Date : 01/11/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 58-62 Rubrique : psycho Diffusion : (202300) Périodicité : Mensuel Surface : 455 % CANCER les(bons)mots pour ledire PAS SIMPLE D'ANNONCER SA MALADIE. NI D'EN PARLER. QUELQUES PISTES POUR LES NON-DITS ET MAINTENIR DES LIENS QUI SAUVENT. ÉVITER PAR ISABELLESOING. Editions de l'Archipel Tous droits de reproduction réservés Date : 01/11/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 58-62 Rubrique : psycho Diffusion : (202300) Périodicité : Mensuel Surface : 455 % psycho Pourquoi est-ce important d'en parler ? «Notre appareil psychique étant fondé sur la parole, mettre des mots sur la maladie aide à se la représenter mentalement, se l'approprier, bref, à mieux la "penser" », souligne MarieFrédérique Bacqué1, psychologue clinicienne. Il est donc important de réfléchir à la manière dont, une fois le choc du diagnostic «digéré», on va l'annoncer. Puis d'en parler à ses proches et, au-delà, en se trouvant des pairs dans des 5 groupes de parole afin d'apaiser son anxiété. I Quand? z z 'i z J | S Quand on se sent prête. «Annoncer le diagnostic, ce n'est pas forcément asséner "un coup de bambou" », assure Marie-Frédérique Bacqué qui conseille, par une narration progressive, de préparer le terrain —«Tuavais peut être remarqué que j'étais fatiguée...»- et de laisser l'autre s'exprimer en donnant, pour finir, des explications sur le traitement et, c'est fondamental, sur un espoir. s Comment? ï mes proches : famille, amis... Pas de mode d'emploi type. « Ce qui compte, insiste Isabelle Moley-Massol2, psychanalyste et psycho-oncologue, c'est de se sentir libre d'en parler... ou non. Ce n'est peut-être pas nécessaire avec des parents très âgés que l'on ne voit presque jamais, mais essentiel avec ceux qui partagent notre quotidien. » On se tait parfois, pensant les préserver. « Or, les proches ont besoin de mettre des mots sur ce qui se passe. Reste à trouver le bon dosage entre le "trop dire", qui peut être très violent, et É le "non dire", toxique. » Se retenir ne les protège pas et peut c être source de malentendus. Pour garder la juste distance, on s zi g I S i f; À essaie de conserver le mode de relation qui existait avant : léger avec les copains qui me font rire -j'en ai bien besoin!-, plus grave avec l'ami(e) avec qui je peux me «lâcher», confier ce qui me fait peur, pleurer. L'important est de «sortir du tabou en formulant clairement ses demandes, pour les encourager à dire leurs doutes : "Je ne sais pas si c'est bien de t' appeler après tes résultats... Dis-moi ce que tu préfères." Au-delà des mots, note Isabelle Moley-Massol, on maintient un lien authentique capital. » Dans mon couple. «La maladie, en bousculant les rôles —le conjoint devenant parfois un infirmier-bis— est un "amplificateur de relations" qui peut provoquer un malaise, faute d'exprimer ses attentes », analyse Isabelle MoleyMassol. L'autre doit s'autoriser à dire «Je n'en peux plus» et accepter ses limites. Et la malade doit oser revendiquer un espace de liberté : «Arrête de m'infantiliser! » Dans la phase aigùe de la maladie, si le couple fait corps, le décalage le plus délicat survient, paradoxalement, au moment de la rémission et de la guérison. Lui veut tourner la page, parler d'autre chose. Revivre comme avant. La guérie, elle, se sent vulnérable. Et différente. « Dans le travail de la guérison, il y "d'avant" a toujours le deuil », prévient Marie-Frédérique Bacqué. Il faut donc en parler ensemble et, si c'est trop dur, se faire aider par un psychologue. Quel que soit leur âge, il est essentiel de À mes enfants. mettre des mots sur ce qu'ils perçoivent. Faire peser sur eux un secret est bien pire et déstructurant. Attention, « leur silence est une marque de détresse», observe MarieFrédérique Bacqué. Les plus jeunes, en pleine ambivalence œdipienne, pensent avoir été «méchants» et provoqué la maladie. «Dialoguer remet de l'ordre dans ce "chaos émotionnel" et leur permet de vivre leur vie d'enfant», ajoute Isabelle Moley-Massol, pour qui on n'a pas besoin de tout dire tout le temps, mais uniquement « ce qui les concerne». En partant d'éléments concrets ressentis par l'enfant- «Tu as sans doute remarqué que j'étais un peu énervée ces derniers temps...»-, on peut faire le récit de sa maladie, sans occulter le mot cancer, en expliquant que l'on va être bien soignée pour le rassurer. Les ados ont également besoin qu'on leur parle, en restant vigilant vis-à-vis d'un changement (troubles alimentaires, troubles du sommeil...) Quitte à devoir aifronter des échanges parfois «rock'n roll», comme cette ado criant sa peur à sa mère, qui la croyait indifférente, d'un «Tu me soûles avec ton cancer, j'en peux Editions de l'Archipel Tous droits de reproduction réservés Date : 01/11/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 58-62 Rubrique : psycho Diffusion : (202300) Périodicité : Mensuel Surface : 455 % psycho plus!» Douloureux mais salutaire pour libérer la parole et renouer avec la relation mère-fille. Au travail. «À chacun de décider d'en parler ou pas. Rien ne vous y oblige », rappelle Anne-Sophie Tuszynski, co-fondatrice de cancer@work3, une association qui aide salariés et entreprises à mieux intégrer la maladie. « Pour l'entreprise, tournée vers la performance, le cancer et la fragilité qu'il induit demeurent un tabou social. Quant aux dispositifs légaux. . . ils s'avèrent plus qu'insuffisants. À nous de créer les conditions pour que l'on puisse parler de ce qui nous arrive sans peur d'être placardisé(e).» Ou pire. Comme cette femme, pourtant guérie, mais qui s'estimait « totalement morte professionnellement». Face à la banalisation de la maladie et, heureusement, aux progrès des traitements, il y a urgence : «Sur 1 000 cas de cancers, 400 personnes sont toujours en activité. Des études montrent que les femmes veulent continuer à travailler et ce, pas uniquement pour des raisons financières! » 1 .Auteuie avec François Baillet de La force du lien face au cancer (éd. Odile Jacob). 2.Auteure de Le malade, la maladie et /es proches (éd. L'Archipel). 3.canceratwoik.com «fat toutdesuitedith véritéà mesenfants» Catherine, 50 ans. L'annonce. «C'est la même attitude - regard absent, dos voûté- de mon gynéco et, un an et demi plus tard, du chirurgien, qui m'a brutalement fait comprendre quej'avais un cancer, à 37 ans, et qu'il avait récidivé. Ayant l'habitude de dire les choses sans détour, je l'ai annoncé tout aussi abruptement à mon mari ("J'ai un cancer, rentre"), ma meilleure amie et mes proches. Il n'y a qu'avec mes enfants de 4 et 7 ans que j'ai pris soin d'expliquer, avec leurs mots et leur notion du temps -six mois, c'est combien de dodos?- quej'avais une "petite boule" qu'on allait m'enlever, la chimiothérapie...» Pendant la maladie. « Pasquestion de la leur cacher. À l'âge de la "pensée magique", un entant peut vite se sentir coupable. Je les ai fait suivre par un psy, j'ai prévenu leur institutrice et je suis restée vigilante -y compris face aux réactions des autres enfants par rapport à mon éventuelle perte de cheveux. Mon seul interdit : ne pas leur dire que c'était une maladie mortelle, ça, j'en étais incapable. Dans nos batailles de polochon s'affrontaient méchants et gentils globules, mon fils faisant intervenir un monstre, baptisé "le hache-viande", qui gagnait la bataille! Sauf ce jour où j'ai cru être assez en forme pour leur faire à déjeuner avant de m'écrouler de fatigue. Je me souviens du bruit assourdissant de leurs chips croquées dans un silence de plomb...» L'après. «Mes enfants se sont construits avec la maladie, mais sont aujourd'hui des ados bien dans leur peau. Lecancer n'est pas tabou. Parfois, ils lisent mon blog consacré à cette maladie (voir encadré "Utiles"). Je l'ai créé huit ans après, quand, enfin, tout allait bien. Mon ex-mari n'a pas compris, me reprochant de "revenir à ça".Sans me justifier, je saisque j'en ai eu besoin. Peut-être pour parler à mes enfants d'une autre manière, leur laisser une trace... Quand j'ai rencontré mon nouvel amoureux, mon blog est la première chose dont je lui ai parlé! Certains hommes fuient, lui m'a posé des questions, avec pudeur, sans malaise. Et il a su écouter cette histoire qui fait partie de moi.» Editions de l'Archipel Tous droits de reproduction réservés Date : 01/11/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 58-62 Rubrique : psycho Diffusion : (202300) Périodicité : Mensuel Surface : 455 % «Tavaispeur defairedu mal à mafamille» Shirley, 34 ans. L'annonce. «Célibataire et fi 11e de divorcés, je n'ai prévenu que mon père car je le sentais capable d'accueillir la nouvelle. J'ai attendu presque un mois pour annoncer mon cancer du sein - une première dans ma famille- à ma mère. Qui plus est à 31 ans. Et j'avais peur que mes grands-parents ne le supportent pas. J'ai consulté un psy pour m'aider à l'annoncer. Sous le choc, moi." ma mère répétait "Ça aurait dû tomber sur Mon "pêchue" et jamais frère a paniqué. Que moi, infirmière malade, je sois touchée, lui était insupportable...» Pendant la maladie. « Le plus douloureux, à part des rejets ou de l'indifférence à mon ancien travail, a été la réaction de mon frère : il a disparu de ma vie, hormis un coup de fil pendant ma chimio, alors qu'on avait toujours été proches. Or, quand on souffre, on joue "cartes sur table". Parler de ma maladie m'aidait à la dédramatiser. Je préférais qu'on me dise "je suis choqué", "je ne sais pas quoi te dire ni quoi faire pourt'aider", plutôt que m'éviter ou m'imposer un silence gêné. Étonnamment, c'est le fils d'un couple d'amis, âgé de 10 ans, qui m'a beaucoup aidée par ses questions spontanées!» L'après. «Traverser ensemble ma maladie m'a rapproché de ma mère. Mais je ne vois plus mon frère, quelque chose s'est brisé. Pas simple non plus d'en parler à un homme, même si j'ai eu, après mon opération, une — — histoire qui m'a redonné confiance. Ni de faire comprendre que, même guérie, on a besoin d'en parler. Je suis partie en d'avant" voyage. A mon retour, pour mon père, "la vie reprenait. J'ai dû lui rappeler que si mes cheveux avaient repoussé, j'étais différente -mon curage axilaire m'empêche de porter des objets lourds... Passée une phase d'agressivité, j'ai appris à positiver par le biais de "nouvelle" ma vie -yoga, méditation, aliments antioxydants. Et quand on me dit "Oh la, là, t'es pas drôle!", je plaisante: "Je ne vais pas entretenir mon deuxième cancer!" Les angoisses liées à ans sans grossesse- ou ma l'hormonothérapie-cinq colère face à l'impossibilité de m'assurer pour obtenir un prêt, je les partage avec des amies qui ont vécu un cancer. Là, je dis ce que je veux sans prendre de gants.» «Notrebhgestun exutoire, pour mafilleetpour moi» Marie-Christine, 54 ans. L'annonce. «Divorcée du père de ma fille, j'avais un compagnon depuis trois ans. Je lui ai tout de suite dit : "Je ne sais pas si je m'en sortirai, si tu veux partir..." pas!" J'ai Ce à quoi il m'a répondu "Je ne te lâche attendu pour l'annoncer, quelques jours avant mon à ma fille de 1 8 ans. Je ne voulais pas hospitalisation, l'affoler. Mais je ne voulais pas non plus qu'elle l'apprenne par quelqu'un d'autre que moi. Le plus dur? Lui avouer, trois semaines après l'intervention, la nécessité d'une seconde opération... Là, elle a vraiment réalisé la gravité de mon état.» Editions de l'Archipel Tous droits de reproduction réservés Date : 01/11/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 58-62 Rubrique : psycho Diffusion : (202300) Périodicité : Mensuel Surface : 455 % psycho Pendant la maladie. « Moi qui ai tendance à porter les autres, dans l'urgence de survivre, j'ai lâché prise. Mon compagnon me maternait comme un bébé. Passimple de garder son rôle de mère rassurante quand on se sent au fond du trou, sans cils ni cheveux... Mais j'ai gardé le courage de dire à ma fille des choses positives, qu'elle comprenne queje me battais, que je m'accrochais. Avec ou sans perruque ! Méthode Coué ? Peu importe la méthode, cela nous a donné des forces, à elle et moi.» L'après. «Depuis lafin de mon hormonothérapie, il y a quelques mois, je revis. Alors quand Agathe, 25 ans aujourd'hui, m'a proposé d'écrire un blog avec nos visions croisées de mère-fille, de malade et d'accompagnante, j'ai eu peur de replonger. Puis j'ai compris son besoin d'exprimer elle-aussi ses peurs, les frustrations et la souffrance qu'elle avait ressenties sans oser les formuler. Ma maladie l'a fait mûrir et elle a su attendre queje sois prête. Quand je la lis, je pleure parfois en comprenante quel point tout cela a été dur pour elle. À chaque chapitre, elle s'enlève un poids. Avec le dernier à venir -elle me tanne pour le rédiger-, on tournera, ensemble, une page de vie ! » UTILES Un livre Les nouveaux traitements, la saga de l'IGR, les relations soignants-malades: une histoire à lire comme un roman. La nouvelle médecine du cancer, histoire et espoir, par le P'Thomas Tursz (éd. Odile Jacob). Une radio Une web radio interactive pour parler du cancer du sein jusqu'au 31 octobre (table-ronde sur «Comment annoncer la maladie aux proches, enfants, conjoints, parents, amis?» le 9 octobre), radio.curie.fr Un blog Informé ot sensible, «Après mon cancer du sein», blog de référence sur la vie pendant et après... catherinecerisey.wordpress. com «Tenaiparlé spontanémentà mon boss» Anne-Sophie, 41 ans. L'annonce. «Je suis consultante en ressources humaines. Dès que j'ai su quej'avais un cancer du sein, à 39 ans, j'en ai spontanément parlé à mon boss, qui m'a encouragée à m'organiser comme je le souhaitais. Avec trois enfants de 10, 8 et 6 ans, je devais me sauver mais je redoutais l'apitoiement. Je voulais que l'on me considère comme une personne, pas seulement une malade. Pendant le traitement, le travail est quasiment le "bulle" seul espace hors-champs de la maladie, une où l'on peut parler d'autre chose. J'ai aussi réalisé une "newsletter" pour informer mes proches... et nous laisser, à eux et moi, le temps de parler d'autre chose ! » Pendant la maladie. «Malgré mon arrêt maladie, je voulais maintenir des liens avec mes collègues et mes clients. J'ai joué la transparence et recruté ma remplaçante, en restant présente, sans en faire trop, par mail, téléphone, et des déjeuners ou des visites informelles. Ma façon de m'affranchir de mon statut de malade. Dix mois après, j'ai repris mon job, accueillie à bras ouverts. Très vite, clients et collègues désemparés m'ont appelée pour des conseils sur la bonne attitude à adopter avec un salarié ou un collègue malade...» L'après. «J'ai réalisé à quel point manque, hors de l'hôpital, un accompagnement. Même si l'on n'est pas chez les Bisounours, il y a une vraie prise de conscience et une demande de la part des entreprises elles-mêmes ! Pour cette raison j'ai quitté mon job et fondé l'association Cancer@work, avec Cathie et Catherine, en juin 201 2. Nous agissons au cœur des entreprises pour soutenir les salariés isolés, former les managers, aider les employeurs à gérer des situations délicates, humainement et matériellement... en libérant la parole!» H cancer a1work.com Editions de l'Archipel Tous droits de reproduction réservés