FIN.
C’est la dernière fois
que j’écris l’édito de saison.
Ainsi je l’ai voulu.
Ainsi on me l’a permis.
FIN.
Le mot est petit, trois lettres à peine.
Il va pourtant dans tous les sens.
Il dit le point nal que l’auteur
fébrile
met au dernier mot de la commande
qu’il s’est passé à lui-même.
Le mot est vaste soulagement,
respiration,
longue et profonde,
soupir de bien-être.
Il dit le spectateur qui entre en rêverie,
active ou passive,
quand le rideau tombe,
quand la lumière se rallume,
juste un peu cruelle.
Il dit le plaisir de l’élève
qui échappe à la question
quand la cloche sonne la n de la classe.
Il dit la vie et la mort.
La vie qui grandit en étapes,
en secousses inévitables
et celle qui s’éteint.
Il dit tous les extrêmes,
tous les passages qui ouvrent sur l’inconnu,
l’inquiétant.
Passages de la garderie à l’école,
de l’école à la grande école,
de la grande école au travail,
du travail à la retraite,
de la retraite à la FIN dernière.
Le mot est partout dans nos vies,
nos conversations de salon,
nos angoisses sourdes et secrètes,
notre besoin de liberté,
nos cauchemars,
nos désirs.
Pourtant, nous redoutons la n,
les ns,
toutes les ns,
même quand tous les pores de la peau
la désirent,
la réclament.
C’est viscéral, instinctif, humain somme toute.
Nous assistons impuissants et ambigus
à la n de l’innocence présumée
dans le passage de l’enfance à l’adolescence.
Nous nourrissons l’illusion de l’immortalité
comme ultime dé.
L’illusion de la croissance innie
pour faire taire le vertige d’une possible perte.
Nous redoutons la n des grands récits,
écrit Pourveur,
cette n qui nous renvoie à nous-mêmes.
Nous nous débrouillons mal
avec la n de l’autorité
qui nous laisse sans repères temporels,
intergénérationnels,
sans le sentiment rassurant
d’appartenir à une société
qui a un passé,
un sens,
un avenir devant elle.
J’écris enn et je pense avoir cerné le mot,
lui avoir donné sa juste place de passage.
Passage d’hier à aujourd’hui,
d’aujourd’hui à demain.
Pause
qui permet le nouveau soufe.
Détente de tout le corps
pour mieux sauter…
Je reste confortablement dans l’euphémisme.
Le mot FIN est beaucoup plus chargé.
Je le sais.
Je le sens.
Il dit beaucoup plus qu’un passage.
Il raconte
entre les lignes,
entre les points et les innocentes virgules,
40 ans de victoires, de succès, d’échecs
de combats quotidiens,
de recherches passionnées,
de complicités patiemment construites,
renouvelées,
retrouvées,
de rencontres passionnantes,
de débats sans n,
de questions sans réponses,
de pays visités, adorés, détestés,
de cultures impressionnantes
qui nourrissent
aussi sûrement que le pain chaud,
d’enthousiasmes délirants…
En lettres majuscules
Le mot FIN…
Pourrait vouloir dire un apaisement
de ces élans de vie.
Un essoufement
de ces mouvements de l’âme.
Pourtant…
Pourtant…
J’ai beau gratter sous chaque lettre…
Je ne sens que le soufe puissant de la liberté.
Le temps de mettre de l’ordre dans ces valises
que les ans ont remplies.
Le temps du partage buissonnier.
Des conclusions provisoires,
de la réexion solitaire,
de l’écriture libre,
de celle qui revient sur ses pas…
et de toutes les autres que la vie fait surgir.
Passage?
Oui, il y a passage dans ce mot FIN,
tel que nous le vivons au Carrousel
dans ce tournant des 40 ans.
Un passage et beaucoup plus qu’un passage.
Un début.
Un formidable sursaut de l’histoire,
une incroyable appropriation de l’éthique,
des valeurs, du passé,
de celle qui donne
le pouvoir de tous les commencements,
dirait Revault d’Allonnes,
et l’audace de tous les dés.
Cette n d’un temps,
que Gervais tempère
de sa présence infaillible,
de sa créativité sans heurt,
toujours en mouvement,
que Marie-Eve assume
avec cette énergie inépuisable de la jeunesse,
aspire à la lumière,
à la vie,
au grand jour.
J’écris le mot FIN
et je ne vois que l’avenir qui s’ouvre.
L’écriture libre qui écrit pour les mots, les idées,
le sens sans échéance, sans échéanciers.
La promesse qui s’agite sous mes doigts,
me remplit le regard d’un formidable horizon
le cœur, d’une immense poussée d’espoir.
Cette n
nous porte en avant,
respire la vie et ses changements.
Aujourd’hui est une promesse.
Suzanne Lebeau
2015