion
des règles prudentielles, l'attention est
détournée sur la pertinence de la juste
valeur dans les normes comptables.
En d’autres termes, pour nous, le débat
sur la pertinence de la juste valeur par
rapport aux autres approches comptables
(notamment coût historique et valeur
d’usage) est souvent biaisé car il a été
mal posé : les questions sur le rôle de la
comptabilité (notamment par rapport à la
régulation prudentielle) et sur la mesure
de la juste valeur (distinction entre prix et
valeur) ont été omises.
Ainsi, nous nous rangeons parmi les
partisans qui considèrent, comme Churchill
à l’égard de la démocratie, que l’approche
de la juste valeur, même si elle doit faire
l’objet d’améliorations (cf section II.3.),
reste bien « le pire système à l’exception
de tous les autres » : les autres étant
moins informatifs, moins comparables, et
plus riches de possibilités de lissage et de
gestion discrétionnaire des comptes.
II.3. Les aménagements
nécessaires du traitement
comptable de la juste valeur
indépendamment de la crise
Si nous défendons le maintien de la juste
valeur même en période de crise, les travaux
de l’EDHEC (Foulquier et Touron 2008,
Foulquier 2007, Amenc et al. 2006), ont
toutefois souligné qu’indépendamment des
turbulences actuelles, la comptabilisation
de la juste valeur devait faire l’objet d'une
refonte des traitements, notamment si elle
veut répondre aux objectifs d’amélioration
de la perception des risques prônés par les
IFRS.
18
25 - Warren Buffett, dans sa lettre aux actionnaires du rapport annuel 2003, mentionnait que « dans les cas extrêmes, le mark to model dégénère en
ce que l’on pourrait appeler le mark to myth ».
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
Plus précisément, notamment lorsque
sont considérées les sociétés financières,
le traitement des comptes IFRS semble se
traduire parfois pour certains acteurs par
une opacité accrue par rapport aux normes
nationales en coût historique. Cela n’est pas
le fruit du recours à la juste valeur, mais de
la contradiction suivante : les IFRS visent à
permettre aux entreprises de mieux gérer
leurs risques, y compris ceux à long terme,
mais traduisent comptablement cette
gestion par une analyse de la variation
trimestrielle de leur valeur de marché, qui
reflète généralement des primes de risque
de court terme. Cela revient à considérer
ces engagements longs (actifs ou passifs)
sur la base d’une liquidation permanente
des actifs et passifs (notamment des
couvertures, Foulquier et Touron 2008).
Les critiques à l’égard des IFRS en général
et de l’IAS 39 en particulier résident dans la
volatilité accrue du compte du résultat, qui
parfois traduit des mouvements opposés à
la situation économique réelle. Par exemple,
les travaux de l'EDHEC (Foulquier 2007,
Amenc et al. 2006) montrent que dans un
environnement de taux excessivement bas
comme observé en 2004, si une société
d’assurance met en œuvre une couverture
contre le risque d’une baisse des taux
d’intérêt qui économiquement se traduit par
une parfaite gestion actif-passif, cela peut
se traduire comptablement par des pertes au
compte de résultat lorsque l’environnement
des taux s’améliore (hausse des taux).
Pour illustrer nos propos, considérons
une société d’assurance vie dont le passif
d’assurance consiste à payer 5576 millions
d'euros en termes réels dans 20 ans. Elle
souhaite couvrir son risque de taux d’intérêt
et pour ce faire met en œuvre une stratégie
de cash flow matching afin d’immuniser la
valeur actuelle de ses passifs26 contre une
variation du taux de l’inflation et des taux
d’intérêt. Cette stratégie de couverture
consiste en l’acquisition d’obligations zéro
coupon de nominal 5576 millions d'euros et
de rendement 4,51% sur 20 ans d’une part
et d’un swap d’inflation d’autre part.
S u p p o s o n s q u e l ’ e n v i ro n n e m e n t
économique pour les assureurs s’améliore :
les anticipations sur le taux d’inflation
évoluent de 2,9% à 2% et les taux d’intérêt
croissent de 4,51% à 5%. Sur le plan
financier, par construction, la situation
économique est neutre pour la société
d’assurance27 (parfaite adéquation actif
passif).
En revanche, sur le plan comptable, les IFRS
ne traduisent nullement la réelle situation
économique.
En effet, un swap étant un instrument
dérivé, sa variation d’un reporting à l’autre,
affecte le compte de résultat (-600 millions
d'euros). Les zéro coupons étant conservés
dans le cadre de la stratégie de la couverture
jusqu’à échéance, ils sont classés en
« actifs disponibles à la vente » (la classe
« détenus jusqu’à échéance » a été peu
utilisée par les assureurs car elle est trop
contraignante). La variation des zéro
coupons affecte directement le bilan (sans
affecter le compte de résultat) et se traduit
par une perte de 370 millions d'euros
(4088-3723). Enfin, les passifs d’assurance
relevant de l’IFRS 4 sont dans la phase
1 provisoire de 2005 à 2011 (au moins)
enregistrés au coût historique et leur
variation de 970 millions d'euros n’a aucun
impact sur le compte de résultat et le
bilan.
Au final, alors que l’environnement est
meilleur pour l’assureur et que la stratégie
de couverture mise en œuvre par la société
26 - On suppose que la société anticipe un taux d’inflation de 2,9% et que le taux d’actualisation est de 4,51% au moment de la mise en œuvre de la stratégie (par exemple au
1er janvier 2008). La valeur actuelle des cash flows en 2008 est donc 5576 (1+2,9%)20 / (1+4,51%)20 = 4088 millions d'euros.
27 - La nouvelle valeur des zéro coupons est de 5576 (1+2,9%)20 / (1+5%)20 =3723 millions d'euros
La valeur de marché du swap est [5576 (1+2%)20 - (1+2,9%)20 ] / (1+5%)20 = - 600 millions d'euros
La valeur des actifs (zéro coupon + swap) est donc de 3123 millions d'euros.
La valeur des passifs est 5576 (1+2%)20 / (1+5%)20 = 3123 millions d'euros. Par construction il y a donc une parfaite adéquation actif passif (asset liability matching).
19
II. De la pertinence des critiques sur la juste valeur
en cette période de crise
d’assurance est totalement efficace (la
variation des taux d’intérêt et d’inflation
est neutre sur la situation financière de
la société), la compagnie d’assurance est
victime d’une volatilité de son compte de
résultat totalement artificielle et purement
comptable, sans commune mesure avec la
réalité économique.
La crise actuelle est de nature à constituer
un réel test des IFRS en période de
turbulences et nous pensons qu’à ce titre,
elle renforce nos critiques sur les choix
réalisés par l’IASB.
En effet, la société doit publier une perte
liée à cette couverture de 600 millions
d'euros dans le compte de résultat et une
perte de 970 millions d'euros au niveau
de ses capitaux propres. Il est important
en outre de souligner que si cette société
ne s’était pas couverte, la réduction de ses
capitaux propres n’aurait été que de 370
millions d'euros. Ainsi, dans le cadre de la
couverture des risques par des dérivés, non
seulement les IFRS augmentent la volatilité
des états financiers sans commune mesure
avec la réalité, mais elles pénalisent
les sociétés qui se couvrent, ce qui va
totalement à l’encontre de leurs objectifs.
La publication des résultats semestriels de
CNP en 2006 postérieure à nos travaux en
est une illustration très concrète (in vivo).
Plus généralement, nous estimons qu’il
ne faut pas confondre l’apport de la juste
valeur dans l’information des comptes
vis-à-vis de ses utilisateurs et le choix des
mécanismes retenus par l’IASB pour la
refléter. En d’autres termes, ce sont les «
distorsions » comptables28 (comptabilisation
des actifs en valeur de marché et de
nombreux passifs des sociétés financières
au coût historique, comptabilisation des
couvertures de dérivés, classification
des actifs en trois catégories avec un
impact sur le compte de résultat et/ou le
bilan excessivement différencié, etc.) qui
opacifient et complexifient la comptabilité
en juste valeur.
20
28 - A ce propos, nous rappelons que la solution transitoire initialement prévue pour trois ans (de 2005 à 2007) consistant à avoir la plupart des actifs en valeur de marché
et la plupart des passifs bancaires et assurantiels au coût historique perdure (et perdurera probablement jusqu’en 2011). Ce choix nous paraît être l’une des principales
sources de volatilité purement comptable, sans aucun reflet de la situation économique réelle, du compte de résultat des sociétés financières.
III. La volatilité du compte de résultat remet-elle en
question la pertinence de son traitement en IFRS ?
La crise actuelle constitue un test grandeur
nature dans des conditions extrêmes.
Si elle ne soulève pas réellement de
nouveaux problèmes comptables mais bien
prudentiels, elle met en exergue voire
accentue l’intérêt des problématiques de
notre programme de recherche intitulé
« les impacts des IFRS sur l’évaluation des
entreprises ».
En effet, la plupart des critiques sur la juste
valeur des instruments financiers ont pour
origine la volatilité qu’elle engendre dans
le compte de résultat. Les amendements
de l’IASB d’octobre 2008 proposant la
possibilité de reclasser ces instruments
financiers classés initialement en « détenus
à des fins de transactions » en « détenus
jusqu’à l’échéance » ou en « prêts et
créances », répondent à ce souci de réduire
la volatilité. Selon cet amendement, la
variation de la valeur des instruments
financiers nouvellement déclassés n’affecte
selon le principe du coût historique, ni
le compte de résultat, ni le bilan… à
l’exception des éventuelles provisions pour
dépréciations durables.
Toutefois, comme nous l’avons mentionné
précédemment, l’accroissement de la
volatilité actuelle qui est souvent purement
comptable et parfois sans liaison avec la
réalité économique, soulève selon nous, non
pas la question du retour au coût historique
qui nuirait à la qualité de l’information,
mais plutôt le traitement comptable de la
juste valeur.
La classification complexe proposée par
l’IASB à travers l’IAS 39 est-elle pertinente ?
Le regroupement de la classe « disponible
à la vente » et de « détenus à des fins
de transactions » (trading) en cours de
réflexion à l’IASB pour les prochaines
années apporterait-il plus d’informations
ou amplifierait-il les distorsions comptables
existant du fait que certains passifs restent
en coût historique ?
Finalement, la question sous-jacente est
de savoir si toutes les variations latentes
doivent passer ou non directement par
le compte de résultat. Il est souvent mis
en avant qu'une telle option nuirait à la
lisibilité de la performance opérationnelle
(compte tenu du poids des retraitements
des IFRS), voire, qu'elle modifierait les
stratégies opérationnelles et financières des
entreprises (afin de mieux piloter
le compte de résultat, le bénéfice par
action et la rentabilité). Plus en amont,
la problématique soulevée devient alors :
quel est le rôle et l’utilité du compte de
résultat dans le cadre de la communication
financière ? De façon plus générale,
la comptabilisation des instruments
financiers à la juste valeur entraîne ainsi
le normalisateur international, à réfléchir à
un nouvel éventuel état de la performance29
dans la perspective de la communication
financière.
Aujourd’hui, l’évaluation du résultat à la
juste valeur consiste à considérer que les
actifs et les passifs peuvent être cédés ou
réglés à tout moment. Dès lors, il fournit
une information sur ce qui aurait pu avoir
lieu comme transaction : il n’est plus
nécessaire de constater la réalisation d’une
opération pour valider comptablement son
coût « actuel »30. La conséquence est que
si tous les instruments financiers étaient
évalués à la juste valeur, la variation des
capitaux propres (hors opération sur capital
et distribution) exprimerait la variation de
l’actif net à un instant donné, c’est-à-dire
la performance de l’entreprise durant un
exercice.
Toutefois, dès l’instant où certains
instruments financiers voient leurs
variations inscrites directement dans le
29 - Dans le cadre conceptuel, l’IASB a remplacé le terme « résultat » par « performance ».
30 - Ceci constitue une véritable rupture avec la plupart des normes comptables nationales. En effet, pour la majorité d’entre elles, comme en France, « seuls les bénéfices réalisés
à la date de la clôture d’un exercice peuvent être inscrits dans le résultat de ce exercice ». Le compte de résultat apparaît en normes nationales comme un état comptable limité
aux opérations réalisées. En l’état, cet agrégat ne semble pas offrir une représentation complète de la performance de l’entreprise.
21
III. La volatilité du compte de résultat remet-elle en
question la pertinence de son traitement en IFRS ?
bilan sans affecter le compte de résultat,
il est raisonnable de se poser la question
de la réelle mesure de la performance
de la société (notamment lorsqu’il s’agit
d’une banque ou d’une société d’assurance)
offerte par le compte de résultat. Par
ailleurs, si l’on considère que l’évolution
des instruments financiers comme ceux liés
aux taux de change ou d’intérêt ne sont pas
toujours totalement sous le contrôle de la
société, une confusion naît entre le résultat
lié directement aux décisions de gestion des
dirigeants (et donc la performance) et celui
qui relève des variations de marché.
Conscient de cette confusion, le
normalisateur international réfléchit à
remplacer le compte de résultat par un état
de synthèse représentatif du résultat global
mais susceptible de mieux appréhender
la performance de l’exercice (Escaffre et
Ramond 2005) : le comprehensive income.
Afin d’améliorer la transparence requise,
tout en permettant aux sociétés de présenter
leur performance en conformité avec leur
mode de gestion et en réunissant dans un
même tableau les gains réalisés et les gains
latents (écart de juste valeur impactant les
capitaux propres et le compte de résultat),
la présentation de cet état reposerait sur
deux parties :
• l’une relative au résultat comptable
traditionnel associée aux transactions
réalisées,
• l’autre, relative à l’enrichissement
ou l'appauvrissement latent (état des
mouvements des capitaux propres hors
apports et retraits des actionnaires)31.
Pour répondre à cette question de doctrine
comptable, rappelons que dans son cadre
conceptuel, il est précisé que les états
financiers doivent fournir « une information
sur la situation financière, la performance et
22
les variations de la situation financière d’une
entreprise, qui soit utile à un large éventail
d’utilisateurs pour prendre des décisions
économiques » (IASB, cadre conceptuel
des normes IAS / IFRS, § 12). Il apparaît
qu’une réflexion sur la représentation de la
performance est indispensable si l’on veut
accroître la fiabilité et la pertinence des
états.
D’un point de vue théorique, le cycle de
représentation de la performance peut être
élaboré de la façon suivante :
• interprétation de la réalité à partir des
opérations économiques (prix facturé,
virement, cession…),
•  représentation de cette réalité
(valorisation, imputation en charges et
produits…),
• présentation des états financiers fondée
sur les interactions entre l’interprétation et
la représentation.
Dès lors la qualité de la représentation
comptable de la performance réside dans
la qualité de l’application de ce cycle : la
mesure de la performance apparaît comme
une construction intellectuelle et non un fait
observé, puisque l’image de la performance
prend tout son sens à travers l’opinion
qu’en ont les destinataires (décodage de
l’information financière). A partir de ce
constat, deux courants s’opposent : le
concept du résultat opérationnel courant
(current operating concept) et le concept
du résultat où « tout est inclus » (allinclusive concept).
Le current operating concept consiste à ne
comptabiliser que les opérations ordinaires
de l’exercice et à reporter les opérations ne
concernant pas l’exploitation directement
dans le bilan. Par exemple, aux EtatsUnis, le SFAS 52 impose que les écarts de
31 - La norme IAS 1 a été révisée le 6 septembre 2007 (« Présentation des états financiers »). Elle entrera en vigueur au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier
2009. Les préparateurs des états financiers auront le choix de présenter les produits, charges et autres éléments du résultat global, soit dans un état unique (le résultat global
sera composé de sous-totaux), soit dans deux états séparés (un compte de résultat et un état du résultat global). Sont qualifiés de « autres éléments du résultat global », les
charges et produits (y compris les ajustements provenant de reclassements) qui ne sont pas enregistrés dans le compte de résultat, conformément aux dispositions obligatoires
ou optionnelles des autres normes IFRS.
Dès lors, le comprehensive income correspond à la variation des capitaux propres au titre d’une période résultat de transactions et d’événements autres que les changements
induits par des opérations réalisées avec les actionnaires. Le résultat global, pour sa part, comprend l’ensemble des produits et charges du compte du résultat ainsi que les
autres éléments du résultat global.
III. La volatilité du compte de résultat remet-elle en
question la pertinence de son traitement en IFRS ?
conversion en devises soient imputés sur
les capitaux propres. Sont alors considérés
comme relevant de l’exploitation,
les éléments habituels, récurrents et
permettant de prévoir la performance
future de l’entreprise. Pour les partisans de
cette approche restrictive, cette méthode
permet de prédire les futurs résultats et
les comparaisons inter-entreprises et interpériodes. L’idée étant de ne retenir que les
éléments que les dirigeants maîtrisent et
contrôlent, la performance est évaluée à
partir du résultat comptable. Cette double
approche du résultat (par opposition au
all-inclusive concept qui relève d’une
approche unique du résultat) est
intéressante, car elle a pour origine
l’observation des besoins des utilisateurs
des états comptables. Deux catégories de
besoins entraînent l’expression de deux
types de mesure de la performance :
• une mesure des transactions que
l’entreprise a réalisées, traduite par la
différence entre les produits et les charges,
• une mesure de son enrichissement
patrimonial traduite par la différence entre
son actif net au début et à la fin de
l’exercice.
est la somme du net income (résultat
net obtenu au moyen d’un compte de
résultat traditionnel) et du other
comprehensive income (ensemble des
enregistrements antérieurs imputés sur les
capitaux propres).
A l’opposé, le a ll-inclusive concept
considère l’intégralité des éléments qui
affectent la variation des capitaux propres.
En refusant d’exclure les opérations non
habituelles du compte de résultat, l’objectif
est d’éviter les jugements subjectifs
conduisant par exemple, à imputer les
pertes dans le bilan et les profits au
résultat. L’IASB et le FASB ont retenu ce
concept. Plus précisément, le FASB (§39 du
SFAC n°5) définit le comprehensive income
comme le résultat global, c’est-à-dire
comme une mesure extensive des effets des
transactions et autres événements d’une
entité comprenant toutes les variations
de l’actif net à l’exception de celles
résultant d’apports ou de distributions aux
propriétaires. Le comprehensive income
23
Conclusion
Au moment où les IFRS sont en passe de
devenir le système comptable de référence
mondiale, la crise actuelle permet de tester
la pertinence, tant du cadre conceptuel
de l’IASB que de ses choix de traitements
comptables. Ses détracteurs estiment que
la juste valeur a une part de responsabilité
dans l’accélération de la crise, notamment
au regard de sa pro-cyclicité.
Nous avons montré que ce débat était biaisé
car il se trompait de cible. En effet, lorsque
le problème est étudié plus en amont et
qu’est rappelé le rôle de la comptabilité, il
apparaît que les amendements des IFRS 7
et IAS 39 sont contra-productifs. En offrant
la possibilité sous certaines conditions,
de traiter des opérations initialement
en juste valeur au coût historique, ils
réduisent l’information contenue dans les
états financiers. En outre, ils accroissent
les possibilités de lissage et de gestion
discrétionnaire des comptes. Ceci est de
nature à occulter la réelle exposition aux
risques des entreprises et à amplifier la
défiance de la communauté financière.
Par ailleurs, ce n’est pas parce que la
mesure de la juste valeur et les choix des
traitements comptables retenus par l’IASB
sont très discutables, qu’il est nécessaire
pour autant de rejeter la comptabilité en
juste valeur. Nous considérons l’analyse
que les normes relatives à la juste valeur
nécessitent des améliorations. Néanmoins,
nous estimons que la juste valeur remplit
mieux ce rôle informatif que tout autre
système. La comptabilité a pour objectif
de fournir la description la plus fiable
possible de la situation patrimoniale
d’une entreprise, à un instant donné, dans
l’environnement qui prévaut au moment de
l’arrêté des comptes. Elle a permis de rendre
compte plus rapidement de la profondeur
de la crise et une comptabilité aux coûts
historiques aurait très probablement nui
à l’appréciation de cette ampleur. La juste
24
valeur offre ainsi la possibilité de mieux
calibrer les solutions de sortie de crise par
des mesures drastiques.
Elle ne saurait se substituer à l’analyse
financière et prudentielle. La comptabilité ne
constitue que l’un des supports disponibles
pour étudier la solvabilité d’une institution
financière. Il n’est donc pas de son ressort
de décider si l’affaiblissement des fonds
propres comptables doit se traduire par
une demande de capital additionnel et/ou
une réduction de l’activité. Ce rôle incombe
aux régulateurs. L’arbitrage opportuniste
des banques quant à la classification de
certains de leurs portefeuilles (notamment
les CDO classés en « trading book » en
dépit de leur nature) par rapport aux
règles prudentielles, ne peut être de nature
à remettre en cause la comptabilité en
juste valeur. Une confusion est née dans
l’identification de la source du problème en
transformant la question de la « perversion »
des règles prudentielles en celle de la
pertinence de la juste valeur dans les
normes comptables.
Cette crise conforte la pertinence des choix
des problématiques de notre programme
de recherche « impacts des IFRS sur la
valorisation des entreprises » et nous incite
à poursuivre nos efforts de recherche sur
les questions suivantes : quelles méthodes
d’évaluation retenir pour valoriser les postes
représentatifs des états financiers et quels
types d’informations doivent figurer en
annexes ? Quels sont les impacts des choix
de traitements comptables sur la stratégie
des sociétés ? Et sur leurs valorisations ?
Quelle présentation pour le compte de
résultat et quelle articulation avec le bilan
doivent être retenues pour être utiles
et pertinentes pour les utilisateurs des
comptes ? Existe-t-il une prime de risque
comptable ?
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Notes
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27
Avec près de 110 professeurs permanents et plus
de 5000 étudiants répartis sur ses campus de Lille,
Nice et Paris, l’EDHEC est de fait la plus « grande »
des grandes écoles françaises. Créée en 1906 et
accréditée non seulement par la Conférence des
Grandes Ecoles françaises mais aussi par l’AACSB,
l’AMBA et l'EFMD (Equis), l’EDHEC est classée
parmi les meilleures écoles de gestion européennes
depuis plusieurs années.
L’EDHEC Financial Analysis and Accounting
Research Centre traite des problématiques
d’analyse financière : évaluation des sociétés,
impacts des IFRS et de la Directive Solvabilité II
sur la gestion des sociétés d’assurance, impacts des
IFRS sur la valorisation et le « pricing » des risques,
évolution du recours aux attestations d’équité et
du statut d’expert financier indépendant. Le centre
de recherche vise notamment, en s’appuyant sur
l’état de l’art académique, à remettre en cause
certains paradigmes financiers, en particulier celui
qui consiste à écarter les risques idiosyncratiques
de la prime du risque, parce que diversifiables,
et ainsi contredire l’idéologie selon laquelle les
IFRS sont neutres sur la perception des risques,
en montrant qu’elles ont soit un impact sur les
agrégats financiers auxquels ont recours les
analystes financiers, soit un impact sur la stratégie
des sociétés pour neutraliser l’effet comptable.
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